dossier Bioéthique Y a-t-il une conception de droite de la bioéthique ? L Par Jean Leonetti Député Les religions révèlent une vérité, la morale édicte des règles, seule l’éthique s’interroge. La bioéthique n’est rien d’autre qu’une interrogation morale sur le risque que comporte l’application des découvertes scientifiques pour le respect de la dignité de la personne humaine. Y a-t-il dans cette quête de vérité une conception « de droite » et une conception « de gauche » de la bioéthique ? 22 / septembre 2012 / n°424 ’idée même qu’une conception politique sur l’embryon humain ? Doit-on autoriser puisse présider au débat bioéthique est les mères porteuses ? Puis je prélever des contraire à une démarche de doute utile organes chez des personnes décédées sans et fertile indispensable à l’interrogation à autorisation ? « l’inquiétude » éthique. On peut, bien sûr, simplifier les problèmes bioéthiques en les Un chemin original résumant au combat de la science contre L’éthique est une casuistique qui pose les la morale et même du progrès contre la problèmes au cas par cas et réclame des morale établie, inspirée par la religion. Il réponses concrètes. Chaque réponse peut y aurait alors, d’un côté les progressistes cependant remettre en cause l’édifice de de gauche, et de l’autre les conservateurs nos valeurs communes. de droite. Une conception de droite de la À première vue rien ne doit s’opposer bioéthique n’aurait alors d’autre objectif aux avancées de la science. On n’arrête que de freiner la marche inéluctable du pas le progrès et d’autres pays sont en progrès scientifique pour avance sur nous. Le temps des raisons d’ordre moral. presse dans la compétition La démarche On pourrait même penser scientifique mondiale. qu’il n’y a pas d’arguments Pourtant, dans certains éthique ne peut se rationnels pour s’opposer pays démocratiques, des concevoir comme aux applications des majorités diverses ont l’affrontement de découvertes scientifiques autorisé des pratiques la morale contre la qui ont démontré depuis des médicales contestables sur siècles qu’elles engendraient science encore moins le plan éthique. En Suisse, des améliorations consi­ du bien contre le mal on donne la mort dans le dérables de la durée et de cadre d’une assistance au la qualité de la vie humaine. suicide à des sujets âgés L’histoire scientifique n’est-elle pas une seulement « las de vivre ». Aux États-Unis, succession de transgressions, de Galilée à on peut louer par contrat le ventre d’une Darwin ? Pourquoi limiter le possible ? femme pour s’éviter les inconvénients d’une grossesse. Au Danemark, on choisit dans le Mais tout ce qui est scientifiquement possible cadre de la procréation médicale assistée, n’est pas humainement souhaitable, et la sur catalogue le profil du donneur de sperme démarche éthique ne peut se concevoir en fonction de ses études et de ses revenus. comme l’affrontement de la morale contre la La réflexion bioéthique trace en fait un science encore moins du bien contre le mal ; chemin original entre deux courants de elle est presque toujours un bien contre un pensée qui irriguent notre société, mais qui bien, un conflit de valeurs. La vie humaine bousculent les clivages politiques. contre la liberté de décider sa mort ou le Le fatalisme utilitariste considère que désir d’enfant contre l’indisponibilité du toute découverte scientifique ou technique corps humain. Ainsi, si chacun s’accordera trouvera tôt ou tard son application au pour respecter la dignité de la personne ou nom du droit de chacun à bénéficier des s’opposer à la marchandisation de l’humain, progrès de la science ou au nom du marché. les avis divergent dès que l’on évoque L’individu appelle la société et la médecine une situation particulière : faut-il déceler à répondre à ses désirs et à son aspiration toutes les anomalies possibles chez l’enfant au bonheur. Il dit : « C’est mon choix » et le à naître et rechercher l’enfant parfait ? considère comme un droit opposable. Dans Peut-on pratiquer des expérimentations dossier cette tradition, la dignité est « l’estime de soi » et ne se définit que par la personne concernée. C’est l’éthique de l’autonomie ; elle a pour source la liberté, elle a pour risque l’individualisme. L’éthique de vulnérabilité prend une autre voie, elle imagine l’humain fragile construit par les autres et reliés à eux par un destin commun. Le plus vulnérable doit être protégé et la diversité respectée. Dans cette conception éthique, la dignité est liée à l’humanité et ne peut être remise en cause par quiconque. Cette éthique de la vulnérabilité a pour source la solidarité, elle a pour risque que le choix collectif entrave le libre choix de la personne. Une démarche démocratique On voit bien que ces deux courants de pensée sont eux-mêmes traversés par les traditions de pensée de droite et de gauche. La pensée politique de droite s’appuie traditionnellement sur la liberté individuelle, source de responsabilité et d’épanouissement de la personne. La pensée de gauche sur la solidarité et la vision collective de la société. Mais, est-ce s’affirmer de droite que de s’opposer à la pratique de gestation pour autrui, alors que la pratique des « mères porteuses », décidée librement par contrat entre adultes responsables, remet en cause la dignité de la femme et la marchandisation du corps humain ? Est-ce s’affirmer de droite que de refuser le clonage, qui est la négation de la diversité de l’humain et de sa fragilité ? Est-ce s’affirmer de droite que de respecter le refus des personnes qui l’expriment de prélever leurs organes après leur mort et accepter ainsi de ne pas sauver un malade en attente de greffe ? Est-ce s’affirmer de droite que de refuser que l’embryon humain ne soit qu’un matériel biologique soumis à tout type d’expérimentations et de s’opposer à la recherche eugénique de l’enfant sélectionné pour être parfait ? Il ne s’agit donc pas de tout interdire au nom de l’autorité, ni de tout permettre au nom de la liberté, mais d’accepter un débat démocratique sur ces sujets qui engagent notre avenir commun. Les états généraux de la bioéthique ont permis, en constituant des panels citoyens tirés au sort, à nos concitoyens de s’approprier ces sujets, d’exprimer des avis et de s’affranchir des seules décisions des experts et des politiques. Nous avons largement tenu compte des avis de nos concitoyens dans les décisions prises. Nous avons fait le choix du débat citoyen et avons préféré le doute collectif aux certitudes individuelles. Cette démarche démocratique est désormais devenue obligatoire avant de légiférer sur ces sujets. Reste à savoir si le peuple français a une conception de droite de la bioéthique ? ■ / septembre 2012 / n°424 23