Extrait de l'ouvrage : Les dérèglements économiques internationaux : Crise du droit ou droit des crises ? Sous la dir. d'Habib Ghérari EAN : 978-2-233-00717-9 éditions A.Pedone 2014 FACE AUX CRISES DE LA GLOBALISATION FINANCIERE, LA QUESTION DE LA GOUVERNANCE MONETAIRE ET FINANCIERE INTERNATIONALE RESTE POSEE1 ANDRÉ CARTAPANIS Professeur à Sciences Po Aix-en-Provence Chercheur au GREDEG, UMR 6126, CNRS – Université de Nice Sophia Antipolis et au CHERPA, EA 4261, Sciences Po Aix-en-Provence. AVANT-PROPOS : APRÈS LA CRISE FINANCIÈRE MONDIALE, UNE GOUVERNANCE INTERNATIONALE QUI MARQUE LE PAS Aujourd’hui, la globalisation financière, comme la finance en général, a mauvaise presse et elle se trouve accusée de tous les maux : elle serait la cause principale des crises financières ; elle aurait engendré la captation de rentes injustifiées de la part de spéculateurs internationaux recherchant des rendements extravagants ; elle exercerait des pressions injustifiées sur les Etats, les marchés financiers exigeant pour certains d’entre eux des primes de risques très élevées et donc des taux d’intérêt prohibitifs… Pourtant, il y a 30 ans, au début de la phase de globalisation financière, celleci était parée de nombreux attraits. Certains y voyaient une solution miracle face à la pénurie d’épargne et aux blocages du développement parmi les pays du Sud. D’autres soulignaient qu’il s’agissait là d’un moyen de réduire les contraintes de balances des paiements. Beaucoup considéraient que la globalisation financière était le vecteur d’une discipline accrue, source d’une plus grande efficience, tant parmi les Etats que parmi les intermédiaires financiers. Mais nombre de risques avaient été sous-estimés : liquidité mondiale incontrôlée, bulles sur les marchés d’actifs, contagions planétaires… Et surtout, on ne peut que reconnaître l’existence d’une corrélation entre l’approfondissement de la globalisation financière et la récurrence des crises financières (crises de change, crises bancaires, krachs boursiers, crises jumelles) qui se transforment désormais en crises systémiques. C’est là un constat empirique que nul ne conteste : la globalisation financière s’est accompagnée d’une recrudescence des crises 1 Ce texte présente le contenu de la conférence de l’auteur lors des Journées internationales du CERIC, Les dérèglements internationaux : crise du droit ou droit des crises, Aix-en-Provence, 21-22 mars 2013, et reprend certains développements figurant dans des travaux récemment publiés ou à paraître. Cet ouvrage est en vente chez votre libraire et auprès des éditions A.Pedone 13 rue Soufflot 75005 Paris France tel : + 39 (0) 1 43 54 05 97 - Email : [email protected] - site : www.pedone.info Extrait de l'ouvrage : Les dérèglements économiques internationaux : Crise du droit ou droit des crises ? Sous la dir. d'Habib Ghérari EAN : 978-2-233-00717-9 éditions A.Pedone 2014 ANDRÉ CARTAPANIS financières, pas seulement parmi les émergents. Tel fut le cas, d’abord, au cours des années 1980 : crises de change à répétition en Europe, krach boursier, crises de la dette en Amérique latine. Depuis la moitié des années des années 1990, c’est surtout parmi les économies émergentes que les crises se multiplient, on l’a vu avec la crise mexicaine, puis avec la crise asiatique. Plus récemment, on a pu observer que ces crises n’épargnaient pas les pays les plus riches après le déclenchement de la crise américaine, rapidement transformée en crise systémique d’ampleur planétaire et conduisant à une grande récession. Car désormais les risques financiers donnent naissance à de véritables crises systémiques en réponse à de multiples mécanismes de contagion. S’agissant de cette crise, qui démarre en 2008-2009, et dont on n’est pas encore réellement sorti, il convient de souligner la responsabilité toute particulière des flux de capitaux bancaires et des investissements de portefeuille, notamment des flux initiés par les banques européennes. Celles-ci ont contribué à une intermédiation bancaire internationale à vaste échelle vers l’économie américaine, avec un allongement et une complexité accrue des circuits financiers et un très fort accroissement des risques. Les banques européennes ont fortement augmenté leur endettement à court-terme aux Etats-Unis, sur le marché monétaire, et, dans le même temps, leurs encours de prêts à long-terme ou d’investissements à risque en acquérant des titres adossés aux crédits hypothécaires de type ABS (Asset Backed Securities) ou CDO (Collateralized Debt Obligations) aux Etats-Unis… Le poids considérable des grandes banques internationales et du shadow system banking a évidemment accentué les risques systémiques en créant un énorme potentiel de déstabilisation en cas de choc spécifique. La faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 et ses effets systémiques constituent un exemple emblématique de cette nouvelle dimension de la finance globale. La crise de 2008-2009 n’est donc pas seulement une crise de la finance américaine. Elle résulte aussi des nouvelles interdépendances suscitées par la globalisation financière. Et cela, avant, pendant, et après la crise. Dans l’avantcrise, avec l’explosion de la liquidité et le rôle des afflux internationaux de liquidités, avec le rôle des investisseurs internationaux dans l’acquisition des produits financiers titrisés et l’accumulation des positions à risque aux EtatsUnis. Tout cela a beaucoup facilité le boom du crédit. Pendant la crise, parce que la globalisation financière a affecté l’incidence et la propagation de la crise américaine, via les relations interbancaires internationales, les positions croisées transfrontières, les ajustements de bilan incluant des créances et des engagements internationaux. Cela est également apparu au niveau de la gestion de crise, car les sauvetages sont plus complexes, tout comme le mode de résolution des faillites bancaires, quand plusieurs économies, et donc des responsables politiques de plusieurs pays, sont concernés. Enfin, dans l’aprèscrise, car à cause de la globalisation financière, on a observé de nombreux effets de propagation, à l’échelle internationale, des politiques monétaires nonconventionnelles menées aux Etats-Unis, créant de nouvelles tensions monétaires et financières parmi les économies émergentes d’Asie ou d’Amérique latine. Nul ne peut aujourd’hui en douter, la globalisation financière est à la fois 62 Cet ouvrage est en vente chez votre libraire et auprès des éditions A.Pedone 13 rue Soufflot 75005 Paris France tel : + 39 (0) 1 43 54 05 97 - Email : [email protected] - site : www.pedone.info Extrait de l'ouvrage : Les dérèglements économiques internationaux : Crise du droit ou droit des crises ? Sous la dir. d'Habib Ghérari EAN : 978-2-233-00717-9 éditions A.Pedone 2014 LA GOUVERNANCE MONÉTAIRE ET FINANCIÈRE un facteur et un amplificateur de crises financières qui exige une réponse collective de la part des Etats. Lors de la grande dépression des années 1930, les politiques protectionnistes et le recours aux dévaluations concurrentielles avaient provoqué le repli des économies, la chute des échanges internationaux, l’enlisement durable dans la crise. D’où la nécessité en 2008-2009 d’une coordination internationale des politiques de gestion de crise et la mise en œuvre d’une batterie d’actions collectives : sauvetages ou renflouements des banques, interventions sur les marchés, soutien de la croissance, nouvelles régulations des marchés financiers et durcissement du contrôle prudentiel des banques. Or, les institutions internationales (FMI, BRI, OCDE, Comité de Bâle…) et les modes de coopération existants se révèlent alors peu adaptés, en termes de moyens financiers, de compétences et d’instruments d’intervention, ou de répartition des pouvoirs. D’où l’entrée en scène du G20, sorte de club informel réunissant les principales puissances mondiales, et qui s’institue sui generis comme le lieu privilégié de l’action collective des Etats face à la crise et devant le risque de déflagration de la finance mondiale. C’est aussi l’instance où vont se discuter et même s’amorcer des pistes quant à la mise en place de nouvelles règles du jeu face à une gouvernance mondiale introuvable. Mais en 2013, la gouvernance économique mondiale reste encore un projet. Le G20 a démontré son utilité au plus fort de la crise en mobilisant les principales puissances économiques dans la mise en œuvre des politiques de sauvetage des banques et la généralisation des stratégies de soutien de la demande. Egalement, en lançant plusieurs chantiers, en particulier celui des nouvelles régulations financières qui se concrétisera avec l’approbation de Bâle III lors du Sommet de Séoul, fin 2010. Mais sur le plan macroéconomique et en matière monétaire internationale, les progrès enregistrés sur la voie d’une gouvernance mondiale sont bien plus ténus. Prenons l’exemple du Sommet du G20, qui s’est tenu à Cannes en novembre 2011. On attendait de ce G20 qu’il apporte des réponses résolues face à l’aggravation de la situation financière en Europe, depuis l’été 2011, et face au risque d’un très net ralentissement de l’économie mondiale que laissaient craindre toutes les prévisions officielles. Certes, dans le Communiqué final, on pouvait lire que les pays développés s’engagent à adopter des politiques de nature à renforcer la confiance et à soutenir la croissance. Mais cet engagement est resté lettre morte. Dans le domaine de la gouvernance mondiale, le Communiqué indiquait qu’en fonction de leur situation nationale, les pays dont les finances publiques demeurent solides s’engagent à laisser fonctionner les mécanismes de stabilisation automatiques et à prendre des mesures discrétionnaires pour soutenir la demande intérieure si la situation économique devait s’aggraver fortement. Les pays affichant des excédents courants s’engagent à mettre en œuvre des réformes destinées à accroître la demande intérieure, associées à une plus grande flexibilité des taux de change. Derrière cette position de principe figuraient implicitement deux pays : l’Allemagne, dont on attendait donc qu’elle mène une politique salariale et budgétaire plus 63 Cet ouvrage est en vente chez votre libraire et auprès des éditions A.Pedone 13 rue Soufflot 75005 Paris France tel : + 39 (0) 1 43 54 05 97 - Email : [email protected] - site : www.pedone.info Extrait de l'ouvrage : Les dérèglements économiques internationaux : Crise du droit ou droit des crises ? Sous la dir. d'Habib Ghérari EAN : 978-2-233-00717-9 éditions A.Pedone 2014 ANDRÉ CARTAPANIS accommodante ; et la Chine, appelée à laisser s’apprécier significativement son taux de change face au dollar ou à l’euro. Or, ces deux pays n’ont infléchi leurs politiques qu’à la marge et nul ne peut croire qu’ils s’attacheront, dans un avenir immédiat, à l’application de tels engagements, si contraires à leurs options de politique économique depuis une dizaine d’années. Le Communiqué issu du Sommet du G20, les 18 et 19 juin 2012, à Los Cabos, au Mexique, est dans le même ton : les pays européens feront tout leur possible pour encourager les ajustements internes à la zone et pour promouvoir la demande et la croissance dans les pays excédentaires. Autrement dit, l’Allemagne doit créer un choc de demande interne ! Et la Chine s’engage à nouveau à libéraliser un peu plus son régime de change… C’est du déjà vu ! Quant aux travaux du G20 Finances, qui préparent le Sommet de SaintPétersbourg, les 5 et 6 septembre 2013, au-delà des pétitions de principe habituelles sur l’importance d’une coordination accrue et d’un rééquilibrage de la croissance mondiale parmi les pays du G20, ils marquent un quasi-abandon des engagements macroéconomiques des pays membres au profit d’une thématique qui n’engage guère les participants, en l’occurrence l’identification des facteurs de la croissance économique à long terme ! On le constate, au-delà des postures formelles figurant dans les communiqués du G20, le statu quo non coopératif l’emporte toujours du côté intergouvernemental malgré la récession en Europe, le ralentissement de la croissance mondiale, le maintien de très importants déséquilibres de balances des paiements courants et l’importance des distorsions de taux de change réels. Le bilan est tout différent s’agissant des banques centrales. Ce sont principalement les banques centrales, mais aussi le Conseil de stabilité financière, la BRI et toutes les structures qui lui sont adossées, en particulier le Comité de Bâle, qui se sont trouvées au cœur de la gestion d’urgence et de la résolution des crises de liquidité, avant de définir les nouveaux standards prudentiels. Elles l’ont fait de façon bien plus discrète que les chefs d’Etats et de gouvernements siégeant au G20, mais avec une efficacité indiscutable, par exemple en activant à plusieurs occasions, pour des montants considérables, les lignes de swaps en dollars pour répondre aux crises de liquidité, notamment en Europe, ou encore en menant des politiques monétaires non-conventionnelles et en maintenant les taux directeurs à des niveaux très bas. Par leur rapidité d’action, par leurs échanges d’informations en temps continu, par la coordination de leurs interventions, les banques centrales ont évité l’implosion pure et simple du système financier mondial. Depuis, elles ont même regagné certains pouvoirs, à l’image de la Banque d’Angleterre qui a récupéré les fonctions de supervision qui lui avaient été soustraites au profit du FSA, ou de la Fed qui officie désormais dans la supervision des institutions bancaires systémiques. Quant à la BCE, les gouvernements de la zone euro lui confient désormais la supervision bancaire en Europe et le mode de résolution des faillites bancaires. En ce sens, selon l’expression de Claudio Borio, le chief economist de la BRI, les banques centrales ne sont plus les mêmes. Elles sont pleinement conscientes que le principe de séparation, distinguant de façon étanche l’objectif de stabilité 64 Cet ouvrage est en vente chez votre libraire et auprès des éditions A.Pedone 13 rue Soufflot 75005 Paris France tel : + 39 (0) 1 43 54 05 97 - Email : [email protected] - site : www.pedone.info Extrait de l'ouvrage : Les dérèglements économiques internationaux : Crise du droit ou droit des crises ? Sous la dir. d'Habib Ghérari EAN : 978-2-233-00717-9 éditions A.Pedone 2014 LA GOUVERNANCE MONÉTAIRE ET FINANCIÈRE monétaire et l’impératif de stabilité financière, est caduc. Mais elles ne pourront pas échapper à une coordination internationale beaucoup plus approfondie de leurs politiques afin de juguler ex ante les fragilités financières. Pourquoi, alors, ne pas faire des banques centrales le cœur de la gouvernance monétaire et financière internationale ? Référons-nous aux grands modèles de gouvernance mondiale proposés dès 2002 dans un rapport du Conseil d’analyse économique. Si l’on exclut l’autorégulation privée dont les insuffisances sont patentes aux yeux de tous depuis la crise financière, si l’on écarte également le gouvernement mondial, dénué de tout réalisme, et si l’on relève les insuffisances, malgré le renouveau du G20, à l’automne 2008, de la coopération institutionnalisée des gouvernements, soit sous une forme discrétionnaire, soit au sein d’une institution internationale comme le FMI, alors c’est la solution d’une mise en réseau d’autorités indépendantes qui a le plus de chances d’émerger, tout particulièrement en matière de stabilité financière, et cela concerne évidemment les banques centrales. Telle est la problématique envisagée dans cet article. Mais revenons au préalable sur la configuration actuelle de l’économie mondiale au regard des règles monétaires et financières de nature à coordonner le jeu des marchés et les politiques économiques que mènent les Etats. I. UN SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL INTROUVABLE … Depuis l’effondrement du système de Bretton Woods, au début des années 1970, la reconstruction du système monétaire international s’apparente à un agenda permanent, sans avancée significative. Dernière en date, l’initiative française d’inscrire la réforme du système monétaire international à l’ordre du jour du G20, lors du Sommet de Cannes, en novembre 2011, a fait long feu et l’on se trouve dans un régime monétaire international hybride et complexe, difficile à caractériser au regard des standards théoriques, on va le voir. Pour autant, cette configuration, depuis 40 ans, n’a pas conduit à un chaos monétaire provoquant une décomposition de l’économie mondiale et un repli des économies nationales sur elles-mêmes, comme on avait pu le voir dans les années 1930. Bien au contraire, l’intégration financière internationale s’est fortement étendue et l’on a même pu parler, dans les années 2000, jusqu’à la crise, d’une grande modération, associant maîtrise de l’inflation et croissance élevée, surtout parmi les pays émergents. Mais cela s’est accompagné de crises à répétition, monétaires ou financières, tant parmi les pays émergents qu’en ce qui concerne les économies les plus développées. On peut même considérer que la crise financière systémique qui démarre en 2007-2008 aux Etats-Unis, si elle a obéi à de multiples facteurs internes liés aux innovations financières et à une situation de surendettement généralisé, a été facilitée, si ce n’est engendrée, par l’excès de liquidités internationales et la faiblesse des taux longs induits par les déséquilibres globaux, les distorsions de taux de change, l’ampleur des mouvements internationaux de capitaux, autant de phénomènes rendus possibles par l’absence de règles d’ajustement sur le plan international. 65 Cet ouvrage est en vente chez votre libraire et auprès des éditions A.Pedone 13 rue Soufflot 75005 Paris France tel : + 39 (0) 1 43 54 05 97 - Email : [email protected] - site : www.pedone.info