Image Médecine et Santé Tropicales 2015 ; 25 : 131-132 Droit dans les yeux ! Straight in the eyes Diop E.1, Beylot V.2, Berta C.3, Dugardin C.4, Aigle L.1 1 Médecin militaire, Service de santé des armées, CMA CALVI, camp Raffalli, 20260 Calvi, France 2 Médecin militaire, Cognac, France 3 Médecin militaire, Chaumont, France 4 Médecin militaire, Strasbourg, France Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Article accepté le 20/11/2014 Résumé. Au travers d’un cas clinique de projection oculaire de venin par un naja cracheur survenue en République Centrafricaine chez un jeune militaire français, nous revenons sur la toxicité potentielle des atteintes oculaires de ce type de venin et sur la prise en charge. La phase initiale, simple à mettre en œuvre, reste souvent mal réalisée voir méconnue. Elle conditionne pourtant une récupération optimale de la cornée. Constantes Initialement, aucune atteinte générale n’est observée. Prise en charge Mots clés : Naja cracheur, ulcère cornéen, lavage oculaire, collyre anesthésiant. Correspondance : Aigle L <[email protected]> Abstract This case report about a young French soldier hit in the eye by a spitting cobra in the Central African Republic prompts us to review the potential toxicity of this venom to the eyes and the management of this injury. The initial phase is simple to implement, but is often performed badly or not at all because unknown. It is a condition, however, for optimal recovery of the cornea. Key words: spitting cobra, corneal lesion, ocular irrigation, anesthetic eye drops. Cas clinique doi: 10.1684/mst.2015.0453 Figure 1. Certains serpents cobra peuvent projeter leur venin dans les yeux de leur cible. # T. Rafi. Figure 1. Some cobras can project their venom into the eyes of their target. # T. Rafi. Lors d’une opération de manutention de matériels, un militaire français de 24 ans en opération en République centrafricaine dans la petite bourgade de Bossembele est victime d’une attaque de cobra cracheur, alors que celui-ci est caché derrière une caisse en bois. Cette attaque se caractérise par la projection de venin dans les yeux (figure 1). Le patient est immédiatement amené par ses camarades au poste médical qui est situé à quelques mètres de là. À son arrivée, celui-ci présente de violentes douleurs oculaires à type de brûlure (échelle visuelle analogique [EVA] cotée à 9/10), associées à un blépharospasme, un larmoiement et un état d’agitation important rendant impossible toute évaluation de l’acuité visuelle ni de l’état de la cornée. Après un abondant lavage oculaire bilatéral pendant plus de 20 mn (1,5 L de sérum physiologique), l’inspection visuelle retrouve une hyperhémie conjonctivale bilatérale et la conservation de l’oculomotricité intrinsèque et extrinsèque. Après amendement des douleurs, obtenu seulement après dix gouttes de collyre à la tétracaı̈ne 1 % dans chaque œil, l’instillation de fluorescéine montre des lésions cornéennes à type d’ulcérations (quatre pour l’œil droit et deux pour l’œil gauche, figures 2, 3). L’examen neurologique, cardio-circulatoire et respiratoire reste sans particularité. En raison de l’éloignement de la capitale et du risque potentiel d’aggravation neurologique, ce patient est perfusé (Contramal1/Perfalgan1) et évacué par hélicoptère médicalisé sur une structure médicale à Bangui. À son arrivée, les constantes sont toujours bonnes, les yeux sont protégés par deux pansements occlusifs et l’EVA s’est stabilisée (2/10) avec le collyre à la tétracaı̈ne. Un nouvel examen des yeux ne montre pas de nouvelles lésions et aucune atteinte neurologique n’est décelée. L’évolution sera rapidement favorable, avec une cicatrisation des lésions ophtalmologiques obtenue en trois jours grâce à un traitement associant un collyre antibiotique (rifampicine) et une pommade à la vitamine A. À J10, le patient ne présente plus ni gêne ni baisse de l’acuité visuelle, il peut reprendre son poste sur le terrain. Discussion Les cobras sont des élapidés très présents en Afrique et en Asie. Le venin neurotoxique des élapidés est responsable de syndrome cobraı̈que en cas de morsure, pouvant occasionner dans les formes les plus graves une paralysie diaphragmatique fatale pouvant survenir en quelques heures [1, 2]. Certains cobras appartenant aux genres Naja et Hemachatus sont capables de projeter leur venin avec une grande précision Pour citer cet article : Diop E, Beylot V, Berta C, Dugardin C, Aigle L. Droit dans les yeux !. Med Sante Trop 2015 ; 25 : 131-132. doi : 10.1684/mst.2015.0453 131 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. E. DIOP, ET AL. Figure 2. Ulcérations cornéennes de l’œil droit, rendu visible par la fluorescéine # D. Elie. Figure 2. Ulcerations of the right cornea, made visible by fluorescein. # D. Elie. Figure 3. Ulcérations cornéennes de l’œil gauche, rendu visible par la fluorescéine # D. Elie. Figure 3. Ulcerations of the left cornea, made visible by fluorescein. # D. Elie. jusqu’à 3 m dans les yeux de leur victime (expulsion du venin par un orifice haut situé sur le crochet) [3, 4]. Dans le présent cas de projection oculaire, le venin entraı̂ne essentiellement des kératoconjonctivites. Celles-ci peuvent évoluer vers la cécité en absence de prise en charge adaptée mais aussi lors de l’utilisation inappropriée de traitements traditionnels comme le jus de citron, des piments, des plantes locales voire même le graphite des piles salines [5, 6]. Le risque de passage systémique via la muqueuse palpébrale reste tout à fait exceptionnel. Une paralysie pupillaire en mydriase est possible. De même, une atteinte cutanée périoculaire à type d’érythème, voire de fines ulcérations, est possible. La prise en charge repose sur la précocité et l’abondance du lavage oculaire. Cette mesure simple doit être enseignée dans tous les centres de santé en Afrique et à toutes les équipes médicales susceptibles de se rendre dans les zones d’endémie du naja cracheur, car facile à mettre en œuvre et diminuant de manière importante les risques de séquelles oculaires définitives. Elle est complétée par l’emploi de différents collyres : anesthésique, cicatrisant et antibiotique à large spectre. Il est à noter qu’il ne doit pas être fait usage d’antivenin, que ce soit par voie locale ou intraveineuse, en cas de projection oculaire de venin [7, 8]. De même, l’utilisation de collyres corticoı̈des doit être proscrite. Une consultation en ophtalmologie est recommandée afin de prendre en charge d’éventuelles lésions séquellaires. 132 Conflits d’intérêt : aucun. Références 1. Mion G, Larréché S, Goyffon M. Aspects cliniques et thérapeutiques des envenimations graves. Ganges: Urgence pratique publications, 2010: 90-101. 2. Yaya G, Danaı̈ A. Prise en charge des lésions oculaires dues au crachat de venin d’Elapidae en République centrafricaine : aspects épidémiologiques et cliniques. Bull Soc Path Exot 2007 ; 100 : 111-4. 3. Chu ER, Weinstein SA, White J, Warrell DA. Venom ophthalmia caused by venoms of spitting elapid and other snakes: Report of ten cases with review of epidemiology, clinical features, pathophysiology and management. Toxicon 2010 ; 56 : 259-72. 4. Warrell DA, Ormerod LD. Snake venom ophthalmia and blindness caused by the spit - ting cobra (Naja nigricollis) in Nigeria. Am J Trop Med Hyg 1976 ; 25 : 525-9. 5. Chippaux JP. Envenimations et empoisonnements par les animaux venimeux ou vénéneux III. Envenimation par élapidés. Med Trop 2007 ; 67 : 9-12. 6. Traore A. Aspects épidémiologiques et incidence des morsures de serpents dans la région de Sikasso au mali. Thèse 2007. Faculté de médecine de Bamako: 45-6. 7. note n˚511196/DEF/DCSSA/PC/ERS/EPID du 27 mai 2014. Actualisation des modalités de prescription et de délivrance du FAV-Afrique1 pour les forces opérations en Afrique. 8. RCP-FAV-Afrique1 août 1999. Pasteur Mérieux. F/176/4793/IB1/08.99/01.0. Médecine et Santé Tropicales, Vol. 25, N8 2 - avril-mai-juin 2015