Près de trois ans après le début de ce qui a été nommé le « printemps arabe », la semaine de la recherche de l’EGE revient sur ces événements, dans leur diversité, leur singularité historique et nationale et dans leurs significations multiples. A rebours des analyses qui ont essayé de les caractériser en termes de « révolutions », de « transition » ou de « démocratisation », qui de façon normative ont magnifié le « printemps arabe » ou déploré « l’hiver islamiste », les conférences et tables-rondes organisées durant toute la semaine entendent problématiser les transformations en cours en dehors des paradigmes transitologiques ou exceptionnalistes, des analyses culturalistes ou identitaires, des théories de la révolution ou de la mobilisation sociale. Dans une tradition de sociologie politique comparée, il s’agira au contraire d’inscrire les changements en cours dans les trajectoires historiques des Etats et de donner sa place à la profondeur des mouvements sociaux, dans leur dimension politique mais également économique et culturelle, de travailler donc sur le moment actuel comme une situation mouvante et indéterminée de pouvoir en prenant en compte la complexité de la société et en refusant aussi bien un traitement linéaire des événements qu’une recherche de leurs causalités. Simultanément, la pensée « printemps arabe » sera soumise à une analyse critique pour ce qu’elle a réifié mais surtout pour ce qu’elle a occulté, à commencer par les processus de formation asymétrique de l’Etat et de production de l’inégalité, la question sociale, ou encore la part de hasard, d’aléa et de contingence dans le déroulé des événements et donc dans leur signification même. Le colloque abordera une autre question inscrite dans le temps long bien que faisant écho aux événements récents qu’ont connu les pays arabes et musulmans : celle de l’analyse des trajectoires de partis ou de groupes islamistes. A partir de démarches de sociologie historique du politique, d’économie politique et d’anthropologie sociale, il s’agira de comprendre l’exercice du pouvoir en Iran, en Turquie, en Mauritanie et en Tunisie. Le débat a pour ambition de remettre en cause les analyses idéologiques et essentialistes de l’islam politique. Les interventions analyseront ce que l’exercice du pouvoir fait des islamistes, mais aussi ce que les modalités effectives d’exercice du pouvoir disent des islamistes, en mettant en évidence le poids des rapports de force, nationaux et internationaux, et des trajectoires historiques nationales. Il s’agira tout à la fois de banaliser ces mouvements tout en en soulignant les spécificités, notamment par l’analyse des rapports entre prédication et exercice du pouvoir, des productions doctrinales, des effets de déclassement et reclassement et des transformations socio-économiques que génèrent les compromis établis sur le terrain. Béatrice Hibou et Mohamed Tozy © Seule, 1990, Abderrahim Yamou (terre et métal sur bois) Entre autres questions théoriques, celle de la qualification des événements qu’a connu le Monde arabe sera abordée à partir d’une approche de sociologie historique du politique. Au contraire des problématisations par les « transitions » ou la « révolution », le débat soulignera l’apport d’une démarche qui donne toute son importance aux dynamiques du local, à partir d’un regard quasi anthropologique, dans une tradition du politique ou de l’histoire « par le bas ».Les interventions mettront l’accent sur l’incertitude et l’indétermination dans le changement politique et dans les trajectoires sociales de l’Etat, sur le poids des expériences antérieures de luttes ou de solidarités collectives locales, sur la multiplicité des faits et des mobilisations qui élargissent le champ du pensable (et du perçu) politiques sans pour autant nécessairement élargir le champ de ses possibles. ÉCOLE DE GOUVERNANCE ET D'ÉCONOMIE DE RABAT LA SEMAINE DE LA RECHERCHE Organisée deux fois par an, la « semaine de la recherche » entend inscrire l’EGE dans la communauté scientifique internationale en organisant des débats de sciences sociales sur des sujets d’actualité et en invitant des chercheurs étrangers. La direction scientifique pour cette année est assurée par Béatrice Hibou, directeur de recherche au CNRS, CERI-Sciences Po Paris. La semaine du 16 au 20 décembre 2013 inaugure un partenariat scientifique avec le FASOPO (Fonds d’Analyse des Sociétés Politiques), avec le soutien des services culturels de l’Ambassade de France au Maroc. LUNDI 16 DECEMBRE CONFERENCE, 18h30-20h30 Retour critique sur les printemps arabes, Par Jean François Bayart, CNRS-CERI-Sciences Po MARDI 17 DECEMBRE CONFERENCE, 18h30-20h30 Iran: le Mouvement vert entre crispation nationaliste et libéralisation économique, Par Fariba Adelkhah, Sciences Po-CERI MERCREDI 18 DECEMBRE COLLOQUE 1ère séance, 17h-20h Ni transition ni révolution, Avec Jean-François Bayart CNRS-CERI-Sciences Po, Maurizio Gribaudi EHESS, et Guy Hermet, Sciences Po JEUDI 19 DECEMBRE 2ème séance, 9h-13h30 Ce que l’exercice du pouvoir fait des islamistes, Avec Fariba Adelkhah, Sciences Po-CERI, Ayşe Buğra, Bogazici Universitesi, Zekeria Ould Ahmed Salem, Université de Nouakchott, et Mohamed Kerrou, Université de Tunis-El Manar CONFERENCE, 16h-18h Le mirage de la démocratie Par Guy Hermet, Sciences Po PROJECTION, 18h30-20h30 Femme écrite, film de Lahcen Zinoun Discussion avec le réalisateur VENDREDI 20 DECEMBRE TABLE RONDE, 18h-20h30 Les acteurs politiques face au mouvement social Avec Adnane Hajji, Maurizio Gribaudi, Kamal Lahbib, Hassan Tariq et Mohamed El Wafy LES INTERVENANTS Fariba Adelkhah est directrice de recherche à SciencesPo-CERI (Paris). Elle enseigne à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et à l’INALCO. Ses travaux portent sur l’anthropologie sociale et l’anthropologie politique de l’Iran post-révolutionnaire. Kamal Lahbib est un militant politique et associatif. Après avoir fondé et présidé le forum Alternatives Maroc, il en est devenu le vice-président. Il est membre du conseil international du forum social mondial. Ayşe Buğra est professeur d’économie politique à Bogaziçi Universitesi, Istanbul et co-fondatrice et directrice du Forum social. Experte de Karl Polanyi, elle étudie le milieu des affaires et les politiques sociales en Turquie. Hassan Tariq est professeur de droit public et de sciences politiques à l’Université Hassan Premier de Settat. Il est aussi député (USFP) au parlement marocain et membre de la commission de la législation. Jean-François Bayart est directeur de recherche au CNRS, au CERI de SciencesPo, Paris. Il mène des travaux comparatistes sur la formation des Etats et les processus de subjectivation, à partir de l’Afrique, de l’Iran et de la Turquie. Zekeria Ould Ahmed Salem est professeur habilité de science politique à l’Université de Nouakchott, Mauritanie. Depuis 2013, il est chercheur associé au CERI (SciencesPo, Paris). Mohamed El Wafy est journaliste et ingénieur image à 2M, secrétaire général de la section de l’Union Marocaine du travail. Membre du secrétariat national de l’UMT, il a contribué à y fonder le département jeunesse. Maurizio Gribaudi est directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il travaille sur les réseaux sociaux et les pratiques culturelles, sur les mouvements ouvriers au 19ème siècle, et sur les sociabilités urbaines. Adnane Hajji est actuellement l’un des principaux leaders du mouvement social en Tunisie. Il a été porte-parole de la révolte du Bassin minier de 2008. Ancien instituteur, militant politique, il est membre de l’Union Générale du Tunisienne du Travail (UGTT). Guy Hermet a été directeur de recherche à Sciences Po, Paris. Il travaille les gouvernements autoritaires en Europe du Sud et en Amérique latine, sur le passage à la démocratie et sur les nationalismes et populismes et sur la « post-démocratie ». Mohamed Kerrou est professeur de sciences politiques et de sociologue à l’université de Tunis El-Manar. Ses travaux portent sur l’islam et la société civile et sur les transformations sociales en Tunisie et au Maghreb.