Le Pic épeiche - Fondation Hainard

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Le Pic épeiche
Pic épeiche à son tambour
Le Pic épeiche
Dendrocopos major (L.)
Synonymes : Grand Epeiche, Grand Pic bigarré ; Dryobates major (L.) Dendrocopus major (L.)
Allemand : Grosser Buntspecht, Rotspecht Italien : rosso maggiore Anglais : Great Spotted Woodpecker
Mâle adulte : dessous blanc, plus ou moins teinté de brunâtre, puis rouge vif au ventre et aux sous-caudales.
Bec gris noir ; pattes gris verdâtre ; iris rouge ou brun.
Femelle adulte : comme le mâle, sans tache rouge à la nuque. Mue complète d'août à octobre.
Jeunes : comme les adultes, mais dessus de la tête rouge, jusqu'à la nuque ; bande noire sous les joues plus
étroite et mêlée de blanc ; le rouge du ventre plus terne et jaunâtre ; flancs et scapulaires avec quelques raies
noires. Iris brun. Mue comme les adultes.
Dimensions :
a) D.m. pinetorum : aile pliée 131-139 mm (moyenne 135) ; bec 27-31 mm.,
b) D.m. major : aile pliée 135-148 mm (moyenne 142) ; bec 28-33 mm.
Pour les deux : queue 86-95 mm ; tarse 22-26 mm.
Longueur totale : env. 20-22 cm. Envergure : env. 42-43 cm. Poids 70-92 gr.
Le Pic épeiche au vol
Un matin d'avant-printemps, quand le Pinson commence à chanter et que les
Mésanges rythment assidûment leur refrain métallique, un bruit étrange retentit dans les
hautes ramures dénudées des grands arbres. Si le promeneur, intrigué par cette vibration
sonore, lève la tête, il apercevra peut-être tout là-haut, contre une branche sèche, un
oiseau noir et blanc, au bas-ventre rouge vif : le Pic épeiche.
De tous les Pics, c'est sans doute le plus répandu et le plus commun. Son plumage
bigarré de trois couleurs bien contrastées, sa taille, à peu près celle d'un Merle, le
rapprochent du Pic mar. Mais celui-ci, entre autres caractères, a toujours la calotte
crânienne d'un beau rouge, alors que l'Epeiche mâle n'a qu'un petit carré de cette teinte
à la nuque, et que la femelle a une calotte entièrement noire. La confusion est donc
exclue, du moins en hiver et au printemps ; elle est facile par contre avec les jeunes, ceux
de l'Epeiche possédant aussi une calotte rouge jusqu'à l'automne. Les cris seront
précieux pour une oreille exercée.
J'ai déjà parlé plus haut du tambourinage des Pics. L'Epeiche est particulièrement prodigue de cette manifestation instrumentale. En janvier déjà, plus
ou moins tard selon le temps, il
commence à s'y livrer, de la grisaille de
l'aube au crépuscule du soir.
En mai et juin, avec les nichées,
l'activité se ralentit, puis devient très
sporadique en été, quand elle ne s'arrête
pas complètement. Il m'a été donné de
l'entendre plusieurs fois en automne,
jusqu'en décembre, tant des mâles que
des femelles. Quel que soit le point
choisi pour la percussion, et malgré les
variations de sonorité qui en découlent,
on arrive à reconnaître la plupart du
temps le tambourinage de l'espèce. Il
dure un peu moins d'une seconde, pour
6 à 10 coups, avec une accélération très
nette de l'amplitude. En dehors de la
saison principale, qui va de février à mai,
on perçoit aussi des versions raccourcies
et moins typiques.
Le Pic épeiche tambourine
Ce Pic signale souvent sa présence par un kik...gik ou ptik! aigu, vigoureux, détaché ; il
peut être répété assez rapidement en certaines occasions, mais atteint rarement l'effet
« lié » de la série du Pic mar ; en ce cas, le picpic-picpic… ou kikikikiki… de l'Epeiche est
d'une plus haute tonalité, et doit être provoqué par une excitation particulière. Quant au
trille grègrègrè… ou djer-djerdjer… enroué, souvent descendant, il a probablement la
signification d'un chant1.
1
Ou de défense territoriale, car il est aussi audible en automne et en hiver. Parmi les autres cris moins fréquents,
citons des kjèk kjèk… métalliques, des ouait ouait… graves et doux à l'accouplement. PYNNÖNEN signale encore un son vocal
rappelant le tambourinage, mais plus faible.
L'ingéniosité et le sens pratique de cet oiseau se manifestent surtout quand il
recherche sa nourriture. D'une part, fidèle à la tradition de famille, il explore les troncs et
les branches, martèle les écorces et s'empare ainsi de nombreuses larves de coléoptères
et de lépidoptères. Il faut y ajouter les autres insectes qu'il peut capturer, notamment les
fourmis, les guêpes, les libellules, les sauterelles, etc. ; il ouvre les galles pour en extraire
la larve, et ne dédaigne pas les araignées. Selon de nombreux témoignages, les nids des
Mésanges, des Sittelles, des Hirondelles, etc. tentent fort certains spécialistes du pillage,
qui enlèvent aussi bien les œufs que les jeunes oiseaux, après effraction.
Très éclectique, l'Epeiche n'en reste pas au
règne animal, surtout à la mauvaise saison. C'est
un grand amateur de graines de conifères. J'ai
bien des fois découvert son atelier, sa « forge »,
en remarquant au pied d'un arbre un amas de
cônes déchiquetés ; plus haut, dans les sillons de
l'écorce, d'autres sont fichés ou coincés. Pendant
une grande partie de l'année, de fin juin au début
d'avril, le Pic vient y travailler. D'un sapin ou d'un
pin du voisinage, il détache un cône, et le
transporte au bec -parfois dans les pattesjusqu'à son établi. Là, après avoir jeté l'ancien
hors de son étau, il fixe son butin dans la
crevasse et se met à ouvrir méthodiquement les
écailles pour avaler les graines. En cinq minutes il
a terminé et repart chercher un nouveau cône. Il
en use de même avec les galles de chêne, les
noyaux de fruits les plus divers, et même les
bourgeons.
Pic épeiche mâle montant en portant une pive
Certains individus adorent la sève douce ou la résine liquide, et percent au printemps des
séries assez régulières de trous dans l'écorce des conifères, des tilleuls, des hêtres, etc.,
puis lèchent les gouttes qui s'écoulent. Le régime de l'espèce est donc en partie
végétarien2. N'oublions pas qu'en hiver, il se hasarde jusque sur les fenêtres pour y
goûter aux aliments exposés à l'intention des Mésanges. Le Pic épeiche sait utiliser les
meilleures occasions ; cependant on le voit peu à terre, car ce n'est pas un grand amateur
de fourmis.
Ses facultés d'adaptation se révèlent aussi dans le choix de son habitat. On peut le
rencontrer partout où il y a des arbres : dans les bois et forêts de tout genre, et en
montagne jusqu'à la limite des massifs arborescents. Sa densité est cependant beaucoup
plus faible dans les peuplements purs de conifères et en altitude ; en plaine, il préfère les
arbres élevés aux haies et aux vergers qu'affectionne le Pic vert ; les parcs lui conviennent
à merveille, même au milieu des villes.
2
Nombreuses variations régionales. En Finlande, l'Epeiche vit même exclusivement des graines d'épicéa et de pin, de
novembre à mars (PYNNÖNEN 1943).
Le Pic épeiche parcourt son territoire en solitaire pendant une grande partie de
l'année, y affirmant sa présence par ses cris et ses tambourinages. S'il se laisse parfois
entraîner dans l'orbite d'une ronde de Mésanges, il retourne bientôt à ses explorations
personnelles, et, le soir, gagne son gîte nocturne : une des cavités qu'il connaît, et qu'il a
peut-être forée lui-même à cet effet. Il y dort en position verticale, accroché à la paroi ;
c'est une habitude commune à tous les Pics, qui passent rarement la nuit en plein air.
Pic épeiche et mésanges
Aux tout premiers beaux jours de fin d'hiver, les signaux de reconnaissance se
multiplient entre le mâle et la femelle, qui vivent encore à l'écart l'un de l'autre, quoique
probablement dans le même rayon. En mars, les rencontres, les poursuites bruyantes
commencent dans le bois. Ils se chassent, passant d'un tronc à l'autre en planant, les ailes
étendues et vibrantes ; puis l'accouplement a lieu sur une branche, tandis que les ailes
ouvertes déploient leur splendeur blanche et noire.
Pie épeiche au vol
A la même époque, le site du nid est choisi et l'excavation d'une niche est entreprise, à
moins qu'une ancienne ne soit utilisée 1, même d'une autre espèce ; la hauteur varie de 4
à 10 m. le plus souvent, mais j'en ai vu au-dessous de 2 m.
1
En ce cas le besoin de creuser se manifeste quand même par toutes sortes d'essais ; l'Epeiche utilise parfois des
nichoirs artificiels, et creuse des loges en toute saison pour y dormir. Durée de construction d'un nid : 8 à 25 jours ; le mâle
travaille beaucoup plus que la femelle, faisant alterner les séances de taille (12 à 20 min.) avec l'enlèvement des copeaux,
qui sont jetés en bas. Dimensions : diamètre de l'orifice 40-50 mm., de la chambre 150 mm. ; profondeur 220-310 mm.
Essences : les plus diverses, surtout les bois tendres ou en train de dépérir.
En mai, parfois à fin avril, la femelle pond ses 4 à 6 œufs blancs et luisants, comme
tous ceux des Pics2. Plus tard, elle ne vient couver que par intervalles, durant la journée,
et laisse au mâle la majeure part de l'incubation , qui dure 10 à 12-13 jours. Dès la
naissance des petits, l'activité nourricière commence ; les Pics bigarrés apportant
toujours une petite portions au bec, cela les oblige à des allées et venues incessantes,
dans un rayon d'environ 200 m. autour du nid. Bientôt les jeunes apparaissent à tour de
rôle à l'entrée et produisent un fort bourdonnement ksskssksskss… ou tzitzitzi… Dès le
douzième jour, le mâle ne vient plus les couvrir la nuit ; ils restent au nid jusqu'à l'âge de
22 jours en moyenne (17 à 25). La cavité de nichée est tenue très propre par l'Epeiche.
Pic épeiche et petit
2
On trouve aussi 3 et 7 œufs, rarement 8 ; 5 le plus souvent. Dimensions moyennes : 26 x 19 mm. (extrêmes : 20-29 x
17,2-21,9 mm). Poids frais : 5,5 gr. (4,4 à 6,4 gr.). Des copeaux sont encore enlevés pendant l'incubation et peuvent enfouir
en partie les œufs.
Après l'envol, la famille s'éloigne et reste cohérente une ou deux semaines encore.
Mais les Pics ne sont pas sociables, même pendant la nidification ; les adultes, reprenant
leurs habitudes solitaires, ne tolèrent plus la présence des jeunes, et ceux-ci s'égaillent en
quête d'un territoire libre. Leur erratisme se remarque un peu partout en juillet.
Pie épeiche se posant
Certaines années, les jeunes Pics épeiches du nord de l'Europe (forme type major)
émigrent en masse vers le sud-ouest, souvent en compagnie de Beccroisés et de
Mésanges noires. Ces « invasions » probablement provoquées par une pénurie de
nourriture (cônes) peuvent atteindre vers l'ouest l'Angleterre, la Belgique et les confins
de la France, la Bavière et peut-être la Suisse ; l'Italie et la Hongrie au sud. Elles ont été
signalées en septembre-octobre, par exemple en 1929 et 1935. De tels exodes ne
paraissent pas frapper les oiseaux d'Europe occidentale, qui sont estimés sédentaires.
L'espèce est généralement répandue et commune en France, Suisse et Belgique. D'après les dernières recherches
systématiques (Voous L. 1947) on distingue les sous-espèces suivantes dans nos régions. La forme type D. m. major (L.)
habite la Scandinavie, la Finlande, les Pays baltes, la Russie du nord et la Sibérie ; apparaît irrégulièrement plus au sud. Les
Epeiches des montagnes des Préalpes et Alpes suisses et autrichiennes se rapprochent fortement des oiseaux du nord, et
seraient alors à considérer comme population relique D. m. Alpestris (Reichenbach) ? En Europe moyenne (Allemagne,
Suisse) vit D. m. pinetorum (Brehm), tandis que le nom D. m. arduennus (Kleinschmidt) est appliqué aux populations de
France, Belgique et Pays-Bas, moins bien caractérisées. Enfin citons D. m italiae (Stres.) en Italie, D. m parroti (Hart.) en
Corse, D.m. anglicus (Hart.) en Angleterre et en Ecosse ; d'autres sous-espèces sont décrites de la péninsule Ibérique, de
Sardaigne, d'Afrique du Nord-ouest, des îles Canaries, de Pologne, de Roumanie, de Russie, etc. ; les transitions et le
caractère plus ou moins subtil des différences géographiques compliquent d'ailleurs la question. En Asie, l'espèce s'étend
jusqu'au Japon et au Kamtchatka.
Pic épeiche se posant
Le Pic épeiche, Les Passereaux, 1 : du coucou aux corvidés, PAUL GÉROUDET,
EDITIONS DELACHAUX ET NIESTLÉ 1951, pp 84-89. (Tous les pics, pp 67-104, ndlr)
Gravures, encre et croquis : ROBERT HAINARD
©Marie Madeleine Defago Paroz, Fondation Hainard ‖ 160124
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