1 L’évolution de la jurisprudence en matière de fin vie Arrêts Faits Apport(s) Commentaires Affaire dont les faits sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi Léonetti du 22 avril 2005 Affaire Vincent Humbert TGI Boulogne-surMer 27 février 2006 n° 03012089 Un jeune homme, victime d’un accident de la route se retrouve tétraplégique, aveugle et muet. Il exprime un fort désir de mourir auprès de sa mère et du personnel soignant, ce qui conduit sa mère puis son médecin à lui administrer des substances de nature à provoquer son décès. Le TGI rend une ordonnance de non-lieu à l’égard des infractions reprochées à la mère et au médecin de V. Humbert (empoisonnement et administration de substances nuisibles) : V. Humbert était en état d’exprimer sa volonté contrairement aux patients qui ont fait l’objet des décisions postérieures à la loi Léonetti de 2005. Ici c’est l’absence d’encadrement législatif qui a mené l’affaire devant le juge. Sa médiatisation a insufflé la rédaction de la loi de 2005. Il considère qu’ils ont agi sous l’empire de la contrainte les exonérant de toute responsabilité pénale (contrainte émanant du patient, contrainte médiatique…). Le juge précise que l’intention du médecin n’était pas de donner la mort au sens pénal du terme mais de préserver sa dignité et celle de sa famille. Il justifie également le non-lieu par le silence législatif qui existait avant la loi du 22 avril 2005, encadrant la décision médicale en matière de fin de vie. CNEH – JURISANTE – Avril 2017 2 LOI n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (dite loi Léonetti) Ordonnance du TA de Strasbourg du 7 avril 2014 n° 1401623 Affaire Vincent Lambert CE ass, 24 juin 2014 n°375081 Un homme victime d’un accident équestre souffre d’un traumatisme crânien et se trouve dans le coma. Les médecins envisagent un transfert pour procéder à des soins d’éveils. Dans cette affaire, bien que les médecins soient unanimes, la famille n’arrive pas à trouver d’accord quant à l’envoi du patient au CHU de Strasbourg. Son épouse s’oppose notamment à la réalisation des soins d’éveil et de ce fait attaque la décision médicale. De plus, le patient n’a pas rédigé de directives anticipées. V. Lambert, 32 ans, est victime d’un accident de la route à la suite duquel il devient tétraplégique et est plongé dans un coma profond. Il est hors d’état d’exprimer sa volonté, n’a pas rédigé de directives anticipées ni désigné de personne de confiance. Sa vie est maintenue seulement par une alimentation et une hydratation artificielle, laquelle est considérée par son médecin, au terme d’une procédure collégiale, comme une obstination déraisonnable. Cependant, un conflit existe au sein de la famille entre une partie qui est en accord avec l’arrêt des traitements et l’autre non. Après une expertise médicale ordonnée par le Conseil d’Etat et une Les soins d’éveils envisagés sont-ils susceptibles d’être qualifiés de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? le TA de Strasbourg a, en l’espèce, a estimé que ce n’était pas le cas dans la mesure où des soins palliatifs pourront être délivrés ce qui permettrait de sauvegarder la dignité du patient. Dans cette affaire la volonté de maintien des traitements émane de l’équipe médicale à l’inverse des autres affaires développées dans ce tableau. Ces soins empêchent-ils la mise en œuvre de la procédure collégiale ? le TA de Strasbourg répond ici encore par la négative. Le Conseil d’Etat conclut à la légalité de la décision d’arrêt des traitements : Les dispositions concernant l’obstination déraisonnable s’appliquent à tous les patients même ceux qui ne sont pas « en fin de vie » (comme c’est le cas en l’espèce). L’hydratation et l’alimentation artificielles constituent des traitements qui peuvent faire l’objet d’obstination déraisonnable au sens de l’article L. 1110-5 CSP. Le fait que les membres de la famille n'aient pas une opinion unanime quant au sens de la décision n'est Cet arrêt précise que la loi Léonetti concerne toute personne remplissant les critères d’obstination déraisonnable et pas seulement les personnes en fin de vie. Sur ce point, le CE a cassé la décision rendue par le TA de Châlonsen-Champagne 16 janvier 2014 n°1400029 qui avait refusé de considérer l’alimentation et l’hydratation artificielle comme des traitements. De plus, il ressort de cette décision que les membres de la famille témoignent de la volonté du patient lors de la procédure collégiale. Ce témoignage n’est nullement un avis personnel et ne s’impose CNEH – JURISANTE – Avril 2017 3 Affaire Vincent Lambert (suite) demande d’avis auprès d’institutions, la haute juridiction se prononce sur la légalité de la décision d’arrêt des traitements. pas au médecin. La décision, à l’issue de cette procédure, est prise de manière individuelle par le médecin en charge du patient. On ne peut pas interpréter l’absence de connaissance de la volonté du malade qui n’est pas en mesure de s’exprimer comme un refus de maintenir des soins. CE ass, 24 juin 2014 n°375081 « Lambert contre France » CEDH, 5 juin 2015 pas de nature à faire obstacle à la décision d’arrêt des traitements, celle-ci étant prise par le médecin à la suite de la procédure collégiale. Les parents de V. Lambert saisissent la CEDH sur plusieurs fondements, principalement l’article 2 de la Convention (droit à la vie). La circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible d’inconscience ou à plus forte raison de perte d’autonomie la rendant tributaire d’un mode artificiel d’alimentation et d’hydratation ne saurait caractériser par elle-même, une situation d’obstination déraisonnable. La décision médicale d’arrêt des traitements doit prendre en compte la singularité de chaque patient en s’appuyant sur des éléments médicaux et non médicaux recueillis sur une période de temps suffisante. En l’absence de consensus entre les Etats parties, ils bénéficient d’une marge d’appréciation pour légiférer en matière de fin de vie. Le cadre législatif français est clair et l’encadrement de la décision d’arrêt des traitements est assez précis pour considérer qu’il n’est pas contraire à l’art. 2 de la Convention EDH. Le consentement du patient doit être au cœur du processus décisionnel Le Conseil d’Etat s’est bien attaché en l’espèce à rechercher la volonté de V. Lambert. Cette jurisprudence a permis de consacrer des précisions majeures en matière de fin de vie. Ces principes sont régulièrement repris dans les jurisprudences postérieures. La Cour confirme la conformité du cadre législatif de la loi Léonetti de 2005 ainsi que de l’arrêt du Conseil d’Etat de 2014 à la Convention EDH. Cependant, à ce jour, l’arrêt des traitements n’a toujours pas été mis en œuvre. La dernière décision rendue dans cette affaire date du 8 décembre 2016 (Ccass, 1er civ, 8 décembre 2016 n°16-20.298) qui confirme la désignation de l’épouse de V. Lambert comme tutrice de ce dernier. Cela ne lui confère pas pour autant la possibilité de décider de l’arrêt des traitements. CNEH – JURISANTE – Avril 2017 4 LOI n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (dite loi Léonetti-Claeys) TA de Lyon, ordonnance du 9 novembre 2016 n°1607855 Affaire Marwa CE, 8 mars 2017 n° 408146 Un homme âgé est rapatrié en France suite à un épisode d’hypoglycémie. Par la suite, il est tombé dans le coma. Une procédure collégiale a été mise en œuvre, laquelle a abouti à une décision de cessation des traitements, les médecins étant unanimes. La famille y est opposée. Un mineur de un an, victime d’une maladie se trouve dans une situation de paralysie et de dépendance à une respiration et alimentation artificielles. De ce fait, les médecins ont engagé une procédure collégiale qui a abouti à la décision d’arrêt des traitements. Les parents s’y opposent formellement. La volonté du patient d’être rapatrié en France ainsi que ses convictions religieuses ont-ils la valeur de directives anticipées ? Ici le TA a fait une interprétation stricte de la loi en considérant que non. En effet ces directives anticipées auraient dû être écrites par le patient. De plus, le juge constate que la procédure collégiale est conforme aux textes dans la mesure où la famille a pu exprimer son désaccord. Cependant le médecin n’est pas tenu par cet avis. En l’espèce, la qualification d’obstination déraisonnable n’a pas été retenue dans la mesure où le laps de temps entre l’admission du patient et la décision d’arrêt des traitements était trop court. L’état du mineur est encore susceptible de s’améliorer. Une amélioration de son état avait d’ailleurs était constatée en l’espèce bien que les médecins avaient estimé la situation irréversible. Le Conseil d’Etat rappelle que les parents ne donnent qu’un avis (et non pas un consentement) mais que celui-ci revêt une importance particulière au regard de l’âge du mineur. Cette affaire est à mettre en parallèle avec l’affaire Lambert et l’affaire Marwa dans la mesure où le laps de temps écoulé entre l’accident et la décision d’arrêt des traitements était relativement court dans cette affaire alors que dans les deux autres il a été rappelé la nécessité d’une période suffisamment longue pour prendre une telle décision. On peut s’interroger sur la notion « d’état irréversible ». Le conseil d’état l’entend-t-il comme un retour à la normale ou s’agit-il d’une simple amélioration de l’état du patient ? En matière de soins aux mineurs, le principe général prévoit que la décision revient aux titulaires de l’autorité parentale. Or, une disposition réglementaire vient déroger à cette règle en disposant que les parents ne donnent qu’un avis en matière d’arrêt des traitements. Cette affaire reprend le principe énoncé dans l’affaire Lambert selon lequel la décision d’arrêt des traitements doit être prise à compter d’une « période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état (…) » Elle peut également être mise en parallèle avec l’ordonnance rendue le 9 novembre 2016 par le TA de Lyon . CNEH – JURISANTE – Avril 2017