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Revue de presse grand public
● M. Escoute*
“Mieux que n’importe quel médecin au monde, la nature
sait ce qui nous convient, elle seule nous donne les conseils
qu’il faut suivre, consistant notamment à préférer le plaisir
à la peine, l’amusant à l’ennuyeux, la bonne chère au jeûne,
le bon vin à l’eau claire et la beauté à la laideur. Le malheur
est que, nous en trouvant bien, nous ne tardons pas à abuser, et qu’alors le profit devient perte.”
G. Courteline
S’il est bien un domaine où les idées reçues foisonnent, c’est
celui de l’alimentation. Mais bien plus que des vérités inébranlables, ce qui dérange, c’est surtout l’érection en dogme indéfectible d’un thème tout en nuance et subtilité et surtout la simplification souvent manichéenne du message médiatique, car
aucun mode alimentaire ne peut se targuer de prévaloir sur un
autre. Et si l’on regarde les résultats d’une enquête parue dans
La Croix de la Haute-Marne et Le Bien Public, il y est rapporté qu’au moins un médecin sur deux pense que le beurre est
plus gras et calorique que la margarine (faux, mais vrai
aussi !), qu’il y a des huiles plus légères que d’autres (faux,
mais vrai aussi !), qu’un régime limité en aliments riches en
cholestérol est souhaitable (faux ! 70 % du cholestérol est
fabriqué par le foie – ah bon ? – et 30 % apporté par l’alimentation, mais vrai aussi s’il y a une hypercholestérolémie !). En
fait, la réponse à toutes ces questions n’est pas “oui” ou “non”
mais “plus ou moins”.
Toutefois, il est difficile de ne pas céder à la tentation de nous
remettre à balbutier cette ronde enfantine impérissable qu’est
“Savez-vous planter les choux…” en ouvrant La Voix du Nord,
où l’on peut lire : “Mange tes brocolis, t’auras pas le cancer”,
louant les vertus des crucifères, à consommer sans modération
ainsi que l’ail, l’oignon, les poireaux et le thé (pour tenter de
digérer ?). Ou bien de lire dans Elle : “Soignez-vous branché !” où l’on découvre les vertus anxiolytiques du kawa en
chewing-gum (à ne pas confondre avec le “caoua” aux effets
diamétralement opposés) et du tofu, très branché à Paris, mais
introuvable dans Le Petit Larousse, contenant le mot magique
SOJA, bien connu des rebelles à tout crin du traitement hormonal substitutif. Car plus aucun magazine n’échappe à ce razde-marée, ou plutôt “tsunami”, depuis que l’on sait que les
Japonaises développent moins de cancers du sein et moins de
symptômes ménopausiques (18 % contre 80 % en Europe,
mais il est peut-être futé de savoir qu’au pays du Soleil levant,
la ménopause est traitée culturellement comme une ride de
plus). Ainsi, dans Madame Figaro, on disserte sur les isoflavones de soja et les végétaux “hormon like” tels le houblon, la
prêle, la luzerne, le thé vert et le trèfle… Et si le bonheur était
dans le pré ?
* Clinique Sainte-Catherine, Avignon.
La Lettre du Sénologue - n° 4 - avril 1999
Dans Marie Claire, Top Santé, Le Figaro Magazine et L’Évènement, on donne même des menus “anticancer” : oui aux
pommes, poires, carottes, tomates ou navets (mais se méfier
des pesticides !) et non aux graisses animales (surtout les
viandes grillées contenant des amines hétérocycliques carcinogènes, donc halte aux barbecues !) ; mais d’accord pour les
graisses oméga 3 (thon, saumon, sardines) et non aux oméga 6,
qui favoriseraient les tumeurs (acide linoléique du lait par
exemple, controversé, bien sûr, par la Revue laitière française,
le classant dans les anticancéreux, et par Médecine douce !).
“Mets de l’huile, petit homme, dans la vie, faut que ça glisse”
fredonne le groupe Réglyss (qui n’avait certainement pas lu le
JNCI), mais pas n’importe laquelle : de Vendée Matin à
L’Éclaireur du Mâtinais, de Esprit et Vie à l’Aisne Nouvelle,
en passant par Presse Océan, tous les quotidiens vantent les
vertus de l’huile d’olive (acides gras mono-insaturés), pouvant
réduire les risques de cancer du sein de 45 % avec une cuillère
à soupe par jour, mais pas les huiles de soja, maïs ou tournesol
(acides polyinsaturés) avec des risques de cancer de l’ordre de
69 % ! Mais contre-ordre dans La Nouvelle République des
Pyrénées, qui rapporte les résultats d’une étude financée par la
Communauté européenne et… l’armée des États-Unis, analysant directement le tissu adipeux des volontaires : pas de rapport entre la consommation d’huile d’olive et la fréquence des
cancers du sein. Exit le régime crétois ?
Dans Cuisine et Santé, c’est la lutéine anticancéreuse qui a la
primeur : caroténoïde du choux, des brocolis, des épinards, des
myrtilles et… des pétales d’œillet d’Inde (si vous en avez une
recette, faites passer au journal qui transmettra, ça nous passionnera. Merci).
Depuis tout petit, on sait que “le sucre, c’est mauvais pour les
dents”, mais lisez Science et Avenir et vous regarderez un
Paris-Brest ou un Saint-Honoré avec l’échine dressée ! Sans
vous parler de la baguette croustillante du matin : de la préhistoire ! Ne chuchotez pas “pâtes à la carbonara” : assassinat !
En effet, le Pr Willett (École de santé publique d’Harvard)
publiera bientôt les résultats d’une étude chez 40 000 hommes
et 88 0000 femmes sur les facteurs nutritionnels susceptibles
de faire reculer l’épidémie de maladies chroniques, dont le
cancer. C’est le nutritionniste Rudolf Kass, à Lyon, qui évoque
les méfaits d’une insulinémie élevée associée à un taux augmenté d’insulin growth factor 1, accroissant le taux d’estrogènes libres mis en cause dans les cancers du sein. Le Dr Ludwig (Harvard) préconise donc un retour à une nutrition “paléolithique” composée de baies, de fruits et de légumes pour rester en bonne santé ! Peut-être aurait-il dû faire son étude à
l’époque des cavernes… avec éventuellement un petit biais
d’évolutivité en raison de l’espérance de vie avoisinant les
25 ans, due à l’absence de fuel et aux ursidés itinérants !
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Sans omettre bien sûr, pour accompagner toutes ces apothéoses
gustatives (et parce que le mot France est inclus dedans), le VIN,
nectar de la treille. Alors là, ce sont Les Nouvelles de Falaise et
Condé et Les Nouvelles d’Elbœuf qui résument doctement la querelle ancestrale, avec la formule : “Alcool : Dr Jekyll et
Mr Hyde”. Car on retrouve les fervents défenseurs dans Libération Champagne, Le Progrès, La Provence, L’Est Éclair, qui,
suivant le degré d’influence de Bacchus, vont de : “Certains
polyphénols du vin seraient efficaces contre le cancer” à “Et si le
vin tuait le cancer”, et les détracteurs (de l’AAR : anciens alcooliques repentis) dans Le Courrier de l’Ouest, Le Pays de
Franche-Comté, Vie et Santé, allant de : “Cancer du sein :
l’alcool en cause” à “Cancer du sein : non à l’alcool, oui aux épinards et aux carottes !” (Bourvil n’en parlait-il pas déjà ?). En
effet, le gros problème, comme le souligne Ciné-Télé Revue,
c’est qu’un verre de vin par jour suffit à augmenter de 30 % le
risque de cancer du sein… mais réduit de 30 % les risques cardiovasculaires ! Mastectomie ou Alzheimer ?
Enfin, faites attention, si vous écrivez votre livre de recettes, à
ne pas l’intituler The Breast Cancer Prevention Diet, le Dr
Bob Arnot l’a tenté aux États-Unis et a provoqué une émeute
journalistique et médiatique de la part du corps scientifique, y
compris l’American Cancer Society, l’accusant d’escroquerie
dans un rapport. Réponse (obscure) de l’intéressé : “Ce rapport
est un vaudou consumériste” (rapporté dans Présent).
Puisque nous sommes dans l’alimentation, on ne peut pas ne
pas évoquer le nom du grand gourou des hormones
“naturelles” : le Dr Lee, référence incontournable des thérapeutiques “new age”, prêchant, dans un désert pavé de billets verts,
le retour aux sources cosmogoniques sur fond de mélopée tantrique. En effet, dans Énergie Santé, on vous apprend que l’on
peut prévenir et traiter les cancers du sein par la progestérone
(!)… en vous donnant, à la fin (pour des explications plus précises ?), l’adresse pour vous abonner à La Lettre du Dr Lee ! Il
ne s’agit pas des progestérones synthétiques mais de Yam
(non, non, pas celui qui se joue aux dés), extrait de l’igname
sauvage du Mexique aux vertus progestéroniques stupéfiantes
mais, paraît-il, totalement immonde à avaler (dixit Médecine
Douce). Quant aux phyto-estrogènes, véritable Canada Dry du
traitement substitutif, à défaut d’une étude valable réalisée sur
leurs effets réels, comme il est souligné dans Bioénergie, ils
permettent au moins aux industriels parapharmaceutiques de
surfer sur les vagues de la Bourse.
Vu dans L’Alsace, Le Midi libre, Paris-Mantes-Poissy :
“Risque au sein”, où il est rapporté qu’une équipe de Boston a
identifié la cicatrice radiaire comme facteur de doublement du
risque de cancer du sein.
Dans Le Télégramme de Morlaix et L’Est Éclair, on apprend
qu’il existe “Un nouveau test de dépistage”. Des chercheurs de
Pittsburgh auraient noté que les femmes ayant des taux élevés de
testostérone et d’estradiol sanguins avaient trois fois plus de
risque de développer un cancer du sein. Ces résultats permettraient, selon le Dr Cauley, “d’orienter les femmes à risques vers
des traitements préventifs (?) à base de chimiothérapie (?)”.
Les quelque 300 millions de femmes qui ont pris la pilule dans
le monde peuvent se rassurer ; dans La Croix, Le Figaro, La
Presse de la Manche, L’Yonne républicaine, les gros titres
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sont : “Les risques minimes de la pilule”, “Pilules : plus de
risque après 10 ans”. Il y est précisé qu’une étude anglaise a
démontré que le risque de cancer du sein et de maladies cardiovasculaires sous pilule disparaît après un arrêt de 10 ans.
Étude financée par le Vatican ?
Retenez bien ce sigle, retrouvé dans Biofutur : STK15. Non, ce
n’est pas le dernier coupé Mercedes, mais une nouvelle protéine à ranger dans les facteurs de dégénérescence cancéreuse
par fissuration irrégulière du centrosome, en cas de surexpression, soit séparation inégale du matériel chromosomique avec
tous les dégâts cellulaires qui peuvent s’ensuivre.
Dans Le Populaire du Centre et Le Courrier Picard, on note :
“Un chromosome contre le cancer”, où il est expliqué, fort
clairement, que les cellules tumorales peuvent se reproduire à
l’infini grâce à la télomérase (enzyme qu’elles sécrètent) mais
que si l’on introduit dans ces cellules le chromosome 3, 8, 12
ou 20, la sécrétion de télomérase est réduite de plus de 98 %,
d’où mort cellulaire (étude réalisée par le Pr Cuthbert,
d’Uxbridge en Grande-Bretagne).
Vu dans L’Evènement et La Marseillaise : après p53, Myc,
Erb-b2, Erb-b1, PDGF, EGF, STK15, nous sommes heureux
de vous annoncer l’arrivée d’un nouveau gène : Bcl 10 dans
l’équipe du Dr Dyer (Londres). Mis en cause, jusqu’à présent,
dans les lymphomes, il est en fait présent dans certains autres
cancers, dont le sein. À ce rythme-là, le compte rendu anatomopathologique d’un TONOMO ne va pas tarder à ressembler
à l’Encyclopediae Britannica, avec un budget équivalent à
celui de la NASA !
Petites nouvelles pour clore :
Dans Médecines Nouvelles et La Vie Naturelle, c’est le Dr
Lévy qui préconise, pour les petites tumeurs du sein, une association de “squalène, vitamine C, AEP calcique, orotate de
magnésium, sélénium, bêta-carotènes, etc.” et, “si nécessaire”,
chimio- et/ou radiothérapie à doses modérées, avec tamoxifène
(si, si !) mais “seulement pour quelques mois à un an pour éviter les risques de tumeur génitale” ! S’il s’agit d’une grosse
tumeur avec CA 15-3 élevé, à peu près la même chose, à
laquelle se rajoute du cartilage de requin, 1 g/kg/j en 3 prises,
20 mn avant les repas, et, surtout, “user de la mammographie
avec modération”… Mais le joyau de cet article est cette
conclusion confondante de vérité et de bonne foi : “Tributaires
des industries pharmaceutiques et des fabricants d’appareils
sophistiqués tournés vers une stratégie anticancéreuse somptuaire, trop de médecins se sont fait pendant des décennies les
apôtres d’une politique médicale inepte et criminelle, politique
dans laquelle les affaires du sang contaminé et des fortunes
détournées de l’ARC ne sont que les petites parties émergées de
l’iceberg de la désinformation médicale.” No comment…
Alors, les cancérologues… Heureux ?
Dernier scoop (JT de 20 h, TF1, le 4/3/99) : attention, ne laissez pas traîner vos cheveux et vos poils pubiens n’importe où,
ils n’intéressent pas que les capilliculteurs ou la Crime, mais
aussi les chercheurs australiens, qui pourront prédire votre avenir cancéreux mammaire ! Et si, au pays des kangourous, les
vieilles boules de cristal s’étaient transformées en difracteurs
de rayons X ?
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La Lettre du Sénologue - n° 4 - avril 1999
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