Quand colère et agression font bon ménage

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L’agressivité du client
Quand colère et agression
font bon ménage
AUTOPSIE D’UNE ÉMOTION NÉGLIGÉE ET
DES COMPORTEMENTS QUI PEUVENT EN DÉCOULER
Par
Sophie Desjardins
PH. D.
M
ÊME si la colère est vécue autant par ceux qui l’éprouvent
que par ceux qui la subissent comme étant problématique, pénible et épuisante, elle demeure une émotion
boudée par les chercheurs, négligée par les théoriciens. Par exemple,
entre les années 1990 et 1994, près de huit fois plus d’articles scientifiques sont parus sur la dépression et cinq fois plus sur l’anxiété que
sur la colère 1. Le DSM reflète également cet état de fait, puisqu’une
section complète est consacrée aux troubles de l’humeur et une autre
aux troubles anxieux. La colère et l’agression, quant à elles, n’ont pas
obtenu pareille reconnaissance et apparaissent ça et là, servant de
critères diagnostiques à nombre d’autres troubles : trouble explosif
intermittent, troubles de personnalité antisociale et borderline,
trouble oppositionnel, trouble des conduites, etc. La colère, dans ses
manifestations les plus habituelles, s’accompagnerait pourtant de
conséquences défavorables importantes telles qu’une évaluation négative de la part de son entourage, une mauvaise image de soi, une
faible estime personnelle, des conflits récurrents, etc. Plus encore,
nous savons depuis quelques dizaines d’années que la colère est liée
à l’hypertension, aux maladies cardio-vasculaires et au cancer.
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Rarement éprouvée, la colère ? Si on en croit les résultats d’une
étude menée au début des années 19802, la colère d’intensité
faible à modérée serait ressentie de quelques fois par semaine à
quelques fois par jour par la plupart des gens. Cet état émotionnel
négatif varierait tant en fréquence (de très rarement à très souvent),
en intensité (allant de l’agacement à la rage) qu’en durée (de passagère à chronique) et s’exprimerait de diverses façons, dont par
l’agression.
Un lien de cause à effet ?
D’aucuns soutiennent que la colère et l’agression sont les deux
faces d’une même médaille. Si l’agression — définie usuellement
comme tout comportement physique ou verbal dirigé vers un organisme ou un objet avec l’intention de lui causer du tort sur le plan
physique ou psychologique — est favorisée par un état colérique,
elle n’en serait toutefois pas totalement dépendante. En fait, la
plupart des gens qui traversent un épisode colérique rapportent
agir de manière non agressive. Ainsi, à l’heure actuelle, la colère
serait davantage perçue comme un état motivationnel intervenant
entre la frustration et l’agression ; elle sensibiliserait l’individu aux
indices de l’environnement qui pourraient alors favoriser l’émission
de comportements agressifs. L’intensité de la frustration dépendrait
de trois facteurs : 1) le degré de motivation initiale, 2) le niveau
d’atteinte de l’objectif de départ, 3) le nombre d’événements frustrants ayant précédé. Aussi, contrairement à ce à quoi il serait
permis de s’attendre, le risque de commettre une agression ne
Il arrive que le psychologue soit confronté à la violence de
son client. Osera-t-il avouer son impuissance devant cette question
trop longtemps tenue secrète ? Le psychologue peut-il maîtriser
cette violence ? Comment peut-il l’interpréter ? Des psychologues
issus de différents milieux rompent le silence.
serait pas directement proportionnel au degré de frustration ressentie. Certains facteurs tels que les attributions causales et le
degré d’injustice perçu joueraient un rôle de médiateur. Les traits
de personnalité pourraient également faire pencher la balance
dans un sens ou dans l’autre. Nous connaissons tous des gens chez
qui la frustration et la colère, plutôt que de mener à l’agression, ont
conduit au dépassement de soi et à la lutte pacifique pour le respect des droits et libertés. Nous avons également entendu parler de
psychopathes qui, sans éprouver la moindre colère ou frustration,
ont sauvagement assassiné leur victime.
Les multiples facettes de l’agression
Fort heureusement, la plupart des agressions ne mènent pas à l’homicide et diffèrent quant au type d’intentions à leur source. Les
agressions hostiles, par exemple, émaneraient de la rage et auraient pour but d’infliger du tort à autrui afin de satisfaire ses pulsions hostiles ou colériques. Les crimes passionnels pourraient
entrer dans cette catégorie. Les agressions instrumentales, quant à
elles, prendraient naissance dans le désir d’atteindre certains objectifs bien précis. Les vols à main armée en seraient un bon
exemple. Il est à noter que, sous certaines circonstances, les agressions hostiles et instrumentales pourraient se recouper. Les agressions défensives, comme leur nom l’indique, viseraient la défense
de l’individu en cas d’attaque réelle ou perçue. Les agressions symboliques, quant à elles, se distingueraient des précédentes en ce
sens qu’elles n’entraîneraient aucun tort physique. Elles prendraient plutôt la forme de commentaires blessants ou de rumeurs
nuisant à la réputation d’une personne. Enfin, les agressions sanctionnées référeraient aux actes agressifs jugés acceptables par une
société donnée. Les actes commis par les soldats américains et canadiens envoyés en Afghanistan illustreraient bien cette dernière
catégorie d’agressions.
Tel que mentionné précédemment, la plupart des gens qui
éprouvent de la colère ne passeraient pas à l’acte. Les agressions
physiques directes ne compteraient que pour 10 % des agressions
commises, alors que le comportement inverse (p. ex. s’efforcer de
démontrer des comportements amicaux lorsqu’on est en colère)
serait deux fois plus fréquent 2. Nous pourrions nous attendre à ce
que la colère que les gens éprouvent soit tournée vers les personnes
méprisées ou exécrées. Ceci ne se produirait toutefois que dans
8 % des cas, alors que dans 75 % d’entre eux l’émotion serait tournée vers un être cher ou une personne bien connue et appréciée 2.
Le reste du temps, ce sont les inconnus qui seraient à la source de
cet état émotionnel négatif. La colère étant une émotion de nature
interpersonnelle, il est logique de savoir qu’elle est la plupart du
temps dirigée vers nos conjoints, nos enfants, notre famille, nos
amis, nos collègues, notre patron ou… notre psychologue.
La violence en milieu clinique
Si les psychologues se sont employés à comprendre la colère et
l’agression, ils les ont parfois rencontrés de près et à leurs dépens.
Quel professionnel de la santé mentale n’a pas craint, un jour, d’être
violenté par un patient schizophrène ou assailli par une cliente narcissique ? Comment reconnaître celui ou celle qui se transformera en
agresseur ? Si l’agression est parfois difficile à prévoir, maints facteurs ont été associés au risque de passage à l’acte dont l’âge, la
présence de symptômes psychotiques et les troubles de la personnalité 3. Ainsi, les clients qui sont jeunes, qui souffrent d’un trouble
ou d’un épisode psychotique et qui présentent un trouble ou des
traits de personnalité du groupe B (antisociale, borderline, histrionique ou narcissique) seraient plus susceptibles d’agresser leur entourage, y compris leur psychologue, que ceux qui ont des caractéristiques différentes.
Dépendamment de la méthodologie utilisée par les chercheurs
et du pays à l’étude, la prévalence des agressions physiques commises par des patients hospitalisés pour troubles mentaux varierait
entre 4 % et 37 %3. Dans un hôpital psychiatrique de Montréal, on
rapporte que 46 des 397 patients hospitalisés — soit près de 12 %
d’entre eux — ont été tenus responsables des 133 incidents violents
commis sur une période d’un an4. Dans 44 % des cas d’agressions,
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le passage à l’acte n’avait pas été précédé par une quelconque agitation annonciatrice, ce qui est plutôt inquiétant.
Si nous ne nous attendons pas à ce que la pratique en bureau
privé soit aussi susceptible de faire des psychologues des victimes de
clients agressifs, nous pouvons supposer qu’elle n’est pas totalement
exempte du risque d’agression. Bien que la clientèle qui consulte en
bureau privé soit généralement moins « lourde » que celle du milieu
hospitalier, les psychologues y sont souvent moins bien outillés (absence de bouton de panique, présence limitée de personnes pouvant
venir à la rescousse, etc.) pour faire face à une situation de crise.
Aussi, certaines pratiques retrouvées principalement en privé et qui
constituent un risque pour les psychologues ne peuvent être passées
sous silence. L’utilisation de la catharsis auprès de patients colériques en fait partie. Si cette technique s’avère utile chez les victimes
de viols, il en va autrement pour les agresseurs qui, en étant encouragés à exprimer leur colère et leur agressivité, ne font qu’attiser
leurs pulsions et affects violents. À cet effet, les témoignages pré-
sentés dans ce numéro fournissent un bon aperçu de la réalité qui
prévaut dans les divers milieux de pratique et des stratégies à privilégier lors de situations de crise. C’est d’ailleurs en brisant le silence
et en partageant leurs expériences tant positives que négatives que
les psychologues contribueront à assurer leur sécurité dans la pratique d’une profession qui se veut, d’abord et avant tout, tournée
vers les autres.
Sophie Desjardins est étudiante au doctorat en psychologie à l’Université de Montréal.
Références
1. Kassinove, H. et Sukhodolsky, D. G. (1995). « Anger disorders : Basic science and
practice issues. » Issues in Comprehensive Pediatric Nursing, 18 (3), p. 173-205.
2. Averill, J. R. (1983). « Studies on anger and aggression : Implications for theories of
emotion. » American Psychologist, 38 (11), p. 1145-1160.
3. Raja, M., Azzoni, A. et Lubich, L. (1997). « Aggressive and violent behavior in a population of psychiatric inpatients. » Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology,
32 (7), p. 428-434.
4. Tam, E., Engelsmann, F. et Fugère, R. (1996). « Patterns of violent incidents by patients in a general hospital psychiatric facility. » Psychiatric Services, 47 (1), p. 86-88.
Déontologie et professionnalisme
Des cours de Déontologie et professionnalisme seront offerts aux mois de mars,
avril et mai prochains. Ces cours s’adressent aux candidats à l’admission ainsi qu’aux
psychologues qui pratiquent depuis quelque temps et que le sujet intéresse.
Ces cours totalisent 45 heures de travail et requièrent la présence des participants
à deux reprises. Par le biais de présentations, de travaux individuels et d’équipe, les
participants sont appelés à réfléchir sur plusieurs situations susceptibles de se présenter dans le cours d’une pratique professionnelle de la psychologie impliquant une
prise de décision éthique. Les thèmes suivants sont notamment abordés : confidentialité, conflits d’intérêts, dangerosité, tribunaux. Les situations étudiées tiennent
compte des particularités de divers champs de pratique. Les participants peuvent
ainsi discuter des principes déontologiques et des lois qui régissent leur conduite
professionnelle et se sensibiliser au processus de prise de décision éthique.
Le calendrier des prochaines sessions du cours s’établit comme suit :
Groupe 22-03 :
vendredi 15 mars 2002, de 9 h à 16 h 30 et
vendredi 19 avril 2002, de 9 h à 16 h 30
Groupe 22-04 :
vendredi 26 avril 2002, de 9 h à 16 h 30 et
vendredi 24 mai 2002, de 9 h à 16 h 30
Groupe 22-05 :
vendredi 10 mai 2002, de 9 h à 16 h 30 et
vendredi 7 juin 2002, de 9 h à 16 h 30
Les cours auront lieu au siège social de l’Ordre, situé au 1100, av. Beaumont,
5e étage. Le nombre de places est limité. Si vous désirez vous inscrire, complétez
le formulaire ci-dessous et faites-le parvenir, par courrier, à l’adresse suivante :
Déontologie et professionnalisme, Secrétariat général, Ordre des psychologues du
Québec, 1100, av. Beaumont, bureau 510, Mont-Royal (Québec) H3P 3H5.
Formulaire d’inscription • Cours Déontologie et professionnalisme • Sessions 2002
Nom Prénom Adresse à domicile (
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Tél. domicile Tél. travail No de permis N’oubliez pas de joindre un chèque au montant de 143,78 $ (taxes incluses) payable à : Ordre des psychologues du Québec.
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