HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR

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HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR
par M. Gilbert ROSE, membre titulaire
Il n'est pas dans mes habitudes, chers Confrères, de disserter sur des
musiciens étrangers à notre ville. Pourtant, il me parait utile aujourd'hui de
rétablir la vérité sur un compositeur qui connut Metz pour l'avoir traversé
à plusieurs reprises, allant de Nancy où il demeurait, à Luxembourg.
Plusieurs auteurs, trompés sans doute par un manque de documents, ont
affirmé que Henry Desmarest, après avoir été au service du duc de Lorraine
Léopold, aurait poursuivi ses activités auprès du duc Stanislas, ce qui est
inexact. Injustement oubliée pendant deux siècles, sa musique commence à
être reconnue, et je souhaite ardemment qu'un directeur de théâtre fasse
bientôt représenter une de ses œuvres lyriques. Il faut dire que Desmarest a
subi son séjour à Nancy et Lunéville plus qu'il ne l'a recherché, car il le doit
à des événements que je souhaite vous narrer aujourd'hui.
La musique de Desmarest fut recréée à partir de 1959 par les Instruments Anciens de Lorraine que mon maître Francis Casadesus m'avait
incité à fonder. Le 7 juin de cette année, au cours d'un concert donné dans
la chapelle du Château de Lunéville et enregistré par la Radiodiffusion
française, nous avons interprété des extraits symphoniques tirés de l'opéra
"Vénus et Adonis". Nous redonnâmes ce concert le 8 juin 1960 dans le
grand salon de l'Hôtel de Ville de Nancy, lors d'un duplex radiophonique
entre cette ville et Karlsruhe, enfin quelques jours plus tard, le 11 juin
dans le salon de l'Hôtel de Ville de Metz, à l'occasion du bicentenaire de
l'Académie Nationale de cette ville. Le 6 octobre suivant, cette Académie
décerna son prix artistique à votre serviteur, sans doute pour le remercier
d'avoir redécouvert Henry Desmarest. Ensuite, durant deux décennies, les
Instruments Anciens de Lorraine ont fait entendre la musique de ce compositeur dans une grande partie du monde, souvent à Lunéville, Metz et
Nancy, ont enregistré des disques aujourd'hui épuisés, et les visiteurs du
Château de Lunéville ont pu l'apprécier en visionnant les différents "Sons
et Lumière" des jardins puis de la chapelle.
Né à Paris en février 1661, Desmarest n'était pas du tout destiné à
venir en Lorraine. Fils d'un modeste huissier, il débuta comme page de la
musique du roi. Les pages, peu nombreux, suivaient le roi dans tous ses
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déplacements et devenaient vite familiers du monarque et de la cour. Ainsi
Desmarest a-t-il pu bénéficier depuis l'enfance des faveurs de Louis XIV.
Lorsqu'il perdit sa jolie voix d'enfant, Desmarest quitta le corps des pages
au cours du premier semestre 1678. Il y avait reçu l'enseignement des
maîtres de la chapelle royale, les abbés Pierre Robert et Henry Du Mont,
propagateurs du motet à double chœur, et non celui de Lulli, comme on l'a
écrit trop souvent. Mais il subit l'influence du surintendant qui dirigeait à
certaines occasions les pages venus renforcer les effectifs de la chambre.
Lulli remarqua le jeune musicien qui devint dès 1680 ordinaire de la
musique du Roy.
Gravitant dans le milieu de la cour, Desmarest guettait les occasions qui
lui permettraient d'obtenir un poste digne de son talent. Il profita de la
naissance du duc de Bourgogne en août 1682 pour composer "Idylle" en
l'honneur du petit-fils de Louis XIV. Lorsque le monarque décida de remplacer Robert et Du Mont, un concours fut ouvert en 1683 pour les postes de
sous-maîtres de la Chapelle royale, auquel se présentèrent 35 candidats, dont
Desmarest. Admis au premier éliminatoire, ce dernier se vit préférer ses
concurrents Minoret, Collasse, Delalande et Coupillet qui occupèrent par
quartier les places qu'il convoitait. Il décida alors de se rendre en Italie pour
apprendre le goût italien. Mais le roi, sur les conseils de Lulli, lui refusa ce
voyage. Cette attitude de Louis XIV réconforta Desmarest qui pensa que si on
le maintenait en place, c'était pour lui donner une charge importante.
Durant une période d'attente, notre compositeur, tout en continuant
d'écrire des œuvres religieuses, affronta le genre de l'opéra pour lequel il
était particulièrement doué. A cette époque, Lulli avait le monopole de la
tragédie lyrique et n'admettait aucune concurrence dans ce domaine. Il fit
pourtant une exception pour Desmarest, car celui-ci était protégé par la
Dauphine, son élève, et le surintendant, prudent, ne s'opposa pas à une
princesse qui était appelée à devenir un jour sa souveraine. On sait qu'il
n'en fut rien, mais Lulli ne pouvait le deviner. Il mourut d'ailleurs le
22 mars 1687. C'est alors que les compositeurs, surpris, tristes sans doute
mais surtout soulagés commencèrent à produire des œuvres lyriques.
Desmarest qui avait de l'avance n'en profita pas, car à ce moment, sa vie
amoureuse l'accapara davantage. En effet, en 1689 il épousa Elisabeth
Desprez, sœur d'un musicien de la chapelle royale, qui lui donna une fille,
Elisabeth-Madeleine l'année suivante.
Puis un petit scandale éclata à la cour. On se souvient que Nicolas
Coupillet fut nommé sous-maître de la chapelle royale pour un quartier, en
1683, poste pour lequel Desmarest avait concouru. Il avait eu ce bénéfice
grâce à la protection de Bossuet. En effet, musicien médiocre, cet abbé
n'avait absolument pas les qualités requises pour occuper une telle place.
Aussi profita-t-il de la situation précaire de Desmarest pour lui proposer un
marché. "Il se trouva, conte Lecerf de La Viéville, ami de Desmarest, très
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étonné et très fâché de se voir élevé à un poste qu'il avait brigué moins par
envie et espérance de l'obtenir, que par vanité. Il s'avisa d'avoir recours à
Desmarest, jeune homme alors gueux et inconnu. Ils firent marché à tant le
motet, et Coupillet vécut dans son emploi glorieux et estimé. Des années
s'écoulèrent ainsi, pendant lesquelles Desmarest se trouva parfois dans des
situations qui durent l'amuser. Certain jour qu'il était à la Chapelle du Roi
pour entendre l'exécution d'un motet qu'il avait secrètement donné à
l'abbé Coupillet, un seigneur qui voulait se piquer d'être connaisseur en
musique et donner devant le roi des marques de sa capacité, lui dit :
"Marchez-moi doucement sur le pied aux plus beaux endroits pour y
applaudir à propos". Ce jeune musicien, qui avait composé le motet,
comme on vient de le dire, ne manqua pas au premier coup d'archet de la
symphonie d'appuyer aussi vivement son pied sur le sien et ne discontinua
pas pendant tout le motet, ce qui impatienta fort ce seigneur, qui lui dit à la
fin d'un ton de colère : "Ha ! parbleu, Monsieur, vous m'en apprenez trop
pour la première fois, et je n'en veux savoir davantage". On assure, dit
encore Lecerf de La Viéville, que cette musique d'église de Desmarest
jouée à Versailles sous le nom de Coupillet, était excellente, et surtout
naturelle et simple".
La vérité éclata en 1693. Coupillet décida de ne plus rétribuer
Desmarest. Celui-ci, chargé d'une famille, avait besoin de cet argent
dûment mérité. Il dévoila alors l'intrigue. Louis XIV, qui ne supportait pas
que l'on se moquât ainsi de lui, renvoya Coupillet, mais ne donna pas sa
charge à Desmarest. Ce fut à nouveau Delalande qui la reçut. Notre
compositeur n'en fut pas trop affecté car depuis le 13 septembre 1693 il
triomphait à l'Opéra avec sa tragédie lyrique "Didon". La gloire avait
atteint Desmarest qui voyait s'ouvrir devant lui un avenir des plus
brillants, car d'autres œuvres lyriques suivirent qui remportèrent les
suffrages des habitués de l'Académie royale de musique et de la cour.
Il convient à présent de raconter l'histoire romanesque qui fit de
Desmarest un compositeur lorrain. Il se rendait fréquemment à Senlis pour
y visiter un vieil ami, l'abbé Gervais, maître de chapelle de la cathédrale,
qu'il avait connu lors du concours de 1683, auquel ce dernier avait également participé. Dans cette petite ville la présence d'un étranger comme
Desmarest ne passa pas inaperçue. L'abbé Gervais présenta son ami à tout
son entourage, flatté de connaître un artiste qui approchait le roi et fréquentait Versailles. C'est ainsi que Desmarest et son épouse firent la connaissance de la famille de Jacques de Saint-Gobert, président en l'élection, qui
comprenait sa femme, deux fils et une fille. Les St-Gobert et les Desmarest,
très intimement liés, se reçurent régulièrement lors des voyages fréquents
des uns et des autres à Paris et à Senlis.
Lors du décès de Elisabeth Desmarest en août 1696, les St-Gobert
s'offrirent à garder la jeune Elisabeth-Madeleine et le musicien leur confia
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l'enfant. Il visita plus fréquemment la maison des St-Gobert, donnant aussi
des leçons de musique à la jeune Marie-Marguerite, âgée de 18 ans. Une
passion mutuelle prit alors naissance entre la jeune fille et Desmarest,
malgré l'âge de ce dernier. Mais à 36 ans, notre musicien, qui en paraissait
beaucoup moins, se crut autorisé par son veuvage à conquérir les grâces de
sa jeune élève. Encouragé par madame de St-Gobert, il fit sa demande en
mariage. Hélas, Jacques de St-Gobert ne l'entendit pas de cette oreille.
Considérant Desmarest comme un excellent ami qu'il côtoyait avec plaisir,
il n'envisagea pas un instant de donner sa fille à un homme sans naissance,
lié par son métier au milieu du théâtre mal considéré à l'époque. Il refusa
son consentement. Les jeunes gens qui s'étaient promis l'un à l'autre par
écrit, décidèrent de passer outre. Avec la complicité de sa mère, MarieMarguerite s'enfuit à Paris rejoindre son bien-aimé. Celui-ci poursuivait sa
brillante carrière à l'Opéra et devint maître de musique à la maison
professe des Jésuites, succédant à Charpentier.
Je passerai rapidement sur les péripéties scabreuses qui suivirent :
plainte de St-Gobert contre sa femme qu'il réussit à faire enfermer dans un
couvent, enlèvement de sa fille qu'il confia à un chirurgien pour qu'elle
puisse secrètement mettre au monde l'enfant qu'elle attendait, son évasion
grâce à Desmarest, qui s'était pour la circonstance déguisé en femme, la
naissance de Jean-Baptiste le 25 février 1698, qui fut déclaré né en légitime
mariage de Henry Desmarest, pensionnaire de la musique du roi et de
Marie-Marguerite de St-Gobert, ce qui était inexact.
M. de St-Gobert porta plainte contre Desmarest pour crime de rapt, de
violence et de séduction. Au cours de l'année 1698 et au début de 1699, il
entreprit des démarches lui permettant de reprendre sa fille par des voies
légales, étant lui-même magistrat. Il faillit bien réussir, et des déménagements successifs permirent au jeune couple et à l'enfant d'échapper à
l'arrestation. Un jour, St-Gobert et son fils aîné tendirent une embuscade à
Desmarest, qui continuait à vaquer à ses occupations. Le compositeur
réussit à leur échapper, mais il fut légèrement blessé au pouce gauche.
Aussitôt il porta plainte contre eux pour assassinat.
Pendant toutes ces procédures il poursuivait sa carrière et travaillait
sur un genre nouveau, l'opéra-ballet en composant "Les Festes galantes".
Mais ses tribulations sentimentales ne lui permirent pas de faire représenter
à temps ce nouvel ouvrage et Campra le devança avec son "Europe
galante", devenant aux yeux de l'Histoire le véritable fondateur de ce
genre naissant.
Le procès qui s'ouvrit le 18 juillet 1699 fit grand bruit, opposant un
président de juridiction et un musicien fameux. Il fut retentissant grâce
aussi au renom des avocats, Joly de Fleury pour Desmarest et JeanFrançois Dumont, futur procureur général du Parlement, pour St-Gobert.
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L'avocat général était d'Aguesseau, futur chancelier de France. Desmarest
perdit et fut condamné à la prison. Il se cacha, et le 19 mai 1700, fut
condamné par contumace à la pendaison en effigie. La carrière parisienne
de Desmarest était terminée.
Ayant perdu leur enfant, Desmarest et son épouse s'enfuirent et
gagnèrent Bruxelles, alors sous domination espagnole. Le gouverneur en
était Maximilien-Emmanuel de Bavière, bon musicien, qui accueillit avec
joie nos exilés et prit le compositeur à son service.
Desmarest resta peu de temps à Bruxelles. Les événements de
novembre 1700 à Madrid, mirent sur le trône d'Espagne le duc d'Anjou,
petit-fils de Louis XIV, sous le nom de Philippe V. Ce dernier souhaita
s'entourer d'une cour française. Son oncle Maximilien-Emmanuel de
Bavière, devant partir pour Munich, lui envoya Desmarest pour organiser sa
musique. Ne pouvant traverser la France où il risquait la mort, celui-ci
parvint à Madrid par la mer. Le nouveau roi, qui avait bien connu Desmarest à Versailles l'accueillit avec grand plaisir et le chargea de sa musique,
forte de 36 musiciens, la plupart français. Une nouvelle vie s'offrit ainsi à
Desmarest, qui lui fut souvent décevante. A Madrid il se maria réellement
avec Marie-Marguerite, qui mit une fille au monde. Philippe V ayant
épousé une princesse de Savoie, cette dernière amena son époux à se
séparer des musiciens français de sa cour au profit d'artistes italiens.
Complètement désemparé, Desmarest vécut difficilement à Madrid après
son éviction. Mais la chance veillait sur lui.
A ce moment, le duc Léopold de Lorraine, ayant récupéré ses états
depuis quelques années, cherchait un bon musicien pour organiser sa
musique. Il s'en ouvrit à un cadet de sa maison, le comte de Brionne, qui
avait bien connu Desmarest et le recommanda à son cousin ; c'est le frère de
Brionne, le prince Camille qui servit d'intermédiaire. Ainsi le destin
ouvrait à Desmarest une nouvelle voie ; il prit la route de Nancy, sans
doute sous un faux nom, pour venir occuper ses fonctions de surintendant
de la musique du duché de Lorraine, après six années passées en Espagne.
Il y arriva en avril 1707. Le duc et la duchesse Elisabeth-Charlotte aimaient
beaucoup la musique et souhaitaient faire de Lunéville un second
Versailles. La duchesse avait eu l'occasion d'entendre la musique de
Desmarest lorsqu'elle était enfant et son souvenir lui fit accueillir le
compositeur avec beaucoup de bienveillance. Desmarest se mit au travail
avec ardeur et entrain, bien encouragé par les souverains qui firent même
construire un théâtre à côté du palais ducal à Nancy.
Contrairement à la cour de France où la musique était très compartimentée, Desmarest s'occupait de tout, le lyrique, les concerts de la
chambre, les offices religieux, ce qui l'amenait à diriger souvent un
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ensemble de plus de 60 musiciens recrutés en Lorraine, mais aussi en
France, en Allemagne, en Italie. A la cour de Lunéville, les fêtes étaient
très fréquentes et toutes faisaient appel à la musique. Les nombreux
enfants de Léopold devinrent les élèves du surintendant et se produisaient ainsi que leurs parents, dans les ballets et ouvrages lyriques représentés à la moindre occasion, fêtes, anniversaires, visites de souverains
étrangers.
Ce fut la période la plus heureuse du couple Desmarest qui logeait
dans un hôtel sur la Carrière ou à Lunéville le plus souvent. Leurs deux
enfants nés à Paris et à Madrid étant morts en bas âge, ils eurent cinq autres
enfants en Lorraine dont deux seulement atteindront l'âge adulte :
Léopold né en 1708, filleul des souverains et François-Antoine né en
1711. Cette vie de tranquillité et de paix ne faisait pas oublier à Desmarest
la vie musicale de Paris. Sa fuite de 1699, si elle avait peiné ses amis, ne
pouvait que réjouir ceux qui voyaient en lui un concurrent dangereux à qui
le roi aurait fini par confier un poste important. Desmarest se fit oublier
pendant quelque temps, puis, en février 1702, envoya un duo bachique a
Ballard qui le publia. Ensuite, il fit une rentrée éclatante à l'Opéra avec la
création de Iphigénie en Tauride" le 6 mai 1704, grâce à ses amis,
surtout Campra qui avait terminé l'ouvrage laissé inachevé en 1699.
Maurice Barthélémy, biographe de celui-ci note que "Iphigénie ne nous
apprend plus rien sur le talent de Campra, mais elle nous suggère quelques
réflexions. En cédant à des sollicitations amicales et en acceptant de
terminer l'opéra de l'exilé, Campra a peut-être voulu honorer le meilleur
élève de Lulli. Mais il n'a pas compris que Desmarest lui proposait un
exemple. En effet, en parcourant le manuscrit de l'exilé, Campra se
trouvait en présence d'un récitatif ciselé, net, d'une déclamation impeccable ; dans l'œuvre de l'élève, il voyait la leçon du maître se perpétuer.
D'autre part, Desmarest n'est pas insensible au lyrisme. Sans avoir reçu de
la nature ce don de la mélodie jaillissante qui caractérise le talent de
Campra, il a tenté, le premier, de substituer l'air au récitatif et il a prouvé
sa facilité à écrire les divertissements de ses opéras. Desmarest rappelait
donc à Campra la leçon de Lulli, tout en lui montrant qu'il avait ouvert la
voie à des innovations. L'œuvre de Desmarest démontrait aussi à Campra,
tenté en 1704 par le lyrisme, guetté par la facilité, sensible à l'abondance
des formes italiennes, qu'un certain sens de l'économie des moyens et
même de leur pauvreté pouvait servir la cause de la tragédie en musique".
Cet opéra fut ensuite constamment repris à l'Opéra en 1711, 1719, 1720,
1734, 1735 et 1762, toujours avec un vif succès ; mais aussi en 1712 à
Lyon, Dijon, Grenoble et Marseille, en 1716 et 1731 à la cour de Bade, en
1726 à Bruxelles. Il fut très souvent joué à la cour ; la reine Marie
Leczinska l'aima particulièrement et plusieurs fois par an durant quelques
années, elle le mit au programme de ses concerts, si on en croit le Mercure
de France. J'ai insisté sur cet ouvrage, car ce sont des extraits de cet
opéra que vous entendrez dans un instant.
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Ainsi, malgré son absence forcée, Desmarest était toujours présent et
joué à Paris. L'éditeur Ballard publia plusieurs airs sérieux et à boire en
1706 et 1713. Ses autres opéras "Didon" et "Vénus et Adonis" furent aussi
repris en 1704 et 1717. En 1712, Matho, ami de Desmarest, fit entendre
devant Louis XIV, chez le comte de Toulouse à Rambouillet, des motets de
notre compositeur. Le roi les reconnut quoiqu'il ne les eût entendus depuis
20 ans et les apprécia. Certains princes lui demandèrent alors la grâce de
Desmarest que le roi refusa. Le territoire français lui était toujours interdit
et lorsqu'il se rendait de Nancy à Luxembourg pour y diriger les concerts de
l'électeur de Bavière, son ancien protecteur en exil, il passait par Metz en
se cachant. En 1720, Desmarest présenta une requête de grâce au régent. Le
duc d'Orléans, aux principes moins austères que le vieux roi disparu, et par
ailleurs frère de la duchesse de Lorraine agréa sa supplique. Mais il dut se
soumettre à une procédure assez humiliante devant le Parlement. Il se
constitua prisonnier le 20 janvier 1721 et comparut à genoux à l'audience de
la grande chambre. Il fut absous et libre de circuler en France. Il avait 60
ans. Par un pur hasard, Ballard publia le lendemain un air de Desmarest
"Dieu d'amour, témoin de mes peines", air de circonstance.
Il vint donc à Paris, composa son opéra "Renaud" qu'il dédia au roi
Louis XV et qui fut représenté le 5 mars 1722. Il écrivit alors de
nombreuses œuvres à l'occasion des faits marquants de la cour et reçut une
pension annuelle. Il revint néanmoins en Lorraine où il était toujours en
fonctions. Mais les fêtes étaient moins nombreuses après les décès successifs de plusieurs enfants des souverains. De Nancy, il guettait les événements de la cour de France. Lorsqu'en janvier 1723 le Régent obligea
Delalande à se séparer de trois de ses quartiers de sous-maître de la
chapelle, il espéra en obtenir un qu'il attendait depuis 1683. Il fut déçu car
ils échurent à Campra, Bernier et Gervais. Il fit néanmoins sa cour tout en
restant en Lorraine. En juillet 1724, la princesse de Bade, venant de Metz
pour aller à Paris épouser le fils du Régent, s'arrêta à Verdun. Desmarest
composa "Le Lys heureux époux" pour la circonstance, genre musical
nouveau pour lui et alors très à la mode, la cantate française. Toujours à
Verdun, le passage de Marie Leczinska en août 1725 fut encore une
occasion pour Desmarest de se faire remarquer, en transportant dans cette
ville toute la musique de Lorraine, avec l'assentiment de Léopold. On y
interpréta un Te Deum et un motet "Nisi Dominus" de sa composition.
Enfin la mort de Delalande lui fit espérer à nouveau un des postes que
laissait ce dernier. Desmarest se rendit à la cour de France, mais vainement
car en février 1727, le roi distribua les charges de Delalande à d'autres et
notre compositeur revint définitivement en Lorraine. Cette année de 1727
lui fut néfaste, car après les déceptions d'ordre professionnel le décès de
Marie-Marguerite le 17 août fut pour lui un grand malheur. L'amour qu'il
portait à son épouse, amour partagé, lui avait fait sacrifier sa carrière, sa
fortune, son honneur et sa vie. Il resta seul pour s'occuper de ses deux fils
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âgés de 20 et 16 ans. Puis le 27 mars 1729 le duc Léopold disparut à son
tour. Desmarest n'écrivit plus rien pour la cour de Lorraine, sa production,
très restreinte, fut réservée au Concert spirituel à Paris.
Le nouveau duc François III, ancien élève de Desmarest, très
mélomane, ne séjourna que peu de temps à Lunéville. Desmarest conserva
son titre et ses émoluments mais son activité fut considérablement réduite.
Les événements se précipitèrent, François III épousa Marie-Thérèse
d'Autriche et céda son duché à Stanislas Leczinski, beau-père de Louis XV.
Les musiciens quittèrent la Lorraine et, contrairement à ce qui fut dit et
écrit, Desmarest n'entra pas au service de Stanislas. En 1737 le surintendant
de la musique de la cour de Lorraine se nommait Louis-Maurice de La
Pierre.
Desmarest se retira à Lunéville, à l'écart de la cour où sa fille ElisabethMadeleine, née de son premier mariage, vint le rejoindre. Il y mourut dans
l'anonymat le plus complet le 7 septembre 1741. Quelques semaines auparavant, un autre grand compositeur disparut obscurément à Vienne, Vivaldi.
L'un et l'autre resteront injustement dans l'oubli pendant longtemps.
La longue carrière de son opéra "Iphigénie en Tauride" aurait pu se
poursuivre encore longtemps si le compositeur Gluck à son arrivée à Paris
n'avait remarqué ce succès, ainsi que celui de "Armide" de Lulli. Il écrivit
alors à son tour des œuvres lyriques sur les mêmes sujets et prit ainsi la
place des anciens compositeurs qui disparurent du répertoire.
Cette communication n'est pas une biographie. Titon du Tillet fut le
premier à établir une notice sur Desmarest dans le "Supplément au
Parnasse français" en 1743. Ami de François-Antoine, fils du compositeur,
ce dernier lui a donné d'excellents renseignements sur son père. Mais étant
magistrat, il a omis de s'étendre sur son aventure amoureuse et judiciaire.
Par contre, les "Œuvres" du chancelier d'Aguesseau dévoilent les
moindres détails de cette affaire. En 1883, Michel Brenet essaya d'en dire
davantage dans un article du Ménestrel. Enfin, en 1965, parut une biographie critique complète sur Henry Desmarest que je n'hésite pas à qualifier
de modèle. Elle est signé par Michel Antoine, conservateur aux Archives
nationales.
Pour conclure, je souhaite dire quelques mots sur les deux fils de
Desmarest. L'aîné Léopold choisit la carrière des armes, mais fréquenta
assidûment la cour de Stanislas, faisant partie du cénacle des admirateurs de
Voltaire. Célibataire, amant de M de Graffigny, poète frivole et joyeux
drille, il mourut sur le champ de bataille durant la guerre de Succession
d'Autriche en 1747. François-Antoine choisit la magistrature, comme son
grand-père maternel, le farouche Jacques de St-Gobert. Vous allez voir que
le destin joue souvent des tours curieux. Lorsque le président de St-Gobert
me
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me
mourut, son fils Charles-Alexandre, frère de M Desmarest, lui succéda.
Lorsque ce dernier disparut à son tour le 6 avril 1739 sans descendance, son
office de président en l'élection de Senlis échut à François-Antoine Desmarest. Aujourd'hui une nombreuse postérité vit dans la magistrature à Senlis,
qui ignorait il y a encore quelques années qu'elle descendait de Henry
Desmarest, surintendant de la musique du duc Léopold de Lorraine, mais
connaît parfaitement la généalogie des St-Gobert.
Les œuvres de Desmarest ayant illustré cette communication ont été
interprétées par Elisabeth Mokhtari, soprano, Dominique Lendormy, violon et
Didier Haro, clavecin.
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