Dossier La grossesse : un défi pour la thyroïde Jean-Louis Schlienger, Florina Luca, Fabienne Grunenberger, Bernard Goichot Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Service de médecine interne, d’endocrinologie et de nutrition, hôpital de Hautepierre, avenue Molière, BP 83049, 67098 Strasbourg cedex, France <[email protected]> La grossesse a un impact notable sur l’homéostasie thyroïdienne en ce qu’elle accroît les besoins en hormones thyroïdiennes. Des apports iodés suffisants sont nécessaires pour maintenir un équilibre thyroïdien indispensable au développement fœtal. La grossesse révèle volontiers des dysfonctionnements hormonaux frustes et favorise la croissance d’un goitre. Un dépistage ciblé de l’hypothyroïdie apparaît souhaitable pour optimiser le déroulement de la grossesse. L’hyperthyroïdie, moins commune en dehors de l’hyperthyroïdie gravidique transitoire, relève d’une prise en charge spécialisée. L’hyperthyroïdie fœtale qui est la conséquence du passage transplacentaire des anticorps antirécepteurs de la TSH est à rechercher en cas de maladie de Basedow active ou ancienne. Le développement d’un goitre, fréquent dans les régions de subcarence iodée, est partiellement prévenu par une supplémentation iodée. La vigilance thyroïdienne qui est de mise tout au long de la grossesse l’est également durant la phase préconceptionnelle et durant le post-partum, période durant laquelle peut survenir une thyroïdite auto-immune. Mots clés : grossesse, dysthyroïdie, hypothyroïdie fruste, goitre L Tirés à part : J.-L. Schlienger 210 mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010 sous réserve d’une fonction correcte et d’un apport iodé suffisant. En ce sens, la grossesse constitue un véritable défi pour la thyroïde. La pathologie thyroïdienne et sa prise en charge thérapeutique imposent de déjouer certains pièges diagnostiques et d’élaborer une stratégie de dépistage et de prise en charge adaptée. Régulation de la fonction thyroïdienne durant la grossesse Plusieurs phénomènes survenant tout au long de la grossesse sont à même de modifier l’homéostasie thyroïdienne (figure 1) [1] : – l’augmentation de la concentration des estrogènes qui survient au début de la grossesse entraîne une élévation importante des taux de thyroxin binding globulin (TBG), l’une des protéines vectrices majeures de la thyroxine, qui atteint son maximum à mi-parcours doi: 10.1684/met.2010.0239 mt a grossesse est une période critique pour la fonction thyroïdienne de la mère. Les modifications physiologiques survenant au cours de la grossesse nécessitent une adaptation fonctionnelle dans le but de maintenir l’homéostasie thyroïdienne indispensable au développement du fœtus. Par défaut, elles peuvent démasquer un dysfonctionnement thyroïdien plus ou moins latent. L’exploration de la fonction thyroïdienne au cours de la grossesse peut poser problème en raison des variations des hormones thyroïdiennes liées aux interférences avec l’hCG, à l’hémodilution, aux modifications des protéines vectrices induites par l’hyperestrogénie et au métabolisme périphérique hormonal. Enfin, l’allocation iodée qui dépend de l’aire géographique de vie et de l’alimentation est un autre facteur de variation. Globalement, la grossesse se caractérise par une augmentation des besoins en hormone thyroïdienne couverts grâce à une production majorée satisfaite TBG par Action thyréostimulante Hyperœstrogénémie d’hCG Désiodation placentaire de T2 TSH Transitoire de T4L Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. TSH Stimulation thyroïdienne maternelle Hypertrophie thyroïdienne Clairance iodée Besoins iodés Figure 1. Fonction thyroïdienne durant la grossesse. de la grossesse et se maintient en plateau jusqu’au terme. Il en résulte une diminution transitoire de la fraction libre des hormones libres et une discrète augmentation adaptation de la TSH plasmatique qui reste cependant dans les limites de la normale [2] ; – l’augmentation précoce du débit rénal et de la filtration glomérulaire accroît l’iodurie et, en conséquence, les besoins iodés journaliers de 150 à 200 µg/j. Dans les régions dont l’apport iodé est limité, comme dans les régions non côtières d’Europe occidentale, il peut en résulter une insuffisance de production hormonale avec une augmentation adaptative de la TSH, condition favorisant l’hyperplasie thyroïdienne et le développement d’un goitre [3]. – à la fin du premier trimestre de la grossesse, s’installe de façon transitoire un profil hormonal singulier marqué par une discrète élévation de la T4L et une suppression partielle de la TSH en rapport avec une forte élévation de l’hormone gonadotrophinique placentaire (hCG) dont la sécrétion est maximale à cette période. En effet, une homologie structurale entre les sous-unités de l’hCG et de la TSH confère un faible effet thyréostimulant à l’hCG dont l’impact biologique sous la forme d’une élévation transitoire de T4L est tangible chez moins de 20 % des femmes enceintes, mais dont l’impact clinique sous la forme d’une hyperthyroïdie gravidique transitoire est beaucoup plus rare [4]. – le placenta équipé d’une 3-iodothyronine-désiodase intervient dans les métabolismes périphériques des hormones thyroïdiennes durant la seconde moitié de la grossesse. Le profil hormonal évolue tout au long de la grossesse dans des limites qui restent habituellement dans la zone de l’intervalle de confiance. La discrète élévation de la TSH au début de la grossesse est suivie d’une diminution parfois marquée à la fin du premier trimestre et est synchrone d’une élévation significative de la T3L. Par la suite, l’augmentation de la TBG, attribuée à la fois à une production majorée sous l’effet des estrogènes et à une diminution de la clairance, détermine une élévation de la T4 totale et, partant, de son niveau de production. En revanche, la T4L tend à diminuer en fin de grossesse du fait, entre autres, de l’augmentation du volume plasmatique, alors que la TSH reste normale. Certaines trousses de dosage de la T4L accentuent ce trait avec des valeurs de T4L pouvant être situées dans la zone de l’hypothyroïdie, d’où l’importance de définir des valeurs normales de référence pour chaque trousse de dosage en fin de grossesse [5]. L’ensemble des paramètres hormonaux et du métabolisme thyroïdien sont normalisés environ quatre semaines après l’accouchement. L’allaitement constitue une cause de déperdition iodée qui peut, dans les situations limites, ne pas être sans conséquence sur la fonction thyroïdienne. Homéostasie thyroïdienne maternelle : prérequis pour le développement fœtal Au début de la grossesse, la mère assure totalement les besoins hormonaux du fœtus via le placenta. Le liquide amniotique contient de la T4 dès la quatrième semaine, alors que la thyroïde fœtale ne devient progressivement fonctionnelle qu’au-delà de la 10e semaine et n’est capable de produire de la T4 qu’après la 14e semaine de gestation. C’est dire l’importance de l’apport hormonal maternel, puisque les hormones thyroïdiennes sont indispensables au développement neurocérébral du fœtus. Au premier et au deuxième trimestres, elles contrôlent la migration et l’organisation structurelle des neurones. Ce n’est qu’au troisième trimestre que la production hormonale fœtale contribue de façon prépondérante à la multiplication des cellules gliales et à la myélinisation. La faible capacité de liaison du sang fœtal pour les hormones thyroïdiennes optimise l’action tissulaire de la T4L fœtale [6]. Iode : substrat essentiel L’iode est un substrat majeur pour la synthèse des hormones thyroïdiennes. L’augmentation des besoins au cours de la grossesse, due à l’augmentation de la clairance iodée et de la production hormonale, expose à un risque de déplétion des réserves iodées avec l’installation d’une subcarence iodée tout au long de la grossesse. Estimé par la mesure de l’iodurie, le statut iodé serait déficitaire chez 75 % des femmes enceintes dans nos régions [7]. Les répercussions de la subcarence iodée sont difficiles à établir avec certitude. Elles pourraient être responsables d’une hypothyroxinémie relative à l’origine d’une stimulation thyroïdienne par rétrocontrôle de la TSH, mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010 211 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Dossier 212 ce qui favorise la goitrigenèse chez la mère et le fœtus. Par ailleurs, toute anomalie de la disponibilité hormonale, telle que l’hypothyroxinémie peut entraîner des lésions irréversibles du développement cérébral fœtal. Le crétinisme, qui en est la forme la plus accomplie, peut être prévenu par une supplémentation iodée intervenant avant la fin du deuxième trimestre de la grossesse. Des déficits neuro-intellectuels de révélation parfois tardive, attribués à un déficit iodé, ont été rapportés dans des régions de l’Europe du Sud où le déficit iodé était modéré. D’une façon générale, toute hypothyroxinémie, quelle qu’en soit la cause (notamment l’auto-immunité thyroïdienne maternelle) mais survenant à un stade crucial du développement neurologique fœtal, peut avoir des répercussions délétères sur le quotient intellectuel (QI) et les capacités scolaires des enfants [8]. Ces considérations ont conduit à encourager une supplémentation iodée précoce chez toute femme enceinte, l’allocation iodée souhaitable de 200 à 250 µg/j étant rarement atteinte en France. Prévalence des affections thyroïdiennes au cours de la grossesse L’estimation de la prévalence des dysthyroïdies dépend pour une bonne part de l’intervalle de référence de la TSH. Si le seuil inférieur de la TSH permettant le diagnostic de l’hyperthyroïdie ne pose guère de problème (< 0,4 mU/L), il n’en est pas de même pour le seuil supérieur qui reste discuté. Fixé à 2,5 mU/L par la National Academy of Clinical Biochemistry, à partir des mesures effectuées dans la population témoin sélectionnée selon des critères rigoureux (absence de tout antécédent thyroïdien, de tout traitement, de toute auto-immunité thyroïdienne et de goitre à l’échographie), il est plus proche de 4 mU/L dans d’autres populations. De la fixation de ce seuil, dépend la prévalence de l’hypothyroïdie fruste (caractérisée par une TSH isolément élevée) [9]. La prévalence de l’hyperthyroïdie est faible chez la femme enceinte, de l’ordre de 0,2 %. Il s’agit d’une maladie de Basedow inaugurale ou récidivante ou, plus rarement, d’une thyrotoxicose gravidique transitoire (TGT) à la fin du premier trimestre, secondaire à l’effet thyréostimulant de l’hCG. La prévalence de l’hypothyroïdie dépasse 2 % dans la plupart des études, avec une forte prépondérance de l’hypothyroïdie fruste [10]. Elle est la conséquence d’un apport iodé insuffisant ou, plus souvent, d’une thyroïdite auto-immune marquée par la présence d’un titre élevé d’anticorps antithyroperoxydase (TPO). La prévalence de l’hypothyroïdie fruste est particulièrement élevée chez les femmes enceintes atteintes d’un diabète de type I, puisque la TSH est supérieure 4,0 mUI/L chez plus du quart d’entre elles [11]. Hypothyroïdie au cours de la grossesse Hypothyroïdie fruste La définition de l’hypothyroïdie fruste dépend de la valeur supérieure de l’intervalle de référence de la TSH retenu. La distinction entre le normal et le pathologique s’avère particulièrement difficile dans ce domaine sensible dans la mesure où il n’est pas démontré qu’un taux de TSH, compris entre 2,5 et 4,5 mU/L, est associé à une modification du pronostic fœtomaternel. L’hypothèse qu’un dysfonctionnement thyroïdien infraclinique, éventuellement associé à une anomalie de l’auto-immunité thyroïdienne, a conduit certains à préconiser une substitution pour une TSH supérieure à 2,5 mU/L ou en cas d’anti-TPO élevés [12], nonobstant le risque d’induire une thyrotoxicose iatrogène. Les répercussions de l’hypothyroïdie fruste sur la mère et l’enfant sont difficiles à établir avec certitude d’autant que les études disponibles ne font pas toujours la part de l’auto-immunité, de l’hypothyroxémie maternelle isolée et d’une authentique élévation de la TSH. Les répercussions obstétricales ont principalement été évaluées chez des femmes enceintes hypothyroïdiennes insuffisamment substituées. Dans une cohorte de plus de 9 400 femmes, un taux de TSH supérieur à 6 mU/L est constaté au deuxième trimestre de la grossesse et associé à une augmentation de la mortalité fœtale (3,8 vs. 0,9 %) [13]. Dans une autre étude portant sur plus de 17 000 femmes explorées avant la 20e semaine de gestation, un taux de TSH supérieur à 5 mU/L (97,5e percentile) est associé à une augmentation de l’incidence de décollement du placenta, de prématurité avant la 24e semaine et de naissance avant terme [14]. Dans une autre étude prospective plus ancienne, l’incidence de l’hypertension gravidique, de la prééclampsie et de l’éclampsie était plus élevée en cas d’hypothyroïdie fruste (15 vs. 7,6 %) [15]. Le retentissement de l’enfant a été évalué dans une étude prospective [13] qui a montré que les nouveaunés de mères en hypothyroïdie fruste étaient plus souvent admis en unités de soins intensifs sans surmortalité significative. Les répercussions à distance sont encore mal évaluées. Dans une série comportant davantage d’hypothyroïdies avérées que d’hypothyroïdies frustes, les enfants de mères ayant une TSH supérieure au 98e percentile au deuxième trimestre de la grossesse (TSH moyenne = 13,2 ± 0,3 mUI/L) avaient une diminution du QI de sept points entre l’âge de sept à neuf ans par rapport aux enfants nés de mères témoins appariées sur l’âge [16]. Paradoxalement, la présence d’un titre élevé d’antiTPO ou d’une hypothyroxinémie maternelle isolée semble avoir des répercussions mieux établies que l’hypothyroïdie fruste. Les enfants nés de mères euthyroïdiennes ayant des anti-TPO en fin de grossesse ont une diminution significative d’un score de cognitivité par rapport aux enfants dont les mères n’avaient pas d’anti-TPO [16, 17]. De même, mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. l’hypothyroxinémie maternelle isolée (T4L < 10e percentile) [TSH entre 0,15 et 2,0 mU/L] est associée à un discret retard du développement psychomoteur (Pop). Divers arguments suggèrent que l’auto-immunité thyroïdienne pourrait jouer un rôle intrinsèque sur l’évolution de la grossesse. Une méta-analyse confirme l’existence d’une relation entre l’auto-immunité thyroïdienne et les avortements spontanés avec un odds ratio de 2,73 [18], alors que l’augmentation du taux d’avortement n’est corrélée ni aux concentrations des hormones thyroïdiennes ni à la TSH. Hypothyroïdie fruste Bien que la littérature ne propose pas de définition précise et univoque de l’hypothyroïdie fruste chez la femme enceinte, il paraît acquis que cette affection a des répercussions possibles chez la mère et l’enfant, à tel point que beaucoup militent pour un dépistage systématique par un dosage de la TSH et des anti-TPO entre la 12e et la 20e semaine d’aménorrhée. D’autres ne partagent pas cette attitude (recommandation du Collège américain des gynécologues obstétriciens, Preventive Task Force nord-américaine) [19, 20]. Un dépistage ciblé paraît préférable chez les femmes ayant des antécédents thyroïdiens familiaux ou personnels, un diabète de type I ou d’autres affections auto-immunes d’organe, un goitre, des anti-TPO ou une notion d’irradiation cervicale ou, bien sûr, des signes d’appels évocateurs de dysthyroïdie. C’est l’attitude préconisée par les recommandations de la HAS [21]. Quant à l’attitude thérapeutique, elle est dictée par la prudence : un traitement substitutif est indiqué aussitôt pour toute TSH confirmée supérieure à 4 mUI/L. Une surveillance régulière de la TSH et une détermination des anti-TPO sont indiquées si la TSH est supérieure à 3 mU/L [22, 23]. Hypothyroïdie patente L’hypothyroïdie avérée définie par une TSH élevée et une T4L abaissée diminue la fertilité et a des conséquences délétères en cas de grossesse. Elle majore la fréquence de l’hypertension gravidique, de l’anémie, de la prééclampsie, de l’insuffisance cardiaque et des fausses couches. Chez l’enfant, il existe un poids de naissance insuffisant, une surmortalité fœtale, un risque accru de prématurité et des anomalies du développement cérébral. Thyroïdite du post-partum La thyroïdite du post-partum est une forme clinique silencieuse de thyroïdite auto-immune se manifestant par la survenue d’une hypothyroïdie habituellement paucisymptomatique trois à quatre mois après l’accouchement. D’une incidence de 2 à 5 %, elle est favorisée par le tabagisme, des apports iodés insuffisants, la coexistence d’une autre affection auto-immune d’organe et la présence d’anti-TPO au début de la grossesse. Transitoire, due à la flambée auto-immune du post-partum, elle récidive habituellement lors des grossesses ultérieures cependant que le risque d’hypothyroïdie définitive augmente avec le nombre de grossesses. Des signes cliniques atypiques, une élévation de la TSH et des anti-TPO avec ou sans diminution de la T4L et un aspect hypoéchogène de la thyroïde permettent de poser le diagnostic. Un traitement hormonal substitutif n’est préconisé que dans les formes symptomatiques [24]. Hyperthyroïdie La TGT est la plus fréquente des causes de thyrotoxicose. Directement imputable à la grossesse, elle survient à la fin du premier trimestre et est synchrone d’une élévation particulièrement marquée et prolongée de l’hCG. Elle doit être évoquée devant toute symptomatologie de thyrotoxicose (amaigrissement, asthénie, tachycardie) à ce stade de la grossesse, surtout s’il existe des vomissements incoercibles. Les risques cliniques sont spontanément résolutifs durant le deuxième trimestre. Le bilan hormonal révèle une TSH effondrée, avec une élévation modérée de T4L et une T3L habituellement normale. L’exploration de l’auto-immunité thyroïdienne s’avère normale. Cette forme de thyrotoxicose hCG-dépendante est presque toujours sporadique, mais peut se répéter au fil des grossesses [25]. D’exceptionnelles formes familiales, liées à une mutation du récepteur de la TSH avec sensibilité majorée à l’effet thyréostimulant de l’hCG, ont été rapportées. Le traitement se limite à l’administration de bêtabloqueurs, l’emploi des antithyroïdiens de synthèse (ATS) étant réservé aux formes sévères et persistantes [26]. Le pronostic obstétrical n’est pas affecté par la TGT. L’hyperthyroïdie autonome (maladie de Basedow) est l’autre cause d’hyperthyroïdie à envisager lors d’une grossesse. Il s’agit soit d’une forme inaugurale, soit plus souvent de la récidive d’une maladie de Basedow dont le traitement médical a été interrompu il y a quelques mois ou années ou, même, dans le but d’une grossesse programmée. Le début de la grossesse tout comme la période du post-partum sont des circonstances favorisant l’activité auto-immune [27]. En revanche, la suppression partielle de l’activité immunologique propre à la grossesse après le premier trimestre rend peu probable la survenue d’une maladie de Basedow au deuxième ou au troisième trimestre. Les manifestations cliniques sont d’intensité variable. Il ne semble pas que la grossesse influe sur l’incidence de l’ophtalmopathie. Souvent, mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010 213 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Dossier 214 la symptomatologie est discrète et peut passer inaperçue. Les signes d’hypermétabolisme ou de sympathicotonie sont parfois attribués à la grossesse [28]. Le diagnostic peut être suspecté en raison d’antécédents personnels ou familiaux de maladie de Basedow et la notion d’une auto-immunité thyroïdienne qui imposent une vigilance hormonale. L’absence de prise de poids en dépit d’un appétit conservé, les troubles de l’humeur, la thermophobie et l’hypersudation, la tachycardie, la présence d’un goitre vasculaire et les vomissements incoercibles sont les principaux signes d’appel. Le diagnostic est confirmé par la coexistence d’une TSH effondrée, d’une T4L augmentée et d’un titre élevé d’anticorps antirécepteurs de la TSH (Ac-rTSH). Méconnue ou insuffisamment traitée, l’hyperthyroïdie est assortie de complications maternelles, obstétricales et fœtales. Dans une analyse rétrospective, l’hyperthyroïdie mal contrôlée majore le risque d’hypotrophie fœtale d’un facteur 9, la prématurité d’un facteur 16 et l’éclampsie d’un facteur 5 [29]. Il existe également un risque non négligeable d’insuffisance cardiaque chez la mère. La survenue d’une hyperthyroïdie fœtale et/ou néonatale qui est la conséquence du passage transplacentaire des anti-rTSH de la mère est indépendante du contrôle de la thyrotoxicose chez la mère. Il ne semble pas que l’hyperthyroïdie soit associée à une plus grande fréquence de malformations congénitales. Cette forme d’hyperthyroïdie n’est pas transitoire, même si les symptômes tendent à s’améliorer spontanément vers la fin de la grossesse, du fait d’une relative immunotolérance dont témoigne la diminution des Ac-rTSH, autorisant même dans certains cas l’arrêt du traitement. Le traitement par les ATS a pour but d’améliorer la qualité de vie et de prévenir les complications. Il est nécessaire dans toute hyperthyroïdie modérée ou sévère mais est conduit selon une procédure différente chez la femme enceinte. Le traitement combiné associant ATS et lévothyroxine, maintenu pendant 18 mois pour éviter l’hypothyroïdie tout en bloquant la production hormonale, n’est pas de mise. Ici, il convient d’utiliser la plus faible dose possible, voire d’interrompre le traitement, ce qui est souvent possible à partir du troisième trimestre, selon le principe de la dose nécessaire et suffisante, adaptée aux résultats des contrôles hormonaux répétés [30]. A priori, tous les ATS peuvent être utilisés, mais il existe encore une controverse quant à leurs effets sur le fœtus. À efficacité comparable, le propylthio-uracile (PTU) est traditionnellement préféré au méthimazole ou à son précurseur le carbimazole (CMZ) non pas tant en raison de différences de passage transplacentaire – qui ont été surestimées – qu’en raison d’un doute quant aux effets malformatifs du CMZ. L’emploi de ce dernier semble associé avec une plus grande fréquence d’aplasie cutis, d’atrésie des choanes, de fistules œsophagotrachéales et d’anomalies de la face sans que la preuve de causalité n’ait pu être formellement apportée [31]. L’échec du traitement médical peut être une indication de traitement chirurgical par thyroïdectomie subtotale effectuée idéalement avant la fin du deuxième trimestre. L’utilisation des ATS au cours de l’allaitement est un autre sujet de controverse. Elle peut être nécessaire en cas d’hyperthyroïdie persistante ou de récidive. Le passage dans le lait du PTU serait moindre que celui du CMZ en raison d’une plus forte liaison aux protéines sériques. En pratique, il apparaît que le CMZ à la dose de 20 mg/j ou le PTU à la dose de 600 à 750 mg/j ne sont associés ni à des modifications significatives de la fonction thyroïdienne chez l’enfant, ni à des anomalies du développement psychomoteur, mais les études portent sur des séries limitées. Néanmoins, il est admis que l’allaitement est compatible avec la poursuite d’un traitement par ATS conduit selon le principe de la plus faible dose possible [31]. Hyperthyroïdie fœtale Les autoanticorps sont des immunoglobulines qui franchissent la barrière placentaire, elles sont présentes dans le sang du cordon et disparaissent chez le nouveau-né que deux à trois mois après la naissance. Les anti-TPO et antithyroglobulines (TG), qui sont présents chez près de 10 % des femmes enceintes, diminuent au cours des deuxième et troisième trimestres de la grossesse, avec un rebond possible lors du post-partum. Marqueurs possibles d’une thyroïdite auto-immune, leur présence à un titre élevé semble associée à un sur-risque de fausse-couche, mais ils n’ont pas d’effets pathogènes intrinsèques. En revanche, les Ac-rTSH présents chez la mère à titre élevé peuvent induire une hyperthyroïdie fœtale de la 20e semaine de grossesse et/ou une hyperthyroïdie néonatale transitoire jusqu’à élimination des globulines maternelles, car ils sont pathogènes. Une concentration élevée (au moins cinq fois la normale) expose au risque d’hyperthyroïdie fœtale quel que soit le statut thyroïdien de la mère : élévation résiduelle d’une maladie de Basedow antérieure, hyperthyroïdie contrôlée par les ATS ou rémission spontanée de fin de grossesse. En pratique, le dosage des Ac-rTSH doit être réalisé au premier et troisième trimestre de la grossesse chez toutes les femmes enceintes ayant eu ou ayant une maladie de Basedow [32]. En cas d’élévation, une échographie fœtale recherchera un goitre fœtal ou un ralentissement de la croissance fœtale. Le traitement consiste à donner des ATS à la mère – au besoin en associant de la lévothyroxine pour compenser une hypothyroïdie iatrogène – afin d’agir sur la thyroïde fœtale. La tachycardie du fœtus constitue un élément important de surveillance et permet d’adapter la posologie [33]. mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Goitre Conclusion Au cours de la grossesse le volume thyroïdien augmente de 10 à 15 % en raison d’une intumescence par hypervascularisation. Cette augmentation de volume semble majorée dans les régions en subcarence iodée. Il existe une corrélation inverse entre l’hyperplasie thyroïdienne et l’apport iodé [34]. La grossesse constitue un stimulus de la croissance thyroïdienne d’autant plus signifiant que l’apport iodé est plus faible, mais il existe une relation positive entre la parité et le volume thyroïdien chez les femmes vivant dans des zones de subcarence iodée. Le goitre développé durant la grossesse n’est pas toujours réversible après l’accouchement. La grossesse est donc un facteur explicatif de la prévalence des goitres qui peut être infléchi par un apport iodé adéquat, éventuellement par une supplémentation iodée aussi précoce que possible. Une telle supplémentation permettrait également de prévenir le goitre néonatal présent chez 10 % des enfants nés de mères carencées en iode. En augmentant les besoins en hormones thyroïdiennes, et de ce fait, les besoins en iode, la grossesse est une situation physiologique susceptible de révéler une dysthyroïdie infraclinique ou patente dont les répercussions obstétricales, néonatales et pédiatriques sont de mieux en mieux connues. De nombreuses questions demeurent en suspens. Si le dépistage ciblé des dysthyroïdies est impératif, il n’en reste pas moins que les valeurs normales de la TSH tout au long de la grossesse sont encore mal définies. L’intérêt réel d’une supplémentation iodée systématique chez toute future mère vivant dans nos régions de subcarence iodée tarde à être démontrée par une étude d’intervention randomisée de grande envergure. La signification pronostique de la présence isolée d’anti-TPO ou d’anti-TG reste à préciser, notamment chez l’enfant. En revanche, la prise en charge précoce et optimisée de l’hypothyroïde fruste ou patente, si possible au stade préconceptionnel, n’est plus discutée. Enfin, il convient de rappeler que la grossesse ne s’arrête pas à l’accouchement et que la vigilance thyroïdienne doit se poursuivre tout au long du post-partum, période où peut survenir une flambée auto-immune, avec pour corollaire clinique une récidive de la maladie de Basedow ou la survenue d’une thyroïdite du post-partum. Dépistage des dysthyroïdies lors de la grossesse La relative fréquence de l’hypothyroïdie fruste et ses possibles conséquences obstétricales, néonatales et pédiatriques ont conduit à préconiser une stratégie de dépistage non pas systématique mais ciblée. Disponible, assez peu coûteux, facile à interpréter et sanctionné par un traitement efficace, le dépistage repose sur le dosage de la TSH [19, 21]. En cas d’augmentation, le bilan est complété par un dosage de T4L et, éventuellement, une recherche des anti-TPO. Idéalement, le dépistage devrait être réalisé avant le début de la grossesse ou lors du diagnostic de grossesse. Il est recommandé chez toute femme ayant des antécédents thyroïdiens personnels ou familiaux, des antécédents de radiothérapie cervicale, un goitre, une maladie auto-immune telle qu’un diabète de type I ou la notion d’anti-TPO. Un dépistage positif et confirmé (TSH au seuil de 4 mU/mL) justifie une hormonothérapie substitutive précoce pour obtenir une euthyroïdie stricte (TSH < 2,5 mU/L). La détermination de la TSH et la recherche des anti-TPO sont également préconisée chez les femmes bénéficiant d’un programme d’assistance médicale à la procréation dont la performance est réduite par les anomalies de la fonction thyroïdienne et de l’auto-immunité. Les protocoles de stimulation ovarienne entraînent une forte augmentation de la TBG exposant à un risque d’hypothyroïdie, celle dont le titre élevé d’anti-TPO traduit une thyroïdite infraclinique [35]. Remerciements et autres mentions Financement : aucun ; conflit d’intérêts : aucun. Références 1. Glinoer D. The regulation of thyroid function during normal pregnancy: importance of the iodine nutrition status. Best Pract Res Clin Endocrin Metabol 2004 ; 18 : 133-52. 2. Glinoer D, De Nayer P, Bourdoux P, et al. Regulation of maternal thyroid function during pregnancy. J Clin Endocrinol Metab 1990 ; 71 : 276-87. 3. Dworkin HJ, Jacquez JA, Beierwaters W. Relationship of iodine ingestion to iodine excretion in pregnancy. JCEM 1966 ; 26 : 1329-42. 4. Glinoer D, De Nayer P, Robyn C, et al. Serum levels of intact hCG and its free alpha and beta subunits in relation to maternal thyroid stimulation during normal pregnancy. JCEM 1993 ; 16 : 881-8. 5. Sapin R, D’Herbomez M, Schlienger JL. Free thyroxine measured with equilibrium dialysis and nine immunoassays decreases in late pregnancy. Clin Lab 2004 ; 50 : 581-4. 6. Del Escobar GM, Obregon MJ, Escobar Del Rey F. 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