La grossesse : un défi pour la thyroïde

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Dossier
La grossesse :
un défi pour la thyroïde
Jean-Louis Schlienger, Florina Luca, Fabienne Grunenberger,
Bernard Goichot
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Service de médecine interne, d’endocrinologie et de nutrition, hôpital de Hautepierre,
avenue Molière, BP 83049, 67098 Strasbourg cedex, France
<[email protected]>
La grossesse a un impact notable sur l’homéostasie thyroïdienne en ce qu’elle accroît les
besoins en hormones thyroïdiennes. Des apports iodés suffisants sont nécessaires pour maintenir un équilibre thyroïdien indispensable au développement fœtal. La grossesse révèle
volontiers des dysfonctionnements hormonaux frustes et favorise la croissance d’un goitre.
Un dépistage ciblé de l’hypothyroïdie apparaît souhaitable pour optimiser le déroulement de
la grossesse. L’hyperthyroïdie, moins commune en dehors de l’hyperthyroïdie gravidique
transitoire, relève d’une prise en charge spécialisée. L’hyperthyroïdie fœtale qui est la conséquence du passage transplacentaire des anticorps antirécepteurs de la TSH est à rechercher
en cas de maladie de Basedow active ou ancienne. Le développement d’un goitre, fréquent
dans les régions de subcarence iodée, est partiellement prévenu par une supplémentation
iodée. La vigilance thyroïdienne qui est de mise tout au long de la grossesse l’est également
durant la phase préconceptionnelle et durant le post-partum, période durant laquelle peut
survenir une thyroïdite auto-immune.
Mots clés : grossesse, dysthyroïdie, hypothyroïdie fruste, goitre
L
Tirés à part : J.-L. Schlienger
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mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010
sous réserve d’une fonction correcte
et d’un apport iodé suffisant. En ce
sens, la grossesse constitue un véritable
défi pour la thyroïde. La pathologie
thyroïdienne et sa prise en charge thérapeutique imposent de déjouer certains
pièges diagnostiques et d’élaborer une
stratégie de dépistage et de prise en
charge adaptée.
Régulation de la fonction
thyroïdienne durant
la grossesse
Plusieurs phénomènes survenant
tout au long de la grossesse sont à
même de modifier l’homéostasie thyroïdienne (figure 1) [1] :
– l’augmentation de la concentration des estrogènes qui survient au
début de la grossesse entraîne une élévation importante des taux de thyroxin
binding globulin (TBG), l’une des protéines vectrices majeures de la thyroxine,
qui atteint son maximum à mi-parcours
doi: 10.1684/met.2010.0239
mt
a grossesse est une période critique pour la fonction thyroïdienne
de la mère. Les modifications physiologiques survenant au cours de la
grossesse nécessitent une adaptation
fonctionnelle dans le but de maintenir
l’homéostasie thyroïdienne indispensable au développement du fœtus.
Par défaut, elles peuvent démasquer
un dysfonctionnement thyroïdien plus
ou moins latent. L’exploration de
la fonction thyroïdienne au cours de la
grossesse peut poser problème en raison des variations des hormones thyroïdiennes liées aux interférences avec
l’hCG, à l’hémodilution, aux modifications des protéines vectrices induites
par l’hyperestrogénie et au métabolisme périphérique hormonal. Enfin,
l’allocation iodée qui dépend de l’aire
géographique de vie et de l’alimentation est un autre facteur de variation.
Globalement, la grossesse se caractérise
par une augmentation des besoins en
hormone thyroïdienne couverts grâce
à une production majorée satisfaite
TBG par
Action thyréostimulante
Hyperœstrogénémie
d’hCG
Désiodation
placentaire de T2
TSH
Transitoire de T4L
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TSH
Stimulation
thyroïdienne maternelle
Hypertrophie thyroïdienne
Clairance iodée
Besoins iodés
Figure 1. Fonction thyroïdienne durant la grossesse.
de la grossesse et se maintient en plateau jusqu’au terme. Il en
résulte une diminution transitoire de la fraction libre des
hormones libres et une discrète augmentation adaptation
de la TSH plasmatique qui reste cependant dans les limites
de la normale [2] ;
– l’augmentation précoce du débit rénal et de la filtration glomérulaire accroît l’iodurie et, en conséquence, les
besoins iodés journaliers de 150 à 200 µg/j. Dans les régions
dont l’apport iodé est limité, comme dans les régions non
côtières d’Europe occidentale, il peut en résulter une insuffisance de production hormonale avec une augmentation
adaptative de la TSH, condition favorisant l’hyperplasie
thyroïdienne et le développement d’un goitre [3].
– à la fin du premier trimestre de la grossesse, s’installe de façon transitoire un profil hormonal singulier
marqué par une discrète élévation de la T4L et une suppression partielle de la TSH en rapport avec une forte
élévation de l’hormone gonadotrophinique placentaire
(hCG) dont la sécrétion est maximale à cette période.
En effet, une homologie structurale entre les sous-unités de
l’hCG et de la TSH confère un faible effet thyréostimulant
à l’hCG dont l’impact biologique sous la forme d’une
élévation transitoire de T4L est tangible chez moins de
20 % des femmes enceintes, mais dont l’impact clinique
sous la forme d’une hyperthyroïdie gravidique transitoire
est beaucoup plus rare [4].
– le placenta équipé d’une 3-iodothyronine-désiodase intervient dans les métabolismes périphériques des
hormones thyroïdiennes durant la seconde moitié de la
grossesse.
Le profil hormonal évolue tout au long de la grossesse
dans des limites qui restent habituellement dans la zone
de l’intervalle de confiance. La discrète élévation de la
TSH au début de la grossesse est suivie d’une diminution
parfois marquée à la fin du premier trimestre et est synchrone d’une élévation significative de la T3L. Par la
suite, l’augmentation de la TBG, attribuée à la fois à une
production majorée sous l’effet des estrogènes et à une
diminution de la clairance, détermine une élévation de
la T4 totale et, partant, de son niveau de production. En
revanche, la T4L tend à diminuer en fin de grossesse du
fait, entre autres, de l’augmentation du volume plasmatique, alors que la TSH reste normale. Certaines trousses
de dosage de la T4L accentuent ce trait avec des valeurs
de T4L pouvant être situées dans la zone de l’hypothyroïdie, d’où l’importance de définir des valeurs normales de
référence pour chaque trousse de dosage en fin de
grossesse [5].
L’ensemble des paramètres hormonaux et du métabolisme thyroïdien sont normalisés environ quatre semaines
après l’accouchement. L’allaitement constitue une cause
de déperdition iodée qui peut, dans les situations limites,
ne pas être sans conséquence sur la fonction thyroïdienne.
Homéostasie thyroïdienne maternelle :
prérequis pour le développement fœtal
Au début de la grossesse, la mère assure totalement les
besoins hormonaux du fœtus via le placenta. Le liquide
amniotique contient de la T4 dès la quatrième semaine,
alors que la thyroïde fœtale ne devient progressivement
fonctionnelle qu’au-delà de la 10e semaine et n’est
capable de produire de la T4 qu’après la 14e semaine de
gestation. C’est dire l’importance de l’apport hormonal
maternel, puisque les hormones thyroïdiennes sont indispensables au développement neurocérébral du fœtus. Au
premier et au deuxième trimestres, elles contrôlent la
migration et l’organisation structurelle des neurones.
Ce n’est qu’au troisième trimestre que la production hormonale fœtale contribue de façon prépondérante à la
multiplication des cellules gliales et à la myélinisation.
La faible capacité de liaison du sang fœtal pour les
hormones thyroïdiennes optimise l’action tissulaire de la
T4L fœtale [6].
Iode : substrat essentiel
L’iode est un substrat majeur pour la synthèse des
hormones thyroïdiennes. L’augmentation des besoins au
cours de la grossesse, due à l’augmentation de la clairance
iodée et de la production hormonale, expose à un risque
de déplétion des réserves iodées avec l’installation d’une
subcarence iodée tout au long de la grossesse. Estimé par
la mesure de l’iodurie, le statut iodé serait déficitaire
chez 75 % des femmes enceintes dans nos régions [7].
Les répercussions de la subcarence iodée sont difficiles à
établir avec certitude. Elles pourraient être responsables
d’une hypothyroxinémie relative à l’origine d’une
stimulation thyroïdienne par rétrocontrôle de la TSH,
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ce qui favorise la goitrigenèse chez la mère et le fœtus. Par
ailleurs, toute anomalie de la disponibilité hormonale,
telle que l’hypothyroxinémie peut entraîner des lésions
irréversibles du développement cérébral fœtal. Le crétinisme, qui en est la forme la plus accomplie, peut être prévenu par une supplémentation iodée intervenant avant la
fin du deuxième trimestre de la grossesse. Des déficits
neuro-intellectuels de révélation parfois tardive, attribués
à un déficit iodé, ont été rapportés dans des régions de
l’Europe du Sud où le déficit iodé était modéré. D’une
façon générale, toute hypothyroxinémie, quelle qu’en
soit la cause (notamment l’auto-immunité thyroïdienne
maternelle) mais survenant à un stade crucial du développement neurologique fœtal, peut avoir des répercussions
délétères sur le quotient intellectuel (QI) et les capacités
scolaires des enfants [8]. Ces considérations ont conduit
à encourager une supplémentation iodée précoce chez
toute femme enceinte, l’allocation iodée souhaitable de
200 à 250 µg/j étant rarement atteinte en France.
Prévalence
des affections thyroïdiennes
au cours de la grossesse
L’estimation de la prévalence des dysthyroïdies dépend
pour une bonne part de l’intervalle de référence de la TSH.
Si le seuil inférieur de la TSH permettant le diagnostic de
l’hyperthyroïdie ne pose guère de problème (< 0,4 mU/L),
il n’en est pas de même pour le seuil supérieur qui reste
discuté. Fixé à 2,5 mU/L par la National Academy of Clinical
Biochemistry, à partir des mesures effectuées dans la population témoin sélectionnée selon des critères rigoureux
(absence de tout antécédent thyroïdien, de tout traitement,
de toute auto-immunité thyroïdienne et de goitre à l’échographie), il est plus proche de 4 mU/L dans d’autres populations. De la fixation de ce seuil, dépend la prévalence de
l’hypothyroïdie fruste (caractérisée par une TSH isolément
élevée) [9]. La prévalence de l’hyperthyroïdie est faible chez
la femme enceinte, de l’ordre de 0,2 %. Il s’agit d’une maladie de Basedow inaugurale ou récidivante ou, plus rarement, d’une thyrotoxicose gravidique transitoire (TGT) à la
fin du premier trimestre, secondaire à l’effet thyréostimulant
de l’hCG. La prévalence de l’hypothyroïdie dépasse 2 %
dans la plupart des études, avec une forte prépondérance
de l’hypothyroïdie fruste [10]. Elle est la conséquence d’un
apport iodé insuffisant ou, plus souvent, d’une thyroïdite
auto-immune marquée par la présence d’un titre élevé
d’anticorps antithyroperoxydase (TPO). La prévalence de
l’hypothyroïdie fruste est particulièrement élevée chez les
femmes enceintes atteintes d’un diabète de type I, puisque
la TSH est supérieure 4,0 mUI/L chez plus du quart d’entre
elles [11].
Hypothyroïdie au cours de la grossesse
Hypothyroïdie fruste
La définition de l’hypothyroïdie fruste dépend de la
valeur supérieure de l’intervalle de référence de la TSH
retenu. La distinction entre le normal et le pathologique
s’avère particulièrement difficile dans ce domaine
sensible dans la mesure où il n’est pas démontré qu’un
taux de TSH, compris entre 2,5 et 4,5 mU/L, est associé à
une modification du pronostic fœtomaternel. L’hypothèse
qu’un dysfonctionnement thyroïdien infraclinique, éventuellement associé à une anomalie de l’auto-immunité
thyroïdienne, a conduit certains à préconiser une substitution pour une TSH supérieure à 2,5 mU/L ou en cas
d’anti-TPO élevés [12], nonobstant le risque d’induire
une thyrotoxicose iatrogène. Les répercussions de l’hypothyroïdie fruste sur la mère et l’enfant sont difficiles à établir avec certitude d’autant que les études disponibles ne
font pas toujours la part de l’auto-immunité, de l’hypothyroxémie maternelle isolée et d’une authentique élévation
de la TSH. Les répercussions obstétricales ont principalement été évaluées chez des femmes enceintes hypothyroïdiennes insuffisamment substituées. Dans une cohorte de
plus de 9 400 femmes, un taux de TSH supérieur à 6 mU/L
est constaté au deuxième trimestre de la grossesse et associé à une augmentation de la mortalité fœtale (3,8 vs.
0,9 %) [13]. Dans une autre étude portant sur plus de
17 000 femmes explorées avant la 20e semaine de gestation, un taux de TSH supérieur à 5 mU/L (97,5e percentile)
est associé à une augmentation de l’incidence de décollement du placenta, de prématurité avant la 24e semaine
et de naissance avant terme [14]. Dans une autre étude
prospective plus ancienne, l’incidence de l’hypertension
gravidique, de la prééclampsie et de l’éclampsie était plus
élevée en cas d’hypothyroïdie fruste (15 vs. 7,6 %) [15].
Le retentissement de l’enfant a été évalué dans une
étude prospective [13] qui a montré que les nouveaunés de mères en hypothyroïdie fruste étaient plus souvent
admis en unités de soins intensifs sans surmortalité
significative. Les répercussions à distance sont encore
mal évaluées. Dans une série comportant davantage
d’hypothyroïdies avérées que d’hypothyroïdies frustes,
les enfants de mères ayant une TSH supérieure au
98e percentile au deuxième trimestre de la grossesse (TSH
moyenne = 13,2 ± 0,3 mUI/L) avaient une diminution du
QI de sept points entre l’âge de sept à neuf ans par rapport
aux enfants nés de mères témoins appariées sur l’âge [16].
Paradoxalement, la présence d’un titre élevé d’antiTPO ou d’une hypothyroxinémie maternelle isolée semble
avoir des répercussions mieux établies que l’hypothyroïdie
fruste. Les enfants nés de mères euthyroïdiennes ayant
des anti-TPO en fin de grossesse ont une diminution significative d’un score de cognitivité par rapport aux enfants
dont les mères n’avaient pas d’anti-TPO [16, 17]. De même,
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l’hypothyroxinémie maternelle isolée (T4L < 10e percentile) [TSH entre 0,15 et 2,0 mU/L] est associée à un discret
retard du développement psychomoteur (Pop).
Divers arguments suggèrent que l’auto-immunité thyroïdienne pourrait jouer un rôle intrinsèque sur l’évolution de la
grossesse. Une méta-analyse confirme l’existence d’une
relation entre l’auto-immunité thyroïdienne et les avortements spontanés avec un odds ratio de 2,73 [18], alors que
l’augmentation du taux d’avortement n’est corrélée ni aux
concentrations des hormones thyroïdiennes ni à la TSH.
Hypothyroïdie fruste
Bien que la littérature ne propose pas de définition
précise et univoque de l’hypothyroïdie fruste chez la
femme enceinte, il paraît acquis que cette affection a
des répercussions possibles chez la mère et l’enfant, à
tel point que beaucoup militent pour un dépistage systématique par un dosage de la TSH et des anti-TPO entre la
12e et la 20e semaine d’aménorrhée. D’autres ne partagent pas cette attitude (recommandation du Collège
américain des gynécologues obstétriciens, Preventive
Task Force nord-américaine) [19, 20]. Un dépistage ciblé
paraît préférable chez les femmes ayant des antécédents
thyroïdiens familiaux ou personnels, un diabète de type I
ou d’autres affections auto-immunes d’organe, un goitre,
des anti-TPO ou une notion d’irradiation cervicale ou,
bien sûr, des signes d’appels évocateurs de dysthyroïdie.
C’est l’attitude préconisée par les recommandations de la
HAS [21]. Quant à l’attitude thérapeutique, elle est dictée
par la prudence : un traitement substitutif est indiqué
aussitôt pour toute TSH confirmée supérieure à 4 mUI/L.
Une surveillance régulière de la TSH et une détermination
des anti-TPO sont indiquées si la TSH est supérieure à
3 mU/L [22, 23].
Hypothyroïdie patente
L’hypothyroïdie avérée définie par une TSH élevée et
une T4L abaissée diminue la fertilité et a des conséquences
délétères en cas de grossesse. Elle majore la fréquence de
l’hypertension gravidique, de l’anémie, de la prééclampsie, de l’insuffisance cardiaque et des fausses couches.
Chez l’enfant, il existe un poids de naissance insuffisant,
une surmortalité fœtale, un risque accru de prématurité et
des anomalies du développement cérébral.
Thyroïdite du post-partum
La thyroïdite du post-partum est une forme clinique
silencieuse de thyroïdite auto-immune se manifestant
par la survenue d’une hypothyroïdie habituellement
paucisymptomatique trois à quatre mois après l’accouchement. D’une incidence de 2 à 5 %, elle est favorisée
par le tabagisme, des apports iodés insuffisants, la coexistence d’une autre affection auto-immune d’organe et la
présence d’anti-TPO au début de la grossesse. Transitoire,
due à la flambée auto-immune du post-partum, elle récidive habituellement lors des grossesses ultérieures cependant que le risque d’hypothyroïdie définitive augmente
avec le nombre de grossesses. Des signes cliniques atypiques, une élévation de la TSH et des anti-TPO avec ou
sans diminution de la T4L et un aspect hypoéchogène
de la thyroïde permettent de poser le diagnostic. Un
traitement hormonal substitutif n’est préconisé que dans
les formes symptomatiques [24].
Hyperthyroïdie
La TGT est la plus fréquente des causes de thyrotoxicose. Directement imputable à la grossesse, elle survient à
la fin du premier trimestre et est synchrone d’une élévation particulièrement marquée et prolongée de l’hCG. Elle
doit être évoquée devant toute symptomatologie de
thyrotoxicose (amaigrissement, asthénie, tachycardie) à
ce stade de la grossesse, surtout s’il existe des vomissements incoercibles. Les risques cliniques sont spontanément résolutifs durant le deuxième trimestre. Le bilan
hormonal révèle une TSH effondrée, avec une élévation
modérée de T4L et une T3L habituellement normale.
L’exploration de l’auto-immunité thyroïdienne s’avère
normale. Cette forme de thyrotoxicose hCG-dépendante
est presque toujours sporadique, mais peut se répéter au
fil des grossesses [25]. D’exceptionnelles formes familiales, liées à une mutation du récepteur de la TSH avec
sensibilité majorée à l’effet thyréostimulant de l’hCG,
ont été rapportées. Le traitement se limite à l’administration de bêtabloqueurs, l’emploi des antithyroïdiens de
synthèse (ATS) étant réservé aux formes sévères et persistantes [26]. Le pronostic obstétrical n’est pas affecté par la
TGT.
L’hyperthyroïdie autonome (maladie de Basedow) est
l’autre cause d’hyperthyroïdie à envisager lors d’une grossesse. Il s’agit soit d’une forme inaugurale, soit plus souvent
de la récidive d’une maladie de Basedow dont le traitement
médical a été interrompu il y a quelques mois ou années ou,
même, dans le but d’une grossesse programmée. Le début de
la grossesse tout comme la période du post-partum sont des
circonstances favorisant l’activité auto-immune [27]. En
revanche, la suppression partielle de l’activité immunologique propre à la grossesse après le premier trimestre rend
peu probable la survenue d’une maladie de Basedow au
deuxième ou au troisième trimestre. Les manifestations cliniques sont d’intensité variable. Il ne semble pas que la grossesse influe sur l’incidence de l’ophtalmopathie. Souvent,
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la symptomatologie est discrète et peut passer inaperçue.
Les signes d’hypermétabolisme ou de sympathicotonie sont
parfois attribués à la grossesse [28].
Le diagnostic peut être suspecté en raison d’antécédents personnels ou familiaux de maladie de Basedow et
la notion d’une auto-immunité thyroïdienne qui imposent
une vigilance hormonale. L’absence de prise de poids en
dépit d’un appétit conservé, les troubles de l’humeur, la
thermophobie et l’hypersudation, la tachycardie, la présence d’un goitre vasculaire et les vomissements incoercibles sont les principaux signes d’appel. Le diagnostic est
confirmé par la coexistence d’une TSH effondrée, d’une
T4L augmentée et d’un titre élevé d’anticorps antirécepteurs de la TSH (Ac-rTSH).
Méconnue ou insuffisamment traitée, l’hyperthyroïdie
est assortie de complications maternelles, obstétricales et
fœtales. Dans une analyse rétrospective, l’hyperthyroïdie
mal contrôlée majore le risque d’hypotrophie fœtale d’un
facteur 9, la prématurité d’un facteur 16 et l’éclampsie d’un
facteur 5 [29]. Il existe également un risque non négligeable
d’insuffisance cardiaque chez la mère. La survenue d’une
hyperthyroïdie fœtale et/ou néonatale qui est la conséquence
du passage transplacentaire des anti-rTSH de la mère est
indépendante du contrôle de la thyrotoxicose chez la mère.
Il ne semble pas que l’hyperthyroïdie soit associée à une plus
grande fréquence de malformations congénitales.
Cette forme d’hyperthyroïdie n’est pas transitoire, même
si les symptômes tendent à s’améliorer spontanément vers la
fin de la grossesse, du fait d’une relative immunotolérance
dont témoigne la diminution des Ac-rTSH, autorisant même
dans certains cas l’arrêt du traitement.
Le traitement par les ATS a pour but d’améliorer
la qualité de vie et de prévenir les complications. Il est
nécessaire dans toute hyperthyroïdie modérée ou sévère
mais est conduit selon une procédure différente chez la
femme enceinte. Le traitement combiné associant ATS et
lévothyroxine, maintenu pendant 18 mois pour éviter
l’hypothyroïdie tout en bloquant la production hormonale,
n’est pas de mise. Ici, il convient d’utiliser la plus faible
dose possible, voire d’interrompre le traitement, ce qui
est souvent possible à partir du troisième trimestre, selon
le principe de la dose nécessaire et suffisante, adaptée aux
résultats des contrôles hormonaux répétés [30]. A priori,
tous les ATS peuvent être utilisés, mais il existe encore
une controverse quant à leurs effets sur le fœtus. À efficacité comparable, le propylthio-uracile (PTU) est traditionnellement préféré au méthimazole ou à son précurseur le
carbimazole (CMZ) non pas tant en raison de différences
de passage transplacentaire – qui ont été surestimées –
qu’en raison d’un doute quant aux effets malformatifs du
CMZ. L’emploi de ce dernier semble associé avec une plus
grande fréquence d’aplasie cutis, d’atrésie des choanes, de
fistules œsophagotrachéales et d’anomalies de la face sans
que la preuve de causalité n’ait pu être formellement
apportée [31].
L’échec du traitement médical peut être une indication
de traitement chirurgical par thyroïdectomie subtotale
effectuée idéalement avant la fin du deuxième trimestre.
L’utilisation des ATS au cours de l’allaitement est un
autre sujet de controverse. Elle peut être nécessaire en
cas d’hyperthyroïdie persistante ou de récidive. Le
passage dans le lait du PTU serait moindre que celui du
CMZ en raison d’une plus forte liaison aux protéines
sériques. En pratique, il apparaît que le CMZ à la dose
de 20 mg/j ou le PTU à la dose de 600 à 750 mg/j ne
sont associés ni à des modifications significatives de la
fonction thyroïdienne chez l’enfant, ni à des anomalies
du développement psychomoteur, mais les études
portent sur des séries limitées. Néanmoins, il est admis
que l’allaitement est compatible avec la poursuite d’un
traitement par ATS conduit selon le principe de la plus
faible dose possible [31].
Hyperthyroïdie fœtale
Les autoanticorps sont des immunoglobulines qui franchissent la barrière placentaire, elles sont présentes dans le
sang du cordon et disparaissent chez le nouveau-né que
deux à trois mois après la naissance. Les anti-TPO et antithyroglobulines (TG), qui sont présents chez près de 10 %
des femmes enceintes, diminuent au cours des deuxième et
troisième trimestres de la grossesse, avec un rebond possible
lors du post-partum. Marqueurs possibles d’une thyroïdite
auto-immune, leur présence à un titre élevé semble associée
à un sur-risque de fausse-couche, mais ils n’ont pas d’effets
pathogènes intrinsèques. En revanche, les Ac-rTSH présents
chez la mère à titre élevé peuvent induire une hyperthyroïdie fœtale de la 20e semaine de grossesse et/ou une
hyperthyroïdie néonatale transitoire jusqu’à élimination
des globulines maternelles, car ils sont pathogènes. Une
concentration élevée (au moins cinq fois la normale) expose
au risque d’hyperthyroïdie fœtale quel que soit le statut
thyroïdien de la mère : élévation résiduelle d’une maladie
de Basedow antérieure, hyperthyroïdie contrôlée par les
ATS ou rémission spontanée de fin de grossesse. En
pratique, le dosage des Ac-rTSH doit être réalisé au premier
et troisième trimestre de la grossesse chez toutes les femmes
enceintes ayant eu ou ayant une maladie de Basedow [32].
En cas d’élévation, une échographie fœtale recherchera un
goitre fœtal ou un ralentissement de la croissance fœtale.
Le traitement consiste à donner des ATS à la mère – au
besoin en associant de la lévothyroxine pour compenser
une hypothyroïdie iatrogène – afin d’agir sur la thyroïde
fœtale. La tachycardie du fœtus constitue un élément
important de surveillance et permet d’adapter la
posologie [33].
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Goitre
Conclusion
Au cours de la grossesse le volume thyroïdien augmente de 10 à 15 % en raison d’une intumescence
par hypervascularisation. Cette augmentation de volume
semble majorée dans les régions en subcarence iodée.
Il existe une corrélation inverse entre l’hyperplasie thyroïdienne et l’apport iodé [34]. La grossesse constitue un
stimulus de la croissance thyroïdienne d’autant plus signifiant que l’apport iodé est plus faible, mais il existe une
relation positive entre la parité et le volume thyroïdien
chez les femmes vivant dans des zones de subcarence
iodée. Le goitre développé durant la grossesse n’est pas
toujours réversible après l’accouchement. La grossesse
est donc un facteur explicatif de la prévalence des
goitres qui peut être infléchi par un apport iodé adéquat,
éventuellement par une supplémentation iodée aussi précoce que possible. Une telle supplémentation permettrait
également de prévenir le goitre néonatal présent chez
10 % des enfants nés de mères carencées en iode.
En augmentant les besoins en hormones thyroïdiennes, et de ce fait, les besoins en iode, la grossesse est
une situation physiologique susceptible de révéler une
dysthyroïdie infraclinique ou patente dont les répercussions obstétricales, néonatales et pédiatriques sont de
mieux en mieux connues. De nombreuses questions
demeurent en suspens. Si le dépistage ciblé des dysthyroïdies est impératif, il n’en reste pas moins que les valeurs
normales de la TSH tout au long de la grossesse sont
encore mal définies. L’intérêt réel d’une supplémentation
iodée systématique chez toute future mère vivant
dans nos régions de subcarence iodée tarde à être démontrée par une étude d’intervention randomisée de grande
envergure. La signification pronostique de la présence
isolée d’anti-TPO ou d’anti-TG reste à préciser, notamment chez l’enfant. En revanche, la prise en charge précoce et optimisée de l’hypothyroïde fruste ou patente, si
possible au stade préconceptionnel, n’est plus discutée.
Enfin, il convient de rappeler que la grossesse ne s’arrête
pas à l’accouchement et que la vigilance thyroïdienne
doit se poursuivre tout au long du post-partum, période
où peut survenir une flambée auto-immune, avec pour
corollaire clinique une récidive de la maladie de Basedow ou la survenue d’une thyroïdite du post-partum.
Dépistage des dysthyroïdies
lors de la grossesse
La relative fréquence de l’hypothyroïdie fruste et ses
possibles conséquences obstétricales, néonatales et pédiatriques ont conduit à préconiser une stratégie de dépistage
non pas systématique mais ciblée. Disponible, assez peu
coûteux, facile à interpréter et sanctionné par un traitement
efficace, le dépistage repose sur le dosage de la TSH
[19, 21]. En cas d’augmentation, le bilan est complété par
un dosage de T4L et, éventuellement, une recherche des
anti-TPO. Idéalement, le dépistage devrait être réalisé
avant le début de la grossesse ou lors du diagnostic de
grossesse. Il est recommandé chez toute femme ayant des
antécédents thyroïdiens personnels ou familiaux, des antécédents de radiothérapie cervicale, un goitre, une maladie
auto-immune telle qu’un diabète de type I ou la notion
d’anti-TPO.
Un dépistage positif et confirmé (TSH au seuil de
4 mU/mL) justifie une hormonothérapie substitutive précoce
pour obtenir une euthyroïdie stricte (TSH < 2,5 mU/L).
La détermination de la TSH et la recherche des
anti-TPO sont également préconisée chez les femmes
bénéficiant d’un programme d’assistance médicale à la
procréation dont la performance est réduite par les anomalies de la fonction thyroïdienne et de l’auto-immunité.
Les protocoles de stimulation ovarienne entraînent une
forte augmentation de la TBG exposant à un risque
d’hypothyroïdie, celle dont le titre élevé d’anti-TPO
traduit une thyroïdite infraclinique [35].
Remerciements et autres mentions
Financement : aucun ; conflit d’intérêts : aucun.
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