épidémiologie, cancérogenèse, développement tumoral, classification

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Cancer : épidémiologie, cancérogenèse,
développement tumoral, classification
Christophe Massard
I. Épidémiologie
Le cancer est une maladie très fréquente et représente la première cause de mortalité en France chez les hommes et la
deuxième chez les femmes derrière les maladies cardiovasculaires. Il a été estimé que le nombre de cancers en France,
en 2009, est de 346 900 nouveaux cas de cancers (197 700 hommes et 149 200 femmes). Les données de mortalité observées pour l’année 2007 sont disponibles auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc)
de l’INSERM. Les projections d’incidence pour l’année 2009 sont réalisées à partir des données d’incidence observées
jusqu’en 2005 dans les départements où il y a un registre et à partir des données de mortalité observées jusqu’en 2007.
En 2007, il y a eu 149 000 décès par cancer en France : 89 000 hommes et 60 000 femmes.
Le taux d’incidence (pour 100 000 personnes/année) des cancers en France est estimé pour 2009 à 319 pour 100 000 habitants/année (378 pour 100 000 hommes/année et 262 pour 100 000 femmes/année).
Cancers les plus fréquents et les plus mortels en 2009
Les quatre cancers les plus fréquents en France sont les cancers de la prostate (71 000 nouveaux cas estimés), du sein
(52 000 cas), du côlon-rectum (40 000 cas) et du poumon (34 000 cas) et représentent 57 % de l’ensemble des cancers
survenus en 2009.
La forte proportion de cancer de la prostate est le résultat de la pratique du dépistage par PSA au cours de ces dernières
années. De plus, la mortalité par cancer du poumon continue de croître dans la population féminine et représente 11 %
des décès par cancers dans cette population pour l’année 2007.
Patients
Homme
Femme
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Type de cancers
Incidence (cas)
Prostate
71 000
Poumon
25 000
Côlon-rectum
21 000
Bouche, pharynx, larynx
10 500
Vessie
9 000
Sein
51 700
Côlon-rectum
18 700
Poumon
9 200
Endomètre
6 300
Ovaire
4 400
Mélanome
4 000
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Patients
Type de cancers
Homme
Femme
Mortalité (décès)
Poumon
21 000
Prostate
8 900
Côlon-rectum
9 200
Foie
5 400
Bouche, pharynx, larynx
3 600
Sein
11 300
Côlon-rectum
8 200
Poumon
7 300
Pancréas
3 800
Ovaire
3 100
Les principaux facteurs de risque sont :
Principaux cancers
Exemple de méthode
de prévention
Facteurs de risque
Sein
Estrogènes
Côlon-rectum
Une alimentation riche en graisses
et pauvre en fruits et légumes
Prostate
Androgènes
Poumon
Tabac
Arrêt du tabac
Voies aérodigestives supérieures
Tabac et alcool
Arrêt du tabac et de l’alcool
Vessie
Tabac
Arrêt du tabac
Alimentation particulière
II. Histoire naturelle des cancers
Il est reconnu que le cancer à une origine monoclonale, une seule cellule se transforme puis se divise et du fait de l’instabilité génétique, les cancers sont hétérogènes et composés de populations polyclonales. Le cancer est donc une maladie
« génétique » (au sens que plusieurs altérations moléculaires d’oncogènes et anti-oncogènes coopèrent pour aboutir à la
formation du cancer) multifactorielle.
Les oncogènes sont tout gène auquel une anomalie quantitative ou qualitative confère la propriété de transformer une
cellule normale en cellule maligne. Une anomalie génétique touchant une seule copie d’un oncogène est suffisante : effet
dominant. Exemples de gènes codant pour des oncoprotéines intervenant dans la régulation du cycle cellulaire ou dans
la signalisation cellulaire.
Les anti-oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeurs sont des régulateurs négatifs de la croissance cellulaire. C’est la
perte de leur fonction qui permet la transformation tumorale. Action récessive : la perte d’activité des gènes nécessite
l’altération des deux allèles. Deux étapes successives sont donc nécessaires : la première étape peut être somatique (cancer sporadique) ou germinale (cancer héréditaire). Si la première étape est de type germinal (transmission héréditaire
d’un allèle muté), le gène agit alors comme un facteur de prédisposition à un cancer héréditaire. Dans les deux cas de
figure, l’atteinte du second allèle est somatique et peut aboutir à l’émergence d’un clone de cellules transformées.
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Un délai de cinq à trente ans entre l’apparition de la première cellule cancéreuse et l’émergence clinique du cancer est
souvent nécessaire.
Plusieurs altérations moléculaires ont été décrites et sont schématiquement classées en 6 grandes familles d’anomalies
moléculaires :
– activation des voies de transduction du signal permettant une prolifération cellulaire ;
– indépendance par rapport aux signaux d’inhibition de croissance ;
– potentiel invasif et métastatique ;
– résistance à la « mort cellulaire », dite apoptose ;
– potentiel de néoangiogenèse ;
– potentiel d’immortalisation avec activation de la télomérase.
Ainsi, la néoangiogenèse est indispensable lorsqu’une tumeur dépasse 2 à 3 mm3, et ainsi inhiber l’angiogenèse est une
nouvelle voie thérapeutique (bévacizumab, sorafénib, sunitinib).
– Les cellules tumorales ont la capacité de former des néovaisseaux à partir de cellules endothéliales normales, permettant le développement d’une tumeur ;
– principaux facteurs angiogéniques : le VEGF (facteur de croissance vasculaire épithélial), le FGF (facteur de croissance
des fibroblastes) ou le PDGF (facteur de croissance dérivé des plaquettes).
Deux concepts permettent d’expliquer la carcinogenèse :
– le concept de cancérogenèse de champs : tout l’épithélium soumis à un même toxique (le tabac par exemple) est à
risque de se cancériser expliquant la possibilité de cancers multiples synchrones ou métachrones ;
– le concept de carcinogenèse multiétape : plusieurs anomalies moléculaires sont nécessaires pour la formation du
cancer.
Une révolution conceptuelle a commencé à la fin des années 1990 et a permis de mettre en évidence que les cancers
sont des maladies dues à l’accumulation d’altérations moléculaires, qui peuvent être inhibées par de nouvelles thérapies
appelées thérapies moléculaires ciblées.
La prise en charge des patients atteints de cancer a été complètement bouleversée à la fin du siècle dernier par la mise à
disposition de nouveaux traitements appelés thérapies ciblées ou plus exactement thérapies moléculaires ciblées (TMC).
La terminologie « thérapies moléculaires ciblées » fait référence à des stratégies thérapeutiques dirigées contre des anomalies moléculaires supposées impliquées dans le processus de transformation néoplasique. Le développement de ces
nouveaux médicaments est en fait parallèle au développement d’une vision moléculaire et non plus seulement clinique
et morphologique de la maladie cancéreuse. Les progrès de la biologie permettent aujourd’hui de commencer à classer
les cancers en fonction de l’organe (cancer du poumon, de la peau) mais surtout en fonction des altérations moléculaires impliquées dans la progression du cancer et donc d’espérer proposer une thérapeutique spécifique à chaque patient.
Ces TMC se distinguent des médicaments cytotoxiques anciens (alkylants, antimétabolites…) ou récents (inhibiteurs
de topo-isomérase et taxanes), même si ces agents inhibent aussi une cible (microtubules, ADN). En effet, les cibles
des chimiothérapies classiques sont classiquement en rapport avec les propriétés de prolifération accélérée des cellules
tumorales et ne sont le plus souvent pas directement impliquées dans le processus de transformation néoplasique. Il ne
s’agit cependant pas d’un concept tout à fait nouveau en cancérologie, car les modulations hormonales, réalisées pour
le traitement des phases métastatique ou adjuvante du cancer du sein, de la prostate ou de la thyroïde, ont démontré de
longue date leur bénéfice thérapeutique. Ces traitements peuvent être considérés comme les ancêtres des TMC, car ils
agissent sur des anomalies moléculaires de cancers hormonodépendants, et ces récepteurs hormonaux (aux estrogènes
pour le cancer du sein, récepteurs aux androgènes pour le cancer de la prostate) sont bien directement impliqués dans
le processus néoplasique. À ce jour, plus d’une dizaine de thérapies ciblées ont l’AMM pour le traitement de patients
atteints de cancer avancé ou en situation adjuvante (Tableau 1).
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III. Classification des cancers
Différentes classifications des cancers sont possibles, en fonction du type histologique, du stade et des altérations
moléculaires.
III.1. Classification en fonction du type histologique
Carcinomes
Développés aux dépens des épithéliums
• Carcinomes épidermoïdes
Développés aux dépens d’un épithélium malphigien (bronches, ORL, col utérin…)
• Adénocarcinomes
Développés aux dépens d’un épithélium glandulaire (sein, pancréas, tube digestif, bronches…)
• Carcinomes paramalpighiens
Développés aux dépens d’un épithélium transitionnel (voies excrétrices urinaires)
Sarcomes
Développés à partir du tissu mésenchymateux, classés en fonction de leur tissu d’origine
• Ostéosarcome

Os
• Liposarcome

Graisse
• Léiomyosarcome

Muscle lisse
• Rhabdomyosarcome

Muscle strié
• Fibrosarcome

Tissu conjonctif
Tumeurs d’origine ectodermique
• Neuroectodermiques
Gliomes, épendymomes, tumeurs des plexus choroïdes
• Mésoectodermiques
Méningémiomes, ganglioneurones, sympathoblastomes, schwannomes, mélanomes, tumeurs endocrines
Tumeurs embryonnaires
• Tumeurs germinales
• Neuroblastome
• Néphroblastome
Tumeurs mixtes
Association de structures diverses, elles sont rares et ont le pronostic du contingent tissulaire de plus forte malignité
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III.2. Classification en fonction du stade TNM
C’est la classification pronostique principale. Il s’agit d’une classification clinique qui peut être affinée par l’étude histologique, on écrit alors pT, pN ou pM. Cette classification est indispensable dans la majorité des cancers, car elle permet
le plus souvent d’établir la stratégie thérapeutique (le type de traitement et sa séquence) : chirurgie ou non, chimiothérapie première, adjuvante ou complémentaire, radiothérapie.
Tumeur primitive (T pour tumor)
Les quatre sous-types varient en fonction de la taille ou de la
profondeur d’envahissement. Les T1 et 2 sont en général de bon
pronostic, et les T3 et 4 le sont nettement moins
Envahissement ganglionnaire (N pour node)
En son absence (N0), le pronostic est bien meilleur. Dans beaucoup
de cancers comme les cancers du sein, le nombre de ganglions
envahis a une grande importance
Extension métastatique (M pour metastasis)
Dans la majorité des cancers (en dehors des tumeurs germinales),
l’existence d’une métastase rend la survie à 5 ans quasi nulle.
En général, des métastases osseuses sont de meilleur pronostic que
les métastases viscérales
Autres classifications d’extension tumorale
Elles utilisent le plus souvent le même principe :
• classification FIGO (Fédération internationale de gynécologie obstétrique) pour les cancers de l’ovaire et de l’utérus ;
• classification de Dukes pour les cancers colorectaux, qui est de moins en moins utilisée au profit de la classification TNM ;
• classification en stades I à IV pour les cancers bronchiques ou du testicule par exemple : les stades sont en fait définis
selon le TNM ;
• classification de Breslow pour les mélanomes malins : épaisseur de peau envahie par le mélanome.
III.3. Classification en grades histopronostiques
Cette classification tient compte de la différenciation des tumeurs. Une tumeur bien différenciée, de grade I, aura un
meilleur pronostic qu’une tumeur indifférenciée de grade III. Cette classification est affinée en prenant en compte des
critères morphologiques (anisocytose) et le nombre de mitoses dans le cancer du sein (grade SBR).
III.4. Envahissement des marges de la pièce opératoire
R 0
Marges saines à l’analyse histologique
R 1
Marges envahies microscopiquement
R 2
Marges envahies macroscopiquement
• Des marges positives sont de mauvais pronostic
La présence d’emboles tumoraux vasculaires ou lymphatiques et d’engainements périnerveux. Ces éléments sont de
moins bon pronostic.
III.5. Classification en fonction des marqueurs tumoraux
D’une façon générale, les marqueurs tumoraux ne sont pas pronostiques en fonction de leur taux.
Pour les tumeurs germinales, les valeurs des LDH, de l’α-fœtoprotéine et des HCG sont diagnostiques et pronostiques.
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III.6. Classification en fonction de la biologie tumorale
Cette classification repose sur la présence d’altérations moléculaires comme l’« expression de récepteurs à divers facteurs
de croissance dont l’activation augmente la prolifération tumorale et en général confère un phénotype plus agressif.
Par exemple, dans le cancer du sein, l’expression de récepteurs hormonaux donne un pronostic meilleur si ces récepteurs sont exprimés, et il y a possibilité d’utiliser l’hormonothérapie. De plus, l’expression de molécules impliquées dans
la signalisation et le cycle cellulaire, comme la protéine erb-B2 qui confère un moins bon pronostic aux tumeurs qui
l’expriment. La forte expression de erb-B2 permet d’envisager un traitement spécifique ciblé contre cette molécule (Herceptin®, anticorps monoclonal dirigé contre erb-B2).
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