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Original : anglais
Assemblée parlementaire de l’OTAN
GROUPE SPECIAL
MEDITERRANEE ET MOYEN-ORIENT
RAPPORT DE MISSION
TUNIS ET BIZERTE, TUNISIE
28 SEPTEMBRE – 1ER OCTOBRE 2015
www.nato-pa.int
octobre 2015
Le présent rapport de mission est présenté à titre d’information uniquement et ne représente pas
nécessairement le point de vue officiel de l’Assemblée. Il a été rédigé par Paul Cook, directeur du Groupe
spécial Méditerranée et Moyen-Orient.
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1.
La jeune démocratie tunisienne a besoin d’un soutien et d’une solidarité importants de la part
de la communauté internationale, à la suite des attentats terroristes récemment survenus au
musée du Bardo et dans la station balnéaire de Sousse. S’il est prévu que le nouveau Parlement
de la Tunisie post-révolutionnaire joue un rôle capital dans l’édification d’une société
démocratique, il doit renforcer sa capacité à servir de partenaire efficace du gouvernement et à
représenter l’expression de la volonté du peuple.
2.
Ces éléments figurent au nombre des principaux enseignements tirés par une délégation de
12 parlementaires de huit pays membres de l’OTAN après une visite en Tunisie du 28 septembre
au 1er octobre 2015. Une délégation de membres du Groupe spécial Méditerranée et Moyen-Orient
de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, menée par le député français Gilbert Le Bris, s’est
rendue à Tunis tant pour s’informer sur la situation politique, économique, et sécuritaire du pays
que pour exprimer sa solidarité envers une démocratie naissante, victime de deux terribles
attentats terroristes au cours de l’année écoulée.
3.
Les attentats du Bardo et de Sousse ont eu des répercussions déterminantes sur la vie
politique et la société tunisiennes. Ils ont non seulement fait apparaître les déficiences de l’appareil
de sécurité du pays (en termes tant de prévention des attentats que de réponse à ceux-ci), mais
ont également montré que les problèmes de sécurité de ce dernier sont liés à la grave instabilité
de la Libye voisine où, selon le ministre tunisien de l’Intérieur Mohamed Jajem Gharsalli, les
terroristes sont entraînés et armés. La frontière avec la Libye reste très dangereuse, a-t-il indiqué à
la délégation, avant d’ajouter que la Tunisie coopère avec la communauté internationale, y compris
l’OTAN, afin de stabiliser ces régions reculées et d’élaborer des outils économiques, éducatifs et
sociaux pour lutter contre la menace terroriste.
4.
La frontière tuniso-libyenne, longue de 500 km, a longtemps été relativement ouverte et reste
perméable. Il en va de même pour la frontière tuniso-algérienne ; une considérable menace se
pose donc à l’Algérie comme à la Tunisie, étant donné la faiblesse inquiétante de l’Etat libyen, la
division de ce pays et le vide politique qui en a résulté et que les groupes terroristes ont comblé.
La Tunisie entretient de bonnes relations de travail avec l’Algérie et une étroite coopération existe
le long de leur frontière commune. Les forces armées tunisiennes et algériennes ont noué de
bonnes relations de travail et partagent des renseignements essentiels pour parer aux menaces
communes.
5.
Les autorités tunisiennes ont indiqué à la délégation que le Mali et la région du Sahel dans
son ensemble posent d’autres sérieux défis connexes, puisqu’ils sont devenus une plaque
tournante du trafic d’armes et de stupéfiants au niveau régional ainsi qu’un centre d’entraînement
pour les terroristes, lesquels s’infiltrent ensuite en Afrique du Nord.
6.
Les attentats perpétrés au Bardo et à Sousse ont causé la mort d’un certain nombre de
touristes britanniques, espagnols, japonais et latino-américains, et ont marqué un grand tournant
sur le plan de la menace terroriste en Tunisie. Ils ont également entraîné la paralysie de l’industrie
touristique tunisienne, qui représente en temps normal près de 7 % du PIB du pays. Ceux à
l’origine de ces attentats ont probablement cherché à distendre les liens, importants, qui existent
entre la Tunisie et les pays occidentaux et, par extension, à compromettre les efforts entrepris par
le pays pour édifier une véritable démocratie.
7.
Que la réaction des forces de sécurité aux attentats du Bardo et de Sousse ait été si lente a
indubitablement constitué une source de préoccupations en Tunisie et, plus généralement, parmi
ses partisans au sein de la communauté internationale. Les membres de la délégation ont soulevé
ce problème à plusieurs reprises au cours de la visite. Très conscients de ces critiques, les
Tunisiens ont mis en avant certaines des mesures prises pour faire face au défi immédiat
consistant à défendre les infrastructures essentielles et les sites touristiques, et ont invoqué les
efforts de longue haleine déployés pour s’attaquer aux sources du terrorisme. Au cours des
discussions, il a également été signalé que le terrorisme est un problème mondial et que de
nombreux pays européens ont aussi du mal à anticiper les attentats.
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8.
La dissolution de l’Etat libyen constitue un problème de sécurité préoccupant pour la Tunisie.
Les zones non gouvernées de ce pays ont fourni un terrain fertile aux mouvements terroristes, et
constitué pour les jeunes Tunisiens radicaux une voie leur permettant d’aller combattre avec
Daech en Syrie et en Iraq. Le ministre de l’Intérieur a indiqué à la délégation que quelque
900 djihadistes étaient revenus en Tunisie après avoir combattu en Syrie et en Iraq, et que
294 d’entre eux étaient à présent en prison. Le ministère a évalué le nombre des combattants
tunisiens en Iraq, en Syrie et en Libye à plus de 3 000. Certains combattants rentrés de Libye sont
passés dans la clandestinité. Cette question préoccupe gravement le gouvernement et les
partenaires de la Tunisie. M. Gharsalli a précisé qu’ils s’efforçaient de retrouver ceux qui avaient
combattu en Syrie et en Iraq et qui représentaient aujourd’hui une menace pour la Tunisie. Il
semble qu’il y ait dans le pays une tendance à considérer l’extrémisme des terroristes comme une
influence purement étrangère, bien qu’il existe aussi, manifestement, un problème sur le plan
intérieur. Les représentants officiels l’ont admis devant la délégation. En effet, des citoyens
tunisiens ont pris part à un certain nombre d’attentats terroristes, tels que ceux survenus à Madrid.
Le gouvernement semble avoir pris conscience du problème et prend des mesures de sécurité, de
politique sociale, éducative et religieuse pour y faire face. Il a procédé à la fermeture de près de
80 mosquées radicales. L’Etat finance les lieux de culte et n’a visiblement aucun intérêt à financer
ceux qui prêchent l’islamisme radical.
9.
Ces efforts recueillent un appui international considérable. Le G7+3 a proposé de renforcer
la coopération avec la Tunisie. Des fonds sont mis à disposition, mais des doutes légitimes
existent quant à la capacité du pays à absorber ces fonds et à les utiliser de manière efficace,
notamment en raison des obstacles persistants entre institutions tunisiennes. Le renforcement des
capacités est donc une priorité internationale essentielle. Le ministère tunisien des Finances doit
prendre une part plus active au dialogue en matière de sécurité, car il est chargé du financement
des organismes compétents. Il doit renforcer ses compétences en matière de sécurité et de
déradicalisation.
10. La délégation a appris que, dans le cadre d’une nouvelle Constitution, le gouvernement
devait entreprendre une importante série de réformes économiques et du secteur de la sécurité.
La tâche se révèle ardue, notamment parce que la police, la garde nationale et l’armée ne sont
pas habituées à travailler de concert. La Tunisie doit mettre en place des structures visant à
faciliter les réactions rapides, à mieux coordonner le recueil de renseignements et à le rendre
opérationnel. Elle doit par ailleurs élaborer des stratégies globales de lutte contre la menace
terroriste, jusqu’alors inconnue dans le pays. Que la Tunisie vive une période de transition d’un
régime autoritaire à un régime démocratique ajoute une certaine incertitude à la lutte contre le
radicalisme et le terrorisme. Aussi le parlement a-t-il un rôle important à jouer dans l’orientation et
le contrôle de cette série indispensable de réformes. Toutefois, il a besoin de ressources et de
savoir-faire pour s’acquitter de cette fonction et exercer une influence démocratique indispensable
sur le pouvoir exécutif et les organismes de sécurité.
11. La Tunisie est également contrainte d’élaborer des stratégies de déradicalisation dans le
cadre des vastes efforts qu’elle déploie pour répondre au défi posé par les terroristes et qui
impliquent la réforme de la justice, la lutte contre le trafic d’armes, le renforcement des contrôles
aux frontières et l’appui aux efforts de stabilisation menés dans la Libye voisine. Les autorités
tunisiennes souhaitent un règlement politique de la crise libyenne et craignent qu’une nouvelle
guerre civile de grande ampleur ou une autre intervention militaire internationale dans ce pays soit
extrêmement déstabilisatrice et provoque une circulation encore plus importante des armes et des
terroristes dans toute la région. Il va sans dire que peu de Tunisiens estiment que la précédente
intervention internationale en Libye a été, de quelque façon, que ce soit un succès.
12. La Tunisie a réussi dans une certaine mesure à mieux sécuriser ses frontières. Elle a, par
exemple, travaillé étroitement avec l’Italie pour restreindre le flux des migrants depuis le littoral
tunisien, et ces efforts ont largement porté leurs fruits. Elle s’efforce également d’encourager
l’islam modéré à élaborer un discours qui fasse barrage à celui avancé par les extrémistes
djihadistes et à promouvoir la tolérance religieuse et sociale, ces deux éléments étant essentiels à
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l’instauration d’un ordre démocratique. Si la Tunisie pratique depuis longtemps un islam modéré,
une forme plus radicale de l’islam wahhabite a progressé ces dernières années. Plusieurs
parlementaires et responsables tunisiens ont souligné qu’il n’existait aucune volonté de militariser
la lutte contre le terrorisme, et ont manifesté une préférence marquée pour l’emploi des moyens
judiciaires, sociaux et politiques. Il n’en reste pas moins que des préoccupations ont été exprimées
au sujet des tensions qui pourraient survenir entre les droits humains et la sécurité nationale. Le
rétablissement de la peine de mort par le Parlement en décembre 2014 constitue une grave
préoccupation pour les défenseurs des droits humains que la délégation a rencontrés.
13. D’aucuns craignent que la montée du terrorisme ne facilite la réapparition de la torture
systématique. Des ONG comme l’Organisation mondiale contre la torture travaillent avec le
Parlement et le gouvernement à l’élaboration d’une feuille de route pour remédier à ce problème.
Cela dit, des améliorations ont indiscutablement été apportées dans ce domaine depuis la
révolution, et le problème peut désormais être soulevé ouvertement en Tunisie. Une nouvelle
attitude se fait jour quant au rôle de la société civile dans la conduite du pays et l’accompagnement
du processus de réforme. La protestation politique est à présent reconnue comme un droit, ce qui
constitue aussi une rupture. Certains craignent notamment que le terrorisme actuel, le
ralentissement économique et la fragilité de la transition démocratique en Tunisie n’entraînent une
régression sur le front des droits humains. Le terrorisme est relativement nouveau pour la Tunisie
et les vieilles forces antidémocratiques pourraient en profiter pour justifier le retour d’un régime
autoritaire.
14. Aujourd’hui, une difficulté réside dans le fait qu’il existe un décalage entre les lois et règles
officielles du gouvernement et leur mise en œuvre. Des cas de détention existent sans que les
familles en aient été avisées et sans les visites médicales obligatoires. Il est également arrivé que
la détention préventive donne lieu à des abus ; le nombre des avocats travaillant sur ces dossiers
– dont beaucoup ne disposent pas des ressources nécessaires pour s’acquitter de leurs missions
– est insuffisant. Cela risque d’engendrer un climat d’impunité. Il serait très utile que les
partenaires européens de la Tunisie maintiennent cette question à l’ordre du jour et fassent
avancer les choses. Le Parlement tunisien n’a pas suffisamment fait preuve d’assurance sur ces
questions et cherche encore ses marques en tant qu’institution. Mais son engagement à défendre
les droits humains et les organismes à même d’en assurer le respect jouera, en dernière analyse,
un rôle capital pour ce qui est d’apporter des changements systémiques durables. La communauté
des défenseurs des droits humains considère le rétablissement de la peine de mort comme une
régression ; on ne lui a du reste pas demandé de témoigner devant le Parlement lorsque celui-ci
était saisi de la question. Des enquêtes sérieuses, convenablement financées et menées à
l’encontre des auteurs de violations des droits humains s’imposent à l’évidence, et le Parlement
devrait s’employer plus activement à mener de telles enquêtes. C’est la seule façon de combattre
la culture de l’impunité, laquelle est profondément enracinée dans la vie institutionnelle de l’Etat et
la mentalité de nombreux Tunisiens. Une vaste réforme judiciaire sera également indispensable.
15. La bureaucratie tunisienne est extrêmement lourde et la conduite par l’Etat de l’économie
nationale illustre ce problème, autre fruit de décennies de régime autoritaire. Sous sa forme
actuelle, elle entrave le développement économique et démocratique du pays et impose donc de
profondes réformes structurelles. Les représentants du gouvernement en sont parfaitement
conscients mais ont des difficultés à y remédier. Treize pour cent du budget servent à payer les
salaires des fonctionnaires – un chiffre deux fois plus élevé qu’en France. L’Etat ne peut tout
simplement pas créer suffisamment d’emplois pour assurer aux jeunes un travail et les encourager
à rester d’ardents défenseurs de la démocratie tunisienne. A cet égard, il importe de rappeler que
le printemps arabe avait débuté par une révolte de la jeunesse face aux humiliations quotidiennes
qu’elle était contrainte de subir sous le régime de Ben Ali et à l’absence de perspectives
économiques que lui offrait celui-ci. La création d’emplois doit dorénavant être le fait du secteur
privé. Cela est néanmoins plus facile à dire qu’à faire et exige non seulement de réformer
fondamentalement les structures de l’Etat mais aussi de réaliser d’importants investissements.
Cela dit, réformes et investissements sont liés et il va sans dire que ces investissements
augmenteront seulement si l’Etat est dûment réorganisé.
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16. A cet égard, le renforcement des capacités institutionnelles du Parlement tunisien est
indispensable. Celui-ci doit désormais acquérir les usages et procédures qui s’imposent pour le
contrôle, au nom du peuple tunisien, du pouvoir exécutif et des organismes nationaux chargés de
la sécurité. Si la nouvelle Constitution confère au Parlement un rôle substantiel au sein du
gouvernement, nombre de ses membres sont de nouveaux venus dans l’arène politique nationale.
De nombreux parlementaires sont jeunes, preuve encourageante de renouveau et de changement.
Toutefois, ils n’ont pas accès à tous les éléments d’information dont ils ont besoin pour exercer
leurs fonctions, manquent de personnel, d’ordinateurs et de ressources financières, et doivent,
dans l’immédiat, acquérir très rapidement la maîtrise des questions de sécurité essentielles.
Gilbert Le Bris a indiqué aux membres du Parlement tunisien que l’AP-OTAN était prête, par le
biais de ses séminaires et programmes de formation parlementaire, à aider ce dernier à
développer ses capacités.
17. L’armée tunisienne est sortie de la révolution en conservant intacte sa réputation.
Zine el-Abidine Ben Ali lui avait demandé d’ouvrir le feu sur les manifestants. Les responsables
militaires cependant ont refusé, gagnant par là même le profond respect et l’admiration durable de
la population. Aujourd’hui, l’armée doit adapter sa doctrine, ses entraînements et son dispositif au
faisceau de menaces actuelles auxquelles elle est confrontée. La délégation a visité en ce sens la
base navale de Bizerte, afin de s’entretenir de cette transition avec les officiers supérieurs de la
marine. Bizerte occupe une position stratégique et se trouve à mi-chemin entre Gibraltar et le
canal de Suez, près du détroit de Sicile, dans une région où le trafic maritime est intense. Trois
cents grands bâtiments transitent dans ces eaux chaque jour et au moins 7 500 bateaux de pêche
opèrent au large des côtes. En outre, l’exploration gazière offshore augmente le long des côtes
méridionales de la Tunisie.
18. Les commandants de la base de Bizerte ont passé en revue les missions essentielles de la
marine tunisienne, notamment la défense côtière, la protection du domaine maritime tunisien, la
surveillance côtière, la défense des intérêts et biens économiques nationaux, la recherche et le
sauvetage, la lutte contre la traite des personnes et le trafic à des fins commerciales, ainsi que les
opérations de lutte contre le terrorisme. De leur point de vue, la Méditerranée est devenue le
théâtre de menaces grandissantes, un certain nombre de pays riverains étant en crise et aux
prises avec de graves problèmes tels que les migrations massives, le trafic d’armes et les activités
terroristes. La Tunisie modernise sa flotte. Elle a récemment acheté des vedettes rapides
supplémentaires et compte doter ses navires de capacités de renseignement, surveillance et
reconnaissance, ainsi que de capacités de transport d’hélicoptères. Les commandants ont
également évoqué le travail accompli avec l’OTAN et les efforts qui se poursuivent pour améliorer
le niveau d’interopérabilité avec les forces de celle-ci. Le centre des opérations de la Tunisie
échange des informations essentielles avec le haut commandement de l’OTAN. Des groupements
de combat otaniens ont fait escale en Tunisie dans le cadre d’exercices conjoints, et un certain
nombre d’initiatives bilatérales sont par ailleurs en cours avec des pays comme la France, la
Grèce, la Turquie, l’Espagne et le Portugal. La coopération avec l’Italie s’est avérée
particulièrement importante et utile. Les forces navales tunisiennes pratiquent le partage de
données en temps réel avec leurs interlocuteurs italiens, de même qu’avec le Centre des
opérations maritimes de l’OTAN à Naples.
19. De fait, la Tunisie ne doit pas affronter seule les considérables défis de sécurité auxquels
elle est confrontée. La délégation a rencontré Eileen Murray, qui dirige le bureau de la Banque
mondiale à Tunis, ainsi que Laura Bazea, cheffe de la Délégation de l’Union européenne (UE) en
Tunisie, afin de s’enquérir de l’appui que ces deux institutions accordent à cette nouvelle
démocratie dans des domaines aussi divers que la privatisation, la restructuration du
gouvernement, la réforme du système judiciaire, le développement des infrastructures, la bonne
gouvernance et la gestion des frontières. Pour leur part, les ambassadeurs des pays de l’Alliance
ont décrit un ensemble d’initiatives bilatérales et soutenues par le G7, ainsi que les efforts de
sensibilisation déployés par l’OTAN à l’égard de la Tunisie dans des domaines comme
l’interopérabilité des forces. Les responsables tunisiens ont par la suite indiqué à la délégation que
le gouvernement appréciait sa collaboration avec l’OTAN et axait son travail avec celle-ci sur
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l’entraînement des forces spéciales, la lutte contre les engins explosifs improvisés, l’échange de
renseignements et l’amélioration de l’interopérabilité des forces.
20. La Tunisie a besoin d’aide extérieure, mais elle requiert également d’importants
investissements étrangers, l’accès au marché et la reprise d’un tourisme précédemment largement
développé. La promotion d’un niveau de sécurité intérieure plus élevé et le renforcement des
institutions démocratiques conditionneront la réalisation de ces trois ambitions. Les hôtels étaient
vides, cet été, dans tout le pays et nombre d’entre eux ont fermé. Cela a eu de très nettes
répercussions économiques et a contribué à ce que le niveau de chômage approche 15 % – lequel
devrait encore augmenter. La crise économique a d’autant plus fragilisé la situation politique
générale en Tunisie qu’en raison de l’absence de possibilités économiques pour les jeunes,
certains d’entre eux, attirés par les fausses promesses, sont à la merci d’un recrutement par les
groupes terroristes. Les investissements privés dans le pays ont quasiment cessé et la
communauté internationale doit en faire davantage pour stimuler l’apport de capitaux. Les
Tunisiens ont dressé une liste des grands projets d’infrastructures dont l’incidence économique à
long terme devrait être importante, et la communauté internationale fait actuellement des efforts
pour encourager les investissements dans ces projets.
21. La Banque mondiale travaille depuis longtemps en partenariat avec la Tunisie et a poursuivi
ces relations mutuelles au lendemain de la révolution de 2011. Elle s’est rapidement mobilisée
après la chute du gouvernement Ben Ali et a fourni 700 millions de dollars au profit des réformes
visant à améliorer la transparence et l’obligation de rendre des comptes. Elle a en outre contribué
à recueillir l’appui de l’Union européenne, de la Banque africaine de développement et d’autres
grands pays donateurs comme les Etats-Unis et la France, en faveur de la Tunisie. Eileen Murray
a indiqué à la délégation que les réformes dans le pays devaient être envisagées comme un
processus à long terme. La Tunisie doit non seulement surmonter les séquelles d’un régime
autoritaire et d’une politique économique étatiste, mais également faire face à une insécurité
nationale et régionale persistante ainsi qu’à de sérieuses difficultés économiques immédiates,
aggravées par les incertitudes et l’instabilité. Les récents attentats terroristes ont ébranlé les
investisseurs potentiels et rendu la société encore plus vulnérable, a déclaré Mme Murray. Que le
chômage des jeunes avoisine désormais les 32 % n’aide pas beaucoup non plus.
22. Heureusement, la baisse des prix de l’énergie a limité l’effet dommageable de la réduction
des subventions à la consommation. La Tunisie doit en finir avec son modèle économique
traditionnel, dans le cadre duquel elle est tributaire d’une faible productivité mais table sur de bas
salaires. Elle doit dorénavant passer à un échelon supérieur dans la chaîne de production et
fabriquer des produits plus élaborés et de plus grande valeur, si elle veut satisfaire à ses
exigences à long terme en matière d’emploi. La société tunisienne doit aussi s’attaquer
directement à la corruption, qui entrave depuis longtemps le dynamisme économique et
compromet les investissements. La privatisation demeure un sujet politiquement délicat en Tunisie.
Etablir un meilleur partenariat de travail, plus souple et plus transparent, entre le secteur privé et
l’Etat constitue une manière de s’atteler au problème. L’économie souterraine peut représenter
jusqu’à 50 % du PIB ; cela montre clairement que les règles du marché doivent être modifiées et la
gouvernance générale être améliorée pour favoriser une plus grande transparence dans tous les
secteurs de l’économie. Il va de soi que cet énorme marché noir menace les recettes publiques,
puisqu’il est par nature non imposé. La Tunisie figure au 87e rang (sur 144 pays) dans l’indice de
compétitivité 2014-2015 de la Banque mondiale.
23. Mme Bazea a particulièrement insisté sur les relations ambitieuses et complexes qui existent
entre l’Union européenne et la Tunisie. Elle a d’abord fait valoir que l’économie tunisienne ne
pouvait plus guère fonctionner sans des réformes en profondeur, et que de telles réformes étaient
également indispensables à l’édification d’une démocratie prospère. Le chômage devient de plus
en plus préoccupant et les récents attentats terroristes n’ont fait qu’aggraver le problème.
L’effondrement du tourisme a eu des répercussions sur d’autres branches d’activité liées aux
services. La Tunisie devra apporter une réponse cohérente en matière de sécurité afin de rassurer
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les investisseurs tout comme les touristes, et la communauté internationale devra lui prêter son
concours à mesure qu’elle établira les paramètres de cette démarche.
24. L’Union européenne apporte un soutien essentiel à la Tunisie en ces moments difficiles et ce
soutien couvre une large gamme de secteurs. L’UE a appuyé un processus de dialogue national
afin de susciter la confiance politique et de favoriser une conception commune de l’avenir du pays.
Elle s’est aussi associée à l’action des entreprises européennes présentes en Tunisie et s’est
efforcée de porter leurs préoccupations à l’attention des principaux décideurs politiques tunisiens.
Les entreprises tunisiennes doivent prendre la mesure du droit commercial européen ainsi que des
pratiques, normes et codes en vigueur si elles veulent stimuler les exportations, et l’UE apporte
également son aide dans ce domaine. l’UE s’intéresse par ailleurs à l’assouplissement des
exigences en matière de visas pour les étudiants, les touristes et les entreprises, mais les
négociations n’ont pas encore débuté. L’UE a fait de la réforme de la justice et du droit pénal une
priorité, dans la mesure où celle-ci compte beaucoup non seulement pour l’édification de la
démocratie mais aussi pour l’accélération de la réforme économique. La réforme de
l’enseignement, notamment dans les zones rurales, constitue une autre priorité et s’avérera
déterminante pour remédier aux problèmes du chômage et de la faible productivité. Les fonds
d’aide européens sont transparents et leur affectation est soumise à un contrôle très rigoureux, ce
qui contribue au respect du principe de responsabilité. Lorsque la Tunisie n’utilise pas les fonds
européens, ils sont reversés au budget de l’UE.
25. L’Union européenne a organisé parallèlement de vastes consultations avec le Parlement
tunisien, des ONG et d’autres acteurs socio-économiques, ce qui a permis aux représentants de
l’UE de mieux appréhender les besoins du pays et aux dirigeants tunisiens de se faire une idée
plus précise des normes et des priorités européennes. Elle appuie directement le nouveau
Parlement et fournira par exemple à chaque nouveau député un ordinateur portable et une
connexion internet. Si les parlementaires ne disposent pas, actuellement, de bureaux, ils pourront
au moins bénéficier d’un espace virtuel pour travailler et communiquer. L’UE appuie toute une
série de programmes culturels et considère ceux-ci comme un élément-clé d’une approche globale
sur le problème de la radicalisation.
26. Le ministre tunisien du Développement, de l’Investissement et de la Coopération
internationale, Yassine Brahim, a lui aussi rencontré la délégation et a commencé par recenser
certaines des faiblesses de l’ancien modèle de développement tunisien. Bien que le pays connût
une croissance à long terme et qu’il y eût une classe moyenne relativement importante, la
pauvreté reste un problème. Ce modèle a commencé à s’effriter il y a 15 ans et la Tunisie est en
crise depuis lors. Le système éducatif archaïque a manifestement contribué à la hausse du taux de
chômage. Les jeunes n’étaient pas préparés aux rigueurs de l’économie mondiale et étaient mal
placés pour y tenir un rôle. L’investissement consenti par les familles dans l’éducation s’est avéré
négatif, ce qui a de toute évidence constitué un des facteurs de la révolution. Aujourd’hui,
l’impossibilité pour l’économie de créer des emplois pour les jeunes Tunisiens explique
assurément pourquoi certains d’entre eux sont attirés par l’extrémisme. Relever le défi de l’emploi
est donc indispensable pour remédier aux conditions sous-jacentes qui mènent au terrorisme.
Toutefois, l’un des dilemmes auxquels la Tunisie est à présent confrontée vient du fait que les
dépenses (militaires et autres) liées à la sécurité menacent de supplanter celles qui permettront au
pays de s’attaquer au chômage structurel des jeunes.
27. Le gouvernement élabore actuellement un plan politique et social visant à améliorer la
gouvernance, à lutter contre la corruption, à décentraliser la prise de décisions et à faire appliquer
dans leur intégralité les dispositions de la Constitution. L’objectif est de favoriser le développement
humain, de faire progresser l’éducation, de stimuler le dialogue social, de renforcer les
perspectives d’emploi et de bâtir une économie durable sur le double plan économique et
environnemental. L’Union européenne soutient très activement ce processus et fournit ressources
et expertises pour encourager l’effort de la Tunisie. Le ministre de la Formation professionnelle et
de l’Emploi, Zied Ladhari, a indiqué à la délégation que l’amélioration de la formation
professionnelle constituait désormais l’une des priorités absolues du pays, l’idée étant d’adapter le
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système éducatif sur les exigences à long terme du marché du travail. Il a signalé en outre que le
gouvernement s’efforçait de promouvoir le dialogue entre les syndicats et les employeurs afin de
parvenir à un plus large consensus sur la politique économique. Mais il semble d’autre part qu’il
faille remodeler, et nettement mieux coordonner, les relations générales entre le gouvernement et
le secteur privé. L’Etat avait jusqu’alors sensiblement contribué à fragiliser ce dernier. Cela doit à
présent changer s’il revient au secteur privé de créer des emplois pour les jeunes Tunisiens.
28. Le message le plus important que la délégation a retenu au cours de cette visite est
peut-être que la Tunisie est une démocratie jeune et fragile et que sa capacité à surmonter ses
difficultés actuelles est cruciale pour toute la région. Si elle échoue, les perspectives de stabilité et
d’avenir démocratique dans la région seront considérablement réduites. A l’inverse, si son
expérience démocratique aboutit, le pays aura lancé un signal de changement positif et posé les
jalons d’une réforme économique qui pourraient avoir un impact colossal au-delà de ses frontières.
Tout au long des échanges de vues, les membres de la délégation se sont enquis de la façon dont
la communauté internationale pouvait soutenir au mieux la Tunisie et son Parlement.
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