Handicap justifié et défendu du marché monétaire Libanais

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La non intégration financière libanaise : Handicap ou
objectif ?
Layal Mansour Doctorante en Sciences Economiques / Université Lumière Lyon 2- France
(Article tiré du mémoire « Le paradoxe du marché financier libanais : un marché de
spéculateurs sans spéculations », soutenu à l‟Université Saint Joseph- FGM- Master 2
Recherche - Finance, Septembre 2008 ; présenté par Layal Mansour sous la direction du
Professeur Jean Tannous)
Résumé
Suite au fort taux de dollarisation et au taux d’endettement vertigineux, les autorités
monétaires libanaises pratiquent un régime de change fixe afin d‟aboutir à la stabilité des
prix. Ce régime menace la spéculation puisque le marché dérivé existe et s‟associe à
l‟abandon de la fixité des taux de change, à la libéralisation des marchés financiers et à
l‟extension progressive de la liberté des mouvements de capitaux. L‟Etat lutte contre la
spéculation en passant par les anticipations, car celles-ci provoquent les décisions et les
choix spéculatifs. L‟absence des anticipations constitue un des fondements des anomalies du
marché1 du fait que l‟activité économique revêt une dimension spéculative 2 et que la
spéculation suppose la formation d‟anticipations 3.
Alors que les autorités monétaires libanaises sont accusées de contribuer au handicap de
l’activité saine du marché financier et monétaire, ce handicap a paradoxalement sauvé le
Liban de la crise subprime qui a envahit quasiment le monde.
Introduction
Devereux et Sutherlan, (2005) étudient la politique monétaire et financière optimale dans un
contexte de globalisation. Ils concluent qu‟en général, l‟objectif fondamental de la politique
monétaire optimale ne doit pas changer, même pendant l‟ère de la globalisation financière.
1
Vizzauona P : Marchés Financiers, normes européennes, 2000, p.242
Plihon D : Les Taux de Change, 2006, p.31
3
Dohni L et Haunaut C : Les Taux de Change, Déterminants, Opportunités et risques, 2004, p.71.
2
1
Autrement dit, l‟objectif final des autorités monétaires reste classique : le maintien de la
stabilité des prix.
Il est vrai que l‟objectif final est « quasi » unique et/ou identique pour la plupart des pays
mais les instruments le sont moins ; ils sont désormais choisis, analysés et adaptés de façon à
être compatibles avec l‟économie du pays en question.
Si l‟économie subit une
«hémorragie », un instrument d’urgence quoique critiqué serait donc envisagé.
C‟est ainsi qu‟au Liban, pour faire face à la dollarisation majeure fragilisant le système
financier (De Nicolo, Hanohan et Ize 2004), les autorités monétaires et financières optent pour
un régime de taux de change fixe et prennent des mesures de restriction diverses antispéculatives. Or l‟activité économique revêt une dimension spéculative. Nous assistons par la
suite à la non intégration financière, soit à un handicap de l‟activité économique et financière
au niveau international.
Ce handicap volontaire qui place le Liban en marge de la mondialisation protège le Liban des
effets de contagion planétaire (la crise subprime) aboutissant ainsi à l‟objectif final et à la
stabilité des prix. Bien que certains auteurs comme Obsfelt (1998), Prasad, Rogoff, Wei, Kose
(2004) et Mishkin (2005) pensent que la libéralisation financière promeut la croissance
économique et permet de réduire l‟inflation (Mishkin 2008), le Liban répond plutôt aux
études de Bencivenga et Smith (1992) qui mettent en évidence
un degré optimal de
répression financière même si le déficit de l‟Etat est trop important.
La première partie mettra en œuvre l‟état délicat de l‟économie libanaise encourageant le
gouvernement à intervenir, ensuite dans la deuxième partie nous verrons comment se fait
l‟action des autorités monétaires et financières. Enfin nous achèverons ce travail avec un état
des lieux de la politique monétaire libanaise en 2008 après la crise subprime .
I- La complexité de l’économie libanaise
Les caractéristiques dominantes du début du XXème siècle sont : 1- une évolution vers
l‟intégration mondiale et régionale des finances, de la production et des échanges
2
commerciaux, 2-le laisser faire correspondant concernant les fluctuations entre monnaies-clés
mondiales, ainsi que 3-la forte incidence des crises monétaires et financières dans un contexte
d‟intense mobilité de capitaux. Tel est le contexte dans lequel de nombreux pays en
développement doivent choisir une stratégie appropriée d’intégration monétaire et de
régime de taux de change.
Certains auteurs pensent que le régime de taux de change flexible contribue au développement
économique du pays. Rogoff (2004) insiste sur la nécessité d‟un certain degré de flexibilité du
taux de change, et dont le degré dépendra du niveau développé du pays. Selon Devereux et al
(2003) et Obsfelt (2006), le taux de change flexible est toujours désiré par les pays, surtout
s‟ils sont face à des chocs réels (choc de productivité, ou au niveau du commerce).
D‟autres défendent le régime de taux de change fixe dans son avantage qu‟il porte quant à la
1-réduction des coûts de transaction et les risques de taux de change qui peuvent décourager
le commerce et les Investissement, et 2- procuration de l‟ancre nominal crédible pour la
politique monétaire (A savoir qu’il existe des régimes de change intermédiaires4, mais ces
derniers temps les conseils tournaient autour de la question d’opter pour les solutions
« extrêmes » monétaristes5).
En réalité, les crises monétaires et financières tragiques de l‟Equateur (1999), Russie (1998),
Argentine (2001-2002), Turquie (2000-2001) et Brésil ayant adopté des régimes de change
différents, approuvent qu‟ « aucun régime de change n’est correct, pour tout pays ou à tout
moment » (Frankel, 1999). Le régime de taux de change ne peut pas empêcher une turbulence
économique, mais le choix peut être mieux ou non, adapté aux institutions et aux
caractéristiques économiques du pays (Calvo 2003).
Le choix du régime de taux de change doit donc correspondre au niveau fiscal et au niveau
des institutions monétaires et financières du pays, à la dollarisation et aux chocs soudains,
mais aussi il faut tenir compte du contexte temporel.
4 En 1999, parmi 185 pays, FMI classe 47 „‟flottant‟‟, 45 „‟fixe‟‟ (currency board, union monétaire CFA) et 93
pays avaient un taux de change intermédiaire. Inn Frankel (1999), No single currency regime is right for all
countries or all times, NBER, Working Paper N°7338
5 De Macedo B, Cohen D, Reinsen H: Taux de change ni fixe ni flottant, 2001 p 17.
3
En d‟autres termes, selon Calvo et Mishkin (2003), un taux de change flexible est préférable
dans un pays s‟il est sujet à de troubles externes (le taux de change flexible permettra d‟avoir
une politique monétaire indépendante et permettra un ajustement automatique), et le taux de
change fixe est désiré dans un pays sujet à de troubles internes : un pays dollarisé
(currency board) ou totalement dollarisé (full dollarization). Cependant, en étudiant les
caractéristiques économiques du Liban, nous comprendrons pourquoi le régime de taux de
change fixe est le bienvenu.
La dollarisation au Liban
D‟après Mishkin et Savastano 6(2001), la dollarisation rend insoutenable un taux de change
flexible.
Dans le langage courant, le terme dollarisation est utilisé pour définir des cas correspondants
en réalité au currency board. Bien que ces deux notions se ressemblent, il existe des
différences de fond 7.
Reinhart, Rogoff et Savastano (2003) dans „‟Addicted do Dollar‟‟, étudient les économies
dollarisées (en excluant les pays totalement dollarisés et les pays industrialisés) :
1- Ils établissent un indice composite de dollarisation pour chaque pays. Cet indice
composite comprends 3 indices : (1-Les dépôts bancaires en monnaies étrangères (part de la
quantité de monnaie au sens large), 2-la dette extérieure totale (part du PNB), 3-la dette
publique domestique dénommée en monnaie étrangère (part de la dette domestique totale).
2- Chaque pays est classé en quatre catégories selon la variété de dollarisation exposée.
Dettes du secteur privé de 10% ou
Dettes secteur privé de moins
plus du total de la dette externe
de 10% du total de la dette
externe
Au moins 10% de la monnaie au sens large ou de
Type I
Type II
la dette publique domestique est libellée en devises
étrangères
6 Inn The Mirage Of Exchange Rate Regimes for Emerging Market Countries,Guillermo A, Calvo, Mishkin F,
2003, NBER Working Paper, N°9808, 41p.
7
Le currency board est un régime de change fondé sur un engagement de convertibilité automatique et la
dollarisation peut être définie comme une succession du currency board, car elle donne encore plus de crédibilité
à l‟engagement du pays de ne plus jamais recourir à la dévaluation de lamonnaie nationale dans une autre devise,
et ce à un taux de change fixe.
4
Moins que 10% de la monnaie au sens large ou de
Type III
Type IV
la dette publique est libellée en devises étrangères
3- Chacun de ces 3 indices est transformé en un indice qui peut prendre une valeur de 0 à
10.
4- L‟indice composite permet de mesurer le degré de la dollarisation partielle de chaque
pays dans une échelle allant de 0 à 30.
Le Liban est placé dans la première catégorie (Voir Annexe 1) et son indice composite est égal à
14. Le Liban est donc parmi les pays les plus dollarisés.
Une autre étude a été effectuée par De Nicolo, Hanohan et Ize (2004) à partir du ratio
« Onshore foreign currency deposit / total onshore bank deposit ». Il s‟agit d‟étudier un des
trois types de dollarisation8 : la dollarisation financière (financial dollarization). Ce ratio
permet d‟observer quelques aspects de la dollarisation, reflète le poids de la demande de
dépôts et les payements dollarisés9.
Le taux de dollarisation au Liban dépasse les 69%. (Annexe 2) Le Liban fait partit des pays les
plus dollarisés au monde, classé après Géorgie, Angola, Arménie, Azerbaïdjan, Bolivie et
Cambodge.
Pourquoi la dollarisation?
Au moins deux raisons justifient la dollarisation au Liban. Tout d‟abord, la dollarisation au
Liban dépend de la qualité institutionnelle, des règles structurelles et de l’environnement
macroéconomique :
1- D‟une part, selon les mêmes auteurs De Nicolo, et al (2004), la dollarisation est le résultat
d‟une tentative raisonnable de se protéger contre une variété de risques : les risques relatifs du
8 Il existe 3 types de dollarisation 1-le “payement dollarization” connu sous le nom de currency substitution, ce
sont les devises étrangères utilisées par les résidents pour effectuer des transaction espèce, demande de dépôt ou
de réserve à la banque centrale. 2-le « financial dollarization » connu aussi sous le nom de asset substitution,
c‟est ce que possèdent les résidents en Actif ou Passif en devises étrangères. 3-le « real dollarization » est
l‟indice formel ou de facto des prix ou des salaries en dollar.
9
La faiblesse de ce ration c‟est qu‟il n‟inclut ni les espèces et les dépôts offshores qui constituent une fraction
substantielle des portefeuilles des investisseurs de certains pays, ni les « nonbank holding » des instruments
financiers (government securities, shares in mutual funds, pension and insurance claims).
5
taux de change réel et le mouvement de l‟inflation domestique (la dollarisation permet de
modérer les effets inflationnistes sur le système financier, mais en revanche, elle permet d’accroître le
risque du système bancaire (risque d liquidité et de solvabilité).
Le risque environnemental « i » qui englobe -1- la politique et ses effets sur l’inflation, -2l’ouverture économique et -3- les mesures légales du protectionnisme, mesure le risque basé
sur les mouvements des prix. Autrement dit, calcul la part de la dollarisation « garantie » par
rapport à la variance portefeuille minimale calculée depuis l‟historique de la variance et la
covariance des prix et du taux de change 10. La formule du risque environnemental est donnée
ci-dessous :
I= V(π) + Cov (π,s) / V(π) + V(s) + 2 Cov (π, s)‟
-π désigne l‟inflation
-s désigne la dépréciation réelle (on considère que la moindre variance du portefeuille dépend
du prix (π) et du taux de change (s).
-la corrélation entre le prix de la devise étrangère et le PIB est une mesure du potentiel du
dollar comme une réelle couverture
- et comme cité ci-dessus, nous prenons en considération l‟ouverture commerciale
la
restriction administrative des dépôts bancaires, l‟âge moyen des dépôts bancaires.
Le niveau moyen des dépôts dollarisés est pris comme étant une variable dépendante.
Le résultat (Annexe 3) montre que le marché des dépôts de devises étrangères répond à une
anticipation d‟un ensemble de risque environnemental et qu‟il existe une forte corrélation
entre le taux de dollarisation et la régulation, ainsi que la qualité institutionnelle :

Une anticipation du taux d‟inflation de doubler entraîne une augmentation de la
dollarisation de 5%.

Le passage d’une restriction administrative très stricte à complètement non stricte
augmente la dollarisation de 37%, or le Liban est doté d‟une totale liberté de détenir des
devises étrangères comme une monnaie de substitut sans aucune restriction. (Annexe 3)
10
Il faut prendre en considération l‟endogénéité pour étudier l‟impact de la dollarisation sur le développement du
système bancaire, car plusieurs facteurs influencent l‟aggravation monétaire sont des déterminants de la
dollarisation.
6

Une amélioration de la qualité institutionnelle au niveau juridique peut diminuer le
taux de dollarisation de 10%.
2- D‟autre part, selon ses partisans (Calvo et Mishkin, 2003), la dollarisation favorise la crédibilité du
régime et contraint le pays à ne jamais dévaluer sa monnaie. En substituant le dollar à la monnaie
locale, les primes de risque diminuent (prime de risque liée à la composition de la dette des pays
émergents, ou aux difficultés économiques et politiques qui obligent les autorités à défendre
implicitement leur parité du taux de change), et la crédibilité du taux de change s‟accroît, favorisant
ainsi la baisse du coût de capital et l‟afflux de devises.
La dollarisation n‟est pas propre au Liban. Dans beaucoup d‟économies émergentes,
(Equateur, Argentine, Mexique) les Gouvernements empruntent en dollars ou en d‟autres
devises étrangères (schéma 1) et les agents détiennent des comptes bancaires libellés en
d‟autres monnaies que leur monnaie nationale (schéma 2).
L‟avantage que présente la dollarisation est l‟incapacité de création de monnaie pour combler
un déficit budgétaire, ni la dévaluation de la monnaie pour relancer ses exportations pour les
pays ayant abandonné leur monnaie au profit du dollar. C‟est surtout pour cette raison que le
Liban pratique la dollarisation. Cet avantage même peut induire de graves problèmes
économiques : la cause immédiate de la crise mexicaine de 1994-1995, a été à l‟origine de
l‟incapacité de l‟Etat à refinancer sa dette à court terme libellée en dollars (les tesobonos).
De la dollarisation au régime de taux de change fixe.
Si les autorités monétaires libanaises adoptent un régime de taux de change rigide, c‟est parce
qu‟elles ont la peur du flottement, comme l‟affirme Calvo et Reinhart (2000). Il explique la
peur du flottement 11 par la transmission de l‟inflation et ses effets dévastateurs sur les bilans.
Il existe une forte relation entre la peur du flottement et le degré de dollarisation de
l‟économie. Plus le degré de dollarisation de l‟économie est élevé, plus la flexibilité du taux
de change est faible, et plus la peur du flottement est exprimée. A un point donné, « la peur
du flottement peut être si aiguë que le taux de change reste longtemps fixe ».
11
Braga de Macedo J, Cohen D et Reisen H : Taux de change ni fixe ni flottant, 2001 p17
7
Depuis la fin des années 1990, le régime monétaire du Liban est suivi, et les Gouvernements
des pays membres du Fond Monétaire International (FMI) doivent lui notifier leur choix en
matière de régime de change 12, à savoir les dispositions prises quant au flottement de la
monnaie nationale ou, au contraire, les modalités de son rattachement à une ou plusieurs
devises étrangères.
La notification officielle, ou régime de jure, ne correspond pas toujours aux modalités
effectivement mises en œuvre, ou régime de facto. Les trois régimes de facto successivement
adoptés par le Liban sont résumés dans le tableau suivant :
Les régimes de change effectifs du Liban depuis 1990.
Période
Régime de change de facto
1990-
Flottement
1992
floating)
libre
Définition du FMI
(independently Taux de change déterminé par le marché, avec d‟éventuelles
interventions officielles visant à en limiter les fluctuations
injustifiées, sans chercher à en fixer le niveau
1993-
Parité glissante prospective (forward Taux de change ajusté périodiquement à un rythme prédéfini
1997
looking crawling peg)
ou en fonction d‟indicateurs prédéfinis.
1998-
Fixe conventionnel par rapport à une
Taux de change fixé par rapport à une devise étrangère, sans
seule monnaie (conventional fixed peg
engagement de maintien irrévocable, pouvant fluctuer dans
to a single currency)
des marges étroites de ± 1% d‟un cours central
Source : Desquilbet J B : www.univ-orleans.fr/leo/pdf/dr2005_17desquilbet.pdf 2005, p.20
Au Liban, la politique de stabilisation fondée sur le taux de change a été décidée à la fin de 199213,
mais c‟est depuis 1998 que le taux de change au Liban est fixé à l‟intérieur d‟une fourchette très
resserrée de 1500 à 1515 livres libanaises pour un dollar américain, inférieure à ± 0.5%. La Banque
du Liban remplit largement les conditions d’un régime de change fixe rappelées dans le tableau cidessus.
Du taux d’endettement au régime de taux de change fixe
Dans le choix du régime de taux de change, les autorités monétaires doivent tenir compte des
dettes effectuées en dollar, car une dépréciation de la devise nationale entraînera donc une
12
13
Desquilbet J B : www.univ-orleans.fr/leo/pdf/dr2005_17desquilbet.pdf 2005, p.20
Eken & Hebling, 1999 Inn Desquilbet J B : www.univ-orleans.fr/leo/pdf/dr2005_17desquilbet.pdf 2005, p.16
8
forte crise monétaire souvent insoutenable. Calvo, Mishkin (2003) et Reinhart et al (2003)
expliquent ce phénomène par la « peur de flottement »
Le Liban, comme plusieurs autres pays émergents qui pratiquent une dollarisation partielle
(dollariser au moins les engagements, soit 49.7% en Juin 2007 14 et 54% fin 200815), subit un
accroissement du coût de l‟instabilité du taux de change et pousse la Banque Centrale à
intervenir sur le marché pour contrôler les fluctuations du taux de change nominal (Calvo et
Reinhart 1999).
Schéma 1-l’évolution de la dette publique en livres et en devise
Source : Nahas C : Le Liban, dix ans depuis la guerre, des enjeux sans joueurs, 2000, p.15-19.
14
Le commerce du Levant, N°5570, Juillet 2007, p.11.
The Independent; Robert Fisk's World: Financial doom and gloom is everywhere – except Lebanon, 25
Octobre 2008
15
9
Sur sept ans, l‟Etat a dépensé, près de 32 milliards de dollars, (Soit 50.000 milliards de Livres
libanaises). Il en a financé 42% par ses recettes et 58% par l‟endettement.
Au Liban, l‟évolution de la dette publique a été continue et elle est passée de 2 milliards de
dollars en octobre 1992 à 23 milliards de dollars en juin 2000, jusqu‟à 45 milliards de dollars
en mars 200816. Presque entièrement en Livres jusqu‟en 1994, la part de la dette en devises est
passée de 15% à la fin de 1997 à 25% en 2000, jusqu‟à 54% en juin 2008. Cela a aidé à
baisser le coût moyen de la dette et a participé à ralentir la croissance de son service, mais a
aggravé le risque de l‟Etat.
Schéma 2 : Evolution des dépôts dans le secteur bancaire libanais
Source : Nahas C : Le Liban, dix ans depuis la guerre, des enjeux sans joueurs, dans Maghreb Machrek, 2000,, p.13
Le Liban se caractérise par la forte transmission des variations de change aux prix à l‟importation (due
à la forte dollarisation du pays) et par la dollarisation des engagements des deux secteurs public et
privé. Il soutient ses craintes par l‟expérience inflationniste des agents économiques publics et privés
dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix en poussant les autorités monétaires à adopter un
régime fixe : le dollar par rapport à la livre libanaise.
16
The Independent idem
10
Schéma 3-Le taux de dépréciation réel par rapport au dollar américain avant 1999
Source : Nahas C : Le Liban, dix ans depuis la guerre, des enjeux sans joueurs, 2000, p.17
Schéma 4-Taux de dépréciation mensuel de la Livre libanais par rapport au dollar américain de
1999 à décembre 2004 (Le taux de dépréciation mensuel est négatif quand la livre s‟apprécie par
rapport au dollar.)
Source : Desquilbet J B : www.univ-orleans.fr/leo/pdf/dr2005_17desquilbet.pdf 2005, p.3
. De plus, les dettes publiques brutes dépassent les 177% du PIB en 2008, le ratio
d‟endettement le plus élevé au monde 17. L‟Etat libanais se trouve dans une situation
extrêmement rare, sinon unique dans le monde. Il a suffit à la Turquie une dette publique
autour de 69% de son PIB en 2000 et à un niveau maximal inférieur de 119% pour être dans
une sévère crise d‟endettement.
17
Kimbrell N, McClatchy-Tribune Business News, Washington, oct 2008
11
Calvo, Mishkin (2003) et De Nicolo et al (2004) expliquent les conséquences graves des
dettes dollarisées (liability dollarization) avec un taux de change flottant. Quand la plupart
des prix et des salaires continuent à être en devise nationale (comme c‟est le cas au Liban)
pendant que la dollarisation financière est très répandue, les transactions réelles ainsi que les
transactions financières seront effectuées en devises étrangères. Cependant, une large
dépréciation mène à des dégâts catastrophiques qui ne se limiteront pas au secteur privé, mais
aussi au secteur public (libanais) qui a un revenu (taxe) en devise locale mais des dettes en
devises étrangères (54%).
Du taux de change fixe à la non intégration financière.
Les transformations des marchés financiers, en particulier leur « globalisation » et leur
« unification », reposent sur des éléments disparates, de natures différentes et appartenant à
des champs disjoints. L‟évolution interne des échanges joue un rôle global au sein duquel
trois événements - trois rationalisations à l‟intérieur de leur domaine d‟appartenance - jouent
un rôle d‟accélérateur18 : 1-la modification par l’Etat des règles de courtage minimal, 2l’émergence des marchés dérivés et 3-l’invention de nouvelles techniques.
Ces mêmes facteurs accélérateurs pour les pays développés sont rejetés et menacés par les
autorités monétaires libanaises. Celles-ci opèrent un choix entre la maîtrise des taux d‟intérêts
et la maîtrise des taux de change : d‟où le principe de trilèmne de l‟économie ouverte
Libanaise, car ce pays ne peut pas simultanément conserver une politique monétaire
indépendante des taux de change rattachés à une devise et un compte de capital ouvert.
Frankel (1999) illustre l‟argument de l‟impossibilité de maintenir une stabilité de taux de
change conjointement à l‟indépendance monétaire et à une intégration des marchés financiers.
Le triangle ci-dessous illustre un enseignement incontournable de la théorie monétaire
internationale qui est le théorème d’impossibilité : il est impossible de combiner des changes
fixes, la mobilité parfaite des capitaux et des politiques monétaires indépendantes.
18
Godechot O : Les Traders, essai de sociologie des marchés financiers, 2005, p.42.
12
Typologie des régimes de change : triangle de Mundell19
Absence d’intégration
financière
Indépendance
monétaire
●Flottement
pur
Mobilité
accrue du
capital
Stabilité de taux
de change
●Ancrage monétaire, Parité
●Intégration
fixe ou Union monétaire
En d‟autres termes, nous parlons d‟impossible trinité parce qu‟un pays doit renoncer à l‟un
des trois objectifs suivant : stabilité du taux de change, indépendance monétaire (utile pour
gérer les récessions économiques), ou l‟intégration au marché financier. Il ne peut y avoir les
trois en même temps; un pays ne peut atteindre simultanément que deux de ces trois
objectifs :
1. L‟absence d‟intégration financière permet la recherche simultanée de la stabilité du
taux de change et de l‟indépendance monétaire.
2. La parité fixe (dollarisation, union monétaire) permet de combiner intégration et
stabilité du taux de change
3. Le flottement total permet l‟intégration et l‟indépendance monétaire.
Ces derniers temps, Obsfelt et al (2004) et Aizenmann, chinn et Ito (2008) étudient le « défit »
de ce trilèmne en essayant de substituer les deux objectifs extrêmes par l‟atteinte des trois,
mais avec des degrés différents (selon les caractéristiques des pays).
D‟après ce triangle, le Liban rassure une stabilité par l‟ intervention de la banque centrale au
niveau du taux d‟intérêt donc par une dépendance et un régime de change fixe, en renonçant
donc à l‟intégration financière. Or l‟intégration financière demeure la clé de croissance
19
Le principe d‟impossibilité trinité est difficilement applicable dans de nombreux pays en développement.
Pour qu‟une mobilité des capitaux passe parfaitement par l‟absence de tout contrôle sur les mouvements de
capitaux, il faut que les avoirs libellés dans la monnaie nationale puisse se substituer le plus totalement aux
avoirs libellés dans les monnaies mondiales, aux yeux des investisseurs internationaux
13
économique (Mishkin 2005) d‟un pays. Récemment, les travaux de Kose, Prasade, Terrone
(2008), et de Hoxha, Ozcan, Vollrath (2009) mettent en évidence l‟important gain de
productivité et de bien être que peut procurer l‟intégration financière.
Les autorités monétaires se voient méfiantes face à l‟intégration. Ceci correspond à l‟avis de
Rogoff (2004) : l‟ouverture financière d‟une économie ayant un excès de taux d‟endettement
et un taux de change fixe (que nous avons détaillées ci-dessus) aboutira à une crise financière,
tel que fut le cas de l‟Argentine. En privant « rationnellement » le marché financier libanais
de jouir d‟une libéralisation financière (que nous détaillerons ci desssous), les autorités
monétaires et financières participent donc volontairement au handicap du marché financier
libanais.
II- L’aversion des autorités monétaires libanaises pour la spéculation.
Le marché dérivé existe dans un marché de régime de taux de change flexible, car ce dernier comporte
un risque de surévaluation du taux de change au delà de sa valeur à long terme (au cas d‟un marché
inefficient), conduisant à un niveau différent de l‟équilibre pour une durée déterminée. Le marché
dérivé a facilité la gestion des risques en remplissant sa fonction économique fondamentale de
transfert des risques de marché entre les agents économiques.
Il a également contribué à la
complétude des marchés et à une meilleure diffusion de l‟information (en procurant par exemple des
prévisions explicites de taux et de prix des actifs, voire de volatilité des cours).Ainsi, entre 1993 et
1998, la valeur rationnelle des produits dérivés utilisée par les banques américaines a augmenté
d‟environ 180%20.
En revanche, les autorités monétaires et bancaires libanaises demeurent très méfiantes face à
ce marché qui est souvent accusé d‟avoir entraîné, entre autres, une variabilité accrue du cours
des actifs financiers et serait à l‟origine d‟une plus grande instabilité des systèmes financiers.
Pourtant, les risques des produits dérivés sont à priori les mêmes que ceux de tout instrument
financier : risque de marché (fluctuation des cours), risque de crédit (de défaut ou de
20
Gravereau J et Traman J, Les Crises financières, 2001, p.403.
14
contrepartie), risque de liquidité (impact d‟une transaction importante ou interruption des
cotations), risque juridique (problème de contrat et de responsabilité).
En effet, ce qui a déclenché cette méfiance est la période 1982-199221, où le montant des
pertes sur le marché dérivé des pays adoptant le marché dérivé était égal à environ 4 milliards
de dollars, et en 1993-199422 à douze milliards de dollars23.
De plus, les autorités monétaires craignent l‟important effet de levier que ces instruments
permettent d‟obtenir, car les pertes potentielles peuvent dépasser 100% du capital investi, ce
qui n‟est pas le cas des placements en produits traditionnels telles que les actions et les
obligations. Or les produits dérivés ne sont pas les seuls à offrir un risque d‟effet de levier 24. Il
en est de même pour les pertes dues à des opérations de titres 25.
Outre ces craintes de risques que peut provoquer le marché dérivé, les autorités craignent que
certains risques individuels soient interdépendants. Cependant une crise de liquidité peut
déclencher des fluctuations de cours car le risque de défaut augmente et des phénomènes de
panique peuvent surgir 26
En effet, Giraud (2002) accuse la spéculation dans le marché de change d‟être un facteur
déstabilisant dans le sens où les spéculateurs peuvent provoquer un basculement des
anticipations d‟un grand nombre d‟acteurs sur le marché de change et même sur l‟avenir
d‟une économie s‟ils spéculent à la hausse où à la baisse sur une monnaie.
Le Liban victime de comportements spéculatifs en 198227 augmente l‟aversion au risque de
spéculation. Cependant, en se basant sur le passé, le Gouvernement libanais prend garde des
21
Les victimes furent: Merill Lynch, First Boston, Volkswagen, Chemical Bank, ABN Amro etc.
Il s‟agissait des institutions non financières telles que Metallgesellshaft, Codelco, Procter & Gamble.
23
Gravereau J et Traman J, Les Crises financières, 2001 p.396.
24
LTCM avait un capital de 4.8 milliards de dollars en 1998, des fonds empruntés auprès des banques et maison
de titres de 125 milliards de dollars et un encours notionnel de produits dérivés de plus 1000 milliards de dollars
soit un effet de levier de 200.
25
Le trésorier du Compté Orange (Californie 1995) qui prête ses obligations contre des espèces qui lui
permettraient d‟acheter d‟autres obligations qu‟il prêterait à nouveau etc. à partir d‟un capital de 7.5 milliards de
dollars, l‟exposition au risque de taux portait sur 20 milliards de dollars. Quand les taux d‟intérêt sont remontés,
la valeur de marché de la position déclina fortement d‟où la faillite. Les produits dérivés n‟étaient pas en cause
de ce grave problème, mais c‟est la cause de l‟effet de levier, stratégie utilisée par les hedge fund qui démultiplie
le risque de marché des positions
26
En effet la faillite de LTCM était révélatrice et ses ennuis ont commencé quand Salomon Smith Barney a
fermé ses positions d‟arbitrage de taux d‟intérêt, et étant donné la liquidité des marchés et la taille de ces
positions (similaire de LTCM), l‟évolution des cours a entraîné la chute de 10% de la valeur du fond
27
La Banque du Liban a été critiqué à partir de 1982 en particulier car les spéculateurs de carrière profitent du
secret bancaire au même titre que les banques commerciales afin de préserver leur clientèle et leurs bénéfices 27.
Cette apparition d‟opération spéculative contre la LBP a contribué à la détérioration rapide de la livre libanaise
22
15
spéculations et se méfie des anticipations qui provoquent ou qui déclenchent les spéculations
risquées et intervient dans le marché monétaire.
Les arguments que la spéculation dans les changes privés ne produira pas un
aplanissement suffisant des fluctuations de change est quelquefois utilisé pour justifier
non pas des taux de change rigides, mais une intervention large des Etats ou des agences
internationales sur les marchés des changes aux fins d‟éliminer les fluctuations mineures des
taux de changes et de contrer les fuites des capitaux28.
A travers les acteurs du marché monétaire (traders et cambistes) en les empêchant à exposer
leurs anticipations à partir de leur position de change, les autorités monétaires et financières
libanaises expriment leurs aversions aux risques de change (qui consiste en l‟évolution des
devises à la hausse ou à la baisse). En effet, les notions de risque et de position de change
sont fortement liées, cette dernière constitue l’essence même du risque 29.
Le taux de change anticipé
La volatilité du taux de change provient des anticipations que font les agents à chaque fois
qu‟il y a un événement. Une information, quoique mineure 30, peut jouer sur les actions
des
individus qui ne sont pas seulement influencés par les événements produits dans le passé,
mais aussi par les anticipations des événements à venir.
Le taux de change anticipé se définit comme étant des attentes des intervenants sur le niveau
futur des taux de change au comptant, qui décident d‟achat et de vente sur le marché à terme.
Dans un contexte d‟inflation rapide (comme ce fut au Liban en période de guerre) et/ou en cas
de perte de confiance en la monnaie nationale (comme cela est toujours le cas au Liban), les
agents économiques se détournant des actifs monétaires nationaux cherchent à acquérir des
actifs étrangers, notamment des devises car ils supposent l’anticipation d’un gain ou, au
moins, d’une absence de perte en cas de détention de ces devises. Ceci résulte de
l‟anticipation d‟une appréciation du taux de change des monnaies étrangères par rapport à la
monnaie nationale.
28
Friedman M, change flexible ou Etalon International : les Leçons de l‟histoire, p.29.
Ross S.A, Westerfield R.W et Joffe J.F : Finance Corporate, 2005, p.1032
30
Mishkin F, : Monnaie Banque et Marché Financier, 2004, p582
29
16
Position de change et risque de change
La position de change dans une devise est simplement le solde de ses avoirs et de ses engagements
en cette devise. Toutefois, cette définition sous entend la base de la pratique spéculative. En effet,
quand la position de change est ouverte (le solde n’est pas nul) l’agent est exposé au risque de
change dans l’espoir de réaliser un gain31. L’agent exposé volontairement au risque est appelé
spéculateur.
La spéculation risquée est donc toujours associée aux anticipations car l’agent anticipe
une évaluation, ouvre sa position, s’expose volontairement aux risques et spécule. La
différence entre les deux positions (position acheteur et vendeur) est la position de place. Ce
baromètre permet de mesurer l’optimisme et le pessimisme des investisseurs pour le
marché dans son ensemble et plus précisément pour chaque valeur du règlement
mensuel32.
C’est dans ce contexte que le marché dérivé a pris naissance dans les années 70-80 aux
Etats-Unis et en 1986 en France. Ce marché ne permet pas les échanges des valeurs
mobilières ou de devises, mais des contrats se rapportant aux actifs sous jacents qui
concernent tant le marché financier que le marché monétaire ou des devises 33. Son rôle
principal est d‟offrir des instruments de couvertures de risques de change 34, de variation de
cours et de taux d‟intérêt
Au Liban, les banques commerciales qui effectuent les opérations de couverture de risques
aux entreprises, ne peuvent pas rester en position de change : la réglementation bancaire
libanaise interdit les cambistes de prendre de position de change assimilées à un
comportement spéculatif. Or ‘‘il n’y a pas de plus spéculatif que le métier de
banquier’’35 surtout que les opérations cambiaires sont réalisées de plus de 85% entre
banques et autres intermédiaires financiers : le marché de change demeure donc un
marché interbancaire36. A savoir que le mot spéculateur vient du mot specula, celui qui observe pour agir
31
Dohni L, et Hainaut C : Les Taux de Change ; déterminant Opportunités et risques, 2004, P71
Pilverdier-Latreyte J : Le Marché Boursier, 1998, p.58
33
Brana S et Cazals M : La Monnaie, 1997, P30.
34
Les instruments dérivés se divisent en trois grandes familles : contrats à termes (forward), contrat d‟option (de
nos jours négociables) et les contrats d‟échanges (swap).
35
Plihon D : Les Taux de Change, 2006, p.31
36
Plihon D : Les Taux de Change, 2006, p.41
32
17
(investisseur à LT) mais aussi vient du mot speculum, celui qui essaye de deviner ce que va faire l’autre, opère
en fonction de l’anticipation du comportement des autres, devine la psychologie des foules37. Ce terme est
souvent associé aux traders, les cambistes qui sont chargés d’observer le marché, l’offre et la demande des
devises étrangères, anticiper l’avenir.
Au Liban, en aucun moment les cambistes « sensés être des spéculateurs » n‟ont le droit de
garder leurs positions ouvertes. Ils doivent à tout moment veiller à maintenir un solde nul
(avec une marge permise de 1%).
Une fois que les banques et établissements financiers aient obligatoirement demandé
l‟autorisation préalable de la BDL pour la constitution des positions de change (Article 5 du
circulaire 32), ou la reconstruction des positions de changes (article 7, circulaire 32), ils sont
priés de conserver une position opérationnelle nette, créditrice ou débitrice, qui ne dépasse pas
le 1% de l‟ensemble des éléments de leurs fonds privés. De plus, la position globale ne doit
pas dépasser les 40% de l‟ensemble des éléments des fonds privés (spéciaux) nets, pour
répondre aux conditions de solvabilité requises (article 2 de la circulaire 32)38.
L’ Arbitrage
Contrairement au spéculateur qui a du goût pour le risque, l‟arbitragiste procède à une succession
d‟opérations autofinancées (tout achat est simultanément financé par une vente) tout en conservant une
position fermée et une exposition nulle au risque. Il s‟agit de transaction où le profit est réalisé
39
quasiment sans risque, en exploitant une « erreur du marché » (bien que la majorité des économistes
croient que le marché ne commet jamais d‟erreur). En effet, le marché n‟est pas parfait, mais presque
car les opportunités d‟arbitrage y sont infimes.
Max Weber définit l‟arbitrage comme étant un « exercice pur arithmétique40 » dans le sens où
l‟agent (l‟arbitragiste) cherche à réaliser des bénéfices en vendant (ou en achetant) une
marchandise sur une place financière où il est possible à ce moment là de l‟écouler
(l‟acquérir) au prix fort (prix plus intéressant). Contrairement à la spéculation où il le définit
par « pur arithmétique » car le succès de l‟agent (spéculateur) dépend de l‟arrivée effective de
la modification attendue de la conjoncture des prix concernant telle marchandise, et il faut que
le spéculateur prenne ici en compte la totalité des circonstances qui favorisent éventuellement
37
Fleuriet M et Simon Y : Bourse et Marchés Financiers, 2000, p.59
Source : Le site officiel de la Banque du Liban : www.bdl.gov.lb
39
Landier A et Thesmar D : Le grand Léchant Marché, 2007, p.27
40
La Bourse, Inn Godechot O : les Traders, p.81.
38
18
cette modification41. C‟est donc l‟arbitrage42, le seul type de « spéculation » qui est accepté
au Liban par la Banque Centrale.
Lutte contre les anticipations des taux
En régime de taux de change fixe, les spéculateurs et la Banque Centrale s‟engagent dans une
lutte pour les réserves de change. La Banque Centrale contrôle le taux d‟intérêt pour corriger
des déséquilibres étrangers, et les spéculateurs tentent d‟augmenter tout déséquilibre dû à des
modifications de réserves : la stabilité du système dépend alors de la vitesse de réaction de la
Banque Centrale face à un déficit étranger.
Les agents économiques qui anticipent une évolution du taux d‟intérêt et décident en fonction
de leurs anticipations, participent à une déstabilisation financière et monétaire au cas où
l’anticipation n’a pas été justifiée. Les anticipations des agents et les taux d‟intérêt sont
étroitement liés et les conséquences peuvent être perturbatrices. Cependant, de crainte qu‟une
telle situation prenne naissance au Liban, les autorités monétaires manipulent les taux
d‟intérêt domestiques pour faire face aux anticipations des taux et les rendre moins
significatives. Elles pratiquent une politique de taux d‟intérêt nominaux élevés non seulement
pour compenser le risque de dépréciation future de la monnaie 43 mais pour réduire aussi le
recours aux produits dérivés qui révèlent les anticipations. En effet, les prix des futures et
des options44 de taux d‟intérêt fournissent les indicateurs détaillés sur les anticipations à
différents horizons45.
Dans les marchés des Futures, vendre des contrats dans l‟intention de les racheter plus tard à
prix plus bas permet de gagner plusieurs points en un ou quelques jours. Ce comportement qui
41
La Bourse, Inn Godechot O : les Traders, p.80.
A savoir, qu‟avec le développement du courtage électronique, les offres et les demandes de devises, au
comptant ou à terme (émanant d‟établissements localisés partout dans le monde) ont induit la disparition des
écarts même momentanés entre les cours spot et forward des devises sur les différentes places. Cependant
l‟opportunité d‟arbitrage est en voie de disparition. Il en est de même pour les produits dérivés négociés sur des
marchés organisés du fait de l‟existence d‟un organe centralisant l‟offre et la demande.
En revanche, il y a des possibilités d‟arbitrage sur les marchés de gré à gré des produits dérivés, tels que les
options, les futures ou les swaps, sur lesquels le courtage électronique reste encore peu développé.
43
Plihon D : Les Taux de Change, 2006, p.97
44
Le prix des options fournit les taux d‟intérêt moyens prévus par les opérateurs à différentes échéances mais
aussi les probabilités attribuées aux différents taux possibles
45
Bénassey-Quéré A : Les taux d‟Intérêt, 1998, p.89-90
42
19
consiste à vendre pour acheter dit court ou short est strictement interdit au Liban que ce soit
dans le marché monétaire ou boursier.
Rentabilité anticipée des dépôts et taux d’intérêt.
Contrairement aux pays européens où les crédits sont octroyés en devise nationale, les crédits
sont octroyés en dollar américain aussi facilement qu‟en monnaie nationale, aux agents
comme au Gouvernement. (Nous avons vu qu’au Liban, il y a substituabilité entre la livre
libanaise et le dollar américain, préférence des agents économiques à détenir des dépôts en
diverses devises étrangères). Cependant, le choix de devise de dépôt ou de crédit est
étroitement lié à son taux d‟intérêt et aux anticipations des taux des agents à détenir ou non les
devises.
D’après la théorie de la demande, le facteur principal effectant la demande en devises de
dépôt (LBP ou USD) est la rentabilité anticipée des dépôts libellés dans ces deux
monnaies46. La demande réelle des encaisses libellées en livre libanaise est principalement
fonction des coûts anticipés de leur détention, mesurés par anticipations du taux d‟inflation
et /ou de la variation du taux de change47. Si les agents anticipent une augmentation du niveau
général des prix libanais durablement plus élevé que celui des Etats-Unis, la livre libanaise
aura tendance à se déprécier à long terme 48.
Face aux risques de taux
Nous avons vu ci-dessus que les risques de change affectant les emprunteurs (position d‟emprunteur)
et les prêteurs (position de prêteur) sont liés à la fluctuation des cours de devises. Or s‟ajoute à ce
risque, le risque de taux d‟intérêt : en effet les prêts et les emprunts sont rémunérés par des intérêts
dont les taux fluctuent dans le temps, en fonction de l‟Offre et de la Demande qui s‟exprime sur les
marchés des capitaux. La fluctuation des taux d‟intérêt génère le risque de taux qui correspond à la
46
Mishkin F : Monnaie, Banque et marchés financiers, 2004 p.568
Gemayel J, Evolution de la demande réelle et de la structure des encaisses monétaires durant l‟hyperinflation
libanaise (1986-1987), Economie et prévision, n°105, 1992, p75
48
Mishkin F : Monnaie, Banque et marchés financiers, 2004, p.574-576
47
20
perte potentielle qui va entraîner la baisse de taux pour un prêteur ou la hausse de taux pour un
emprunteur.
Contrairement aux pays non dollarisés qui voient leur taux d‟intérêt évoluer selon plusieurs
facteurs économiques, le Liban pays fortement dollarisé, voit son taux d‟intérêt domestique
dépendre du taux de change et du taux d‟intérêt américain 49. Mueller (1994) étudie sur le
Liban de 1982 et 1993 dans une approche économétrique, et conclut que la dollarisation
libanaise, „‟qui impose‟‟ un régime de taux fixe est due à la dépréciation anticipée du taux de
change et à l‟écart de taux d‟intérêt sur le dollar entre le Liban et les Etats-Unis50
C‟est ainsi que le niveau du taux d‟intérêt pratiqué sur la livre libanaise est de deux à trois fois
supérieur à celui en dollar américain. Son objectif est d‟assurer au Gouvernement une
liquidité en monnaie nationale. (En effet, le taux d’intérêt appliqué aux emprunteurs est égal à
un taux de référence plus un écart spread 51 qui augmente avec la probabilité de non
remboursement).
Afin de limiter ces échanges menant forcément à la spéculation entre diverses devises
étrangères et afin de compenser le risque de dépréciation future de la monnaie nationale, vu la
faiblesse de la livre libanaise (facilement remplacée, et affectée par la moindre rumeur), la
Banque Du Liban agit sur les taux d‟intérêt (d‟épargne et Bons de Trésor) pour atteindre son
objectif de change mais aussi impose une restriction d‟anticipation. Cette dernière est la
principale „‟alerte‟‟ du risque de fluctuation éventuelle dans une approche monétaire et
financière.
III- Le marché antispéculatif : absorbateur de choc ?
Le rôle que joue la spéculation en terme d‟équilibre ou de déséquilibre dépend de la période dans
laquelle nous nous situons : en période calme ou en période de crise.52 Les comportements spéculatifs
destinés à réaliser des gains (ou à éviter des pertes) en capital, ont un effet stabilisateur car ils
49
Calvo G et Mishkin F : The Mirage of Exchange Rate Regimes for Emerging Market Countries, 2003, p.107.
Cordahi C, Goux J F.
51
Pour les économistes, les spreads et les prix des produits dérivés fournissent des informations précieuses sur
l‟évolution des anticipations. Les spread indiquent l‟évaluation du risque51 sur les pays et les emprunteurs selon
les opérateurs de marché moyen 51.
52
Plihon D : Les Taux de Change, 2006, P.33-34.
50
21
contribuent au redressement de la devise qui fluctue temporairement. À l‟inverse, en période de crise,
les anticipations sur les marchés changent de nature : les mouvements de parité sont considérés
durables, les spéculateurs jouent la poursuite de la hausse des monnaies fortes qu‟ils cherchent à
acheter, et la poursuite des monnaies en baisse qu‟ils cherchent à vendre. Les opérations spéculatives
sont alors déstabilisantes car elles tendent à amplifier les mouvements des parités et, pendant les
périodes de tension, les cours peuvent évoluer de plusieurs points de pourcentage en une seule journée.
Le tremblement de terre qui secoue le monde de la finance depuis la chute de Lehnam
Brothers est tel que les commentateurs le comparent au «11 septembre » des marchés. Les
chocs avaient des répercussions mondiales à l‟exception du « modèle bancaire libanais et sa
politique monétaire qui ont préservé le pays des répercussions de la crise mondiale». A
l‟heure où les plus grandes banques internationales recherchent des fonds et licencient par
milliers, les banques libanaises jouissent d‟une augmentation de fonds de plus de 10%.
La crise financière subprime a eu un effet paradoxale et juste après la faillite de Lehnam
Brothers, au cours de la dernière semaine de septembre, les dépôts bancaires au Liban ont
augmenté de 500 millions de dollars. En réalité, si l‟économie libanaise est à l‟abri de la crise
subprime et que les autorités monétaires se veulent rassurantes, c‟est parce que l‟économie
libanaise vit en marge de la mondialisation ce qui „‟toute chose malheur est bon‟‟, la protège
relativement des effets de contagion planétaires.
Comme nous l‟avons vu à plusieurs reprises, la Banque Centrale ne s‟est pas exposée aux
produits risqués, et dans l‟immobilier, la politique est moins flexible qu‟ailleurs 53, ce que
Edward H Gardner54 la qualifie d‟« excellente ». D‟après De Nicolo, Hanohan et Ize (2004)
les régulations serrées appliquées aux banques (libanaises) et sur leurs positions de changes
tendent vers un effet indirect sur les risques de crédit concernant l‟utilisation vulnérable du
dollar.
En conclusion, les analyses du FMI en octobre 2008 confirment que la crise mondiale à peu
ou pas d‟effets sur le système financier et bancaire libanais grâce à la politique monétaire
restrictive de la Banque Centrale ainsi que la pratique conservatrice dans l‟octroi des crédits
de la part des Banques Commerciales. En revanche, au Liban, la crise actuelle et la récession
53 L‟acheteur doit être capable d‟assurer 40% de la valeur du projet ou du produit immobilier.
54
Tribune Business News, IMF credits Banque du Liban for fending off credit crunch, Washington, octobre
2008.
22
économique mondiale pourraient avoir un effet indirect sur les transferts de ses expatriés
(licenciés) dont les 5 à 6 milliards de dollars chaque année sont le moteur de l‟économie
libanaise.
Conclusion générale.
La non détérioration de la situation monétaire libanaise depuis les crises politiques de 2005 et
2006 et surtout la crise subprime de 2007-2008 résulte des avantages du choix de taux de
change fixe qui correspond aux pensées de Mundell (1960) et Laffer (1973), que « le régime
de change fixe est un absorbateur de chocs ».
L‟Etat lutte contre la spéculation à partir des anticipations pour maintenir le taux de change
fixe. La forte dollarisation et le taux d‟endettement impliquent une peur du flottement plus
amplifiée et réclame un taux de change encore plus rigide et ainsi de suite…menaçant le
développement du système financier libanais et son intégration. Les autorités monétaires
libanaises sont donc face à un cercle vicieux infernal concernant l‟économie monétaire et
financière du pays.
23
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Annexes
Annexe 1 –(p27-30) : Les types d’économie et composite.
25
Annexe 2 (-p 31- 33) : Taux de Dollarisation (Dépôt devises étrangère / total dépôts)
Annexe 3- (p34)- La mesure du risque risque environnemental, (Cross-sectional determinant of deposit
dollarization (dependant variable average dollarisation)
Annexe 4- (p35)- Restriction et règles sur les détenteurs de dépôts de devises étrangères en octobre 2000
(restriction of rules on residents holdings of foreign currency deposit on onshore 2000)
26
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j
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