Redistribution des maladies transmises par les tiques en zone

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revue générale
Ann Biol Clin 2004, 62 : 253-5
Redistribution des maladies transmises
par les tiques en zone tempérée
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C. Pérez-Eid
Unité de bactériologie moléculaire
et médicale, Institut Pasteur, Paris
[email protected]
Résumé. Depuis deux à trois décennies, de nouvelles maladies transmises par
les tiques ont été décrites en zone tempérée. Parallèlement à ces émergences,
des recherches récentes montrent qu’il faut s’attendre à une modification de la
distribution de certaines maladies, notamment de l’encéphalite à tiques, pour
laquelle la relation entre le cycle de développement des tiques et les températures est très forte.
Mots clés : tique, redistribution, encéphalite à tiques, modification climatique
Summary. Since 20 or 30 years, emerging tick-borne diseases are regularly
reported. Recent data show that at the same time, we have to expect a change in
distribution of some disease as the European tick-borne encephalitis, due to the
strong relation between ticks cycle and temperatures for the transmission of
this virus.
Article reçu le 21 juin 2003,
accepté le 16 octobre 2003
Key words: tick, new distribution, European tick-borne encephalitis, climate
changes
La prévalence des maladies transmises par vecteurs, et
notamment par tiques, a augmenté en Europe, du fait à la
fois de maladies émergentes [1] et de l’accroissement de
l’incidence des maladies anciennes. Si, pour expliquer
cette augmentation, on oublie la plupart du temps l’influence humaine sur le milieu naturel (recul de l’agriculture au profit de la forêt, augmentation de la densité du
gros gibier...), on avance souvent l’argument de l’amélioration du dépistage et surtout celui de la modification climatique, laquelle est en effet importante [2]. Des recherches récentes tentent à montrer qu’avec cette modification
il faut aussi envisager des phénomènes de redistribution
des maladies, avec installation dans des zones jusque-là
indemnes, et disparition de certaines zones endémiques.
Parmi les modifications climatiques, la manifestation la
plus nettement perçue avec impact sur les vecteurs se restreint souvent à l’augmentation des températures. Il s’agit
d’un raccourci rapide, car si en effet la température est
favorable aux éclosions d’insectes et de tiques, elle devient défavorable si elle s’accompagne d’une sécheresse
marquée. La même remarque vaut pour la survie des
arthropodes, également favorisée par la température, mais
très affectée par la sécheresse. De plus, simultanément à
l’impact sur l’insecte ou l’acarien, on doit prendre en
Tirés à part : C. Pérez-Eid
Ann Biol Clin, vol. 62, n° 3, mai-juin 2004
compte l’impact sur les germes abrités. La température est
favorable à l’incubation des agents pathogènes dans les
vecteurs, entraînant une augmentation de la transmission.
Cette influence positive sur l’incubation est déterminante
pour les vecteurs qui ont des repas rapprochés, puisque
chez eux le nombre de repas infectants augmente. Elle
l’est moins sur ceux dont les repas sont plus espacés, et
plus du tout sur ceux qui font des repas très espacés,
comme les tiques, qui ne s’alimentent qu’une seule fois
pas stade (larvaire, nymphal, adulte), donc environ toutes
les 6 à 15 semaines, selon les espèces et les stades.
Pour tenter de cerner toute cette complexité, des études
très approfondies sont nécessaires, intégrant le comportement des vecteurs et des germes pathogènes avec le climat, dans le plus grand nombre de ses composantes : températures, hautes et basses, vitesse de la montée et de la
chute des températures, durée des périodes chaudes, froides, pluvieuses et sèches{
L’encéphalite à tiques d’Europe
De telles études ont été faites pour l’encéphalite à tiques
d’Europe (tick-borne encephalitis ou TBE dont le virus du
genre Flavivirus appartient aux arbovirus du groupe B),
maladie qui atteint la plupart des pays d’Europe, avec
des incidences variables (http ://www.tbe-info.com/epide253
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miology/endemic.html). Pour les 18 pays qui participent
au groupe international de travail scientifique sur la TBE,
le nombre de cas annuels notifiés montre que les pays les
plus atteints (hors ex URSS) sont, outre les trois pays
baltes, la République tchèque, la Hongrie, la Slovénie et
dans une plus faible mesure l’Allemagne, la Pologne
et l’Autriche (http ://www.tbe-info.com/epidemiology/
index.html).
La distribution de l’encéphalite à tiques est caractérisée
par sa discontinuité, avec une juxtaposition de zones indemnes et de zones endémiques, ou foyers. Pendant très
longtemps, les raisons de cette discontinuité sont restées
énigmatiques. S’appuyant sur des travaux récents, mettant
en évidence une voie nouvelle de transmission par les
tiques, certains auteurs ont proposé une hypothèse pour
expliquer la discontinuité de la répartition et, par extrapolation, ont fait des prévisions de redistribution de la maladie, dans la perspective de modifications climatiques.
La transmission par co-repas
chez les tiques
En matière de transmission des germes pathogènes par les
vecteurs, la règle est la nécessité d’une phase sanguine du
germe chez l’hôte vertébré, phase pendant laquelle le vecteur prélève les germes. Chez les tiques, des travaux expérimentaux ont montré que la phase sanguine n’était pas
essentielle : en se nourrissant sur des animaux présentant
une forte virémie avec le virus de l’encéphalite à tiques,
un pourcentage de moins de 10 % de tiques s’infectent,
tandis qu’en se gorgeant sur des animaux avec une virémie faible, voire nulle, le pourcentage atteint 68 % [3].
Des travaux complémentaires ont démontré que la transmission du virus pouvait se faire directement de tiques à
tiques, si celles-ci se gorgeaient au voisinage immédiat les
unes des autres, d’où le terme de transmission par corepas (cofeeding des auteurs anglo-saxons) [4].
À partir de ces résultats expérimentaux, une approche écoépidémiologique nouvelle, s’est dégagée.
Simultanéité des larves et des nymphes
sur les hôtes
Pour que la circulation du virus soit assurée par co-repas,
tiques saines et tiques infectées doivent se gorger simultanément au voisinage les unes des autres. Les tiques saines
sont représentées par la population des larves, qui venant
d’éclore n’ont pas encore eu l’occasion de s’infecter (la
transmission transovarienne est très faible) ; les tiques infectées se trouvent parmi les nymphes, qui ayant déjà fait
un repas ont pu s’infecter.
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On peut ainsi s’attendre à ce que là où existe la simultanéité larves/nymphes sur les hôtes, la zone soit endémique, là où larves et nymphes se gorgent à des périodes
différentes, la zone soit indemne, enfin là où le chevauchement des larves et nymphes sur les hôtes est faible, comme
l’Alsace, qui est aux marges de la distribution de la maladie [5-7], la prévalence soit faible. L’analyse comparée
d’études de dynamique des tiques, faites dans ces trois
types de zones a confirmé cette déduction [8]. Restait à
expliquer les causes de la simultanéité larves-nymphes,
forte, faible ou nulle.
Par le recours à des images satellitales, avec comme paramètre discriminant la température au sol (paramètre déterminant pour le cycle des tiques), les auteurs ont vérifié que
la simultanéité se produisait dans les zones où les températures chutaient brutalement au début de l’automne ; à
l’inverse, larves et nymphes sont décalées là où les températures descendent lentement [9]. L’explication serait que
la chute brutale des températures suspendrait l’activité des
larves, laquelle reprendrait tôt au printemps, en même
temps que celle des nymphes. Lorsque la descente des
températures est progressive, les larves se gorgent avant
l’hiver et ne sont donc pas en synchronie avec les nymphes au printemps.
Modification de la distribution
de l’encéphalite à tiques
Si la synchronie larves/nymphes sur les hôtes est liée de
manière aussi forte au profil des températures, il faut s’attendre à une modification de la distribution de l’encéphalite à tiques en rapport avec les modifications climatiques
qui sont annoncées. Certains auteurs ont fait l’extrapolation et abouti à des cartes de la nouvelle distribution probable en fonction de ces changements de température [10].
Ainsi, que ce soit sous l’angle de l’émergence ou de la
redistribution, les affections transmises par les tiques sont
semble-t-il appelées à retenir l’attention en médecine humaine, dans les années qui viennent.
Références
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zone tempérée. Ann Biol Clin 2004 ; 62 : 149-54.
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accroissements des zoonoses à tiques. In : Changements climatiques,
maladies infectieuses et allergiques. Ann Inst Pasteur - Actualités
2003 ; 16 : 109-20.
3. Labuda M, Nuttall PA, Kozuch O, et al. Non-viremic transmission of
tick-borne encephalitis virus : a mechanism for arbovirus survival in
nature. Experientia 1993 ; 49 : 802-5.
Ann Biol Clin, vol. 62, n° 3, mai-juin 2004
Tiques en zone tempérée
4. Labuda M, Jones LD, Williams T, Danielova V, Nuttall PA. Efficient
transmission of tick-borne encephalitis virus between cofeeding tick.
J Med Entomol 1993 ; 30 : 295-9.
5. Pérez-Eid C. Dynamique saisonnière des nymphes et des adultes d’Ixodes ricinus dans le foyer alsacien d’encéphalite à tiques. Acarologia
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alsacien d’encéphalite à tiques. Acarologia 1990 ; 31 : 131-41.
9. Randolph SE, Green RM, Peacey MF, Rogers DJ. Seasonal synchrony : the key to tick-borne encephalitis foci identified by satellite
data. Parasitology 2000 ; 121 : 15-23.
10. Randolph S. The shifting landscape of tick-borne zoonoses : tickborne encephalitis and Lyme borreliosis in Europe. Philos Trans R Soc
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Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
7. Pérez-Eid C, Hannoun C, Rodhain F. The Alsatian tick-borne encephalitis focus : presence of the virus among ticks and small mammals. Eur J
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8. Randolph SE, Miklisova D, Lysy J, Rogers DJ, Labuda M. Incidence
from coincidence : patterns of tick infestations on rodents facilitate transmission of tick-borne encephalitis virus. Parasitology 1999 ; 118 : 17786.
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