Neurologie 2001: «Channelopathies»

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TRAITS DE LUMIÈRE
Forum Med Suisse No 1/2 9 janvier 2002
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Neurologie 2001:
«Channelopathies» –
ou maladies du canal ionique
H. P. Mattle
Prof. Dr Heinrich Mattle
Neurologische Klinik und Poliklinik
Inselspital
3010 Bern
[email protected]
Parmi les surprises réservées à la neurologie
par la biologie moléculaire, on compte l’explication pathophysiologique d’un bon nombre de
tableaux cliniques qui se manifestent par des
symptômes épisodiques ou permanents. La découverte de la proche parenté pathogénétique
de tableaux cliniques cliniquement très différents fait également partie de la surprise. En
tant que clinicien, c’est le travail d’un groupe
de chercheuses et de chercheurs français qui m’a
fait la plus forte impression: ce groupe a mis en
relation le spectre clinique de la migraine hémiplégique familiale avec une série de mutations génétiques dans un seul et même gène [1].
Ce gène détermine un canal calcium dépendant
de la tension.
La migraine hémiplégique familiale, connue de
la plupart des lecteurs sous le nom de «migraine accompagnée», correspond à une maladie génétiquement autosomale hétérogène, à
dominance héréditaire. Elle est caractérisée
par des hémiparésies transitoires apparaissant
sous la forme d’attaques, suivies de céphalées
migraineuses, qui s’accompagnent toujours
pendant l’aura de troubles sensibles de la vue
et du langage. Elle est répartie en une forme
avec migraine hémiplégique familiale pure et
une autre forme avec migraine hémiplégique
familiale et symptômes cérébelleux permanents. Dans plus de la moitié des familles, celles
présentant les signes cérébelleux et celles ne les
présentant pas, on trouve des mutations de la
sous-unité α1A du canal de calcium dépendant
de la tension (CACNA1A). On trouve des canaux
dépendants de la tension sur tous les neurones
du corps et en particulier en grandes quantités
dans les cellules de Purkinje et les cellules granulomateuses. Ils jouent un rôle important dans
la libération des transmetteurs au niveau synaptique et modulent ainsi la communication
intercellulaire. Une mutation génétique a en
règle générale pour conséquence que le produit
du gène, normalement une protéine, n’est plus
formé ou qu’il se forme un produit toxique pour
la cellule. Le cas est différent dans le cas de mutations du gène CACNA1A: ils conduisent à une
conductibilité anormale des canaux calcium.
Ceux-ci sont en mesure d’assurer la plupart du
temps une fonction suffisante, sauf dans le cas
de situations de stress ou sous d’autres influences exogènes. On assiste alors à l’apparition épisodique de symptômes cliniques.
Les auteurs ont analysé le gène CACNA1A dans
28 familles avec migraine hémiplégique familiale avec ou sans signes cérébelleux et ont
trouvé 9 mutations différentes pour un total de
117 individus. 89% de ces individus souffraient
d’attaques avec migraine hémiplégique, un
tiers d’entre eux d’attaques graves avec coma,
hémiplégie de longue durée ou les deux, et toujours avec récupération totale. Toutes les 9 mutations étaient des mutations fuyantes. Six mutations ont conduit à une migraine hémiplégique avec signes cérébelleux permanents,
3 mutations à la forme hémiplégique pure. Le
spectre des variations cliniques de la maladie
était large et le développement des symptômes
de gravités diverses, ce qui peut être expliqué
pour la plus grande partie par les différents
types de mutation.
La migraine hémiplégique avec ou sans ataxie
cérébelleuse, l’ataxie spinocérébelleuse de type
6 et l’ataxie épisodique représentent le phénotype des mutations dans le gène CACNA1A, l’un
des 35 000 gènes du code génétique humain. Le
gène CACNA1A détermine un canal calcium dépendant de la tension. Ducros et collaborateurs
ont publié une étude remarquable, qui met en
corrélation les mutations du génotype avec le
phénotype d’une «channelopathy».
Les «channelopathies», ou maladies du canal
ionique, sont des maladies qui ont été nouvellement groupées au cours de ces dernières années. Elles étaient partiellement connues phénoménologiquement par les cliniciens depuis
des années, mais c’est seulement la biologie
moléculaire de ces dernières années qui a pu
en expliquer la physiologie pathologique. Les
maladies du canal ionique peuvent fondamentalement apparaître sur n’importe quel organe.
Elles se manifestent le plus souvent au niveau
du système nerveux et des muscles. Des
troubles des canaux à chlorure conduisent à la
Myotonia congenita Thomson et à la Myotonia
congenita Becker, des troubles des canaux sodium à la Paramyotonia congenita Eulenburg,
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à la Myotonia fluctuans, Myotonia permanens
et à la myotonie sensible aux acétazolamides.
La paralysie hyperkaliémique périodique repose également sur des mutations qui s’expriment pathophysiologiquement par un trouble
des canaux sodium. Dans le cas de troubles des
canaux sodium, une épilepsie avec crises généralisées et fièvre s’est fait connaître aussi. C’est
un trouble des canaux calcium qui est à l’origine de la paralysie hyperkaliémique périodique, de l’hyperthermie maligne et de la myopathie à central core, et également d’une forme
de cécité ultérieure. Les canaux calcium modifiés provoquent des convulsions familiales bénignes chez les nourrissons, l’ataxie épisodique
de type 1, la choréoathétose paroxystique, une
forme de surdité héréditaire ainsi que des
troubles du rythme cardiaque à la suite d’un espace QT prolongé ou de fibrillations ventriculaires. Des troubles des canaux calcium jouent
éventuellement un rôle également dans la schizophrénie. Une autre maladie des canaux au niveau du récepteur cholinergique conduit à des
syndromes myasthéniques congénitaux et à
une épilepsie avec crises frontales nocturnes, et
une maladie du canal du récepteur de la glycine
Références
1 Ducros A, Denier C, Joutel A, Cecillon
M, Lescoat C, Vahedi K, et al. The
clinical spectrum of familial hemiplegic migraine associated with mutations in a neuronal clacium channel. N Engl J Med 2001;345:17–24.
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entraîne l’hyperecplexie. Dans la maladie
d’Alzheimer et dans la sclérose en plaques également, les canaux ioniques jouent un rôle,
dans la mesure où leur dysfonctionnement renforce des troubles fonctionnels neuronaux et
des symptômes cliniques déjà existants.
En quoi la connaissance des maladies des canaux ioniques est-elle utile au clinicien? Il faut
s’attendre à ce que dans les années à venir,
d’autres maladies soient décelées comme
conséquences de troubles des canaux ioniques.
Ces découvertes devraient permettre une classification orientée du point de vue de la biologie moléculaire ou de la genèse pathologique de
maladies aujourd’hui phénoménologiquement
groupées autrement. Pour quelques-unes
d’entre elles, cette connaissance ouvrira tôt ou
tard des possibilités thérapeutiques ciblées. A
titre d’exemple, on sait aujourd’hui déjà quels
médicaments anticonvulsifs agissent sur quels
canaux ioniques. Les nouvelles découvertes en
biologie moléculaire permettront, je l’espère,
dans une échéance proche d’attribuer une thérapie à des maladies jusque-là incurables et de
traiter de manière plus ciblée et plus efficace un
certain nombre d’autres maladies.
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