Protection sociale

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Protection sociale
Une composition sur un sujet se rapportant aux grands thèmes de la protection
sociale.
SUJET : Faut-il redéployer les dépenses de la protection sociale
française ?
Copie notée : 18/20
Dans La disqualification sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ? (2003), le sociologue Robert
Castel considère à propos des individus en difficulté qu’il convient « de ne pas les traiter
naïvement comme des assistés mais comme des personnes provisoirement privées des
prérogatives de la citoyenneté sociale, aussi l’objectif prioritaire est de leur procurer les
moyens de retrouver cette citoyenneté ». Cette analyse résume la philosophie du modèle
de protection sociale française, c’est-à-dire de l’ensemble des mécanismes collectifs de
prévoyance et de gestion des risques, qui recouvre la Sécurité Sociale (créée par
l’ordonnance du 4 octobre 1945), le régime général des salariés, les régimes spéciaux,
les mutuelles ainsi que l’aide sociale.
Dans son dernier rapport en date du 16 mai 2013, l’Observatoire national de la pauvreté
et de l’exclusion sociale (ONPES) insiste sur la nécessité d’autonomiser les individus, ce
qui suppose de dégager des moyens capables de financer les interventions de la
protection sociale. Or, le contexte actuel se caractérise par des finances publiques sous
tension qui vont conduire le Gouvernement à adopter en 2014 le premier budget de
l’histoire de la Vème République en baisse, d’autant plus que la Commission européenne
lui a accordé un délai supplémentaire pour réduire sa dette publique aujourd’hui égale à
90,2 % du produit intérieur brut (PIB), à laquelle contribue la dette sociale à hauteur de
150 milliards d’euros. Dès lors, l’étroitesse des marges de manœuvre soulève la
problématique du redéploiement des dépenses de la protection sociale.
En effet, les dépenses sociales remplissent une fonction de stabilisation macroéconomique pour les ménages confrontés depuis 2007 aux conséquences d’une crise
économique et financière mondiale sans précédent. Si la philosophie du modèle français
affirme dans le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 la
protection de la santé, la sécurité du travailleur et des moyens convenables d’existence,
la démarche de réexamen de l’efficacité des politiques publiques initiée par la Révision
générale des politiques publiques (RGPP) puis par la Modernisation de l’action publique
(MAP) suggère de rechercher l’efficience des interventions des opérateurs chargés d’une
mission de service public, parmi lesquels la Sécurité Sociale bien qu’elle demeure une
personne morale de droit privé (à l’exception des caisses nationales qui constituent des
établissements publics administratifs) comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans sa
décision « Caisse primaire Aide et protection » de 1938. Aussi le redéploiement des
dépenses constitue une hypothèse de rationalisation de l’action de la protection sociale.
Dès lors, il convient de s’interroger sur les évolutions du modèle social français qui
impliquent un redéploiement, ainsi que sur les conséquences de celui-ci au regard des
principes fondateurs de 1945.
Dans quelle mesure le redéploiement des dépenses permet-il d’assurer l’efficacité des
interventions de la protection sociale sans porter atteinte à la philosophie du modèle
français héritée de 1945 ?
Si les évolutions économiques et sociétales impliquent de rechercher l’efficience des
interventions de la protection sociale par un redéploiement de ses dépenses (I), le
modèle français doit parallèlement envisager de diversifier ses ressources dans une
double perspective d’efficacité et de justice sociale (II).
***
I – Les évolutions économiques et sociétales impliquent de rechercher
l’efficience de la protection sociale par un redéploiement de ses dépenses.
Il convient d’adapter le modèle assurantiel français aux évolutions économiques et
professionnelles (A), ce qui implique d’envisager un redéploiement des dépenses (B).
A. L’adaptation du modèle assurantiel français aux mutations économiques,
professionnelles et sociétales.
Si l’on se réfère à la typologie établie par Gøsta Esping-Andersen dans les Trois Mondes
de l’Etat-Providence (1999), le modèle français de protection sociale établi au lendemain
de la Seconde Guerre Mondiale dans l’esprit du Conseil national de la Résistance (CNR)
se caractérise par un lien étroit entre le statut de travailleur et la délivrance de
prestations sociales en nature ou en espèces. En effet, les ordonnances du 4 octobre
1945 relative à la Sécurité Sociale et du 19 octobre 1945 relative à la mutualité élaborés
dans le cadre du Plan Laroque conditionnent l’octroi de prestations (qui couvrent les
risques sociaux réduisant ou supprimant la capacité de gain du travailleur et de sa
famille) à une activité professionnelle et au versement de cotisations sociales, qui
financent la protection sociale à hauteur de 45 % jusqu’aux années 1980. Cette logique
assurantielle propre au modèle corporatiste-conservateur bismarckien d’Europe
continentale a été confirmée par les lois du 22 août 1946 et du 20 octobre 1946 relatives
à la famille et aux risques professionnels, deux nouveaux risques couverts par la Sécurité
Sociale et financés par des cotisations à la charge des employeurs.
Cependant, la crise économique ouverte dans les années 1970 par le double choc
pétrolier de 1973 et de 1979 signe la fin de l’ère prospère des « Trente Glorieuses »
(Jean Fourastié), dont le fort taux de croissance annuelle et le plein-emploi ont contribué
au bon fonctionnement du modèle assurantiel fondé sur une logique statutaire. En effet,
l’apparition du chômage de masse et la désindustrialisation, que suscite le déversement
de l’emploi vers les activités de services plus productives et en quête de travailleurs
qualifiés, questionnent le lien statutaire inhérent à l’exercice d’une activité
professionnelle dans un contexte qui voit se multiplier les carrières heurtées. Le
développement de l’emploi atypique (intérim, temps partiel) contribue également à ce
processus.
De même, les évolutions sociétales liées à l’autonomisation croissante des individus dans
les sociétés contemporaines, l’externalisation de la prise en charge des aînés et
l’apparition de familles monoparentales (qui représentent aujourd’hui 15 % du total des
familles) ont soit montré les limites du financement assurantiel, soit fait naître de
nouvelles demandes sociales, notamment face à la montée en charge du vieillissement
de la population et à la progression de la précarité et de l’exclusion. Aussi l’émergence de
ces nouvelles demandes de protection inhérentes à la société du « care » (Joan Tronto,
1993) dans un contexte de diminution des rentrées fiscales (suite à la fiscalisation
progressive de la protection sociale depuis les années 1980) et de diminution des
ressources provenant des cotisations sociales (d’autant plus avec la multiplication des
exonérations de charges patronales sur les salaires amorcée par la loi quinquennale du
20 décembre 1993 pour l’emploi) ont mis en évidence la nécessité de maîtriser les
dépenses via leur redéploiement sur des publics ciblés.
B. Le redéploiement des dépenses de la protection sociale dans une optique
d’efficacité.
Le caractère atone de la croissance et la fin du plein-emploi ont contribué à fragiliser les
finances sociales alors même que se multiplient les demandes sociales. Face à la crise de
l’Etat-providence confronté à la nécessité de hiérarchiser les priorités et les demandes
sociales (Pierre Rosanvallon La crise de l’Etat-providence 1981) et aux exigences
européennes de maîtrise des finances publiques qui posent la limite d’une dette publique
inférieure à 60 % du PIB et d’un déficit public n’excédant pas 3 % du PIB sous peine de
sanctions (Pacte de stabilité et de croissance adopté par le Conseil européen des
16-17 juin 1997 et complété par les règlements communautaires 1466/97 et 1467/97),
la maîtrise des dépenses publiques s’est imposée comme une nécessité aux pouvoirs
publics.
Néanmoins, afin de ne pas priver les dépenses sociales de leur rôle stabilisateur et pour
préserver le pacte social, la maîtrise des dépenses publiques s’est accompagnée d’un
redéploiement des interventions sociales. En effet, si les aides au logement ont constitué
un instrument efficace de la réduction des inégalités par la réduction des dépenses de
logement des ménages du fait de leur adaptation évolutive aux revenus, leur efficacité
sociale s’est progressivement dégradée à partir de 1991 en raison de l’absence de
revalorisation des loyers-plafonds et de l’envolée des prix sur le marché de l’immobilier.
Aussi la Cour des Comptes a recommandé un ciblage des aides sur les publics en
difficulté (en préconisant la suppression progressive de l’ALS et des APL aux étudiants
non boursiers) dans le sens où les transferts sociaux permettent de réduire le taux de
pauvreté de 50 %.
Le ciblage des publics en difficulté a donc été généralisé ou expérimenté dans plusieurs
domaines d’intervention du champ de la protection sociale. En matière de politique du
handicap, la loi de finances pour 2009 a durci la conditionnalité de la prestation
« Allocation adulte handicapé », par ailleurs revalorisée, désormais conçue comme un
tremplin vers l’insertion professionnelle puisque conformément au rapport conjoint rendu
en 2006 par l’IGAS et l’IGF et aux conclusions de la conférence du handicap (2008), les
financements dédiés à l’AAH ont été redéployés en faveur de l’insertion professionnelle.
Le Comité interministériel des villes du 19 février 2013 a pris acte du rapport public
thématique « la politique de la ville : une décennie de réformes » rendu le 5 juillet 2012
par la Cour des Comptes et a décidé d’une réorientation des crédits sur 1 000 territoires
prioritaires, afin de ne plus pallier les crédits insuffisants de droit commun des autres
ministères. Suite au rapport « Les aides aux familles » du 9 avril 2013 étalbie par
Bertrand Fragonard, le Gouvernement a annoncé le 3 juin les orientations de la politique
familiale rénovée. Par le plafonnement du quotient familial de 2 000 à 1 500 euros pour
les ménages les plus aisés appartenant aux deux déciles supérieurs, l’excédent de
1,3 milliards d’euros ainsi engagé financera la majoration du complément familial de
50 % pour les familles modestes, la création de 275 000 solutions d’accueil des jeunes
enfants via la hausse de 7,5 % par an du Fonds national d’action sociale et une meilleure
articulation entre vie familiale et professionnelle des femmes.
Cependant, si le redéploiement des dépenses permet de réorienter les financements de
manière plus efficace et juste en faveur de publics en difficulté, il questionne la
philosophie originelle du système français dans la mesure où il suggère que la protection
sociale n’a pour finalité que d’aider certains. Par conséquent, le modèle français doit
parallèlement à la réorientation de ses dépenses envisager de diversifier ses ressources
dans une double perspective d’efficacité et de justice sociale.
II – Le modèle français de protection sociale doit parallèlement envisager de
diversifier ses ressources dans une double perspective d’efficacité et de justice
sociale.
La protection sociale française doit engager un processus de diversification de ses
ressources (A) et dépasser la logique du « care » au profit du développement social (B).
A. Un processus de diversification des ressources de la protection sociale en cours.
Si le ciblage des publics en difficulté recommandé par les magistrats financiers permet de
redéployer les dépenses au profit des plus précaires tout en stabilisant le cadre
d’intervention à volume constant, il questionne toutefois les principes fondateurs du
système de protection sociale mis en place en France en 1945. Outre l’effet de
stigmatisation que peut induire le ciblage de certains dispositifs (plan de réussite
éducative des "cordets de la réussite" en matière de politique de la ville), il remet en
cause l’universalité de la protection sociale et fragilise la cohésion sociale et nationale
dans un contexte de crise qui voit se multiplier les cas de désaffiliation sociale et
d’isolement. En effet, la suppression des aides au logement pour les étudiants induit de
fragiliser les individus qui ne sont pas boursiers alors qu’il n’existe pas de statut de
l’étudiant en France, comme l’idée avait été lancée lors de la campagne présidentielle de
2007 via un financement par le produit de la taxation des successions. De plus,
redéployer les dépenses en faveur de publics cibles peut susciter des effets de seuil, à
l’instar de la modulation des allocations familiales dans le cadre de la mise sous
conditions de ressources qu’avait initiée en 1997 le Gouvernement Jospin pour
finalement l’abandonner l’année suivante. Au risque de menacer « l’égalité des citoyens
devant les charges qui résultent des calamités nationales » énoncée par le Préambule de
la Constitution du 27 octobre 1946, la réorientation des dépenses ne peut être le seul
volet actionné mais doit être complété par une diversification des ressources.
L’émergence de nouvelles demandes sociales liées aux évolutions sociétales a mis en
exergue les limites du redéploiement des dépenses et la nécessité de disposer de
ressources, diversifiées depuis les années 1980 au regard de la problématique du coût du
travail dans le cadre d’une économie ouverte et soumise à la concurrence internationale.
Avec une progression de l’ordre de 60 % de la proportion de personnes de plus de 65 ans
d’ici 2060, la dépendance est devenue un enjeu majeur dont les financements ne sont
pas à la hauteur, à l’instar de l’abandon en 2011 des Etats généraux de la dépendance et
des groupes de travail animés par M.A. Montchamp et R. Bachelot. Face au vieillissement
de la population et à l’asphyxie financière des départements confrontés à une montée en
charge nette totale des dépenses d’action sociale de 11 % pour la seule année 2011
(4,95 milliards d’euros) liée aux transferts de compétences organisés par la loi du
13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le rapport Gisserot (2005)
recommandait de poursuivre le processus de diversification des ressources de la
protection sociale.
Institué par le décret du 20 septembre 2012, le Haut Conseil pour le financement de la
protection sociale (HCFiPS) a été chargé par le Premier ministre de réfléchir à la
clarification et à la diversification des ressources de la protection sociale dont les travaux
ont été publiés par un rapport de synthèse (octobre 2012) puis par un rapport d’étape
(mai 2013). Le Haut Conseil recommande de poursuivre la taxation du patrimoine,
opérée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, qui créé la constitution
additionnelle de solidarité autonomie (CASA) à partir de 2014. Prélevée à hauteur de
0,3 % sur les revenus de remplacement et du patrimoine, elle s’ajoutera à la contribution
de solidarité autonomie prélevée sur les revenus d’activité depuis sa création par la loi du
30 juin 2004 de solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et handicapées. De
plus, une fois le rattrapage achevé sur la fiscalité du patrimoine (et afin d’éviter l’évasion
fiscale au sein d’un espace européen peu harmonisé), les économistes Henri Sterdyniak
et Jacques Le Cacheux –à l’instar du HCFiPS- se sont prononcés en faveur de la fiscalité
environnementale (dont le double dividende permet de réduire le coût du travail et la
dette sociale), et comportementale, dans une logique incitative qui vise à infléchir
durablement les comportements de consommation. En revanche, le financement de la
protection sociale par le consommateur n’est pas souhaitable (TVA sociale, Contribution
sur la valeur ajoutée, d’autant plus dans le contexte actuel de crise qui fragilise la
demande intérieure (Rapport Lagarde – Besson 2007). Par ailleurs, l’impact positif en
termes de création d’emplois (qui soulageraient les dépenses sociales) ne s’est pas
statistiquement vérifié suite à son expérimentation dans les DOM-TOM par la loi du
24 juillet 1994 tendant à améliorer l’emploi et les activités économiques.
Cependant, si la diversification des ressources a permis de dégager de nouvelles recettes
pour financer des dépenses sociales incompressibles, la tendance naturelle à la hausse
des dépenses de santé, la progression inquiétante des maladies professionnelles et
l’asphyxie financière des départements pose la question de la sortie du "care" au profit du
développement social, qui s’inscrit davantage dans une logique préventive et incitative.
B. Dépasser la logique du "care" au profit du développement sociale.
Si la diversification des ressources de la protection sociale est souhaitable et
envisageable, elle se heurte néanmoins au contexte actuel de crise et au poids des
prélèvements obligatoires (43,8 % du PIB contre 35 % en moyenne pour les pays
membres du G8). De plus, la hausse des prélèvements obligatoires implique des
multiplicateurs fiscaux élevés qui tendent à réduire un potentiel de croissance déjà atone
et à aggraver la situation des finances sociales. Confrontés à ces marges de manœuvre
étroites ainsi qu’à une situation financière et sociale délicate, les directeurs chargés des
solidarités au sein des conseils généraux métropolitains ont proposé de sortir de la seule
logique du "care", c’est-à-dire de la réparation par le versement de prestations et l’octroi
de droits connexes, à une logique plus large du développement social, qui vise à prévenir
les difficultés plus en amont. Cette notion de développement social s’avère être
multidimensionnelle.
D’une part, il convient de mobiliser les acteurs publics en faveur de l’emploi et de la
formation professionnelle, au travers d’une véritable sécurité sociale professionnelle
capable de répondre aux mutations de l’emploi comme aux carrières heurtées. La loi du
28 juillet 2011 relative à la sécurisation des parcours professionnels a amorcé cette
logique, réaffirmée dans la feuille de route de la grande conférence sociale pour l’emploi
des 20 et 21 juin 2013. La loi du 14 mai 2013 relative à la sécurisation de l’emploi créé
un compte individuel de formation et prônent les reconversions professionnelles afin
d’améliorer l’appariement et de diminuer le taux de non-recours à l’indemnisation
chômage, pour partie entretenu par Pôle Emploi pour limiter le déficit de l’assurance
chômage. Or, la Cour de Cassation a créé une obligation d’information au profit des
assurés qui engage la responsabilité de Pôle Emploi (Cass. Soc. 8 février 2012 Mme X.
contre Pôle Emploi). La sécurisation des parcours professionnels permet par ailleurs
d’assurer la reconversion des seniors, dont le taux d’emploi est de 6 points inférieur à la
moyenne européenne. Dès lors, le maintien et le retour à l’emploi des seniors suscitera
de nouvelles ressources et une amélioration des comptes sociaux, dans le cadre du
contrat de génération (loi du 1er mars 2013) que la Grande Conférence sociale a prévu de
développer.
D’autre part, il convient au travers du développement social d’agir en amont afin de
prévenir les difficultés. Ainsi il convient d’engager un effort national en faveur de la
prévention sanitaire, alors que le système français privilégie le remboursement des soins
au détriment d’une politique de prévention représentant seulement 6 % des dépenses
courantes de santé, qui a pourtant été consacrée comme axe de la politique de santé
publique par la loi du 9 août 2004. Dès lors, la prévention des risques professionnels, de
la dépendance (dans le cadre de la future loi d’adaptation de la société au vieillissement
élaborée suite aux conclusions rendues le 11 mars 2013 par la mission Aquino-BroussyPinville) et des risques sanitaires doit être réaffirmée par la stratégie nationale de santé
présentée le 16 mars dernier, et déclinée de manière opérationnelle par des plans
thématiques, à l’instar du plan national pour la santé au travail 3 (2015-2019) prévu par
la Grande Conférence sociale pour l’emploi des 20 et 21 juin 2013.
Enfin, le développement social nécessite une gouvernance et une évaluation appropriée,
ce qu’a précisé le vice-président du Conseil d’Etat Jean-Marc Sauvé le 27 mars 2013 dans
son intervention consacrée à la décentralisation des politiques sociales dans le cadre des
"Entretiens du Conseil d’Etat en droit social". En effet, l’élaboration d’une politique
efficace de prévention et individualisée (sur le modèle du projet individuel de vie créé en
matière de handicap par la loi du 11 février 2005 relative à l’égalité des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées) nécessite des outils
d’évaluation précis, dans le cadre du benchmarking et de coopérations territoriales,
aujourd’hui insuffisante, notamment faute d’une instance d’échange et de concertation,
telle qu’elle existe pour les gouverneurs des Etats américains. Le projet de loi relatif aux
solidarités territoriales prévoit la création d’un Haut Conseil des Territoires chargé du
dialogue et de la gouvernance territoriale. De même, l’asphyxie financière des
départements a impliqué des effets de ciseaux dommageables, ce qui appelle à
pérenniser et clarifier les modes de financement du "Département-Providence" (Robert
Lafore). Dans le contexte de la baisse des dotations, le groupe de travail Etat-
départements installé le 28 janvier 2013 préconise une déliaison des taux d’imposition
directe et une amélioration de la péréquation financière. Toutefois, il est souhaitable
d’envisager une réelle autonomie fiscale et pas seulement financière comme le postule la
loi organique du 29 juillet 2004, afin de garantir une action sociale de qualité.
***
Dans le contexte actuel de crise des finances publiques, le redéploiement des dépenses
sociales s’est avéré être une hypothèse envisageable et promue dans le cadre de la
rationalisation des dépenses publiques, comme l’a affirmé le comité interministériel de
modernisation pour l’action publique à propos de l’évaluation de la politique familiale.
Cependant, le ciblage inhérent au redéploiement des dépenses questionne les principes
fondateurs du modèle français de protection sociale et nécessite d’actionner
parallèlement le volet des recettes par la diversification des ressources. Toutefois, la
protection des citoyens contre les risques sociaux doit demeurer universelle et impliquer
une prévention plus en amont de ces risques multiples, notamment par la promotion du
concept de développement social.
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En abaissant le plafond du quotient familial et en prévoyant des dispositifs en faveur de
la prise en charge de la dépendance, le gouvernement suggère une relative repriorisation
des efforts de la protection sociale. Afin de prendre en compte l’allongement de la durée
de la vie, et notamment aux moyens de dispositifs couteux, il convient aussi d’identifier
les postes d’économies qui nuiront le moins au principe directeur de la protection sociale
française qu’est la solidarité.
La protection sociale est coûteuse et mobilise chaque année plus de 640 milliards d’euros
dont une majorité est assumée par la Sécurité sociale.
La protection sociale peut se définir comme l’ensemble des mesures qu’un Etat entend
mettre en œuvre pour protéger les individus des risques sociaux. Une approche
fonctionnelle confie à la protection sociale la garantie de l’accès aux soins, de revenus de
remplacement lorsque nécessaires et justifiés, de lutte contre la pauvreté et de
l’exclusion sociale et professionnelle.
Si des caisses locales de solidarité, des dispositions législatives spécifiques où des
initiatives patronales ont pu exister depuis le XIXe siècle, la France a tardivement installé
une sécurité sociale. Suivant le programme du Conseil national de la résistance et sous la
conduite de Pierre Laroque, la Sécurité Sociale est créée en 1945. Elle assure une
couverture contre les risques maladie, famille, accidents du travail et maladies
professionnelles et vieillesse.
Les engagements internationaux de la France et notamment ceux contractés au bénéfice
de l’Union européenne conduisent à évaluer l’endettement "toutes administrations
publiques" : celles de l’Etat, des collectivités territoriales et des organismes de Sécurité
sociale. Les dépenses de Sécurité sociale excédant ses recettes participent à
l’endettement de la France et aux violations notamment du pacte de stabilité et de
croissance. Les régimes de Sécurité sociale ne peuvent s’endetter, c’est la CADES (caisse
d’amortissement de la dette sociale) qui le fait. Ainsi, 209 milliards d’euros de dette lui
ont été confiés depuis sa création en 1996 jusqu’en 2012 dont 137 milliards doivent
encore être amortis.
C’est sous cette contrainte budgétaire que la protection sociale française doit protéger les
Français contre les risques et leurs évolutions. Aussi, si de nouvelles dépenses sont
nécessaires, des mesures d’économies et de nouvelles recettes aussi. L’importance des
prélèvements obligatoires appelle à procéder davantage par redéploiement. Dès lors, des
priorités doivent être assignées à la protection sociale française. Différents types de
redéploiements, non exclusifs, sont possibles : entre régimes, entre générations, entre
niveaux de richesse, entre sécurité sociale et assurances privées ; les redéploiements
peuvent aussi concerner la répartition des dépenses sur le territoire ou les efforts
demandés aux différents contributeurs.
L’importance des dépenses de protection sociale nécessite leur emploi le plus efficace
(1), d’où un nécessaire redéploiement en faveur des priorités reconnues par tous (2).
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L’importance des dépenses de la protection sociale française rend nécessaire leur
évaluation (I).
La protection sociale française redistribue des sommes importantes au moyen d’une
architecture complexe (A).
L’exécution de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 est satisfaisante. En
effet, l’écart négatif entre les recettes et les dépenses est de 13,3 milliards d’euros
contre 17,4 milliards pour 2011. Pour la seconde fois depuis sa création l’objectif national
de dépenses de l’assurance maladie a été respecté avec un surplus de 900 millions
d’euros. Les dépenses excédentaires de santé sont de 5,9 milliards d’euros contre
8,4 milliards l’année précédente et celles du risque vieillesse de 4,3 milliards d’euros
contre 6 milliards l’année précédente. Si la réforme des retraites de 2003 et les efforts
d’économie sont importants, il convient de préciser que plus de 4 milliards de taxes
supplémentaires ont abondé la Sécurité sociale (prélèvements sociaux sur les revenus du
capital, augmentation de la taxe sur les conventions d’assurance) et 0,7 milliards du
fonds de solidarité vieillesse ont payé les cotisations retraite des chômeurs.
Cela montre combien les dépenses de Sécurité sociale sont importantes. Les projets de
loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 prévoit un montant de dépenses pour
les régimes de base de la sécurité sociale de 469,9 milliards d’euros, dont 46 % pour la
vieillesse, 38 % pour la santé, 9 % pour la famille et 2 % pour les accidents du travail et
maladies professionnelles.
Les dépenses de protection sociale sont organisées de manière singulière par la Sécurité
sociale, l’Etat, les collectivités territoriales et le secteur concurrentiel.
Malgré les aspirations souvent confirmées et toujours d’actualité, la Sécurité sociale ne
repose pas sur un régime unique, mais également sur des régimes spéciaux et
autonomes. Le régime général, le plus important correspond à l’organisation de la
protection autour du statut des salariés et notamment du commerce et de l’industrie. Les
cotisations patronales et salariales couvrent le travailleur contre les risques. Les
déplafonnements progressifs en font un outil efficace de solidarité puisque les
contributions sont fonction du revenu et les prestations égales pour tous, nonobstant
certaines prestations proportionnelles (vieillesse, chômage) ou, au contraire, fonction des
revenus (allocations familiales). La gestion est assurée par les partenaires sociaux.
Certains groupes d’actifs ont souhaité garder et/ou développer leur propre régime qui
tient compte de la particularité de leur activité et maintient des prestations plus
avantageuses.
Ainsi en va-t-il de la mutualité sociale agricole, des régimes spéciaux de la RATP, de la
SNCF, d’EDF, du régime des fonctionnaires ou encore du régime social des indépendants.
Le principe de solidarité appelle des compensations inter régimes notamment du fait de
l’évolution démographique des cotisants ou de leurs capacités contributives.
La vocation des luttes contre la pauvreté et d’insertion de la protection sociale a conduit
à élargir le champ des bénéficiaires, y compris des non cotisants. Ainsi la couverture
maladie universelle (CMU) affilie tout résidant légal et dépourvu de sécurité sociale au
régime général. Les prestations familiales sont également universelles. L’Etat et les
collectivités territoriales réalisent également directement des dépenses pour garantir
leurs droits aux plus faibles. Le revenu de solidarité active (RSA) garantit un "socle" de
revenus (à la charge du département) pour chacun et un "chapeau" croissant avec le
degré d’activité des travailleurs modestes (à la charge de l’Etat). De la même façon, les
aides pour le logement (APL) permettent à tous de se loger et l’allocation spécifique de
solidarité (ASS) vient en aide aux chômeurs en fin de droits.
Enfin, la protection sociale publique n’ayant pas vocation à prendre l’intégralité des
dépenses en charge, notamment à des fins de responsabilisation et d’égalité (plafonds
pour les plus aisés). Il y a eu un développement de protections complémentaires liées à
la Sécurité sociale ou purement privée, à la charge du bénéficiaire et/ou de l’employeur.
Par exemple, le ticket modérateur sur les médicaments (35 %) est souvent pris en
charge par des mutuelles ou des assurances.

Les dépenses de protection sociale seraient importantes et non dénuées d’effets pervers
(B).
La protection sociale française est très complète et onéreuse. Le budget de la sécurité
sociale est supérieur à celui de l’Etat. Dès lors, un pur système assurantiel est difficile. En
effet, des prestations généreuses, voire universelles
pour certaines appellent des
cotisations sociales importantes, lesquelles augmentent le coût du travail. Qui plus est,
l’extension du périmètre des bénéficiaires, y compris des non cotisants, appellent des
compensations de l’Etat.
Les besoins importants de trésorerie des différents régimes ont conduit à la reprise des
dettes par la CADES, laquelle est financée, entre autres, par la contribution au
remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,5 % sur tous les revenus. La nécessité
de réduction du coût du travail a conduit à basculer des cotisations patronales (famille)
et salariales (maladie) vers un nouvel impôt s’appliquant à tous les revenus : la
contribution sociale généralisée(CSG) créée en 1988. Elle a depuis dépassé le rôle de
compensation de réductions de cotisations sociales pour être également une recette
propre de la sécurité sociale.
A ce stade, c’est davantage la croissance mécanique des dépenses de protection sociale
qui a été financé par la fiscalisation, or, de nouvelles dépenses sont nécessaires. Ce que
d’aucuns appellent le "cinquième risque" regroupe les dépenses liées au handicap et à la
dépendance. Les progrès de la médecine, l’allongement de la durée de vie, y compris en
situation de dépendance, appellent une nouvelle organisation des dépenses. La caisse
nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) semble moteur dans ces nouvelles
formes de dépenses. En effet, elle gère et répartit tant des ressources de la sécurité
sociale (pour les dépenses médico-sociales) que des ressources propres (0,1 point de
CSG et la contribution de solidarité active).
Les dépenses actuelles souffrent d’un manque de visibilité et auraient des effets négatifs.
Le département étant devenu l’échelon de droit commun pour l’action sociale, les
compétences et les financements s’enchevêtrent entre la sécurité sociale, l’Etat, les
départements, voire les régions pour la formation professionnelle.
D’aucuns estiment que certaines dépenses sont contre productives. Ainsi, le RSA, ou des
indemnités chômage plus élevées que dans d’autres pays, ou encore le cumul possible
entre différentes aides pourrait constituer des trappes à l’inactivité, d’autant plus que la
perte d’une aide peut en entraîner d’autres en cascade. Ils dénoncent des revenus trop
élevés en situation d’activité face aux "travailleurs pauvres" nonobstant la création du
RSA qui devait répondre à ces critiques.
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Un nécessaire redéploiement des dépenses de protection sociale doit suivre l’évolution
des besoins et des attentes (II).
Les dépenses de protection sociale doivent être davantage ciblées et justes, et dépasser
plus le périmètre de la Sécurité sociale (A).
L’universalisation de certaines prestations, comme les prestations familiales et la
couverture maladie répond à un impératif de lutte contre la pauvreté, d’insertion et
d’égalité. Les principes peuvent être pérennisés en concentrant les dépenses sur les plus
faibles, à savoir les plus affectés par la réalisation d’un risque ou les plus modestes.
Ainsi, c’est pour préserver l’universalité des prestations familiales que le gouvernement a
décidé de baisser le plafond du quotient familial. De la même façon, les dépenses en
faveur des handicapés pourraient se concentrer sur les plus modestes. En effet, la
prestation de compensation du handicap (PCH) est attribuée même aux plus aisés,
nonobstant l’existence d’un ticket modérateur plus important et ne peut pas faire l’objet
d’une récupération partielle sur la succession. Les économies générées permettraient de
réduire des restes à charge souvent très élevés même pour les plus modestes. Il est à
noter qu’une autre source d’économie serait le non cumul d’une prestation et d’un crédit
d’impôt pour la même fin. Un autre redéploiement pourrait également exister, pour les
personnes dépendantes au sein des groupes GIR afin de venir particulièrement en aide à
ceux dont la mobilité et les capacités sont les plus réduites. Un effort pervers pourrait
être un état devenant plus grave pour les personnes dépendantes se retrouvant avec
moins d’aide. Il y aurait alors déversement du GIR4 vers le GIR3.
Les dépenses de protection sociale pourraient se faire davantage au profit d’institutions
privées. En effet, de nombreux rapports pointent par exemple l’insuffisance de places en
institutions spécialisées pour les enfants handicapés, ou établissements d’hébergement
pour personnes adultes dépendantes. Aussi, un travail d’accréditation et de contrôles de
tels établissements privés pourrait être une réponse. Une réponse à la carence de l’offre
serait alors, dans le cas le plus extrême, la délivrance de "vouchers" sur le modèle de ce
qui existe pour l’aide pour la complémentaire santé pour les personnes avec peu de
ressources mais qui n’ont pas droit à la CMU-C.
Les nouvelles dépenses non gagées par des économies ne sauraient être supportées par
des cotisations sociales plus importantes. Or, seules deux assiettes sont plus larges :
celle de la TVA (1 point de cotisation sociale représente 7,5 milliards d’euros contre
9 pour la TVA) et de la CSG (le point est à 11 milliards d’euros). Le gouvernement ne
privilégie pas la TVA dite sociale par crainte d’une chute de la consommation et parce
qu’elle affecterait davantage les ménages modestes. En ce qui concerne la CSG, les taux
sur les pensions de retraite pourrait passer de 6,6 % à 7,5 % pour atteindre le taux
normal. Faire participer davantage les retraités est cohérent dans la mesure ou les
nouvelles dépenses les concernent principalement. Une redistribution au sein des
retraités pourrait exister. Ceux qui s’acquittent d’un impôt sur le revenu pourraient se
voir priver de l’abattement pour frais professionnels qu’ils n’ont plus.
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A plus long terme, de possibles redéploiements ne pourront que se faire avec un souci
d’égalité et d’acceptabilité (B).
Les droits et dignité de chaque personne sont importants. Aussi, la nature des dépenses
ne doit pas suggérer qu’il s’agit d’une assistance, fut-elle organisée nationalement.
Chaque personne doit avoir droit à certaines prestations dans la mesure où elles
correspondent aux impératifs de solidarité au fondement de la protection sociale.
De la même façon, le choix des concernés est un impératif et un redéploiement des
dépenses ne doit pas contraindre certains choix. Par exemple, une personne âgée doit
pouvoir rester aussi longtemps qu’elle le souhaite -si cela est possible- chez elle et non
être "placée" dans un établissement. Aussi, il convient d’arbitrer entre des dépenses en
faveur de la création ou l’amélioration d’établissement ou pour rémunérer des
professionnels de santé prodiguant leur aide à domicile. La prestation de libre choix
d’activité pour les parents est, à cet égard, un bon exemple.
L’acceptabilité du système dépend du sentiment d’égalité de celui-ci. Les personnes
accepteraient de financer une hausse des dépenses de protection sociale si l’effort est
réparti. Or l’existence de régimes spéciaux et autonomes de sécurité sociale suscitent des
polémiques. En effet, d’aucuns estiment financer des avantages d’autres. Si de nombreux
risques sont d’ores et déjà couverts de la même manière pour différents, il conviendrait
que le régime général fût élargi. Une autre façon serait de privilégier la fiscalisation,
laquelle est la même pour tous.
Enfin, il convient d’étudier des redéploiements de dépenses sur le territoire. La
dynamique existe dans la mesure où le nombre d’hôpitaux et leur implantation devront
correspondre aux besoins et à la recherche des meilleurs soins prodigués. Au sein d’une
région, le directeur de l’agence régionale de santé conduit les ouvertures et fermetures
des établissements de santé. A cet égard, il convient de noter que les incitations et
pressions sur les médecins libéraux pour s’installer dans les zones les moins dotées sont
encore faibles. Sur le modèle de la CNSA, il convient de s’assurer d’une juste répartition
et péréquation des dépenses sur le territoire.
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L’évolution des besoins et les contraintes budgétaires appellent un progressif
redéploiement des dépenses de la protection sociale française. Devant l’importance des
sommes allouées pour protéger les individus contre les risques, il convient d’identifier les
personnes prioritaires pour bénéficier des nouvelles dépenses et de respecter le principe
d’égalité.
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