revue Virologie 2010, 14 (2) : 141-50 Formation et évolution des rétrovirus endogènes 1,2 David Ribet 1,2 Thierry Heidmann 1 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Institut Gustave-Roussy, CNRS UMR 8122, Unité des rétrovirus endogènes et éléments rétroïdes des eucaryotes supérieurs, F-94805 Villejuif, France 2 Université Paris-Sud, F-91405 Orsay, France <[email protected]> Résumé. Les rétrovirus endogènes (ERV) sont des parasites génétiques des génomes des vertébrés. Ils sont les « traces » d’infections ancestrales par des rétrovirus ayant intégré leur génome dans la lignée germinale d’un hôte et s’étant ensuite transmis de façon verticale de génération en génération. À la suite de la colonisation de la lignée germinale, ces éléments peuvent évoluer de différentes façons. Certains ERV peuvent proliférer dans l’ADN de leur hôte, aboutissant à la formation de familles multicopies et à l’envahissement du génome de populations entières. D’autres éléments peuvent progressivement dégénérer et perdre leur capacité de multiplication et ne subsister qu’à l’état de séquences fossiles dans le génome hôte. Enfin, certains ERV peuvent être conservés, entièrement ou partiellement, par une pression de sélection positive s’ils apportent un bénéfice à leur hôte en termes de succès évolutif. Cette diversité d’évolution a permis de façonner, chez les différentes espèces de vertébrés, des répertoires très variés d’ERV. Mots clés : rétrovirus endogène, lignée germinale, rétrotransposition, intracellularisation, placenta Abstract. Endogenous retroviruses (ERV) are genetic parasites found in the genome of vertebrates. They are « remnants » of ancient infections by retroviruses that have integrated a copy of their genome in the germline of their host and have then been transmitted vertically to the progeny. A germline-integrated retrovirus can have multiple fates. Some elements can amplify in the host DNA, leading to the formation of multicopy families and the genomic invasion of entire populations. Some elements can gradually degenerate and remain only as fossil records in the host genome. Finally, some ERV can be conserved, either completely or partially, due to positive selection if their presence is beneficial for the fitness of their host. These different evolutions have led to the generation of diversified patterns of ERV in the different species of vertebrates. Key words: endogenous retrovirus, germline, retrotransposition, intracellularization, placenta doi: 10.1684/vir.2010.0294 Introduction Les génomes eucaryotes sont envahis par un nombre très important de « parasites génétiques » ayant la capacité de se déplacer et de se multiplier au sein de l’ADN qui les héberge. Ces éléments se regroupent en plusieurs classes, en fonction de leur origine évolutive et de leur mode de colonisation du génome de l’hôte. Les quatre classes principales retrouvées chez les eucaryotes sont les transposons à ADN, les rétrotransposons sans LTR (long terminal repeat), les rétrotransposons à LTR et les rétrovirus Tirés à part : D. Ribet Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 endogènes (ou ERV pour endogenous retroviruses). La capacité de multiplication et de colonisation du génome hôte par ces différents éléments est très variable suivant les espèces. Chez les mammifères, les seuls éléments mobiles actuellement caractérisés appartiennent aux classes des ERV et des rétrotransposons sans LTR (les éléments LINE et SINE). La plupart des autres séquences identifiées correspondent à des traces fossiles d’anciens éléments ayant perdu leur capacité de se multiplier. Les ERV possèdent une structure très proche des rétrovirus dits « classiques » (comme les virus MMTV (mouse mammary tumor virus), ALV (avian leukosis virus) ou MPMV (Mason-Pfizer monkey virus). Ils possèdent 141 revue PBS Ψ LTR Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. U3 R U5 PPT INFECTION RÉTROVIRALE LTR gag pro pol env U3 R U5 AAAAA ARNm gag-pro-pol AAAAA ARNm env Figure 1. Organisation génomique d’un rétrovirus endogène (ERV). L’organisation génomique d’un ERV est identique à celle d’un rétrovirus « classique » intégré dans l’ADN de son hôte. Les ERV sont bordés par deux LTR (long terminal repeat), chacun composé de domaines U3, R et U5, impliqués, entre autres, dans le contrôle de la transcription des gènes du rétrovirus. Les ERV possèdent en général quatre gènes homologues aux gènes gag, pro, pol et env de rétrovirus, ainsi que des séquences régulatrices rétrovirales comme un PBS (primer binding site), une séquence d’encapsidation (Ψ) ou un PPT (polypurine tract). L’insertion d’un ERV est caractérisée par une courte duplication d’une séquence du génome hôte se retrouvant de part et d’autre du provirus intégré (triangles noirs). généralement quatre gènes homologues aux gènes gag, pro, pol et env de rétrovirus, bordés par deux LTR (figure 1). Les ERV font partie intégrante du génome de leur hôte et peuvent représenter une proportion importante de celui-ci (8 à 10 % de la longueur totale du génome chez l’homme et la souris [1, 2]). Ces éléments sont les « traces » d’infections ancestrales par des rétrovirus ayant atteint la lignée germinale de leur hôte. TRANSMISSION HORIZONTALE virus infectieux INFECTION LIGNÉE GERMINALE TRANSMISSION VERTICALE génome viral ENDOGÉNISATION Mécanisme d’endogénisation d’un rétrovirus Les rétrovirus sont des virus enveloppés à ARN ayant la capacité, au cours de leur cycle d’infection, d’intégrer une copie de leur génome dans l’ADN de la cellule infectée. Cette propriété remarquable permet une association permanente entre le parasite et son hôte. L’expression des gènes viraux intégrés dans l’ADN de la cellule infectée permet la production de nouveaux virions. Ces virions participent à la propagation de l’infection par une transmission dite « horizontale ». Chaque rétrovirus possède un tropisme donné et infecte un nombre limité de cellules chez un individu. La plupart du temps, les cellules infectées sont des cellules somatiques. Dans certains cas, cependant, un rétrovirus peut infecter une cellule appartenant à la lignée germinale d’un individu, c’est-à-dire intervenant dans la formation des gamètes. Le génome viral intégré sera alors retrouvé dans le génome des gamètes et potentiellement dans une cellule œuf, si ces gamètes participent à un événement de fécondation. À partir de ce moment, toutes les cellules de l’organisme en devenir, dérivant de la cellule œuf initiale, posséderont une copie du génome viral dans leur ADN. Le provirus intégré fait alors partie intégrante du génome de l’organisme : il est devenu « endogène » (figure 2). 142 Figure 2. Mécanisme d’« endogénisation » d’un rétrovirus. L’infection d’un individu par un rétrovirus aboutit à l’intégration du génome viral dans un nombre limité de cellules de l’organisme (points rouges). La production de nouveaux virions infectieux permet une transmission horizontale de l’infection, d’un individu à un autre. Dans le cas particulier où un rétrovirus infecte des cellules de la lignée germinale d’un individu, le génome viral est transmis à la descendance, indépendamment de sa capacité à produire des virions infectieux. Le rétrovirus devient endogène et est présent dans l’ensemble des cellules des descendants. Il continuera d’être transmis verticalement, à la descendance de l’hôte, indépendamment de sa capacité à produire des virions fonctionnels. L’analyse phylogénétique des différents ERV actuellement identifiés montre qu’ils dérivent de différentes classes de rétrovirus. Il existe ainsi de très nombreux exemples Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue d’ERV dérivant d’alpha-, de bêta- ou de gammarétrovirus. Il existe également quelques exemples d’ERV présentant des similarités de séquences avec des spumavirus [3-5] ou des lentivirus [6, 7]. Par ailleurs, même si la plupart des ERV identifiés ont une organisation dite « simple » et ne possèdent que les gènes gag, pro, pol et env, il existe quelques ERV avec une organisation dite « complexe », codant pour des protéines accessoires [8]. Il est très probable que la diversité des ERV soit aussi riche que celle des rétrovirus « classiques ». En effet, à partir du moment où un rétrovirus, quel qu’il soit, est capable de s’intégrer dans la lignée germinale d’un hôte, il est potentiellement capable de générer une famille d’ERV. La recherche d’ERV dans le génome de nouvelles espèces viendra probablement enrichir et compléter la diversité des ERV déjà recensés. La plupart du temps, le rétrovirus ancestral ayant donné naissance à une famille d’ERV a disparu, et seules les formes endogénisées subsistent. Il est donc difficile de caractériser les éventuelles modifications du virus initial associées à son endogénisation. Il existe cependant un exemple de rétrovirus actuellement en cours d’endogénisation chez un mammifère : le virus KoRV (pour koala retrovirus) [9]. Ce virus possède un statut intermédiaire entre rétrovirus exogène et ERV. D’une part, le virus KoRV possède les caractéristiques d’un rétrovirus « classique » puisqu’il est capable de produire des particules virales infectieuses se transmettant horizontalement. D’autre part, il existe des copies endogénisées de KoRV, intégrées dans la lignée germinale de koalas et se transmettant de façon mendélienne à la descendance de l’hôte. De façon remarquable, ces copies KoRV endogénisées ne sont pas présentes chez tous les koalas : leur nombre et leur nature varient de façon importante suivant les individus. Il a donc été proposé que ce virus ne soit entré que très récemment dans la lignée germinale des koalas, il y a seulement 200 ans [9]. Le virus KoRV constitue un outil très intéressant pour étudier les modifications associées à l’endogénisation d’un rétrovirus. La comparaison des génomes de KoRV et d’un virus phylogénétiquement très proche, le virus GALV (gibbon-ape leukaemia virus), a permis d’identifier des mutations dans les gènes gag et env de KoRV associées à la faible infectiosité de ce virus [10]. Le gène gag de KoRV présente, en particulier, des mutations dans un domaine important pour le bourgeonnement des particules virales, appelé domaine L (pour « late domain »). Ces mutations entraîneraient une diminution de l’efficacité de bourgeonnement des particules virales KoRV. Les mutations identifiées dans le gène env de KoRV sont associées, elles, à une diminution des effets cytopathiques de cette glycoprotéine d’enveloppe par rapport à celle de GALV. Il a été proposé que ces différentes mutations correspondent à des changements adaptatifs du Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 virus KoRV, ayant permis de réduire sa pathogénicité et ayant facilité son entrée et sa persistance dans la lignée germinale du koala [10]. Devenir d’un ERV après endogénisation Comme illustré avec l’exemple du virus KoRV, un rétrovirus récemment endogénisé peut, au moins pendant un certain temps, continuer à produire des particules virales infectieuses et être transmis horizontalement en plus d’être transmis verticalement. Ce cas est également retrouvé chez la souris où certains rétrovirus MLV et MMTV endogènes sont capables de se propager horizontalement par infection [17]. La production de particules virales infectieuses réinfectant épisodiquement la lignée germinale de l’hôte permet d’augmenter le nombre de copies d’ERV transmises à la descendance. Certains ERV peuvent également s’amplifier dans la lignée germinale en adoptant un mode de multiplication strictement intracellulaire. La présence d’un ERV se multipliant activement peut avoir des conséquences néfastes pour l’organisme hôte. En effet, l’insertion de séquences d’origine rétrovirale dans un génome peut induire de nombreuses perturbations comme l’interruption de phases ouvertes de lecture, la perturbation de la transcription ou de l’épissage de gènes environnants ou l’induction de recombinaisons non homologues. Il a d’ailleurs été montré que les ERV étaient retrouvés plus fréquemment dans les régions intergéniques que dans les unités de transcription. Dans le cas d’intégrations dans des introns, les ERV sont majoritairement retrouvés en orientation antisens par rapport au sens de transcription du gène ciblé (limitant ainsi les perturbations dues aux sites d’épissage ou de polyadénylation présents dans le génome des ERV [11]). Ce biais n’étant pas retrouvé pour les intégrations de novo de rétrovirus « classiques », il reflète les pressions de sélection exercées au cours de l’évolution en faveur des insertions d’ERV limitant la perturbation de l’expression des gènes de l’hôte [11, 12]. L’expression des protéines d’un ERV peut également avoir des effets néfastes sur la biologie de l’hôte (l’existence d’un lien entre ERV et pathologie chez l’homme restant un sujet encore largement débattu [13]). En conséquence, un ERV dont la présence est trop « délétère » pour son hôte ne sera jamais présent avec une fréquence élevée dans la population. Il est ainsi probable que, dans un grand nombre de cas, une inactivation partielle ou complète de l’ERV ait accompagné sa fixation chez son hôte. Cette inactivation peut se faire soit par accumulation de mutations au cours des générations, induisant une dégradation progressive des gènes et des séquences régulatrices de l’ERV, soit par accumulation de délétions 143 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue ou de recombinaisons, entraînant l’élimination ou le remplacement de séquences internes l’ERV. Le cas le plus drastique correspond à une recombinaison homologue entre les deux LTR d’un même ERV éliminant l’ensemble des séquences internes et ne laissant subsister qu’un unique LTR dans le génome hôte. Ces LTR uniques, nommés « LTR solo », peuvent être 10 à 100 fois plus fréquents que les ERV complets [14]. Ces différentes altérations des ERV au cours de l’évolution aboutissent à l’inhibition de la capacité de prolifération de ces éléments. Le génome hôte devient alors un « cimetière » de provirus intégrés non fonctionnels, continuant de dégénérer au cours du temps, jusqu’à devenir difficilement identifiable pour les éléments les plus anciens. Dans certains cas cependant, la présence d’un ERV peut être « bénéfique » pour l’hôte, par exemple en jouant un rôle dans certaines fonctions biologiques essentielles. Dans ce cas, il existe une pression de sélection sur cet ERV favorisant sa conservation en totalité ou en partie et augmentant sa fréquence dans la population. L’histoire évolutive de l’hôte peut également influer sur la fréquence des ERV présents dans une population. Une diminution importante de la population hôte peut entraîner, de façon aléatoire, une surreprésentation de certaines copies ERV en sélectionnant un sous-groupe d’individus possédant des ERV différents du reste de la population. De façon similaire, une augmentation de la population à partir d’un nombre limité d’individus, dits « fondateurs », va influer sur la fréquence des ERV retrouvés dans la population finale. Ces événements de variation de la taille des populations sont fréquents au cours de l’évolution des espèces et jouent un rôle important dans les variations de fréquence alléliques des gènes en général. Après l’intégration dans la lignée germinale d’un élément fondateur, la balance entre l’amplification du nombre de copies de l’ERVet l’accumulation de mutations ou de recombinaisons dans certaines copies intégrées au cours du temps aboutit à la formation d’une famille dite « multicopies » d’éléments apparentés. Chacune de ces familles correspond à un événement indépendant de colonisation de la lignée germinale. Chez l’homme, par exemple, il existe environ 30 000 ERV, dispersés dans l’ensemble du génome, regroupés en une cinquantaine de familles monophylétiques contenant chacune entre 1 et 1 000 éléments [15]. Le contenu en ERV de chaque espèce est très variable puisqu’il dépend des épisodes infectieux de ces espèces par différents rétrovirus mais également de l’histoire évolutive de ces ERV après leur endogénisation. L’homme et la souris, par exemple, pour lesquels le contenu en ERV du génome a été particulièrement bien détaillé, correspondent à deux cas différents. Chez l’homme, la quasi-totalité des ERV identifiés sont non fontionnels [14] alors que chez la souris, plusieurs éléments sont capables de s’amplifier dans 144 le génome. En particulier, près de 10 % des mutations spontanées observées chez les souris de laboratoire ont été associées à l’insertion d’une nouvelle copie d’un ERV dans le génome murin [16]. Amplification des ERV par réinfection Les ERV peuvent s’amplifier dans le génome hôte par un mécanisme de réinfection de la lignée germinale. L’expression des gènes d’un ERV peut, en effet, aboutir à la production de virions infectieux pouvant infecter différentes cellules de l’hôte, notamment les cellules de la lignée germinale (figure 3). Cela aboutit à une augmentation du nombre de copies du génome rétroviral intégré dans cette lignée, et donc transmis à la descendance. Cette infection peut se faire à partir de virions produits par la lignée germinale elle-même ou par des cellules somatiques environnantes. Cette amplification ne nécessite pas obligatoirement le passage du virus entre différents individus. Dans ce type de cycle de multiplication, impliquant une phase extracellulaire, RÉ-INFECTION MULTIPLICATION INTRACELLULAIRE cellule somatique cellule de la lignée germinale + COMPLÉMENTATION EN « TRANS » Figure 3. Diversité des modes d’amplification des rétrovirus endogènes (ERV). L’amplification par réinfection de la lignée germinale est possible grâce à la production par un ERV (en vert) de particules infectieuses. Les virions produits peuvent alors réinfecter les cellules de la lignée germinale et insérer une nouvelle copie de l’ERV dans le génome de l’hôte. Des cellules somatiques infectées peuvent éventuellement être impliquées dans ce processus d’amplification. L’amplification par multiplication intracellulaire (ou rétrotransposition) ne fait pas intervenir de phases extracellulaires. Il n’y a en particulier pas de pression de sélection sur le gène env dans ce cas. Les nouvelles copies du génome de l’ERV sont intégrées directement dans le génome de la cellule productrice. L’amplification par complémentation en « trans » d’un élément non autonome (en rouge) requiert l’utilisation de la machinerie protéique d’autres éléments mobiles du génome (en vert). Tout comme pour les éléments autonomes, cette amplification peut se faire soit par réinfection, soit par rétrotransposition. Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue il existe une forte pression de sélection sur l’ensemble des gènes de l’ERV. En effet, l’accumulation de mutations délétères, en particulier dans le gène env, empêche la prolifération par réinfection de ces éléments. Il existe plusieurs cas décrits d’ERV capables de s’amplifier par infection. Chez la souris, notamment, plusieurs éléments fonctionnels ont été isolés et caractérisés, appartenant aux familles MLV et MMTV endogènes [17], IAPE [18] et GLN [19]. En règle générale, parmi l’ensemble des copies d’une famille d’ERV, seules quelques copies ont la capacité de s’amplifier par infection, les autres ayant été inactivées au cours des générations. Par exemple, pour chacune des familles IAPE et GLN de souris, seule une copie fonctionnelle a été identifiée (sur les 250 copies IAPE et les 80 copies GLN respectivement présentes dans le génome de la souris). Ces deux familles correspondent probablement à des familles d’ERV en voie d’extinction. Chez l’homme, aucun HERV (human endogenous retrovirus) n’a pour l’instant été identifié comme étant capable de produire des particules virales infectieuses. La famille ayant montré des traces d’activité la plus récente est la famille HERV-K(HML-2). En effet, même si cette famille a colonisé le génome des primates il y a plus de 30 millions d’années, certaines copies HERV-K(HML-2) ne sont retrouvées que dans une fraction de la population humaine, indiquant qu’il existait des copies HERV-K(HML-2) fonctionnelles après la spéciation de l’homme [20, 21]. L’analyse du rapport entre mutations non synonymes et synonymes (dN/dS) des copies HERV-K(HML-2) du génome humain a de plus permis de préciser le mode d’amplification de cette famille d’éléments [22]. Si ces éléments se sont amplifiés de façon intracellulaire, le rapport dN/dS du gène env serait approximativement de 1, car il n’y aurait pas eu de pression de sélection sur ce gène non essentiel dans ce type de cycle de multiplication [22]. De façon similaire, une amplification de ces éléments par complémentation en trans, en utilisant la machinerie protéique d’une autre famille d’éléments mobiles, n’aurait pas entraîné de pression de sélection sur les gènes gag ou pol. Le rapport dN/dS des gènes de différentes copies HERV-K(HML-2) s’est avéré être nettement inférieur à 1 et, dans certains cas, proche du rapport dN/dS obtenu pour des rétrovirus « classiques », révélant ainsi une pression de sélection dite « purifiante » sur l’ensemble des gènes, y compris le gène env [22]. Ces données sont en faveur d’une prolifération de ces éléments par réinfection de la lignée germinale. Ce type de résultats a été retrouvé pour huit autres familles d’ERV chez l’homme. « Intracellularisation » des ERV Parallèlement à ce mode d’amplification par réinfection, les ERV peuvent s’amplifier dans le génome de l’hôte en Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 réalisant un cycle strictement intracellulaire aussi appelé rétrotransposition (figure 3). Contrairement à l’amplification par réinfection, la rétrotransposition ne nécessite pas la présence d’un gène env fonctionnel. Ce mécanisme d’amplification a été détecté à faible fréquence pour des éléments MLV également capables de se propager par infection [23]. L’étude du rapport dN/dS des gènes de différents HERV a permis d’identifier que certains éléments, appartenant à la famille HERV-K(HML-3), ont utilisé ce mode d’amplification pour coloniser le génome humain [24]. Chez la souris, deux familles d’ERV se sont efficacement amplifiées par rétrotransposition [25, 26]. Ces éléments, les IAP (pour intracisternal A-type particles) et les MusD (pour Mus musculus type D ERV), sont responsables de la plupart des cas de mutations spontanées associées à des ERV identifiés chez la souris [16]. L’expression des éléments IAP et MusD est associée à la production de particules virales restant strictement intracellulaires, induisant l’intégration de nouveaux provirus dans le noyau de la cellule productrice. Si cette cellule appartient à la lignée germinale, ce processus permet de coloniser efficacement le génome de l’hôte en favorisant la transmission à la descendance des nouveaux provirus intégrés. Les éléments IAP et MusD ont la particularité de ne pas posséder de gène env. Des analyses phylogénétiques basées sur le gène pol de ces éléments ont cependant permis de confirmer leur origine rétrovirale [27, 28]. Ils sont en particulier bien distincts des rétrotransposons à LTR comme les éléments copia, Ty1 ou Ty3, des éléments également intracellulaires, dépourvus de gène env, mais ayant une origine évolutive distincte. Ces éléments MusD et IAP dérivent de rétrovirus ancestraux ayant subi des modifications au cours de l’évolution aboutissant à leur transformation en éléments strictement intracellulaires. Les étapes clés de ces modifications ont été récemment identifiées. Les éléments MusD sont capables de produire des particules virales s’assemblant dans le cytoplasme mais qui, contrairement aux particules rétrovirales classiques, ne sont pas adressées à la membrane plasmique et ne bourgeonnent pas à l’extérieur des cellules. Ces éléments, en effet, ne possèdent pas de signal d’adressage à la membrane plasmique au début de la protéine Gag. Ce signal, retrouvé classiquement chez les rétrovirus, consiste en un site d’ancrage d’un acide myristique suivi par un ensemble de résidus basiques. L’acide myristique est une longue chaîne carbonée conférant un pôle hydrophobe à la protéine Gag et permettant son interaction avec la membrane plasmique. Les résidus basiques, chargés positivement, interagissent avec les phospholipides de la membrane plasmique chargés négativement et stabilisent l’association de Gag avec la membrane. Il est important de noter que les rétrovirus de la famille des spumavirus ne possèdent pas de signaux de myristylation au niveau de leurs protéines Gag. 145 Les mécanismes de bourgeonnement des particules virales produites par ces éléments sont différents de ceux des autres rétrovirus [29]. L’analyse phylogénétique des éléments MusD montre qu’ils n’appartiennent pas à la classe des spumavirus. L’absence du signal de myristylation chez ces éléments résulterait donc plutôt d’une perte subséquente à leur endogénisation. En effet, un remplacement du début du gène gag de MusD par le début d’un gène gag rétroviral possédant un signal d’adressage membranaire (celui du virus MPMV, un rétrovirus « classique » proche de MusD) permet de restaurer un adressage des particules virales de MusD à la membrane plasmique [28]. La perte de ce signal d’adressage membranaire, qui, à première vue, apparaît comme délétère pour l’infectivité du rétrovirus, a été corrélée à une augmentation de sa capacité à se multiplier de façon intracellulaire par rétrotransposition. Il a été proposé que les éléments MusD dérivent d’un rétrovirus ancestral qui se serait intégré dans la lignée germinale des rongeurs il y a plus de 4 millions d’années, et qui aurait perdu son signal d’adressage membranaire. L’élément résultant aurait alors efficacement colonisé le génome de la souris par rétrotranspositon. Le gène env de cet élément aurait progressivement dégénéré du fait de l’absence de pression de sélection sur ce gène dans le cadre d’un cycle de multiplication strictement intracellulaire. Seule la forme « intracellularisée » de cet ERV est aujourd’hui identifiable dans le génome de la souris, le progéniteur rétroviral ayant disparu. A B IAPE Pm La famille IAP constitue un autre exemple d’ERV « intracellularisé » pour lequel il existe des traces du progéniteur rétroviral ancestral. En effet, le génome de la souris contient des éléments apparentés aux IAP, possédant un gène env et nommés IAPE (IAP-related envelope containing element [30]). Une analyse exhaustive de cette famille a permis l’identification d’un élément IAPE fonctionnel, capable de produire des virions infectieux [18]. Les éléments IAP dériveraient de ces éléments IAPE par une modification du domaine 5’ du gène gag [18]. Dans ce cas particulier, les IAP ont gagné un signal d’adressage au réticulum endoplasmique, séquestrant les particules virales produites par ces éléments à l’intérieur de ce compartiment intracellulaire. Cet adressage intracytoplasmique a de nouveau été associé à une augmentation de la capacité de rétrotransposition de ces éléments (figure 4), [18]. Il existe enfin une autre famille d’ERV de souris, les MuERV-L, ayant efficacement colonisé le génome murin [31]. La plupart de ces éléments possèdent des gènes gag, pro et pol intacts, mais sont dépourvus de gène env. Leur expression, observée dans les premiers stades du développement embryonnaire, est associée à la production de particules virales, initialement nommées particules « epsilon », également séquestrées au niveau du réticulum endoplasmique [5]. Il est probable que les MuERV-L constituent un autre exemple d’ERV « intracellularisé ». Ces différents exemples indépendants d’éléments « intracellularisés » ont permis l’élaboration d’un modèle IAPE mutant Pm ERm ERm 200 nm Nu 200 nm Nu C amplification intracellulaire (= fréquence de rétrotransposition x10-6) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue 165 ± 63 200 150 100 50 < 0,5 0 IAPE IAPE mutant Figure 4. « Intracellularisation » d’un rétrovirus endogène (ERV). La modification de certains ERV produisant des particules infectieuses bourgeonnant à la membrane plasmique peut aboutir à la génération d’éléments produisant des particules séquestrées à l’intérieur des cellules, non infectieuses, mais capables de s’amplifier efficacement de façon intracellulaire. A) Observation en microscopie électronique de particules produites par un élément IAPE, un ERV murin, s’assemblant et bourgeonnant à la membrane plasmique. B) Particules produites par un élément IAPE muté pour lequel le début du gène gag a été remplacé par celui d’un élément IAP, un ERV intracellulaire très actif naturellement présent dans le génome de souris. Les particules produites par cet élément IAPE muté restent séquestrées dans le réticulum endoplasmique. (Nu : noyau, Pm : membrane plasmique, ERm : membrane du réticulum endoplasmique). C) Capacité d’amplification intracellulaire des éléments IAPE sauvages ou mutés. L’élément IAPE muté s’amplifie intracellulairement et se comporte de façon similaire aux IAP (adapté de [18]). 146 Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 décrivant les mécanismes d’apparition de ces éléments s’amplifiant par rétrotransposition et ayant efficacement colonisé le génome de leurs hôtes (figure 5). Les ERV ainsi « intracellularisés » ont un mode d’amplification proche des rétrotransposons à LTR, bien que ces éléments aient des origines évolutives différentes [32]. De façon tout à fait intéressante, il a été montré que certains rétrotransposons à LTR pouvaient, à l’inverse, « capturer » un gène env et acquérir un cycle de multiplication de type rétroviral, comportant une phase extracellulaire (figure 5), [33, 34]. Ces événements de capture seraient apparus plusieurs fois indépendamment au cours de l’évolution et auraient facilité la transmission horizontale de ces éléments, contribuant ainsi à leur large distribution au sein du monde vivant. Mobilisation en « trans » d’ERV non autonomes L’accumulation de mutations, de délétions ou de recombinaisons au cours de l’évolution a fait perdre à de nombreux ERV leur capacité de s’amplifier de façon autonome. Cependant, certains de ces ERV non autonomes ont gardé la capacité de se multiplier en utilisant la machinerie soit d’autres ERV, soit d’autres éléments mobiles comme les LINE. Tout comme pour les éléments autonomes, cette amplification en « trans » peut se faire soit par réinfection, soit par multiplication intracellulaire (figure 3). Les éléments VL30, par exemple, constituent une famille d’éléments de souris ne possédant aucune séquence codante interne et sont donc non autonomes [35]. PHASES INTRA ET EXTRA-CELLULAIRES ENDOGÉNISATION Infection de la lignée germinale AMPLIFICATION Rétrovirus Rétrovirus endogène Réinfection de la lignée germinale GLN, IAPE, HERV-K INTRACELLULARISATION Séquestration intracellulaire PHASE UNIQUEMENT INTRA-CELLULAIRE Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue Acquisition d'un gène env rétention dans le cytoplasme adressage au réticulum MUTATIONS RECOMBINAISON * Dégénerescence du gène env * Rétrovirus endogène intracellularisé Rétrotransposon à LTR Ty3, copia IAP, MusD, ERV-L AMPLIFICATION Rétrotransposition intracellulaire Elément mobile non autonome ETn AMPLIFICATION Rétrotransposition intracellulaire MUTATIONS RECOMBINAISON Figure 5. Modèle d’évolution des rétrovirus endogènes (ERV). L’infection de la lignée germinale par un rétrovirus aboutit à son endogénisation et à la transmission du génome viral à la descendance de l’organisme infecté. Au cours de l’évolution, cet élément peut subir des modifications dans le gène gag (*) aboutissant à une séquestration des particules virales produites soit par incapacité des particules à être adressées à la membrane plasmique, soit par leur adressage à un compartiment intracellulaire. Ces modifications aboutissent à la génération d’un élément « intracellularisé » se multipliant par rétrotransposition. L’absence de pression de sélection sur le gène env dans ce type de cycle intracellulaire aboutit à la dégénérescence progressive de ce gène (Δ). Ces éléments peuvent par la suite subir des mutations ou des recombinaisons éliminant les séquences codantes internes, les rendant non autonomes. Ces ERV peuvent cependant continuer à s’amplifier par complémentation en « trans » grâce à l’utilisation de la machinerie protéique d’éléments autonomes. D’autres événements de mutations ou de recombinaison avec des ERV ou des rétrovirus exogènes peuvent aboutir à la génération de nouveaux rétrovirus infectieux. Les ERV « intracellularisés » ont un cycle de multiplication analogue aux rétrotransposons à LTR, même si leurs origines évolutives diffèrent. De façon remarquable, certains rétrotransposons à LTR intracellulaires peuvent, au cours de l’évolution, capturer un gène env et acquérir un cycle de multiplication de type « infectieux », comprenant une phase extracellulaire. La structure de chaque élément est représentée avec les différents gènes gag (en vert), pol (en orange) et env (en rouge), ainsi que le type de particules intervenant dans le cycle (soit enveloppées et extracellulaires, soit non enveloppés et strictement intracellulaires). Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 147 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue Cependant, les ARN de VL30 possèdent des signaux d’encapsidation reconnus par les protéines du virus MLV. Ces ARN peuvent donc être embarqués dans les virions de MLV et être ainsi transmis horizontalement [36]. Ce mécanisme d’amplification a permis l’intégration de plusieurs centaines de copies de VL30 dans le génome de la souris [37]. La famille ETn (pour early transposon) est également constituée d’éléments non codants, ne pouvant se multiplier seuls et ayant pourtant efficacement colonisé le génome de la souris [38]. La mobilité de ces éléments, exprimés majoritairement au cours du développement embryonnaire [39], est responsable de plusieurs exemples de mutations spontanées chez cet animal [40]. Ces éléments possèdent quelques portions de séquences homologues aux éléments MusD [41]. Il a été montré que les ETn étaient capables de détourner la machinerie d’amplification des éléments MusD pour assurer leur propre multiplication [26]. Cette mobilisation en « trans » par les protéines de MusD est possible grâce aux similarités de séquence que les éléments ETn partagent avec les éléments MusD, notamment au niveau des LTR (permettant une coexpression de ces deux types d’éléments dans les mêmes types cellulaires) et du signal d’encapsidation présumé [41]. Il a été proposé que les éléments ETn résultent de la recombinaison d’un élément MusD avec une séquence d’origine inconnue, aboutissant à la formation d’une nouvelle famille d’éléments non autonomes s’étant efficacement multipliés dans le génome murin en « parasitant » la machinerie de MusD (figure 5), [41]. Il a récemment été montré que la cellule hôte exerçait une inhibition de la transcription plus forte sur les éléments MusD que sur les éléments ETn. Il a été proposé qu’une expression accrue des éléments non autonomes par rapport à leurs progéniteurs pourrait expliquer en partie l’importance de leur succès dans la colonisation du génome [42]. L’analyse des ERV du génome humain a également permis de montrer que certaines familles s’étaient amplifiées en détournant la machinerie d’autres types de parasites génétiques. C’est le cas notamment de la famille HERV-W pour laquelle plus de 60 % des copies se sont amplifiées grâce à la machinerie de mobilisation des LINE, des rétrotransposons sans LTR très actifs du génome humain, impliqués dans la formation des pseudogènes [24, 43, 44]. Conservation d’ERV ayant un rôle dans la physiologie de leur hôte La persistance d’ERV dans le génome de l’hôte est le résultat d’un équilibre subtil se mettant en place au cours de l’évolution. Alors que la majorité des ERV sont inactivés par l’accumulation de mutations, de délétions ou de 148 recombinaisons, certains ERV conservent des phases ouvertes de lecture intactes pendant plusieurs millions d’années après leur intégration dans le génome hôte. Cette conservation de certaines séquences d’ERV suggère qu’elles possèdent un rôle important dans la biologie de leur hôte, entraînant une pression de sélection positive pour les maintenir intactes au cours de l’évolution. Ces séquences dérivées d’ERV peuvent tout d’abord jouer un rôle de restriction à l’infection par des rétrovirus « classiques ». Chez la souris, il existe ainsi deux facteurs de restriction, nommés Fv-1 et Fv-4. Le gène Fv-1 dérive d’un gène gag rétroviral ayant des homologies de séquence avec les éléments MuERV-L [31, 45]. Son expression permet de bloquer l’infection par des virus MLV à un stade précoce de l’infection [46]. Le gène Fv-4 dérive, lui, d’un gène env rétroviral. Son expression permet de bloquer le récepteur des virus MLV écotropes à l’intérieur des cellules, diminuant ainsi la susceptibilité des cellules à l’infection par ces virus [47]. De même, il existe chez le mouton des ERV dérivant du virus JSRV (jaagsiekte sheep retrovirus), nommés enJSRV, restreignant l’infection par des virus JSRV exogènes soit précocement en diminuant l’accessibilité du récepteur reconnu par JSRV, soit plus tardivement en bloquant la formation de nouvelles particules infectieuses JSRV [48]. Un autre exemple particulièrement frappant est le rôle joué par certains ERV dans la placentation des mammifères. Chez le mouton, il a été montré que certains enJSRV jouaient un rôle critique dans la formation du placenta [48]. Chez l’homme, il a également été mis en évidence que certaines glycoprotéines d’enveloppes codées par des HERV pouvaient jouer un rôle dans la placentation. La glycoprotéine d’enveloppe produite par un rétrovirus se retrouve normalement, au cours du cycle viral, embarquée à la surface des particules rétrovirales. Au moment de l’infection de la cellule cible, elle induit la fusion entre la membrane du virus et la membrane plasmique de la cellule grâce à son interaction avec un récepteur cellulaire. Certaines glycoprotéines d’enveloppe d’ERV ont conservé cette activité fusogène. Ces protéines permettent alors la fusion entre la membrane plasmique de la cellule dans laquelle elles sont exprimées et la membrane plasmique d’une cellule voisine possédant le récepteur adéquat. Ces fusions intercellulaires aboutissent à la formation de syncytia. Chez l’homme, il existe deux glycoprotéines d’enveloppe très conservées possédant cette activité (nommées syncytines 1 et 2), appartenant à des éléments des familles HERV-W et HERV-FRD s’étant intégrées dans le génome des primates il y a, respectivement, 25 et 40 millions d’années. La conservation de ces gènes chez l’ensemble des primates supérieurs et leurs très faibles polymorphismes dans l’espèce humaine suggèrent qu’ils jouent un rôle important dans la physiologie de leur hôte. Il a été proposé que les Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. revue syncytines 1 et 2 humaines, très fortement exprimées au niveau du placenta, participent à la formation du syncytiotrophoblaste, une couche de cellules fusionnées les unes avec les autres, assurant les échanges entre la mère et le fœtus [49-51]. De façon remarquable, d’autres protéines de type syncytine, non orthologues aux syncytines humaines, ont été également identifiées chez la souris et le lapin, illustrant plusieurs événements indépendants de « capture » de gène d’origine rétrovirale au cours de l’évolution [52, 53]. Chez la souris, ces protéines (nommées syncytines A et B) sont exprimées au niveau de l’interface maternofœtale et sont capables d’induire la formation de syncytia in vitro [52]. L’analyse de souris mutantes délétées pour le gène de la syncytine A [54] a permis de mettre en évidence le rôle fondamental de cette protéine au cours de la placentation : l’absence de syncytine A entraîne un défaut de fusion des cellules formant normalement le syncytiotrophoblaste, aboutissant à une perturbation importante de la structure de l’interface maternofœtale et la mort des embryons in utero. L’ensemble de ces données suggère un rôle central de ces gènes « capturés » dans l’acquisition de nouvelles fonctions pour l’hôte mammifère au cours de l’évolution. Enfin, ces glycoprotéines d’enveloppe, en parallèle de leur activité fusogène, pourraient également participer à la tolérance immunologique de la mère vis-à-vis du fœtus. En effet, il a été montré que certaines de ces protéines possédaient une activité immunosuppressive, comme observé pour des glycoprotéines d’enveloppe de rétrovirus « classiques » [55, 56]. Conclusion La capacité des rétrovirus d’intégrer une copie de leur génome dans l’ADN de leur hôte est une caractéristique fondamentale de ces parasites leur ayant permis, épisodiquement, d’être transmis de génération en génération et d’envahir le génome de populations entières. La balance entre l’amplification de ces éléments au sein du génome, leur élimination ou leur conservation par le jeu des forces de sélection, a permis de façonner au cours de l’évolution des répertoires très variés de ces séquences en fonction des différentes espèces hôtes. Alors que certaines familles d’ERV ne subsistent plus qu’à l’état de fossiles, d’autres présentent des éléments encore fonctionnels, constituant des mutagènes endogènes puissants. L’existence de séquences rétrovirales partielles ou complètes dans les génomes hôtes pose la question, encore non résolue, du rôle potentiel de ces éléments dans le développement de certaines pathologies. À l’opposé, l’identification du rôle de certains ERV dans la placentation illustre le rôle fondamental de ces éléments dans la biologie de leur hôte et rend définitivement caduque l’expression « ADN poubelle » autrefois utilisée pour caractériser ces séquences si particulières. Virologie, Vol. 14, no 2, mars-avril 2010 Références 1. Lander ES, Linton LM, Birren B, et al. Initial sequencing and analysis of the human genome. Nature 2001 ; 409 : 860-921. 2. Waterston RH, Lindblad-Toh K, Birney E, et al. Initial sequencing and comparative analysis of the mouse genome. Nature 2002 ; 420 : 520-62. 3. Cordonnier A, Casella JF, Heidmann T. Isolation of novel human endogenous retrovirus-like elements with foamy virus-related pol sequence. J Virol 1995 ; 69 : 5890-7. 4. Katzourakis A, Gifford RJ, Tristem M, Gilbert MT, Pybus OG. Macroevolution of complex retroviruses. Science 2009 ; 325 : 1512. 5. Ribet D, Louvet-Vallee S, Harper F, et al. 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