HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR par M. Gilbert ROSE, membre titulaire Il n'est pas dans mes habitudes, chers Confrères, de disserter sur des musiciens étrangers à notre ville. Pourtant, il me parait utile aujourd'hui de rétablir la vérité sur un compositeur qui connut Metz pour l'avoir traversé à plusieurs reprises, allant de Nancy où il demeurait, à Luxembourg. Plusieurs auteurs, trompés sans doute par un manque de documents, ont affirmé que Henry Desmarest, après avoir été au service du duc de Lorraine Léopold, aurait poursuivi ses activités auprès du duc Stanislas, ce qui est inexact. Injustement oubliée pendant deux siècles, sa musique commence à être reconnue, et je souhaite ardemment qu'un directeur de théâtre fasse bientôt représenter une de ses œuvres lyriques. Il faut dire que Desmarest a subi son séjour à Nancy et Lunéville plus qu'il ne l'a recherché, car il le doit à des événements que je souhaite vous narrer aujourd'hui. La musique de Desmarest fut recréée à partir de 1959 par les Instruments Anciens de Lorraine que mon maître Francis Casadesus m'avait incité à fonder. Le 7 juin de cette année, au cours d'un concert donné dans la chapelle du Château de Lunéville et enregistré par la Radiodiffusion française, nous avons interprété des extraits symphoniques tirés de l'opéra "Vénus et Adonis". Nous redonnâmes ce concert le 8 juin 1960 dans le grand salon de l'Hôtel de Ville de Nancy, lors d'un duplex radiophonique entre cette ville et Karlsruhe, enfin quelques jours plus tard, le 11 juin dans le salon de l'Hôtel de Ville de Metz, à l'occasion du bicentenaire de l'Académie Nationale de cette ville. Le 6 octobre suivant, cette Académie décerna son prix artistique à votre serviteur, sans doute pour le remercier d'avoir redécouvert Henry Desmarest. Ensuite, durant deux décennies, les Instruments Anciens de Lorraine ont fait entendre la musique de ce compositeur dans une grande partie du monde, souvent à Lunéville, Metz et Nancy, ont enregistré des disques aujourd'hui épuisés, et les visiteurs du Château de Lunéville ont pu l'apprécier en visionnant les différents "Sons et Lumière" des jardins puis de la chapelle. Né à Paris en février 1661, Desmarest n'était pas du tout destiné à venir en Lorraine. Fils d'un modeste huissier, il débuta comme page de la musique du roi. Les pages, peu nombreux, suivaient le roi dans tous ses 137 HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR déplacements et devenaient vite familiers du monarque et de la cour. Ainsi Desmarest a-t-il pu bénéficier depuis l'enfance des faveurs de Louis XIV. Lorsqu'il perdit sa jolie voix d'enfant, Desmarest quitta le corps des pages au cours du premier semestre 1678. Il y avait reçu l'enseignement des maîtres de la chapelle royale, les abbés Pierre Robert et Henry Du Mont, propagateurs du motet à double chœur, et non celui de Lulli, comme on l'a écrit trop souvent. Mais il subit l'influence du surintendant qui dirigeait à certaines occasions les pages venus renforcer les effectifs de la chambre. Lulli remarqua le jeune musicien qui devint dès 1680 ordinaire de la musique du Roy. Gravitant dans le milieu de la cour, Desmarest guettait les occasions qui lui permettraient d'obtenir un poste digne de son talent. Il profita de la naissance du duc de Bourgogne en août 1682 pour composer "Idylle" en l'honneur du petit-fils de Louis XIV. Lorsque le monarque décida de remplacer Robert et Du Mont, un concours fut ouvert en 1683 pour les postes de sous-maîtres de la Chapelle royale, auquel se présentèrent 35 candidats, dont Desmarest. Admis au premier éliminatoire, ce dernier se vit préférer ses concurrents Minoret, Collasse, Delalande et Coupillet qui occupèrent par quartier les places qu'il convoitait. Il décida alors de se rendre en Italie pour apprendre le goût italien. Mais le roi, sur les conseils de Lulli, lui refusa ce voyage. Cette attitude de Louis XIV réconforta Desmarest qui pensa que si on le maintenait en place, c'était pour lui donner une charge importante. Durant une période d'attente, notre compositeur, tout en continuant d'écrire des œuvres religieuses, affronta le genre de l'opéra pour lequel il était particulièrement doué. A cette époque, Lulli avait le monopole de la tragédie lyrique et n'admettait aucune concurrence dans ce domaine. Il fit pourtant une exception pour Desmarest, car celui-ci était protégé par la Dauphine, son élève, et le surintendant, prudent, ne s'opposa pas à une princesse qui était appelée à devenir un jour sa souveraine. On sait qu'il n'en fut rien, mais Lulli ne pouvait le deviner. Il mourut d'ailleurs le 22 mars 1687. C'est alors que les compositeurs, surpris, tristes sans doute mais surtout soulagés commencèrent à produire des œuvres lyriques. Desmarest qui avait de l'avance n'en profita pas, car à ce moment, sa vie amoureuse l'accapara davantage. En effet, en 1689 il épousa Elisabeth Desprez, sœur d'un musicien de la chapelle royale, qui lui donna une fille, Elisabeth-Madeleine l'année suivante. Puis un petit scandale éclata à la cour. On se souvient que Nicolas Coupillet fut nommé sous-maître de la chapelle royale pour un quartier, en 1683, poste pour lequel Desmarest avait concouru. Il avait eu ce bénéfice grâce à la protection de Bossuet. En effet, musicien médiocre, cet abbé n'avait absolument pas les qualités requises pour occuper une telle place. Aussi profita-t-il de la situation précaire de Desmarest pour lui proposer un marché. "Il se trouva, conte Lecerf de La Viéville, ami de Desmarest, très 138 HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR étonné et très fâché de se voir élevé à un poste qu'il avait brigué moins par envie et espérance de l'obtenir, que par vanité. Il s'avisa d'avoir recours à Desmarest, jeune homme alors gueux et inconnu. Ils firent marché à tant le motet, et Coupillet vécut dans son emploi glorieux et estimé. Des années s'écoulèrent ainsi, pendant lesquelles Desmarest se trouva parfois dans des situations qui durent l'amuser. Certain jour qu'il était à la Chapelle du Roi pour entendre l'exécution d'un motet qu'il avait secrètement donné à l'abbé Coupillet, un seigneur qui voulait se piquer d'être connaisseur en musique et donner devant le roi des marques de sa capacité, lui dit : "Marchez-moi doucement sur le pied aux plus beaux endroits pour y applaudir à propos". Ce jeune musicien, qui avait composé le motet, comme on vient de le dire, ne manqua pas au premier coup d'archet de la symphonie d'appuyer aussi vivement son pied sur le sien et ne discontinua pas pendant tout le motet, ce qui impatienta fort ce seigneur, qui lui dit à la fin d'un ton de colère : "Ha ! parbleu, Monsieur, vous m'en apprenez trop pour la première fois, et je n'en veux savoir davantage". On assure, dit encore Lecerf de La Viéville, que cette musique d'église de Desmarest jouée à Versailles sous le nom de Coupillet, était excellente, et surtout naturelle et simple". La vérité éclata en 1693. Coupillet décida de ne plus rétribuer Desmarest. Celui-ci, chargé d'une famille, avait besoin de cet argent dûment mérité. Il dévoila alors l'intrigue. Louis XIV, qui ne supportait pas que l'on se moquât ainsi de lui, renvoya Coupillet, mais ne donna pas sa charge à Desmarest. Ce fut à nouveau Delalande qui la reçut. Notre compositeur n'en fut pas trop affecté car depuis le 13 septembre 1693 il triomphait à l'Opéra avec sa tragédie lyrique "Didon". La gloire avait atteint Desmarest qui voyait s'ouvrir devant lui un avenir des plus brillants, car d'autres œuvres lyriques suivirent qui remportèrent les suffrages des habitués de l'Académie royale de musique et de la cour. Il convient à présent de raconter l'histoire romanesque qui fit de Desmarest un compositeur lorrain. Il se rendait fréquemment à Senlis pour y visiter un vieil ami, l'abbé Gervais, maître de chapelle de la cathédrale, qu'il avait connu lors du concours de 1683, auquel ce dernier avait également participé. Dans cette petite ville la présence d'un étranger comme Desmarest ne passa pas inaperçue. L'abbé Gervais présenta son ami à tout son entourage, flatté de connaître un artiste qui approchait le roi et fréquentait Versailles. C'est ainsi que Desmarest et son épouse firent la connaissance de la famille de Jacques de Saint-Gobert, président en l'élection, qui comprenait sa femme, deux fils et une fille. Les St-Gobert et les Desmarest, très intimement liés, se reçurent régulièrement lors des voyages fréquents des uns et des autres à Paris et à Senlis. Lors du décès de Elisabeth Desmarest en août 1696, les St-Gobert s'offrirent à garder la jeune Elisabeth-Madeleine et le musicien leur confia 139 HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR l'enfant. Il visita plus fréquemment la maison des St-Gobert, donnant aussi des leçons de musique à la jeune Marie-Marguerite, âgée de 18 ans. Une passion mutuelle prit alors naissance entre la jeune fille et Desmarest, malgré l'âge de ce dernier. Mais à 36 ans, notre musicien, qui en paraissait beaucoup moins, se crut autorisé par son veuvage à conquérir les grâces de sa jeune élève. Encouragé par madame de St-Gobert, il fit sa demande en mariage. Hélas, Jacques de St-Gobert ne l'entendit pas de cette oreille. Considérant Desmarest comme un excellent ami qu'il côtoyait avec plaisir, il n'envisagea pas un instant de donner sa fille à un homme sans naissance, lié par son métier au milieu du théâtre mal considéré à l'époque. Il refusa son consentement. Les jeunes gens qui s'étaient promis l'un à l'autre par écrit, décidèrent de passer outre. Avec la complicité de sa mère, MarieMarguerite s'enfuit à Paris rejoindre son bien-aimé. Celui-ci poursuivait sa brillante carrière à l'Opéra et devint maître de musique à la maison professe des Jésuites, succédant à Charpentier. Je passerai rapidement sur les péripéties scabreuses qui suivirent : plainte de St-Gobert contre sa femme qu'il réussit à faire enfermer dans un couvent, enlèvement de sa fille qu'il confia à un chirurgien pour qu'elle puisse secrètement mettre au monde l'enfant qu'elle attendait, son évasion grâce à Desmarest, qui s'était pour la circonstance déguisé en femme, la naissance de Jean-Baptiste le 25 février 1698, qui fut déclaré né en légitime mariage de Henry Desmarest, pensionnaire de la musique du roi et de Marie-Marguerite de St-Gobert, ce qui était inexact. M. de St-Gobert porta plainte contre Desmarest pour crime de rapt, de violence et de séduction. Au cours de l'année 1698 et au début de 1699, il entreprit des démarches lui permettant de reprendre sa fille par des voies légales, étant lui-même magistrat. Il faillit bien réussir, et des déménagements successifs permirent au jeune couple et à l'enfant d'échapper à l'arrestation. Un jour, St-Gobert et son fils aîné tendirent une embuscade à Desmarest, qui continuait à vaquer à ses occupations. Le compositeur réussit à leur échapper, mais il fut légèrement blessé au pouce gauche. Aussitôt il porta plainte contre eux pour assassinat. Pendant toutes ces procédures il poursuivait sa carrière et travaillait sur un genre nouveau, l'opéra-ballet en composant "Les Festes galantes". Mais ses tribulations sentimentales ne lui permirent pas de faire représenter à temps ce nouvel ouvrage et Campra le devança avec son "Europe galante", devenant aux yeux de l'Histoire le véritable fondateur de ce genre naissant. Le procès qui s'ouvrit le 18 juillet 1699 fit grand bruit, opposant un président de juridiction et un musicien fameux. Il fut retentissant grâce aussi au renom des avocats, Joly de Fleury pour Desmarest et JeanFrançois Dumont, futur procureur général du Parlement, pour St-Gobert. 140 HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR L'avocat général était d'Aguesseau, futur chancelier de France. Desmarest perdit et fut condamné à la prison. Il se cacha, et le 19 mai 1700, fut condamné par contumace à la pendaison en effigie. La carrière parisienne de Desmarest était terminée. Ayant perdu leur enfant, Desmarest et son épouse s'enfuirent et gagnèrent Bruxelles, alors sous domination espagnole. Le gouverneur en était Maximilien-Emmanuel de Bavière, bon musicien, qui accueillit avec joie nos exilés et prit le compositeur à son service. Desmarest resta peu de temps à Bruxelles. Les événements de novembre 1700 à Madrid, mirent sur le trône d'Espagne le duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, sous le nom de Philippe V. Ce dernier souhaita s'entourer d'une cour française. Son oncle Maximilien-Emmanuel de Bavière, devant partir pour Munich, lui envoya Desmarest pour organiser sa musique. Ne pouvant traverser la France où il risquait la mort, celui-ci parvint à Madrid par la mer. Le nouveau roi, qui avait bien connu Desmarest à Versailles l'accueillit avec grand plaisir et le chargea de sa musique, forte de 36 musiciens, la plupart français. Une nouvelle vie s'offrit ainsi à Desmarest, qui lui fut souvent décevante. A Madrid il se maria réellement avec Marie-Marguerite, qui mit une fille au monde. Philippe V ayant épousé une princesse de Savoie, cette dernière amena son époux à se séparer des musiciens français de sa cour au profit d'artistes italiens. Complètement désemparé, Desmarest vécut difficilement à Madrid après son éviction. Mais la chance veillait sur lui. A ce moment, le duc Léopold de Lorraine, ayant récupéré ses états depuis quelques années, cherchait un bon musicien pour organiser sa musique. Il s'en ouvrit à un cadet de sa maison, le comte de Brionne, qui avait bien connu Desmarest et le recommanda à son cousin ; c'est le frère de Brionne, le prince Camille qui servit d'intermédiaire. Ainsi le destin ouvrait à Desmarest une nouvelle voie ; il prit la route de Nancy, sans doute sous un faux nom, pour venir occuper ses fonctions de surintendant de la musique du duché de Lorraine, après six années passées en Espagne. Il y arriva en avril 1707. Le duc et la duchesse Elisabeth-Charlotte aimaient beaucoup la musique et souhaitaient faire de Lunéville un second Versailles. La duchesse avait eu l'occasion d'entendre la musique de Desmarest lorsqu'elle était enfant et son souvenir lui fit accueillir le compositeur avec beaucoup de bienveillance. Desmarest se mit au travail avec ardeur et entrain, bien encouragé par les souverains qui firent même construire un théâtre à côté du palais ducal à Nancy. Contrairement à la cour de France où la musique était très compartimentée, Desmarest s'occupait de tout, le lyrique, les concerts de la chambre, les offices religieux, ce qui l'amenait à diriger souvent un 141 HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR ensemble de plus de 60 musiciens recrutés en Lorraine, mais aussi en France, en Allemagne, en Italie. A la cour de Lunéville, les fêtes étaient très fréquentes et toutes faisaient appel à la musique. Les nombreux enfants de Léopold devinrent les élèves du surintendant et se produisaient ainsi que leurs parents, dans les ballets et ouvrages lyriques représentés à la moindre occasion, fêtes, anniversaires, visites de souverains étrangers. Ce fut la période la plus heureuse du couple Desmarest qui logeait dans un hôtel sur la Carrière ou à Lunéville le plus souvent. Leurs deux enfants nés à Paris et à Madrid étant morts en bas âge, ils eurent cinq autres enfants en Lorraine dont deux seulement atteindront l'âge adulte : Léopold né en 1708, filleul des souverains et François-Antoine né en 1711. Cette vie de tranquillité et de paix ne faisait pas oublier à Desmarest la vie musicale de Paris. Sa fuite de 1699, si elle avait peiné ses amis, ne pouvait que réjouir ceux qui voyaient en lui un concurrent dangereux à qui le roi aurait fini par confier un poste important. Desmarest se fit oublier pendant quelque temps, puis, en février 1702, envoya un duo bachique a Ballard qui le publia. Ensuite, il fit une rentrée éclatante à l'Opéra avec la création de Iphigénie en Tauride" le 6 mai 1704, grâce à ses amis, surtout Campra qui avait terminé l'ouvrage laissé inachevé en 1699. Maurice Barthélémy, biographe de celui-ci note que "Iphigénie ne nous apprend plus rien sur le talent de Campra, mais elle nous suggère quelques réflexions. En cédant à des sollicitations amicales et en acceptant de terminer l'opéra de l'exilé, Campra a peut-être voulu honorer le meilleur élève de Lulli. Mais il n'a pas compris que Desmarest lui proposait un exemple. En effet, en parcourant le manuscrit de l'exilé, Campra se trouvait en présence d'un récitatif ciselé, net, d'une déclamation impeccable ; dans l'œuvre de l'élève, il voyait la leçon du maître se perpétuer. D'autre part, Desmarest n'est pas insensible au lyrisme. Sans avoir reçu de la nature ce don de la mélodie jaillissante qui caractérise le talent de Campra, il a tenté, le premier, de substituer l'air au récitatif et il a prouvé sa facilité à écrire les divertissements de ses opéras. Desmarest rappelait donc à Campra la leçon de Lulli, tout en lui montrant qu'il avait ouvert la voie à des innovations. L'œuvre de Desmarest démontrait aussi à Campra, tenté en 1704 par le lyrisme, guetté par la facilité, sensible à l'abondance des formes italiennes, qu'un certain sens de l'économie des moyens et même de leur pauvreté pouvait servir la cause de la tragédie en musique". Cet opéra fut ensuite constamment repris à l'Opéra en 1711, 1719, 1720, 1734, 1735 et 1762, toujours avec un vif succès ; mais aussi en 1712 à Lyon, Dijon, Grenoble et Marseille, en 1716 et 1731 à la cour de Bade, en 1726 à Bruxelles. Il fut très souvent joué à la cour ; la reine Marie Leczinska l'aima particulièrement et plusieurs fois par an durant quelques années, elle le mit au programme de ses concerts, si on en croit le Mercure de France. J'ai insisté sur cet ouvrage, car ce sont des extraits de cet opéra que vous entendrez dans un instant. 142 HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR Ainsi, malgré son absence forcée, Desmarest était toujours présent et joué à Paris. L'éditeur Ballard publia plusieurs airs sérieux et à boire en 1706 et 1713. Ses autres opéras "Didon" et "Vénus et Adonis" furent aussi repris en 1704 et 1717. En 1712, Matho, ami de Desmarest, fit entendre devant Louis XIV, chez le comte de Toulouse à Rambouillet, des motets de notre compositeur. Le roi les reconnut quoiqu'il ne les eût entendus depuis 20 ans et les apprécia. Certains princes lui demandèrent alors la grâce de Desmarest que le roi refusa. Le territoire français lui était toujours interdit et lorsqu'il se rendait de Nancy à Luxembourg pour y diriger les concerts de l'électeur de Bavière, son ancien protecteur en exil, il passait par Metz en se cachant. En 1720, Desmarest présenta une requête de grâce au régent. Le duc d'Orléans, aux principes moins austères que le vieux roi disparu, et par ailleurs frère de la duchesse de Lorraine agréa sa supplique. Mais il dut se soumettre à une procédure assez humiliante devant le Parlement. Il se constitua prisonnier le 20 janvier 1721 et comparut à genoux à l'audience de la grande chambre. Il fut absous et libre de circuler en France. Il avait 60 ans. Par un pur hasard, Ballard publia le lendemain un air de Desmarest "Dieu d'amour, témoin de mes peines", air de circonstance. Il vint donc à Paris, composa son opéra "Renaud" qu'il dédia au roi Louis XV et qui fut représenté le 5 mars 1722. Il écrivit alors de nombreuses œuvres à l'occasion des faits marquants de la cour et reçut une pension annuelle. Il revint néanmoins en Lorraine où il était toujours en fonctions. Mais les fêtes étaient moins nombreuses après les décès successifs de plusieurs enfants des souverains. De Nancy, il guettait les événements de la cour de France. Lorsqu'en janvier 1723 le Régent obligea Delalande à se séparer de trois de ses quartiers de sous-maître de la chapelle, il espéra en obtenir un qu'il attendait depuis 1683. Il fut déçu car ils échurent à Campra, Bernier et Gervais. Il fit néanmoins sa cour tout en restant en Lorraine. En juillet 1724, la princesse de Bade, venant de Metz pour aller à Paris épouser le fils du Régent, s'arrêta à Verdun. Desmarest composa "Le Lys heureux époux" pour la circonstance, genre musical nouveau pour lui et alors très à la mode, la cantate française. Toujours à Verdun, le passage de Marie Leczinska en août 1725 fut encore une occasion pour Desmarest de se faire remarquer, en transportant dans cette ville toute la musique de Lorraine, avec l'assentiment de Léopold. On y interpréta un Te Deum et un motet "Nisi Dominus" de sa composition. Enfin la mort de Delalande lui fit espérer à nouveau un des postes que laissait ce dernier. Desmarest se rendit à la cour de France, mais vainement car en février 1727, le roi distribua les charges de Delalande à d'autres et notre compositeur revint définitivement en Lorraine. Cette année de 1727 lui fut néfaste, car après les déceptions d'ordre professionnel le décès de Marie-Marguerite le 17 août fut pour lui un grand malheur. L'amour qu'il portait à son épouse, amour partagé, lui avait fait sacrifier sa carrière, sa fortune, son honneur et sa vie. Il resta seul pour s'occuper de ses deux fils 143 HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR âgés de 20 et 16 ans. Puis le 27 mars 1729 le duc Léopold disparut à son tour. Desmarest n'écrivit plus rien pour la cour de Lorraine, sa production, très restreinte, fut réservée au Concert spirituel à Paris. Le nouveau duc François III, ancien élève de Desmarest, très mélomane, ne séjourna que peu de temps à Lunéville. Desmarest conserva son titre et ses émoluments mais son activité fut considérablement réduite. Les événements se précipitèrent, François III épousa Marie-Thérèse d'Autriche et céda son duché à Stanislas Leczinski, beau-père de Louis XV. Les musiciens quittèrent la Lorraine et, contrairement à ce qui fut dit et écrit, Desmarest n'entra pas au service de Stanislas. En 1737 le surintendant de la musique de la cour de Lorraine se nommait Louis-Maurice de La Pierre. Desmarest se retira à Lunéville, à l'écart de la cour où sa fille ElisabethMadeleine, née de son premier mariage, vint le rejoindre. Il y mourut dans l'anonymat le plus complet le 7 septembre 1741. Quelques semaines auparavant, un autre grand compositeur disparut obscurément à Vienne, Vivaldi. L'un et l'autre resteront injustement dans l'oubli pendant longtemps. La longue carrière de son opéra "Iphigénie en Tauride" aurait pu se poursuivre encore longtemps si le compositeur Gluck à son arrivée à Paris n'avait remarqué ce succès, ainsi que celui de "Armide" de Lulli. Il écrivit alors à son tour des œuvres lyriques sur les mêmes sujets et prit ainsi la place des anciens compositeurs qui disparurent du répertoire. Cette communication n'est pas une biographie. Titon du Tillet fut le premier à établir une notice sur Desmarest dans le "Supplément au Parnasse français" en 1743. Ami de François-Antoine, fils du compositeur, ce dernier lui a donné d'excellents renseignements sur son père. Mais étant magistrat, il a omis de s'étendre sur son aventure amoureuse et judiciaire. Par contre, les "Œuvres" du chancelier d'Aguesseau dévoilent les moindres détails de cette affaire. En 1883, Michel Brenet essaya d'en dire davantage dans un article du Ménestrel. Enfin, en 1965, parut une biographie critique complète sur Henry Desmarest que je n'hésite pas à qualifier de modèle. Elle est signé par Michel Antoine, conservateur aux Archives nationales. Pour conclure, je souhaite dire quelques mots sur les deux fils de Desmarest. L'aîné Léopold choisit la carrière des armes, mais fréquenta assidûment la cour de Stanislas, faisant partie du cénacle des admirateurs de Voltaire. Célibataire, amant de M de Graffigny, poète frivole et joyeux drille, il mourut sur le champ de bataille durant la guerre de Succession d'Autriche en 1747. François-Antoine choisit la magistrature, comme son grand-père maternel, le farouche Jacques de St-Gobert. Vous allez voir que le destin joue souvent des tours curieux. Lorsque le président de St-Gobert me 144 HENRY DESMAREST, LORRAIN PAR AMOUR me mourut, son fils Charles-Alexandre, frère de M Desmarest, lui succéda. Lorsque ce dernier disparut à son tour le 6 avril 1739 sans descendance, son office de président en l'élection de Senlis échut à François-Antoine Desmarest. Aujourd'hui une nombreuse postérité vit dans la magistrature à Senlis, qui ignorait il y a encore quelques années qu'elle descendait de Henry Desmarest, surintendant de la musique du duc Léopold de Lorraine, mais connaît parfaitement la généalogie des St-Gobert. Les œuvres de Desmarest ayant illustré cette communication ont été interprétées par Elisabeth Mokhtari, soprano, Dominique Lendormy, violon et Didier Haro, clavecin. 145