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Frédérick Gagnon
Les sénateurs qui
changent le monde
Le président de la Commission du Sénat américain
sur les relations extérieures et la politique étrangère
des États-Unis après 1945
Collection « Politique étrangère et sécurité »
La collection « Politique étrangère et sécurité » rassemble des ouvrages destinés
à approfondir nos connaissances sur les processus d’élaboration et les effets des politiques étrangères et de sécurité. Les publications relatives aux aspects contemporains
concernant les acteurs, les processus, les causes et les effets des politiques étrangères
et de sécurité internationale sont privilégiées. Ouverte aux diverses perspectives
d’analyse, cette collection s’intéresse particulièrement aux ouvrages qui prônent
l’approche scientifique, fondée sur les théories explicatives et les évaluations d’hypothèses par l’entremise d’études de cas, d’observations empiriques ou d’analyses
quantitatives.
Collection dirigée par Charles-Philippe David
Titres parus :
Legault, Albert, Frédéric Bastien et André Laliberté. Le triangle Russie/États-Unis/
Chine. Un seul lit pour trois, 2004.
Juneau, Thomas, Gérard Hervouet et Frédéric Laserre (dir.). Asie centrale et Caucase.
Une sécurité mondialisée, 2004.
Legault, Albert (dir.). Le Canada dans l’orbite américaine. La mort des théories intégrationnistes, 2004.
David, Charles-Philippe. Au sein de la Maison-Blanche. La formulation de la politique
étrangère des États-Unis, 2e édition, 2004.
Donneur, André (dir.). Le Canada, les États-Unis et le monde. La marge de manœuvre
canadienne, 2005.
Rioux, Jean-Sébastien et Julie Gagné (dir.). Femmes et conflits armés. Réalités, leçons
et avancements politiques, 2005.
David, Charles-Philippe et Benoît Gagnon (dir.). Repenser le terrorisme : concepts,
acteurs et réponses, 2007.
Roy, Dominic. La géostratégie maritime en Asie-Pacifique. Le cas de la marine chinoise,
2008.
Lukic, Renéo (dir.). Conflit et coopération dans les relations franco-américaines. Du général
De Gaulle à Nicolas Sarkozy, 2009.
Roy, Dominic. La mutation stratégique du japon, 1945-2010. Succès et mérites de
l’approche adaptative, 2010.
Prémont, Karine (dir.). La politique étrangère des grandes puissances. L'impossible
convergence des intérêts, 2011.
Les sénateurs qui changent le monde
Frédérick Gagnon
Les sénateurs
qui changent le monde
Le président de la Commission du Sénat américain
sur les relations extérieures et la politique étrangère
des États-Unis après 1945
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du
Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec
une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise
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© Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés.
Dépôt légal 4e trimestre 2013
ISBN : 978-2-7637-1977-1
PDF : 9782763719788
Les Presses de l’Université Laval
www.pulaval.com
Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque
moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
À Maud-Andrée et Lucie Laurence.
À Myo.
Table des matières
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII
Introduction
Le président de la Commission du Sénat américain sur les relations
extérieures : acteur clé du Congrès dans le domaine de la politique
étrangère.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Chapitre 1
Confondre les sceptiques. Expliquer l’activité et l’influence du président
de la Commission du Sénat sur les relations extérieures. . . . . . . . . . . . . 13
1.1 « Rien n’est parfait » : les faiblesses des thèses des sceptiques . . . . . . . . 15
1.1.1Première faiblesse : comment définir l’influence du
président de la CSRE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.1.2Deuxième faiblesse : comment mesurer l’influence
du président de la CSRE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.2 Expliquer pourquoi Vandenberg, Fulbright et Helms ont été actifs :
quelle approche théorique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
1.2.1Regarder aux États-Unis : les approches internes . . . . . . . . . . . . 36
1.2.2Regarder dans le monde : les approches externes . . . . . . . . . . . . 38
1.2.3Tout regarder : les approches à plusieurs niveaux d’analyse . . . . 39
1.2.4Notre approche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
1.3 Décrire l’évolution des stratégies d’influence du président de la
CSRE depuis 1945 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Chapitre 2
L’architecte bipartisan. Arthur Vandenberg et les débuts de la guerre froide (1947-1949). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
2.1 Le niveau international : la menace communiste convainc
Vandenberg de la nécessité de participer activement aux débats
de politique étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
2.1.1Truman, sa doctrine, le plan Marshall et la création
de l’OTAN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
X
Les sénateurs qui changent le monde
2.2 Le niveau national : un contexte politique et social favorable
au dynamisme de Vandenberg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2.1L’élection de 1946 et le retour en force des républicains
au Congrès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2.2L’apparition du consensus de la guerre froide
au Congrès et dans la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.3 Le niveau individuel : les intérêts, convictions et aptitudes
de Vandenberg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.3.1Un isolationniste devenu ardent défenseur des principes de
l’internationalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.3.2Un sénateur convaincu des vertus d’une politique étrangère
bipartisane . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.3.3Un leader expérimenté, respecté et efficace . . . . . . . . . . . . . . . .
2.4 Les stratégies utilisées par Vandenberg pour influencer la
politique étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.4.1Vandenberg et la doctrine Truman . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.4.2Vandenberg et le plan Marshall . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.4.3Vandenberg, l’OTAN et la résolution Vandenberg . . . . . . . . . .
Chapitre 3
Le dissident catalyseur. J. William Fulbright et l’escalade
au Viêtnam (1965-1969) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.1 Le niveau international : les difficultés au Viêtnam incitent
Fulbright à s’affirmer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2 Le niveau national : un contexte politique et social favorable
au dynamisme de Fulbright . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2.1L’érosion du consensus de la guerre froide et les changements
institutionnels au Congrès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2.2Le mécontentement envers Johnson et l’érosion du
consensus de la guerre froide dans la société . . . . . . . . . . . . . . .
3.3 Le niveau individuel : les intérêts, convictions et aptitudes
de Fulbright . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3.1Un législateur désireux de rétablir l’équilibre des pouvoirs
entre le Congrès et la présidence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3.2Un politicien qui s’est senti trahi par un ami . . . . . . . . . . . . . . .
3.3.3Un réaliste convaincu que Johnson a une vision erronée
de la politique étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3.4La complexité cognitive et la formation universitaire
d’un sénateur pas comme les autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.4 Les stratégies utilisées par Fulbright pour influencer la
politique étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.4.1Les stratégies d’influence non législatives . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.4.2Les stratégies d’influence législatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
57
57
63
70
70
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149
168
Table des matières
XI
Chapitre 4
Le judoka partisan. Jesse Helms et le monde de l’après-guerre froide
(1995-2001). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
4.1 Le niveau international : la fin de la guerre froide pousse Helms
à défier la Maison-Blanche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
4.2 Le niveau national : un contexte politique et social favorable
au dynamisme de Helms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
4.2.1L’élection de 1994 : le signal que les Américains veulent du
changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
4.2.2La centralité du facteur partisan au Congrès . . . . . . . . . . . . . . . 188
4.2.3La montée en force des acteurs conservateurs dans la société . . . 194
4.2.4Une opinion publique en faveur des politiques de Helms ? . . . . 200
4.3 Le niveau individuel : les intérêts, convictions et aptitudes de Helms . 203
4.3.1Un législateur voulant réaffirmer les prérogatives du Sénat . . . . 204
4.3.2Un expert des règles et des procédures au Sénat . . . . . . . . . . . . 206
4.3.3Un conservateur convaincu et déterminé à garantir la fortune
de sa philosophie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
4.3.4Une vision de la politique étrangère aux antipodes de celle
de Clinton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
4.4 Les stratégies utilisées par Helms pour influencer la politique
étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
4.4.1Helms à l’assaut de Foggy Bottom et des agences responsables
de la politique étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
4.4.2Helms contre les « gauchistes » : le rejet des nominations
proposées par Clinton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
4.4.3Bras de fer entre Helms et les régimes hostiles aux États-Unis . . 230
4.4.4Helms cible l’ONU, l’aide étrangère et les accords menaçant la
souveraineté des États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
Conclusion
L’avenir du président de la Commission du Sénat sur les relations
extérieures et de la recherche sur le Congrès et la politique étrangère
des États-Unis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De l’influence du président de la CSRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De l’innovation du président de la CSRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des facteurs qui expliquent l'activité du président de la CSRE . . . . . . . . . .
Les implications politiques de la recherche sur le président de la CSRE . . .
251
251
258
271
276
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
Avant-propos
C
e livre est issu de plusieurs années de réflexion sur l’influence du
Congrès des États-Unis sur la politique étrangère de ce pays.
Plusieurs personnes m’ont aidé, encouragé et accompagné dans la préparation de cet ouvrage. Je remercie mon collègue Charles-Philippe David
(titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand, coprésident de l’Observatoire
sur les États-Unis et professeur en science politique à l’Université du
Québec à Montréal (UQAM)) pour son amitié, ses précieux conseils et
les minutieuses relectures de versions initiales de ce manuscrit. Je remercie
également, pour leurs précieux commentaires, mes collègues Christian
Deblock (professeur en science politique à l’UQAM), Ray Laraja (professeur en science politique à l’Université du Massachusetts à Amherst),
Gary Jacobson (professeur en science politique à l’Université de la
Californie à San Diego), Ryan Hendrickson (professeur en science politique à l’Université Eastern Illinois), Ralph Carter (professeur en science
politique à l’Université Texas Christian), Greg Robinson (professeur
d’histoire à l’UQAM), David Grondin (professeur en études politiques
à l’Université d’Ottawa), Bernard Lemelin (professeur d’histoire à l’Université Laval), Marie Henehan (enseignante en science politique à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign), Andrea Grove (professeure en
science politique à l’Université California State à Channel Islands), ainsi
que les trois lecteurs anonymes qui ont évalué le manuscrit.
Je tiens aussi à remercier David Biette (directeur du Canada Institute
du Woodrow Wilson International Center for Scholars) et Paul Herrnson
(directeur du Center for American Politics and Citizenship de l’Université du Maryland) de m’avoir accueilli durant un séjour de recherche à
Washington, ainsi qu’Antony Blinken (ancien directeur du personnel de
XIV
Les sénateurs qui changent le monde
la Commission du Sénat américain sur les relations extérieures ) et Lee
Hamilton (ancien président de la Commission de la Chambre sur les
affaires étrangères), pour nos éclairantes discussions à propos des sénateurs
étudiés dans ce livre.
Je remercie également d’autres collègues qui ont commenté des
versions initiales de cet ouvrage au fil des années : Louis Balthazar
(Université Laval), Claude Corbo (UQAM), Jerry Mileur (Université du
Massachusetts à Amherst) et Mike Hannahan (Université du
Massachusetts à Amherst). Je tiens également à souligner l’essentielle
contribution des assistants de recherche qui m’ont aidé à préparer la
version définitive du manuscrit : Mélissa Desrochers, Mélisa Blot,
Christophe Cloutier et Marc Desnoyers.
Je remercie, en outre, l’équipe de l’Observatoire sur les États-Unis
de la Chaire Raoul-Dandurand, le programme d’échanges Fulbright, ainsi
que le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et le Fonds
québécois de la recherche sur la société et la culture d’avoir appuyé mes
recherches.
En terminant, je remercie monsieur Denis Dion, directeur général
des Presses de l’Université Laval, d’avoir cru en ce projet. J’exprime
également toute ma gratitude à Maud-Andrée Lemieux et Lucie Laurence
Gagnon, à ma famille et à mes amis, dont Louis-François Arsenault, que
j’ai oublié de remercier ailleurs.
Introduction
Le président de la Commission
du Sénat américain sur les relations
extérieures : acteur clé du Congrès
dans le domaine de la politique
étrangère
L
es élections législatives américaines de 2006 ont eu l’effet d’un tremblement de terre politique à Washington. La guerre en Irak était l’un
des principaux enjeux du scrutin et les Américains ont exprimé leur
désaccord avec la politique de George W. Bush en élisant des majorités
démocrates au Congrès. Dès la reprise des débats parlementaires en janvier
2007, les nouveaux leaders démocrates ont critiqué le président Bush et
proposé des solutions de rechange à la politique présidentielle. Parmi
eux, l’actuel vice-président des États-Unis, Joe Biden, est alors sénateur
du Delaware et président de la Commission du Sénat sur les relations
extérieures (Senate Foreign Relations Committee). Il suggère de décentraliser le pouvoir irakien afin de mieux le répartir entre les chiites, les
sunnites et les Kurdes. Qui plus est, il corédige une résolution « symbolique » désapprouvant la décision de la Maison-Blanche d’augmenter
d’environ 21 500 le nombre de soldats en Irak. Selon les termes de Biden :
« Il n’est pas dans l’intérêt national des États-Unis d’approfondir son
implication militaire en Irak, particulièrement en [y] augmentant la force
militaire américaine1. »
1. Cité dans Anonyme, « Les démocrates américains tentent de bloquer l’augmentation
des troupes en Irak », Le Monde, 18 janvier 2007.
2
Les sénateurs qui changent le monde
De tels propos et actions démontrent que, dans un pays dont la
politique étrangère « est le produit d’une pluralité de mécanismes, d’acteurs et de facteurs2 », les membres du Congrès des États-Unis, corps
législatif bicaméral constitué de la Chambre des représentants et du Sénat,
s’élèvent parfois au-dessus de la mêlée pour tenter d’influencer la conduite
des actions internationales américaines. Comme le démontre le tableau
1, les Pères fondateurs américains ont rédigé une Constitution qui dote
le Congrès de plusieurs prérogatives lui permettant d’influencer la politique étrangère.
Tableau 1
Les pouvoirs de politique étrangère du Congrès selon la
Constitution des États-Unis
Type de pouvoir
Description du pouvoir
Exemples de mise en œuvre
par le Congrès
Pouvoirs législatifs Les membres du Congrès sont Adoption de la loi Helms-Burton
généraux
responsables d’adopter les lois qui vise à renforcer l’embargo sur
(article 1 de la
fédérales américaines et peuvent Cuba (1995).
Constitution)
influencer la politique étrangère Adoption du USA Patriot Act qui
américaine en adoptant des lois vise à renforcer les mesures de
surveillance des activités terroristes
ou amendements désirés ou
sur le territoire américain (2002).
non par le président (qui
dispose d’un veto lui
permettant de bloquer
l’adoption des lois du Congrès).
Pouvoirs fiscaux
Les membres du Congrès sont Adoption de lois pour poursuivre le
financement de la guerre en Irak.
et financiers
responsables d’adopter les
Par exemple, le U.S. Troops
(article 1 de la
budgets du gouvernement
Constitution)
fédéral, dont ceux qui ont trait Readiness, Veterans’ Care, Katrina
Recovery, and Iraq Accountability
à la conduite de la politique
Act (2007).
étrangère.
Adoption et modifications du
budget annuel de défense proposé
par la présidence et le Pentagone.
2. Charles-Philippe David, Louis Balthazar et Justin Vaïsse, La politique étrangère des ÉtatsUnis : fondements, acteurs, formulation, Paris, Presses de Science Po, 2003, p. 9.
3
Introduction
Pouvoir de
déclarer la guerre
(article 1 de la
Constitution)
Pouvoir du Sénat
d’approuver les
traités
internationaux
négociés par la
présidence
(article 2 de la
Constitution)
Pouvoir
d’approuver les
nominations
présidentielles
pour pourvoir les
postes
d’ambassadeurs et
de hauts
fonctionnaires
responsables de la
politique
étrangère
(article 2 de la
Constitution)
Le Congrès a déclaré la guerre
seulement cinq fois dans l’histoire
des États-Unis (1812, 1846, 1898,
1917 et 1941).
Alors que le président a, depuis
1789, engagé les forces armées à
l’extérieur du territoire national à
plus de 200 reprises sans
déclaration de guerre officielle de la
part du Congrès, les législateurs
ont souvent voté des résolutions
« autorisant » le président à recourir
à la force contre des « ennemis » des
États-Unis. Par exemple : la
résolution du golfe du Tonkin
(1964) durant la guerre du
Viêtnam ou encore celle autorisant
George W. Bush à utiliser la force
contre le régime de Saddam
Hussein (2002).
Refus du Sénat de ratifier le traité
Les membres du Sénat ont le
de Versailles au lendemain de la
pouvoir d’approuver,
Première Guerre mondiale.
d’amender ou de rejeter les
traités négociés par le président. Rejet du Traité d’interdiction
complète des essais nucléaires
Un traité est adopté lorsque
(Comprehensive Test Ban Treaty)
deux tiers des membres du
(1999).
Sénat l’approuvent.
Selon la Constitution, le
Congrès a le pouvoir de
déclarer la guerre. Cela dit, la
Constitution mentionne
également que le président est
le commandant en chef des
forces armées américaines. Il y a
donc un incessant débat à
savoir qui a le pouvoir de
déployer les troupes
américaines à l’extérieur des
frontières américaines, débat
que la résolution sur les
pouvoirs de guerre adoptée par
le Congrès en 1973 (War
Powers Act) n’a pas permis de
résoudre.
Les membres du Sénat ont le
pouvoir d’approuver ou de
rejeter les choix du président
pour pourvoir les postes de
secrétaires à la Défense, d’État
ou de la Sécurité du territoire
national (Homeland Security).
Un vote majoritaire au Sénat
est nécessaire pour
l’approbation des nominations
présidentielles pour pourvoir de
tels postes et les postes
d’ambassadeurs américains
dans le monde, à l’ONU, etc.
Refus du Sénat d’approuver la
nomination de John Bolton au
poste d’ambassadeur à l’ONU
(2005).
Refus de Jesse Helms, président de
la Commission du Sénat sur les
relations extérieures de tenir des
audiences publiques au sein de la
commission pour débattre et voter
les nominations de dix-huit
ambassadeurs proposées par Bill
Clinton (1995).
D’après Claude Corbo et Frédérick Gagnon, Les États-Unis d’Amérique : les institutions politiques, 3e éd.,
Sillery, Septentrion, 2011. À noter que nous avons déjà utilisé ce tableau dans Frédérick Gagnon, « Théories
sur le rôle du Congrès », in Charles-Philippe David (dir.), Théories de la politique étrangère américaine :
acteurs, concepts et approches, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, p. 291-292. Nous le
reproduisons ici avec la permission des éditeurs.
4
Les sénateurs qui changent le monde
Malgré l’existence de tels pouvoirs, il n’est pas rare de lire, dans la
littérature spécialisée, que le Congrès joue un rôle secondaire dans la
formulation et la conduite de la politique étrangère des États-Unis. Arthur
Schlesinger fut sans doute l’un des instigateurs de cette thèse avec la
publication de son livre sur la « présidence impériale », où il écrivait que
la présidence était maintenant hors de contrôle et avait réussi, avec le
temps, à concentrer plusieurs pouvoirs entre ses mains, dont ceux de
politique étrangère3. Plusieurs ont défendu un raisonnement semblable
depuis. Parmi eux, Louis Fisher, John Hart Ely et Ryan Hendrickson
écrivent que le président n’hésite plus à lancer des opérations militaires
à l’étranger sans consulter le Congrès ou sans tenir compte de l’opinion
de ses membres4. Stephen Weissman affirme que les législateurs ont,
pendant la guerre froide, perdu la volonté de codéterminer la politique
étrangère avec le président à cause de l’émergence d’une « culture de
délégation » (« culture of deference ») au Capitole, soit un état d’esprit qui
consiste à penser que la politique internationale est le domaine réservé
du président5. Barbara Hinckley va un peu dans le même sens dans un
livre qui prétend que la passivité du Congrès sur les questions de politique
étrangère ne fait aucun doute6.
Cet ouvrage n’a pas pour but de contredire la thèse de la « présidence
impériale » ni de défendre celle voulant que le Congrès est tout-puissant
dans les débats de politique étrangère. Dans la foulée d’auteurs comme
Ralph G. Carter, James M. Scott, William Howell, Jon C. Pevehouse,
Douglas Kriner ou encore James M. Lindsay, nous tenons cependant à
illustrer qu’il est tout aussi exagéré de dire que le Congrès ne joue pas un
rôle crucial dans la formulation et la conduite de la politique étrangère7.
3. Arthur Schlesinger, The Imperial Presidency, Boston, Houghton Mifflin, 1973.
4. Lire Louis Fisher, Presidential War Power, Lawrence, University Press of Kansas, 2e éd.,
2004 ; Louis Fisher, Congressional Abdication on War & Spending, College Station, Texas
A & M University Press, 2000 ; John Hart Ely, War and Responsibility : Constitutional
Lessons of Vietnam and Its Aftermath, Princeton, Princeton University Press, 1993 ; et
Ryan Hendrickson, The Clinton Wars : The Constitution, Congress, and War Powers,
Nashville, Vanderbilt University Press, 2002.
5. Stephen Weissman, A Culture of Deference : Congress’s Failure of Leadership in Foreign
Policy, New York, Basic Books, 1995
6. Barbara Hinckley, Less than Meets the Eye : Foreign Policy Making and the Myth of the
Assertive Congress, Chicago, Chicago University Press, 1994.
7. Ralph G. Carter et James M. Scott, Choosing to Lead : Understanding Congressional Foreign
Policy Entrepreneurs, Durham, Duke University Press, 2009 ; William G. Howell et Jon
C. Pevehouse, While Dangers Gather :
Congressional Checks on Presidential War Powers,
Introduction
5
Pour illustrer cette idée, nous offrons ici l’une des premières études du
rôle et de l’influence d’un membre du Congrès en particulier, le président
de la Commission du Sénat sur les relations extérieures (CSRE).
Parmi les 435 représentants et les 100 sénateurs qui siègent au
Congrès, le président de la CSRE fait sans contredit partie des principaux
« intellectuels de la sécurité nationale » (« national security intellectuals »),
c’est-à-dire ces législateurs qui deviennent des experts en politique extérieure et qui y accordent une attention régulière et particulière8. Comme
le notent Linda Fowler et Brian Law, la CSRE a été la commission parlementaire la plus prestigieuse du Sénat – et probablement du Congrès
dans son ensemble – durant tout le XXe siècle9. Créée en 1816, elle est
l’une des dix commissions permanentes originales du Sénat et elle a le
pouvoir de tenir des débats et de préparer des résolutions et des lois sur
pratiquement tous les enjeux internationaux, qu’il s’agisse de nommer
les diplomates américains et le secrétaire d’État, de décider de déclarer
la guerre et de lancer des opérations militaires ou encore de déterminer
la nature et les montants de l’aide américaine à l’étranger. La CSRE a
également le mandat d’aider le Sénat à exercer l’un des pouvoirs décrits
au tableau 1 et qui vise, pour les sénateurs, à donner leur avis et leur
consentement (« advice and consent ») au pouvoir exécutif à propos des
traités internationaux négociés par la Maison-Blanche. La CSRE est
composée de membres des deux grands partis américains (démocrate et
républicain), mais son président en est le premier personnage en importance. Provenant du parti majoritaire au Sénat, il est choisi par les collègues de son parti, le plus souvent selon la règle de l’ancienneté10. Le
président de la CSRE a donc généralement une plus grande expérience
et une meilleure connaissance de la politique internationale que la plupart
des autres membres du Congrès. On se tourne fréquemment vers lui
quand vient le temps de connaître les grandes orientations vers lesquelles
Princeton, Princeton University Press, 2007 ; Douglas Kriner, After the Rubicon : Congress,
Presidents, and the Politics of Waging War, Chicago, The University of Chicago Press,
2010 ; James M. Lindsay, Congress and the Politics of U.S. Foreign Policy, Baltimore, The
Johns Hopkins University Press, 1994.
8. Amy B. Zegart, Flawed by Design : The Evolution of the CIA, JCS, and NSC, Stanford,
Stanford University Press, 1999, p. 32.
9. Linda Fowler et Brian Law, « Parties, Executives and Committee Prestige : The Eclipse
of the Senate in National Security, 1947-2004 ». Paper prepared for a « Conference on
Party Effects in the United States Senate », Washington, Duke University, 7-8 avril 2006,
p. 4.
10. Ibid.
6
Les sénateurs qui changent le monde
le Congrès et le pays devraient tendre dans tel ou tel dossier de politique
étrangère. Il a souvent été, dans l’histoire, un individu respecté au sein
de son parti, au Congrès et à Washington. Durant les primaires démocrates en vue de la présidentielle de 2008 par exemple, tous les candidats
à l’investiture du parti (Hillary Clinton, Barack Obama, etc.) s’entendaient pour dire que, sur les questions de politique étrangère, le candidat
Joe Biden, alors président de la CSRE, avait raison sur tous les enjeux
– et sur toute la ligne. Plus récemment, le président Barack Obama
reconnaissait à nouveau l’importance du président de la CSRE en
nommant l’occupant de ce poste, John Kerry, au titre de secrétaire d’État.
Comme l’illustre le tableau 2, dix-huit sénateurs ont occupé la
présidence de la CSRE de 1945 à aujourd’hui. Certains parmi eux ont
déjà retenu l’attention des experts du rôle du Congrès en politique étrangère. C’est le cas de J. William Fulbright (démocrate – Arkansas) et de
Jesse Helms (républicain – Caroline du Nord), que des chercheurs comme
Carter et Scott ont qualifiés de véritables « entrepreneurs de politique
étrangère » (« foreign policy entrepreneurs »), c’est-à-dire des membres du
Congrès qui utilisent toutes les ressources à leur disposition pour orienter
les débats nationaux ou pour proposer des solutions de rechange aux
politiques de la Maison-Blanche11. Hormis de telles contributions, la
littérature spécialisée compte peu d’études de la CSRE et de son président.
Il existe certes plusieurs travaux sur le rôle du Congrès en politique
étrangère12, mais la dernière analyse d’envergure consacrée spécifiquement
11. Ralph G. Carter et James M. Scott, op. cit. Pour un article définissant également le
concept « d’entrepreneur de politique étrangère au Congrès », lire Ralph G. Carter, James
M. Scott et Charles Rowling, « Setting a Course : Congressional Foreign Policy
Entrepreneurs in Post-World War II U.S. Foreign Policy », International Studies
Perspectives, 5 (2004), p. 278-299.
12. Voir, par exemple, Barry M. Blechman, The Politics of National Security : Congress and
U.S. Defense Policy, New York, Oxford University Press, 1990 ; Colton C. Campbell et
al., Congress and the Politics of Foreign Policy, Upper Saddle River, Prentice Hall, 2002 ;
Cecil V. Crabb (Jr.), Glenn J. Antizzo et Leila E. Sarieddine, Congress and the Foreign
Policy Process : Modes of Legislative Behavior, Baton Rouge, Louisiana State University
Press, 2000 ; Lee H. Hamilton et Jordan Tama, A Creative Tension : The Foreign Policy
Roles of the President and Congress, Washington, D.C., Johns Hopkins University Press,
2003 ; Donald R. Kelley (dir.), Divided Power : The Presidency, Congress, and the Formation
of American Foreign Policy, Fayetteville, The University of Arkansas Press, 2005 ; Louis
Fisher, Constitutional Conflicts between Congress and the President ; Rebecca Herschman,
Friends and Foes : How Congress and the President Really Make Foreign Policy, Washington,
D.C., The Brookings Institution, 2000 ; Barbara Hinckley, op. cit. ; Charles Jones,
Introduction
7
à la CSRE est celle de David Farnsworth, publiée en 196113. Des biographies comme celles de J. William Fulbright, Frank Church ou Jesse Helms
ont permis de mieux comprendre la philosophie et les réalisations de
certains présidents de la CSRE14. En revanche, elles n’ont ni comblé
l’absence d’une étude de l’évolution du rôle du président de la CSRE sur
une longue période ni permis de comparer les mandats et expériences de
divers sénateurs ayant occupé ce poste15. D’autres auteurs ont, à l’instar
de James M. Lindsay, Christopher Deering, Linda Fowler, Brian Law et
James McCormick, contribué à la connaissance de la CSRE dans des
chapitres d’ouvrages et des articles spécialisés16. Ils n’y consacrent cependant que quelques pages. Qui plus est, ils font un bilan peu reluisant de
l’influence de la CSRE et sont sceptiques quant à la capacité de son
président de jouer un rôle de premier plan dans la prise de décision en
politique étrangère. Lindsay est l’un de ces sceptiques. Selon lui, en
théorie, la CSRE occupe certes toujours un rôle central dans la prise de
décision au Congrès sur les affaires internationales17. Cependant, en
pratique, son influence a grandement diminué au cours du XXe siècle,
notamment après la guerre du Viêtnam. Pour illustrer ses propos, Lindsay
13.
14.
15.
16.
17.
Separate but Equal Branches : Congress and the Presidency, 2e éd., Chatham, Chatham
House Publishers, 1999.
David Farnsworth, The Senate Committee on Foreign Relations, Champaign-Urbana,
University of Illinois Press, 1961. Une étude semblable avait déjà été publiée en 1942.
Voir Eleanor E. Dennison, The Foreign Relations Committee, Palo Alto, Stanford
University Press, 1942.
Voir Randall Bennett Woods, Fulbright : A Biography, New York, Cambridge University
Press, 1995 ; LeRoy Ashby et Roy Gramer, Fighting the Odds : The Life of Senator Frank
Church, Pullman, Washington State University Press, 1994 ; William Link, Righteous
Warrior : Jesse Helms and the Rise of Modern Conservatism, New York, St. Martin’s Press,
2008.
L’une des rares études comparant le bilan de divers présidents de la CSRE est celle de
James Scott, Ralph Carter et Carie Steele, « Chairmen in Charge : Comparing Foreign
Policy Leadership and Entrepreneurship from the Senate Foreign Relations Committee
under William Fulbright et Jesse Helms ». Paper presented at the annual meeting of the
International Studies Association, Hilton Hawaiian Village, Honolulu, Hawaii, 5 mars
2005, 33 p.
Voir, par exemple, Linda Fowler et Brian Law, op. cit. ; James M. Lindsay, op. cit. ;
Christopher Deering, « Principle or Party ? Foreign and National Security Policymaking
in the Senate », in Colton C. Campbell et Nicol Rae (dir.), The Contentious Senate,
Lanham, Rowman and Littlefield, 2001, p. 43-64 ; et James McCormick, « Decision
Making in the Foreign Affairs and Foreign Relations Committees », in Randall B. Ripley
et James M. Lindsay (dir.), Congress Resurgent : Foreign and Defense Policy on Capitol
Hill, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1993, p. 115-153.
James M. Lindsay, op. cit., p. 55.
8
Les sénateurs qui changent le monde
indique qu’à chaque année entre 1984 et 1992, la CSRE a été incapable
de remplir l’un de ses rôles premiers : préparer et soumettre à l’assemblée
plénière du Sénat le projet de loi visant à déterminer le montant et la
nature de l’aide américaine offerte aux pays étrangers (foreign aid). Par
ailleurs, lorsque l’affaire Iran-Contra a éclaté en 1987, les leaders du Sénat
ont formé une commission spéciale chargée d’enquêter sur la question
au lieu de confier cette responsabilité à la CSRE. Lindsay rappelle aussi
que Claiborne Pell (démocrate – Rhode Island), président de la CSRE
entre 1987 et 1995, est resté relativement muet devant la décision du
président George Bush père d’intervenir militairement dans le golfe
Persique au début des années 199018. De l’avis de Linda Fowler et Brian
Law, la dynamique décrite par Lindsay se poursuivra à l’avenir. Selon
eux, les présidents de la CSRE « légendaires » ou de la trempe d’Arthur
Vandenberg sont maintenant rares et la commission n’est plus en mesure
d’infléchir les politiques de la Maison-Blanche, comme en témoigne le
cas de la guerre en Irak durant la présidence de George W. Bush19. En
lisant ces auteurs, on peut donc être porté à croire que la CSRE et son
président sont inertes et ne méritent pas de recevoir l’attention des chercheurs et des observateurs. Ce serait pourtant une erreur selon Daniel
Patrick Moynihan, qui, lorsqu’il était encore sénateur (démocrate – New
York), qualifiait de véritable « scandale » le fait que l’on s’intéresse si peu
à l’histoire du Congrès dans les universités20. James Lindsay semble
s’accorder avec Moynihan quand il écrit qu’il existe encore trop peu de
recherche systématique et empirique sur la prise de décision en politique
étrangère au Congrès21.
18. Lindsay développe plus longuement ses arguments aux pages 26-28 et 29-31 de Congress
and the Politics of U.S. Foreign Policy.
19. Linda Fowler et Brian Law, op. cit., p. 9-10.
20. Cité dans Robert David Johnson, Congress and the Cold War, Cambridge, Cambridge
University Press, 2006, p. xxii.
21. James M. Lindsay, « Congress and Foreign Policy : Why the Hill Matters », Political
Science Quarterly, vol. 107, no 4 (1992-1993), p. 608. Lindsay écrit la même chose dans
James Lindsay et Randall Ripley, « Foreign and Defense Policy in Congress : A Research
Agenda for the 1990s », Legislative Studies Quarterly, vol. 17, no 3 (août 1992), p. 418.
9
Introduction
Tableau 2
Les présidents de la CSRE depuis 1945
Président
Période
Tom Connally (démocrate – Texas)
1941-1947
Arthur Vandenberg (républicain – Michigan)
1947-1949
Tom Connally (démocrate – Texas)
1949-1953
Alexander Wiley (républicain – Wisconsin)
1953-1955
Walter F. George (démocrate – Georgie)
1955-1957
Theodore F. Green (démocrate – Rhode Island)
1957-1959
J. William Fulbright (démocrate – Arkansas)
1959-1975
John Sparkman (démocrate – Alabama)
1975-1979
Frank Church (démocrate – Idaho)
1979-1981
Charles H. Percy (républicain – Illinois)
1981-1985
Dick Lugar (républicain – Indiana)
1985-1987
Claiborne Pell (démocrate – Rhode Island)
1987-1995
Jesse Helms (républicain – Caroline du Nord)
1995-2001
Joe Biden (démocrate – Delaware)
2001-2003
Dick Lugar (républicain – Indiana)
2003-2007
Joe Biden (démocrate – Delaware)
2007-2009
John Kerry (démocrate – Massachusetts)
2009-2013
Robert Menendez (démocrate – New Jersey)
2013-
Ce livre a pour but de combler en partie ce vide. Il s’agit effectivement
de décrire et d’expliquer l’activité et l’influence du président de la CSRE
depuis 1945. À notre avis, les sceptiques brossent un portrait trop linéaire
et simpliste du bilan de ce décideur depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale. En effet, ils ont sans doute raison d’affirmer que Richard Lugar
(républicain – Indiana), président de la CSRE de janvier 2003 à janvier
2007, a adopté une attitude passive et accordé une grande marge de
manœuvre à George W. Bush dans le dossier de la lutte contre le terrorisme. Or, ils oublient que Jesse Helms, qui a précédé Lugar à la tête de
la CSRE, a été l’un des principaux artisans de la politique étrangère
américaine de son temps et qu’il a été beaucoup plus dynamique à la tête
de la CSRE que plusieurs de ses prédécesseurs, à commencer par
Claiborne Pell, président de la commission de 1987 à 1995. Décidé à
contrecarrer les projets du président Bill Clinton, Helms a, notamment,
10
Les sénateurs qui changent le monde
dominé le débat sur la réforme de l’Organisation des Nations unies
(ONU) et du département d’État. De la même manière, J. William
Fulbright a joué un rôle beaucoup plus déterminant à ce poste que
l’avaient fait certains de ses prédécesseurs, Theodore Green par exemple.
Ce livre a donc pour but de décrire et, surtout, d’expliquer ces
évolutions. Plus particulièrement, nous défendrons trois arguments.
1. D’abord, contrairement à ce qu’affirment les sceptiques, il est
simpliste d’affirmer que le président de la CSRE est devenu un
acteur de la politique étrangère américaine de plus en plus passif
et secondaire depuis 1945. À l’aide de données quantitatives
provenant du Congressional Quarterly Almanac, un annuaire
recensant les activités des membres du Congrès depuis 1945, ainsi
que des archives du New York Times et du Washington Post, nous
illustrerons que le dynamisme du président de la CSRE a fluctué
selon les périodes au lieu de chuter de manière inéluctable. Plus
particulièrement, nous illustrerons que les présidences d’Arthur
Vandenberg (1947-1949), J. William Fulbright (1959-1975) et
Jesse Helms (1995-2001) correspondent à des périodes de regain
d’activité du président de la CSRE. En effet, ces trois présidents
ont été particulièrement dynamiques à la tête de la commission,
multipliant les actions visant à influencer la politique étrangère
des États-Unis.
2. Ensuite, à l’aide d’un cadre théorique combinant les niveaux
d’analyse international, national et individuel, nous établirons
des parallèles entre les cas de Vandenberg, Fulbright et Helms en
illustrant qu’ils ont été particulièrement actifs à la tête de la CSRE
pour des raisons semblables. Si notre but n’est pas de développer
une théorie générale du comportement du président de la CSRE,
ce livre entend tout de même expliquer pourquoi Vandenberg,
Fulbright et Helms ont été si dynamiques. Ainsi, nous illustrerons
que trois types de facteurs ont incité Vandenberg, Fulbright et
Helms à tenter de s’imposer dans les débats de politique étrangère :
a) un enjeu critique de politique étrangère les a convaincus de la
nécessité de participer activement à la prise de décision (facteur
international) ; b) ils œuvraient dans un contexte politique et social
les encourageant à faire preuve de dynamisme (facteur national) ;
et c) ils avaient les intérêts, aptitudes et convictions nécessaires pour
Introduction
11
exercer un fort leadership au Congrès et dans leur relation avec
la Maison-Blanche (facteur individuel).
3. Enfin, après avoir décrit les principales actions entreprises par
Vandenberg, Fulbright et Helms pour tenter d’influencer la politique étrangère, nous nous inspirerons d’une approche relativement récente de la politique intérieure américaine, soit « l’étude
du développement politique américain » (American Political
Development ou APD), pour illustrer l’évolution des stratégies
d’influence du président de la CSRE depuis 1945. Ici, il s’agira
encore une fois de nuancer le propos des sceptiques, en démontrant qu’au lieu de devenir un acteur inerte le président de la
CSRE a constamment élargi l’éventail des outils lui permettant
d’influencer la politique étrangère. À ce titre, il s’agira d’illustrer
que les experts ont sous-estimé la capacité du président de la CSRE
à modeler les débats grâce à des outils non législatifs comme les
apparitions à la télévision, les rencontres informelles avec le président des États-Unis ou, comme nous le verrons en conclusion,
les sites Internet. Nos recherches démontrent, en outre, que des
sénateurs comme Fulbright et Helms ont fait preuve d’innovation
en imaginant de nouvelles stratégies d’influence qui se sont avérées
fort utiles pour infléchir les politiques de la Maison-Blanche.
Pour étayer notre propos, cet ouvrage est divisé en quatre chapitres.
Le premier permet de définir les principaux concepts, variables et approches utilisés aux fins de notre démonstration. Nous définissons tout
d’abord les concepts « d’activité » et de « stratégies d’influence » du président de la CSRE, qui permettent de bien saisir comment ce leader et des
sénateurs comme Vandenberg, Fulbright et Helms ont exercé leur rôle
et participé aux débats de politique étrangère. Ces concepts ainsi que des
données quantitatives tirées du Congressional Quarterly Almanac, du New
York Times et du Washington Post permettent d’ailleurs de justifier pourquoi nous choisissons, dans ce livre, de concentrer notre attention sur
les cas de Vandenberg, Fulbright et Helms. Ensuite, le premier chapitre
sert à définir les facteurs utiles pour expliquer pourquoi ces trois présidents
de la CSRE ont été particulièrement dynamiques. Ici, les notions « d’enjeu
critique de politique étrangère », de « contexte politique et social encourageant les sénateurs à agir » et « d’intérêts, d’aptitudes et de convictions
du président de la CSRE » retiennent notre attention et seront définis.
Enfin, nous décrivons brièvement ce qu’est l’étude du développement
12
Les sénateurs qui changent le monde
politique américain et expliquons en quoi elle est appropriée pour mettre
en lumière l’évolution des stratégies utilisées par le président de la CSRE
pour influencer la politique extérieure.
Les deuxième, troisième et quatrième chapitres s’intitulent respectivement « L’architecte bipartisan : Arthur Vandenberg et les débuts de la
guerre froide (1947-1949) », « Le dissident catalyseur : J. William
Fulbright et l’escalade au Viêtnam (1965-1969) » et « Le judoka partisan :
Jesse Helms et le monde de l’après-guerre froide (1995-2001) ». Chaque
chapitre est une étude de cas menée de telle sorte qu’elle puisse illustrer
la pertinence du cadre théorique exposé au chapitre un. Ainsi, nous
décrivons le contexte international dans lequel évolue le sénateur étudié,
les traits personnels qui l’incitent à s’imposer dans le débat sur la politique
étrangère ainsi que la nature du contexte politique et social correspondant
aux périodes étudiées. Chaque chapitre inclut, en outre, une section
décrivant les principaux gestes posés par le président de la CSRE en
question afin d’influencer l’action internationale des États-Unis. Nous
utilisons cette même section pour comparer les actions du président de
la CSRE dont il est question avec celles des autres sénateurs qui retiennent
notre attention, un exercice utile pour illustrer les continuités et les
changements entre les stratégies d’influence des sénateurs, ce qui est
essentiel pour décrire comment celles-ci se sont transformées depuis
1945. Dans la conclusion de l’ouvrage, nous terminons l’examen de
l’évolution des stratégies d’influence du président de la CSRE à l’aide du
cas d’une présidence plus récente, celle de Joe Biden (2007-2009). Nous
expliquons entre autres comment Biden a fait preuve d’innovation en
devenant le premier président de la CSRE a placer Internet au cœur de
sa stratégie d’influence.
CHAPITRE 1
Confondre les sceptiques
Expliquer l’activité et l’influence du président
de la Commission du Sénat sur les relations
extérieures
L
es études du rôle du président de la CSRE dans la formulation et la
conduite de la politique étrangère sont peu nombreuses dans la
littérature spécialisée. Lorsqu’ils abordent la question de l’influence du
président de la CSRE, les experts du Congrès sont la plupart du temps
sceptiques quant à la capacité de ce leader de s’imposer dans le débat sur
la politique étrangère. Dans un article phare sur l’état des recherches sur
le Congrès américain, James M. Lindsay et Randall Ripley affirment que
les universitaires ont encore beaucoup à faire pour élargir la connaissance
sur le rôle du pouvoir législatif en ce qui a trait à l’action internationale
des États-Unis1. Ils affirment, entre autres, que l’on en sait très peu à
propos des perceptions des Américains des responsabilités du Congrès
dans la conduite de la politique étrangère, des facteurs qui déterminent
la hiérarchisation des enjeux de politique extérieure au Congrès ou encore
de l’influence des groupes de pression sur la prise de décision des législateurs2. Lindsay et Ripley observent également que la recherche sur le
rôle des commissions permanentes du Congrès responsables de la politique étrangère est peu développée3. Leurs commentaires à propos de la
1.James M. Lindsay et Randall Ripley, op. cit., p. 418.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 426.
14
Les sénateurs qui changent le monde
CSRE portent toutefois à croire qu’ils ne jugent pas cette commission
importante et influente. Ils affirment ainsi que : « la Commission du Sénat
sur les forces armées a éclipsé la CSRE en termes de puissance et de
prestige au Congrès4 ».
Ce facteur de redistribution de la puissance entre les commissions
permanentes du Congrès est souvent cité par les sceptiques afin d’expliquer la perte d’influence de la CSRE et de son président après 19455.
Plusieurs autres facteurs servent généralement à appuyer cette thèse
décliniste, parmi lesquels :
• Les réformes de procédure législative de 1946 et de 1970. Ces
réformes auraient, selon les sceptiques, engendré une plus grande
répartition des tâches législatives entre les membres du Congrès,
faisant perdre au président de la CSRE sa puissance et son monopole d’antan, au profit d’autres leaders du Sénat, comme les leaders
de la majorité et de la minorité, qui sont les principaux stratèges
et porte-parole des deux grands partis au sein de cette chambre6 ;
• Le rôle central du président américain, qui s’est accru depuis la
fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment dans le domaine
des pouvoirs de guerre, aurait contribué au déclin de l’influence
du Congrès, de la CSRE et de son président sur la politique
étrangère ;
• La position de superpuissance des États-Unis dans le monde, qui
a poussé les dirigeants américains à accorder une plus grande
importance qu’auparavant aux moyens militaires, aurait occasionné la montée en puissance non seulement de la Commission
du Sénat sur les forces armées, principale responsable de ces
questions au Sénat, mais également d’autres commissions permanentes comme celle sur le Renseignement ;
• L’évolution des enjeux de politique étrangère aurait dépouillé la
CSRE de deux de ses principaux chevaux de bataille. En effet, la
CSRE a compétence sur les questions liées aux traités internationaux et à l’aide étrangère américaine, sauf que celles-ci occupent
4. Ibid., p. 427. À noter que toutes les citations anglaises incluses dans ce livre ont été
traduites par nous.
5. Voir, par exemple, James M. Lindsay, op. cit., p. 59 ; et James McCormick, op. cit., p. 144.
6. Sur ces réformes, lire Julian E. Zelizer, « Bridging State and Society : The Origins of
1970s Congressional Reform », Social Science History 24 (été 2000), p. 379-393.
1 – Confondre les sceptiques : expliquer l’activité et l’influence
du président de la Commission du Sénat sur les relations extérieures
15
moins d’importance qu’auparavant dans la grande stratégie américaine ;
• Le manque de leadership de certains présidents de la CSRE,
notamment Charles Percy, Claiborne Pell et Richard Lugar, aurait
nui à l’image et au prestige du président de la CSRE ;
• La multiplication des acteurs nationaux participant au débat sur
la politique étrangère aurait engendré une situation où le président
de la CSRE a eu de plus en plus de difficulté à capter l’attention
des Américains. Ces derniers sont, aujourd’hui, saturés d’information et tendent à percevoir le président de la CSRE comme un
acteur parmi tant d’autres dans le débat7.
À notre avis, les thèses des sceptiques sont convaincantes à plusieurs
égards et permettent d’en apprendre énormément sur l’évolution de
l’influence de la CSRE et de son président après 1945. Cependant, ce
livre vise à nuancer leur propos en mettant en lumière les principales
lacunes de leurs travaux.
1.1« Rien n’est parfait » : les faiblesses des thèses
des sceptiques
Plus particulièrement, deux faiblesses retiendront notre attention.
D’une part, nous jugeons que les sceptiques ne définissent pas toujours
bien le concept « d’influence » du président de la CSRE sur la politique
étrangère. D’autre part, ils n’offrent pas de méthode ou de guide précis
pour quantifier et mesurer cette influence.
1.1.1Première faiblesse : comment définir l’influence du
président de la CSRE ?
La première faiblesse des thèses des sceptiques est qu’elles n’incluent
pas toujours de définition claire et précise du concept « d’influence » du
président de la CSRE. Notion fortement utilisée dans l’étude de la politique américaine, l’influence peut être définie de plusieurs manières. Elle
7. Nous recensons ici les raisonnements développés par des auteurs comme Linda Fowler
et Brian Law, op. cit. ; James M. Lindsay, op. cit. ; Christopher Deering, op. cit. ; et James
McCormick, op. cit.
16
Les sénateurs qui changent le monde
peut autant signifier : a) la capacité d’un individu de persuader d’autres
individus de prendre des décisions qu’ils n’auraient pas prises ; b) le
pouvoir de déterminer les actions à entreprendre devant telle ou telle
situation ; ou c) l’autorité d’une personne sur un groupe d’individus dont
il fait partie8. Lorsque les spécialistes étudient l’influence du président
de la CSRE, leur premier réflexe est, bien entendu, de se pencher sur les
pouvoirs du Congrès selon la Constitution des États-Unis (décrits au
tableau 1) et d’évaluer comment des sénateurs comme Arthur Vandenberg
ou J. William Fulbright se sont appuyés sur ces pouvoirs pour laisser leur
empreinte sur la politique étrangère. Une telle conception de l’influence
permettrait donc, par exemple, d’affirmer que Vandenberg et Fulbright
ont influencé la politique étrangère chaque fois qu’ils ont présenté au
Sénat un projet de loi qui est devenu une loi fédérale américaine. Bien
qu’une telle conception de l’influence soit utile, elle n’est pas parfaite.
En effet, la Constitution des États-Unis et la liste des pouvoirs formels
du Congrès ne suffisent pas pour identifier l’intégralité des outils permettant au président de la CSRE d’influencer les débats sur la politique
étrangère. Par exemple, la Constitution ne dit rien à propos de la possibilité, pour le président de la CSRE, de multiplier les apparitions publiques ou médiatiques pour inciter les électeurs américains à implorer la
Maison-Blanche de modifier sa politique étrangère. Comme on le verra
dans les différentes études de cas contenues dans ce livre, ces outils dont
la Constitution ne fait pas mention ont pourtant permis à des sénateurs
comme Fulbright de s’imposer à Washington.
Dans la littérature sur le rôle du Congrès en politique étrangère,
plusieurs chercheurs reconnaissent la nécessité d’étudier ces outils9. C’est
8. Le lecteur notera que nous avons déjà discuté en ces termes de la manière de conceptualiser l’influence du Congrès dans Frédérick Gagnon, « Théories sur le rôle du Congrès »,
in Charles-Philippe David (dir.), Théories de la politique étrangère américaine : acteurs,
concepts et approches, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, p. 290-298.
9. James M. Scott, « In the Loop : Congressional Influence in American Foreign Policy »,
Journal of Political and Military Sociology, 25 (été 1997), p. 47-75 ; James M. Scott et
Ralph G. Carter, « Choosing the Road Less Traveled : A Theory of Foreign Policy
Entrepreneurship », Paper prepared for presentation at the Annual Meeting of the
International Studies Association, San Diego, California, March 21-25, 2006, 44 p. ;
Justin Vaïsse, « Le Congrès », in Charles-Philippe David, Louis Balthazar et Justin Vaïsse,
La politique étrangère des États-Unis : fondements, acteurs, formulation, p. 249-284 ; James
M. Lindsay et Randall Ripley, « How Congress Influences Foreign and Defense Policy »,
in James M. Lindsay et Randall Ripley (dir.), Congress Resurgent : Foreign and Defense
Policy on Capitol Hill, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1993, p. 17-35 ;
1 – Confondre les sceptiques : expliquer l’activité et l’influence
du président de la Commission du Sénat sur les relations extérieures
17
notamment le cas de Ralph Carter et James Scott qui, dans leur ouvrage
intitulé Choosing to Lead, rejettent l’idée de se concentrer uniquement
sur les pouvoirs « formels » du Congrès – surtout les lois qu’il adopte –
pour évaluer son influence sur l’action internationale des États-Unis.
Pour Carter et Scott, la littérature spécialisée ne met pas suffisamment
en lumière les autres moyens d’action et d’influence à la disposition des
législateurs10. Carter et Scott ne sont pas les seuls à noter l’importance
de tels moyens d’actions. En 1993, James M. Lindsay expliquait par
exemple que les membres du Congrès n’hésitent pas à prendre la parole
dans les médias ou à y aller de déclarations publiques grandiloquentes,
dans l’espoir d’influencer l’opinion publique11. Justin Vaïsse va sensiblement dans le même sens quand il décrit « l’influence indirecte » du
Congrès, soit la pression que les législateurs exercent parfois sur la MaisonBlanche grâce à leurs apparitions à la télévision ou dans les journaux12 ».
Dans cet ouvrage, il s’agit donc de prolonger la réflexion de tels
auteurs et de brosser un portrait le plus précis possible des moyens d’action et d’influence dont peut user le président de la CSRE. Nous inspirant des travaux de Carter et Scott, Lindsay et Vaïsse, nous ferons ainsi
la distinction entre l’influence législative et non législative des sénateurs
étudiés dans ce livre13.
L’influence législative
L’influence législative est celle que les sénateurs exercent sur la politique étrangère grâce aux projets de loi, projets de résolution et amendements qu’ils présentent au Sénat et grâce aux votes officiels qu’ils
expriment en assemblée plénière et au sein de la CSRE. Chaque année,
10.
11.
12.
13.
Ralph G. Carter et James M. Scott, Choosing to Lead ; et James M. Lindsay, « Influence »,
in Congress and the Politics of U.S. Foreign Policy, p. 140-160.
Ralph G. Carter et James M. Scott, Choosing to Lead, op. cit., p. 13.
James M. Lindsay, « Congress and Foreign Policy : Why the Hill Matters », p. 622-626.
Justin Vaïsse, op. cit., p. 253.
La définition des influences législative et non législative proposée ici est identique à celle
retrouvée dans Frédérick Gagnon, op. cit., p. 290-298. Nous nous inspirons des travaux
suivants pour définir l’influence législative et non législative : James M. Scott, « In the
Loop : Congressional Influence in American Foreign Policy » ; James M. Scott et Ralph
G. Carter, « Choosing the Road Less Traveled » ; Ralph G. Carter et James M. Scott,
Choosing to Lead ; James M. Lindsay et Randall Ripley, « How Congress Influences
Foreign and Defense Policy » ; James M. Lindsay, « Influence » ; et Justin Vaïsse, « Le
Congrès ».
18
Les sénateurs qui changent le monde
le président de la CSRE est appelé à voter sur diverses questions relatives
à la politique extérieure. Parfois, le président des États-Unis demande au
Sénat de ratifier un traité international ou d’adopter une augmentation
du budget militaire. À d’autres moments, la Maison-Blanche souhaite
que le Sénat approuve des nominations à des postes cruciaux pour la
conduite de la politique étrangère (ambassadeurs, secrétaire d’État,
secrétaire à la Défense, etc.). En votant pour ou contre tel ou tel projet
de loi, traité ou nomination, le président de la CSRE et ses collègues du
Sénat se donnent l’opportunité d’orienter concrètement l’action internationale des États-Unis. De la même manière, le président de la CSRE
et ses collègues n’hésitent parfois pas à présenter au Sénat des projets de
loi qui, une fois adoptés par les deux chambres du Congrès, deviennent
des lois fédérales américaines auxquelles le président et son équipe doivent
se conformer, et ce, parfois contre leur gré. Dans ses travaux, Justin Vaïsse
donne l’exemple des lois Helms-Burton (qui sera discutée dans ce livre)
et D’Amato-Kennedy pour illustrer ce fait. Adoptées par le Congrès en
1996, ces lois, qui visaient à imposer des sanctions à Cuba, à l’Iran et à
la Lybie, ont été promues par les républicains du Congrès et sont entrées
en vigueur malgré les réserves du président Bill Clinton14. Comme l’indiquent Lindsay et Ripley, une publication intitulée Legislation on Foreign
Relations (LFR), qui recence toutes les lois du Congrès dans le domaine
de la politique étrangère, illustre que les législateurs ont fortement recouru
à l’influence législative depuis 1945. En effet, alors que l’édition de 1960
de cette publication comptait à peine 519 pages, celle de 1990 en totalisait dix fois plus !15
L’influence non législative
L’influence non législative recoupe tous les autres moyens d’action
dont use le président de la CSRE pour laisser son empreinte sur la politique étrangère. Comme on le verra dans cet ouvrage, les stratégies
d’influence non législative du président de la CSRE sont fort variées,
mais visent généralement le même but : créer un climat favorable à
l’adoption, au Congrès, de lois, résolutions ou amendements chers aux
yeux du président de la CSRE. À ce titre, les stratégies d’influence non
législative servent surtout à définir les termes du débat, influencer l’opi14. Justin Vaïsse, op. cit., p. 264.
15. James Lindsay et Randall Ripley, « How Congress Influences Foreign and Defense Policy »,
p. 22.
1 – Confondre les sceptiques : expliquer l’activité et l’influence
du président de la Commission du Sénat sur les relations extérieures
19
nion publique ou encore convaincre les autres acteurs du système politique américain (président des États-Unis, collègues du Congrès, etc.)
de prendre telle ou telle décision. Le président de la CSRE entreprend
diverses actions pour y arriver : publication d’ouvrages ou de textes
d’opinion dans les grands quotidiens, apparitions à la télévision ou à la
radio, rencontres personnelles avec le président des États-Unis et ses
conseillers, conférences publiques ou conférences de presse, organisation
d’audiences publiques et de débats au sein de la CSRE, voyages à l’étranger
pour attirer l’attention sur une région ou un enjeu, etc. Les actions non
législatives du président de la CSRE ont rarement des répercussions aussi
directes et concrètes sur la politique étrangère qu’une loi dûment adoptée
au Congrès. Par exemple, il n’est pas rare que les sénateurs critiquent la
Maison-Blanche dans leurs apparitions publiques ou médiatiques sans
que leurs doléances influencent concrètement le président des États-Unis.
Or, nous illustrerons dans ce livre que les actions non législatives sont
essentielles pour créer les conditions propices à l’exercice de l’influence
législative. En effet, les audiences publiques à la CSRE, apparitions
publiques ou rencontres informelles avec le président des États-Unis
permettent souvent au président de la CSRE de rallier les autres acteurs
à sa cause avant même qu’une loi ait formellement fait l’objet de débats
au Congrès. Le graphique 1 illustre cette relation entre l’influence non
législative et l’influence législative. On y voit que l’influence législative
permet en principe de créer un climat favorable à l’adoption de lois chères
aux yeux du président de la CSRE. Dans la phrase précédente, nous
mettons l’accent sur l’expression « en principe », car les études de cas de
Vandenberg, Fulbright et Helms illustreront qu’il est parfois difficile pour
le président de la CSRE de convaincre le Congrès et le président des
États-Unis d’accepter les lois qu’il propose.
20
Les sénateurs qui changent le monde
Graphique 1
Les deux types d’influence des membres du Congrès
1- INFLUENCE NON
LÉGISLATIVE
- Audiences publiques
- Apparitions médiatiques
- Rencontres avec le président
- Lettres au président
- Publications (livres, articles
de journaux ou de revues)
Climat favorable à
l’influence législative
Opinion publique,
membres du Congrès,
pouvoir exécutif se
rallient aux idées du
législateur
2- INFLUENCE
LÉGISLATIVE
Vote et adoption de lois,
amendements, traités ou
résolutions qui engendrent
un changement concret
de la politique étrangère
Cette conceptualisation s’inspire de celle de Ralph G. Carter et James M. Scott, Choosing to Lead :
Understanding Congressional Foreign Policy Entrepreneurs, p. 14. À noter que nous avons déjà utilisé ce
graphique dans Frédérick Gagnon, « Théories sur le rôle du Congrès », p. 298. Nous le reproduisons ici
avec la permission des éditeurs.
Les cas de Vandenberg, Fulbright et Helms permettront également
d’illustrer la diversité des actions entreprises par le président de la CSRE
pour influencer la politique étrangère du pays depuis 1945. Le chapitre
II décrira, entre autres, les efforts fructueux de Vandenberg pour
convaincre les démocrates et les républicains au Congrès d’appuyer les
décisions de Truman visant à prévenir la « contagion » communiste en
Grèce, en Turquie et en Europe. On verra aussi combien Fulbright a
tenté d’influencer l’opinion publique et ses collègues du Congrès grâce
aux audiences publiques qu’il a organisées pour débattre de la guerre du
Viêtnam, et comment Helms a réussi à donner une orientation unilatéraliste et souverainiste à la politique étrangère américaine en menant le
débat sur le bouclier antimissile et en promouvant des projets de loi visant
à punir les États voyous (rogue states).
Grâce à ces comparaisons, nous serons en mesure d’atteindre l’un
des principaux objectifs de cet ouvrage, qui est de démontrer que les
moyens utilisés par le président de la CSRE pour influencer la politique
étrangère se sont grandement transformés depuis 1945. Les cas étudiés
démontrent notamment que Helms a disposé d’une plus grande panoplie
de moyens non législatifs que Vandenberg et Fulbright pour atteindre
ses objectifs. Pour sa part, Fulbright disposait déjà d’un avantage par
rapport à Vandenberg : il lui était possible de multiplier les apparitions
télévisuelles pour influencer l’opinion publique et les positions des élites
de la société (intellectuels, anciens décideurs, journalistes, professeurs
d’université, etc.). La télévision a, à partir des années 1960, occupé un
1 – Confondre les sceptiques : expliquer l’activité et l’influence
du président de la Commission du Sénat sur les relations extérieures
21
rôle de plus en plus grand dans la stratégie politique du président de la
CSRE. Ainsi, comme on le notera en conclusion, Joe Biden n’hésite pas,
après 2007, à participer aux grandes émissions d’affaires politiques,
comme The Situation Room sur CNN, Meet the Press sur MSNBC et
Charlie Rose sur PBS, et à proposer des solutions de rechange à la politique
de George W. Bush. Toujours en conclusion, nous verrons également
que Biden s’est appuyé sur Internet – et notamment sur des sites de
réseautage comme Myspace et Facebook – pour rejoindre les Américains
et diffuser ses idées alors que Fulbright et Vandenberg ne pouvaient pas
compter sur ces nouveaux outils techniques.
Les sceptiques dont nous avons parlé précédemment limitent souvent
leurs observations à l’influence législative quand ils affirment que l’influence du président de la CSRE sur la politique étrangère a diminué.
Ce livre propose donc un éclairage nouveau, puisqu’il s’agit de mettre
l’accent sur le fait que l’influence du président s’est davantage transformée
qu’elle a décliné. En effet, le président de la CSRE a innové et a élaboré
de nouveaux instruments lui donnant la possibilité de s’imposer dans les
débats.
1.1.2 Deuxième faiblesse : comment mesurer l’influence du
président de la CSRE ? Cet ouvrage vise à combler une deuxième lacune des thèses des
sceptiques : l’absence, dans cette littérature, de guide et d’indicateurs
quantitatifs précis permettant d’évaluer et de comparer l’influence des
présidents de la CSRE depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. À
cet égard, des sceptiques comme Lindsay ou McCormick affirment certes
que la CSRE a connu un déclin et citent plusieurs exemples ou anecdotes
pour démontrer que les présidents de la CSRE contemporains ont moins
d’influence que Vandenberg en avait de 1947 à 1949. Or, aucun sceptique
ne s’attèle vraiment à la tâche de mesurer et de quantifier le bilan des
sénateurs ayant occupé ce poste.
C’est ce que nous proposons de faire dans cet ouvrage, en développant
deux indicateurs qui n’ont pas encore été utilisés pour étudier le président
de la CSRE. D’une part, nous inspirant des travaux de Carter et Scott,
nous estimons qu’un bon moyen de brosser un portrait exhaustif des
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