Le nez

publicité
Robert Bellefeuille et Isabelle Cauchy
Le Nez
Extrait de la publication
THÉÂTRE
Extrait de la publication
LE NEZ
Extrait de la publication
DU MÊME AUTEUR
ROBERT BELLEFEUILLE
avec Louis-Dominique Lavigne, Mentire, théâtre, Sudbury,
Éditions Prise de parole, 2000.
La machine à beauté, d’après un roman de Raymond Plante,
théâtre, Sudbury, Éditions Prise de parole, 1995.
avec le Théâtre de la Vieille 17, Les murs de nos villages, création
collective, Sudbury, Éditions Prise de parole, 1993.
avec Jean Marc Dalpé et Robert Marinier, Les Rogers, théâtre,
Sudbury, Éditions Prise de parole, 1985.
ISABELLE CAUCHY
traduction de Comment Petit George Radbourn a sauvé le baseball,
de David Shannon, album pour enfants, Montréal, Éditions
Les 400 coups, 2001.
Barbe-bleue, pièce pour enfants, Montréal, Dramaturges éditeurs,
1998.
Robert Bellefeuille et Isabelle Cauchy
LE NEZ
ADAPTÉ DE LA NOUVELLE DU MÊME NOM DE NICOLAS GOGOL
Théâtre
Bibliothèque canadienne-française
Éditions Prise de parole
Sudbury 2007
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Bellefeuille, Robert, 1957
Le nez / Robert Bellefeuille et Isabelle Cauchy; préface de
Françoise Lepage. — 2e éd.
(Bibliothèque canadienne-française)
Pièce de théâtre.
Publ. à l’origine: 1992.
Pour les jeunes.
ISBN-13: 978-2-89423-192-0
I. Cauchy, Isabelle, 1956- II. Titre. III. Collection.
PPS8553.E4577N49 2006
jC842’.54
C2006-904605-0
En distribution au Québec: Diffusion Prologue • 1650, boul. Lionel-Bertrand •
Boisbriand (QC) J7H 1N7 • 450-434-0306
Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de pa­role
appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture
Prise
deparole françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture
contem­poraine.
La Bibliothèque canadienne-française est une collection dont l’objectif est de rendre
disponibles des œuvres importantes de la littérature canadienne-française à un coût
modique.
La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts
du Canada, le Patrimoine canadien (Programme d’appui aux langues officielles et
Pro­gramme d’aide au développement de l’industrie de l’édition) et la Ville du Grand
Sudbury de leur appui financier.
Œuvre en couverture et conception de la page de couverture: Olivier Lasser
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
Imprimé au Canada.
Copyright © Ottawa 2007
Éditions Prise de parole
C.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2
http://pdp.recf.ca
ISBN 978-2-89423-192-0
ISBN 978-2-89423-350-4 (Numérique)
Extrait de la publication
PRÉFACE
Texte original, inventif, toujours à la frontière entre l’humour
et la causticité d’un regard auquel rien n’échappe, texte funambule qui, sous son apparente absurdité, brosse, sans complaisance, le portrait d’une société sclérosée, fortement hiérarchisée
et intolérante face aux marginalités, tel est Le nez de Gogol.
Son auteur, Nicolas Vassilievitch Gogol, est né en
Ukraine le 20 mars 1809. Lorsqu’il publie Le nez, en octobre
1836, dans Le Contemporain, journal de Saint-Pétersbourg
dirigé par le grand poète russe Alexandre Pouchkine (17991837), il est déjà l’auteur connu et apprécié des Soirées du hameau,
recueil de nouvelles inspirées du folklore ukrainien. Outre
Le nez, d’autres nouvelles, Le portrait, La perspective Nevski,
Le journal d’un fou et Le manteau, publiées séparément dans les
années 1830, seront regroupées en 1843 dans le tome III des
Œuvres complètes. On les connaît aujourd’hui sous le titre de
Nouvelles de Pétersbourg, la brillante capitale de l’empire russe
fondée en 1703 par Pierre le Grand et qui sert de cadre à
l’action.
Nicolas Gogol n’est pas seulement un auteur apprécié
de son public, il est aussi un novateur. Jusqu’alors, la société
russe considérait la littérature comme un passe-temps, un
5
Extrait de la publication
divertissement de salon que pratiquaient des poètes le plus
souvent amateurs. La prose n’était connue que sous forme de
traductions de romans étrangers. Vers le milieu des années 1830,
la scène littéraire s’ouvre à de nouveaux genres et, lorsqu’il publie
Le nez, Gogol est considéré comme une étoile montante.
À l’innovation dans la forme littéraire, Gogol ajoute
l’originalité du propos. Les surréalistes n’auraient certes pas désavoué cette nouvelle, affublée d’un titre quelque peu rocambolesque, et dont le contenu avait été jugé trop « sale et trivial »
par le journal L’observateur moscovite pour pouvoir être publié
en ses pages. Car que penser de cette histoire du nez d’un
assesseur de collège qui quitte le visage de son propriétaire et se
retrouve dans la brioche d’un barbier plus ou moins recommandable ? Non content de se terrer en un endroit pour le
moins inattendu, le fugueur arrogant et mondain joue les
conseillers d’État en habit chamarré de galons et de décorations,
courtise les jolies femmes et refuse de reprendre sa place, jusqu’à
ce qu’il soit rattrapé par un sergent de ville et rendu à son
propriétaire.
La poursuite du nez dans les rues et les officines de
Saint-Pétersbourg permet à l’auteur de se livrer à une époustouflante satire sociale. Dans ce régime politique autocratique
qu’est le régime tsariste, tout le monde surveille tout le monde.
Le barbier en fait la pénible expérience lorsque, cherchant à se
débarrasser du nez trouvé dans sa brioche, il en est constamment empêché par quelque sergent de ville ou commissaire
réprobateur. Si l’argent constitue un critère important de respectabilité, le grade, l’uniforme, les médailles, les galons, les
belles toilettes féminines qui témoignent de la réussite sociale du
mari, toutes ces apparences, souvent trompeuses comme le
montre l’histoire du nez habillé en conseiller d’État, caractérisent
la société pétersbourgeoise. Le moindre fonctionnaire y fait la
6
Extrait de la publication
pluie et le beau temps, opposant son veto aux requêtes des
citoyens qui ne lui agréent pas. Les sentiments sont rarement
évoqués dans la nouvelle de Gogol, si ce n’est l’embarras que
cause à l’assesseur Kovaliov la perte de son nez.
Bien sûr, depuis les travaux de Sigmund Freud, le
symbolisme sexuel du nez n’échappe plus à personne. Dès le
début de la nouvelle, le barbier trouve le nez enfoncé au beau
milieu d’un petit pain tout chaud que sa femme vient juste de
sortir du four. Puis il apparaît clairement qu’en perdant son nez,
Kovaliov se trouve aussi privé de sa virilité. Chaque rappel
des préjudices que lui cause cette perte accompagne l’évocation
de femmes. Comment, sans nez, pourrait-il se montrer chez
« madame Tchekhtareva, l’épouse du conseiller d’État », et chez
madame « Palaguéïa Grigoriévna Podtotchina, l’épouse d’un
officier supérieur » ? Et n’est-ce pas, d’ailleurs, cette dernière qui,
pour se venger de ce qu’il a refusé d’épouser sa fille, aurait été
l’instigatrice de la disparition du nez de Kovaliov ?
La nouvelle de Gogol distille un humour parfois subtil,
comme en témoignent les nombreuses remarques satiriques,
mais la farce et le burlesque ne sont jamais très loin. Caricaturés,
les personnages exposent au grand jour d’énormes défauts et
travers, comme le domestique de Kovaliov qui passe son temps
à cracher au plafond, ou l’employé des petites annonces qui
refuse de publier l’avis de Kovaliov, sous prétexte que le journal
diffuse déjà assez « d’absurdités et de fausses rumeurs ». Toute
cette scène relève d’ailleurs de la plus pure bouffonnerie, ainsi
que le montrent le quiproquo entre le fonctionnaire et Kovaliov,
le premier comprenant que l’assesseur recherche un moujik du
nom de MonNez, ou encore l’annonce pour retrouver un
caniche noir qui se révèle être le trésorier d’une administration
publique. Plus loin, la visite du médecin qui vient recoller le nez
de Kovaliov aurait plu à Molière. Cet homme « fort bien de sa
7
personne » pratique une hygiène buccale draconienne, « se gargarisant près de trois quarts d’heure » par jour et « se polissant
les dents avec cinq brosses différentes » ! Après plusieurs échecs
pour replacer le nez de son client, l’élégant Diafoirus conclut
que cet appendice est inutile et ne lui conférera pas une meilleure santé. Il lui conseille de se laver plus souvent le visage à
l’eau froide, de placer son nez dans l’alcool et de le vendre pour
en obtenir « une somme coquette » ! À défaut d’être un habile
médecin, il a pour le moins le sens des affaires !
Dans cette nouvelle d’une trentaine de pages, Gogol
offre, on le voit, un étonnant mélange de satire sociale assez
pessimiste et désabusée, profondément ancrée dans le cadre très
particulier du XIXe siècle pétersbourgeois, d’allusions voilées
sur un sujet tabou, grave et désespérant, et d’humour parfois
bouffon autour de personnages caricaturés, artificiels et déshumanisés. Rien, à première vue, de très prometteur pour un projet
de théâtre pour la jeunesse. C’est pourtant sous cette forme
que Le nez de Gogol a connu une autre vie qu’ont su lui insuffler deux adaptateurs de talent, Robert Bellefeuille et Isabelle
Cauchy.
✣
En 1983, Robert Bellefeuille est directeur artistique du Théâtre
de la Vieille 17, troupe francophone de l’Ontario alors installée
à Rockland. Il cherche à inscrire au programme de la troupe une
pièce de théâtre pour la jeunesse qui mette l’accent sur l’imaginaire, l’humour, le ludisme ; en un mot, il recherche une
œuvre folle quoique susceptible de promouvoir la réflexion des
spectateurs. Il tombe par hasard sur les nouvelles de Gogol et
rencontre Isabelle Cauchy qui souhaite, elle aussi, travailler à
un spectacle pour enfants. Robert Bellefeuille lui propose de
lire Gogol. Alors jaillit l’étincelle qui enflamme l’imaginaire
des deux créateurs. Il ne reste plus qu’à faire agréer l’idée par
8
Extrait de la publication
la troupe, qui l’adopte avec enthousiasme. C’est le début de
l’aventure du Nez.
Si le théâtre pour la jeunesse de ces vingt dernières
années compte un certain nombre d’adaptation de contes, de
romans ou d’albums pour la scène, ce phénomène reste marginal1, quoique son processus fasse souvent l’objet de réflexion.
S’il n’est pas question de mettre en scène l’intégralité du récit,
« le chemin vers la scène doit se faire avec les moyens du théâtre »,
constate Jeremy Turner, metteur en scène et auteur anglais
ayant participé au congrès de l’Association internationale du
théâtre pour l’enfance et le jeunesse (ASSITEJ) en septembre
20052. Dans le cas qui nous intéresse, la transformation de la
nouvelle de Gogol en pièce de théâtre devait amener un élagage
important au niveau du discours, la nouvelle pouvant se
permettre d’être plus diserte que la comédie, le genre narratif
voulant que le cadre de l’action soit décrit et que les épisodes
soient liés les uns aux autres par des relations de causes à effets
dûment expliquées ou évoquées. La comédie, pour sa part,
présente visuellement le cadre de l’action, éliminant ainsi les
descriptions, tandis que le dialogue se charge de transmettre une
logique implicite. L’adaptateur doit chercher les aspects qui
l’intéressent le plus et concevoir une nouvelle structure. Pour
cette raison, on préfère souvent parler de « recréation » plutôt
que d’adaptation.
—————
1
Hélène Beauchamp, « L’adaptation des genres littéraires pour la scène du
théâtre jeunesse », dans Françoise Lepage (dir.), La littérature pour la jeunesse, 1970-2000, Montréal, Fides, 2003, p. 119 (Archives des lettres
canadiennes, XI).
2
« Adapter la littérature au théâtre », Cahiers de théâtre Jeu, 118 (2006),
p. 93.
9
Extrait de la publication
L’adaptation théâtrale de Robert Bellefeuille et Isabelle
Cauchy reste, toutes proportions gardées, relativement fidèle à
l’original. Elle suit le déroulement de l’action tel que l’a conçu
Gogol, et on y retrouve deux des aspects qui distinguaient la
nouvelle russe, à savoir la satire sociale et l’humour, mais la
pondération et le traitement de chacun de ces éléments diffèrent
de l’original ou, autrement dit, de l’hypotexte.
Dans l’adaptation (ou hypertexte) de Bellefeuille et
Cauchy, la satire sociale se révèle caricaturale en sa forme et
assez traditionnelle en son objet. La police constitue le corps de
métier le plus malmené. Elle est toujours aussi répressive que
dans l’hypotexte, mais les représentants de la loi se distinguent
par leur maladresse et leur bêtise. Incapables de s’adapter à des
situations nouvelles, ils posent aux témoins des questions incongrues et cherchent des solutions toutes faites dans leurs
papiers plutôt que de recourir à ce qu’ils peuvent avoir d’intelligence. Les médecins — il n’en faut pas moins de trois pour
remettre en place le nez du professeur Nicolas —, apparaissent
plus comme des bricoleurs que comme des hommes de science.
Quant à la bureaucratie, elle se révèle, elle aussi, assez sclérosée
de prime abord. Représentée par un personnage féminin prémonitoirement prénommé Renée (« re-nez », « renaît »), elle apportera par la suite au professeur Nicolas, double de l’assesseur
Kovaliov, l’amour qui lui permettra de garder confiance en lui,
puis de renaître à la vie, une fois son nez remis en place.
Si l’aspect satirique apparaît comme peu développé
dans l’hypertexte, c’est que les adaptateurs ont choisi de donner
à leur œuvre une tonalité plus positive. Gommant l’atmosphère
absurde et désenchantée qui se dégage de la nouvelle de Gogol,
ils misent sur la couleur et la lumière de l’amour et de l’humour bouffon. L’amour imprègne toutes les étapes du spectacle. L’épouse du barbier, très rude et mal embouchée dans
10
Extrait de la publication
l’hypotexte, se métamorphose, dans la pièce, en une épouse dévouée et heureuse de son sort, qui chante les louanges de son
« beau petit mari/gentil et sans reproche », tout en lui préparant
de bonnes brioches pour son déjeuner. Car l’amour n’est pas
donné une fois pour toutes : telle est l’idée de base qui se dégage
de la pièce. L’amour se cultive, s’entretient par de petites gentillesses accordées à l’être aimé. C’est d’ailleurs la raison qu’invoque le nez, auprès du professeur Nicolas, pour justifier sa
fugue. L’enseignant ne se conduit-il pas comme un goujat à
l’égard de son appendice nasal ? Ne lui inflige-t-il pas de respirer
les épaisses fumées toxiques de son cigare ? Ne lui refuse-t-il pas
des soins minimaux pour le protéger du soleil en été et du froid
en hiver ? Jamais il n’aurait l’idée de le moucher dans de jolis
mouchoirs de couleur ! Tant d’indélicatesse a ruiné une relation
trop rapidement tenue pour acquise. Bouleversé par ailleurs
par l’amour inconditionnel — avec ou sans nez — que lui voue
Renée, le professeur Nicolas négligera d’écouter Yvan, le
barbier, venu se disculper de tout blâme en cette affaire afin de
ne pas perdre un bon client. Si bien qu’Yvan et sa femme n’ont
plus qu’à se retirer chez eux et à… aller se coucher.
L’humour fuse à toutes les pages sous forme de jeux de
mots, de quiproquos, de patronymes et de toponymes évocateurs (les sœurs Narine, Nazaire Sinus, Narinezona), mais
aussi sous forme de jeux de scène comme la confrontation entre
le barbier Yvan et sa femme Simone qui se poursuivent sur
la scène en se lançant le nez comme un ballon de football
ou une « patate chaude », dont chacun aimerait bien se débarrasser. Et puis il y a cette prolifération de nez : décor de tissu,
personnages-nez et cette scène comique où Renée, employée des
petites annonces, n’arrive pas à aller jusqu’au bout de ses phrases
et à prononcer le mot « nez », comme s’il s’agissait d’une
obscénité.
11
L’adaptation de Bellefeuille et Cauchy se caractérise
donc par un allègement de la portée satirique, par l’introduction
d’une dimension sentimentale, totalement absente de la nouvelle de Gogol, et par le remplacement du pessimisme absurde
par un optimisme bouffon, inspiré de la commedia dell’arte.
Pour ce faire, les adaptateurs accentuent l’aspect caricatural des
personnages et donnent à la pièce la forme de la comédie
masquée, qui se définit par « des réparties bondissantes, des jeux
de mots délirants, une mise en scène qui roule à train d’enfer,
des masques expressifs, qui exploitent aussi bien la carte de
l’hyperréalisme que du surréalisme le plus fou3». On notera que
le nez fugueur, qui devient conseiller d’État chez Gogol,
fonction prestigieuse qui permet le port d’un uniforme et la
fréquentation de la haute société, se transforme, dans l’adaptation, en chanteuse de cabaret connue sous le nom de Nanette
Narine, une des deux sœurs Narine ! Ce changement se révèle
très représentatif du nouvel esprit de l’hypertexte, l’austérité du
haut-fonctionnaire étant remplacée par l’humour, la gaieté et le
dynamisme d’une artiste de cabaret.
✣
La transmutation d’une nouvelle russe pour adultes en une comédie masquée pour enfants occidentaux a eu pour effet d’insuffler une nouvelle vie à l’original, de lui permettre de connaître
« un autre public, un autre mode d’existence, d’autres lieux et
occasions de diffusion4». Et ses publics ont été nombreux !
—————
3
Cahier pédagogique, Centre de recherche en civilisation canadiennefrançaise (CRCCF), Université d’Ottawa, fonds Théâtre de la Vieille 17,
C142-1/2/19, p. 14.
4
Hélène Beauchamp, op.cit., p. 120.
12
Extrait de la publication
Créée à l’école Sainte-Trinité de Rockland, le 5 octobre
1983, l’adaptation théâtrale a connu un succès immédiat, qu’est
venu couronner, l’année suivante, le prix Floyd S. Chalmers, décerné à la meilleure pièce canadienne pour jeune public5. Entre
1983 et 1989, la pièce a fait l’objet de cinq productions différentes en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Puis,
ce fut le silence jusqu’en 1994, date à laquelle Guy Freixe, alors
directeur artistique du Théâtre du Frêne à Conflans-SainteHonorine, en banlieue de Paris, découvre l’adaptation. Pour ce
théâtre qui explore, dans ses productions, les multiples possibilités scéniques du masque, cette trouvaille constitue une
aubaine.
La nouvelle production du Nez est le fruit d’une collaboration entre Guy Freixe et Robert Bellefeuille. Elle accentue
l’aspect onirique de la pièce et adjoint aux acteurs des marionnettes de différentes tailles. La première a lieu à Conflans, le
26 septembre 1994. Elle amorce une nouvelle carrière pour
cette comédie masquée qui, dès novembre 1994, revient au
Canada après une tournée d’un mois en France. Elle est alors
jouée à Ottawa, à Québec et à Belœil, avant de prendre l’affiche
à la Maison-Théâtre, à Montréal, du 30 novembre au 22 décembre 1994. En tout, plus de vingt mille jeunes spectateurs
ont pu voir cette production. En 1995, la pièce a représenté le
Canada au Festival international de théâtre jeunes publics, à
Montréal.
Depuis la toute première production, la réception se
révèle unanimement positive. On loue la fantaisie, la création,
l’imagination, la richesse en rebondissements. On souligne
—————
5
L’historique des représentations théâtrales, de même que les remarques
relatives à la réception de la pièce, sont tirés du fonds du Théâtre de la
Vieille 17 conservé au CRCCF, C142.
13
Extrait de la publication
également le fait que, si la pièce s’adresse essentiellement aux
enfants du second cycle du primaire, les plus jeunes sont sensibles, eux aussi, aux gags visuels et à « tout l’aspect spectacle de
la pièce6 ».
L’introduction de cette adaptation dans la collection
« Bibliothèque canadienne-française » souligne son accession au
rang de classique de notre littérature. Elle offrira des heures de
plaisir et de créativité à celles et ceux qui entreprendront de la
monter car, les masques aidant, il suffit de quatre comédiens
pour jouer les vingt-huit personnages.
Visionnaire, Nicolas Gogol a toujours pensé que son
œuvre vivrait bien après lui. Outre les nombreuses traductions
qui en ont été faites, la nouvelle a également inspiré à Dimitri
Chostakovitch un opéra en trois actes, dont il a écrit le texte
et la musique, et qui a été représenté pour la première fois le
18 juin 1930, au théâtre Maly, à Léningrad (Saint-Pétersbourg).
La pièce de Robert Bellefeuille et Isabelle Cauchy a été traduite
en anglais par Robert Bellefeuille lui-même et Robert Marinier,
sous le titre The nose, en 1985. Par la magie des adaptations et
des traductions, un petit texte russe de trente pages a fait le tour
du monde. Gogol a prononcé une parole prémonitoire le jour
où, jeune encore, il s’est exclamé : « Je sais qu’après moi, mon
nom sera plus heureux que moi-même7. »
Françoise Lepage
—————
6
France Simard, «Le Nez du Théâtre de la Vieille 17 : une pièce bien flairée…»,
Le Droit, 3 octobre 1983, p. 17.
7
Gogol, Nicolas, Les âmes mortes, préf. de Vladimir Pozner, Paris, Gallimard,
1973, p. 19.
14
Le nez, une pièce pour enfants inspirée d’une nouvelle
de l’écrivain russe Nicolas Gogol, a été créée le 5 octobre 1983
à l’école Sainte-Trinité de Rockland, dans une production
du Théâtre de la Vieille 17.
PREMIÈRE DISTRIBUTION ONTARIENNE
Robert Bellefeuille, Michel Marc Bouchard,
Isabelle Cauchy, Chantal Lavallée
LES CRÉATEURS
Texte Robert Bellefeuille
et Isabelle Cauchy
Mise en scène Robert Bellefeuille,
assisté de Jacques Lessard
Scénographie Luce Pelletier
Musique Daniel Cauchy
et Louise Beaudoin
Éclairage Serge Péladeau
PERSONNAGES PAR ORDRE D’ENTRÉE EN SCÈNE
Simone, Yvan le barbier, la femme qui crie, le facteur,
le policier, Professeur Nicolas, Madame Marie, une petite fille,
Madeleine, une femme et son bébé-nez, une femme
et son chien-nez, un homme-nez, une femme,
Renée, un camionneur, un jeune garçon, Madame Bégonias,
le maître de cérémonie, Nanette Narine, sœur Narine 1,
sœur Narine 2, Nana le Nez, médecin 1, médecin 2,
médecin 3, Nazaire Sinus.
15
Extrait de la publication
Extrait de la publication
Scène 1
Dans la cuisine chez le barbier Yvan, le matin. Simone
entre en chantant tout en préparant le déjeuner d’Yvan.
SIMONE
J’ai un beau petit mari
gentil et sans reproche
qui aime les brioches
un beau petit mari !
Il est encore au lit
je lui fais de petites gâteries
puis je le réveillerai
pour qu’il aille travailler !
Yvan ! Yvan le déjeuner est servi ! (Criant.) C’est prêt, Yvan !
Viens avant que ça refroidisse ! Je t’ai préparé de belles petites
brioches, comme tu les aimes !
Yvan entre, s’assoit sans dire un mot, grommelle, renifle,
tousse.
Mon Dieu que tu as l’air fatigué, tu travailles trop mon Yvan !
Je sais pas combien tu peux recevoir de clients dans une journée,
mais il y a des jours où je me demande si toute la ville va chez
le barbier. Tiens, ta brioche.
YVAN LE BARBIER
Prend la brioche, la sent.
Hum...
SIMONE
Ça m’étonne qu’il n’y ait pas de file devant ton salon. Oh, ça
me fait penser qu’il faut que j’aille chez le boucher aujourd’hui.
17
Extrait de la publication
Je suis certaine qu’il va y avoir beaucoup de monde et que je vais
encore être obligée d’attendre, comme si je n’avais rien d’autre
à faire dans ma journée.
Yvan ouvre sa brioche, se prépare à prendre une bouchée,
hésite, regarde sa brioche, chipote du bout du doigt, regarde de plus près. Simone s’interrompt, le regarde du coin
de l’œil, lui dit :
SIMONE
Qu’est-ce qu’il y a ? Ce n’est pas bon ?
YVAN LE BARBIER
(Grommelant.) Oui, oui, c’est bon, c’est très bon !
SIMONE
Mon Dieu, mon p’tit mari, si en plus tu n’as plus d’appétit, je
vais m’inquiéter pour de bon !
YVAN LE BARBIER
Mais non, ma Simone, c’est délicieux. C’est délicieux, regarde.
Il prend une bouchée.
Ah, c’est bon !
Simone reprend son histoire où elle l’avait laissée.
SIMONE
...En tous les cas, qu’est-ce que tu dirais d’un petit rôti de bœuf
pour souper demain soir ? Il me semble que ça te ferait du bien.
Tu n’as pas l’air fort fort ces temps-ci, peut-être que je devrais
te faire une petite ponce ce soir avant que tu te couches.
18
Achevé d’imprimer
en février deux mille sept sur les presses
de Marquis Imprimeur, Cap-Saint-Ignace (Québec).
Extrait de la publication
Le nez, une pièce pour enfants inspirée d’une nouvelle de l’écrivain russe Nicolas
Gogol, connaît un immense succès dès sa production par le Théâtre de la Vieille
17 d’Ottawa en 1983. L’année suivante, la pièce remporte le prestigieux prix Floyd
S. Chalmers de la meilleure pièce canadienne pour enfants. Elle fera l’objet de cinq
productions entre 1983 et 1989, puis, en 1994, le Théâtre du Frêne à Paris lui
re­donne vie dans un spectacle qui tourne en France et au Canada devant plus de
20 000 spectateurs.
La nouvelle du même nom de Nicolas Gogol, publiée en 1836, constituait, à
l’époque, une époustouflante satire sociale. En l’adaptant pour la scène, Robert
Bellefeuille et Isabelle Cauchy ont créé une comédie masquée pour enfants qui met
en scène des nez dans une brioche, des nez chantant en chœur, des nez en fugue et
des nez qui flairent une histoire louche.
Pièce drôle, intelligente et surréaliste, applaudie unanimement par les écoliers et
la critique, Le nez rappelle la commedia dell’arte et les dessins animés. Comme le
mentionne Françoise Lepage dans la préface: «L’humour fuse à toutes les pages
sous forme de jeux de mots, de quiproquos, de patronymes et de toponymes évo­
cateurs (les sœurs Narine, Nazaire Sinus, Narinezona), mais aussi sous forme de jeux
de scène, comme la confrontation entre le barbier Yvan et sa femme Simone, qui se
poursuivent sur la scène en se lançant le nez comme un ballon de football [...].»
La réédition en BCF est bonifiée d’une préface et d’une biobibliographie des
auteurs.
ROBERT BELLEFEUILLE, un des fondateurs du Théâtre de la Vieille 17 qu’il dirigera de 1981 à 2006, est
coordonnateur du programme de mise en scène à l’École nationale de théâtre du Canada.
Auteure et metteure en scène, ISABELLE CAUCHY a signé plus d’une douzaine de textes destinés au
théâtre jeune public. Aujourd’hui elle est codirectrice du Petit Théâtre de Sherbrooke, au Québec.
Extrait de la publication
Prise
deparole
Théâtre
Téléchargement