Les rues de Paris... 46 pages - art

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Les rues de Paris…
Promenade habituelle à partir de ...
Avenue Victoria
Place du Châtelet
Rue Sainte Croix de la Bretonnerie
Rue du Bourg Tibourg
Rue Vieille du Temple
Rue de Moussy
Rue des Archives
Rue Aubriot
Rue des Rosiers
Rue des Hospitalières Saint Gervais
Rue des Francs Bourgeois
Rue Simon le Franc
Rue Rambuteau
Rue du Roi deSicile
Rue des Lombards
Rue Quincampoix
Rue grenier sur l’eau
Rue Geoffroy l’Asnier
Le centre Pompidou
Rue de Rivoli
Place de l’Hôtel de Ville
Quai de l’Hôtel de Ville
Rue de la Monnaie
Rue Saint-Antoine
Rue Saint Benoit
Boulevard Saint Michel
Rue de Médicis
Rue Madame
Place de l’Odéon
Rue Vaugirard
Rue de l’Observatoire
Rue Saint-Andrédes Arts
Rue du Vieux Colombier
Pont neuf
Rue du ChercheMidi
Rue Mouffetard
Rue des Canettes
Rue Auguste Comte
Rue de la Huchette
Rue du Mont Thabor
Rue Castiglione
Place Vendôme
Place AndréMalraux
Avenue Franklin D. Roosevelt
Quai Branly
Rue de Valois
Rue du Louvre
Boulevard du Temple
Rue du Faubourg Saint Honoré
Place de la Sorbonne
Rue Champollion
Rue Gay Lussac
Rue de l’Epée deBois
Rue de Charenton
Avenue de Suffren
Rue Daunou
Rue Charonne
Le jardin des plantes
Rue Poliveau
Rue Geoffroy Saint Hilaire
BoulevardSaint-Germain
Rue Daguerre
Rue des Bernardins
Rue de la Bièvre
Rue du Puits de l'Hermitte
Rue Notre Dame de Lorette.
Rue Labruyère (Théâtre)
Rue Monge
Rue Lacépède
Rue Cluny
Rue de Poitou
Rue Le Regrattier
Place de la Bastille
Rue de Lutèce
Boulevard Sébastopol
Boulevard de Strasbourg
Boulevard Bourdon
Boulevard Beaumarchais
Rue Charles V
Rue Notre Dame des Champs
Boulevard du Montparnasse
Rue Saint Fiacre
Rue du Docteur Goujon
Quai François Mauriac
Promenade habituelle à partir de la rue de la Gaîté
Montparnasse, avec ses restos où nous sommes allés, vous et moi,
Chers amis, si souvent, ensemble pour le partage de moments
Privilégiés où la parole tenait une place si grande dans nos relations,
Les rendez-vous avec le psy de ma mère, intermède pour nous deux,
Elle avec son fils, ailleurs que dans son appartement, et moi, ici dans
Ce quartier que j’aime et parcours toujours avec joie, sans jamais me
Lasser. Garer ma voiture rue de la Gaîté, puis la descendre, elle que
Je connais si bien pour y avoir travaillé il y a trente ans dans deux théâtres :
Le Montparnasse Gaston Baty et la Gaîté Montparnasse. Curieusement,
Ils produisent aujourd'hui le même genre de spectacles, comme si le travail
Du temps n’avait eu aucun impact sur eux.
Le marchand de glace installé depuis quarante ans dans la rue d'Odessa, avait
Dans ses bacs un sorbet à la rose à mourir de plaisir. Plaisir également de voir
Et revoir cet homme et sa femme, connus tous deux jadis lorsqu'ils étaient beaucoup
Plus jeunes, malaxer dans leur sorbetière géante cette matière riche en calories et
En couleurs. Tout récemment, je les ai rencontrés près de chez Inno et nous avons
Bavardé ensemble. Ils se sont trouvés obligés de quitter leur boutique pour je ne
Sais plus quelle raison, mais j'ai bien senti qu'ils souffraient de ne plus être ce
Qu'ils étaient, cela les a vieillis de dix années et paraissaient foncièrement triste.
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Je ne me lasse jamais de faire ce parcours. Je traverse la place de Montparnasse
Et descends la rue de Rennes, de préférence lorsque les boutiques sont fermées,
Les voitures moins nombreuses et la marche à pied possible, agréable même.
Je suis souvent seul à faire cette promenade, autrefois, il m’arrivait d’en faire
Profiter un ami, mais cela devient de plus en plus difficile maintenant, car je
Marche si lentement, si péniblement … Marche, temps trait d’union pour se
Ressourcer, se retrouver à la vue des vitrines, des immeubles et des gens.
Au bas de la rue de Rennes, la place Saint Germain des Près où nous avions
Jadis le Drugstore avec sa pharmacie, ouverte même tard le soir, idéal endroit
Pour les médicaments et les préservatifs de dernières minutes.
La Hune, célèbre librairie où l'on peut farfouiller les livres posés là comme
Sur l'étal de mon épicier les fruits et les légumes. Rester là quelques instants
Pour le plaisir, faire le tour avec méthode et terminer àla caisse si besoin.
Regarder, toucher, manipuler ces livres de poche, ces revues ou d’autres
Fascicules qui au fond ne m’intéressent pas beaucoup. Pas mon genre ces
Trucs de bourgeois, d'intellectuel que je suis devenu contre mon gré, me dis-je
Parfois, ces mots tournent en boucle dans ma tête d'obsessionnel, mais que
Voulez-vous c'est ainsi, faut s'y faire. Ces libraires sont des gens de métier,
La connaissance qu’ils ont du profil type de leur clientèle fait froid dans le dos.
Celui qui entre là, on le sait, est un gars en manque, à la recherche de quelque
Chose, de quoi, il ne le sait pas encore, mais ça viendra, ça viendra…
Il tient le livre comme substitut à tout ce qu'il ne vit pas, mais également comme
Ouverture au monde nécessaire à sa survie. L’escalier menant là haut me fait
Penser à feu le café Costes des Halles, où j’allais le soir m’encanailler un peu,
Beaucoup, passionnément à la folie… J'y monte rarement, presque jamais, car
J’ai trop peur de m’y casser la figure…
Prenons la rue Bonaparte et ses sales boutiques de luxe, le fric dans ce quartier
Est puant. Entrons à l’école des Beaux arts si la porte est ouverte pour faire un
P'tit tour, y voir ces sculptures de corps parfais et complètement nus, exposés
Dans le jardin impunément, propice à des photos érotiques dont je vous laisse
Le soin et puis, aux alentours, vous avez toujours ces galeries d’art où je
Ne vais jamais, car pour moi, l’art et l’argent n’ont rien à faire ensemble…
Le pont des Arts, les bateaux-mouches où le mouvement de l’eau réveille
Un souvenir futile : Deauville, la mer avec le sable fin, les enfants, les vacances …
Longer la Seine avec ses bouquinistes, où, quand j’avais quatorze ans,
Je voulais me défaire d’une terrible perversion, celle de lire des bandes
Dessinées qui n’avaient pas à l’époque l’aura que l’on connaît aujourd’hui,
C’était plutôt la honte, le signe que l’on était encore un gamin. Alors,
Je m’étais donc décidé à mettre tous mes “Akim” et tous mes “Tarzans”
Dans une cagette pour les vendre quatre sous dans un de ces kiosques.
C’est ainsi que je devins grand garçon et me mis à lire Jean Paul Sartre,
Auteur en vogue à ce moment-là où Brigitte Bardot montrait son cul partout
Et où la télé était en noir et blanc. Je marche comme un touriste dans ma
Propre ville. Je prends la Seine comme on prend une fille, par le pont du
Carrousel, l’Esplanade du Louvre, la Pyramide de Pei, la rue de Rivoli,
Les magasins, les foulards, les tours Eiffel miniatures, les tax-free, les
Bureaux de changes, la place du Palais Royal, la Comédie française, en face,
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Le RUC, restaurant où j'aimais bien aller dîner avec un ami bien particulier.
Avenue des Pyramides, place de l’Opéra, boulevard des Capucines,
Puis à droite le boulevard des Italiens, la rue de Richelieu, et
Retour à la case départ : rue de la Gaîté.
Avenue Victoria
Je ne me souviens pas du premier jour où je franchis la porte de
L’entrée des artistes du théâtre Sarah Bernhardt ,devenu aujourd’hui
Le "Théâtre de la Ville", mais je sais qu'il s'agissait d'un après-midi de
La fin du mois d'août 1964, j’avais dix-sept ans et déjà, j'avais eu
Ma première expérience de comédien-figurant à l'Opéra de Paris dans
"La Norma" avec la Callas, rien de moins…
Je m’étais adressé au concierge de cette maison de l'Avenue Victoria pour
Lui dire mon envie de monter sur scène pour devenir plus tard acteur,
Il m'adressa alors au régisseur dont le nom me revient maintenant :
Jean Sayous, qu'il doit être à la retraite au jour où je vous parle…
Comme le temps passe pour nous tous, c'est fou !
Je lui demandais s'il cherchait un figurant pour jouer, même pas
Grand-chose, dans la pièce qu’ils répétaient actuellement.
Il a dû me trouver sympathique ou mignon ou alors ma demande était
D’actualité, toujours est-il qu’il me présenta au metteur en scène, Raymond
Rouleau, homme de théâtre renommé et acteur de cinéma des années 40,
Genre jeune premier séducteur, beau gosse, tombeur de ces dames.
Je suis pris pour faire l’un des quatre pages dans “Lorenzaccio” de Musset
Avec Pierre Vaneck pour le rôle-titre. Par la suite, tout au long de ma carrière
De spectateur, je n’ai jamais revu jouer "Lorenzo" d’une façon aussi
Magistrale que là. Les répétitions m’ont appris plus de choses que toutes
Ces années passées à l’école à ne rien faire, à ne rien apprendre. Tout y était
Et d'ailleurs, Jacques Lang, plus tard, ne s'y est pas trompé, il fit entrer le
Théâtre à l’école et ça, c’était une bonne idée. Bravo Jacques !
Nous avions donné en tout soixante représentations. Je vécus cette nouvelle vie
Au théâtre avec jubilation. Sur le plateau, l'énergie dégagée par les comédiens,
Tant pendant leurs prestations qu'en dehors, me contaminaient positivement.
Ça grouillait de tous les côtés. Il y avait quelque chose de magique à vivre avec
Ces gens-là. Ils étaient tous amoureux de ce métier un peu fou, pourtant si
Éphémère. Je me souviens de là où nous étions installés, nous les figurants.
C 'était au dernier étage de ce magnifique bâtiment et moi, je partageais une loge
Avec trois autres comédiens : nous étions de jeunes pages en culottes très courtes.
Les cascadeurs, eux, jouaient au poker entre les scènes et me reviennent aussi
Ces histoires de cul entre tous ces gens-là. Des noms, Laurence Bourdil,
Alain Devaux, Dominique Labourier, Claire Nadeau, Armand Meffre et ce
Grand dadais de Jean-Luc Bideau avec sa démarche de géant voulant se faire
Tout petit, souffrant d'un complexe probablement et puis l'illustre Roger Blin
Regardait fixement ses mains à chaque fois avant d’entrer en scène comme pour se
Détendre ou conjurer le sort. Françoise Lugagne, la femme de Raymond Rouleau
Jouait le rôle d'une salope : Catherine de Médicis.
Le concierge était un parfait cuisinier, il servait le soir à dîner, et pour un prix
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Modeste, vous aviez droit au plat du jour puant l'ail et l'oignon. Le principal
Client de cette cantine improvisée se nommait Jean Gras. Acteur au gabarit
Imposant et à la verve fracassante portant bien son nom : il adorait la fourchette
Et le cochon, d'ailleurs, quelques années après, il s'était converti en restaurateur,
Du côté de Saint-Germain-des-Près. Comme j'avais étudié la comptabilité à
L'école, je fus engagé par la direction du théâtre à un poste d’aide-comptable à
Mi-temps. Financièrement, pendant deux années, j’ai pu subvenir à mes besoins,
Tout en restant chez mes parents, rue des Rosiers.
Place du Châtelet
Il y a donc le théâtre de la Ville dont nous avons parlé plus haut et en face,
Celui du Châtelet. En 1962-1963, j’y ai vu l’Aiglon de Maeterlinck où Pierre
Vaneck, toujours lui, donnait une prestation exceptionnelle dans ce rôle qui lui
Allait comme un gant. N’ayant pas les moyens de me payer une place pour
Assister au spectacle tous les soirs, j'avais fait une fixation bizarre, mais enfin
Que voulez-vous, le contrôle étant plutôt cool, j’avais décidé d’y aller en
Resquillant à l’entracte. Ainsi, je pouvais voir et revoir autant de fois que
Je le désirais la deuxième et troisième partie de la pièce en montant discrètement,
Comme un petit voleur, l'escalier en colimaçon menant à l’amphithéâtre.
J’étais subjugué de voir cet acteur répéter tous les soirs le même texte, les mêmes
Gestes, les mêmes mouvements comme si c’était toujours la première fois.
Aujourd'hui encore je reste émerveillé par cette faculté louche qu'ont les hommes
À être si disponible à reproduire le même au théâtre, mais pas seulement,
Dans le travail, la vie intime, aussi. Emerveillé de cette disponibilité à faire
Semblant comme des enfants jouant à…
Ils acceptent de mettre de côté leur propre personnalité, pour jouer quelqu’un
D’autre, un double, un autre soi-même et donner ainsi dans le mensonge
Impunément. Le théâtre c’est ça, un miracle mis en scène, renouvelé en
Permanence dans ce cadre, comme disent les psychanalystes, où tout est
Possible et où se mettent en jeu les univers conscients et inconscients de
Chacun nous tous, tant acteurs que spectateurs.
Rue Sainte Croix de la Bretonnerie
Au 24 de la rue,
Nous avons vécu une année entière dans une chambre au sixième étage.
J’avais à l’époque huit ans et sur le palier régnait au quotidien la pauvreté,
La nôtre et surtout celles des voisins, les bagarres, les odeurs, l’alcool,
Le vin, la bière, c’était l’étage où les bourgeois étaient exclus.
Les waters se situaient à l’étage inférieur ainsi que l’eau froide courante.
Nous avons vécu là à cinq, mon père, ma mère, mon frère, ma soeur et
Moi. Seulement voilà, il nous arrivait de “recevoir” des oncles, sans logements
Le jour, pour qu’ils puissent se reposer un peu de la nuit qu'ils passaient dans
Des boîtes à danser et à ne pas dormir dehors, car chez nous… c'était complet.
Je me souviens avoir joué un jour avec mon frère et après l’avoir mis sur
Mon dos, ma respiration s’est trouvée bloquée et mon corps se paralysa.
Ma mère paniquée, appela au secours l’un de nos voisins qui avait fait
La guerre et sut immédiatement me sortir de là en me massant le dos.
Pendant le rude hiver de 1956, avec tous les occupants de l’immeuble nous
Allions dans la cave nous fournir en eau. Les canalisations de la cage
D’escalier avaient gelées. L’eau, que l’on montait à pied dans des seaux
Jusqu’au sixième étage , parfois débordait sur les marches et formait
Immédiatement des plaques de glace tellement il faisait froid, alors, vite, vite,
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Il fallait s’arranger à faire disparaître ces stigmates de notre passage très
Rapidement, avant que les voisins ne disent quelque chose … Nous les craignions
Beaucoup, car nous étions des étrangers nouvellement installés dans le pays.
Comme nous n’étions pas loin des Halles de Baltard, nous récupérions,
À la fin des marchés, certaines marchandises jetées sur le pavé en attente
Du service de nettoyage. Des tomates, des pommes de terre, des poires,
Des bananes, par cagettes entières, en plus ou moins bon état, étaient
Abandonnées comme mis à notre disposition exprès, et nous, nous les
Rapportions, mon père et moi, à la maison . Il n’y avait rien de misérable,
De pathétique là-dedans, nous le faisions, car d’autres le faisaient
Autour de nous, nous n’avions pas honte, il fallait nourrir la famille et
Mon père était seul à travailler avec un salaire de misère.
Notre chambre de bonne était éclairée par une petite lucarne qui donnait sur
Ces fameux toits de Paris en zinc dont on a tiré tant de films. Nous avions un
Coin de cuisine qui nous servait à tout faire, une petite table en bois et un grand
Lit pliant pour toute la famille. C'est con à dire, mais nous étions tous très heureux
Là dedans, et aujourd'hui encore, je me demande ce qui motivait un tel bonheur.
Ma mère avait des amies. Soit elles venaient à la “maison”, soit elles nous
Invitaient chez elles pour la confection des “boscotos”, gâteaux à base de farine, de
Sucre, d’œufs et de levure alsacienne, parfois aromatisé d'un zeste d'orange, mais pas
Toujours, puis aussi il y avait du chocolat et des bonbons que nous partagions tous.
Les hommes, eux, travaillaient et n’étaient jamais à ces rendez-vous.
…Les pauvres et les étrangers s’organisent comme ils peuvent,
Ils ne sont pas que malheureux...
Dans cette rue, il y avait la marchande de vin où nous allions régulièrement
Pour nous fournir en bière ou en limonade Dumesnil à cinquante centimes la
Bouteille et en vin Postillon à soixante-seize centimes. Cette dame avait adopté
L’ensemble des gens du quartier, ce devait être dans sa nature d’aimer tout le monde,
Pourtant, elle ne donnait pas l’impression de boire autre chose que de l’eau…
Ma mère se socialisait un peu ici en parlant avec cette dame, mais allait aussi en
Face, chez Monsieur et Madame MARTIN, marchands de couleurs où elle achetait
Le savon de Marseille, l'eau de javel, le mir pour la vaisselle, les serpillières pour
Nettoyer le sol, et l'alcool à brûler… Dans ce magasin, on pouvait tout trouver.
Leur fils était un copain de classe, mais pas un ami, il y avait chez lui une certaine
Retenue naturelle vis-à-vis des autres. Je me souviens aussi d’un camarade de classe,
Heck. Il avait réuni chez lui, dans un immeuble bourgeois pas du tout comme
Le notre crasseux, quelques copains pour son anniversaire et je ne sais pourquoi,
J’y avais été convié. Seulement, je me sentais fondamentalement à l’écart de ce
Monde-là : les petits soldats, les petites voitures, leurs jeux m’étaient étrangers.
Ils ont dû le sentir, les vrais sentiments se sentent toujours, alors,
Alors, ils m’ont foutu à la porte.
À quatorze ans, j’allais chez « Noirot », établissement de produits aromatiques,
Pour me fournir en fioles d'extraits de plantes servant à la fabrication de
Liqueurs destinées à toute la famille et dont la préparation devait être respectée
Scrupuleusement. Faire un sirop de sucre, y ajouter l’alcool à90° acheté
Préalablement à la pharmacie et le contenu de la petite bouteille Noirot
Pour donner un goût génial. Nous n’achetions pas les liqueurs toutes faites des
Magasins, car nous les réalisions nous-mêmes, c’était moins cher.
En face, il y avait la SITAP, fabricant d'objets en matière plastique et où à
Quinze ans j’y avais fait mes premières armes d’employé de bureau
Pendant les périodes de vacances scolaires. Il y avait une supérieure en
Chef qui me demandait de faire mon travail en silence, de bien classer les factures
Plutôt que de distraire le personnel avec mes parlotes de pipelettes.
Nous avions un avantage à travailler dans les bureaux de cette usine, tous les fins
De mois, nous pouvions commander les produits du catalogue. Alors, j'arrivais à
La maison avec des services à orangeade de toutes les couleurs ou des assiettes, des
Couverts et je ne sais quoi d'autre … Bref, c'était le début du plastique en France !
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Et puis, comble de commodité, il y avait dans cette rue deux “bains douches”, pour
Rester bien propre. Comme chacun sait ou ne sait pas, il n’y avait pas encore de
Salles d’eau dans les petits appartements parisiens, en général. Le premier
Établissement était privé et un peu cher, mais ça dépannait lorsque l’autre était fermé.
À la fin des années soixante s’est installé à sa place un restaurant végétarien
“l’Aquarius”, plats sans viandes ni poissons, mais composés de boulgours, lentilles,
Riz complet, tourtes aux légumes, jus de carotte et pain bon pour la santé.
L’autre établissement de bains était municipal et l'est toujours d'ailleurs. Il se situe
Au bout de la rue et fait face au centre Pompidou, près du commissariat.
Vous pouvez y aller, car je viens d’apprendre que maintenant ce n'est plus payant.
Moi, je n'irai plus, car j'ai une salle de bains pour moi tout seul, les temps
Changent… Les femmes se lavaient en bas, les hommes au premier étage.
Il fallait acheter son ticket au rez-de-chaussée, monter et attendre dans une salle
Notre tour car il y avait très souvent du monde, nous avions à la main notre numéro
De passage et un pourboire pour le garçon. La cabine comprenait un endroit pour
Se déshabiller et un autre pour se laver. Nous apportions notre serviette de toilette
Avec à l’intérieur un gant et une savonnette Palmolive, parfois on achetait un
Berlingot individuel de shampoing, jaune, bleu, rouge ou vert. Nous y allions
Une fois par semaine. Nous, c’était toujours le samedi ou le dimanche matin…
Pourquoi la mémoire garde-t-elle tant de trucs dont on n'a rien a faire ?
Rue du Bourg Tibourg
Gérard habitait dans le milieu de cette rue. Lui, William et moi formions trois bons
Copains inséparables, c’était l’époque des «400 coups » avec Jean Pierre Léaud,
Mais la comparaison s’arrête là, car nous étions en fait très raisonnables.
Sa mère à Gérard était malade psychiatriquement. Il s’en occupait beaucoup,
Mais ne disait rien. Je me souviens aussi, c'est affreux, nous sommes restés
Quelques longues années à ne pas s'adresser la parole suite à un malentendu
Dont franchement je ne me rappelle plus quelle en était la teneur. Sa grand-mère,
Elle, fréquentait la terrasse de café “l’Etincelle”, situé à l’angle de la rue de Rivoli.
Tous les après-midi, elle y était installée avec d’autres amies et ça parlait, ça
Parlait en français, en yiddish et en je ne sais quoi encore, et ça buvait un café à
Deux balles pour cinq heures d'affilée non-stop, le garçon devait devenir fou.
Elle était jolie, en 1968, dans cette robe de mariée qu’elle voulait blanche à
Tout prix. Pour l’occasion, disait-elle, il faut marquer le coup c’est important.
Elle était jolie avec sa mine d’éternelle étudiante, ses chaussures de soie et ses
Bas de chez monoprix. Elle était heureuse et moi, et bien moi aussi. J’étais
Émus, troublé, malade, mais quand même heureux. C’est dans un petit restaurant
De cette rue du Bourg Tibourg que nous eûmes l’idée de fêter cet événement
Majeur. Nous avions organisé cette fête dans un registre plutôt discret, intime.
Il y avait nos deux familles, la sienne et la mienne, elles ne se connaissaient
Pas encore, alors, elles ont bu et mangé ensemble. Dans le fond, c’est pas mal
Les réunions familiales, ça rapproche les gens. Étaient présent également
Les patrons de mon père, c'était important pour lui de montrer que nous étions
Quelque part aussi bien qu'eux. Mon père, vous savez, c'était un cas… Et puis,
Nous avions invité quelques-uns de nos amis, avec qui d'ailleurs, nous
Terminâmes la soirée au Pub Renault des Champs-Elysées.
Depuis, je ne me suis jamais remarié.
Quelques années avant, ma mère nous amenait quand nous étions petits,
Chez une jeune fille, une copine d’une copine à elle. Je me souviens qu’elle
Lui avait dit à cette étudiante :
" Plus on va loin dans les études et plus on devient fou..."
Ma mère avait une drôle de conception du développement intellectuel…
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Rue Vieille du Temple
Le pétrole.
En 1956, comme je vous l’ai déjà dit, l’hiver était rude, il fallait réchauffer la
Chambre de la rue Sainte Croix de la Bretonnerie. Pour se faire, nous utilisions
Une bassine en métal, c’était fou, dangereux, nous étions inconscients, une petite
Bassine avec du pétrole dedans ou alors de l’alcool à brûler, je ne sais plus trop bien,
Une allumette et hop le chaud dans la pièce tout de suite.
Qui nous avait conseillé cette façon de faire ?
J’étais le fils aîné de la famille et la charge me revenait de trouver le liquide en
Question, devenu rare, car nous n’étions peut-être pas les seuls à nous chauffer
De la sorte et c’est chez un marchand de couleurs de la rue Vieille du Temple
Que je trouvais mon bonheur, il devint mon principal fournisseur, j’avais sept ans.
Il y avait aussi… Une boucherie chevaline faisant angle avec la rue du Roi de Sicile.
Nous y allions de temps en temps acheter des biftecks bien rouges quel e Docteur
Schaffer nous avait ordonné de manger pour avoir de la force parce que le cheval
C’est bon pour ça et ça a du goût. Depuis, je suis devenu végétarien.
À l'autre angle de la rue, se trouvait un café où nous allions jouer au
Flipper avec des copains, c’était vingt centimes la partie et les consommations
Au comptoir n'étaient pas obligatoires. Ce jeu avait pris une importance
Pathologique dans ma vie d’adolescent et j’allais de café en café,
De flipper en flipper, les essayer tous.
Zizi Jeanmaire et Roland Petit habitaient un hôtel particulier. Les portes étaient
Bien fermées, on ne pouvait pas y entrer pour visiter la cour. Moi, j'avais vu
Au cinéma de mon quartier : “Folies bergère” et “Mauvais garçons” et je dois
Vous faire un aveu : Zizi a été mon premier amour… Taisez-vous j’ai honte !
Formidable une fille comme ça, avec son truc en plumes, me disais-je.
Elle avait l’âge de ma mère, mais pas le même genre. J’étais tout content de
La voir boire son café au comptoir avec sa fille, j’aurai bienvoulu être son fils
Moi aussi, être avec eux, dans ce bistrot à l’angle de la rue des Rosiers.
J’étais fier d’habiter le même quartier que cette grande vedette.
Cela gonflait mon ego et je me disais : « Nous n’avons pas le même type
De vies, d’appartements, certes, mais qu’importe je suis jeune et j’ai l’avenir
Devant moi », alors j'ai passé ma vie à essayer de la réussir !
Je garde également en mémoire, mémoire inutile, ce souvenir d’un homme
M’ayant pris en photo en culotte courte devant un porche d'immeuble qu’il
Devait trouver rustique. C’était peut-être un simple touriste, mais à l’époque
Il n’y en avait pas tellement dans ces rues-là, à moins que ce ne fût un
Doisneau quelconque des années 55/60 ?
Rue de Moussy
L’école primaire obligatoire. Je n’y ai pas coupé dès notre installation rue
Sainte-Croix-de la Bretonnerie. Les classes se sont succédé jusqu’au certificat
D’études primaires, que j’ai obtenu, je le signale, car c’est le seul diplôme que j’ai eu
De ma vie, la cour pavée, les chiottes, les copains, la mauvaise Madame Ségélas avec
Ses images et ses bons points et ses punitions, habillée en noir, en deuil pour toujours.
Il y avait aussi un certain monsieur Boulinier qui me donna une sacrée raclée pour
L’avoir bousculé à la récré, une vraie vache. C'était pas moi, c’était les autres qui
M’avaient poussé sur lui et c’est moi qui ai tout pris. Merde, l’école est une saloperie,
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Faudra en finir, mais restons réaliste, je n’ai aucun espoir là dessus.
Tous les jours je me dis : quelle chance j’ai eue de m’en être sorti !
Dans cette école, j’ai fait des ateliers de bois et de fer. J’étais doué pour le travail
Manuel, mais je ne suis pas devenu un ouvrier pour autant.
Nous allions chez un grossiste spécialisé dans les produits exotiques, bonbons
Et chocolats en tout genre qu'on ne trouvait pas chez Monoprix. Nous y faisions
Nos courses, nos provisions surtout pour Noël, car nous avions pris l’habitude de
Recevoir dans notre petit deux pièces de la rue de Charenton toute la famille pour ces
Périodes de fêtes. Nous avions un impératif : faire le plein avec le minimum d’argent...
Rue des Archives
Sur le parvis du BHV, dehors, il y avait un vendeur très gentil. Il nous offrait
Pour la dégustation, des verres d’eau avec pour parfumer, de la poudre au citron ou à
L’orange à l’intérieur, c’était juste avant l’arrivée du Fanta et de l'Orangina, moi,
J’aimais bien, j’ai même acheté une boîte une fois, mais c’était meilleur gratuit.
En face, la boutique de dragées où je n'ai jamais mis les pieds, mais elle est là présente
Dans ma mémoire comme une image fixe, à se demander pourquoi ? La pharmacie
Et le fils du pharmacien, un copain, et surtout notre Docteur Schaffer, sorte d’Orson
Welles venant fidèlement visiter, bon pied bon œil, toute la famille pendant plus
D’un quart de siècle. À partir de 1966, il devint mon psy pendant une année entière.
J’avais un problème à régler.. En fait, ça s’est arrangé tout seul, avec le temps.
Il était l’animateur du groupe psy des Adlériens de Paris et nous y allions
Chez lui le mercredi soir après le turbin, assister à des cycles de conférences avec
Ma femme, qui l’avait pris, elle aussi comme thérapeute parce qu’elle avait
Un problème particulier, mais aujourd'hui, je ne sais plus duquel il s'agissait.
Rue Aubriot
Juillet 1964. Première aventure amoureuse dans un appartement situé au
Premier étage d’un immeuble un peu rustique et prêté par des amis à cette fille,
Rencontrée par hasard un jour d’été à la Samaritaine. Nous avons essayé
D’en profiter pour nous aimer, c’était pas mal, mais les amis en question,
Sont rentrés plus tôt que prévus de leurs vacances…Ça tombait bien,
Car je voulais rompre avec cette hystérique : elle était amoureuse d'un gars et
Voulait se suicider pour lui. Je n'avais pas encore dix-huit ans, alors, alors…
J’en ai profité pour quitter Paris, elle et ma famille et suis allé, tout seul,
Faire le tour de France en auto-stop. Là, j'ai rencontré Françoise et nous avons
Dévoré un poulet de Bresse tout entier en nous regardant les yeux dans les yeux.
C'était la première fois que je parlai vraiment à une personne…
Rue des Rosiers
Les premiers souvenirs me venant à l’esprit, sont ces images de poulets.
Des poulets bien vivants, criants, enfermés dans mille caisses posées à même le
Sol, en attente d’être tués par des spécialistes assermentés.
Ce spectacle intervenait principalement aux périodes des fêtes religieuses de
Pâques ou de Kippour. Les boutiques, avec la viande tamponnée kasher à l’étal
Des bouchers et les épiceries de toutes les couleurs, de toutes les odeurs, étaient
Bondées de monde tous les jours jusqu’à fort tard dans la nuit, car à l'époque,
Il n'y avait pas d'autres endroits à Paris pour s'approvisionner. Il fallait faire la
Queue et attendre des plombes pour être servi. Comme nous habitions dans la rue,
Nous avions le privilège de pouvoir y aller aux alentours de minuit. Les gens
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Venaient pour acheter ces produits Ashkénazes ou Séfarades selon leurs goûts
Et leurs pays d'origines, sans oublier les galettes rondes et carrées qu'il fallait
Manger à la place du pain sous peine de commettre le pire des péchés, et cela
Pendant les huit jours de Pâques. Pour ne pas risquer de culpabiliser, il fallait choisir
Son sucre, son chocolat et tout le reste avec le sceau du rabbin, vendu plus cher,
Puisque kasher... Un pur scandale, mais que voulez-vous les hommes sont
Partout les mêmes… pas terribles ! Voilà, nous habitions là, au premier étage,
De cet immeuble ancien, au fond de la passerelle, à gauche.
Notre emménagement a dû avoir lieu à la fin de 1956 ou au début de 1957.
C’était dans la nuit, pourquoi n’avons-nous pas fait ça en plein jour ?
Nous avions peur, mais peur de quoi ? Venant de la chambre de bonne, située
Au sixième étage de la Rue Sainte Croix de la Bretonnerie, dont nous parlerons
Plus loin, ce deux pièces cuisine nous paraissait grand et surtout il y avait un
Water-closet à l'intérieur de l’appartement. C’était la première chose qui me
Marqua, lorsqu’au petit matin je m’en étais rendu compte. On ne peut imaginer
Ce que c’est que d’avoir des chiottes chez soi lorsqu’on a été dans le manque
Pendant une longue période. Notre palace faisait trente-deux mètres carrés.
Au fond de la passerelle à droite, en face de chez nous, habitaient une
Voisine et ses deux enfants. Très vite nous fîmes parti de la même famille,
Eux et nous. Son mari fut déporté et tué pendant la dernière guerre, deux de
Ses filles ont été placées à Izieu pour être prises ensuite par les Allemands et mourir
Comme tant d’autres. Puis, comble de l'horreur, l'un de ses fils lui a été arraché
De ses propres mains et tué lâchement par Klaus Barbie en personne, devant elle.
Comment ne pas devenir fou avec tout ça ?
Elle a contribué énergiquement à l’arrestation de ce barbare avec Serges Klarsfeld
Et on l’a vu se démener jusqu’à sa mort au travail de la mémoire.
En utilisant l'écrit, ma mémoire m'offre des images de ce temps-là. Je la revois,
Si hospitalière, si gentille, offrant en permanence ses gâteaux et son thé russe.
Sa porte était ouverte à tout le monde, tous les jours. Beaucoup de gens venaient
La voir, probablement de la famille ou des relations dont on ne savait rien...
Elle n’avait pas été la seule a souffrir de la guerre, alors ils venaient tous
Pour se retrouver un peu, en parlant le Yiddish et du temps passé.
Chez eux, j’allais tous les soirs regarder la télévision : les trente-six chandelles de
Jean Nohain, Cinq colonnes à la une, des Pierre Dumayet, Desgraupes, Lazareff
Et Igor Barrère, les émissions de variétés du couple Carpentier, les films...
Nous étions confortablement installés dans un large fauteuil, pendant « qu’elle »
Préparait les repas du lendemain. Sa fille et son fils avaien trespectivement
Dix-huit et vingt-sept ans. Je me sentais plus chez moi chez eux que dans ma
Propre famille, je vivais au fond “à côté”. Comment expliquer cela ?
À Côté, pour ne pas vivre chez moi, pour sortir, ne pas étouffer. Ils étaient devenus
Ma famille d’adoption. Chez moi, j'étais l’aîné de la famille et j'avais un rapport
Plutôt distant avec mes propres frères et sœurs. Ce n’est que bien plus tard,
Que je compris la raison de cette froideur à leur égard:
À l’âge de cinq ans j'avais perdu un frère et, je n’en avais pas encore fait le deuil…
Alors, avoir à nouveau de l'affect pour quelqu'un d'autre n'était pas facile du tout.
Il ne me vient pas à l’esprit qu’ils aient parlé de la perte des leurs. Ils vivaient
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Le moment présent comme il venait. Elle travaillait à la fois chez Goldenberg,
Restaurant bien connu dans le quartier et chez d’autres “patrons” également.
Je sais qu’elle se levait très tôt, qu’elle ne comptait pas les heures qu’elle faisait.
Ses mains étaient toujours en action, les voir travailler relevait du spectacle.
Sa fille prenait des cours de philosophie avec un drôle de rabbin. Il m’avait
"Aidé" à faire ma communion, je n’étais pas doué pour l’hébreu et lui plutôt
Arrangeant avec les pauvres garçons comme moi. Monique et Françoise,
Ces demoiselles, tous les samedis soir, fréquentaient le Chalet du Lac et le
Caveau de la Huchette. Avant de s'y rendre, il y avait un rituel : elles se
Mettaient devant la glace de la p'tite armoire de pharmacie pour se faire
"Les plus belles pour aller danser", comme disait la chanson, à l'époque.
Mon père travailla longtemps à domicile, car il supportait difficilement les autres.
Je me souviens, un jour, j’avais acheté un coupon de tissu anglais magnifique pour
Qu’il me fasse une veste à la mode. Il s’arrangea auprès d’un de ses employeurs,
Pierre Balmain, pour obtenir un modèle à ma taille, il coupa la pièce,
L’assembla et me la fit essayé. Malheur à moi, j’avais trouvé à redire je ne sais
Quoi sur son travail. Alors, mon père de rage, prit la veste et la mit en mille
Morceaux avec une paire de ciseaux toute neuve. Mais comme ce n’était pas un
Mauvais bougres, quelques mois plus tard, pour se faire pardonner, ilme fit
Cadeau d’une superbe veste en cuir que j’ai longtemps porté. Merci Papa.
Rue des Hospitalières Saint Gervais
Le hareng gras de Klapisch est le même que celui vendu dans certains kiosques
D'Amsterdam. C'est le meilleur des poissons, dommage qu’il soit si salé et qu’avec
Mes prises quotidiennes de corticoïdes, il ne fait pas bon ménage avec ma santé.
À l’époque, nous l’achetions à l’unité. Le hareng chez Klapisch a toujours été très
Cher, sans parler du saumon fumé, pour nous c’était inabordable, inaccessible.
Maintenant tout le monde ou presque en mange souvent et c’est tant mieux,
Parce que le saumon c’est bon, je dirais même c’est délicieux...
Naturellement, ce n’était pas dans nos habitudes d’ingurgiter des poissons crus,
Ou, de faire nos achats dans des boutiques de riches avec leurs bons produits,
Car pour nous, la nourriture c’est de la nourriture et c’est pas la peine de payer
Plus quand on n’a pas les moyens. Nous, nous n’étions pas spécialement snobs.
Nos voisins ne l'étaient pas non plus, mais Mémé, Alex et Monique en mangeaient,
Alors, on faisait comme eux, par esprit de solidarité… Pour nous, un seul hareng
Faisait l'affaire : un p’tit morceau pour chacun…
Je ne fréquente plus ce quartier, mais j’ai dû y aller récemment par obligation,
À contrecœur. Ce n’est plus mon royaume, ce n'est plus mon domaine. Je suis
Etranger maintenant à mon propre quartier. En traversant les rues, j’ai reconnu
Certains personnages, certaines têtes d'avant, vieillies par le temps et
Curieusement, cela m'a donné plus de tristesse que de joie. Ces gens sont là,
Fidèles, encroûtés à leur sol, aux trottoirs de ces rues étroites, à ces magasins
Qu’ils connaissent trop bien et depuis si longtemps. Ils ont fait le choix de garder
Ces repères-là et dans le fond, qui peut le leur reprocher ?
Ils n’ont pas fait comme moi, passant de ville en ville, de déménagements en
Déménagements, de chambres de bonnes en appartements divers et variés.
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Rue des Francs Bourgeois
Aujourd’hui c’est branché à mort, la rue des Francs Bourgeois. Avant,
Il y avait l’appartement de William ( vous savez mon copain avec Gérard, la
Fine équipe du marais ) un taudis sombre, une tombe au sixième étage sans
Ascenseur… William il serait content d’entendre ça. Avec ma femme, nous
L’avons croisé par hasard à Trouville sur mer, il était avec sa petite famille et avait
Bien changé. Que voulez-vous, c’est la vie, le temps passe pour tout le monde.
Dans une cour classée de cette rue des Francs Bourgeois, nous avons
Failli louer un somptueux appartement. C’était une combine d’une amie de
Ma soeur qui a foiré pour une question d’argent... Comme nous commencions
Dans l'existence, nous n’avions pas la somme nécessaire pour « entrer », alors nous
Nous sommes rabattus sur un logement plus modeste, mais pas mal non plus,
Au 225, rue de Charenton, escalier F, rez-de-chaussée gauche.
La mémoire se promène dans le passé comme dans un jardin. Elle dit ce qu’elle veut
Sans se soucier du bien-fondé de son discours. J’ai longtemps considéré ces flashs
Comme inutiles, mais je me rends compte maintenant qu’il s’agit là peut-être de
Quelque chose d'important . Ces petites histoires, ces associations, ces images fortes,
Nous construisent au jour le jour. Elles se renouvellent, se réactualisent en permanence.
Probablement, est-ce la base même de notre personnalité ?
La contrainte dans le travail que je fais ici sur la mémoire est de ne pas chercher à
Vérifier quoi que ce soit, de ne pas aller sur place pour se rappeler. Je ne veux utiliser
Que le plan de Paris et tirer de ces rues le témoignage d’une petite parcelle du contenu
D’un cerveau humain, le mien. C’est là toute la règle du jeu. Proposer à la mémoire
De s'exprimer pour le plaisir, de chercher, les mots pour dire une promenade.
Dans mon enfance, j’ai souffert d’un manque de place, c'est évident.
Il m’est arrivé quelques fois de rêver à l’espace d’une DS, voiture mythique à
L’époque, d'une DS pour moi tout seul. J’aurai pu m’organiser un appartement dans
Ces vastes fauteuils, faire un coin lit pour dormir, un endroit pour manger, un autre
Pour vivre sans personne autour de moi, déjà la solitude m'attirait ombrageusement.
Cette problématique du logement a dû jouer un rôle important quand au choix de ma
Profession par la suite. J'ai travaillé dans l’immobilier pendant près de vingt années.
J’ai passé mon temps à « tourner autour de ça », surtout après mon divorce, lorsque
Je me suis senti libre de faire ce que je voulais. J'ai cherché à compenser ce qui me
Tennaillait aux tripes, j'ai habité tantôt une chambre de bonne, tantôt un
Château avec des pièces immenses. Souffrance, tu m'as obligé à me dépasser
Et c’est tant mieux. Tu as pris ta revanche sur les injustices de l’existence, tu as
Cherché à la maîtriser, avec le temps, tu es devenu l’acteur de ton propre destin.
Rue Simon le Franc
J’ai découvert la musique de Django Reinhardt en quelques heures, là, rue
Simon le Franc. Il y a des rencontres magiques qui vous marquent à vie, celle-ci
En fut une, à un moment de mon adolescence où il ne se passait pas grand-chose
D’intéressant. Un soir que je me promenais sur les quais de la Seine pour aller
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Faire un “petit tour” à Saint Michel, un attroupement de jeunes s’était
Constitué autour d’un guitariste. Je m’y suis approché en bon curieux que j’étais.
Ma première surprise fut de voir la chaleur humaine que dégageait ce groupe, cette
Musique que je ne connaissais pas, ça ne passait pas à la télé, c’était formidable.
Le musicien nous invita à venir chez lui écouter son Maître, il en avait la totalité
De l'œuvre sur des disques en vinyle noir. Je n’ai pas hésité un seul instant, le
Bonhomme, jeune, pédagogue, sympathique, inspirait la confiance, pourtant j’étais
Tellement méfiant en général…Nous nous sommes donc trouvé une bonne douzaine
De personnes à envahir son petit studio dans un respect œcuménique.
À l’intérieur de cette petite pièce, sur des étagères trônait un tourne-disque
Et des piles de trente-trois tours qui n’attendaient pas mieux qu’à fonctionner
Et à se faire entendre toute la nuit.
Rue Rambuteau
Un ami habitait la rue Rambuteau et j’allais le chercher avec d’autres copains
Pour faire les imbéciles dans ce Paris que nous connaissions comme notre poche.
C’était le temps d’Elvis Presley, de Paul Anka, lui, était un pur fan de tout ça,
Moi, pas mon genre cette musique-là. Je cachais déjà un fond de l'âme plus
Sophistiqué, j'étais plus précieux comme gosse, plus intellectuel, quoiqu'étant
Dans les derniers de la classe pour fautes d’orthographe dépassant les limites
Du tolérable. Je préférais de très loin fréquenter les Théâtres de Paris.
Nous allions tous les jeudis après midi à la Gaîté Lyrique, savourer avec des tas
D'autres enfants, les yaourts Danone, publicité oblige, à l’entracte du spectacle
De variétés offert généreusement à tous. Un matin, pour un concours auquel
Je m'étais inscrit auparavant, nous sommes allés avec les organisateurs de Kodak
Daire des prises de vues aux puces de la Bastille. J'avais fait de belles images
D'un crocodile empaillé et des stands que je connais bien, ce n'était pas mon
Quartier pour rien, alors comme j'avais tout bon, j'ai gagné. L’après-midi,
L’ensemble des photos était présenté dans la salle du théâtre, j’étais fier comme
Un coq d'entendre mon nom et de recevoir le magnifique appareil Kodak cubique
Des années 60. J’étais pour la première fois le premier quelque part, j’avais donc
Du talent pour quelque chose.
Dans cette salle, on a entendu les Rika Zaraï, Petulla Clark, Banjos Boys et tant
D'autres encore. On les a tous vu gratis, aux jeudis de la Gaîté Lyrique.
Rue du Roide Sicile
Ionesco a habité cette rue et je ne pourrai pas vous dire depuis quand il vivait là,
Je ne l’ai jamais rencontré, malgré tout l’amour que j’avais pour son théâtre et
Sa personne. Lorsqu'il a commencé à vieillir un peu, il a préféré nous quitter pour
Aller s'installer définitivement Boulevard du Montparnasse près de la Coupole.
Là non plus je ne l’ai jamais croisé malgré ma fidélité à ce restaurant où en 1990,
j’avais organisé une exposition de mes oeuvres picturales. Le roi est donc mort
Maintenant, il est mort comme mon père est mort il y a quelques mois.
Mon père était-il Ionesquien ? Je ne le sais pas, seulement ce que je sais, c’est qu’à
L’origine, il était cordonnier comme une bonne partie de sa propre famille,
Il s’est ensuite converti dans la fabrication des vêtements de peaux, il a travaillé
Pour Pierre Balmain et Jean Claude J3. C’était un bridgeur effréné, tous les
Week-ends et certains soirs, il allait dans un club à l’Etoile ou dans d’autres
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Endroits avec ses amis Stunia et Marc. Aurai-je voulu d’un père comme Ionesco ?
Avait-il comme lui le sens de l’absurde ? Questions stupides qui n’ont aucun sens,
Car on ne choisi ni son père, ni sa mère, ni personne d'autre d’ailleurs,
Car tout est tellement illusoire dans le fond. Ah, Madame, si vous saviez !
Rue des Lombards
Encore maintenant, c’est la rue des putes, mais moins fréquentée qu’avant. Mes
Copains et moi avions de la pudeur et ces choses du sexe ne faisaient jamais l'objet
De discussions ou de plaisanteries… Rue des Lombards, nous n’y allions pas, il y
Avait un interdit implicite, à la rigueur nous y passions pourvoir …
Lorsque je grandis, marié, j’avais relevé une annonce dans le Figaro concernant
La vente d’un immeuble situé là et j’étais arrivé à convaincre mon ex-épouse à venir
Le visiter, car nous rêvions parfois de quitter notre banlieue pour venir nous
Installer à Paris. Si je relève ce fait sans importance, c’est qu’il est le signe avant
Coureur d’un talent bien caché en moi, que j'allais exploiter plus tard.
En effet, j’avais une arrière idée en tête : je pourrai diviser cet immeuble en petits
Appartements et les revendre individuellement en faisant un bénéfice. Ma femme était
Une intellectuelle de gauche et ces histoires immobilières, fallait pas trop lui en parler.
Ceci étant, lorsque nous nous quittâmes pour des raisons inutiles à développer ici,
Je me suis senti beaucoup plus libre dans tous les domaines et sur ce point précis aussi.
Je vous raconterai plus tard comment j'ai bien gagné ma vie en achetant un château.
Rue Quincampoix
Une galerie d'art avec un marchand de tableaux à l'intérieur, toujours assis
Derrière son bureau. Pourquoi avais-je tant d'animosité à l'égard de cet homme ?
Pourquoi faisais-je une fixation obsessionnellement négative sur un inconnu
Portant la jaquette d'une profession comme une autre, ni plus, ni moins,
Car ne l'oublions pas, la vie est dure : il faut la gagner tous les
Jours à la force du poignet ou d'un autre membre, si vous me
Permettez cette expression à la limite du convenable ! De cette rue
Quincampoix donc, il y a quelques années, j'avais retenu pour la décrire,
L'image de ce marchand d'art implanté aux alentours du centre
Pompidou et que j'avais qualifié :
"De sale mec ne se prenant pas pour de la merde".
Tout de même, comment moi qui suis si respectueux envers mes
Semblables, même les plus vils. Comment ai-je pu succomber à la
Tentation de juger ainsi quelqu'un de moins bien que moi ?
Il est vrai, de ces lieux d'art plutôt marchand, je n'ai pas une image
Valorisante à vous offrir, ce qui eu été dommageable si j'avais voulu
Me faire reconnaître d'eux pour vendre mes tableaux, mais ce ne fut
Pas nécessaire, j'en été arrivé à me convaincre qu'il n'y avait aucune
Chance dans cette voie pour mon œuvre, alors, j'ai fait le choix de rejeter
Ce monde-là tout en bloc, considérant ma peinture comme de la peinture
Ayant un rapport avec mon âme, et non avec mon porte-monnaie.
Rue grenier sur l’eau
Un grenier sur l'eau. Image d'un film où de l'autre côté d'une rive se trouverait
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Une bicoque dans un jardin imaginaire plutôt japonisant, où l'on irait visiter un
Amant, une maîtresse, une ghesha, pour un moment décisif pour notre bien-être
Et donc celui de l'humanité. Seulement, si les mots peuvent nous faire rêver,
La réalité est toute autre. Dans cette petite rue du marais, il n'y a pour ainsi dire
Rien d'autre que l'école de commerce de mon adolescence. J'ai passé là mes trois
Dernières années dans un établissement scolarisant. De laquelle expérience,
J'ai tiré cette question existentielle fondamentale : ont-elles servi à quelque chose ?
Inquiétude non fondée, dans la mesure où je n'avais aucun choix comme souvent à
Cet âge-là, alors que plus tard, les choses évoluent, du moins en avons-nous
L'impression… Par contre, la seule évidence qui me vient maintenant,
Est d'avoir grandi de trois années de toute façon. Ce temps écoulé m'a permis
D'apprendre à survivre dans ce milieu hostile de l'école. Des profs de français,
De mathématiques, de commerce et de comptabilité, tous ces gens étaient mis à
Notre disposition par l'éducation nationale. En prime, nous avions la jouissance
D'une cour de récréation et les chiottes, terrifiants souvenirs, où lorsqu'on est malade
Comme je l'ai été tout le temps, il faut savoir négocier avec ces "maîtres" qui acceptent
Ou refusent de nous laisser quitter la classe pour aller chier tranquillement le trop
Plein de nos émotions. Bien qu'étant un élève très moyen, je me souviens
M’être installé au deuxième rang de la classe, donc tout près du lieu où les choses
Se passaient, je n’étais pas en retrait au fond de la pièce, mais devant.
Pourquoi ma position dans la classe a une importance aujourd’hui pour moi ?
Rue Geoffroy l’Asnier
L'école des filles faisait angle avec la nôtre. Elle se trouvait dans cette rue-là,
Pas ailleurs. En 1960, la mixité n’existait pas encore, alors les mecs bécotaient
Les nanas à la sortie. Je me souviens d’un prof pervers demandant à certains
Élèves trop entreprenant d’aller faire ça un peu plus loin. Tout près, il y avait
Une salle pour se déshabiller, je m'explique. Avant d’aller faire du sport, les élèves
Devaient se mettre en short. Il fallait donc un endroit pour cela et c’était là.
La porte était protégée par une grille pour éviter les effractions de je ne sais qui,
De je ne sais quoi. Seulement voilà, tout n'est pas rose dans l'enseignement.
J’ai toujours eu de très mauvaises notes à la gym. Quelques dizaines d’années plus
Tard, je compris le pourquoi de ces difficultés. J’avais une anomalie qui ne se
Devinait ni à l’oeil nu, ni autrement, mais elle m’empêchait de faire du sport
Normalement : mes releveurs étaient défectueux.
Les releveurs sont des muscles situés sur le devant du pied, entre la cheville et le
Genou. Sans ces bidules-là, vous ne pouvez pas marcher et faire du sport comme
Tout le monde. Aujourd’hui, sachant tout ça, dois-je faire un procès à l’Education
Nationale pour les mauvaises notes subies et les humiliations qu’on m’a infligées ?
Je n’insisterai pas trop là dessus, ayant déjà abusé pas mal de votre temps !
Le centre Pompidou
L’architecture du Centre Pompidou, je l’avais imaginée autrement, pas comme ça.
À l’époque je trouvais le parti pris d’une raffinerie de pétrole en plein centre de
Paris un peu à côté de la plaque, on était en droit de s’attendre à quelque chose
De moins agressif... Avec le temps, on s’est habitué, comme on s’habitue à tout.
On s’est adapté et au fond l’extérieur du bâtiment comptait bien sûr, mais le plus
Important était ce qui allait se passer à l’intérieur. Là, ce fut pour moi bien plus
Qu’un p'tit évènement, c'était un choc, un boum dans la tête. Ce lieu était génial
Par sa gratuité comme aux douches d'en face, ensuite l'immensité des choses à voir,
S’adressant à chacun de nous tous et surtout à ceux dont la culture n’a rien à faire
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D’eux et eux d’elle. Une porte ouverte avec des escalators pour monter au ciel et
En descendre quand on veut, pour le plaisir, rien que pour cela, ouvrir ses yeux,
Regarder partout, redevenir comme des enfants, faire comme eux, s’amuser de
Rien, de tout. Y aller sans se lasser, en profiter, faire des rencontres et jouir de
Vivre tout simplement. Toujours mes pas se dirigent dans ces mêmes lieux
D’expositions : rez-de-chaussée surélevé à droite de l'entrée principale, les
Quatrième, cinquième et sixième étage, avec ces grandes rétrospectives pas
Toujours, mais parfois bien faites. Je n'ai pas envie de faire un compte rendu
Des oeuvres vues depuis tant d'années, seulement je me dois de dire combien
Ces visites furent fondatrices de mon amour pour l'art et surtout la peinture …
Pourquoi le tairai-je, puisque c'est la vérité ?
J’ai absorbé l’ensemble des tableaux, j'ai intégré toutes les couleurs, comme un cannibale
Mange un ogre. Ensuite, plus tard, j’ai pu ressortir, vomir cette chose qui était en moi,
Cette bête immonde, en une oeuvre impressionnante. Grâce à elle, ma vie a un sens…
Bon, je vais me faire un thé maintenant, il est minuit.
On drague beaucoup dans les musées, le saviez-vous ?
Si à votre tour, vous désirez tenter votre chance dans une expo, évitez l’art brut,
Ce n’est pas là que vous risquez de faire la rencontre du siècle. Ceux qui regardent
Ces objets, sont généralement des spécialistes, je dis bien généralement, parce qu’il
Ne faudrait pas généraliser. Il peut bien entendu y avoir des exceptions, des fous,
Mais en général, ce sont de riches collectionneurs, pour la plupart vivant un
Appartement dans le septième arrondissement avec vue sur de magnifiques jardins
Intérieurs, calme et tout. Certains sont de bonnes personnes, de belle nature, sortant
De l’ordinaire, des personnes avec qui on passerait volontiers des heures agréables
À farnienter à la terrasse de brasseries à la mode, à bruncher, à parler de tout et de
Rien et pourquoi pas, de l'art brut, s'il le faut ?
Louise Bourgeois, au départ, je ne la connaissais pas. Je me promenais dans
Ce dédale d’œuvres d’art que tout le monde connaît à Beaubourg. C’était un
Dimanche, le pas un peu lent, tranquillement j'entre dans cette pièce, un tonneau
Gigantesque tout en bois, à l’intérieur duquel il n’y a presque rien,
Un lit métallique, deux, trois objets, de l'eau, un filet d’eau, et …
Cette impression étrange, évidente, la mort c’est ça, c’est comme ça !
Rue de Rivoli
« La joie de vivre » . Une boutique toute simple, mais moins poétique que son nom
Ne pourrait le supposer. On y vendait des frigos, des machines à laver et d’autres
Électroménagers, dont la télé qui commençait à accrocher pas mal les gens.
C’est là que j’ai fait mes classes dans le métier de la vente à domicile, après mes
Études. Comme je n’étais payé qu'à la commission, il fallait y aller. Alors,
J'y allais, avec mon cartable, celui de l'école, prospecter des immeubles récents,
particulièrement ceux des années 50/60, car ils offraient un ascenseur et
Beaucoup de portes à frapper pour un minimum d'effort et de temps passé. Mon
Patron et son épouse étaient tout petits, c’était ce qui les caractérisait le plus.
Sinon pour les affaires, j’ai dû en faire, pas beaucoup, un peu, mais j’ai laissé
Tomber ce job, pour me consacrer au métier d’acteur de complément.
Avant la Samaritaine, sur le trottoir de gauche de la rue de Rivoli,
Je me suis arrêté devant cet immeuble occupé par des squats. Dans un premier
Temps surpris, dans un second, je comprenais qu'ils y montraient leurs œuvres
D’art, exposées là comme des symptômes. Des hommes et des femmes, largués
Par la vie, ayant trouvé ce moyen pour se positionner dans ce bordel dans lequel
Nous sommes. Ce n'était pas la première expérience dans le genre, cette visite
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M'a rappelé cette extraordinaire installation du côté de la gare de l’Est, au
Couvent des Récollets, aujourd’hui récupéré par « l’Institution » avec un grand I.
Retour rue de Rivoli, il y a six ou sept étages à monter sans ascenseurs, déjà pour moi
C’est un exploit, d'autant qu’en haut il y a une fuite d’eau : le toit s’écroule.
À chaque étage, des gens donnent à voir leurs œuvres sur les murs, sur le sol,
Accrochées aux plafonds. Il y a de la violence, de la couleur, du dire explosif
Libérateur, et aussi le désir de montrer quelque chose d'anarchique volontairement.
L'expression de désordre de cet immeuble dans ce quartier vient contraster avec
Les boutiques de fringues de cette avenue parisienne.
Y a-t-il des points communs entre ces gens et les élèves de l’école des beaux arts ?
Ils sont jeunes et ne veulent pas entrer dans le moule social classique en vendant
Par exemple des chaussures ou des voitures, être employé de bureau ou je ne sais
Quoi d'autre, ce qu'ils veulent c'est être reconnus et comme cette demande de
Reconnaissance est insatiable, alors évidemment, ils en veulent à tout le monde.
La haine est la conséquence de l'insatisfaction.
Je me sens partagé entre la compréhension, la compassion et la désolation.
J'éprouve de la tristesse, car je sens avant tout de la souffrance là dedans, je sais,
Il y a pire dans ce monde, mais tout de même, ça me paralyse, car je suis impuissant
À changer quoi que ce soit. J’ai pensé, ils ne sont pas à leur vraie place qui est
Peut-être du côté de la politique.
Ne sont-ils pas les représentants des hommes qui vont mal ?
Qui les représente au Sénat, à l'Assemblée nationale ?
Place de l’Hôtel de Ville
Lorsque nous étions petits, ma mère nous amenait sur cette place où la pelouse verte nous
Attendait, et nous, pour remercier le Maire qui n’était pas encore Monsieur Chirac,
Nous donnions à manger aux pigeons de Paris. Nous arrivions avec le pain rassis sec que
Maman avait trempé préalablement la veille à la maison pour ne pas étouffer l’animal.
Nous formions avec nos petites paluches de gosses des boulettes de l agrosseur d’un
Pépin de raisin, surtout pas plus gros, histoire de faire durer le plaisir.
Nous n’étions pas les seuls à nous adonner à cette activité. Je me suis demandé si
Nous l'avions adoptée par bienveillance naturelle à l'égard de ces petites bêtes dont
On n'avait rien à faire, car dans ma famille ce n'était pas dans nos coutumes d'aimer
Les animaux, t'as qu'a demander à ma mère et tu verras.. ou si c'était tout simplement
Un moyen de se débarrasser du pain trop sec, car lorsqu'on croit en Dieu, c'est
Péché de jeter… À la vérité, voilà une occupation bénéfique pour la santé puisque
La tête est concentrée sur ce qu'elle fait et ne pense pas aux saloperies de la vie
Ordinaire et de nos jours encore, il m'arrive souvent, à la terrasse d'un restaurant,
De jeter par terre quelques-unes de mes miettes. Alors, pourquoi ne pas répertorier
Dans un livre sérieux tous les endroits où ce sport peut s’exercer librement pour
Le bien des hommes, des femmes, des enfants et des pigeons ?...
Quai de l’Hôtel de Ville
Vous avez fait vos courses au BHV et en sortant côté rue de Rivoli,
Vous ne savez quoi faire. N'hésitez pas un instant, traversez la grande place
De la rue Lobau, passez devant l'entrée arrière de la mairie de Paris et
Dirigez vos pas vers la Seine. Lorsque vous aurez traversé le quai sans vous
Faire écraser, penchez-vous et regardez la voie sur berges. Avant, cette voie-là
N’existait pas. Il y avait à la place un petit jardin où nous allions avec ma mère.
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Un simple square où elle amenait ses marmots jouer avec d'autres gosses du
Quartier, leur donner leurs casse-croûtes tout en parlant de tout et de rien avec
Ses copines du moment. Les péniches passaient et repassaient inlassablement
Plein de leurs marchandises. Nous fuyions l'exiguïté de la chambre de bonne
Que nous habitions alors rue Sainte Croix de la Bretonnerie ...
Mon Dieu, mon Dieu, je vais arriver à vous faire pleurer, moi aujourd'hui !
Rue de la Monnaie
Brunch au Kong.
Je ne sais pas si vous êtes brunchy, moi oui, je le suis et j’aime assez. J’en ai
Déjà essayé quelques-uns, de ces endroits branchés, dans ce Paris que j’aime
Et vous aussi, j'en suis certain. Les brunchs, on peut se les faire soi-même bien
Sûr, mais faut sortir de chez soi pour voir un peu comment c’est qu’ils font pour
Vous bruncher le dimanche midi, à pas moins de quinze euros par tête de pipe.
Il y en a une que je ne peux me priver de vous signaler, car c’est letop. Il est
Vrai, je me suis laissé tenté par la critique de Zurban. Je m'y suis pointé dans
Les premiers à douze heures quinze précises et, vers treize heures, vous,
Vous êtes arrivés en famille, entre amis et vous avez tous commandé le fameux
Menu à quatorze euros, signalé dans l’article du journal susnommé.
T’arrives. Y a un hall avec une hôtesse normale qui te regardent, tu passes,
Tu avances, tu prends l'ascenseur tout en verre, génial franchement, t’as rien
Payé encore, mais déjà t’es en condition pour. Mais pas d'état d'âme, ce n'est ni
Le moment, ni l'endroit. Appuyons sur le bouton cinq. Une fois arrivé, il faut
Prendre un escalier très étroit, si tu veux vraiment suivre à la lettre la visite
Conseillée dans Zurban. Là, c’est vrai, tu as l’impression d’être dans un Bateau
Avec la vue plongeante sur la Seine, c'est pas mal… Ne dites pas le contraire,
Vous l’avez fait aussi, le Kong, je vous y ai vu, alors, bon !
Un jeune homme me demande de redescendre et de voir l’hôtesse de l’étage
Inférieur. Moi je lui dis : je voudrais plutôt manger ici. Oui Monsieur, me dit-il,
Voyez avec elle. Je redescends l’escalier comme un con, ne voulant pas faire un
Esclandre, la queue entre les pattes et là je demande une table pour une personne,
Pour une personne seule… Déjà là on se fait remarquer, mais heureusement
Un garçon très aimable m'informe que là-haut tout est réservé, les gens vont
Arriver un peu plus tard, par contre, il reste encore cette table près de la fenêtre,
Vous va-t-elle ? Elle me va, Monsieur, elle me va, lui dis-je, ne soyons pas trop
Difficile, surtout lorsqu’on est Célibataire.
Petite remarque, on me donne souvent du « Monsieur » depuis quelque temps,
Je ne sais si je dois m’en inquiéter ? Passons, je m’installe.
Pourquoi suis-je venu ici ? Ils disaient du bien de la déco de Philippe Stark,
Vous vous souvenez comme moi du café Costes ! Ça, c’était quelque chose,
Mais là, je suis perplexe… Et puis, mon siège est tellement proche de la fenêtre
Que mon coude cogne sur une enseigne plastique avec la photo d’une pauvre
Chinoise façon Kenzo. Mais bon, tu es assis devant cette fenêtre,
La vie est belle, tout va bien, y’a rien à dire.
Y a rien à dire, mais tout de même.
J’étais prêt mentalement, physiquement pour un bon brunch, j’avais faim.
Seulement, lorsque je mis mon nez dans la carte, tout m’apparut si compliqué,
Alors, j'ai paniqué un instant, comme cela m'arrive trop souvent au restaurant.
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Rue Saint-Antoine
En 1958, à la sortie du métro Saint Paul, mon père tentait sa chance àla grande
Roue. Aujourd'hui encore ce genre de tombola existe toujours, malgré les lotos
Et grattages en tout genre. On y gagnait des kilos de sucre et il arrivait parfois
Qu’il vînt à la maison avec cinq paquets que ma mère mettait derrière la gazinière
Où nous avions une réserve pour y déposer l’huile, la farine, les boîtes de haricots
Verts et de petits pois. Après, le sucre a été remplacé par des bons donnant droit à
Des tablettes de chocolat, des paquets de bonbons et d'autres gâteries, puis à
De vilains nounours, de quoi vous dégoûter de jouer à la loterie pour le reste de
Votre vie. Mais enfin, soyons compatissant envers nos semblables et surtout à
L'égard d'un homme ayant bossé toute la journée et voulant un instant se détendre
Un peu le soir avant de rentrer chez lui.
Sur le trottoir allant du métro Saint Paul à la Bastille, il y avait deux cinémas.
Le premier, tout près de cette fameuse loterie, projetait principalement des westerns où,
Lorsque j'allais dans une école religieuse pour m'occuper les jours sans classes, on nous
Emmenait régulièrement voir des films plutôt que de nous faire chier avec des histoires
De la Bible, auquel je n'avais rien à faire…
Que Dieu me pardonne si je pèche en parlant ainsi.
L'autre cinéma était un Gaumont. Lui, donnait dans un registre plus sérieux. Un soir,
C’était la première de “Fortuna” et la première fois aussi que j'assistais à un tel
Évènement. Génial, un monde fou et bien habillé, j'avais mis mon nouveau pantalon
Gris tout neuf acheté pour l'occasion. Pour moi, cette salle était la plus belle de
Paris après celle du Rex où le ciel est bleu, avec des étoiles partout. Ce film avait
Bourvil et Michèle Morgan pour acteurs principaux, accompagnés de deux gosses
Dont Frédéric Mitterrand que tout le monde connaît, car il passe régulièrement à
La télé, mais là, il avait quatorze ans, mon âge.
C'était marrant de voir toutes ces vedettes en chair et en os. Je voyais pour
La première fois Rosy Varte, avec qui j’allais jouer dans Ubu Roi de
Jarry, monté pour la télévision par Jean Christophe Averty, en 1965 où j'allais
Être Ladislas, l'un des trois fils d'Ubu Roi.
Rue Saint-Benoît
L'humiliation.
Ca arrive, ça peut arriver à chacun de nous, ça m’est arrivé, rue Saint-Benoît.
Nous étions convoqués, mon épouse et moi, par la direction de l’école de notre fils.
Au premier étage, le directeur en personne nous a reçu aimablement pour nous
Dire des choses pas très agréables à entendre au sujet du travail très moyen de
Notre progéniture. J'étais paralysé, émotif comme jamais, je n’entendais plus rien
De notre conversation, cela me rappelait trop inexorablement mes propres échecs
Scolaires, impression de revenir vingt ans en arrière, impuissant face à ce pouvoir
Féroce lorsqu'on n'est pas du bon côté de la barrière…Et aussi, heureusement, pour
Me sortir du gouffre dans lequel j'étais, j'ai pensé à la libération qu’a représenté,
Pour moi, la fin de l’école, la fin du goulag.
Ma femme, elle n’a pas eu cette impression, il faut dire qu’elle est d’une famille
D’enseignants, alors elle distance, elle distance, mais tout de même, elle aurait
Préféré que son fils travaillât mieux, mais, enfin une mère, ça comprend.
Boulevard Saint Michel
Le jardin du Luxembourg. C’est là qu’au début d'un mois de juin d'une certaine
Année, je me suis installé confortablement dans un de ces sièges, mis à la disposition
De public, muni d'un cahier acheté dix minutes auparavant sur le Boul'mich.
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J'avais à écrire une lettre à mon fils. Tout ce qui était à dire fut mis à plat sur ces
Feuillets blancs avec une telle facilité, une dextérité, une aisance surprenante
De ma part. Je ne peux reproduire cette correspondance pour des raisons que vous
Comprendrez, seulement c’est elle le moteur de ce travail d’écriture sur Paris,
Ce qui est déjà pas mal !
Sinon, au jardin du Luxembourg, j’y vais très régulièrement pour dérouiller mes jambes,
Mais vous ne m'y verrez jamais faire un jogging : je ne peux plus courir.
J'y fais des photos, des films parfois, c'est un endroit idéal pour se promener et
Je me dis souvent : pourquoi partir en vacances et quitter Paris ?
Devant le Musée de Cluny, j'ai distribué en 1970 un prospectus aux passants.
J'avais le projet de créer un journal : " le journal des Inédits".
Je voulais rassembler en vue d'édition des textes d'inconnus et dont
Personne ne s'intéressait. J'ai eu quelques réponses, des écrits plus ou
Moins bien, mais étais-je à même de juger, moi qui n'avais obtenu de l'école
Que le certificat d'études primaires ? Je savais à peine lire, mais les mots
M'impressionnaient beaucoup. Le journal des inédits ne vit pas le jour,
Je ne savais pas deux choses : éditer est un métier et il faut de l'argent.
Rue de Médicis
J’ai longtemps fréquenté le café "Le Rostand" faisant face au jardin du
Luxembourg, le dimanche matin. Paris, à ce moment là de la journée, dégage
Une atmosphère de Nouveau Monde. Il y règne une certaine tranquillité avec
Les préparatifs du jour qui vient, des gens qui commencent à arriver calmement,
Impression de début de quelque chose, de nouvelle saison, de p'tits bonheurs.
J’y buvais mon café paisiblement, dégustant un croissant en regardant ces
Intellectuels dont j'avais l'impression d'appartenir tout en sachant bien que jamais
Je ne ferais parti de cette caste pour des raisons dont nous parlerons plus tard.
Après, j'allais faire quelques courses dans le quartier pour ma petite famille.
Sur le trottoir de cette petite avenue, la rue de Médicis, j'ai imaginé ces derniers
Jours, la fermeture de tous ces boutiquiers de livres et autres "balivernes"
Pour les voir remplacer par des restaurants avec terrasses, genre le Sénéquier à
Saint-Tropez… Quand j'ai des idées comme celles-ci, je me demande si ce n'est
Pas une envie qui passe ? Envie d'aller voir la mer, le soleil, la Côte d'Azur !
Rue Madame
Un jour, jefus invité chez lui.
La neige avait recouvert toute la ville de Londres, dimanche, Portobello Road...
Traverser ces petites rues, une journée entière à la recherche d'un café ouvert,
Puis marcher encore et encore. Une station de métro, Hyde park, petit déjeuner
Copieux, voir les Anglais se réveiller, discuter, ne rien comprendre, être étranger.
Dans le quartier chinois, une manifestation impressionnante envahit toutes
Les rues, guirlandes et poupées gigantesques, population joyeuse en fêtes,
Une note de vie et de bonne humeur se dégagent, un pur bonheur!
À la TATE GALERIE je me régale à la vue de certains tableaux du 19e siècle.
Paysages dessinés avec tant de finesse, de délicatesse, l'oeil s'approche et
Parcours les tableaux pour en retenir l'essentiel, absorbe les lumières et contourne
Les moindres détails. Les TURNER surtout, dont les couleurs jaillissent et crient
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Leurs formes insaisissables. Depuis, j'aime à me promener dans les musées, à
Se demander si finalement les artistes ne parlent pas à notre inconscient ?
Chez lui, il y avait dans la pièce, un plateau posé sur deux tréteaux,
Encombré de milles livres et objets divers, des kilims enroulés, posés à
Même le sol. L'appartement était très froid, un petit radiateur chauffait à lui
Seul ce logement, alors ma toilette fut rapide. Le lit était formé de deux
Matelas ordinaires superposés, d’épaisses couvertures de laine ainsi que de
Nombreux coussins aux formes bizarroïdes. Tout cela donnait à l’endroit une
Impression étrange pour qui aime les espaces zen, blancs et nus. Après le
Coup de fil, il sortit quelques livres et objets divers, fit quelques gestes
Et dit que son ami… l’homme des tapis… n’était pas bien.
Place de l’Odéon
En 1968, les universités étaient ouvertes à tout le monde, même à moi qui n'étais
Ni étudiant, ni ouvrier. Dans une salle de cours servant pour les meetings à Censier,
S’était formé un groupe de personnes franchement exaltées, qui, en fin de soirée
Ont décidé d'aller prendre le théâtre de l’Odéon. Je m’en souviens, il y avait en
Première ligne Laurence Bourdil, comédienne dont j'ai parlé et qui jouait dans
Lorenzaccio. Y avait-il derrière elle son ami du moment : le metteur en scène
Raymond Rouleau ? Je n’en sais rien, et puis ce n'est pas mon affaire, mais celle
Des historiens. Qui en avait après Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud ?
D'ailleurs, ils n’ont pas apprécié d'être foutu à la porte de leur maison comme
Des malpropres, et ça se comprend, envahir un théâtre, c'est pas pensable,
Seulement là si, à ce moment-là ce fut possible, les révolutionnaires vous savez,
Ont tous les droits. C'était ouvert jour et nuit, on prenait en permanence la parole,
Partout dans la salle et sur le plateau. Il y avait des réunions, des conférences
Improvisées, le bordel généralisé et moi j'adorais ça.
Rue Vaugirard
À chaque fois c’est la même comédie, la même frustration lorsque je passe devant
La porte de l’entrée des artistes du Théâtre de l’Odéon. Ce n’est pourtant pas grand
Chose, une porte, derrière laquelle vous avez une loge avec un concierge que l’on
Devine picoler un peu et sa femme en train de tricoter des chaussette pour les enfants
De la tante Lucienne, et, des hommes, des femmes, tous intermittents, comédiens,
Comédiennes, machinistes, électriciens, régisseurs, directeur de théâtre, metteurs
En scène et bien entendu des figurants comme jadis je l'ai été. Des gens, comme
Vous et moi, rien de plus, rien de moins, mais à chaque fois cette envie est là, fixe,
Récurrente : y entrer, y aller pour voir, revoir si c'était comme avant… Pourtant,
S'il m'était donné aujourd'hui de satisfaire ce désir quelque peu archaïque, je ne
Suis pas certain de vouloir accepter, ce n'est plus d'actualité.
Mais, reste en mon for intérieur, comme dit mon Amélie chérie (voir annexe) qui
Ne pense qu'à une seule chose actuellement, c'est de boucler son prochain bouquin
Pour Albin qui trépigne d'être en retard, toujours la même histoire, toutes les
Années, il nous fait le coup, on ne peut pas vivre tranquillement, elle et moi.
Bref, il y a toujours ces traces d'un temps passé, ce résiduel où la frustration d'hier
S'est incrustée dans notre cerveau à tout jamais, nous rendant plus son esclave qu'on
Ne l'imagine. Mais laissons de côté la psychanalyse pour l'instant...
Rue de l’Observatoire
Deux petits mètres carrés de rien du tout dans un renfoncement d'un immeuble de
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Briques, d'une université je crois, où est posé sur le sol un matelas usagé et quelques
Affaires repliées d'un SDF qui viendra passer la nuit là. Des endroits comme celui-ci,
Il y en a des centaines à Paris. Parfois je me propose d'essayer de me mettre à leur
Place, histoire de voir comment c'est, mais cela relève tellement de l'indécence !
Pourquoi ai-je donc ce genre de questionnement ?
Je trouve tout cela inhumain, inacceptable de la part d’un pays comme le nôtre,
Si riche, si bien portant. Je suis conscient qu’ils sont un peu leurs propres metteurs
En scène, et qu’ils doivent, au nom de la liberté, à ce jeu, y trouver quelques avantages,
Et comme disait Bruno Bettelheim, les malades mentaux profitent des bénéfices
Secondaires à leurs maladies… D'accord, mais pourquoi n'y a-t-il pas la volonté de
Trouver des solutions plus réparatrices, autre chose qu'un lit pour une nuit ou un
Repas pour l'hiver ? Alors, je milite devant mon clavier pour cette cause :
Plus jamais un seul homme sur le bas côté de la route.
Les hommes politiques sont coupables de ne pas remédier à ce mal. Ils méritent
Tous une baffe dans la gueule, bien que n’étant pas un violent, ma colère sur ce
Point n’a pas de limite. C’est pourquoi je demande pour chacun de ces hommes et
Ces femmes, un logement de 15 m2 par personne et un salaire de 600€ par mois.
Rue Saint-André des Arts
Vous qui passez par là sans le savoir, sachez qu'au-dessus du cinéma
Le Saint André des Arts, avant, il y avait un hôtel et il me faut vous raconter
Confidentiellement ce qui m'y est arrivé et ne peut pas vous arriver à vous,
À cet endroit précis puisqu'il est fermé maintenant.
Au premier étage vous avez de toutes petites fenêtres et si vous levez la tête
Vous les verrez. Elles sont toujours là, histoire de me narguer, me faire un clin
D'œil chaque fois que je passe devant. Chiotte !
Elle et moi, nous y sommes allés pour notre première nuit d’amour. Pas de
Chance, vraiment pas de bol, en pleine action, des flics sont entrés dans la
Chambre sans avertir, pour je ne sais quelle raison, voir si tout se passait bien...
Moi, ça m’a traumatisé... J’en fus quitte pour une psychothérapie Adlérienne
Avec le docteur Schaffer de la rue des Archives et un mariage avec
Consentement mutuel, rue du Bourg Tibourg.
Rue du Vieux Colombier
Au théâtre du Vieux Colombier, là où Jacques Copeau et Louis Jouvet ont fait leurs
Armes, bien avant que la Comédie Française ne mette son grappin dessus, moi,
J’ai suivi des cours d’improvisations. Je le rappelle pour ceux qui ne le savent pas
Encore, j'ai fait du théâtre dans mon jeune temps. La misère régnait solidement dans
Cette maison. Ça faisait pauvre partout là-dedans. L'administration se plaignait de
Manquer d'argent pour faire tourner normalement cette grosse machine.
Je le compris plus tard, l’état n’aime pas financer les petites salles, elles n'ont pas
Le fameux retour sur investissement que nous a enseigné Bernard Tapie,
Comme ces mégas théâtres prestigieux où le peuple peut en masse se rassembler,
J'allais dire se reproduire… Pourtant, les petits théâtres, ce sont des lieux
D’expérimentation formidable. Celui-ci vivotait, la salle était délabrée,
Hors des normes de sécurité, certes, mais il y avait des gens qui y croyaient.
Il s’y passait souvent des choses très intéressantes.
De ces quelques mois de cours, je me souviens de peu de choses. On allait
Boire un verre après, à la terrasse du café qui fait l’angle avec la rue de Rennes.
J’ai connu là le fils d’André Reybaz. Le père, je me souviens l’avoir vu dans
“Le joueur” de Dostoïevski, grand comédien que personne ne connaît aujourd'hui,
Ce n’est pas grave, le théâtre c’est éphémère, comme la vie et les installations de Christo.
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Pont neuf
Avec son pont Neuf, Christo a révolutionné l'histoire de ce pont, emballé
Qu'il fut avec de la toile de bâche. Ce symbole protecteur avait-il un rapport
Avec la "Capote du Sida" ? Seul l'intéressé pourra nous le dire franchement.
Les familles y allaient toutes. C'était la promenade de tous les instants, le
Monde affluait de toute part, même les touristes ne pouvaient y échapper,
Il fallait marcher dessus pour se rendre à pied ou en voiture de l'autre côté de la
Seine et aller faire son shopping à la Samaritaine ou descendre l'escalier menant
Aux bateaux-mouches pour voir Paris sous un autre angle et vivre un moment
Romantique exceptionnel dont nous sommes tous si friands.
L'aspect éphémère de l'œuvre réveille en moi cette tendance toute personnelle
À être un peu triste de savoir qu'il va y avoir une fin à quelque chose de bon…
Plus je vieillis, plus je comprends, mais quand même !
Rue duCherche Midi
Il était zen, mon baisodrome, au cinquième étage. Un studio de 15 m2 avec le
Minimum de choses pour vivre, rien d'accroché aux murs, deux fenêtres neuves,
Je m'en souviens, c'est moi qui les ai changées. J’étais heureux de retrouver une
Nouvelle jeunesse, un nouveau cocon entre Montparnasse et Saint- Germain-des-Près.
Je sortais tous les soirs et me couchais toujours très tard. Le matin, je n'avais pas
De problèmes, j’étais mon propre patron, j’allais à mon bureau vers midi…
Il faut oser changer sa vie quand c’est le moment, car sinon on risque d’être
Malheureux jusqu’à sa mort, alors que moi, je peux mourir à cent ans, ça m’est égal !
Rue Mouffetard
“La maison pour tous” était le nom marqué devant la porte d’entrée, mais
On l’appelait “la Mouffe”, ce n’était pas une fille de joie, mais un théâtre,
À la fois maison de la jeunesse et de la culture dans la pure tradition d'un dénommé
Malraux et salle de spectacles où se donnaient des pièces originales pour public averti.
Je l’ai connu en 1964 par Claude Berthelot, assistant-metteur en scène de Raymond
Rouleau, déjà nommé. Claude administrait cet endroit, les bureaux étaient au
Cinquième étage et j'y Allais passer mes après-midi pour faire pas grand-chose :
Grandir un peu.
Là, en 1966, j’ai joué dans une pièce de Raymond Bantze, montée par Ram
Goffer, illustres inconnus. "Job ou l’anneau d’or" en était le titre et j’y jouai le
Rôle du Serviteur souffrant : une blague, lorsqu’on sait combien la souffrance et
La maladie m'ont tenaillées le corps par la suite...
Peu importe, il n’y avait personne dans la salle, ce fut un fiasco, je ne sais même pas
Si le spectacle était bon ou mauvais, mais pour moi ce fut le dernier, car il m'a fallu
Gagner ma vie par la suite… ce qui n’est pas évident dans le domaine du spectacle.
J’ai l’impression de faire des rédactions comme à l’école.
J’ai passé l’âge me direz-vous,
Certes, mais enfin… moi j'aime bien.
Rue des Canettes
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Dimanche dernier, je suis passé devant et j'y ai repensé. C'était il y a quelques
Années, nous avions rendez-vous dans cet hôtel de luxe, pas dans une chambre,
Mais au rez-de-chaussée, dans un salon de thé très chic avec jardin, véranda et tout
Le toutim. Il voulait parler avec moi, avoir mon avis sur une rencontre qu’il avait
Faite, une femme, savoir s’il pouvait envisager quelque chose ?... Après notre
Discussion et quelques mois écoulés, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
Dois-je en être fier ou me sentir coupable ?
Rue Auguste Comte
Ce n'est pas un regret,
Mais au lycée Montaigne, je n’y suis jamais allé...
Rue du Mont Thabor.
Au milieu des années 50, mon père avait trouvé son premier emploi dans une
Cordonnerie orthopédique située dans cette rue. Je me souviens qu’il se plaignait
D’avoir été exploité au maximum par ses patrons et du peu d’argent dont il disposait
Pour se nourrir. Il avait pris l'habitude d'apporter, pour manger le midi, du pain
Et du chocolat, alors que ses collègues ouvraient de grandes gamelles qu’ils
Réchauffaient dans un coin de l’atelier. Il éprouvait de la haine lorsqu’on se moquait
De lui et de sa maigre pitance. Soit dit en passant, je le soupçonne bien aujourd'hui
D’avoir pris son pied de cette situation où il faisait jouer aux autres le rôle de “riches”
Et à lui celui de “pauvre”…
Avec le temps, dans cet atelier il était arrivé à se faire des copains et ils s’amusaient
Tous à un jeu que je peux dévoiler sans remords, il y a prescription... Lorsqu’une
Jeune femme entrait dans la boutique, que le patron y était absent et si, elle voulait
S’acheter une paire de chaussures sur mesure, car ses pieds étant un peu hors-norme,
Il fallait qu’elle donnât ses empreintes pour préparer le modèle qui allait ensuite
Servir à la fabrication du soulier. La jolie personne de sexe féminin, l'idiote,
Devait se mettre debout sur un socle, une glace sans teint, appareil semblable à
Un pèse-personne en plus grand. Pendant ce temps là, qui durait, durait, durait
Les loustics descendaient à tour de rôle au sous-sol et regardaient les dessous
De la jeune femme à travers cette glace piège.
Conclusion : les hommes sont tous les mêmes !
Dans un de ces immeubles Haussmanniens bien bourgeois, j'allais deux fois par
Semaine faire des écoutes à SOS Amitiés, de 1989à 1991. Je m’y rendais souvent
Le soir après mon travail, les séances duraient généralement de 4 heures et j'appris
À écouter autrui autrement... Là, nous étions confrontés à la parole de l’appelant
Qui pouvait être aussi notre propre miroir, mais aujourd'hui,
Je reste perplexe face à cette démarche.
Rue Castiglione
Vous pouvez très bien si vous le désirez et si vos pas vous y mènent,
Entrer librement à l’hôtel Intercontinental, vous promener dans le
Jardin intérieur un peu rétro, plein de charme, parcourir les longs
Couloirs desservant les salles de réception, les salons, les bars qui vous
Tendent les bras, des water-closets luxueux, gratis, toujours propres
Avec petites serviettes individuelles... Un pur bonheur que ce genre
D’endroit, ouvert à tous, à la seule condition de faire comme si vous
Étiez un habitué des lieux. Ainsi, après cette première expérience,
Vous pourrez visiter tous les grands hôtels parisiens, c’est d'un pratique
Fou pour les commodités et beaucoup plus confortable que les WC
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Ordinaires des vulgaires bistrots où on vous regarde de travers si vous
N'avez pas commandé une boisson avant d'aller vous soulager au sous-sol.
Place Vendôme
Allons tous en cœur faire pipi à l’hôtel Carlton. En bas, au sous-sol, il y a,
Paraît-il, une piscine où l'on peut prendre un brunch, le dimanche midi, sur
Une terrasse donnant directement sur des bonnes femmes argentées faisant
Giligili dans l'eau chauffée, filtrée de la Seine. J'en ai vu des photos, c'est le
CLUB MED en mieux, faudra essayer ce truc un jour avec un ami ou tout seul,
Avant mon installation définitive dans une maison de retraite, car à partir de
Ce moment-là, je ne sais pas ce qui me sera autorisé…
Il n'y a pas plus triste que d'être en permanence dans ces ghettos où le luxe
Ne fait que mettre en relief la misère de la connerie humaine. Et d'abord,
Quel intérêt y a-t-il à être riche et à fréquenter ces lieux-là ? Et puis,
Cet argent d'où vient-il ? Au détriment de qui est-il le complice ?
Ces questions fondamentales me tournent la tête.
Place André Malraux
À la Comédie-Française, le régisseur était un vieux pervers, je ne sais pas
Ce qu’il me voulait exactement, j’avais pas dix-huit ans…
Un jour, il s'est présenté chez moi en personne déposer une convocation
M'informant des dates de répétitions au sujet d'une pièce où j'avais à traverser
La scène sans me casser la figure. Ma mère l'a reçu pas spécialement aimable
Pour deux sous, car pour elle, les gens de théâtre… Ce n'était pas très net dans
Sa tête à ce sujet. Elle a pris la convoc. et lui, il n’est jamais plus revenu,
Je ne saurai jamais pourquoi. Je me souviens du titre, Donogoo de Jules Romain.
Et puis dans cette grande maison, j'ai fait aussi une apparition dans le Cid de
Corneille. C'est à peu près tout,
À la vérité, je n'ai pas fait carrière à la Comédie Française.
Avenue Franklin D. Roosevelt
Théâtre du Rond-Point
Jean Michel Ribes, auteur, metteur en scène et directeur du théâtre, nous
Présente son spectacle " Musée haut, musée bas " dans la pure tradition de ses
Emissions " Palaces », vues et revues à la télévision, pour la grande joie de ses scribes.
Il a donc écrit cette pièce sur la vie d'un musée, de ce qui s'y passe à l'intérieur,
Mais, en fait, il n’en est rien. Si vous lisez les critiques ou écoutez ses interventions,
Personne ne fait état du réel sujet de la pièce…Alors, permettez-moi de vous
Donner ma version, en toute subjectivité. Ce musée, dont il nous raconte l'aventure,
N’est pas un musée, mais un théâtre, le sien. Il nous fait part de ce qu’il vit tous
Les jours, c'est presque un journal de bord, un constat. Ce qu'il nous montre est un
Rêve, pire un cauchemar et son objectif est de nous divertir avec, ce qui est le
Comble. Qu’y a-t-il de plus déprimant que de voir quelqu’un gesticulant pour nous
Amuser avec son désespoir ? C’est le cas chez lui, tout le monde sort de là
Bien content : ils ont bien rigolé. Mais je ne lâcherai pas ma plume avant
D’avoir analysé, un peu, ce qu’il nous jette à la figure.
Dans la réalité de sa vie quotidienne, il est confronté aux êtres humains, et à
Tout ce qui va avec, surtout lorsqu'on a le pouvoir, c'est à dire empêtré jusqu’au
Cou dans « son théâtre », du matin jusqu'au soir, comme un concierge !
Alors, parler ou écrire de ça paraît difficile, il est trop dans l'action, trop in situ
Et n'a donc pas le recul, la distance nécessaire. Néanmoins, comme tout cela
Doit sortir d'une manière comme d'une autre, il va donc pour explulser le mal,
Chercher et trouver un substitut au théâtre, il choisit le musée et au lieu de nous
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Présenter "Théâtre haut, théâtre bas" nous avons "Musée haut, musée bas".
Comme par hasard, ce lieu théâtral est composé d’une grande salle et de deux
Petites. La première, "en bas", est celle, honorable, où se jouent sa pièce et les
Spectacles des grands de ce monde du spectacle, histoire de faire l’argent
Nécessaire à la bonne marche de l’entreprise. Et puis "en haut", vous avez deux
Bons petits théâtres affectés aux « p'tits nouveaux ».
Jean Michel Ribes nous parle de la peinture et des rapports qu’entretiennent les gens
Du musée à l'égard des maîtres et de leurs toiles… Moi, j’entends surtout la voix
De ce gardien de théâtre, avec ces " Vieux Acteurs Renommés", qu’il engage,
Pour faire venir du monde, des bourgeois… Tu n’as qu’à voir le restaurant d’en bas,
Impossible de se nourrir pour moins de trente à quarante euros. Où est le temps
Où on allait manger un sandwich au théâtre de la Ville pour quatre sous ?
Pourquoi a-t-il du mal à nous montrer les hommes et les femmes qu’il côtoie
En permanence ? Pourquoi est-ce si difficile de s’impliquer à fond dans la
Dénonciation des difficultés de sa fonction, car c’est bien de cela dont il veut nous
Parler ? Quel danger y avait-il à parler ouvertement de ce qui le tracassait comme
Dans le fauteur d'un psychanalyste ? Quelle peur bloquait cette confidence plus
Proche de sa réalité ? Il aurait mis sur la scène, les jeux et les enjeux du théâtre
D'aujourd’hui… Un nouveau débat pouvait s’ouvrir…
Il a préféré qu’il en fût autrement, sacré Jean Michel Ribes.
Quelques jours avant ce spectacle, j’avais assisté à "L'Amélioration" de David
Lescot avec Scali Delpeyrat pour acteur, dans une de ces petites salles où je ne
Te dis pas le bonheur dans lequel j’étais pendant et après la représentation.
Après le spectacle, j'ai eu la chance, de rencontrer toute l’équipe de la pièce.
Je leur disais avec fougue et enthousiasme tout le bien que je pensais de
Leur travail et nous avons pu échanger quelques mots sur tout et sur rien, en
Buvant quelques verres de coca-cola au bar…
C'est pour ça que je suis rentré tard ce soir-là.
C’est quoi la fonction du directeur de théâtre ? Est-ce de faire venir un
Maximum de gens, de remplir les salles, de faire du chiffre d’affaires comme
N’importe quel commerce, de divertir ? Ou est-ce avant tout de faire un choix
Des choses qu’il est important de montrer aujourd’hui, parce qu'il est encore
Temps, de faire voir ce qu'il y a de meilleur ou d'expérimental ?
Si le spectacle de Ribes avait été bon, j’aurais été satisfait et aurais classé l’affaire,
Et il n'y aurait pas eu ce discours. Ce n’est pas de la mauvaise foi de ma part, mais
C’est ainsi que je fonctionne.
Quai Branly
Ils viennent d'ouvrir à Paris, le long de la Seine, sur le quai Branly-branlette,
Situé sur l'un des trajets le plus touristiques du monde avec cars et bateaux-mouches
À tickets forfaitaires, sans oublier les sourires d'hôtesses en prime. Ils viennent donc
D'inaugurer un musée pour montrer tout ce qu'ils ont en stock des objets pillés ou
Acquis, ce qui revient à la même chose, tout au long de leurs pérégrinations au long
Des siècles, à travers le monde et particulièrement des contrées les plus pauvres,
Des peuples les plus faibles, les plus démunis… En y allant, vous apprécierez
Cette architecture magnifique, le jardin paysagé et surtout la terrasse de la
Cafétaria. Seulement, qui sommes-nous, nous les Occidentaux, avec nos concepts,
Nos valeurs, notre culture et l'idée qu'on se fait de l'art en général et son tralala à
Embobiner tout le monde ? Je suis volontairement provocateur, mais quel autre
Moyen ai-je pour essayer d'y voir un peu plus clair dans cette sale affaire ?
Rue de Valois
Il y a là un hôtel pour fonctionnaires. Mes beaux-parents étaient profs. et
Lorsqu'ils venaient de leur province à Paris pour faire une cure de cinéma
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Ou la visite des musées, c'était là qu'ils se posaient. Ma belle-mère est décédée
Maintenant il y a quelques années. Je m’en suis voulu de n’être pas allé à son
Enterrement. Je ne l’avais pas vu depuis plus de dix années, toutefois j’avais de
Ses nouvelles par mon ex-épouse, sa fille.
Je veux lui rendre hommage ici, si vous le permettez.
C’est elle qui, un jour, prit l’initiative d’une visite familiale à la FIAC
(Foire Internationale d’Art Contemporain). C’était la première fois que j’y mettais
Les pieds. Toutes ces oeuvres folles étaient exposées à notre regard comme des corps
Mis là nus, sans tabous. Explosion de l’imaginaire des artistes matérialisé par des
Formes et des couleurs si nouvelles à nos yeux, nous vivions tous cela comme une
Fête sans limites. Je fus conquis immédiatement.
Cette exposition m'initia à l'art contemporain et à la peinture en particulier,
J'en avais pris mon parti en devenant plus tard, peintre moi-même.
Rue du Louvre
Un homme se présentait régulièrement à la maison tous les fins mois et ma
Mère, la sainte femme, lui donnait de l’argent contre des bons de la Semeuse
Qui lui permettait ensuite d'acheter tout ce qu'elle voulait avec son propre argent…
Les bureaux de la Semeuse existent toujours dans cette rue du Louvre et je me
Demande vraiment à quoi et à qui cela peut encore servir ?
Ce doit être parce qu'il y a toujours des zozos comme ma mère sur terre !
Boulevard du Temple
À deux pas de la place de la République, l'ancien théâtre le
Dejazet s'était transformé en cinéma pendant un certain temps.
À l'époque, je me reconstruisais une nouvelle vie, après celle,
Très normale, d'un homme vivant dans une famille tout ce qu'il y avait
De plus standard. Tous les jours, en permanence, défilaient en boucle
Des films non-stop sur le thème de la musique. J'y ai passé des heures à
Écouter et à voir dans cette salle vétuste, les plus grands groupes qu'il
Existait sur cette terre de merde. Ça crachait un maximum de sons à vous
Arracher les tympans bien avant l'arrivée de l'ipod, je vous dis pas, mais
J'avais besoin de me défaire de la réalité, alors là, c'était parfait, j'avais mon
Compte. Je découvris un Dieu de la musique, Bob MARLEY.
Il y a quelques jours, je le comparais à un autre Dieu, celui de la peinture,
Jean Michel BASQUIAT… Mais n'allez pas imaginer que je sois croyant…
Quelle horreur ! Je suis tout le contraire, que Dieu me préserve !
Rue du Faubourg Saint Honoré
Me réveillant un matin avec l'envie d'aller voir de la peinture, je pris le journal
Et vis la photo d'un jeune mec que je ne connaissais pas, Jean-Michel Basquiat.
Merde ! C’était une galerie, je n’y vais jamais, mais pour ce coup, je n'avais pas
Le choix, du Basquiat, y en avait pas dans les musées de Paris, nous étions en 1989.
Ce jour-là, face à cette œuvre, tout de suite je compris qu'il y avait eu quelqu'un
D'autre que moi ayant été confronté à l'essentiel en passant par le médium de la
Peinture (sic). Vous sautez au plafond, et la modestie, qu'en faîtes-vous ?
Du tac au tac, je vous réponds : la modestie est l’apanage des imbéciles (re-sic).
Basquiat est sans conteste le plus grand de tous les artistes d’hier et
D’aujourd’hui. Il a absorbé tous les malheurs du monde pour tout recracher sur
Ses toiles. Après, il est mort à vingt-huit ans, bêtement d'une overdose, quel con !
Des gens dans le privé, pas vous, pas moi, ont des œuvres d’art d’une
Valeur inestimable, des millions de francs, d’euros maintenant.
En 1996, ils les ont mises à la disposition du Musée d’Art Moderne
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De la ville de Paris pour une expo méga monstre, digne des plus belles,
Car les « privées », vous savez, ça sait de quoi ça parle, les arts, faut
Pas leur en raconter. Oui, mais où veux-je en venir avec ce discours ?
À l’époque, et même aujourd’hui, je trouvais intéressante l'idée selon laquelle
Toutes les œuvres actuellement stockées dans les sous-sols de nos musées
Nationaux soient vendus à des particuliers, pour financer les jeunes artistes
Et maintenant je dirais volontiers à venir en aide à tous nos SDF, avec
Obligation pour ces nouveaux propriétaires de les mettre à la disposition
Des musées, pour les monter au public, gratuitement.
En face, au musée Galliera, j'y ai vu récemment Sylvie Vartan nous montrer
Ses robes de scène, ses bigoudis et les images de sa jeunesse, de sa gloire passée
Auquel elle s’accroche terriblement comme une gourde.
N’a-t-elle donc pas compris qu’il fallait passer son chemin, qu’elle avait peut-être
Autre chose à faire, ailleurs. Où ? je ne sais pas, mais ailleurs. Elle a quoi à
Prouver, encore ? Si elle nous montre ses frasques, est-ce pour s’en débarrasser ?
Se vider en montrant, se vider à s’en rendre malade. Peut-être n'a-t-elle fait que
Cela toute son existence, cacher sa vraie peau pour nous montrer à nous, pauvres
Spectateurs cannibales, cette tarte à la crème aux marrons comme si ça nous
Concernait... Pourquoi je vous parle de tout ça ? Est-ce le fait d'avoir
Entre les mains le livre de Didier Anzieu, " Le moi-peau " ?
Place de la Sorbonne
Mai 1968. Une foule extraordinaire, là plantée sur le macadam, à ne faire
Qu'une chose, parler, parler, parler. Je me souviens de l'intervention de
Jean-Paul Sartre dans l'amphi de la Sorbonne, j'y étais ce jour-là, il disait être
Trop vieux pour aller sur les barricades, mais invitait énergiquement tous les
Étudiants, les ouvriers à se rassembler pour faire la révolution.
Sacré Sartre, encore une fois il m'avait séduit, mais cette fois-ci, c'était
En chair et en os. J’avais vingt et un ans. J'étais, comme je vous l'ai déjà dit,
Employé de bureau, aide-comptable, premier échelon et travaillais dans
Une entreprise tenue par un couple, les Martin, dont le mari était un industriel
Polytechnicien d'extrême droite, même qu'ils se foutaient des torgnoles pas
Possibles lorsqu'ils n'étaient pas d'accord… Mais j'en reparlerai une autre fois,
Au moment opportun. Je pouvais donc entrer librement dans ce temple de
La culture. À l'intérieur de moi, j'avais le fameux sentiment d'infériorité
Universel avec mon modeste Certificat d'études primaires, pourtant eu en toute
Légalité, mais ça ne suffisait pas à calmer cette frustration de ne pas être
Quelqu'un d'autre...
La population à l’intérieur comme à l'extérieur, était composée principalement
D’étudiants et de professeurs. Il y avait aussi le tout venant, ceux qui étaient pour
Et ceux qui étaient contre cette révolte. Il y avait de la fougue sur les trottoirs,
Tout le monde pouvait l'ouvrir, on pouvait même dire des conneries si l'on voulait,
À l'époque, ça n'avait aucune importance !
En mai 1997. Première sortie après une intervention chirurgicale béton.
Vivant à Chartres, j'avais rassemblé toutes mes forces pour me rendre en voiture
A Paris. Le programme était motivant, des Sartriens invitaient Julia Kristeva pour
Nous parler de Sartre. Je fus terriblement déçu d’entendre la diva faire son exposé.
Parler un tel langage incompréhensible, ou pire, adressé uniquement à quelques-uns,
N'est-ce pas le meilleur moyen de sélectionner les gens à la base ?
Comment voulez-vous que les choses puissent évoluer si l’on ne commence
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Pas par çà, essayer d'être clair. Ne soyons pas démagogues, mais enfin, soyons
Raisonnable, quel plombier-électricien-maçon-peintre, peut comprendre ce charabia ?
Vous vous en foutez, il n’y a pas d’ouvriers à la Sorbonne. Certes, mais tout de même
Madame Kristeva… Je crains fort que vous n’ayez de mauvaises influences avec ce
Monsieur Philippe Sollers…
Rue Gay Lussac
Dix ans après notre mariage, j’éprouvais le besoin pour la première fois, lors
D’une “Crise de couple” de prendre du recul, d’avoir un endroit pour m’isoler du
Reste du monde. J'avais acheté rue Gay Lussac, au sixième étage, cette chambre
De huit mètres carrés avec les WC et l’eau froide sur le palier. La vue donnait sur
Le ciel et j'y avais mis un lit, un frigo, c’était tout, je crois. J’y allais rarement,
Presque jamais à vrai dire, c'était triste à mourir, alors, je m'en suis débarrassé
En la revendant avec un p'tit bénef.
Rue del’Epée de Bois
Le théâtre de l’Epée de Bois n'est plus là depuis belle lurette. Il y a maintenant
Une crèche à la place, c'est plus pratique pour les parents qui habitent et travaillent
Dans le coin, elle fait l' angle avec la rue Mouffetard. Mais quand c'était un théâtre…
On a vu tout ce qu'il y avait de plus vrai, pas "pose ton cul sur la commode chérie".
On y a vu Grotowski et les marionnettes du Moumenkrantz, le Bread and Poupet
Donnant même en guise d'ouverture à leur spectacle un morceau
De pain à tout le monde, de la main à la main, tout un symbole. Et aussi
"Notre petite ville” de Thorton Wilder monté par Raymond Rouleau où
Je devais jouer le premier rôle, mais le destin ne l'a pas voulu. Que voulez-vous !
Il y a eu le fabuleux "Eva Péron" de Copi monté par Alfredo Arias, plus ..
Plus tous les autres. J'étais ce qu'on appelle un ami du théâtre, toujours là, présent
Un peu partout et nulle part et à l'évidence, j'avais l'impression d'être aimé !
Avenue de Suffren
Vers six heures du matin, je suis parti.
J’ai dévalé les sept étages de son immeuble et je l’ai laissé seul, récupérer
Son lit qu’il m’avait donné pour dormir par terre. J’étais surpris de ne pas
Me voir triste après ce moment passé ensemble et dont la joie était si absente.
J’acceptais mieux maintenant ce genre de situations désagréables. Ils ne
Me détruisaient plus comme avant... J’éprouvais maintenant, après coup,
Le besoin de marcher pour m’aérer et purger sa souffrance récupérée par
Osmose, par empathie, m'en défaire, me retrouver en respirant tout
L'oxygène de ce jardin du Champ de Mars, si désert en cette heure matinale.
Cette chambre, la sienne, je l’ai toujours beaucoup aimée. Elle était le
Symbole d’un minimum vital idéal. Il y avait ce qu’il fallait pour vivre, un
Coin-lit, un coin table, un coin lavabo, un coin rangement et les waters
Sur le palier, heureusement le couloir était peu habité. Me faisait-elle penser à
Cette chambre mansardée de la rue Sainte Croix de la Bretonnerie où à celle de
La rue Gay Lussac ? Réveillait-elle en moi ma tendance à chercher la solitude
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Pour trouver un peu de tranquillité ? Elle n’avait pas de lucarne, comme c’est
Souvent le cas à Paris. Elle avait une grande porte-fenêtre donnant sur un
Petit balcon donnant sur les arbres de l’avenue de Suffren et l’hôtel
Hilton situé juste en face. Bref, lui habitait une simple chambre d’étudiant et
Moi un appartement dans un château. Nous étions tous deux dans une telle
Différence quant aux lieux où nous vivions, quant à l’âge aussi, mais reste
Aujourd'hui encore et plus que jamais ce lien si important pour lui comme
Pour moi : notre amitié.
Rue Daunou
le 20 avril 2006
Hier, je suis sorti, je voulais aller au restaurant.
Vers dix-huit heures, je me suis garé dans la rue Daunou juste à l'angle de
L'avenue de l'Opéra. Une heure de parking, trois euros. J'ai toujours deux cartes
Pour ça dans mon portefeuille, pas la peine de subir une contravention, d'autant
Qu'elles sont maintenant à payer obligatoirement, car ils veillent sur nous :
Ça leur rapporte gros et ne leur coûte presque rien. Heureusement, après dix-neuf
Heures, vivre à Paris est gratuit, mais ne le crions pas trop fort, ils risqueraient de
Nous entendre et donc de nous pénaliser. Bref, je mets mon ticket fiscal sous mon
Pare-brise et me sens libre d'aller où bon me semble, c'est à dire chez Fragonard le
Parfumeur, m'acheter une savonnette que je pourrai me l'avoir moins cher dans
Mon Intermarché et comme je suis, avouons-le, un peu snob, c'est un peu con,
Mais c'est la vérité, surtout ces jours-ci où je me décide pour la unième fois à lire
Proust avec sa recherche éperdue de je ne sais quoi, alors qu'il est mort
Depuis au moins un siècle. Une savonnette… en réalité, je mens, j'ai honte :
J'ai pris une boîte tout entière, avec plein de parfums à l'intérieur.
Dans la même rue, en face chez Old-England, pour épanouir mon snobisme
Jusqu'au bout, j'ai gravi les marches de l'escalier pour me prendre quelques
Thés de chez "fortnum and mason". Par maniaquerie obsessionnelle incorrigible,
Il me faut toujours dans ma cuisine un certain nombre de boîtes pour avoir
Cette impression du choix, calmant mon angoisse de mort comme dirait notre
Ami Freud. Celui que je préfère c'est le Yunnan, mais je rêve souvent
D'en découvrir un qui viendrait supplanter tous les autres… Voilà
Comment se passent les choses dans la tête d'un adolescent ayant
Pris de l'âge et des mauvaises manières d'intellectuels. Bref, je
Prends cent grammes de Ceylan, tout un ramdam, une première vendeuse
Me présente le produit, une seconde me le met dans un sachet, une
Troisième m'accompagne du premier flor au rez-de-chaussée pour
Payer trois euros cinquante, un quart d'heure de passé,
Ce n’est pas cher finalement ce quartier de riche, sauf le parking.
Retour voiture, ouverture du coffre, dépôt de mes achats à l'intérieur.
Maintenant, marchons tout légers à la recherche d'un bon resto.
Je fais le tour de tous les menus du coin, il n'est pas encore dix-neuf heures,
Certes j'ai le temps, mais j'ai faim, car je mange tôt, comme ma mère !
Je fis une étude approfondie des possibilités s'offrant à moi et je ne pus
Repousser cette évidence, cette loi implacable en la matière :
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S'il y a du monde, ce doit être bon.
Alors là, pas de problèmes, il n'y a qu'un seul endroit où aucune place n'est
Disponible dehors, alors j'entre et demande une table pour une personne.
La serveuse veut me mettre dans un coin de la salle, comme au piquet, puni
Pour n'être pas accompagné, la prochaine fois vous viendrez à deux… Non, mais !
Je refuse, car j'aime être dans un endroit agréable assis sur un siège confortable,
Mon dos bien calé et une vue ouverte sur l'extérieur, c'est tout. Seulement voilà,
Au moment du repas, j'eus une grande surprise. Généralement, vous,
Vous avez quoi dans votre assiette ? Là, non, c'était vraiment très bon.
Un bar entier frit, frais comme à Marseille, un régal, accompagné de quelques
Pommes de terre et deux boulettes de Bretagne, car les propriétaires sont de
Bons bretons, c'est marqué sur la carte.
Rue Charonne
Je me baisse pour lui donner un euro et lui demander si ça va.
Elle me demande de lui rendre un service, pourquoi pas, aller
Lui chercher un café au bar d'à côté, je n'hésite pas trop,
Je lui dis être trop fatigué, en réalité j'ai peur de me casser la
Figure avec la tasse à la main, qu'elle trouvera une autre
Personne pour ça, je voulais discuter avec elle, mais je me
Suis rendu compte rapidement qu'il n'en était pas question,
Je la regarde en face, elle aussi, j'ai honte de savoir cette
Femme vivant dehors, dans cette situation dégueulasse,
C'est impossible, elle pourrait être ma propre mère
Ma sœur ou n'importe qui d'autre que j'aurai aimé, elle a
Un visage si extraordinaire, celui des fous peut-être,
Un visage qu'on ne peut oublier, cette femme dans la rue
Un humain parmi les humains avec, c'est dingue,
Un sourire comme on aimerai en voir plus souvent,
Si ouvert au monde, si épanoui, elle rit, de plus en plus
Elle rit, probablement dans une autre vie, elle était une
Princesse ou pire une simple infirmière au service des hommes
Et des femmes comme vous, comme moi.
L'état est sans conteste le principal coupable de
Cette saloperie d'organisation sociale qui travaille au
Bien de l'humanité, tu parles, la laisser là ainsi c'est
L'aveu d'un échec cuisant de toutes les politiques
D'hier et d'aujourd'hui.
Il y a non assistance à personne en danger,
Mais en danger de quoi de plus que ça ?
Elle ne mourra pas demain, après-demain peut-être.
Rue de la Huchette
Jean-Pierre a joué pendant plusieurs décennies au théâtre de la Huchette le rôle
De pompier dans la "Cantatrice chauve" d'Ionesco. Je l'ai connu au sous-sol de la
Mouffe, au moment des répétitions de "Job".
La Cantatrice se joue depuis 1947. Les comédiens se sont constitués en une association
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Permettant à chacun d'organiser son emploi du temps en fonction des aléas du métier.
S'il avait un rôle à jouer ailleurs, m'avait-il dit, il y avait toujours un autre gars pour
Éteindre le feu à sa place ce soir-là.
RueChampollion
Que s'est-il passé dans cette rue où tous les cinémas ont survécu
Au passage du temps et aux multiplexes américains auxquels on
Doit notre abêtissement généralisé, complices que nous sommes
De notre goût pour les pops-cornes biens craquants et je ne sais quoi
D'autre qui n'a rien à voir avec le cinéma. Je ne veux plus voir ces films
Commerciaux de merde. Ils m'ennuient terriblement. J'aime aller à
l'Arlequin quelquefois, malgré ce putain d'escalier qu'il faut descendre et
Monter à chaque fois. Dans la rue Champollion, il y a deux ou trois salles
Faisant partie du même groupe, je le sais pour deux raisons. La première,
Lorsque vous êtes abonnés à la salle de la rue de Rennes, les tickets sont valables
Là aussi. Deuzio, la patronne, je l'ai contacté un jour, car j'avais une sacrée idée
Pour animer ses cinémas. Je voulais créer à l'entracte des "levés de rideaux",
Petites scènes de théâtre jouées par des comédiens-amis que je croyais fidèles…
Elle avait trouvé ça intéressant, mais seulement fallait entrer dans le concret,
Organiser le projet et faire en sorte qu'il tienne la route, et ça, ça m'est impossible,
Car ma santé est plus que merdique, je ne peux plus rien envisager …
C'est toujours ainsi avec moi, j'ai des envies, je fais chier tout le monde,
Ensuite, pour les réaliser, mon corps malade ne suit plus.
Alors, pour me consoler, je me dis…
C'est l'intention qui compte. Tient bon la barre, camarade !
Le jardin des plantes
Au jardin des Plantes, je n’y vais pas assez souvent. Pourtant, on
Peut y voir des belles fleurs et de magnifiques plantes tout en se promenant
Le long des allées, des contres allés. "Les serres nous dépaysent" avais-je écrit
Un jour sur ce jardin, que voulais-je dire au juste ? Je n'en sais rien, peu importe,
Mais j'en profite pour vous faire part de ce que je pense. Jamais nous ne devrions
Quitter Paris où il y a tout ce qu'il faut pour survivre, plein de choses à faire
Et gratuitement. Je regrette aujourd'hui de n'avoir pas acheté ce
Livre faisant l'inventaire de tous ces lieux où des portes s'ouvrent comme des sésames
Si vous en connaissez les secrets et les codes d'accès. Ainsi, on peut manger et boire
Tout son saoul sans bourses déliées. On oublie que cela existe, mais aussi,
Tout ce qui est à notre portée, il y a tant de choses, près de chez nous, chez nous,
Dans nos placards, nos tiroirs, nos pièces habitées de nos habitudes…
Nous sommes des zombis accablés par leurs occupations parfois, souvent factices,
Aveugles de ce qui nous entoure, nous est proche, nous est palpable à tout moment.
Nous avons trop peur d'ouvrir les yeux sur des choses qui nous toucheraient,
Peur de trouver un brin de folie, de bonheur à partir de presque rien.
Rue Poliveau
Très rapidement après notre rencontre, la jeune fille qui devint par la
Suite mon unique épouse, habitait là, rue Poliveau, une chambre
Indépendante chez un couple ayant un enfant à garder le soir,
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Nicolas. Dans un de ces bistrots de la rue, je ne sais plus
Pour quelle raison, j'avais piqué une colère d'enfer : elle m'apprenait
Quelque chose qui n'avait pas dû me plaire, alors, je me souviens,
J'ai renversé volontairement sa tasse de chocolat, que Dieu me pardonne,
Qui inonda son manteau, plutôt moche, mais aujourd'hui
Je me dis, ce n'est pas bien de faire ça à une jeune fille, promis,
Je ne recommencerai plus jamais… Faut-il encore qu'une personne
Se présentât encore à moi !
Rue Geoffroy Saint Hilaire
Lieu et Dieu. De ces deux mots, seule la première lettre les sépare.
Cette remarque a-t-elle quelque chose à voir avec ce qui va suivre ?
La mosquée de Paris. J'aime entrer dans ce jardin intérieur où est installé
Un vaste salon de thé, m'y asseoir, commander un grand verre de thé à la menthe
Accompagné d'un loukoums, parler avec un ami ou, si je suis seul, lire un journal
Pour ne pas donner l'impression de m'ennuyer. À l'intérieur, dans le restaurant,
On y va surtout l'hiver ou lorsque le jardin est complet. Il y a toujours un monde fou
Installé sur des poufs orientaux devant des tables rondes en cuivre. Le garçon avec
Son plateau, vous sert du thé en permanence et vous tend la carte si vous avez faim
D'un bon couscous au poulet.
Par association me reviennent ces images de mon enfance à Sfax. Je revois un
Vieil homme assis devant la porte de sa maison voisine à la nôtre, dehors, avec
Son "canoun", réchaud en terre cuite avec de bonnes braises bien chaudes à
L'intérieur et une théière métallique posée sur le dessus. Inlassablement, il transvidait
Le contenu de ce récipient dans un grand verre oriental et puis du verre à la théière
Moult fois pour arriver à faire son thé. C'était du grand art, seulement moi,
Je l'ai jamais goutté, c'est là mon plus grand regret !
Boulevard Saint-Germain
Le 11 septembre 2001, avant d'aller prendre mon métro pour rentrer chez moi,
Je suis passé boire un café à la Closerie des Lilas. L'après-midi, il y a peu de
Monde dans les salles. Au comptoir, debout, le chanteur Renaud, pilier de l'endroit
À se demander s'il n'a pas quelques accointances avec la direction, car il boit tout
Le temps, et ce n'est pas du thé ou de la limonade ! Je suis attablé devant mon
Décaféiné, j'entends de vagues commentaires sur l'Amérique, les tours s'écroulent,
Et moi je ne me demande même pas ce qui se passe dans le monde, j'ai mon
Nez dans ma tasse. Ce n'est qu'en entrant, devant mon poste de télé, que
J'ouvre les yeux sur l'horreur absolue.
Beaucoup d’hommes et de femmes ont trouvé satisfaction à voir les
Américains en prendre plein la poire, sauf eux, qui dans les rues des
Immeubles de Manhattan, ont tout fait pour sauver leur peau et ne pas
Mourir ce jour-là. Les hommes sont ainsi faits, du malheur des autres,
Ils aiment à s'en lécher les babines…
Nous avons tous, en mémoire, ces terribles images de l'inacceptable,
Mais de ces tours réduites en poussière, nous pouvions nous attendre
À voir des centaines de films, de documents, retraçant la vie régnant
En ces lieux avant l'attentat, curieusement, ce ne fut pas le cas.
Lorsque j'emménage dans un nouvel appartement et cela m'est arrivé
Très souvent depuis vingt ans, je vais me fournir, pour éclairer "mes homes",
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En bon snob que je suis, chez Electrorama où l'on trouve tout, mais à un prix
Beaucoup plus cher qu'ailleurs. Avant, je connaissais une équipe fort sympathique,
Me faisant une sacrée réduction sur mes achats pour ma bonnemine, et ma
Fidélité à leur maison. Seulement maintenant que j'y vais beaucoup moins,
Je ne sais pas pourquoi, avec moi, ils ne sont plus pareils !
Sur le trottoir d'en face, dans une boutique clean, à la mode, un jour j'ai acheté
Un plateau métallique de couleur noire de vingt-quatre centimètres sur
Trente-deux, très design. Je l'utilise tous les jours que Dieu fait, et, chose
Rare par les temps qui courent, il est resté intact. C'est agréable d'avoir chez
Soi des objets qu'on aime, à défaut de personnes, de toute façon je n'ai pas
L'intention de prendre un chat ou un chien, ça non pas question.
J'aime à me concocter des repas zen sur ce plateau surtout l'été.
J'y mets des coupelles de toutes les couleurs, sur le noir ça ressort bien et
Surtout ça donne de l'appétit, non que j'en manque, je suis corticoïnomane,
J'ai donc toujours faim, mais ces fameuses coupelles c'est plus agréable pour
Se trouver en harmonie avec les autres, même si l'on sait tous les difficultés
De la réalité de "l'autre", dont notre ami Sartre a fait ses choux gras…
En fait de choux, ce légume m'est déconseillé pour éviter tout souci dans le
Travail du transit intestinal, que maintenant, ça va mieux merci, je suis stabilisé,
Je ne sais si c'est grâce à ce petit plateau noir porte-bonheur, du moins considéré
Comme tel dans mon esprit, c'est bête, comme on a de drôles d'idées parfois,
Mais j'assume, de toute façon je n'ai pas le choix. Donc, j'y mets, dans ces petites
Assiettes, du poisson cru, habitude prise dans ces restaurants japonais qui
Fleurissent partout maintenant dans notre pays, mais pas seulement, j'y ajoute
Quelques légumes cuits directement dans ma Seb, des petits cubes de fromages
achetés chez un vrai fromager, et des fruits lavés, coupés en petits dés pour rafraîchir,
Le tout sur ce fameux plateau acheté par hasard un jour de promenade, de glandouille
Aussi, un jour comme les autres, mais qui fut marqué du sceau de la bénédiction
Des grands jours, cet objet en était la preuve. Mais manger, manger
C'est bien, mais faut boire et pour moi boire est capital, je bois du
Thé et je le veux à volonté. Alors, pourquoi attacher tant d'intérêt à des
Ustensils de cuisine qu'on devrait mettre à leur juste place, sans autres
Considérations à connotations affectives excessives pour ne pas dire
Maladives ? Et bien, je vais vous le dire.
Je pense avoir été fortement impressionné par un ami dont le rapport aux
Objets était vraiment charnel. Tout trouvait entre ses doigts, par la concentration
Qu'il y mettait, par l'importance qu'il donnait à chacun de ses mouvements,
Une réalité matérielle très proche de l'action d'un artiste devant sa toile ou
Sa sculpture. Un melon, des fruits rouges, quelques gouttes de porto, une tranche
De pain… C'était un artiste sans talent pour la peinture ou la terre glaise,
Mais un artiste encore plus merveilleux, tendance parfaite ménagère.
On se donne parfois rendez-vous le lundi à treize heures, devant la FNAC.
Il travaille dans le coin un jour par semaine et n'a qu'une heure pour déjeuner,
Alors, on se voit pour casser la croûte ensemble, le reste du temps, il vit dans
Une banlieue à l'opposée de la mienne. Ce moment n'est pas assez long pour
Nous parler vraiment, on se téléphone beaucoup moins depuis qu'il a une copine.
L'amitié c'est formidable, mais les copines c'est mieux, d'après ce que je vois !
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Rue Daguerre
Un samedi matin, j’étais attablé à la terrasse d’une brasserie, à l’angle de la
Rue Daguerre et de l’avenue qui mène à la porte d’Orléans. J’avais fait mes
Courses au monoprix du coin, où j’aime aller pour changer mes habitudes.
À la terrasse, en face de moi, trois hommes au soleil, discutent comme
Tout le monde, plutôt que de se regarder en chien de faïence, bouche bée.
L’un d’eux parlait assez fort, comme c'est souvent le cas lorsqu'on est à
Plusieurs, mais, là, c’en était un qui avait de la tchatche et pour public deux
Coéquipiers, dont l’un n’était pas moins que Monsieur André Glucksmann.
Le sujet de la conversation tournait autour de la peinture, ce qui justifiait
Que je tendisse l'oreille. Il était question des bons et des mauvais vernis et
Des sales marchands qui vous vendent de la merde… Puis, il a été question
De renouveler la bière. À ce moment-là, il y eu entre eux, quelques paroles
Grivoises qui les ont fait rire très fort… Surtout le macaque, bien sûr !
Rue des Bernardins
J'ai une chose à vous dire ayant un rapport avec cette rue, seulement, c'est enfoui
Je ne sais où. Cela n'a aucune importance, sauf pour la question du pourquoi de ces
Restes inutiles qui pourraient disparaître de ma mémoire pour faire place à de
Nouvelles histoires, un peu comme l'on fait avec la poubelle de notre ordinateur,
Mais ce n'est pas si simple, cette matière grise gélatineuse n'est pas une machine,
Elle est vivante. Elle nous révèle sournoisement combien on est peu maître de
Nous-mêmes, et de cela j'en ai dit deux mots à mon ami Sigmund et …
J'attends toujours sa réponse.
Rue de la Bièvre
Mitterrand était un homme tout ce qu'il y a de plus normal. Il habitait à
A Paris dans un sobre hôtel particulier, rue de la Bièvre, le reste du temps
Il le passait à son bureau de l'Elysée avec parcs et jardins, cuisiniers et ministres
Pour la tambouille quotidienne. Tout ce monde, mis à sa disposition à partir
Du jour où il accepta cette très haute fonction de l'état, c'est à dire aussi la
Plus merdique, seulement faut bien que certains se dévouent, sinon comment
Ferions-nous ?… Prenons un exemple, Chirac. Si ce n'est pas une guigne
D'avoir été élus plusieurs fois de suite à servir la France et qui, lorsqu'il
Sera parti, recevra un coup de pied au cul, peut-être même ira-t-il en prison ?
Y a pas de justice pour lui ! Le côté sacrificiel c'est terrible, ça peut vous
Bouffer un homme, une nation même des fois… Moi, la politique, j'ai
Mis du temps à m'y intéresser. C'était en 1974. J'avais pour métier de vendre
Des appartements dans Boulogne sur Seine, à ne pas confondre avec
Boulogne-sur-Mer et toutes ces sales affaires de pédophilies qui polluent
Actuellement nos journaux, notre télé, etc....
Donc Mitterrand. J'enviais son talent de sacré négociateur et je me disais,
S'il avait été comme moi dans l'immobilier, il aurait fait fortune et ses enfants
N'auraient pas tous les problèmes qu'ils connaissent aujourd'hui, que même
Leur mère est obligée de vendre ses biens pour leur venir en aide de toutes
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Les difficultés dans lesquelles ils se sont mis parce qu'ils avaient un nom qu'ils
N'ont pas choisi, un nom pas facile à porter. Conclusion : être le fils d'un
Homme puissant n’est pas de tout repos, le contraire même !
Rue du Puits de l'Hermitte
Le 31 décembre 1970, nous étions réunis avec des amis à "La vieille grille",
Petite salle de spectacle genre café théâtre avant la lettre, qui existe encore
Aujourd'hui et si vous passez par là, vous pourrez la voir. On donnait en ce
Beau soir de fin d'année, une petite pièce écrite et jouée par un inconnu,
Rufus, " Les quatre cents dernières". Après le spectacle, enthousiaste comme
Je peux l'être parfois lorsque c'est vraiment bon, j'ai eu envie d'aller le voir
Pour lui donner un conseil d'ami. Déjà j'avais cette sale habitude de me mêler
De ce qui ne me regardait pas, combien mon père me l'a reproché, mais cette
Fois-ci, je me suis abstenu. La raison essentielle à ce renoncement n'était nullement
Dû à une gène quelconque, à un ordre moral me disant je ne sais quoi, non, mais
Je ne voulais pas déranger l'assistance avec mes caprices. Que voulais-je donc
Lui dire à ce pauvre Rufus, vous demandez-vous ? et là vous avez raison de
Vous poser cette question. Je voulais lui dire de continuer dans cette voie
Beckettienne. À l'époque, je ne connaissais pas Beckett, mais ce type d'écriture
Dévoilant un intime très intime, poussant les limites des variations de l'absurde
À l'extrême, c'était jouissif, comme disait Lacan. A la Vieille Grille, ce soir-là,
Nous avons assisté en famille à un spectacle où un homme nous parlait de lui à
La première personne, faisant une introspection très pointue. Il disait ses difficultés
avec le monde et ses tares les plus secrètes, les nôtres en quelque sorte, cachées
Dans le placard de nos intimités… Déjà je vouais pour la psychanalyse une passion
Sans borne. Vous l'avez remarqué sans rien dire, merci c'est sympa de votre part,
Alors, je voulais lui passer le message, lui dire de ne pas avoir peur d'entrer dans
Cette histoire, son histoire, de s'y engager sans crainte de se noyer. Ainsi année
Après année, nous viendrions voir son évolution, mais je n'y suis pas allé, et lui,
Ne sachant rien de tout cela, il a pris une autre direction,
Il a préféré faire le con avec d'autres, plutôt que tout seul…
Rue Notre Dame de Lorette.
Il y a avait une boîte de strip-tease fort connue des hommes : "La Tomate".
J'ai connu la patronne, elle s'était rabattue après faillite dans un autre métier,
C'est ainsi qu'elle devint ma collègue de travail, rue des Plantes. Elle avait
Tenu ce lieu de la jambe légère, mais ne couchait pas avec les clients, m'a-t-elle
Juré de ses grands yeux, un jour de grande déprime, car elle n’arrivait pas à
Trouver un repreneur pour ce bordel qui finissait par lui coûter la peau des fesses.
Moi, bonne âme, toujours près à rendre service, j’eu l’idée de demander au
Directeur du théâtre de la Vielle Grille (voir au dessus), Monsieur Alézera de
Venir voir cette salle pour en faire un café théâtre d’un type nouveau avec du cul…
Sur place, lors de la visite, il m'avait dit avoir été très sensible qu’on ait pensé à
Lui, très intéressé par mon idée géniale, mais l’affaire ne s’est pas faite pour
Des raisons qui m’échappent complément aujourd'hui.
Rue Labruyère (Théâtre)
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Te souviens-tu, mon cher Jacques Audiberti, combien à Paris on t’a honoré
Dans les années soixante. Maintenant, je ne sais pas s’il y a encore beaucoup
De gens pour te faire la fête à nouveau. Probablement, te considèrent-ils trop
Vieux, pas trop dans le coup... Les traîtres. Enfin que veux-tu, c’est ainsi, dès
Qu’on meurt, il n’y a plus personne. Mais dans le fond, dans le fond de ta
Tombe, tu dois, j’en suis certain, t’en foutre comme de ta première chemise,
Et là, là tu n’as pas tort !
Rue Monge
Personne ne pourra me le contester jamais, pas même Da Vinci Code.
Je suis né de l'union d'un homme et d'une femme, mon père et ma
Mère. Mon père, dans les années soixante, travaillait pour une boutique de
La rue Monge, une cordonnerie spécialisée dans le domaine des pieds
Orthopédiquement pas tout à fait aux normes des boutiques André, Bata
Et compagnie, et comme mon père, les trucs tordus c'était sa spécialité…
Il fabriquait le dessus de la chaussure que l'on appelle la tige, je vous en ai
Déjà parlé au paragraphe "Rue des Rosiers". Je dois faire attention aux
Répétitions, à la longue, elles peuvent décourager le lecteur.
Ma mère et moi, étions chargés de livrer la marchandise que Monsieur
Confectionnait à la maison, dans notre palace de trente-deux mètres carré.
On y allait au moins deux fois par semaine, tu vois le genre !
"Exploitation des enfants dans les familles" qu'on Pourrait appeler cette
Rubrique littéraire. Avec mon ballot sur le dos, je prenais le métro à
Pont-Marie, c'était direct pour Monge. Je me demande à l'instant où je vous
Parle, si ce n'est pas ça qui fut à l'origine de mes maux dorsaux …
Mon père est mort, que Dieu ait son âme !
Rue Lacépède
Nous avons quatorze ans, je viens te chercher chez toi, nous dévalons la rue
Lacépède pour aller rejoindre les filles et jouer à la marelle sur la place de la
Contrescarpe, mais il y en a une, elle est chieuse… Alors, on prend la rue
Mouffetard et comme des gosses à la Doisneau,
On s’amuse avec l’eau des caniveaux.
Dans un esprit de confidentialité, je ne vous donnerai pas l'adresse exacte
De cet immeuble où habite encore mon copain des années 66/67. Marc était
Un Rimbaud magnifique, qu'aujourd'hui j'aimerai revoir, avais-je écrit un
Jour, innocent que j'étais, car lorsque nous nous sommes retrouvé l'année
Dernière ce fut une catastrophe, je rechercherai pour vous le compte rendu
Ecrit récemment de ces retrouvailles pas terribles, des fois on ferait mieux
De se recroqueviller dans son coin plutôt que de vouloir remuerles vieilles
Histoires qui peuvent, avec le temps, s'être détériorées, et j'avais de surcroît écrit :
Je sais que pour lui aussi le temps a passé et que sûrement nous serions déçus,
J'avais tout bon, déçu, nous le fûmes tous les deux.
Des Rimbaud, j'en ai rencontré dans ma vie, mais surtout, surtout dans mes
Phantasmes … Que cherchais-je en eux ?
Nous avions à peu près le même âge, il habitait chez ses parents, des juifs
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Polonais. L'appartement donnait directement sur la rue, au rez-de-chaussée,
C'était très sombre, il y avait une alcôve servant de coin chambre aux parents
Et comme incrustée dans la pièce principale. Nous nous sommes rencontrés
Lorsque, jadis, je jouai au Théâtre de la rue Mouffetard. Nous passions des
Heures à discuter dans un de ces cafés de la place de la Contrescarpe,
Je ne me souviens pas que nous ayons eu d'autres activités.
Rue Cluny
Lorsqu'on rencontre une jeune fille, il vient un moment où on n'y coupe pas,
Il faut rencontrer ses parents. Et bien pour moi ce fut chez "Chouchen", restaurant
Chinois aux murs tout rouge devenu maintenant le "Watt" aux murs toutgris,
Un lieu de dieu pour être entre copains et y rester le temps que l'on veut. Là dedans,
Tout le monde est jeunement sympas, mais revenons à nos moutons, mes
Beaux parents. Repas simple avec des gens d'une gentillesse extrême.
Lui était professeur d'histoire, je tremblais dans ma culotte, je ne connais rien à
Ces histoires-là, n'ayant pas de mémoire, c'est pathologique, mais à l'époque
Je ne le savais pas et ne pouvais le faire valoir pour me déculpabiliser, alors
Je culpabilisais à mort, mais enfin j'étais jeune et beau et ça m'a aidé, surtout
Vis-à-vis de ma belle-mère qui m'a tout de suite aimé.
Mon mariage dura tout de même près de vingt années, un bail comme me dit
Souvent Amélie (voir annexe), la Nothomb de ma vi. Avec moi, elle a parfois de
L'humour, surtout lorsqu'elle ne sait pas comment occuper son temps à la maison
Et qu'elle a fini d'écrire. Alors moi pour la calmer, j'invente un poème.
Au bois de Noémie
Sans raison ni rancœur
Les fleurs du jardin
Pleurent avec joie le temps
Qui passe, point d'ancrage
Où, aubépines et jonquilles
Sourient à la face du monde
Leurs inutiles clapotis.
Elle me dit que je devrais laisser tomber la poésie…
Rue de Poitou
Je ne me souviens plus du numéro de la rue où nous avions emménagé pour
La première fois en France, à Paris ? Il y avait une pièce et une grande cuisine,
C'est là où je dormais dans un lit pliant avec mon oncle, près de l'évier…
Il n'y avait ni ordinateur, ni internet, alors mon père pour occuper son fils, me
Ramenait de son travail des paquets de buvards publicitaires. Je manipulais
Cette masse de billets avec un bonheur d'enfant, ce que j'étais d'ailleurs puisque
Je devais avoir huit ans à tout cassé. Ce trésor, je me le rangeais dans un grand
Placard. Curieusement aujourd'hui, j'ai besoin d'avoir en réserve plusieurs
Ramettes de papier blanc d'avance… On ne change en rien,
Nous en reparlerons avec plaisir à la rubrique psychanalyse.
Rue Le Regrattier
Dans leur appartement de l'île Saint Louis, je n'y suis pas allé pour une
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Raison simple, ils ne m'y ont jamais invité. Je ne suis pas rancunier, mais
Quand même ! Ils auraient pu… C'était bien là qu’ils habitaient tous les deux
Avec Sapha, leur chienne. Elle, avait été engagée, en même temps que moi en
1972 pour vendre, dans la joie et la bonne humeur, des logements neufs à
Juan les Pins, à la limite de Golfe-Juan, plus exactement aux Eucalyptus,
Information que je donne volontiers à l'attention des p'tits curieux, et ça,
Je le sais, ils sont nombreux parmi vous actuellement, vous pouvez y aller,
C'est chouette comme endroit. Le promoteur avait fait les choses en grand,
Nous avions un appartement témoin magnifique donnant sur un jardin paradisiaque.
Il y avait des fleurs partout et pour nous qui vivions à Paris, ça nous changeait
Pas mal… Purée qu'elle était jolie cette fille ! Seulement, j'étais marié et
Terriblement fidèle. Aux visiteurs, toute la journée nous offrions à boire, car
Il faisait chaud dehors. Le frigo était plein à craquer de coca-cola, de jus de fruits
Et de bière aussi. Pour chacun de nous, on avait mis à notre disposition un studio,
Le patron nous gâtait pensant probablement à son chiffre d'affaires.
À faire ce boulot, nous nous sommes beaucoup amusés, nous y passions douze
Heures par jour, sans que cela ne soit désagréable. Nous étions célibataires,
Je veux dire sans nos conjoints respectifs, alors tous les soirs, nous faisions la
Fête dans toutes les boîtes du coin. Le succès commercial fut concluant, à tel
Point qu'on me mit à la porte de l'entreprise à la fin de l'opération.
Je ne me souviens plus pour quelle raison, en fait, ce n'était pas grave, les échecs,
Ça oblige à passer à autre chose. Parfois, son mec venait passer un week-end
Avec elle, que voulez-vous c'est un peu normal, faut pas exagérer. Il est bon,
Dit-on, qu'un couple se retrouve de temps en temps pour durer... mais lui, il était
Jaloux de moi. Ses bureaux étaient à Paris, au-dessus du théâtre Gramont, il n’existe
Plus maintenant, une cordonnerie a pris sa place, tu t'en fous, d'accord. La mission de
Juan les Pins dura quatre mois. Monsieur Jean Bardin, animateur TV vachement
Connu des années soixante, en commun accord avec notre promoteur patron, avait
Donné à cette jeune femme un pseudonyme : dorénavant elle s’appellerait Françoise
Aubry pour la radio et la télévision Monte-Carlo… Alors, évidemment avec tous ces
Spots publicitaires, il y eut foule dans le bureau de vente, nous étions débordés, mais
Heureusement, nous avions la chienne Sapha qui nous tenait compagnie.
Place de la Bastille
Jamais personne ne m'a proposé de monter la Bastille,
Splendide colonne phallique et lieu de tous les rendez-vous,
Galants ou militants. Maintenant, il est trop tard, je n'aurai
Plus la force de grimper toutes ces marches à pied, à moins
Qu'ils n'installent un jour l'ascenseur…
Avant, à la place de l'Opéra de la Bastille, il y avait une gare.
Elle nous amenait à la plage bleue, je ne me souviens pas y avoir
Été personnellement, mais mes parents oui, ils y sont allés, l'été
Évidemment. Entre pauvres, ils en parlaient beaucoup de ces
Journées faciles à organiser. Dans un panier, ils mettaient quelques
Tomates, des œufs durs, du pain frais, parfois un poulet cuit et des
Fruits. Alors, ils allaient à cette plage, à défaut d'aller voir la mer.
Le trajet Paris-Trouville étant trop cher pour eux, et puis, ça ne se
Faisait pas à l'époque de consacrer tant d'argent pour une seule journée
De plaisir. Plus tard, ils avaient pris l'habitude de louer chez madame
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Je ne sais plus son nom, une usurière pas possible, une chambre pour
Six personnes avec un coin-cuisine et un lavabo pour se laver les pieds
Du sable de la plage qu'on avait partout.
Margueritte Duras, où étiez-vous en ce temps-là ?
Après, la gare de la Bastille s’est transformée en lieu d'expositions.
Nous y sommes allés quelquefois avec la famille que je m'étais
Construite par moi-même, dès les premières manifestations écolos de
"Marjolaine". J'étais très attiré par le végétarisme, ma femme, pas du
Tout ! Nous aimions le côté soixante-huitard, le désordre, les bonnes
Petites choses à manger, les galettes de légumes et les gâteaux
Au chocolat. Ils militaient pour des tas de causes nouvelles,
Aujourd'hui, c'est notre quotidien, la récup. des bouteilles
Plastiques, des vieux journaux…
Rue de Lutèce
La Cité. Que ce soit pour avoir vos papiers ou pour les renouveler,
Si vous êtes étrangers, vous devez faire la queue à la Cité. Ensuite,
Vous aurez une salope qui vous dira qu'il manque un document à
Votre dossier. Il faudra donc revenir et refaire la queue.
Boulevard Sébastopol
Pour le peintre abstrait que je suis, ce souvenir de la fin des années cinquante
M'impressionne pas mal. Il se passe dans ma mémoire à l'angle de ce boulevard
Et de celui de Saint Denis. Sur le trottoir, de nombreux artistes peignaient le
Paris des touristes, ses rues, ses immeubles, ses voitures, ses gens. Petit garçon,
J'observais leur travail. Ils ébauchaient de quelques couleurs les grandes lignes
De leur tableau. Je me disais qu'ils devraient s'arrêter là. Probablement n'étaient-ils
Pas conscients que cela puisse suffire à nous laisser imaginer la suite. Beaucoup
Plus tard, l'art contemporain est venu et m'a happé, mais bizarre est cette
Impression de gosse... Comme quoi tout se tient !
Boulevardde Strasbourg (Théâtre)
Delphine Seyrig entre en scène. C’est fini, il n’y a plus qu’elle.
Le temps s’arrête pour je ne sais combien de temps.
Je suis ébloui par cette femme, amie de Margueritte Duras.
J'étais assis tout en haut, dans l’amphithéâtre du théâtre Antoine.
Elle joue "Se trouver". Sa présence décape la solitude universelle des
Hommes, c’est la seule femme au monde à pouvoir faire ça. La vie
Bascule. Luigi Pirandello devait bander dans sa tombe, moi pas,
J’étais paralysé. Après le spectacle, je suis resté cloué devant la
Porte de sortie des artistes, je m’en souviens bien, je ne savais quoi faire.
L’attendre pour lui parler, mais lui dire quoi, quels mots, après tous
Ceux qu’elle venait de nous donner pendant deux heures ?
Je me souviendrais toujours de cette entrée en scène, la première, de cette
Apparition sur ce praticable. Sa voix rauque, sa beauté si particulière,
Resteront gravées dans ma mémoire comme le symbole du divin en art.
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Boulevard Bourdon
Au début, pour gagner ma vie, il m'a fallu travailler. J'ai fait du porte à
Porte, pourquoi en aurais-je honte aujourd'hui ? je l'ai fait et je le dis.
Donc, dans un de ces immeubles des années soixante, putain c'est toujours
Cette période qui revient à la surface de ma mémoire, j'ai frappé aux portes
Pour vendre des frigos et des machines à laver le linge et la vaisselle, vous
En ai-je déjà parlé ? C'était l'époque de la démocratisation du confort pour
Tous, on vendait tout à crédit, les gens étaient heureux, ils achetaient, ils
Achetaient… Maintenant c'est différent, tu as Darty, pas de problèmes, tu
N'as plus personne pour te déranger dans ton immeuble, avec les digicodes,
La prospection est devenue un métier fini. J'y avais quelques clients fidèles et
J'y allais souvent. Plus de deux cents portes à frapper, il y avait de quoi faire,
En plus, c'était à deux pas de chez moi, alors plutôt que de jouer au flipper,
Là au moins, je sortais des bons de commande et donc un p'tit salaire.
Un jour, j'ai du mal à faire cet aveu, je voulais faire carrière dans la prise de
Photos de bébés à domicile. Après les frigos et les machines à laver, la photo
M'apparaissait aller de soi…Mais en fait, c'en était trop. Alors,
Je n'ai pas insisté, j'ai su faire ce virage capital, j'ai tout laissé tombé et
Me suis prostitué, pour garder le moral et ne pas avoir le Bourdon.
Boulevard Beaumarchais
Ce café, si vous ne le connaissez pas, vous passerez devant sans même
Le remarquer, mais si par hasard vous y entrez, n'hésitez pas, traversez le
Comptoir, allez au fond de la pièce, poussez une porte branlante et accédez
À la salle de billard. Là, avec mon copain William, nous avons fait des
Centaines de parties dans cet endroit glauque et nous sommes devenus avec
Le temps et la ténacité, des champions en tapis vert en version trois boules,
On finissait par gagner des parties même contre d'autres joueurs encore
Plus expérimentés que nous. Nous étions alors contents,
Contents comme des chats contents.
Rue Charles V
Nous y sommes tous allés en délégation, entre midi et quatorze heures,
Voir le studio qu'Adly avait l'intention d'acheter pour investissement
Personnel à un promoteur, amant fiévreux de notre collègue Evelyne,
Une bombe sexuelle, une Bardot-bis, que même un soir notre patron a
Voulu en profiter le cochon. Nous travaillions alors tous dans une agence
Immobilière située à Bourg la Reine et formions une sacrée équipe, très
Dynamique, très bons vendeurs, très jeunes aussi, sauf Adly la pauvre, et
Toujours prêts à sabler le champagne à la première occasion, surtout le
Samedi soir, après les signatures des promesses de vente.
Nous éprouvons du plaisir à nous rappeler des souvenirs anciens, pensant
Ce temps là meilleur que celui d'aujourd'hui. Il n'en est rien, la bonne raison
De ce plaisir relève plutôt de cette évidence : nous étions beaucoup plus jeunes
Et c'est probablement cela qui nous attire le plus.
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Rue Notre Dame des Champs
La première fois, c'était chez son frère, à l'angle de cette rue et de la
Place, près du théâtre. Comme c'est charmant les premières fois.
Toujours ce côté nouveau, cette excitation, cette curiosité de savoir
Comment cela se passera et malgré toutes les expériences d'hier et
D'avant-hier, on reste un gamin tout neuf, tout nouveau comme si rien
N'avait été vécu avant ce jour-là, ce moment palpitant : la monté de
L'escalier où nous passerons une nuit ensemble. À chaque fois, lorsque
Je passe devant cet immeuble, je pense à ça. Ma mémoire ne pourrait-elle
Pas, au moins pour cet événement, somme toute anecdotique, passer son
Chemin l'esprit libre ? Non, nous sommes ainsi faits, faits comme desrats,
Nous avons une corbeille pleine de millions d'images fixées à tout jamais
Dans cette matière déjà qualifiée de gluante, gluante puisque vivante.
Boulevard du Montparnasse
La coupole est un restaurant où j'allais régulièrement. J'en avais fait
Ma cantine lorsque, devenu célibataire après ma séparation, je n'avais pas
Envie d'aller manger tout seul dans mon studio de la rue du Cherche Midi,
Qui me servait soit à dormir soit à autre chose. En 1990, la direction avait
Accepté d'accrocher mes tableaux sur les murs de ce lieu mythique et pendant
Quelques semaines, j'ai vu mes toiles régner là, entre les merlans-frites et les
Succulents milles feuilles.
Il croisa ce jeune SDF, installé depuis quelques mois à cet endroit-là,
Près du tabac, sur la grille de la bouche du métro, peut-être l’avez-vous
Remarqué et lui avez donné la pièce ou la parole qui remonte le moral,
Ou rien du tout, que voulez-vous il y a tellement de gens comme lui
Dans la rue actuellement….
Le jeune homme l’appelait souvent Monsieur le Professeur.
Ils se connaissent et avaient eu déjà de bonnes conversations
Ensemble, car c'est comme ça avec lui, les conversations sont
Toujours de qualité . Ils dirent à peu près les mêmes choses que
Les fois précédentes. Quoique, pas tout à fait. Il insista cette fois-ci
Sur le rôle social qu’il pouvait avoir, lui le SDF, sur les gens qui
Passent et lui adressent la parole : peut-être sont-ils eux aussi en
Manque, avec un besoin de parler, de communiquer ?
L’homme jeune lui demanda s’il croyait en Dieu.
Lui, il y croyait et dit que s’il était là, dans la rue,
Même la nuit, c’est que le seigneur l’a voulu ainsi,
Que c’était dans la souffrance qu’on se réalisait…
Le Christ ne fut pas évoqué à cette occasion.
Il rentra chez lui malheureux de n'avoir pu faire mieux.
Ah, comme il aurait voulu voir tous ces hommes et femmes sortir
De la misère. Il trouvait que l'état n'assumait pas sa fonction
D'assistance à personnes en danger...
Pourquoi était-il si révolté des souffrances des autres ?
N'avait-il pas assez des siennes, l'obligeant en permanence à faire
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Des choix drastiques sur ses activités, ses frustrations ?
Rue Saint Fiacre
Mon père avait pour patrons deux associés d'une entreprise
De vêtements de cuir. Ils y ont laissé leurs peaux, tellement
Ils ont travaillé. Lui, mon père, le travail, il le faisait,
Mais juste ce qu'il fallait pour vivre et jouer au bridge, c'était
Pas le genre à mettre de l'argent de côté où à se constituer un
Patrimoine immobilier, comme ses enfants l'ont fait plus tard.
Rue Saint Fiacre, maman et moi, toujours les mêmes, nous y allions
Livrer les pièces comme d'hab… et, curieusement, je ne me souviens
Pas si nous prenions un taxi ou si nous y allions en bus ou en métro.
De ses amis, il était arrivé à s'en faire des amis. Il y avait Marc, un petit
Gros et l'autre dont le nom m'échappe, petit et maigre. Ils passaient au
Moins trois soirées à jouer dans un club de bridge au métro Étoile.
Ce qui m'a toujours surpris, c'est que mon père étant pauvre, avait des
Amis très riches. Il a toujours aimé ça… Être pauvre, était sa jouissance.
Pourquoi ? A quoi cela correspondait dans sa tête de champion de cartes ?
Et bien ce soir, avec votre permission, j'en resterai là, mais tout de même
Il faudra bien qu'un jour, j'essaye de comprendre.
Rue du Docteur Goujon
Mon père tenait une boutique de vêtements de peaux à cet endroit-là.
Il était au départ cordonnier, puis il improvisa comme il a pu, tout au long
De son existence, d'ailleurs, je vous en ai déjà parlé, rue du Mont Thabor,
Mais je sais, je sais, vous ne retenez rien de ce que je vous raconte, à se
Demander pourquoi je me donne autant de mal. Alors donc, mon père un
Jour, comme tous les hommes, à l'occasion de sa deuxième puberté, trompa
Ma mère avec son ouvrière travaillant avec lui durant huit heures d'affiliées
Par jour et souvent six jours par semaine, jamais il n'aima autant le travail
Que pendant ce temps-là sauf que, je ne sais à la suite de quoi, il décida de
Partir avec elle en Italie, probablement à Venise, car Venise c'est bon pour
Ça et il nous laissa, nous, toute la famille, avec la boutique sur les bras.
Maman prit les rênes et moi la machine à coudre pour confectionner, c'est
Con d'avoir des souvenirs aussi dégradants, mais enfin c'est la réalité toute
Crue de la vie, alors n'ayons pas de gênes, écrivons comme ça vient, pour la
Première fois de ma vie, je cousais avec sa machine, Lacan tait-toi, laisse-moi
Continuer sinon je vais craquer. Je cousais des morceaux de cuir en
Patchworks pour faire des housses de coussins que l'on mettait en devanture
Pour les vendre quatre sous. Heureusement, Venise n'a duré qu'un temps et il
Revint, comme c'est souvent le cas avec les hommes en général, et reprit ses
Affaires, mais pas pour très longtemps. Il décida de jeter sa femme de la maison
Et la remplaça par la nouvelle, histoire d'occuper son temps et d'attendre
Tranquillement le jugement dernier qui n’arriva pas tout de suite, mais arriva
Quand même. C'était à l'Hôpital de la Salpétrière, j'avais bien voulu y aller,
Mais j'étais resté dans le couloir à jacter avec mon frère, car les morts à
Vrai dire ce n'est pas mon fort, mais pas mon fort du tout.
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Quai François-Mauriac
Hier, j'ai eu envie de sortir de mon home douillet personnel pour aller de
Ma banlieue, quelque part dans Paris, ville dont le poète disait, elle se
Donne toute, si on sait la prendre avec calme et sérénité, si on reste zen.
Bon, d'accord, seulement, vous voulez en savoir plus sur le programme de
Ma journée et je ne vois rien qui puisse empêcher les confidences qui vont
Suivre, sinon ma tendance toute naturelle à prendre de la distance face aux
Choses de la vie courante, mais puisqu'en ces lieux tout est permis et
Qu'entre nous, il n'y a aucune raison de faire tout un ramdam pour si peu,
Comme me le disait Amélie l'autre jour lors d'une promenade dans une rue
Dont le nom m'échappe pour l'instant. Me voilà donc à la Bibliothèque de
François Mitterrand, homme mort bêtement, je ne sais à quelle occasion !
Au MK2, je prends l'escalator avec une méfiance au ventre, je suis claustro.
J'ai peur de paniquer, d'avoir ce qu'on appelle un scénario catastrophe …
J'essaye de contenir cette tension qui fait monter l'angoisse. J'entre dans la
Salle trois, le film commence heureusement, ça calme ! Par hasard, j'avais
Décidé pour : "Un voyage en Arménie" de Robert Guédiguian.
Dès les premières images, une idée récurrente, obsédante, vient prendre place
À côté de moi comme un critique roncheux et malveillant, je me trouve face
À une glace me reflétant l'aspect sombre d'un moi-même ne me lâchant plus
D'une semelle. Je ne supporte plus de voir des acteurs. C'est gênant me dites-vous,
Car sans eux il n'y a plus de cinéma, c'est clair, mais cela est ma vérité à moi.
Les Depadieux, les Deneuves et compagnies, ratatinés ou pas, j'en ai ras le bol,
Mais l'idée fixe, le virus en moi, est plus prosaïque, elle relève de l'inexorable
Question du cinéma et de son rapport à l'argent, encore lui, toujours lui,
Partout dans tous les arts, l'art et l'argent, plus terrifiant encore, l'art c'est
L'expression du pouvoir de l'argent, du pouvoir par l'argent...
Cette question ne sera jamais résolue ni par moi ni par personne et c'est donc
Indépendamment de ma volonté qu'elle vient à mon esprit, quelquefois
Malade de ces titilleries inutiles et usant pour la santé.
Et là, dans ce film, dès le début, il y a plein de comédiens déjà vus ailleurs
Dans d'autres histoires auquel je n'ai rien à foutre, envie de partir, de quitter
La salle tout de suite, seulement voilà, des gens sont installés près de moi
Et pour m'échapper, il faudrait les déranger et ça, Madame, ce n'est pas bien
Voyez-vous, faut être correct. Votre obligé est donc resté assis, à attendre la
Fin, il a dû patienter éveillé, car il n'avait pas sommeil, puis, comme Zorro
Dans certains films anciens, tout à coup une fille, une enfant de je ne sais plus
Quel pays de là-bas, sort de l'écran et vient par son regard, son jeu, nous
Poignarder en plein cœur. Pour elle, pour le merveilleux voyage qu'elle nous
Offre là, il ne faut pas hésiter un seul instant… Faut y aller.
Je parle, je parle, et en attendant, je n'ai pas dévoilé mon idée fixe. Alors la
Voilà toute horrible, méchante et résumée en quelques lignes. Lorsque nous
Allons au cinéma, nous ne pensons pas à cette évidence : "Sans argent, tu ne
Fais pas un film". Ce dictat, vous pouvez l'attribuer à tous les arts, à peu près :
Sans argent tu ne peux rien faire, tu n'es rien. Il est le Dieu de tout et ça, tout
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Le monde l'a intégré, accepté et personne ne bouge.
En sortant du cinéma, j'étais content d'avoir vu un beau film commercial de
Merde qui aurait pu être un chef d'œuvre, s'il n'y avait cette question du
Comment montrer un film intéressant au plus grand nombre.
Vous voyez, les idées obsessionnelles fonctionnent ainsi. On tourne autour
Sans concession, on ne lâche pas prise facilement. Faut vite passer à autre chose,
Briser, casser l'engrenage dans lequel on est sinon c'est l'engouffrement assuré.
Heureusement, dans le hall, j'étais accoudé sur ce balustre donnant sur deux
Jeunes adolescents se bécotant, non sur un ban public, car ils savaient la chose
Éculée, mais dans un de ces doubles-fauteuils-rouge signés MK2, mis exprès à
Leur intention par un directeur pervers, et moi, moi, j'avais un appareil photo
Dans ma poche de pantalon rétro, acheté rue de l'Ancienne Comédie. Avec mon
Outil à la main, je les ai regardés en face et eux firent de même. Il y eut un certain
Regard complice entre nous, alors j'ai demandé l'autorisation de les prendre, ils
Ont accepté et j'ai par-devers moi de magnifiques images d'eux, que je garde en
Secret et ne peux donc vous les montrer, car je l'ai promis, je ne les divulguerai
Nulle part, pas même à vous.
Bon ! Seulement il est treize heures et c'est le moment de déjeuner. Ça tombe bien,
Sur place il y a ce qu'il faut, je choisis le restaurant le plus "clin" de la dalle BNF.
Je m'assois et trouve sur la carte un plat mangeable entrant dans le cadre de mon
Régime. Un monsieur et une dame sont installés à ma droite. Ils donnent l'impression
D'être amants comme Duras l'a été en son temps, mais là il y avait deux gosses,
Ceux de la femme, pas ceux de l'homme, ça crève les yeux !
C'est toujours chiant ces témoins encombrants d'histoires anciennes qui vous
Pompent toute votre énergie à faire la vie pas possible à ce "nouveau" que vous
Aimez présentement, peut-être pas pour toujours, mais enfin, il a l'avantage d'être
Là, lui, à vous tenir la main, assis tout près de vous sur cette banquette, on se sent
Comme transporté … Ça fait du bien, surtout quand on n'a plus vingt ans…
Et les gosses en face, à vous regarder, à vous juger pire que Dieu ne pourrait
Le faire, mais il est vrai, c'est fou comme on peut souffrir quand on est gosse !
L'homme profita de l'absence de sa maîtresse, partie faire un p'tit tour au sous-sol,
Pour régler son compte au plus grand, lui jetant à la figure des tas de mots,
Humainement inacceptables.
Que croyez-vous que ce genre de comportement de la part d'adultes puisse
Produire dans l'âme d'un jeune, avec sa sensibilité, son trauma dû à ces vies multiples
À facettes variables, subies plus que choisies ? Croyez-moi, de la haine en réserve,
Beaucoup de haine, et comme nous sommes dans un complexe de cinémas,
Il n'est pas inutile de rappeler cette question de la violence des films
Projetés à tout berzingue, tous écrans confondus, mais là, restons vigilants,
Nous ne sommes pas loin de la question de départ, celle de la puissance de
L'argent, de la toute puissance des Américains...
Bref, ça revient, l'obsession ne me quitte pas.
Mais attendez ce n'est pas tout, je commence à peine à manger mes frites sans sel,
Que deux hommes s'assoient à ma gauche et commencent à jacter assez fort pour
Être entendu de toute la salle et comme j'étais aux premières loges, je ne pu faire
Autrement que d'entendre leurs paroles venant tristement alimenter ma névrose.
L'homme assis sur la banquette dit avoir reçu une commande. Écrire trois livres
De toute urgence pour une riche milliardaire qui a de l'argent à ne savoir qu'en
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Faire et doit se rendre, pour ce travail, là-bas dans son palais, en Grèce… Déjà,
Tu vois le bonhomme auquel tu as à faire, la grande gueule. Ilva pendant tout
Le temps du repas, parler de tous ses bouquins faits ou à faire, citer des noms de
Photographes, de journalistes, tous prestigieux pour se gloser le fond de la luette…
Tu parles qu'est-ce que j'en ai à foutre de tes conneries… Bref, j'étais tout seul,
J'avais bientôt fini mon repas. Par chance la jeune fille me servant, paraissait
Beaucoup plus sympa qu'eux, elle était de la banlieue… Alors,
Je lui ai laissé un bon pourboire en lui parlant aimablement, mais très fort.
Rue de Charenton
Il me faudrait consacrer moins de temps à certains évènements inutiles et
En passer plus à provoquer ma mémoire lorsque j'ai envie de me promener à
Amsterdam, à Florence, à Lille ou à Bordeaux. Devoir et de parler à untel,
Unetelle, personnes vivantes ou non. Je pourrais donc à tout moment, lorsque
La volonté l'aura décidé, de faire intervenir cet outil en moi, ma mémoire …
Seulement, soyons lucides, je crains fort qu'il s'agisse là encore, d'une idée
Symptomatique, d'une fuite en avant…
Alors, la rue de Charenton ?
J'y ai vécu quelques années, j'ai failli écrire heureuses. Le bonheur se comptant
En p'tits moments et non en années, il m'est difficile de dire si c'était le cas.
Quand j'y vais maintenant et ça m'arrive quelques fois, est-ce par nostalgie ?
Pourtant, la nostalgie n'est pas mon fort. La dernière fois, j'y ai pris des photos
Dont quelques unes dans un bistrot donnant sur le métro Dugommier.
Muni de mon Sony Cybert-shot, je prends le carrefour, les passants, le Monoprix,
Je joue avec la réverbération de la glace me séparant du trottoir pour réaliser une
Photo géniale, mais pas de bol, de cet endroit je n'ai rien eu d'intéressant.
Une fois entré à la maison, tout est passé à la poubelle de mon iMac.
Seulement, quelques instants avant, j'avais avec moi, la bénédiction en
Personne, dans cette cour magique où je vécus avec ma petite famille, les toutes
Premières années de notre mariage… Avant d'aller plus loin dans cette introspection
Et pour mieux comprendre l'animal qui vous parle, sachez au moins une chose :
Pour des raisons de santé et par voie de conséquence de manque de confiance
En moi, je ne voyage quasiment presque plus aujourd'hui.
Alors, me rendre à Paris c'est ma façon d'aller voir ailleurs, souvent dans des
Quartiers connus afin ne pas être trop dépaysé, généralement dans la partie
Sud de Paris et ne pas m'éloigner de mon fief : la Roseraie de l'Hay …
Quel sens a ce tourisme douteux, à quoi je m'accroche ?
… Dans ce majestueux 225 de la rue de Charenton, j'ai fait de belles photos
Avec ses tonneaux de vin, servant depuis des lustres de réceptacles à des
Arbustes datant du temps où je n'étais pas encore né.
J'ai croisé un homme habitant l'escalier F, celui là même où nous avons vécu.
Il logeait au dernier étage alors que nous, nous étions au rez-de-chaussée. Comme
Nous avons sympathisé un peu, il me fit part d'un problème qu'ils avaient dans la
Copropriété : des carrières se trouvent sous les bâtiments et il faut les combler de
Béton, et ça, ça coûte très cher, un pur bordel pour le porte-monnaie..
De cette question, je crois bien en avoir eu écho lors de l'achat de notre appartement
En 1968, mais heureusement, nous quittâmes les lieux bien avant l'arrivée de ces
Travaux ruineux. Sinon, m'a-t-il dit, l'immeuble est très bien, nous sommes très
Contents de vivre là, c'est calme, mais regardez, il y a plein de fissures partout,
C'est lorsqu'ils ont construit tous ces nouveaux immeubles aux alentours, alors
Évidemment, ça a fait bouger l'ensemble du quartier.
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