Université Libre de Bruxelles Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Economiques Solvay Business School Les gardiennes des nappes d’offrande en Iran (de la préhistoire à aujourd’hui) Thèse présentée en vue de l’obtention du titre de Docteur en Sciences Sociales Sous la direction du Professeur Firouzeh Nahavandi par M. Homayun Sepehr Année académique 2011-2012 2 REMERCIEMENTS Dans notre vie, compenser certaines gentillesses se révèle être une tâche difficile, et il est impossible de les exprimer en quelques mots. Je tiens à remercier du fond du cœur Madame Firouzeh Nahavandi, qui en tant que promoteur m‘a guidé dans ma recherche. Je la remercie pour sa gentillesse, sa patience et son accueil chaleureux. Je remercie également Madame Valérie Piette, co-promoteur, qui, en tant qu‘historienne, m‘a guidé pour la partie historique, Madame AnneMarie Vuillemenot, premier promoteur, ainsi que Monsieur David Berliner, président du Comité d'accompagnement, qui m‘a gentiment reçu, m‘a orienté vers les théories de transmission et m‘a remis sa thèse ainsi que différents articles en anglais en français sur ce même sujet. Je remercie encore tous les autres professeurs, membres du Comité d‘accompagnement et membres du jury. Je remercie aussi tous les amis zoroastriens de Téhéran, de Yazd, de Shiraz et de Kerman, qui m‘ont accueilli et permis de participer à leurs différentes nappes (les sofreh Gahanbar), traditionnelles (haft sin, de mariage, à l‘occasion de la puberté), religieuses (la nappe de Bibi Seshanbeh, la nappe de Pir-é Vahomanrouz, la nappe de la fille du Roi des Fées, la nappe des pois qui dénouent les difficultés Moshgel Gosha) etc., en particulier Moubad Khorshidi, Mmes Shahriari, F. et K. Mazdapour, ainsi que Mme Pari Kala, qui m‘a expliqué en détail le déroulement des différentes nappes et leurs traditions, ainsi que la famille Faramarzi qui m‘a permis d‘assister personnellement à certaines nappes comme celle de la fille du Roi des Fées, ainsi qu‘à leur préparation (ce qui s‘est montré absolument impossible pour les nappes iraniennes shi‘ites). Je remercie tous mes proches en Iran et en Belgique qui m‘ont accordé 3 des facilités pour être témoin de la préparation de la nourriture destinée aux nappes d‘offrandes votives et ont répondu à mes nombreuses questions, en particulier les hôtesses les plus âgées, et donc plus expérimentées, connaissant les traditions, les secrets, les rites, gardiennes de l‘héritage de transmission, telles que Mme Hedjazi, Mme Razavi, Mme Labani, Mme Abdolrassoul de Téhéran, ainsi que Mme Badii, Mme Fakhari, Mme Labani qui résident en Belgique. Je remercie de même pour leur aide précieuse Madame Sarah Habibi, Madame Bernadette Habibi ainsi que mes chers amis Flora Yaghoumianst, Katia Yaghoumianst, Christian Nedergedaelt ainsi que Soheil Salimian. 4 À Je dédie cette recherche menée avec beaucoup d'enthousiasme à deux personnes chères à mon cœur qui nous ont malheureusement quittés, Mesdames Ozra Moshfegh et Heshmat Téhérani qui m'ont guidé dans ce travail. J'aurais tellement aimé qu'elles soient parmi nous et qu'elles puissent voir comment le champ et le jardin de leurs nappes avaient germé et verdi ; ainsi qu'à Tina, Saman et Nassim, qu'elles soient les gardiennes de l'héritage de leurs ancêtres. M. Homayun Sepehr 5 TRANSCRIPTION De très nombreux mots, noms communs ou noms propres, cités dans ce travail appartiennent aux langues persane, arabe et européenne. Transcriptions persane arabe européenne ء ‘ ‘ ﺂ ā ā â ﺎ a a a ث s th (ṯ) th ح h ḥ h خ x kh (ḥ) kh ذ z dh (ḏ) z ش š sh (š) sh ص s ṣ s ض z ḍ z ط t ṭ t ظ z ẓ z ع ‗ (ˈ) غ q gh (ġ) gh ق q q q ه h h h 6 Table des matières Remerciements 2 Transcription 5 Table des matières 6 Résumé : Les gardiennes des nappes d'offrande en Iran (de la préhistoire à nos jours) 13 Avant-propos : Continuation de la transmission culturelle en Iran : 13 Introduction : - Souvenirs des aubes magiques des nappes d'offrande 20 - Les événements et incidents en Iran (1963–1988) 22 - Continuation de la tradition des nappes d'offrande 22 - Perpétuation de la transmission et de la tradition des nappes en Iran et à l'étranger 24 - Etudes antérieures sur les nappes, offrandes votives (différentes sortes de sofreh) 26 - Participation, interviews et prises de vues dans les maisons et les Imamzadehs 27 - Zones de recherches à Téhéran et dans les villes dont sont originaires les familles organisatrices de nappes 27 - Absence d'interférence du Gouvernement dans l'organisation des nappes d'offrande 28 Première partie : Généralités sur la recherche 1-1 Exposition de la situation 29 7 1-2 Téhéran, la ville des nappes 30 1-3 Importance du sujet, évolution en Iran sur une période de 50 ans 32 1-4 Objectifs de la recherche 34 1-4-1 Objectifs généraux de la recherche 34 1-4-2 Objectifs secondaires de la recherche 35 1-5 Méthodes utilisées lors de la recherche 37 1-5-1 Bibliographiques 37 1-5-2 Sur le terrain 38 1-5-3 Enquêtes 39 1-5-4 Objets outils utilisés lors des interviews et sur le terrain de recherche 40 1-6 Territoires de recherches (Métropole de Téhéran) 40 1-7 Questions posées lors de la recherche 42 1-8 Etudes antérieures sur les nappes 44 1-8-1 Les nappes zoroastriennes 44 1-8-2 Les nappes d‘offrande des shi‘ites iraniens 46 DEUXIÈME PARTIE : Piliers de la recherche 2-1 Etudes approfondies 51 2-1-1 Configuration physique de l'Iran 51 2-1-2 L'Homme préhistorique en Iran 56 2-1-3 Les femmes et le mystère du pain et des repas 59 2-1-4 Découverte du blé et de l'orge par les femmes en Iran 61 2-1-5 L'agriculture et la Déesse Mère 63 2-1-6 Les statuettes en argile, symboles des déesses de la fécondité et de l'agriculture 64 2-1-7 Les nappes d'offrande, symboles des champs et des jardins 68 2-1-8 Les femmes de la terre, les grappes et les fruits du paradis 70 8 2-1-9 Les femmes, magiciennes des produits issus du blé et de l'orge 72 2-1-10 Les femmes, les déesses et les dieux 74 2-2 Cadre théorique 77 2-2-1 Anthropologie culturelle 77 2-2-2 Théories de recherches 78 2-2-3 Cadre théorique 79 2-2-4 Vers une théorie anthropologique concordante 80 2-2-5 Cadre d'une théorie concordante 81 2-2-6 Anthropologie symbolique et interprétative 82 2-2-7 Transmission, objet et mémoire symbolique religieuse 83 2-2-8 Clifford James Geertz (1926-2006) 89 2-2-9 Action réciproque symbolique 92 2-2-10 La théorie d'échanges 93 2-2-11 Conclusion 95 2-3 Anthropologie du genre et du sexe 97 2-3-1 Anthropologie féministe et de genre 98 2-3-2 Les pionniers de l'anthropologie 102 2-3-3 E. Reed et la théorie de la sexualité 104 2-3-4 J. Bachofen et la théorie du matriarcat 106 2-3-5 Les femmes créatrices 107 2-3-6 Les femmes en tant que déesses. 108 2-3-7 De la Sibérie aux Pyrénées sous l'emprise des déesses mères 111 2-3-8 Les champs verts de blé et d'orge, les céréales dans les mains des femmes 111 TROISIÈME PARTIE : Résultats des recherches sur les nappes d'offrande 3-1 De l'Iran mazdéen à l'Iran shi‘ite ; Pariha, Pirha (les fées) 113 9 3-1-1 Anahita, la déesse suprême de l'eau 116 3-1-2 Sepandarmaz – l'Entité gardienne de la Terre 120 3-1-3 Progressio harmonica : Fâtima, la fille du Prophète et la terre céleste 3-1-4 Dans le monde imaginaire de l'interprétation (ta'wîl) 122 124 3-1-5 Les temples des entités et des déesses célestes et leurs symboles terrestres 125 3-2 Les résultats explicatifs des recherches 127 3-2-1 La nappe d'offrande de Hazrat-é Fatémeh Zahra 127 La nappe téhéranaise 128 3-2-2 La nappe de Hazrat-é Roghieh 138 3-2-3 La nappe d'offrande de Bibi Seshanbeh 145 3-2-3-1 La nappe de Bibi Seshanbeh shi‘ite 145 3-2-3-2 La nappe de Bibi Seshanbeh zoroastrienne 147 3-2-4 La nappe d‘offrande de Om-ol-Banin (sofreh) 150 3-2-5 La nappe de Hazrat-é Abolfazl-Al-Abbas 153 La prédication d‘Abolfazl 155 Déroulement de la nappe de Hazrat-é Abolfazl-Al-Abbas (Sofreh) 161 3-2-6 La nappe d'offrande de Hazrat-é Imam Hassan 169 3-2-7 La nappe de Hazrat -é Ali Asghar 172 3-2-8 La nappe d‘offrande de Hazrat-é Ghassem : (Sofreh) 175 3-2-9 La nappe d‘offrande de Imam Zaman : (Sofreh) 176 3-2-10 La nappe d‘offrande du prophète Elie : (Sofreh) 179 3-2-11 Doây-é tavassol (la prière du recours) 182 3-2-12 Adjile Moshkel Gosha 186 3-2-13Dans un conte téhéranais on raconte (Les récits des nappes) 196 10 QUATRIÈME PARTIE: analyse des données statistiques et conclusions. 4-1 Enquête 208 4-2 Echantillons et procédés d'échantillonnage 216 4-3 Analyse des données 216 4-4 Résultats 236 CINQUIÈME PARTIE: Conclusions 238 Annexes : Autres nappes : 1. Nappe de Hazrat-é Roghieh 243 1-1 Reflet symbolique des liens entre les champs de blé et les palmeraies 243 1-2 Déroulement de la nappe de Hazrat Roghieh 251 2. Croyances et coutumes persanes de Henri Massé 255 2-1 Nappe verte de Kerman 255 2-2 Offrande à Fatémeh Zahra 256 2-3 Offrande à Bibi Hour et Bibi Nour 257 2-4 Offrande à Khezr (Hider) le prophète 257 2-5 Adjil Moshkel Gosha 258 BIBLIOGRAPHIE 261 11 Résumé Les gardiennes des nappes d'offrande en Iran (de la préhistoire à nos jours) : Cette recherche a été intitulée "les femmes iraniennes héritières des nappes d'offrande". L'objectif de cette recherche est la mise en évidence des bases des nappes d'offrande votive féminines de la préhistoire à nos jours en tant qu‘explication, analyse et interprétation des nappes ; pour cette recherche, nous avons choisi la société actuelle de Téhéran constituée d'ethnies iraniennes variées, notamment les Zoroastriennes et les Shi‘ites. Le fil conducteur de cette recherche est le cadre théorique combiné basé sur la transmission culturelle, l'interprétation religieuse symbolique de Geertz, la réaction symbolique de Parsons et la théorie d'échange de Peter Blau, interprétant les différents aspects des signes et des symboles des nappes avec la présence, la participation des femmes, la réalisation de leurs désirs et la mise en place des nappes. Les théories d'Henri Corbin ont permis de répondre à certaines questions sur la transmission culturelle religieuse et les changements et transformations du monde symbolique iranien, mazdéen zoroastrien aux nouveaux symboles de l'Iran musulman shi‘ite ; nous avons 12 également fait appel aux rapports de Sadegh Hedayat, Henri Massé, Shakouri, Faghiri , K. et F. Mazdapour. Le commentaire et l'interprétation d'autres sujets des nappes tels que les récits, la lamentation et l'allégresse, les Adjil-é Moshkel Gosha étaient des mystères non élucidés jusqu'alors par les chercheurs ; ils l'ont été dans cette thèse. Il a été essayé de répondre aux questions posées par des réponses basées sur l'anthropologie religieuse symbolique. L'enquête statistique de la recherche porte sur des étudiantes, mariées ou non, de l'Université Azad, Unité Centre de Téhéran. Les questions principales intéressent la féminité des nappes d'offrande et le recours aux saints religieux iraniens shi‘ites. Les souhaits sont relatifs à la vie quotidienne, comme l'obtention d'un travail, la guérison d'un malade, l'achat d'un appartement, la résolution de problèmes financiers, le mariage, l'accouchement, etc. ; les résultats ont été rassemblés dans les tableaux de l'enquête statistique. Cependant, certaines questions sont restées sans réponses ; elles seront élucidées par de futurs chercheurs. Mots-clés : nappes d'offrande votive, les femmes gardiennes, transmission culturelle, Adjil, Moshkel Gosha. la 13 Avant-propos Continuation de la transmission culturelle en Iran : Au cours de l‘histoire de l‘Iran, on peut observer trois cicatrices profondes. Sans la force de son identité culturelle, l‘Ira n n‘existerait pas sous sa forme actuelle. 1. La première est due à l‘invasion d‘Alexandre le Grand, sous le règne de Darius III Achéménide (330 avant J.C.). Des traces profondes en sont restées pendant plus de deux millénaires, dans les domaines économique, culturel et social. Les ruines affligeantes de Persépolis arrachent des larmes intérieures chez tous les visiteurs. Quand Alexandre, parti des ruines en flammes de Takht-é Djamshid (Persépolis), galopait en direction de l‘Inde, ses chefs militaires, qu‘il avait laissés sur place en Iran, entreprirent le pillage des trésors et des réserves. (…) Mais Alexandre n‘avait-il déjà pas prélevé 180000 lingots d‘or dans les réserves de Darius à Suse et à Persépolis ? (E.S. Kennedy, 2002, 6). Différentes sources font référence à des palais, des temples, des documents importants et des livres sacrés qui ont été détruits par les soldats grecs. « Dans le livre Dinkart1, il a été cité qu‘Alexandre a attaqué l‘Iran ; du fait de son caractère diabolique, il s‘est attaqué à la religion iranienne. A cette époque, seuls existaient deux exemplaires du livre sacré, l‘Avesta ; Alexandre en a détruit un lors de l‘incendie de Takht-é Djamshid, et a dérobé le deuxième d‘une tour où étaient conservés les Textes Sacrés. Envoyé en Grèce pour traduction, il ne fut jamais restitué. » (A. Tafazoli, 2004, 13). Kennedy a donné une 1- Dinkart est l‘un des principaux livres religieux zoroastriens. « Ensemble de texte en langue pahlavi, comportant 169000 mots rassemblés par Azar Farnabagh. Comporte des informations au sujet des règles, des bases, des rites, des traditions ,des paroles, de l‘histoire et de la littérature zoroastrienne. Ce livre a été terminé à la fin du 9ème siècle après J.C. (Encyclopédie Dehkhoda, vol.8, 1998, 11428) 14 description très précise de l‘état de la pensée des iraniens sous l‘autorité d‘Alexandre et de son armée. « Selon les écrits iraniens, Alexandre est un envahisseur diabolique. C‘est un personnage sans aucune croyance religieuse. Il n‘a aucun respect pour les lieux sacrés iraniens, c‘est un ennemi du roi. La vraie religion, qu‘il a anéantie sans aucun respect, c‘est la religion des rois Achéménides qui existait avant l‘invasion (…). A l‘époque hellénistique, de nombreux iraniens ont conservé leur foi en Ahura Mazda. Ils croient encore en Lui, en son pouvoir céleste et en sa puissance. Par conséquent, les iraniens n‘ont pas accepté qu‘un Macédonien devienne leur roi (ibid., 69). Cette résistance, vis-à-vis des envahisseurs s‘est perpétuée, s‘est reflétée dans leur culture ; finalement, les nobles Arsacides réussirent à renverser les Séleucides et à abolir leur tradition culturelle religieuse, ce qui a duré jusqu‘à l‘époque sassanide. La culture zoroastrienne a ainsi été restaurée comme elle l‘était à l‘époque achéménide. « Bien que la culture grecque ait eu une influence importante au Proche-Orient sur les systèmes politiques et militaires exercés par les dirigeants grecs, cette influence n‘a été que superficielle et de courte durée, quelques décades seulement après la création de la dynastie séleucide dont l‘autorité sur l‘Iran ancien s‘étendant sur les bas plateaux jusqu‘à l‘est de la Mésopotamie a dû faire face à des difficultés » (Nardo, 2000,130). Ghirchman explique la situation économique socio-culturelle de cette époque : « Mais les iraniens ne voulaient pas devenir grecs, ils voulaient rester iraniens. Ils acceptaient les apports de la civilisation étrangère, mais ne voulaient pas s‘y fondre, s‘y mélanger. L‘hellénisation de l‘Iran, bien qu‘intéressant une grande surface, n‘était que superficielle, sans profondeur. Matériellement, ils ont réussi, mais ils n‘ont pu exercer aucune influence sur les esprits. Deux mondes avaient été mélangés du fait de la conquête, mais présentant de nombreuses différences. Cette conquête de 15 l‘Iran s‘est révélée en fait comme étant une défaite pour les grecs et une victoire pacifique pour les iraniens. En fin de compte, l‘Iran est sorti enrichi, en progrès lors du passage à la dynastie des Parthes, de souche iranienne pure, bien qu‘inconnue des iraniens de l‘ouest. » (1984, 284) 2. Le deuxième événement important ayant marqué l‘histoire de l‘Iran est l‘invasion arabe (633). Après cette défaite ayant eu un impact économique, politique et culturel, les iraniens ont été obligés de se rendre et d‘accepter l‘Islam. On note alors un transfert culturel avec des répercussions en rapport direct avec notre sujet de recherche, c‘est-à-dire la transmission culturelle et ses relations avec les nappes d‘offrande votive shi‘ites iraniennes. « Après la défaite des Sassanides, les iraniens ont été scindés en deux groupes. a - Le premier, le plus important, était formé de religieux réguliers qui ont accepté de payer un tribut pour pouvoir conserver la religion de leurs ancêtres, leurs rites, leur culture. Ce groupe était composé de plusieurs religions : chrétiens, zoroastriens, manichéistes, mazdakites et bouddhistes. Ainsi purent être conservés les saintes écritures des livres religieux et historiques écrits en langue et écriture avestiques, Pahlavi ou autre langues courantes de l‘époque. Les fiertés passées n‘ont pas ainsi été oubliées. Le clergé et les scientifiques liés à ce groupe ont longuement essayé de préserver la civilisation de l‘ancien Iran. A cette époque et jusqu‘aux 2ème et 3ème siècles après l‘Hégire, de nombreux chefs religieux zoroastriens ont rassemblé et résumé des textes religieux qui sont arrivés jusqu‘à nous. b - Le deuxième groupe est composé de personnes ayant accepté l‘Islam par la force du sabre, rarement avec foi, ou bien pour accéder à un statut social, politique, ou bien encore de personnes vaincues par les arabes, 16 déportées dans leurs tribus et considérées comme esclaves. Ce groupe, après avoir accepté la langue et la civilisation arabes, ont pénétré dans les habitudes sociales variées du gouvernement musulman et ont occupé des postes importants » (Z. Safa, 1990,18). Ils sont devenus gardiens du patrimoine, dans certaines limites, protégeant des incidents, des ennemis les traditions2. Des milliers de gens ont certainement perdu la vie dans cette transmission culturelle et cette résistance, considérés comme hérétiques, manichéens, guèbres… L‘Iran mazdéen, comme le dit Corbin, a trouvé sa voie par la création de diverses branches de l‘islam, dont différentes branches de shi‘ites3. Mais dans la pratique, les iraniens ont donné une forme nouvelle à l‘héritage ancestral. Eslami Nadoushan dit : « Les coups assénés sur la tête des iraniens n‘a jamais permis de leur faire oublier le passé. L‘invasion arabe a renversé l‘empire sassanide entraînant la destruction de palais et le pillage de trésors, mais n‘a jamais réussi à s‘accaparer de l‘esprit iranien. » (1972, 20) E. Yarshater a, dans une recherche approfondie, expliqué de diverses manières la transmission culturelle chez les iraniens après la conquête arabe musulmane : « En bref, c‘est la culture traditionnelle iranienne qui a subi un gros coup après la chute de l‘empire sassanide : la langue a perdu son attirance littéraire, la religion sa valeur et est tombée à l‘état de rite païen (Yarshater, 2002, 131) (…) C‘est chez les iraniens que le shi‘isme 2- Norouz avec les nappes Haft Sin, Gahanbar, Tchaharchanbeh Souri, Sizdehbédar, Mehregan, Sadé… 3- Dans la chronologie zoroastrienne, la durée du monde selon les croyances de l‘Iran antique est d‘environ 12 millénaires partagés en 4 périodes de 3000 ans. La première correspond à la création du monde spirituel et du monde des ténèbres et qui voit la guerre entre Ahura Mazda et Ahriman ; la deuxième est la création du monde matériel ; la troisième c‘est l‘attaque de Ahriman sur le monde et la quatrième voit la naissance de Zoroastre au 10ème millénaire. La fin du 12ème millénaire verra la fin du monde, après la venue de Soshiante. Dans la religion shi‘ite Soshiante est remplacé par le 12ème Emâm Shi‘ite Mahdi, qui est attendu avec impatience. Les rites de deuil de Siavash, héros innocent, mort en martyr ont été remplacés par ceux du 3ème Imam shi‘ite l’Imam Hossein mort en martyr à Karbala. Comme le dit Corbin dans son livre « la terre céleste », Fatémeh Al- Zahra a remplacé Sepandarmaz et les sources de Anahita ont été changées en sources d‘Ali et la plupart des temples consacrés à Anahita sont devenus des Imamzadehs féminins comme Shahr-é Banou, Bibi Pars. 17 duodécimain s‘est développé. Les 3ème, 4ème / 9ème, 10ème siècles sont considérés comme étant l‘âge d‘or de l‘écriture de livres parce que c‘est à cette époque que Nobarti, Koleyni, Ebn-é Babouyeh et Sheikh Sodough ont recueilli et rassemblé les « hadiths » shi‘ites apportant ainsi les preuves de la légitimité de leur religion (ibid., 136). Il est rappelé ailleurs : « On peut dire que 200 ans après l‘entrée de l‘Islam en Iran, les iraniens ont extériorisé tout ce qu‘ils avaient sur le cœur. Il n‘y avait pas encore 200 ans que l‘empire sassanide s‘était écroulé que du gouvernement arabe il ne restait plus que le nom. Le Sistan, le Khorāsān et l‘Asie centrale qui avaient subi l‘injustice et la cruauté des arabes à ce moment étaient prêts pour l‘indépendance. Le gouvernement, favorable uniquement aux arabes était aux mains des iraniens, même à Bagdad. La langue persane, après la tempête de Ghadessieh, avait supporté deux siècles de silence complet a réussi à rompre cet envoutement » (A. Zarrinkoub, 1989, 368). 3. Le troisième événement important qui a détruit le plateau iranien, c‘est l‘invasion mongole (1221). Tout d‘abord, ce fut le génocide de la population iranienne, puis ce fut la destruction des villes et des villages, des barrages et des systèmes d‘irrigation, et enfin le changement du système féodal (arbab-va-rayati) avec retour au nomadisme. Barthold en 1918 explique : « On estime que le sommet de l‘évolution de la culture musulmane coïncide avec le début de son déclin au 4ème/10ème siècle ; en fait la culture iranienne a continué sa progression dans divers domaines de la culture et cela pendant plusieurs siècles… A l‘époque de la domination mongole, la restauration de la civilisation islamique s‘est montrée très brillante dans certains domaines, en architecture, dans les beaux-arts, en particulier en peinture et miniatures ; spirituellement parlant, cette civilisation a trouvé ses racines dans le mysticisme. La culture islamique 18 iranienne a laissé son empreinte sur la structure de la dynastie mongole qui a régné sur l‘Anatolie, les pays balkaniques ainsi qu‘en Inde » (A. Yashater, 2002, 111). Ici, nous voulons montrer le rôle important de la transmission culturelle dans notre recherche. C‘est un sujet fondamental abordé par David Berliner dans sa thèse de doctorat, ainsi que dans différents articles4. Les recherches de D. Berliner et la nôtre intéressent deux lieux différents – la Guinée et l‘Iran – et deux époques différentes – la première en 1954 et la deuxième en 621. Ces deux cultures ayant été soumises à une population étrangère musulmane, l‘une a perdu sa propre culture (Guinée), tandis que la seconde non seulement n‘a pas perdu sa culture, mais au contraire, a été témoin d‘une renaissance et d‘une transmission, du fait de son ancienneté et des racines profondes de sa culture ; elle a réussi à traverser ces épreuves terribles sans heurts, alors que l‘autre n‘a pas réussi, la transmission culturelle est impossible. Ces recherches ont démontré le rôle, l‘importance de la transmission culturelle. L‘invasion cruelle ayant complétement détruit les fondements culturels, d‘autres personnes porteuses d‘autres croyances et autres objets, sont apparues effaçant les souvenirs passés de l‘ancienne génération. Cependant, les anciens gardent certains souvenirs, des secrets silencieux et un regard ahuri. La nouvelle génération, sans identité culturelle ancestrale, avec une culture imposée, importée et protégée par les étrangers dans le cadre d‘une publicité 4- «Nous sommes les derniers buloŋic » Sur une impossible transmission dans une société d’ Afrique de l’ouest (Guinée-Conakry) année académique 2002-2003 : « An “ impossible“ transmission :Youth religious memories in Guinea-Conakry » – American ethnologist – volume 32, number 4, Novembre 2005, pp. 576-582, « When the object of transmission is not an object. A West African Example (GuineaConakry) » - RES 51, Spring 2007, pp. 87-97, « Transmettre la peur et la fascination –– Mémoire d’une interaction initiatique en pays bulongic (République de Guinée) » - Eprouver l‘initiation – Systèmes de pensée en Afrique noire, 18, 2008, pp.105-131 et « Anthropologie et transmission » (Terrain 55 – Septembre 2010, pp.4-19). 19 politique, avancent dans une voie étrangère à la culture du passé. Les interviews faites avec les jeunes témoignent de la profondeur de l‘aliénation culturelle. Berliner indique le rôle des femmes face à cette situation, dans cette transmission. Dans les deux lieux, il y a des femmes ; elles sont chargées de l‘héritage du passé. Apparemment, la transmission de l‘héritage culturel des Boulangic de Guinée est impossible. Seules les femmes dans les objets et dans les cérémonies religieuses rituelles sous forme de représentations, ont conservé l‘héritage culturel, les secrets de la savane couverte de plantes, bien alimentée en eau. En Iran également, existent des femmes qui, jusqu‘à aujourd‘hui, sont responsables de l‘organisation de nappes d‘offrandes votives, cérémoniales, et nationales. 20 Introduction Souvenirs des aubes magiques des nappes d'offrande : L'idée de départ de notre recherche sur les nappes d'offrande repose sur une fascination de notre part qui remonte à l'enfance : souvenir magique de ces nappes, dans les anciennes maisons traditionnelles de Téhéran avec leurs pièces si particulières, aux vitraux colorés, aux lampadaires posés dans des niches et aux planchers recouverts de tapis persans aux motifs riches et multicolores, au centre desquels on posait la veille de la cérémonie des offrandes sur la grande nappe blanche, au milieu de laquelle trônait un immense plateau contenant de la farine de blé. Le lendemain, au petit matin, c'est notre grand-mère, la doyenne de la famille et à qui incombait la tâche et la responsabilité de la nappe d'offrande, qui nous réveillait, nous les enfants, ainsi que le reste de la maisonnée pour l'accompagner dans sa recherche d'empreintes de l'un ou l'autre Hazrat5 au nom de qui la nappe était offerte et qui serait le signe de son acceptation de l'offrande. Il y avait ce moment extraordinaire, gravé à jamais dans notre mémoire, où elle ouvrait la porte de la pièce où la nappe était posée et, tout en nous tenant par la main, elle entrait solennellement la première, cherchant des yeux la trace annonciatrice de l'acceptation de l'offrande par le Hazrat en question. Sa croyance aidant, elle finissait toujours par la trouver, guidant immédiatement notre regard incrédule d'enfant impatient vers le sommet du tas de farine. C'étaient parfois des traces de grains de chapelets, d'autres fois des empreintes de doigts ou encore la forme d'une main qui aurait effleuré la farine. C'est le merveilleux de ce moment qui est resté intact dans nos souvenirs et qui est devenu plus tard notre leitmotiv. 5 - Hazrat : ici, correspond à « saint » ; signifie personne pure, parfaite, vénérable, qui a mené une vie irréprochable. Les shi‘ites utilisent ce terme pour les descendants du Prophète de l‘Islam. 21 L'arrivée de l'adolescence a mis fin à notre fréquentation des nappes d'offrande votive ; mais notre curiosité pour ce sujet a continué bien audelà de l'enfance et de l'adolescence et s'est manifestée sous forme de questions détaillées posées aux membres de la famille à leur retour des cérémonies de nappes d'offrande votive. Lieux symboliques et leurs souvenirs. , Grand-mère, responsable de la transmission de l’héritage religieux traditionnel et culturel. (photo R. Roha) 22 Nappe de Hazrat Abolfazl- Al-Abbas à Bruxelles chez Madame Badii en 2005. (photo M. Homayun Sepehr) Les événements et incidents en Iran (1963-1988) : Aujourd'hui, 45 ans plus tard, l'histoire a suivi son cours : il y a eu la réforme agraire en 1962, et deux ans plus tard le soulèvement religieux qui a abouti à l'exil de l‘Ayatollah Khomeiny, en Turquie d'abord, puis en Iraq, l'occidentalisation excessive des années du règne du Shah jusqu'à la fin des années 70, le soulèvement populaire de 1978 qui a mené l‘Ayatollah Khomeiny au pouvoir en 1979 et instauré la République Islamique d'Iran, suivi de la guerre Iran-Iraq entre 1980 et 1988, des évènements qui ont façonné et transformé profondément la société iranienne. Continuation de la tradition des nappes d'offrande : La tradition des nappes d'offrande a persisté et a même pris un nouvel 23 essor, allant jusqu'à accompagner les iraniennes zoroastriennes ou shi‘ites6 dans leur exil à l'étranger. Un exemple des plus récents est la nappe de Hazrat-é Abbas 7 offerte par Madame Négar Badii le 16 août 2005 dans sa 6- Shi’isme : «Le shi‘isme constitue fondamentalement et de plein droit l‘ésotérisme ou le sens intérieur de la religion islamique ; cet ésotérisme ou ce sens intérieur est initialement et intégralement l‘enseignement auquel les Imams ont initié leurs disciples et celui qui ces derniers ont transmis (…). L‘idée de ces témoins qui, même complètement ignorés de la masse des hommes, de génération en génération, « répondent pour » Dieu en ce monde, comporte l‘idée d‘une communauté spirituelle dont la hiérarchie est fondée, non pas sur les préséances d‘un ordre social extérieur, mais uniquement sur les qualifications de l‘être intérieur. Aussi échappe-t-elle à toute matérialisation et à toute socialisation. Les « Khalifes de Dieu » sur la Terre, dont parle le premier Imam, ce furent en premier lieu les onze Imams, ses successeurs, et plus loin encore, tous ceux dont la succession invisible maintient la pure hiérarchie autour de celui qui est le « pôle » mystique, l‘ « Imam caché », jusqu‘à la fin de notre Aiôn ; sans eux, l‘humanité, qu‘elle le sache ou non, ne pourrait continuer de subsister. Et c‘est là finalement que se décident le sens et l‘enjeu du combat spirituel du shi‘isme. » (H. Corbin, 1960, 114-115) Le shi'isme est donc 1) l‘aspect ésotérique de l‘Islam, il résulte de la clôture du message prophétique ; 2) il est par conséquent centré sur la fonction médiatique et herméneutique de l‘Imam, d‘où l‘importance primordiale que revêt le terme ta’wil dans l‘imâmologie ; 3 ) la vocation du shi‘isme étant celle d‘une communauté spirituelle axée sur l‘amour, elle s‘oriente d‘emblée vers l‘intériorité et refuse de réduire l‘Islam à l‘extériorité de la shari’a. D‘où l‘attitude intransigeante du shi‘isme envers le sunnisme, les théologies extérieures shi‘ites, et une certaine forme de soufisme. Ceci constitue le triple combat du shi‘isme. Le shi‘isme naît à partir d‘une question essentielle, posée en raison du drame même de la clôture du message prophétique. Du moment que le dernier des Prophètes est mort et que le Sceau de la prophétie est clos, et comme aussi l‘humanité ne peut rester vivante sans un Garant de Dieu, que sera la situation du croyant ? D‘autre part, si la signification du Livre ne se réduit pas à son sens littéral, qui va en assurer à présent la compréhension ? (Qayyim bi’l-Kitab), quelqu‘un qui puisse nous initier à son sens intérieur. C‘est pourquoi le shi‘isme professe qu‘au cycle de la prophétie a succédé le « cycle de la walayat ». Ainsi le message s‘intériorise et se transmet par la voie des Imams, et ceci jusqu‘à nos jours. Voyons à présent les grandes périodes du shi‘isme. La première période commence avec le premier Imam, Ali Ibn Abi Talib (ob. 661). Celui-ci fut le confident des secrets du prophète de l‘Islam ; à son sujet, le prophète aurait dit : « Je suis la Cité de la Connaissance, Ali en est la porte. » Cette période va jusqu‘à l‘année qui marque la « Grande Occultation » du XIIème Imam, c‘est-à-dire 329/940. C‘est par ailleurs l‘année où meurt le grand compilateur Mohammad ibn Ya‘qûb Kolaynî qui recueillit auprès des derniers représentants du XIIème Imam, les hadîths constituant le plus ancien recueil de traditions shi‘ites. Une seconde période s‘étend de Kolaynî jusqu‘à Nasîroddîn Tûsi (ob. 1270) qui participa aussi au shi‘isme ismaélien. Cette période est marquée), dit Corbin, « par l‘élaboration des grandes sommes de traditions shi‘ites, les ouvrages consacrés à tel ou tel thème particulier, les grands tafsir ou commentaires shi‘ites du Qorân ». Une troisième période va de Tûsi (depuis l‘invasion mongole) jusqu‘à l‘époque safavide, au début du XVIème siècle. Elle est marquée par l‘œuvre importante de Haydar Amoli qui essaya de concilier le soufisme et le shi‘isme en constituant un shi‘isme intégral. La quatrième période commence à partir de l‘époque safavide (depuis l‘Ecole d‘Ispahan »), dominée par Mîr Damad et ses élèves, et englobant la période Qadjar, aboutit jusqu‘à nos jours. (Shayegan, 1990, 90) 7- Hazrat-é- Abolfazl –Al Abbas : Abolfazl-Al-Abbas est le fils de Ali-Ebn-Abou-Taleb, le premier Imam des Shi‘ites et de Om-Ol-Banin. Il est mort en martyr en l‘an 61 de l‘Hégire, lors de l‘événement de l‘Ashoura de Karbala, aux côtés de son frère Hossein-Ebn-Ali. Il est connu sous différents noms : Mah-éBani-Hashem, Ghamar-é-Bani- Hashem, Alamdar-é-Hossein. Pour les Shi‘ites, c‘est l‘un des personnages les plus prestigieux de la famille du Prophète. Il est considéré comme étant capable d‘aplanir les difficultés, de résoudre les problèmes ; pour cela, on sacrifie des moutons, on fait vœu de soupe, de pain et yaourt ou de pain et dattes. Il est très sollicité et les Shi‘ites jurent sur son nom, sur son sabre dégainé et sur sa main coupée. Si quelqu‘un jure à tort, il est sûr d‘être puni. 24 nouvelle maison à Tervuren, pour la finition de laquelle elle avait formulé un vœu. Aujourd'hui, la société iranienne est scindée distinctement en « masculin » et en « féminin ». L'accès au monde féminin des nappes d'offrande reste refusé et demeure tabou pour tout élément masculin. Nous avons pu contourner ceci en ayant recours aux étudiantes de notre section qui viennent d'horizons très diversifiés, des différentes provinces iraniennes et qui se sont révélées être une source d'information précieuse. Nous leur avons demandé de participer à ces nappes dans leur entourage et leur famille et de nous documenter sur ce sujet au moyen de films, de photos et d'interviews basés sur des questionnaires rédigés par nous-même tout en les guidant dans la direction de notre recherche. Perpétuation de la transmission et de la tradition des nappes en Iran et à l'étranger : Nous avons été vite confronté à la question (réalité) suivante : depuis des millénaires, ce sont les femmes qui détiennent le droit d'offrir des nappes et ce sont elles qui maintiennent cette tradition à travers tous les aléas de l'histoire jusqu'à nos jours et au-delà des frontières du pays (des femmes iraniennes zoroastriennes et shi‘ites qui vivent à l'étranger la pratiquent toujours comme en témoigne l'exemple de Madame Badii cité plus haut ainsi que celui de Madame Fakhari. 25 Nappe de Hazrat-é-Abolfazl- Al-Abbas à Bruxelles chez Madame Badii en 2005, avant l’arrivée des participantes. (photo M. Homayun Sepehr) Nappe de Hazrat Abolfazl- Al-Abbas à Bruxelles chez Madame Badii en 2005, en présence des participantes. (photo M. Homayun Sepehr) 26 Aujourd'hui, cette tradition est très répandue chez les femmes zoroastriennes et musulmanes shi‘ites iraniennes. La domination de la femme sur cette tradition dans une société a priori patriarcale nous mène à poser légitimement la question de savoir si la continuation et l'extension de ces nappes dans les mains des femmes ne nous guident pas vers d'autres réalités occultées de la société iranienne, comme par exemple une symbolique de tout ce que ces nappes représentent comme réminiscence de ce qui était aux mains des femmes depuis des temps immémoriaux, par transmission de génération en génération : l'agriculture, l'arboriculture (ici au sens de culture des arbres fruitiers, dans la tradition des jardins persans), le tissage des tapis, la poterie, etc. Ces enjeux nous ont mené à travailler sur deux terrains distincts : 1) une recherche bibliographique 2) une recherche sur le terrain. Etudes antérieures sur les nappes d’offrandes votives (différentes sortes de sofreh) : En ce qui concerne le premier terrain, nous avons fait une investigation dans les livres de mythologie, de religions, d'histoire, des récits de voyages, des monographies ethnologiques, folkloriques surtout celles consacrées aux folklores téhéranais, plus spécifiquement les ouvrages de Hashem Razi, des mémoires de licence et de licences spéciales consacrés à ce sujet dans les universités mais aussi dans les centres de recherches d'Iranologie, finalement des sources bibliographiques en français, surtout les travaux de Henri Corbin ainsi que la thèse de doctorat de Eric Phalippou intitulée 27 « aux sources de Shéhérazade, contes et coutumes des femmes zoroastriennes ». Participation, interviews et prises de vues dans les maisons et les Imamzadehs8 : Nos travaux couvrent différents champs d'investigation comme les maisons où la cérémonie de la nappe se déroule chez les Zoroastriens à Yazd, Taft, Téhéran et chez les Shi‘ites dans différentes régions, surtout à Téhéran (famille et entourage), par le biais des étudiantes qui y ont assisté personnellement, filmant, photographiant et interviewant, les principaux Imamzadehs de Téhéran (Saleh, Yahya et Seyyed Nasreldine) où en général on n'ouvre qu'une seule nappe consacrée à Hazrat-é Roghieh, dans les ateliers de travaux pratiques à l'UAITC (Université Azad Islamique de Téhéran-Centre) où nous avons organisé de nombreuses nappes au nom des différents Hazrat, où les étudiantes ont préparé les mets spécifiques et où enfin, l'élément masculin a fait son entrée dans ce monde hermétique. Zones de recherches à Téhéran et dans les villes dont sont originaires les familles organisatrices de nappes : Finalement, c'est par le biais des questionnaires mentionnés ci-dessus et distribués par nos étudiantes dans les différents quartiers de la ville, incluant ainsi toutes les classes sociales de la société iranienne, la ville de Téhéran étant par excellence un microcosme de toutes les provinces d'Iran, que nous avons recueilli les données de bases. C'est à partir des faits résultant de ces investigations que nous pouvons affirmer l'importance particulière que les nappes d'offrande revêtent au sein 8 - Imamzadeh : nom donné aux descendants des Imams issus de Fatima, la fille du Prophète. Nom étendu à leur lieu de sépulture. On compte actuellement environ 8000 Imamzadehs en Iran. (selon la télévision officielle, 2010). 28 de la société iranienne du point de vue culturel et religieux parmi les femmes zoroastriennes et de rites shi‘ites, c'est-à-dire la majorité. Absence d'interférence du Gouvernement dans l'organisation des nappes d'offrande : Le premier constat qui frappe l'œil de l'observateur c'est le fait que, sans qu'elles soient promues spécifiquement ou institutionnalisées par l'Etat ou les institutions religieuses, c'est-à-dire sans aucun soutien officiel, ces nappes se sont transmises dans le temps et dans l'espace de générations en générations et ont survécu et pris de l'essor, et ce, sans qu'il y ait spécifiquement un enseignement organisé pour sauvegarder celles-ci et transmettre les rites courants qui se rapportent à leur déroulement. On peut affirmer que le transfert se passe par un mouvement naturel et intérieur. La tradition est là et c'est ainsi. On fait un vœu, et une fois ce vœu exaucé on étend la nappe et on invite les membres féminins de la famille, les amies, les connaissances, les voisines, les collègues, chez soi ; ou bien on choisit un lieu public, donc sans invitations (les Imamzadehs) et on pourvoit aux denrées nécessaires. La coutume se transmet de mère en fille ou parmi les éléments féminins de la famille. Nous avons certes porté notre attention sur le rôle des archétypes et leur évolution, et nous avons mis à profit les théories anthropologiques de transmission de la culture pour étudier la continuation culturelle des nappes d'offrande avec l'écoulement du temps. 29 Première partie : GÉNÉRALITÉS SUR LA RECHERCHE 1-1 Exposition de la situation : Au piémont de la chaîne de l'Alborz s'étend une ville : c'est Téhéran, la capitale de l'Iran. En 2000, la population de la province de Téhéran s'élevait à 11 647 103 habitants. Parmi celle-ci, 10 159 768 personnes vivaient intramuros (87,25% du total de la province), le reste, soit 1 487 335 personnes, occupant les villages (12,77% du total de la province). (Salimi Navid, 2004- 42) Plan de Téhéran, 2006 30 1-2 Téhéran, la ville des nappes : Téhéran, est une ville dans laquelle sont présentes toutes les classes sociales, ce qui lui a conféré sa morphologie. Le Nord de la ville, sur les pentes de l'Alborz, est caractérisé par un climat relativement tempéré par opposition au Centre et au Sud de la ville. Depuis deux siècles que Téhéran est devenu la capitale du pays, c'est dans les quartiers du Nord de la ville que les palais royaux ont été érigés (Qadjars9 puis Pahlavi10), et que se sont installées les classes aristocratiques ainsi que les ambassades des pays européens. La classe moyenne de la ville, représentant la majeure partie de la population téhéranaise, s'est installée dans les quartiers du Centre, entre le Nord et le Sud de Téhéran. Les différentes classes de niveau moyen résident habituellement dans cette zone. Le Sud de Téhéran est occupé par la couche défavorisée de la société, ouvriers et employés à faibles revenus. Mais l'aspect le plus net de cette morphologie urbaine réside dans le niveau culturel qui s'étale du Nord avec les classes les plus riches de la société habitant d'immenses villas ou des gratte-ciel, au Sud avec les petites maisons pauvres des classes ouvrières et des petits fonctionnaires. (résumé du livre de A. Shamlou Ketâb-e kuce, 2002, 2967 et de Dj. Shari, 1999) Ce qui réunit les pauvres et les riches, les capitalistes et les ouvriers, les gens éduqués et les illettrés, ce sont les croyances culturo-religieuses ou culturo-nationales et ethniques. Ni les immenses villas, ni les appartements luxueux, ni les objets modernes, ni la pauvreté, ni le manque de produits vitaux, n'empêchent que ces deux classes importantes de la société 9- Qadjars : Dynastie ayant régné sur la Perse de 1794 à 1925. Les principaux souverains de cette dynastie sont : Agha Muhammad, Fath Ali Shâh (1797 – 1834), Muhammad Shâh (1834-1838), Nâsir ed-din (1848- 1896), (1896-1907). Les Qadjars furent remplacés par les Pahlavi. 10- Pahlavi : dynastie perse fondée par Réza Shâh, qui prit le pouvoir en 1925, après avoir déposé les Qadjars. 31 s'unissent dans les croyances religieuses. Lors des cérémonies religieuses, deuils, actes votifs, cérémonies sacrificielles, apparaît une base commune ; c'est la mise en évidence de celle-ci qui sert de point de départ à l'étude de cette recherche portant sur les nappes d'offrande en général, et les nappes d'offrande des zoroastriens et des shi‘ites qu‘ils soient traditionnels ou modernes. Ville de Téhéran, la nuit, quartier de Shahrak-é Ghods, 2008 (photo de la mairie) 32 1-3 Importance du sujet, évolution en Iran sur une période de 50 ans : Durant les cinq dernières décennies, nous avons été témoins en Iran d'une importante évolution : réforme agraire (1963), Révolution Islamique (1979) et guerre entre l'Iran et l'Iraq (1980-1988), guerre ayant duré 8 ans et ayant pris fin avec la résolution 598 des Nations Unies. Ces trois grands événements ont affecté la structure sociale, économique, industrielle et politique de l'Iran. La population du pays est passée de 35 millions en 1979 à 70 millions en 2006. Ces transformations se sont reflétées sur les comportements, les croyances, les cérémonies religieuses, les rites, les coutumes, les traditions, les usages et autres aspects culturels. Ainsi, du fait d'une conception culturo-religieuse basée sur la séparation des sexes, la société s'est trouvée scindée en deux dans les domaines social, politique et culturel. La tradition des nappes d'offrande joue un rôle essentiel dans la persistance de ce processus. Porte d’une maison ancienne du centre de Téhéran. A gauche marteau destiné aux visiteurs masculins et à droite, celui réservé aux femmes. (photo S. Salimian) 33 Prière du vendredi, université de Téhéran (section des hommes). 2007. (photo S. Salimian) Prière du vendredi, université de Téhéran (section des femmes). 2007. (photo S. Salimian) De ce fait, les recherches, les investigations et les rapports relatifs à de telles traditions dans les domaines des sciences sociales, en particulier anthropologie, ethnologie et ethnographie, peuvent permettre d'évaluer le développement de la société et de résoudre les problèmes relatifs aux épistémologies. 34 1-4 Objectifs de la recherche : 1-4-1 Objectifs généraux de la recherche : Le but de cette recherche approfondie concerne l‘analyse des rapports, l'étude et la compréhension d'une des manifestations importantes de la culture religieuse, rituelle, sacrée, symbolique, interprétative, collective, uniquement féminine, c'est-à-dire les nappes d'offrande zoroastriennes et shi‘ites en Iran, surtout celles organisées à Téhéran. Organisation de la nappe d’Abolfazl-Al-Abbas chez Madame Badii à Bruxelles, Tervuren, 2005. (photo M. Homayun Sepehr) 35 1-4-2 Objectifs secondaires de la recherche : a. Identification et importance de cette tradition religieuse féminine dans la société iranienne (Zoroastriens et Musulmans Shi‘ites). b. Mise en évidence des liens existant entre le vœu et la mise en place d'une nappe d'offrande après l'émission d'un vœu. c. Identification des rapports existant entre les femmes et l'éclat matériel et spirituel ou terrestre et céleste des nappes d'offrande votive. d. Mise en évidence des rapports existant entre les deuils, les lamentations et la jubilation dans les nappes d'offrande votive. e. Mise en évidence des rapports existant entre les lamentations et la joie exprimées dans les nappes d'offrande votive. f. Identification des liens existant entre les personnes émettant un vœu et les saints tels que Fatémeh Zahra, Abolfazl- Al- Abbas et Hazrat Roghieh11. g. Mise en évidence des liens existant entre les récits faits dans les nappes d‘offrande et leur rôle dans la vie quotidienne. h. Mise en évidence des liens existant entre les différents archétypes, ou remplacement des saints primitifs par des saints islamiques shi‘ites tels que Sepandâr Maz remplacé par Fatémeh Zahra12. i. Mise en évidence des liens existant entre les femmes à l'origine des nappes d'offrande et les vœux et invocations. j. Mise en évidence de l'évolution et du développement des nappes d'offrande en relation avec les facteurs culturo-religieux et la transmission culturelle en Iran. 11 - Hazrat Roghieh : fille du 3ème Imam shi‘ite (Imam Hossein), martyr de Karbala (Moharram 61 de l‘Hégire). Déportée à Damas avec les autres survivants, elle y meurt à l‘âge de 3 ans de chagrin la même année. 12 - Fatémeh Zahra : fille du Prophète de l‘Islam, épouse de l‘Imam Ali, le premier imam shi‘ite, mère des Imams Hassan et Hossein. Décédée en martyre à Médine en l‘an 11 de l‘Hégire. 36 Cérémonie de la nappe à l’occasion de la puberté chez les Zoroastriens à Téhéran, 2007 (photo S. Salimian) Cérémonie de la nappe de Norouz chez les Zoroastriens à l’Université de Téhéran, 2006 (photo S. Salimian) Cérémonie de la nappe d’offrande de Hazrat-é-Abolfazl-Al-Abbas à Téhéran, 2007 (photo M. Valilou) 37 Cérémonie de repas d’offrande réservée aux hommes, Mazandaran, 2006 (photo A. Ghassemi) 1-5 Méthodes utilisées lors de la recherche : Les méthodes utilisées pour les recherches sur les nappes d'offrande sont de trois types : 1-5-1 Bibliographiques : La recherche dans les livres, les documents, les rapports, les articles et les thèses d'université, etc. constitue la première étape de la recherche ; sans elle, le travail de terrain se révélerait insuffisant. a) Livres historiques qui nous apportent des renseignements sur l'évolution sociale, culturelle, historique et anthropologique en Iran. b) Livres religieux tels que l'Avesta13 dans ses différents parties, et livres portant sur des sujets religieux, philosophiques. c) Livres islamiques tels que le Coran, le Mafâtih (livre de prières de Sheikh Abbas Ghomi), les livres de prières islamiques shi‘ites et les livres traitant de problèmes religieux comme les traités pratiques de chefs religieux shi‘ites (Tozih-ol-Massael). d) Livres de recherches relatant les études de personnage éminents tels 13 - Avesta : recueil des textes sacrés de la religion mazdéenne (Iran antique) écrit an langue avestique ou zend. Le texte original, détruit lors de la conquête par Alexandre le Grand a été reconstitué sur la tradition orale à l‘époque sassanide. Ilo est actuellement composé de 5 parties : Yasna, Yashtha, Vandidad, Visparad et Khord-é Avesta. 38 que Gobineau, Edward Brown, Henri Massé et les mémoires de voyageurs étrangers en Iran. e) Livres anthropologiques de culture générale tels que les œuvres de Hedayat, Khansari, Katiraï, Djafar Shahri, Ravandi, Shakourzadeh, Propp. f) Thèses universitaires de maîtrise et de doctorat. Plusieurs thèses ont été utilisées du fait des recherches menées dans divers domaines de l'anthropologie, de l'ethnographie, des cérémonies et des coutumes. 1-5-2 Sur le terrain : Les recherches sur le terrain sont menées de trois manières : a) Sur les lieux de culte : parce que publics, les lieux de culte ne sont soumis à aucune limitation d'entrée pour les hommes et les femmes, par exemple, Imamzadeh Saleh, Seyed Nasr Aldin, Imamzadehs Yayah et Mohammad, Mosquée de Djamkaran et Shahzadeh Abdol-Azim, dans lesquels plusieurs interviews, observations directes et participations ont été opérées facilement. b) Dans des lieux réservés aux femmes : ce sont généralement des nappes d'offrande particulières telles que nappes pour Hazrat Fatémeh Zahra, nappes pour Abolfazl-Al-Abbas et nappes pour Imam Hassan14 et nappes de Bibi Seshanbeh15, ainsi que d'autres nappes, spécifiquement féminines et interdites aux hommes. 14- Emâm Hassan : 1er fils de Imam Ali et de Hazrat-é- Fatémeh Zahra, 2ème Imam des shi‘ites. Mort en martyr, empoisonné à Médine en 669. 15- Bibi Seshanbeh : personnage légendaire chez les Zoroastriens et les shi‘ites iraniens. Elle est parfois assimilée à Anahita, parce que le mardi (Seshanbeh en persan) est le jour dédié à Anahita. .. 39 Imamzadeh Shahzadeh Abd-ol-Azim, Shahr-é-Rey, 2006 (photo S. Salimian) Comme il l'a été dit dans l'introduction, dans cette partie de la recherche, de nombreuses images, datant de l'enfance et de l'adolescence de l'auteur, sont restées gravées dans son esprit ; en effet, il avait alors participé à des nappes d'offrande du fait de l'absence de limitation due à l'âge, et de relations familiales. Plus tard, tenu au courant par le biais des membres de sa famille et de relations, il comprit que les nappes d'offrande suivaient toujours le même processus du fait des traditions. 1-5-3 Enquêtes : 80 questionnaires d'enquête ont été distribués parmi les étudiantes de 3ème et 4ème années de l'Université Azad Islamique, Faculté des Sciences, département d'Anthropologie. Il leur a été demandé d'y répondre en famille, c'est-à-dire avec leurs grands-mères, mères et sœurs. Les réponses dépouillées ont été soumises à un traitement statistique, puis les résultats ont été présentés sous forme de graphiques. 40 1-5-4 Objets et outils utilisés lors des interviews et sur le terrain de recherche : Utilisation d'appareils d'enregistrement audio, de caméras, d'appareils photographiques lors des interviews et des recherches de terrain dans les Imamzadeh, les Mosquées, et auprès de personnes à l'origine des nappes d'offrande. Sur le terrain, les personnes âgées ont été interrogées en premier, puis celles d'âge mûr et enfin les jeunes. Les interviews sont de type questionsréponses avec enregistrement, puis analyse, exploitation et obtention de résultats conduisant à l'élaboration de tableaux accompagnés de graphiques. 1-6 Territoires de recherches (Métropole de Téhéran) : Téhéran, capitale de l'Iran, abrite 1/8 de la population totale du pays. Téhéran ayant été choisie comme capitale il y a 200 ans, s'y installèrent alors des classes bureaucratiques et aristocratiques iraniennes, des princes, des commerçants et autres classes sociales, des minorités ethniques religieuses, des artistes, des industriels et autres, venus d'autres grandes villes d'Iran auparavant capitales : tel est le cas d'Ispahan, capitale safavide16, de Meshed, capitale de la dynastie Afshâr17, et de Shiraz, capitale des Zend18. Ils se sont installés dans divers quartiers de la capitale tels Darkhoungah, Oudladjan, Sangladj, Bazar, et Tshaleh Maidân. Ces personnes aux cultures variées, avec un patrimoine culturoethnique et culturo-religieux accompagné de coutumes et traditions se sont établies à Téhéran ; plus tard, surtout sous le règne de Nasser Ed Din 16 - Safavides : dynastie fondée par Shâh Ismaïl en 1501. Ils régnèrent sur la Perse jusqu‘en 1736, atteignant leur apogée avec Abbas Ier le Grand (1587-1628) qui transporta la capitale de Qazvin à Ispahan. 17 - Afsharieh : dynastie fondée en 1736 par Nader Shah (1688-1747). Il installa sa capitale à Meshed. 18 - Zendieh : dynastie fondée par Karim Khan-é-Zend Vakil en 1750. Il a fait de Shiraz sa capitale. Le dernier des représentants des Zendieh est Lotf-Ali-Khan-é-Zend ; il a été assassiné par Agha Muhammad Khan Qadjar en 1879. 41 Shah Qadjar, elles ont implanté une culture commune conférant à Téhéran une physionomie de mosaïque présentant une certaine harmonie malgré la diversité existant dans les principes culturels dominants. Ainsi, pendant les mois de Moharram et de Safar, période de deuil de l'Imam Hossein19 et de ses disciples, les cérémonies sont généralement organisées dans les différents quartiers de la ville, chacune porteuse de sa propre tradition et de sa propre ordonnance. Ainsi, des nappes d'offrande féminines étaient préparées dans les harems des shahs Qadjar, des aristocrates, des chefs et des dignitaires, ainsi que dans les classes moyennes et inférieures de la société. De ce fait, il est possible de présenter la ville de Téhéran, capitale bicentenaire reflétant les cultures des diverses ethnies iraniennes et minorités religieuses, comme terrain de recherche générale. Il est évidemment bon d'insister sur l'importance de la superficie du pays, la diversité des cultures, leur réflexion sur les croyances, les traditions, les usages des différentes ethnies résidant à Téhéran. La ville de Téhéran comporte trois zones : le Nord, le Centre et le Sud, occupées par trois classes sociales, classe aisée au Nord, classe moyenne au Centre avec un niveau intermédiaire, et enfin classe de petits fonctionnaires et d'ouvriers au Sud. Elle constitue le terrain de la recherche portant sur la participation aux nappes d'offrande avec interview de leurs artisans, au Nord, au Centre et au Sud de la ville, grâce aux relations et aux membres des familles des étudiants, de différentes manières. Des étudiantes ont pu participer à certaines nappes d'offrande et en ont pris des photos ; du fait de leur statut de chercheurs, elles ont été acceptées et invitées par des 19 - Imam Hossein : 2ème fils de Imam Ali et de Hazrat-é Fatémeh Zahra, 3ème Imam des shi‘ites. Mort en martyr avec 72 personnes de sa famille et fidèles lors de l‘événement de Karbala, 10 ème jour de Moharram de l‘an 61 de l‘Hégire (Ashoura). 42 Zoroastriens de Téhéran (famille Faramarzi ) à participer du début à la fin à des nappes d'offrande telle la nappe de Dokhtar-é- Shah-é-Parian20 et y ont effectué des interviews. Province du Guilan ; la croyance des femmes autochtones dans les lieux sacrés, 2001 (photo A. Ghassemi) 1-7 Questions posées lors de la recherche : Les questions constituent le fil directeur de la recherche. Ces questions sont de grande importance puisque mettant le chercheur sur la voie de l'élucidation détaillée de points confus. Diverses questions sont posées, chacune d'elles pouvant éclairer les points obscurs de la recherche. Du fait de son ancienneté, bien qu'il soit impossible de dater exactement son apparition, la nappe d'offrande met en relief des sujets très intéressants liés aux cérémonies, aux traditions, aux us, aux repas, aux deuils et aux fêtes, au cours des siècles. Questions posées lors de la recherche : 20 - Dokhtar-é-Shah-é-Parian : fille du Roi des Fées. Personnage légendaire et populaire chez les Zoroastriens ainsi que chez les Shi‘ites iraniens. Elle a un grand succès dans la poésie persane après l‘Islam. 43 1. Que symbolisent les nappes traditionnelles et cérémonielles dans les croyances zoroastriennes et shi‘ites ? 2. Existe-t-il une base symbolique et unique pour les nappes déployées au cours de diverses cérémonies telles que Norouz, mariage, Gahanbârha (nappe disposée par les Zoroastriens 6 fois l'an), vœux divers ? 3. Est-ce que l'organisation et le maintien des nappes par les femmes révèlent leur vérité cachée ? 4. Est-ce que la présence de mets exclusivement d'origine végétale et de fruits secs ou frais, démontre une alliance unique dans une société basée sur l'agriculture et le jardinage ? 5. Des milliers d'années après l'apparition de ses traditions, la nappe d'offrande n'a-t-elle non seulement pas perdu son importance, mais au contraire son importance ne s'est-elle pas accrue et n'a-t-elle pas accompagné les iraniens émigrés à l'étranger ? 6. Est-ce que l'absence de mets carnés dans les nappes d'offrande indique une réalité cachée ? 7. Que dévoile la présence d'archétypes variés dans les nappes d'offrande ? 8. Qu'implique l'organisation des cérémonies de nappes d'offrande par des femmes de classes sociales différentes ? 9. Pour quelles raisons l'importance des nappes d'offrande n'a-t-elle pas diminué, mais au contraire a augmenté au cours des quatre décennies de l'évolution sociale, de la réforme agraire, de la révolution islamique, de la guerre Iran – Iraq, et avec le mouvement vers le capitalisme industriel ? 10. A quelle réalité interne des nappes ou réalité sociale ont correspondu jusqu'à nos jours la constance de la tristesse, la 44 mention des adversités, la lecture des prières et enfin l'allégresse à la fin des nappes d'offrande ? 1-8 Etudes antérieures sur la nappe : De manière générale, les nappes d'offrande sont considérées comme étant de deux types : 1-8-1 Les nappes zoroastriennes : Les nappes cérémonielles, traditionnelles et votives des Zoroastriens : elles remontent à un passé très lointain dans les traditions et coutumes zoroastriennes en Iran, en Inde21 et autres régions vers lesquelles ont émigré les Zoroastriens. Ces nappes possèdent encore actuellement (2006) une grande importance en Iran parmi la communauté zoroastrienne. Hashem Razi, dans une étude minutieuse, a établi une liste complète des nappes traditionnelles, cérémonielles et religieuses des Zoroastriens. Pour cela, il s'est référé aux sources religieuses traditionnelles zoroastriennes telles que l'Avesta, et une grande partie de Vandidad, ainsi qu'à des sources historiques et classiques islamiques – Asâr-ol-Baghieh, Al Tafhim, Zein-alAkhbar, Al-Mahâsen-al-Azdad, Tadjâreb-al-Omam, Tarigh-é-Seni-é- Molouk-al-Arz-val-anbia, l'histoire des prophètes et des rois, Shah Namehé-Sa'alebi, Moroudj-al-Zahab, ainsi qu'à d'autres sources importantes dont il sera question dans les chapitres suivants (Razi, 2001, 772). - Une autre étude est celle faite par Mme Farangis Mazdapour sur les nappes zoroastriennes traditionnelles et les croyances populaires de l'Iran antique, les types de vœux et les traditions liées au déploiement des nappes, etc. comme la nappe de Bibi Seshanbeh, la nappe de Pir-é-Vahomanrouz, 21 - Eric Phalippou a choisi comme sujet de thèse de doctorat les légendes liées aux nappes d‘offrande chez les Zoroastriens d‘Inde : « Aux sources de Shéhérazade, contes et coutumes des femmes zoroastriennes ». 45 la nappe de la fille du roi des Fées, la nappe des pois qui dénouent les difficultés (Ibid – 399) citée dans le livre Yad-é- Bahar. En 1979, un projet a été entrepris visant une étude détaillée des histoires et des traditions relatives au déroulement des nappes sacrées zoroastriennes. Un projet actuel, mis en œuvre en collaboration sous la direction de feu Professeur Bahar, porte sur l'étude détaillée des nappes faite sur cette base. (1997, 383). - Une autre source qu'il est bon de mentionner, est une archive du Centre de documentation Farhang va Mardom de la Télévision. En 1961, feu Anjavi Shirazi avait lancé un programme sur les ondes visant à recueillir les éléments de la culture populaire iranienne. Cette émission, diffusée le mardi soir à 21 heures, portait sur des sujets variés liés à la culture populaire et envoyés à la radio par les "adeptes de la culture" et présentés par Anjavi Shirazi et ses collaborateurs (A. Vakili et H. Djavid). Cérémonie des nappes Moubadan des Zoroastriens de Téhéran, 2009 (photo M. Homayun Sepehr) Au cours de la visite de l'auteur à ce centre, en décembre 2005, il lui a 46 été présenté une grande quantité d'écrits culturels populaires, dont certains étaient consacrés aux vœux et aux nappes d'offrande zoroastriennes et islamiques ; il en sera question dans les chapitres suivants. D'autres collectes comprennent des articles et des thèses relatives aux vœux et aux nappes d'offrande rédigées dans diverses universités et centres d'éducation supérieure, ainsi qu'à la Faculté de la Télévision. 1-8-2 Les nappes d'offrande des shi'ites iraniens : Dans les pages précédentes du rapport, ont été abordées les nappes traditionnelles cérémonielles, du Nouvel An et religieuses zoroastriennes. Dans cette partie, nous allons introduire la recherche portant sur les nappes culturelles religieuses des Shi‘ites iraniens, principalement à Téhéran. Comme nous venons de le voir, les informations concernant les nappes zoroastriennes sont claires et précises, mais pour les nappes d'offrande shi‘ites, nous n'avons pas d'indications détaillées au sujet de l'époque de leur apparition en Iran ; à la période Safavide même, aucune trace n'est trouvée sur elles dans les rapports de voyageurs d'Occidentaux. Bien que dans ses récits de voyage, le Chevalier Chardin fasse un rapport détaillé sur les classes sociales, les croyances, les traditions, la nature, la politique, l'armée, la Cour, les harems et même sur les croyances religieuses et culturelles populaires, aucune allusion n'est faite aux croyances religieuses culturelles des nappes d'offrande. Par exemple, au sujet des croyances des femmes d'Ispahan : "Dans le monde, si l'on rencontre des femmes superstitieuses, ce sont certainement des femmes d'Ispahan." (Katiraï, 1970, 14). A l'époque contemporaine, Sadegh Hedayat22, dans son livre 22 - Sadegh Hedayat : écrivain iranien (1903-1951). Ses écrits reflètent les angoisses de la Perse contemporaine. L‘un de ses ouvrages La Chouette aveugle connut un succès international. 47 Neiranguestan, fut le premier à collecter des éléments sur la culture populaire. Dans ce livre, il rapporte les habitudes et les formalités liées au mariage, à la grossesse, aux croyances et aux cérémonies diverses, aux habitudes déplaisantes et pour obtenir l'exaucement des vœux, etc. Par exemple, il fait allusion à un vœu nommé "Bonne Odeur" puis à la "nappe d'offrande verte" de Kerman, ainsi qu'aux nappes d'offrande de Fatémeh Zahra et de Bibi Seshanbeh, et enfin aux "fruits secs qui dénouent les difficultés". (Hedayat, 1963, 58). Le journal Sokhan dans ses numéros de Mars, Avril et Mai 1966, ainsi que de Septembre et Octobre 1968, constitue une autre source sur les nappes d'offrande par ses articles sur les nappes d'offrande shi‘ites d'Iran, la nappe d'offrande de Hazrat-é-Abolfazl, la nappe d'offrande de Hazrat-é Roghieh, les nappes d'offrande de Bibi Hour, Bibi Nour, Bibi Seshanbeh, la nappe d'offrande de Hazrat-é Khezr et la nappe d'offrande verte ; il aborde également les types de vœux, les ingrédients, le mode de préparation et le déroulement. La revue Honar va mardom comporte un bref rapport sur les nappes d'offrande dans le no 106 de 1961. Dans cet article, Abol Ghassem Faghiri fait allusion à la nappe d'offrande de Hazrat-é-Khezr et à celles de Hazraté-Abbas et de Hazrat -é-Roghieh. La revue Mirass-é- Farhangui dans son nº 2 de l'hiver 1994 a publié un article signé Mehr-Ol Zaman Noban intitulé "les nappes d'offrande – manifestation de sincérité et de dévouement". Dans cet article, Noban dévoile les habitudes et les coutumes liées à la nappe d'offrande, ce qui en fait vraisemblablement l'article le plus complet sur ce sujet. Dans son livre "Folklore d'Iran" portant sur la culture populaire, Seyed Ali Mir Nia expose la culture populaire du peuple iranien ; en plus de la nappe Haft Sin, il parle de plusieurs nappes d'offrande telles que Ash 48 Omadj Komadj, les "fruits secs dénouant les difficultés", des récits sur le dénouement des difficultés, les nappes Om-Ol-Banin et les nappes d'offrande pour Abolfazl, mais aucune allusion n'est faite aux autres nappes. (1999 : 199 et 207). Nous ne ferons que des allusions à la thèse de A. Shariatzadeh sur la culture populaire de Shahroud, et des nappes d'offrande de ce lieu, à celle de Mme Valilou sur les nappes d'offrande à Téhéran, à celle de S. Aghaï sur la culture populaire de Natanz, ainsi qu'à celle de Mme Vakhshouri sur les croyance populaires d'Ardebil ; nous essayerons d'en parler dans un tableau. Il est de plus nécessaire de se référer au livre "les croyances et les habitudes iraniennes" de Henri Massé qui, en deux volumes, traite correctement des croyances et des pensées, des cérémonies, des coutumes, etc. ; selon le traducteur "ce livre, c'est-à-dire la traduction du premier volume intitulé "croyances et habitudes iraniennes" de Henri Massé, iranologue français, est le livre le plus célèbre écrit en langue étrangère sur le folklore et les habitudes locales d'Iran ; certains spécialistes, iraniens ou non, le considèrent comme étant le livre le plus complet dans le domaine." (Massé, 1974, 8). Dans ce livre, Massé évoque uniquement les nappes d'offrande, les nappes d'offrande vertes, les nappes d'offrande de Bibi Seshanbeh, de Fatémeh Zahra, de Bibi Hour, de Bibi Nour et de Hazrat-é Khezr. Est-ce que la définition et le contenu des nappes d'offrande sont conformes à ceux donnés dans les Encyclopédies Dehkhoda, Moïn et Amid ? Dans l'ensemble des livres, des articles, des thèses et écrits publiés sur les nappes d'offrande, hormis des rapports, aucune analyse interprétative de cette recherche n'a été effectuée. 49 Dans aucun de ces livres et de ces articles, nulle recherche approfondie n'a été faite sur les nappes elles-mêmes et sur leur symbolique, par exemple, la recherche de la raison pour laquelle les femmes en sont les initiatrices, ou le rôle des aliments, des prières, des cérémonies, le pourquoi des lamentations et de l'allégresse qui leur succède ; il parait fort étrange qu'une tradition aussi importante qui a été même disséminée au loin par les Iraniens émigrés, n'a fait l'objet d'aucune recherche fondamentale. Une recherche méticuleuse sur les nappes pourrait dévoiler des mystères très importants qui concernent l'histoire, l'agriculture, les coutumes, les cérémonies, les secrets, la transmission culturelle et religieuse, les croyances, et surtout le rôle des femmes dans l'apparition de la culture à l'ère agricole, l'apparition des religions et des croyances, l'apparition des sciences, des activités professionnelles et des légendes. Il s'est donc révélé nécessaire de pallier cette carence par l'établissement d'une trame théorique sur une base anthropologique, ethnologique, ethnographique et sociologique. Bien sûr, l'auteur ne prétend pas avoir fait une étude exhaustive de l'histoire de ce pays et de ses différentes ethnies. Cette tâche incombe à une équipe composée d'ethnologues, sociologues, historiens et spécialistes de la culture. Dans cette étude, il a donc essayé de faire des recherches sur le sujet en utilisant les témoignages historiques, légendaires, religieux et de transmission culturelle, et de mener un travail fondamental, complet, portant sur les vœux, et sur les nappes d'offrande en particulier, en collaboration avec un groupe d'adeptes de la culture, sur tout le territoire iranien. 50 Mausolée de Hazrat-é-Abolfazl-Al-Abbas, Iraq, 2002 (photo S. Salimian) 51 Deuxième Partie : PILIERS DE LA RECHERCHE 2-1 Etudes approfondies : Les études menées durant les cent dernières années dans les divers domaines de l'archéologie, de l'histoire, de l'ethnologie, de l'ethnographie, des langues, des légendes, des religions et de la culture, ont permis, jusqu'à un certain point, de faire sortir de l'obscurité les anciens aspects de ce pays. Nous devons reconnaître les efforts fournis par les orientalistes durant les trois cents dernières années ; ils ont agi par amour de la science et de la recherche, ainsi que pour ce pays, son peuple et sa culture. Nous pouvons utiliser leurs travaux dans notre propre recherche pour une connaissance approfondie des ensembles culturels, légendaires, historiques, religieux, etc. Nous allons débuter notre étude avec un compte-rendu de R. Ghirshman. C'est un rapport historique archéologique dévoilant les mystères féminins des nappes d'offrande. 2-1-1 Configuration physique de l’Iran : Le plateau iranien est un triangle pris entre deux dépressions, le golfe Persique au Sud et la mer Caspienne au Nord. Comme un pont jeté entre l‘Asie centrale et au-delà, il forme un promontoire qui relie les steppes de l‘Asie centrale aux plateaux de l‘Asie Mineure, et au-delà de celle-ci à l‘Europe. Cette situation géographique explique le rôle historique que fut appelé à jouer le plateau au cours des millénaires de l‘histoire de l‘Humanité. 52 Carte géographique de l'Iran Ce triangle est délimité par des montagnes qui s‘élèvent autour d‘une dépression centrale, désertique aujourd‘hui, et qui est le fond d'une mer asséchée. Les montagnes de l‘Ouest ou le Zagros s‘étirent du Nord-Ouest au Sud-Est, sur plus de mille kilomètres de longueur et deux cents de largeur, une chaîne haute de 1000 à 1700 mètres, à multiples plis parallèles qui cachent des vallées longues de 50 à I00 kilomètres et larges de dix à vingt Au-dessous des pâturages des parties hautes de ses montagnes, s‘étendent les restes de forêts, jadis touffues, de chênes, de noyers, de 53 chênes verts, d‘amandiers sauvages et de pistachiers. Encore plus bas, dans les hautes vallées, poussent la vigne, le figuier et le grenadier ; la culture y est très développée : blé, orge, coton, tabac. La chaleur de l‘été des vallées basses oblige l‘homme s‘occupant de l‘élevage des chèvres, des moutons et des chevaux, à remonter vers les hauts alpages. Aussi une grande partie des troupeaux de moutons mène-t-elle une vie nomade qui lui est imposée par la nature et le climat. Dans la partie centrale du Zagros, de détache une saillie qui se dirige vers l‘Ouest dans la plaine mésopotamienne et qui provoque la courbe du Tigre qui, dans cette partie de son cours, se rapproche de l‘Euphrate. Cette saillie en forme de couperet, est comme une menace suspendue par la montagne au-dessus de la plaine. Et, de fait, c‘est de là que partit, au second millénaire avant J-C., l‘invasion des Kassites qui habitaient l‘actuel Luristan et qui dominèrent la Babylonie pendant plus de cinq siècles. La partie septentrionale du triangle est marquée par la chaîne de l‘Elbourz, avec son point culminant, le Demavend, dépassant 5 600 mètres, et qui borde le Sud de la mer Caspienne en épousant sa courbe. C‘est une haute et étroite barrière qui sépare la bande côtière, avec sa végétation luxuriante, des régions désertiques du centre. A son extrémité occidentale, l‘Elbourz atteint l‘Azerbaïdjan dont le centre est occupé par le lac salé d‘Ouroumiyé, région dont la population est la plus dense de l‘Iran et dans les riches vallées dans lesquelles on cultive le blé, le millet, le coton, le riz, le tabac, le ricin et les melons. Surnommé Isthame médique, l‘Azerbaïdjan, que l‘on peut gagner par les routes du Nord-Ouest, du Nord et du Nord-Est, est un pays difficile à atteindre. Cette province, une des deux saignées du squelette montagneux de l‘Iran, a vu venir, au cours de l‘histoire s‘installer dans ses vallées étagées autour du lac, les Mèdes et les Perses, les Kurdes, les Mongols, les 54 Turco-Tatares. Là naquirent les dynasties mède et perse. Là aussi, devant cette porte d‘entrée de l‘Iran, et pendant des siècles, l‘empire perse monta la garde, barrant la route aux multiples invasions qui déferlèrent, à travers le Caucase, les steppes de Russie du Sud, en y élevant des travaux de fortification dont les vestiges subsistent encore. Un mélange de races, un climat dur mais sain, un sol fertile, ont élaboré un type racial travailleur et énergique qui contribua grandement au développement et à la prospérité de cette vielle province iranienne. A l‘Est, la chaîne de l‘Elbourz forme les montagnes du Khorasan, pas très élevées et d‘un passage facile, avec des vallées d‘une grande fertilité où croissent le blé, l‘orge, le riz, le coton, la vigne. Ce grenier de l‘Iran, par sa configuration géographique, constitue la seconde voie de pénétration vers le plateau. Par-là se déversèrent des vagues d‘envahisseurs venant des plaines eurasiennes qui couvrent des milliers de kilomètres au nord, à l‘ouest et à l‘est. Tout comme l‘Azerbaïdjan, le Khorasan est un carrefour de rencontre de peuples et il connut les razzias des Turcomans jusqu'à la fin du XIXème siècle. La vallée de l‘Arek et la plaine de Gorgan, entre la mer Caspienne et la montagne, sont des oasis naturelles de migration vers l‘Iran où des rois sassanides élevèrent un barrage dont subsistent encore des vestiges. Dans cette région de l‘Iran du Nord–Est naquirent plusieurs dynasties : celles des Arsacides, des Safavides, des Qadjars. C'est aux montagnes de la bordure qu'appartient la chaîne du Sud, appelée la chaîne du Makran, qui est une rangée d‘arêtes percée de deux passages, l‘un vers Bandar-Abbas, port jadis très prospère sur le golfe d‘Oman, l‘autre vers l‘est, le Béloutchistan et Koweité. Dans la partie centrale du plateau que traversent deux chaînes intérieures, s‘étend une grande dépression désertique, la plus aride du monde, qui se divise en Dasht-é–Kevir au Nord et Dasht-é- Lut au Sud. La 55 première partie est une suite de cuvettes de boue et de sel où rien ne pousse ni ne vit. Par endroits, autour de ces creux, là où le sol a une moindre teneur en sel, la vie est possible et on peut y rencontrer de véritables oasis. Le Lut, par contre, est un bassin entièrement desséché. Ainsi, la vie sur le plateau ne pouvait se développer que dans les vallées des grandes chaînes qui en forment le pourtour, ou dans les oasis. Mais elle a aussi marqué un grand essor dans les grandes plaines extérieures, et intérieures, parmi lesquelles il faut, en premier lieu, mentionner la plaine du sud–ouest, le Khûzistân, l‘ancienne Susiane, qui géographiquement, n‘est que le prolongement de la plaine mésopotamienne. S‘enfonçant dans la chaîne du Zagros, elle est comme un contrepoids du saillant montagneux du Luristan, ou Posht kuh. Pays d‘une très vieille civilisation urbaine sédentaire, la Susiane influença, au cours des siècles, la population des montagnards nomades et semi–nomades habitant sa périphérie. Quand les frontières politiques de l‘empire iranien s‘étendaient loin à l‘Ouest du Zagros, c‘est dans cette plaine que s‘élevait sa grande capitale, Suse, centre administratif aux communications faciles avec la Mésopotamie et l‘Asie Mineure. De tout temps sur le plateau, la question de l‘irrigation a été vitale : dès la période préhistorique, le pays était irrigué artificiellement, et à l‘époque achéménide, un long réseau de canaux souterrains (qanât ou kariz) existait déjà. (Ghirshman, 1951, 8) La période s'étalant entre 10 et 15 000 ans avant J.C. a été soumise à des variations climatiques progressives. La période pluviale a disparu, laissant place à une période nommée période semi-aride qui persiste encore aujourd'hui ; la diminution des pluies d'une part, et la haute altitude des lacs et mers intérieures d'autre part, ont causé le ralentissement du courant des rivières et ruisseaux qui transportaient l'eau des montagnes. Du fait de 56 la régularité des cours d'eau à leur embouchure, les dépositions ont permis la formation de bancs qui ont rapidement émergé, créant ainsi une limite entre les futures plaines ou vallées et la montagne. A cette époque, l'Homme préhistorique vivait de préférence sur le plateau iranien dans des dépressions à proximité d'arbres, au pied des montagnes, se protégeant sous des toits faits de branchages, ou dans des grottes ou des refuges en pierre dont la plupart formaient les lits d'anciennes rivières souterraines. 2-1-2 L'homme préhistorique en Iran : Au printemps 1949, des vestiges humains datant de cette époque ont été découverts pour la première fois en Iran, lors de fouilles effectuées dans une caverne à Tang-i-Peyda, dans les monts Bakhtiari, au nord-est de Shushtar. À cet endroit, l'homme allait à la chasse pour trouver sa nourriture, et pour cela utilisait davantage son intelligence que sa force. Il était capable d'utiliser le marteau en pierre, la hache de poing et la hache à manche en bois muni d'une fente. Tous ces objets étaient des outils primitifs, polis afin d'éliminer les irrégularités. Les objets en os d'animaux, tels que les alènes, étaient moins utilisés que ceux en pierre ; cependant, l'Homme utilisait une sorte de récipient en terre, irrégulier, partiellement cuit ; à la fin de l'époque d'occupation des cavernes, ces récipients avaient noirci sous l'effet de la fumée. De tels objets ont été trouvés accompagnant des vestiges humains dans les plaines, ce qui démontre l'importance de la relation existant entre ces deux étapes d'habitat. La femme occupait une responsabilité particulière dans cette société primitive. En plus de la conservation du feu, ainsi que peut-être de la création et de la fabrication de récipients en terre, elle devait se rendre à la montagne, un bâton à la main, pour rechercher des racines comestibles et 57 récolter des fruits sauvages. La connaissance des plantes et de la saison de leur croissance et de leur montée en graine était le résultat d'une observation longue et prolongée qui l'avait conduite à expérimenter une mise en culture. Les premiers essais de culture ont été menés dans des sols sédimentaires ; alors que l'homme ne faisait que peu de progrès, la femme qui habitait les cavernes à l'âge de pierre, par son agriculture rudimentaire, a montré un esprit plus inventif. Il n'y avait donc aucun équilibre entre les responsabilités des hommes et des femmes. Ceci explique peut-être le fait que les femmes dominaient les hommes dans certaines sociétés primitives. Dans de telles sociétés (ainsi que dans les sociétés pour lesquelles la polyandrie était usuelle), la femme dirigeait les travaux de la tribu et accédait à un poste spirituel établissant une chaîne de connexion par les femmes. La femme transmettait le sang de la tribu de la manière la plus pure. Nous allons voir que la supériorité de la femme constituait l'un des aspects particuliers des principaux occupants du plateau iranien et par la suite entrerait dans les coutumes des envahisseurs aryens. (Ibid., 1951, 11) La population veille tous les ans au curage et au creusement d‘anciens et de nouveaux canaux. Grâce à cette eau, grâce aussi aux pluies que favorisent le Zagros et l‘Albourz, leur bordure intérieure est un immense chapelet de cultures et de villes-oasis. Toutes les capitales de l‘Iran, et ceci depuis le premier royaume qui s‘était formé en Médie, s‘échelonnent, face au désert, le long des deux principales routes qui suivent les rebords intérieurs des deux grandes chaînes. De l‘Ouest à l‘Est, sur la route stratégique et commerciale qui suit l‘Elbourz, se trouvent Ecbatane (Hamadan), Qazvin, Téhéran-Rey, Hécatompylos (Damghan), Hérat. Sur la route du sud, on connaît Ispahan, Pasargade, Istakhr, Persépolis, Shiraz. Et 58 Une potière, Kurdistan, 1995 (photo R. Roha) ce fait, valable pour la période historique de l‘Iran, et qui est une conséquence logique de la disposition géographique de ce pays, l‘est également pour la haute antiquité car les recherches archéologiques viennent de prouver que l‘Homme de l‘âge de la pierre, à peine descendu de la montagne et installé dans la plaine, s‘était fixé sur le même tracé qui dessine un arc de cercle autour du désert salé, avec Kashan (Tépé Sialk), Qom, Rey, Damghan, les seuls points identifiés jusqu'à présent. La vie religieuse même du pays se trouva subordonnée à cette loi que la nature imposa à l‘Homme du plateau, puisque les deux villes saintes de l'Iran sont situées, l‘une sur la route qui va de l‘ouest à l‘est est Meshed et l‘autre 59 (Qom) sur la route du sud. Bien sûr, l'auteur ne prétend pas avoir fait une étude exhaustive de l'histoire de ce pays et de ses différentes ethnies. Cette tâche incombe à une équipe composée d'ethnologues, sociologues, historiens et spécialistes de la culture. Il y a donc 7000 ans, sur le plateau iranien, principalement dans les régions centrales, les vestiges archéologiques (Sialk de Kashan) témoignent du pouvoir des femmes dans les domaines de la production agricole, de l'élevage, de la gestion de la famille, de la fabrication des poteries, de la médecine, des soins prodigués aux malades, et finalement, des affaires religieuses et des croyances, conférant à cette période le nom d'ère matriarcale. "Simultanément, la femme a été à l'origine de grandes inventions et a découvert la fertilité de la terre. Cette tâche était réservée à la femme du fait que l'homme allait à la chasse et creusait la terre de ses doigts à proximité de son habitat afin de trouver de quoi manger." (Durant, 1941 : 14). 2-1-3 Les femme et les mystères du pain et des repas : Les archéologues et les historiens ont reconnu le lieu d'apparition de la culture des céréales, en particulier du blé et de l'orge, comme étant la région orientale de la Méditerranée et du Moyen-Orient. Le blé et l'orge sont tous les deux des formes domestiquées de plantes sauvages ; progressivement, de nombreuses espèces ont été obtenues ainsi que des grains plus gros et améliorés grâce à la culture sélective des meilleures semences ou par croisement de celles-ci. Deux espèces de plantes sauvages ayant produit du blé par évolution ont été reconnues : dinkel et wildemmer. Ces deux plantes sauvages poussent spontanément dans des zones 60 montagneuses : le dinkel dans les Balkans, en Crimée, en Extrême-Orient et dans le Caucase, le wildemmer en Palestine et en Iran. (Childe, 1967, 93). Champ de blé au Nord de l’Iran, 2002 (photo A. Ghassemi) Rizière au Nord de l’Iran, 2002 (photo A. Ghassemi) 61 2-1-4 Découverte du blé et de l'orge par les femmes en Iran : "L'orge et le blé, espèces iraniennes indigènes (qui poussent encore actuellement dans ce pays en culture sèche et étaient probablement plantées depuis longtemps dans des sols sédimentaires) se sont dispersés depuis l'Iran vers l'Egypte et l'Europe." (Ghirshman, 1951, 20). Ce qui est important pour nous, c'est que ce soient les femmes qui ont découvert pour la première fois les merveilleux mystères entourant cette graine en Iran, et, qu'elles aient pu, par leur effort, leur curiosité et la compréhension des secrets des saisons, entreprendre une tâche dont les aboutissements ont profité à des milliards d'êtres humains au cours des millénaires suivants. L'ensemencement, les soins portés aux plants puis la moisson du blé et de l'orge ont entraîné l'apparition de grandes modifications dans la relation existant entre la culture et la civilisation. "De ce point de vue, l'histoire du monde peut être divisée en deux périodes principales : l'âge de la récolte et de la cueillette de produits alimentaires, qui s'est étalé sur plusieurs millénaires, et l'âge de la production alimentaire qui débuta il y a environ 8000 ans avec l'agriculture et le stockage, à l'origine de la civilisation. Des rudiments d'arboriculture apparurent entre ces deux périodes. Depuis le début, les femmes travaillaient continuellement pour procurer et développer les denrées alimentaires, découvrir des ressources et divers types de repas, et obtenir des informations pour la conservation et le stockage." (Reed, 1984, 175). "Il n'est donc pas étonnant que les hommes primitifs soient parvenus à ce résultat : les femmes étaient considérées comme détenant des pouvoirs mystérieux dans leur tâche d'approvisionnement et de production des denrées alimentaires, ces pouvoirs ont été considérés comme une capacité et un pouvoir dans l'éducation des enfants." (Ibid., 178). 62 Femme kurde en train de moudre le blé, Kurdistan, 1998 (photo R. Roha) Femmes kurdes en train de cuire du pain, 1998 (photo R. Roha) 63 D'autre part, les similitudes existant entre la présence de l'embryon dans l'utérus et celle de la graine dans les entrailles de la terre, ont conféré une grande influence à la femme par son rôle dans la vie sociale, principalement dû au fait du rôle primordial joué par la femme dans la production et la fertilité. La productivité du sol et de la femme, ses soins apportés aux cultures en ont fait un support de vénération, et dans la plupart des mythologies, la Terre est adorée en tant que déesse. "Une femme représentant une céréale, il est normal de se demander pourquoi les Grecs assimilent les céréales à une déesse, épouse des dieux, plutôt qu'au dieu lui-même. Pourquoi les origines de l'agriculture ont-elles été reliées aux forces féminines et non aux forces masculines ? Pourquoi l'âme de l'orge et du blé était-elle considérée comme étant féminine par opposition à l'âme masculine de la vigne ? C'est dans la place importante occupée par les femmes dans l'agriculture qu'il faut trouver la réponse à la question sur l'attribution de la féminité aux céréales et la relation existant entre la découverte de l'agriculture et une déesse." (Frazer, 2004, 461). Les chercheurs ont observé l'existence de cet état de chose pratiquement dans tous les lieux du monde où était pratiquée l'agriculture. Les découvertes en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ont mis à jour des statuettes de femmes fortes présentant une partie médiane, celle de la fertilité et de l'allaitement, très proéminente. 2-1-5 L'agriculture et la Déesse Mère : La société d'agriculteurs encourage la "naissance", et les créatrices (les mères) qui sont les productrices de la nourriture, et objets d'adoration. Les femmes, de la même manière qu'elles donnent naissance, fertilisent également la terre. La femme est la "mère des hommes", ainsi que la "mère de la terre". Elle est la "mère éminente". La source de la vie coule de son 64 sein. Les eaux douces et les grandes rivières sont à sa disposition. Le lait maternel nourrit l'être humain, l'eau douce nourrit la terre. Une vie nouvelle, source d'abondance, prend naissance dans ses entrailles… Dans toutes les régions occupées par les agriculteurs antiques, des statuettes en terre de "divinités féminines" primitives, aux parties fertiles, en relief ont été découvertes dans des cabanes et des champs. (Lahidji et Kar, 2002, 50). 2-1-6 Les statuettes en argile, symboles des déesses de la fécondité et de l'agriculture : Des statuettes en terre ont été découvertes dans la plupart des régions de l'Iran, telles Tépé Sarab de Kermanshah datant du 8ème millénaire avant J.C., la statuette en terre représentant une femme au corps couvert d'ornementations (lieu de découverte Rey, Téhéran, 4ème millénaire avant J.C.), ainsi qu'à Shush, Tell-i-Bakun (Fars), Tchogha-Zanbil, Tépé Marlik (Guilan), datant d'une période s'étalant entre le 4 ème et le 1er millénaire avant J.C. "Selon la plupart des chercheurs, la forme abstraite de ces statuettes qui constituent les vestiges les plus anciens et les plus importants de la fabrication de statuettes sur le plateau iranien, montre que le but n'était pas de représenter un individu particulier, mais, plutôt par l'insistance portée sur les caractères féminins – principalement parties génitales – évoquer nettement la notion de fertilité. Ces statuettes uniques ne sont pas sans relation avec les statuettes de la fertilité de l'ère paléolithique ; du fait de leur posture générale, elles présentent des points communs avec les statuettes datant de la même époque – début du néolithique, avant l'apparition de l'agriculture – découvertes dans d'autres régions du monde antique. Certains sont persuadés que ces statuettes en terre représentent la déesse mère ou la divinité Terre qui, à leur époque, étaient à l'origine de la prospérité et de l'abondance, de la croissance des 65 céréales, de l'augmentation des troupeaux, des animaux et des êtres humains, de la pluie et de la croissance des plantes et des végétaux. Ces statuettes en terre cuite remontent à 6000 ans avant J.C." (Khani, 2003, 27). Cette croyance manifeste son importance dans le fait que le concept de "divinité féminine" a perduré pendant plusieurs millénaires dans l'histoire de l'Homme et que son incidence a été observée dans les mythes nationaux. L'impact de cette réalité de la terre sur le monde métaphysique peut être retrouvé dans les croyances en des "divinités féminines" dont la pluralité est en relation avec les éléments naturels. Vénus de Sarab, 8ème millénaire avant J.C., (publication du Musée national de Téhéran, 2003) Vénus de Sarab, 7ème millénaire avant J.C., (publication du Musée national de Téhéran, 2003) 66 « La religion dans tous ses aspects est tellement amalgamée à la vie sociale et individuelle de l'Homme agriculteur, qu'on ne peut discerner ce qui est religieux de ce qui ne l'est pas. La naissance, la croissance, la mort, l'élevage, l'agriculture, le mariage sont liés à des rites religieux. Le travail agricole et ménager, à cette époque, incombait aux femmes, la chasse et le pastoralisme était le travail des hommes, mais du fait de la faible espérance de vie et de la vulnérabilité vis-à-vis des accidents naturels, le rôle de la femme, responsable de la fertilité et de la pérennité du genre humain, était important, ce qui la rendait exceptionnelle du fait de sa capacité de reproduction et d'éducation. Le matriarcat est apparu à cette époque et l'importance de la femme est supérieure à celle de l'homme. Le principal symbole et la manifestation la plus flagrante du monde matriarcal est la grande déesse mère. » (Hatami, 2004, 57). Ces observations nous montrent que la femme, avec ses instincts naturels de procréation, d'accouchement, d'allaitement et d'éducation de sa progéniture, avait la même vocation visà-vis de la terre et de l'agriculture. Après avoir préparé la terre, elle l'ensemençait, en prenait soin et devait attendre quelques mois, angoissée, avant de pouvoir récolter les produits dont une partie était réservée à l'alimentation familiale pendant une année. « La culture du maïs et de racines comestibles était imputée aux femmes. Quand les missionnaires espagnols s'aperçurent que les hommes n'aidaient pas leurs compagnes dans leur travail pénible et difficile, ils en demandèrent la raison ; la réponse donnée fut que les femmes savaient bien comment obtenir une récolte et avoir des enfants, que les graines et les racines plantées par les femmes permettaient une récolte plus abondante que si plantées par des hommes » (Frazer, 2004, 464). « Les trouvailles archéologiques de la fin du XIX ème siècle et ultérieures en Iran ont fourni des exemples susceptibles d'être soumis à des 67 critiques sur le sujet du mode de développement et d'adoration de la "déesse mère". Il a été dit que, pour la première fois, ce sont les fouilles de Shush qui ont révélé le mystère de l'adoration de cette déesse en Iran…. Avant l'entrée des aryens en Iran, et leur scission en différents groupes, les ethnies locales comme les nations et ethnies voisines avaient comme religion celle de la déesse mère, et dans les différentes régions de l'Iran, l'adoration de la déesse mère était habituelle. Les statuettes découvertes témoignent de la présence de ce culte à cette époque…. Les décorations recouvrant les statuettes de la déesse mère trouvées au cours de fouilles sont les témoins de la présence de l'Homme au paléolithique dans la plupart des régions du globe. Toutes les statuettes découvertes dans la grande région géographique de la culture néo- paléolithique présentent une grande ressemblance dans leurs caractéristiques en ce qui concerne la proéminence des seins, du ventre et des organes sexuels, démontrant le devoir de fertilité de la naissance et de la croyance en la déesse dans le domaine du devoir de maternité. » (Lahidji, Kar, 2002, 78). Le foyer le plus important du monde antique concernant la domestication des plantes et des animaux était la région asiatique du SudOuest… Le climat de cette région est généralement sec, très chaud en été et très froid en hiver. La pluie y est rare en été et le problème auquel les agriculteurs devaient faire face était de trouver un moyen permettant d'utiliser l'eau de pluie et la neige absorbée par le sol au cours de l'hiver et du printemps afin de faire pousser leurs produits agricoles. (Linton, 1976, 214). C'est ainsi que l'on peut comprendre l'anxiété de la femme agricultrice des derniers millénaires, semblable à celle des agriculteurs actuels. Elle désire rendre la terre fertile, à l'image de l'enfant qui grandit dans son sein. Dans le bleu du ciel, elle recherche du regard les nuages prometteurs de 68 pluie à l'origine de la fertilité de la terre. Aspect symbolique de la culture et des nappes, 2008, Yazd (photo A. Vakili) 2-1-7 Les nappes d'offrande, symboles des champs et des jardins : La nappe d'offrande votive ne serait-elle pas une représentation symbolique des champs que la femme aurait miniaturisés et introduits dans sa maison en utilisant des forces cachées et surnaturelles pour la rendre fertile et féconde ? Frazer croit que « l'identification des dieux à des êtres surnaturels possédant des forces hors de portée du point de vue qualitatif et quantitatif est apparue progressivement au cours de l'Histoire. Chez l'être primitif, les facteurs surnaturels, s'ils existent, ne dominent guère l'homme parce que les gens les obligeaient à réaliser leurs vœux par la force et la menace. » (Frazer, 2004, 131). 69 Un champ en train de germer. Nappes de eftâr (rupture du jeûne), pendant le mois de Ramadan, Meshed 2007 (photo S. Salimian) Tous ceux qui ont disserté sur les nappes d'offrande, les cérémonies et les traditions qui leurs sont liées reconnaissent leur origine très ancienne et leur pérennité, mais ne peuvent dater avec précision leur apparition. De ce fait, leur longévité est en relation perpétuelle avec celle des mythes. "La persistance de certaines fêtes iraniennes est liée à celle de ce 70 peuple, de cette nation ; certaines fêtes traditionnelles telles que Norouz, Mehregan23 et Gahambarha24 trouvant leur origine dans la nature, ne sont pas séparées des croyances, de l'histoire, des coutumes, des traditions et de la vie du peuple iranien…. Après des millénaires, ….. les mêmes croyances, coutumes et traditions, telles les fêtes, font encore toujours partie de nos attributs et de nos originalités, de notre identité et de nos particularités culturelles, qui ne tomberont jamais dans l'oubli". (Razi, 2001,17). 2-1-8 Les femmes de la Terre, les grappes et les fruits du paradis : « Les découvertes faites il y a quelques années dans la province de Kermanshah ont montré l'ancienneté de la sédentarisation de l'agriculture ; l'installation dans les villages dans notre pays remonte aux 9ème et 8ème millénaires avant J.C. Dans le village Assiab et à Tépé Sarab (à proximité de Kermanshah) les découvertes ont mis à jour non seulement les plus vieilles maisons jamais construites dans notre pays, mais également les plus anciens vestiges de l'activité agricole en Iran et dans le Monde. Dans ces maisons antiques on a trouvé des grains de blé, des outils en pierre taillée avec des traces de coupe de branchages sur leurs lames, ainsi que des moulins primitifs avec lesquels le blé était transformé en farine » (Eskandari, 2001, 31). 23 - Mehregan : nom donné au 16ème jour de chaque mois ; encore fêté actuellement chez les Zoroastriens en particulier le 16ème jour du mois de Mehr (8 octobre). Pour eux, c‘est la 2 ème fête après Norouz pour son importance. 24 - Gahambar : au nombre de 6, chacune des fêtes durant 5 jours chez les Zoroastriens d‘Iran et d‘Inde. Ceux qui en ont les moyens laissent leur porte d‘entrée grande ouverte, préparent des repas, font des nappes d‘offrandes votives à la mémoire des personnes décédées. On y trouve des fruits frais coupés et des fruits secs (lork). Les repas et boissons proposés en souvenir des morts constituent « Dad et Dahesh ». On lit l‘Avesta et on partage le lork. 1. Mediozaram : 15 Ordibehesht (5 Mai), début de la création des Cieux qui a duré 40 jours. 2. Mediosemeh : 11 Tir (2 Juillet), début de la création de l‘Eau qui a duré 60 jours. 3. Pitisahim : 23 Shahrivar (14 Septembre), début de la création de le Terre qui a duré 75 jours. 4. Aya ta’rim : 26 Mehr (18 Octobre), début de la création des Végétaux qui a duré 30 jours. 5. Midiarim : 16 Bahman (5 Février), début de la création des Animaux qui a duré 80 jours. 6. Hamespandhadiem : 11 Esfand (1er Mars), début de la création de l‘Homme qui a duré 75 jours. 71 Femme kurde en train de cuire du pain traditionnel, Kurdistan, 1995 (photo R. Roha) D'après les documents relatifs à la culture matérielle de l'Homme (ethnographie), on peut supposer que ces inventions sont dues aux femmes (Childe, 1967,53). Il est actuellement démontré que c'est l'Asie occidentale qui a été le berceau de l'agriculture et de la production de l'orge et du blé ; la découverte du blé, de sa culture et de son utilisation sous différentes formes dans cette région et dans d'autres points s'est propagée et a permis l'apparition des grandes civilisations de Mésopotamie et d'Egypte. "Les botanistes russes ont identifié deux foyers d'apparition et de culture des plantes dans deux régions de l'Asie du Sud-Ouest, l'une au Nord-Est de l'Iran et à l'Ouest de l'Afghanistan, et l'autre en Asie Mineure." (Linton, 1976, 61). 72 Naturellement, le rôle des femmes est très important et décisif dans cette évolution. Gordon Childe insiste sur ce point précis et rappelle le rôle joué par les femmes dans l'évolution de la production agricole, surtout celle du blé, de sa transformation en farine, en pâte, puis en pâte fermentée ayant un rôle essentiel dans la fabrication du pain. 2-1-9 Les femmes, magiciennes des produits issus du blé et de l'orge : Après séparation de la glume à l'aide d'un fléau, le grain de blé ou d'orge était décortiqué ; pour la transformation du grain en farine, l'utilisation de la meule était habituelle, les céréales étant parfois pilées dans un mortier, mais plutôt à l'aide d'une pierre cylindrique dans un récipient en forme de soucoupe. Il fallait naturellement porter une grande attention au choix de cette pierre, une pierre dure pour éviter que des morceaux ne s'en détachent et ne se mélangent à la farine lors du meulage. La confection de biscuits, de potage, ou de pot-au-feu ne présentait pas de difficulté, mais celle du pain, en plus d'un four spécial, nécessitait des connaissances en biochimie pour la préparation du levain. Ces connaissances primitives en biochimie ont débouché sur un nouveau monde, celui des boissons fermentées. Pour récupérer les céréales, ou bien les épis étaient battus sur le sol pour séparer les grains, ou bien, ils étaient étalés en cercle par terre puis foulés sous les pattes de quadrupèdes. Ensuite, lancé dans le vent, le grain était séparé de sa peau. Celle-ci servait de combustible, et la paille était utilisée, soit pour faire du pisé, soit pour servir de nourriture pour les animaux ; de ce fait, aucune partie de la récolte ne restait inutilisée. La céréale, nettoyée, ou bien était disposée dans des sillons creusés dans des terres argileuses dures, ou bien entreposée dans des silos en terre en forme 73 de ruche avec un toit en torchis…. Les céréales étaient écrasées à l'aide de pierres lourdes et irrégulières puis transformées en produits alimentaires… Ce mélange était parfois grillé sur le feu, ou, le plus souvent, cuit à l'eau. La farine de céréale la plus tendre était également mélangée avec de l'eau pour former une pâte destinée à être transformée en pain "taftoun" épais sur des pierres plates chauffées ou sur la partie extérieure de pots remplis de braises de charbon." (Linton, 1976, 217). La femme en s'entretenant avec elle-même, avec ses poteries, avec les poils qu'elle filait et tissait avec talent et résolution, entreprenait des démarches pour le futur avec autorité. Elle travaillait d'une part dans son champ qu'elle cultivait pour en récolter les produits et, d'autre part, avec de l'argile, elle fabriquait des poteries, ou encore elle filait ; la tête tournée vers le ciel, elle s'adressait aux dieux et aux éléments surnaturels. Femmes de la province du Mazandaran en train de repiquer le riz, 2008 (photo A. Ghassemi) "Parmi les dieux du néolithique, surtout en Asie du Sud-Ouest, il y avait deux dieux, l'un mâle et l'autre femelle ; le dieu était généralement le Ciel et le Soleil, et la déesse, la Terre, source d'abondance. L'importance et l'influence de ces deux dieux, bien qu'étant adorés par de petites 74 communautés au cours de cérémonies et assemblées locales, dépassaient ce cadre ; ils servirent de base aux religions et aux grandes traditions. Certaines tribus attribuaient la primauté au dieu et l'adoraient, alors que d'autres vénéraient la déesse. En apparence, cette différence était uniquement due au type de filiation pratiqué par les tribus, c'est-à-dire que les tribus acceptant la filiation paternelle adoraient les dieux, et celles pratiquant la filiation maternelle vénéraient la déesse. La déesse mère intervenait dans la fertilité par le biais de la magie… L'étude des statuettes de Vénus (ou femme) découvertes dans diverses régions d'Europe a permis d'observer qu'elles présentaient, toutes, des caractères sexuels exagérés. Il est évident que l'adoration de la déesse mère a vu le jour à une époque très ancienne, au paléolithique supérieur. L'adoration de la déesse mère a duré fort longtemps, jusqu'à l'arrivée de l'ère historique, et a même influencé une religion importante, le christianisme". (Ibid., 233). 2-1-10 Les femmes, les déesses et les dieux : Des traces archéologiques démontrent l'existence dans les sociétés anciennes d'une "mère suprême" ou "grande mère" sous forme symbolique. Dans les périodes les plus archaïques, les dieux ne présentaient ni forme ni membres humains ; dans l'esprit de l'Homme primitif les pensées et les croyances religieuses gravitaient autour du "principe de la féminité" et les symboles de cette adoration prenaient parfois l'aspect d'un végétal, arbre par exemple, parfois celui d'un animal, serpent, aigle ou oiseau, parfois la forme d'objets tels qu'ustensiles, ou de pierres, montagnes et collines…. Bien sûr, c'est par le rôle et la réflexion sur le principe de la féminité de la mère suprême (l'épouse du dieu primitif) que l'Homme a cru en sa force 75 surnaturelle dans les temps les plus reculés. (Lahidji, Kar, 2002,89). Avant la pénétration des nouveaux assaillants dans le territoire iranien, les éléments naturels tels que la Lune étaient représentés sur les poteries dans diverses régions d'Iran, en tant que l'un des plus importants symboles de la Femme. "Le rapport existant entre la femme et la fertilité était apparu dès la naissance de la raison humaine et de nombreuses traces de la déesse de la fertilité peuvent être observées dans maintes civilisations comme dans notre pays. Ackerman est persuadé que l'ornementation des poteries datant de cette époque constitue le premier témoignage de l'existence de la déesse de la fertilité et de son union avec la Lune… La corrélation entre la Femme et la Lune existait dans la plupart des civilisations anciennes du fait de l'égalité du nombre de jours du mois lunaire et de celui du cycle menstruel féminin25 (Samadi-2004, 23). Au milieu du IIe millénaire, l'Iran fut également envahi de toute part par des peuples venant du Nord. C'étaient avant tout des groupes d'indiens et d'iraniens, des pasteurs occupant les vastes pâturages du Nord-Est du plateau iranien. Un certain nombre de ces groupes se dirigèrent, avec leurs troupeaux de chèvres et de moutons, vers les plaines côtières fertiles de la Mer Caspienne et s'installèrent dans la zone comportant de bons pâturages comprise entre les sommets de l'Alborz et la bordure des forêts. Au début du IIe millénaire avant J.C., les Hittites traversèrent le détroit du Bosphore et entrèrent en Asie Mineure, les Mittanis venus du Caucase parvinrent à la péninsule anatolienne, et les Kassites descendirent par le même chemin 25- Il existe également une union entre la Lune et la Femme dans la mythologie grecque, par exemple la plupart des divinités de la Lune telles Artémis, Séléné et Hécate étaient des femmes. Elles résidaient respectivement sur la Terre, dans le Ciel et dans les profondeurs de la Terre. Héra, épouse de Zeus, fut pendant un certain temps adorée en tant que déesse de la Lune. 76 vers les montagnes du Zagros et s'installèrent dans les régions occidentales du plateau iranien. (Atlas historique d'Iran, 1971, 2). Ces hôtes indésirables pénétrèrent dans le pays, tout d'abord progressivement, puis une onde humaine accompagnée de troupeaux de vaches et chevaux déferla sur diverses régions du pays, exerçant une profonde influence sur l'agriculture, l'élevage, les poteries, les langues, la mythologie, les croyances religieuses, le militarisme, les outils de production et la société, comme nous l'avons vu auparavant. Après une période de guerres, les tribus nouvellement arrivées sur le territoire iranien firent la paix avec les autochtones ; de deux cultures différentes naquit une culture nouvelle qui se reflétera sur la croyance zoroastrienne d'Iran. En souvenir de leur patrie originelle, les tribus nouvellement arrivées baptisèrent ce pays Iran et "leur culture et leurs traditions subirent vraisemblablement l'influence de la culture locale, puis la doctrine de Zoroastre apparut environ 1000 à 1200 ans avant J.C." (Haririan et coll., 2004, 60). Dans un territoire avec les traditions de la déesse mère – les dieux avaient un passé de plusieurs millénaires -, la nouvelle religion ne pouvait pas la faire disparaître, bien que les pasteurs envahisseurs aient apporté le patriarcat dans ce territoire. Mais "après leur migration vers l'Ouest, les tribus aryennes ont répandu dans le pays conquis le patriarcat avec la religion de vénération de dieux … en Iran comme en Extrême Orient, les mythes liés aux tribus indigènes qui occupaient ce pays avant l'arrivée des tribus aryennes disparurent peu à peu après l'avènement de la vague d'immigration, laissant place à la mythologie zoroastrienne. La mythologie ancienne a non seulement perduré dans les fondements, les cérémonies et 77 les traditions zoroastriennes, mais est également demeurée ultérieurement, de manière évoluée, dans les fondements, les cérémonies et les traditions de la religion islamique et persistent de manière cachée dans les trésors littéraires et artistiques". (Lahidji et Kar, 2002, 87). La nouvelle tradition zoroastrienne a ajouté à son panthéon certains dieux anciens antérieurs à Zoroastre qui n'ont pas quitté la scène ; c'est le cas de Mehr (Mithra), Anahita, Vayou, Tichtar, Bahram. Dans l'étude de la religion zoroastrienne, nous faisons connaissance avec Ahura Mazda et six Amshaspandan. Bahman (Vahu Manah) signifie "pensée bonne" ; il est assis à la droite de Ahura Mazda et joue pratiquement le rôle de conseiller. Il est le représentant et le protecteur des animaux utiles du monde, parce que, par sa pensée juste, il lui est possible d'accéder à la connaissance religieuse. Il insuffle la pensée juste dans l'esprit des humains, les dirige vers les dieux ; après la mort, il accueille l'âme des dévots et les conduits au sommet du Paradis (Ibid., 65). 2-2 Cadre théorique : Avant de disserter sur les bases des théories et de leur cadre, il est bon d'aborder préalablement le sujet de l'anthropologie culturelle. En accord avec Danial G. Bates, et Fred Plog, qui ont décrit les généralités concernant l'anthropologie culturelle dans leur livre "Cultural anthropology", nous nous contenterons de parler brièvement à ce propos. 2-2-1.Anthropologie culturelle : Les auteurs de ce livre, également enseignants et chercheurs dans ce domaine, ont essayé de montrer les adaptations variées des sociétés 78 humaines à la diversité de leurs environnements dans le cadre des différents modèles culturels. Ils pensent que chaque société, aux quatre coins du monde, réagit de façon propre, dépendant de la situation climatique et sociale vis-à-vis de son environnement ; elle essaie de s'adapter à ce dernier dans un cadre et un modèle culturel particuliers, afin de permettre sa survie et sa perpétuation dans le temps et dans l'espace. A l'instar des anthropologues actuels et contrairement aux premiers anthropologues, ils pensent que les diverses sociétés humaines possèdent des points communs : égalité de proportions de leurs types et de leurs caractéristiques physiques, et l'instinct naturel commun à tous les Hommes. Il est ainsi possible de trouver une égalité d'espèce dans les sociétés humaines ; mais du fait que chaque être humain est unique parmi les autres êtres humains et présente des particularités psychiques et mentales uniques, chaque culture, chaque société culturelle, aux quatre coins du monde, réagit de façon spécifique vis-à-vis de son environnement ; c'est donc ainsi qu'une société se différencie des autres sociétés culturelles. Les différences existant dans les sociétés humaines en ce qui concerne le type de culture ne révèle pas la supériorité d'un type sur un autre, mais plutôt des modes divers d'adaptation culturelle qui ont montré leur fonction et leur bénéfice partout dans le monde pendant plusieurs générations, ce qui leur a permis de résister. Chaque mode d'adaptation pour une société particulière se révèle adéquat et a une valeur qui lui est propre (Bates et Fred Plog, 1990, 10). 2-2-2 Théories de recherches : Ce qui fait la différence entre une recherche et un rapport réside dans le processus et la méthode de recherche dont disposent les chercheurs ; la plus importante concerne le cadre et le fondement théorique de la recherche. 79 Les chercheurs doivent avant tout dominer les bases et les théories du sujet de la recherche dans un domaine particulier. Naturellement, parmi les dizaines de théories, le chercheur doit trouver un moyen pour mener à bien sa recherche, ce qui se révèle être une tâche difficile, surtout que de nos jours, dans l'univers des sciences humaines, sociologiques, de l'anthropologie, de la psychologie, etc. nous sommes confrontés à maintes méthodes et théories. 2-2-3 Cadre théorique : Les théories constituent le squelette de la recherche scientifique. Une théorie scientifique est un lien qui établit une relation ordonnée entre les phénomènes naturels et explique une partie du monde. Chaque effort fait pour décrire purement et simplement, c'est-à-dire décrire un phénomène dont on ne connaît pas l'intérêt dès le début, a une valeur propre, surtout quand le chercheur pénètre dans un univers inconnu. Mais dans l'analyse finale, toutes les observations de recherche trouvent leur place sous l'influence d'une théorie. La plupart des études primaires d'anthropologie étaient très descriptives, mais comme nous le verrons ultérieurement, les premiers anthropologues prenaient en considération une série de vues générales théoriques. Cependant, les études anthropologiques étaient entreprises surtout dans un but précis ou par compréhension systématique se trouvant dans les rapports entre les choses et les événements. La théorie possède une valeur fondamentale sur le processus de la recherche, car chaque modèle théorique choisi par le chercheur a une interférence sur le type de question ou les intérêts portés à la recherche. La théorie crée un cadre pour le chercheur pour qu'il puisse introduire des questions particulières et classer les hypothèses particulières. Une théorie n'est jamais mise en examen directement, alors que ce qui est 80 attendu de chaque théorie est examiné en expérimentant ces hypothèses particulières. Hypothèse signifie un type de question ou de fondement de recherche qui met en relation les phénomènes étudiés de la recherche et les autres phénomènes. Au-delà de cela, ce fondement doit être compris de telle manière qu'il soit possible de prouver son contraire, autrement dit, une hypothèse est une base permettant d'obtenir une relation appropriée entre divers phénomènes afin de déterminer ce qui est juste ou faux (Ibid: 59). 2-2-4 Vers une théorie anthropologique concordante : Les chercheurs ont été confrontés à un grand nombre de théories anthropologiques dans différents domaines sociaux durant les cent dernières années. Pour démontrer leurs théories, les chercheurs se sont vus obligés de faire ethnographiques, appel aux sociologiques, différentes idées etc., d'arriver afin anthropologiques, à une idée anthropologique concordante. Ritzer aborde le même sujet à propos des idées en sociologie : "en plus de l'explication sur la nature des théories multiples sociologiques, j'ai essayé, dans mon travail originel, de défendre une théorie concordante dans la sociologie. Bien qu'il existât des raisons permettant la continuation de l'existence de théories en vigueur, nous avons cependant également besoin d'une théorie plus globale. Les théories existantes ont tendance à être unidirectionnelles et insistent sur une apparence spécifique des réalités sociales, alors qu'elles ne montrent aucun intérêt aux autres directions… cela entraîne l'apparition d'un phénomène que je considère comme n'étant qu'un intérêt croissant porté à une connaissance plus globale parmi les branches étudiées de la sociologie. (En vérité cela fait partie d'un intérêt accru vis-à-vis d'un assemblage dans le domaine de la sociologie, aussi bien que dans plusieurs domaines des sciences sociales (voir les travaux de 81 Mitrof et Klieman, 1970). Par exemple, Robert Merton, adepte des théories des réalités sociales a reconnu cette théorie et celle de la définition sociale comme étant complémentaires. Il a dit que leur différence est identique à celle existant entre le beurre et la confiture : bien que présentant une différence compréhensible, ils s'enrichissent mutuellement (1975, 30). Parmi les auteurs des définitions sociales, Humean et Huston Wood pensent qu'un des éléments théoriques du définitionisme social (c'est-à-dire la méthodologie ethnographique) constitue au moins un des principes fondamentaux du réalisme social qui est "la réalité du monde extérieur et obligatoire" (1975, 180). Parmi les chercheurs sur les comportements sociaux, Arthur Stadts (1976) cherche à mélanger les fonctions mentales créatrices (un élément essentiel du définitionisme social) avec le béhaviorisme traditionnel. L'appel à une théorie concordante et plus claire est de grande importance, mais ce qui est encore plus important est d'essayer d'éclaircir à quoi ressemblent de telles théories (Ritzer, 2000, 637). 2-2-5 Cadre d'une théorie concordante : Le fondement d'une théorie globale est le concept des faces de la réalité sociale (Ritzer, 1979, 1981). Comme le lecteur le sait, le monde social ne présente pas vraiment différentes faces. En réalité, il est préférable de considérer la réalité sociale comme étant composée de différents genres de phénomènes sociaux qui interviennent continuellement dans des actions réciproques et font face à des changements. Les gens, les groupes, les familles, l'aristocratie, les systèmes politiques, et différents genres de phénomènes très variés socialement, montrent un groupe spectaculaire de phénomènes constituant le monde social. La compréhension d'une si grande diversité de phénomènes sociaux brassés 82 est très difficile. Nous avons besoin ici d'un projet conceptuel assez clair et les sociologues ont mis en œuvre plusieurs projets conceptuels pour dominer le monde social. L'idée de facettes de la réalité sociale présentée ici doit être considérée comme l'un des divers projets pouvant être utilisés dans le but de dominer les complexités du monde social (Ibid., 1981, 637). En ce qui concerne les nappes d'offrande qui relèvent du domaine de l'anthropologie culturelle, on peut dire qu'elles sont des actions basées sur la transmission de la tradition et l'anthropologie symbolique religieuse et interprétative. Notre recherche a pu bénéficier de la solution globale de plusieurs théories. 2-2-6 Anthropologie symbolique et interprétative : L'anthropologie symbolique et interprétative est un courant apparu à la fin des années 60 et au début des années 70, principalement dans l'anthropologie culturelle américaine. Elle découle principalement de cette idée que la culture est un ensemble de définitions qui sont comprises à travers les symboles, les signes et interprétations. De ce fait, pour mieux comprendre une culture, il faut tout d'abord analyser ces symboles. Il est possible d'affirmer que l'anthropologie symbolique est en quelque sorte proche de l'anthropologie épistémologique. Cependant, il faut reconnaître que le fonctionnement de ces deux tendances est complètement différent. L'anthropologie épistémologique étudie les définitions à l'aide d'un outil symbolique parfaitement défini, la langue ; les méthodes de ce fonctionnement sont principalement des méthodes liées à la langue. Pour l'anthropologie symbolique, la langue est un système symbolique utilisé à côté de tous les gestes corporels ; tous les signes et l'infinité des combinaisons de ces signes peuvent constituer un outil de recherche. Les spécialistes célèbres de l'anthropologie symbolique sont : Clifford, 83 Geertz, Victor Terner, David Schneider et Mary Deglas, chacun d'eux ayant enrichi cette tendance en présentant des groupes de significations et de discussions (Fakuhi, 2002,254). Miroir et chandeliers, symboles du Ciel et du Soleil pour le mariage et le bonheur, 2008 (photo M. Homayun Sepehr) 2-2-7 Transmission, objets et mémoire symbolique religieuse : D. Berliner, dans son article ―When the object of transmission is not an object‖ (RES 51, spring 2007, 87-97), indique l‘importance de la relation entre la mémoire et les objets matériels et se réfère aux travaux de Radley 1990, de Rowlands 1993, de Ash 1996, de Debray 1997, de Hoskins 1998, de Kwint, Brewart et Aynsley 1999. Nous sommes d‘accord avec Berliner et ces autres chercheurs. Il y a bien une relation directe entre la mémoire historique, la mémoire culturelle et l‘objet et ses fonctions. Hallam et Hockey (2001) ont expliqué le rôle des objets matériels tels que les photos, les fleurs, les statues funéraires dans les deuils. De même, nos photos d‘objets tels que Alamat, Hedjleh, Nakhl, Kotal… nous rappellent l‘événement d‘Ashoura de Karbala. De même, comme pour l‘exemple des madeleines de Proust donné par Kirschenblatt et Gimblett (1989), l‘odeur de Halva, de Katshi, de Sholé- zard et de l‘eau de rose (gol-é Mohammadi 84 chez les shi‘ites) nous transporte auprès du Prophète et de sa famille. Tissu Termeh (Tagheh châle), Napperons pour la prière, avec chapelet utilisé pour différentes cérémonies Coran, pierre pour la prière et aiguière à eau 2006, (photo S. Salimian) de rose, 2006, (photo S. Salimian) Hedjleh, qui représente une couche nuptiale, placé devant le domicile d’un jeune homme pas encore marié, pour en annoncer le décès, 2007, Téhéran (photo M. Homayun Sepehr) 85 Alamat, symbole des martyrs de l’événement de Karbala ; chaque lame est le symbole d’un martyr. Téhéran, 2007 (photo M. Homayun Sepehr) Nakhl, symbole du cercueil des martyrs, Yazd, Ardakan, jour de l’Ashoura, 2005 (photo, S. Salimian) 86 Kotal, symbole d’une tente d’un martyr Djam chehelklid, symbole de l’immortalité. On Ispahan, 2006 (photo A. Rezaï) verse de l’eau sur les nouveau-nés, les jeunes mariés… pour les protéger contre les maladies, le mauvais œil, Ispahan, 2006 (photo A. Rezaï) Nappe de mariage à Téhéran, 2007, (photo S. Salimian) 87 Sofreh Haft Sin Norouzi (nappe de 7 Sin pour la fête du Nouvel An iranien, 2007 (photo S. Salimian) Participation des femmes à la cérémonie des nappes du soir de Yalda, Téhéran, 2008 (photo M. Homayun Sepehr) 88 Groupe d’hommes en train de se frapper la poitrine, Téhéran, Moharram, Ashoura 2005, Téhéran (hoto S. Salimian) Groupe d’hommes, recouverts de boue, symbole de l’ensevelissement, comme pour les martyrs de Karbala, Téhéran, Moharram, Ashoura 2005, Téhéran (photo S. Salimian) 89 2-2-8 Clifford James Geertz (1926-2006) : Clifford James Geertz, anthropologue américain contemporain a entrepris ses recherches sur la religion au cours de ses études universitaires. En 1960, il publia un livre intitulé "Religion à Java", comportant une description détaillée et complète des croyances, des symboles, des rites et coutumes des habitants de l'Ile de Java. Suite à ces études sur place, lors de cinq voyages successifs au Maroc, il étudia la culture islamique dans ce pays africain. Son livre intitulé "Islam observé" (1968) comporte des études comparatives de grande valeur portant sur la réflexion de l'Islam dans deux milieux culturels complètement différents, asiatique et africain, soit l'Indonésie et le Maroc. Geertz, nettement opposé aux sciences sociales habituelles, surtout en ce qui concerne la méthodologie, fonda une nouvelle anthropologie, "l'anthropologie interprétative". L'importance et la validité des œuvres de Geertz sont surtout dues au fait qu'il a principalement pris en considération l'aspect ethnographique et l'aspect théorique de la religion. Bien que les spécialistes en anthropologie symbolique tels que Clifford Geertz, Victor Terner, David Schneider et Mary Deglas aient largement contribué à l'enrichissement des sujets de discussion de l'anthropologie symbolique, les bases du cadre théorique de cette recherche sont principalement fondées sur les théories de Clifford Geertz qui peuvent nous aider dans cette recherche en ce qui concerne les nappes d'offrande votive qui ont une signification religieuse et symbolique. Les idées importantes de Geertz à propos de la culture et de la religion sont issues de deux courants scientifiques principaux : la tradition sociologique classique et la tradition puissante et indépendante de l'anthropologie américaine. Parmi les théoriciens de la sociologie classique, 90 Max Weber, célèbre sociologue allemand, indirectement, et Talcott Parsons, sociologue américain contemporain, ont, plus que les autres, influencé la structuration de la pensée de Geertz. Certains concepts de Weber sont exprimés dans le travail de Geertz, de différentes manières : la sociologie "compréhensive" (verstehen) de Weber, capables d'interpréter les activités humaines et l'effort fourni pour comprendre la signification culturelle cachée dans celles-ci par le biais de la concordance d'idées, la prise en considération de la culture en tant que résultat d'activités humaines et sa position-clé dans la mise en évidence de l'orientation des activités humaines en accord avec les idées, les approches et les valeurs spécifiques, la nécessité de connaître les principes culturels de la société et ses symboles, la position des activités étudiées dans le cadre du système symbolique dont il est question, en ayant comme objectif la compréhension des significations en adéquation avec les significations de l'objectif recherché par les partisans. Une autre idée de Geertz, inspirée par Weber consiste en la séparation des religions en deux groupes : traditionnelles et rationnelles. Sur la base de cette typologie, Geertz a classé comme étant "religions traditionnelles" celles existant parmi les ethnies primitives croyant en plusieurs dieux, aux âmes variées servant d'intermédiaires entre les dieux et leurs représentants appliquant leurs commandements sur Terre, ainsi qu'à différentes sortes de magies. Les religions modernes croyant en un seul ou deux dieux ainsi qu'aux principes globaux et aux critères particuliers de la vie capables de dévoiler les mystères du monde, ont été nommées "religions rationnelles". Selon Geertz, par opposition aux religions traditionnelles, les religions rationnelles ont proposé des savoirs plus grands pour leurs adeptes et ont joué une fonction plus importante dans les scènes sociales. Un autre sociologue connu, professeur de renom à Harvard, Talcott Parsons, a eu 91 une influence indirecte sur la pensée de Geertz, par ses traductions de l'œuvre de Weber de l'allemand en anglais, ce qui a permis l'utilisation directe par Geertz et autres anglophones de ces œuvres. Parsons porte une attention profonde à la culture sous forme d'un petit système essentiel et directeur du système social, et en tant que réseau complexe d'évaluation des symboles et des croyances, réaction entre personnes et société, ayant de ce fait un rôle déterminant dans le processus des autres petits systèmes ; tous les systèmes sociaux d'une part, et les actions personnelles d'autre part, constituent les idées-clés reflétées dans l'idée de Geertz. Selon Parsons, "le système culturel est une chose visible et un ensemble de symboles – objets, mouvements, signes, mots et événement significatifs – qui, bien qu'ils existent à l'extérieur de la pensée individuelle, réagissent dans le for intérieur des êtres et confèrent une forme aux savoirs, aux pensées et aux directions des actions et orientent celles-ci dans leur réalisation". En résumé, si Weber a montré comment comprendre une culture, Parsons, lui, a montré où il est possible de la trouver. Selon Parsons, la culture n'est pas seulement un ensemble de sentiments imaginaires ou de conceptions variées dans l'esprit de l'Homme, mais plutôt une chose réelle et stable, en d'autres termes une chose objective affectant les sentiments des Hommes, mais ayant une existence séparée de la leur. Tous les Hommes de la société sont capables de différencier et d'étudier ce système symbolique du fait de son objectivité et de sa réalité. C'est du fait de ce même aspect que les anthropologues considèrent l'étude culturelle comme étant le domaine le plus important de leurs études. Geertz considère également la culture comme un système objectif de symboles ; de ce fait, certains penseurs estiment que le titre d'anthropologie "symbolique" convient mieux que celui d'anthropologie "interprétative" par sa démonstration. 92 La pensée de Geertz, en plus des sociologues cités, a été également influencée par d'autres anthropologues contemporains. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer Frans Boas (1858 - 1942), Alfred Lowies Krobert (1876 1960), Robert Lowie (1833 - 1957) et Ruth Fulton Benedict (1887 -1948). Le point commun à ces penseurs consiste en l'insistance sur l'importance et la validité des études sur le terrain comme étant la méthode la mieux adaptée permettant l'étude et l'observation de la culture et des phénomènes (Pals, 2003, 355). 2-2-9 Action réciproque symbolique : L'importance et le processus de l'action et de la réaction symbolique dans le domaine des cultures ont occupé pendant quatre décennies la première place dans les théories de sociologie et d'anthropologie. La théorie de la réaction symbolique, comme la tendance vers le fonctionnement structurel ont dominé la théorie de la sociologie américaine pendant des années. Cette théorie a de toute façon perdu un peu de son importance ces dernières années. Elle a gardé dans une certaine mesure une valeur historique et actuelle. Le principal problème mis en avant par les partisans de la réaction symbolique concerne l'influence des significations et des symboles sur l'action et la réaction humaine. Il est bon de se rappeler la distinction que fait Mid entre le comportement manifeste et le comportement caché. Ce dernier est le résultat de la pensée qui comprend les significations et les symboles. Le comportement manifeste est celui qu'a l'acteur. Certains comportements manifestes ne comprennent pas de comportements cachés (comportement d'habitudes ou réaction sans mise en jeu de la réflexion visà-vis de stimuli extérieurs). Malgré tout, la plupart des comportements humains nécessitent les deux types de comportements. Pour les adeptes de 93 la théorie de la réaction symbolique, le comportement caché est le plus important, tandis que pour ceux de la théorie d'échanges et tous les behavioristes traditionnels, le comportement manifeste a une plus grande valeur. La signification et les symboles induisent des particularités variées à l'action sociale humaine (en relation avec un acteur unique) et à sa réaction sociale (nécessitant deux ou trois acteurs pour avoir des réactions sociales). L'action sociale est cette même action pour laquelle les personnes "réagissent avec les autres intellectuellement" grâce à elle (Charon, 1985, 130). Autrement dit, les êtres humains essaient d'évaluer les faits de leur action envers les autres acteurs engagés dans l'action au moment de l'accomplissement d'un acte. Bien que les êtres humains interviennent normalement sans réfléchir dans les actions habituelles, ils ont également la capacité de s'engager dans des actions sociales. Mais dans le processus des réactions sociales, les humains transmettent aux autres les significations de manière symbolique. D'autres interprètent ces symboles significatifs et réagissent selon l'interprétation de ces symboles. Autrement dit, au cours de leur réaction sociale, les acteurs se placent dans un processus d'intrusion réciproque (Ibid., 286). 2-2-10 La théorie d'échanges : "La théorie d'échanges et de donnant- donnant sociaux repose sur le fait que les êtres humains présentent un comportement particulier quand ils sont confrontés à diverses situations recherchant la plus grande récompense et la moindre pénalité. Ici, récompense signifie économiquement "profit" et pénalité "pertes". Ainsi, dans chaque situation d'échanges ou de donnantdonnant, chaque partie est dépendante de l'autre pour obtenir un profit, autrement dit, chaque opération implique des profits et des pertes pour 94 chacune des parties. Quand le profit est supérieur aux pertes, l'opérateur se soumet aux règles et aux valeurs sociales" (Adib et Ansari, 1979, 215). La situation de la théorie d'échanges, en relation avec la réaction symbolique d'une part et l'anthropologie interprétative symbolique d'autre part, nous montre dans son ensemble la facette de la situation sociale qui a une valeur importante dans la recherche spécifique du point de vue de l'interprétation. Une personne a besoin d'aide qu'une autre peut lui apporter, mais cette première n'est pas capable de la compenser. Blau écrit : "il est possible que la première personne traite celle qui l'aide avec bonté en la remerciant et en montrant de la gratitude, mais qu'elle ne puisse jamais assurer une compensation de facto quand l'autre aura besoin d'aide". Contrairement à G.C. Homans qui a tendance à considérer cet échange comme équilibré, Bellac insiste sur le déséquilibre des parties dans ces échanges et l'absence d'équilibre des forces. Par exemple, si quelqu'un nécessite l'aide d'un autre, mais n'est pas capable de compenser de manière évidente, il a trois possibilités : 1) il peut obliger l'autre à accomplir le travail ; 2) il se dispose à gagner l'aide de l'autre ; 3) il peut trouver des solutions pour effectuer le travail sans aide. Si finalement ces trois possibilités sont sans issue, il ne lui reste plus qu'une seule chose à faire: "il doit se soumettre à l'autre et se plier à ses conditions, et en lui obéissant, il se dispose à compenser son aide". Donc "les procédés d'échanges… entraînent la différenciation et la séparation du pouvoir". L'autre commande parce que possédant les ressources et les services dont la première personne a besoin et la première est obligée à se soumettre puisqu'elle a besoin des ressources et des services que l'autre possède et qu'elle ne peut obtenir d'aucune façon" (Tavassoli, 1991, 420). P. M. Blau, contrairement à Homans, insiste sur le déséquilibre, 95 l'asymétrie et la dépendance unilatérale vis-à-vis des relations d'échanges. Blau essaie d'énoncer une théorie détaillée pouvant comprendre en même temps les relations sociales, fortes et faibles. La relation amant amante est issue de désirs inégaux ; de même, le pouvoir du chef sur son employé résulte du contrôle légal des outils de production. Dans les deux cas, une personne a l'emprise sur l'autre." (Ibid., 423). 2-2-11 Conclusion : "Il semble que les théories d'anthropologie, de sociologie, ainsi que de psychologie peuvent faciliter le processus général de la recherche dans le cas où le chercheur tire profit de leur fusion ; ce cadre théorique le préserve des erreurs probables de la recherche". Peter Singleman (1972) a clairement essayé de combiner les principales significations des théories de réaction symbolique et d'échange. Il entreprit son étude avec des sujets tels que l'intellect, l'ego et la société de Mid afin de prouver la symétrie de ces deux théories. En ce qui concerne l'intellect, Singleman affirme que selon l'approche de la théorie de la réaction symbolique, la signification de l'intellect reflète "la capacité de compréhension de ce que l'organisme humain imagine, explique les situations, évalue les phénomènes, transforme les signes en symboles et montre le comportement pratique et l'objectif" (1972, 416). Pour Singleman, l'acteur, aussi bien du point de vue de la théorie symbolique que de celui de la théorie d'échange, est considéré comme un facteur actif. Pour lui, la signification de l'intellect donnée par les défenseurs de la réaction symbolique est "acceptée ouvertement" par ceux de la théorie d'échange. Du fait que Singleman croit qu'une telle signification d'intellect existe parmi les adeptes de l'échange, il rapporte les discussions de partisans de l'échange à propos de phénomènes tels que les informations de 96 personnes de milieux variés, les désirs et les attentes. Il distingue même des signes d'aboutissements intellectuels dans la signification de l'équité distributive de Homens. Afin qu'une personne puisse comprendre si la loi de l'équité distributive est violée ou non, il est nécessaire d'évaluer intellectuellement les différentes récompenses. Singleman, conclut que, par cette sorte d'analyse "la théorie actuelle d'échange, avec un discernement relativement clair de cette vérité que l'esprit de l'Homme devient l'intermédiaire des relations entre les stimuli et les réactions comportementales dépasse les théories amplificatrices ‗comportementales‘" (1972, 417). De ce fait, une récompense n'est pas considérée en soi comme telle, mais doit être définie en tant que récompense pour pouvoir agir comme un amplificateur. Selon Singleman, le résultat de cette définition place la théorie d'échange dans une situation commune avec celle de la réaction symbolique. La plupart des behavioristes doivent être en accord avec cette idée de Singleman que la récompense n'est pas de nature cachée. Si une récompense se répercute pratiquement sur le comportement, on peut la considérer comme une sorte d'amplificateur. Mais, les autres behavioristes, bien que connaissant le résultat de la définition sociale, n'y prêtent aucune attention. Ils s'intéressent aux manifestations comportementales des résultats des définitions et non pas aux résultats. Les efforts de Singleman pour concilier les deux théories citées cidessus, ainsi que ceux de Blau pour élargir le domaine de la théorie d'échange au niveau des réalités sociales, montrent qu'on peut combiner tous ces niveaux (Ritzer, 2000, 442). Blau et Singleman ont essayé de concilier différentes théories alors que, en présentant leurs théories, les voix des opposants ont été également entendues. 97 En tout cas, en ce qui concerne la vérité du monde réel et intellectuel, l'Homme, le monde et le reflet de son comportement, bien que l'esprit, l'ego et la société poursuivent leur chemin, la modélisation de ce comportement soit sous forme de transmission culturelle (Berliner), soit sous forme d‘interprétation religieuse (Geertz), soit sous forme d'action et de réaction (Mid, Parsons, Blumer), soit en relation avec le monde des profits et des pertes (Singleman, Blau), ou soit le monde d'archétype de Young dans le domaine de la culture, doit permettre l'interprétation et la codification afin de connaître ces sujets, c'est-à-dire l'Homme et sa relation avec lui-même, l'Homme et sa relation avec les autres et enfin la relation de l'Homme avec le monde mystérieux. Ce cadre théorique doit nous permettre d'éclaircir plus profondément la relation de l'Homme, et plus spécifiquement des femmes, avec les sujets sexuels, culturels, religieux et symboliques, dans la société de la préhistoire à nos jours, et la relation avec les différentes nappes d'offrande pendant des millénaires. 2-3 Anthropologie du genre et du sexe : L‘une des catégories présentées dans le cadre théorique de ce mémoire (les nappes offrandes féminines) est un sujet de genre et féministe. Ces théories embrassent des sciences diverses comme l‘anthropologie, la sociologie, la psychologie, l‘archéologie et leurs nombreuses subdivisions. «La théorie féministe - à plus d‘un titre - paraît différente des autres théories sociologiques.» D‘abord, cette théorie est la résultante d‘un ensemble de plusieurs études impliquant non seulement les sociologues, mais également les représentants illustres d‘autres disciplines comme l‘anthropologie, la biologie, l‘économie, l‘histoire, le droit, la littérature, la 98 philosophie, les sciences politiques, la psychologie et le déisme. (Ibid: 460) 2-3-1 Anthropologie féministe et de genre : L‘anthropologie de genre est l‘un des sujets les plus primaires de cette école dont l‘origine remonte aux recherches du 19 e siècle. L‘œuvre de L. Morgan «La société archaïque», celle de Bachofen « Le droit maternel» à côté des autres œuvres de Mac Lennan et de celles d‘autres auteurs ont amené la doctrine marxiste à s‘intéresser au domaine anthropologique et d‘y trouver la preuve de son discours sur la théorie de l‘évolution des sociétés humaines s‘appuyant sur le matérialisme historique. En 1881, Friedrich Engels a publié son œuvre « La source de famille, la possession privée, et celle de l’Etat ». Dans cet ouvrage, il reprend les théories de Bachofen et de L. Morgan en parlant d‘une sorte de mutation des sociétés matriarcales en sociétés patriarcales et phallocentriques (Fakouhi, 2002, 230). Il y a environ cent cinquante ans que les premières recherches académiques sur l‘anthropologie ont été faites. Le sujet de l‘anthropologie de genre et féministe a subi différents courants et généralement les hommes furent les précurseurs dans la genèse des pensées de genre et féministes. Mais la première génération d‘anthropologues féministes fut celle des femmes qui étaient sous l‘influence du féminisme du 19 e siècle, c‘est-à-dire le mouvement qui a commencé après la révolution industrielle, avec la présence considérable de femmes dans le domaine économique afin de défendre l‘égalité des droits des femmes vis-à-vis de ceux des hommes. Initialement, avant tout, ces femmes protestaient contre l‘approche masculine de l‘anthropologie au début des recherches initiales. Non seulement ces recherches furent réalisées par des hommes, mais en plus, 99 elles considéraient seulement les hommes comme objet de recherche. Les informateurs étaient primordialement des hommes et ils analysaient leur société d‘un regard masculin, puisque les recherches étaient basées sur les hommes, donc les activités, les objets, les phénomènes, les rites… se considéraient dans leur domaine masculin. Cette approche fut forcément critiquée par la première génération de femmes anthropologues dont Elsy K. Parsons (qui a obtenu son doctorat à l‘université Columbia) ; Alice Fejer et Philips M. Kibri ( qui furent les élèves de Malinowski à l‘école d‘économie de Londres et qui furent les premières de la génération de femmes anthropologues) et par Malinowski lui-même lorsqu‘il envisage les luttes sociales et qu‘il s‘investit dans la défense des Indiens d‘Amérique (Ibid., 231). Ritzer dresse une liste conséquente d‘anthropologues, de sociologues et autres chercheurs dont les études reflètent différents aspects de ce courant. Le sujet principal de la littérature concernant la différence de genre à l‘époque contemporaine, concerne la vie psychologique intérieure des femmes qui paraît complètement différente comparée à celle des hommes. Ce qui s‘illustre dans les valeurs et les intérêts fondamentaux (1980, Ruddick), la manière de l‘arbitrage des valeurs (1982, Gilligan), la production du motif acquis (1984, Kaufman Richardson), la créativité littéraire (1979, Gilbert Gubar), les rôles du genre, (Hite, 1976 ; Radway, 1984 ; Snitow, 1983) le sentiment d‘identifié (1983, Laws Schwartz) et du point de vue de la connaissance générale et de la compréhension personnelle (Miller, 1976 ; Kasper, 1986). A propos de la construction sociale, les femmes possèdent une vision et une perception tout à fait différente de celle des hommes. Le deuxième sujet qui intéresse la littérature précitée concerne la différence dans la forme générale de la relation des femmes par rapport à 100 leur vécu. Les femmes ont des relations différentes avec leurs enfants en comparaison des hommes (1978, Lever ; Rossi, 1983). Les filles et les garçons ont des méthodes de jeu qui sont clairement différentes (1978, Lever ; 1983, Best). Les femmes âgées (1980, Bernikow) ont des rapports spéciaux et uniques entre elles et avec les femmes qu‘elles sont amenées à côtoyer (1984, Asher et les autres). En effet, l‘expérience générale qu‘acquièrent les femmes de l‘enfance à la maturité dénote une différence fondamentale avec celle des hommes. (1981, Bernard) Ces divers ouvrages sur les différences de la connaissance et de l‘expérience des femmes, donnent globalement une réponse unique à la question : «Que sait-on des femmes ?» (Ritzer, 2000, 471) Il y a une pléthore d‘idées variées qui théorisent la différence du genre entre les femmes et les hommes et émanant des anthropologues, des sociologues, des psychologues et des biologistes depuis cinquante ans. Ces idées ont été enseignées dans toutes les universités de par le monde. «Elles sont principalement de trois types : biologiques, constitutionnelles et socio-psychologiques au sens large.» (Ibid). La deuxième génération des femmes anthropologues est la plus connue. Cette génération a été active au XXe siècle dès les années vingt jusqu‘aux années quatre-vingts. Simone de Beauvoir, célèbre philosophe française et auteur du célèbre ouvrage «Le deuxième sexe» a joué un rôle déterminant dans l‘élaboration de la doctrine féministe de cette génération. Néanmoins, les anthropologues les plus connues dans ce domaine restent sans conteste Margaret Mead et Ros Benedict à propos de laquelle nous avons parlé dans la partie de cette étude s‘attachant à la culture et à la personnalité. On classe également Sheri Otez et Betty Friedan dans ce groupe. 101 Par ailleurs dans cette catégorie, il faut citer certaines anthropologues féministes et marxistes telles qu‘Elnor Likouk, Pete Kaplan et Karen Sakes. Ce groupe a fait sortir le féminisme de son carcan pour l‘intégrer en tant que composante à part entière dans l‘étude de l‘ensemble des caractéristiques pouvant définir un objet d‘étude. Nous pourrions dire que cette génération en comparaison avec la précédente a été plus proche du discours intrinsèque du féminisme. Un des traits fondamentaux des principes théoriques de ce groupe d‘anthropologues est celui qui devait faire la différence entre les caractéristiques biologiques du genre et la caractéristique culturelle se présentant dans le domaine du genre. Du point de vue classique, le genre culturel a toujours été différencié du genre biologique et finalement, le clivage des femmes et des hommes se considère comme une séparation biologique qui se généralise aussi au niveau de la culture. Selon ce groupe, la féminité n‘est pas seulement une situation biologique mais plutôt une situation socioculturelle. Donc, on suppose que l'acclimatation de cette situation socioculturelle qui s‘est adaptée dans une société spécifique influençant la situation biologique des femmes, relève de l‘arbitraire et non pas d‘une nécessité naturelle. Enfin, nous présenterons la dernière vague de l'anthropologie féministe qui a pris naissance dans les années 80 du 20 e siècle et qui poursuit ses travaux jusqu‘ aujourd'hui. Au contraire du groupe précédent, dans cette mouvance la séparation entre le genre biologique et le genre socioculturel ne se présente pas de façon absolue. En réalité, les études plus approfondies sur la vie socioculturelle des femmes et des hommes 102 montrent que l'élément biologique a une présence continue et agissante dans la culture. Naturellement, il n'y a aucune raison de stigmatiser cette présence comme une obligation sur la formation spéciale des caractéristiques socioculturelles dans un genre ou l‘autre. Mais la connaissance de cet impact ouvre de nouveaux horizons de réflexion. En écartant la gent féminine comme une couche sociale bien fondée, encore une fois, l‘aspect le plus important revient à l‘antériorité de la stratification des autres couches sociales (ethnie, âge, religion et situation sociale) ; d‘autre part, cette tendance illustre le concept et la branche même de l'anthropologie de genre. Dans cette partie, le genre prend un sens plus scientifique et plus confiant que le féminisme, alors qu‘aujourd‘hui dans ce courant on doive prendre acte de l‘émergence d‘un concept d‘anthropologie masculine (Fakouhi, 2002, 233). Le genre : La signification du genre indique les différences biologiques entre la femme et l'homme et normalement pour montrer une telle différence, on considère six facteurs principaux : la formation des chromosomes, les organes reproducteurs, les organes sexuels extérieurs, la composante hormonale, les organes sexuels internes et les caractéristiques secondaires du genre (Azadanlu, 2004, 3). 2-3-2 Les pionniers de l'anthropologie : Revenant aux études des premiers fondateurs de l'anthropologie comme L. Morgan, E. Tylor, A. Van Gennep et F. Engels, E. Reed critique avec force les doctrines du genre d‘après les perfectionnistes. Elle 103 en arrive à des résultats spécifiques. L. Morgan, E. Tylor et les autres perfectionnistes du 19e siècle ont fondé l‘anthropologie. Ils ont affirmé que les racines de cette science se trouvent dans l‘étude de la société préhistorique et les recherches sur ses origines et ses sources. Voici deux exemples importants de leurs découvertes : la société primaire imposait une discipline collective demandant une égalité qui ne possède aucune équivalence dans la société actuelle ; elle était basée sur la famille, la possession privée et l‘Etat. La société matriarcale était aussi celle dans laquelle les femmes dominaient la production et la vie sociale et jouissaient d‘un haut niveau social ainsi que d‘une haute dignité (E. Reed, 1993, 192). Après avoir fait des recherches détaillées sur l‘Homme primaire, surtout sur les femmes de cette époque, E. Reed a publié le résultat de ses recherches dans son ouvrage «L’évolution des femmes». Ses dernières recherches sur la société des femmes l‘ont menée à la conclusion qu‘à toutes les époques, les marxistes ont remarqué que la société s‘appuyait sur deux principes : la production et la naissance. Dans la société urbaine, ces deux sphères d‘activité sont réparties entre l‘homme et la femme. La procréation reste l‘apanage des femmes ainsi que la production des équipements de logistique nécessaires à la vie. Pour plus de quatre-vingtdix pourcent depuis le début de l‘Histoire, non seulement les femmes sont des génitrices mais aussi les productrices principales des équipements vitaux de la vie. Puisque les femmes engendrent la vie et qu‘elles en sont les gardiennes, elles sont devenues les premières productrices des outils et des équipements de la vie. 104 2-3-3 E. Reed et la théorie de la sexualité : L‘antériorité historique du matriarcat que les écoles académiques n‘ont pas acceptée est la clé même qui répond à la question fondamentale de l‘origine sociale. Beaucoup de questions restent sans réponse, parmi lesquelles, les suivantes : pourquoi la société humaine primaire était non seulement matriarcale, mais aussi pourquoi ses relations sociales productives se référaient-elles au collectivisme ? Pour tenter de répondre à ces interrogations, il nous faut aborder le commencement de la vie sociale à la lumière des enseignements de Engels et de Brifelt (Ibid., 249). Jacques Cauvin remonte à des milliers d‘années en arrière dans l‘histoire du Proche-Orient et remarque que c‘est au début de l‘époque néolithique que la représentation de la femme sous diverses formes surtout sur les objets mobiliers (statuettes) apparaît au Proche-Orient. C‘est aux environs du septième millénaire avant J.C. qu‘en Turquie, dans la région archaïque de Čatal-Hüyük, l‘image de la femme est associée à celle du bœuf et que l‘image de la femme dans l‘ouest de l‘Iran, deviennent des images dominantes dans l‘imagerie répertoriée à ce jour. Cauvin suggère que l‘image de la femme de Čatal-Hüyük représente une déesse sous forme de bas-relief commémoratif. Mais l‘important est que cette image se trouvant sur le mur d‘un temple ait les mains et les jambes ouvertes, et que la déesse soit en train d‘accoucher d‘un bœuf. A la suite de ses recherches, Cauvin ajoute que ces représentations de l‘époque néolithique dans les régions ouest d‘Asie sont devenues des personnages tout à fait mythiques prenant la force d‘un divinité toute puissante, une déesse et un homme qui surgit sous l‘image d‘un bœuf symbolisant son époux (Ibid). En défendant les théories des fondateurs de l‘école perfectionniste, Reed fait allusion au rôle des femmes dans la découverte de graminées 105 telles que le blé, l‘orge, les céréales ainsi que dans la préparation du repas pour la famille, famille que la femme soutient et assume comme principale responsable des autres membres de la cellule familiale. «Les travaux les plus importants dans la division primaire des tâches sont faits par les femmes dites sédentaires et non par les hommes chasseurs, permettant de commencer par la préparation du repas qui est le premier et le principal besoin car il faut que les hommes se nourrissent avant de faire n‘importe quel travail. Ce sont les femmes et non les hommes chasseurs qui préparent les sources alimentaires les plus durables et les plus suffisantes. A l‘époque où la chasse est dangereuse et où les hommes reviennent souvent au camp les mains vides, la faim (des gens) était rassasiée grâce au produit de la cueillette effectuée par les femmes ; de plus la femme s‘occupait de la préparation du repas. Non seulement à cause de la préparation du repas quotidien mais également par la maintenance des ressources dédiées aux futurs repas, la femme était l‘appui principal pour la gestion des besoins communs et primaires.» (Reed, 2003, 18). «Considérez les liens entre les primitifs ; chacun prépare son propre repas, le lien stable et principal se constitue entre la mère et le nouveauné… C‘est plus logique d‘imaginer qu‘avec le commencement du rallongement de la durée pendant laquelle le nouveau-né est dépendant des parents, on a commencé à élargir le domaine du ramassage du repas afin de le nourrir.» (Eslakom, 1998, 144). Le rapport fort qui s‘établit entre la mère et le premier nouveau-né se renforce et s‘allonge dans le temps contribuant au développement des rapports sociaux en provoquant le premier système de division du repas. Evelyne Reed note le rôle important joué par les femmes dans ses diverses recherches. L‘erreur fatale de ceux qui sont obnubilés par la priorité imaginaire des hommes dans ces sociétés, c‘est qu‘ils ne prennent pas en 106 compte cette vaste production des femmes primitives et qu‘ils imaginent la femme comme sédentaire toujours à la merci d‘un petit cercle familial. Dans le vaste système primitif des familles isolées, la porte privée ou fermée n‘existait pas (Reed, 2003, 24). 2-3-4 J. Bachofen et la théorie du matriarcat : S‘appuyant sur les découvertes archéologiques de statues féminines qu‘il a nommées déesses et aussi considérant la puissance des femmes dans les mythologies grecque et romaine, J. Bachofen pose la théorie du matriarcat. Après lui, Lewis L. Morgan, anthropologue américain, lors de ses études sur la vie des indigènes d‘Amérique du Nord s‘est rendu compte de la place éminente des femmes et il a mis l‘accent sur l‘exactitude de la théorie citée. Il a essayé de la démontrer à l‘aide de ses propres preuves acquises. En regardant les épigraphes, les dessins et les statues féminines du passé, on considère les signes de respect si profond envers les fées qui symbolisent la fertilité et l‘abondance ; donc on pourrait dire que l‘homme du néolithique en se rendant compte de l‘importance de la terre et de l‘élevage des plantes adorait les fées fécondantes. Puisque l‘art de l‘imagination de la mémoire humaine se concentre sur son environnement, la création et la vénération des statues de femmes marquent l‘importance de la vénération de la naissance et de la fertilité. L'art qui est né de la croyance et de l'opinion susmentionnée a des caractéristiques spéciales. Les déesses qui se voient dans ces œuvres artistiques expriment deux rendus du visage : l‘un est mortel et l‘autre vivifiant ; nous pouvons citer en exemple Féria, la déesse de la Terre et de l'Amour, Ishtar... Les œuvres et les signes de l‘adoration des déesses en Europe, dans des domaines artistiques variés dans les pays limitrophes de l‘actuel Iran, 107 de même que les œuvres écrites, les épigraphies et les découvertes archéologiques en Iran reflètent une coutume relative aux fées. En étudiant les œuvres auxquelles nous nous référons, on comprend que la tradition de l'adoration des déesses était le pivot principal des croyances traditionnelles et religieuses du peuple des époques anciennes et que les œuvres trouvées comme les sculptures de Sarab datées du 8ème millénaire avant JésusChrist étayent ce point de vue (Basti, 2003, 175). 2-3-5 Les femmes créatrices : Dans les premières sociétés, la plupart des progrès économiques ont été apportés par les femmes et non pas par les hommes. Durant les époques consécutives où les hommes chassaient continuellement utilisant des méthodes rudimentaires et archaïques, les femmes développaient l'agriculture autour de leur abri. Elles ont créé mille autres formes d‘arts domestiques dont chacun est devenu une base pour un développement industriel ultérieur. Depuis le cotonnier qui est l'arbre de la laine d'après les Grecs, ces premières races de femmes ont inventé d'abord le fil et puis le tissu. Ce sont sans doute ces mêmes femmes qui ont développé la couture, le tissage, la poterie, la vannerie, la menuiserie et la construction des maisons. La plupart du temps, elles ont pratiqué le commerce. Elles ont aussi créé le foyer, noyau de la famille. Progressivement elles intègrent l'homme dans leur liste d‘ «animaux domestiques» en lui enseignant les rudiments de la vie sociale (respect de l‘autre, courtoisie, coutumes) ; l‘ensemble de ces facteurs pouvant être considéré comme les bases du développement psychologique et civique (Durant, 1941, 43). Le rôle social des femmes en Iran est évident dans les arts et les vestiges archéologiques dès l‘arrivée de la tribu des Aryens sur ce vaste plateau. Dans les époques de chasse, environ dix mille ans avant J.C., le 108 rôle de la femme était de garder le feu et probablement d‘inventer les outils domestiques. Au huitième millénaire avant J.C. connu sous le nom d‘époque néolithique, les habitants du territoire iranien passent peu à peu de la vie troglodytique à la vie basée sur l‘agriculture. Ainsi au septième millénaire avant J.C., ils ont fondé une ébauche de vie sociale, de société civile. A la même époque, les femmes se sont beaucoup intégrées dans les affaires quotidiennes. La femme s‘approprie les aspects divins devenus symboles d‘adoration et elle gagne un statut de sainteté comme celle des déesses ou de la Déesse Mère. Cette déesse maternelle dont le rôle principal concernait la fertilité et la fécondité a été considérée sous un aspect divin de bénédiction et de jouissance des dons naturels. Et elle a été adorée pendant des siècles par les Iraniens de la période archaïque. 2-3-6 Les femmes en tant que déesses : L‘image d‘une déesse au 6e millénaire avant J.C., découverte sur la colline «Sarab» de Kermânshâh, atteste de l‘adoration de la Déesse-Mère, symbolisant la fertilité, la fécondité et l‘agriculture. D‘après les témoignages et les documents, des dessins identiques ont été représentés au 4e millénaire avant J. C. Dans une grande partie du monde antique, le rôle croissant des femmes dans le domaine social, la fécondité, l‘agriculture, le jardinage et d‘autres domaines relatif à la subsistance rend plus remarquable leur image unique au sein de la représentation mythologique. «En tout cas, aux époques anciennes, le rôle propre le plus important de la femme, ce fut l‘agriculture et la fécondation ; alors, elle montra bien son habileté et ses originalités dans le domaine de l‘agriculture. Au lieu de l‘égrenage et de l‘assemblage des céréales, elle s‘engagea à ensemencer et 109 à cultiver. Au 3e millénaire avant J.C., on adorait la Déesse-Mère au temple des dieux, Ziggurat de Tchogha Zambil près de Suse ; ainsi, à la fin de ce même millénaire, on rattache la statue d‘une Déesse grandiose intitulée «Ninursage» (ou la femme de la montagne) du temple Inshushinak.» (Ibid., 92). De même, au 23ème siècle avant J.C., la Déesse «Pin kir», semblable à «Ishtar», Déesse babélienne, s‘était établie à la tête du panthéon des dieux et était considérée comme le dieu des cieux et la Femme des femmes, dont les images toujours présentes remontent au 2ème et 3ème millénaires avant J. C. Dans un article approfondi, Roghieh Behzadi, en faisant allusion au rôle des femmes dans l‘histoire de l‘Orient ancien, explique leur part dans [l‘organisation] des civilisations des peuples juifs, de Sumer, de Babel, d‘Egypte, de Chine, du Japon, d‘Asie centrale, du Caucase, d‘Anatolie, de l‘Inde et de Perse. «En plus de l‘agriculture qu‘on considère comme une invention féminine, on rapporte le redressement des murs, pendant l‘Antiquité, à l‘âge du matriarcat. L‘Ancien Testament attribue l‘invention des arts dans les sociétés avancées à «Tubal-Cain» (dieu-forgeron) ; cette question arrive donc à l‘esprit: Qui est-il [Tubal-Cain] ? «Caïn» lui-même est le symbole des États matriarcaux : la femme fut la Déesse de la terre et du Ciel ; les sumériens adorèrent «Nisaba», la Déesse de la sagesse… En réalité, dans les communautés matriarcales, la Déesse-Mère ou la Déesse grandiose incarna l‘idée de la Terre dont le mari fut le Ciel ; elle eut une position bien plus élevée que les dieux. Comme la terre, on la prit pour la source de la vie et de toute nourriture. Ainsi, on offrit toujours des vœux à ces Déesses-Mères.» (Behzadi, 2004, 105). L‘analyse et la description des textes de l‘Antiquité prouvent le 110 pouvoir féminin au sein du Monde dit Saint qui s‘étend de la Méditerranée jusqu‘au Nil, en passant par la Mésopotamie à Djeihun (Amou-Daria), Seihun (Syr-Daria) et aussi aux pays indiens. Notre recherche sur la femme, surtout celle du Moyen-Orient, nous amène à Ève, la femme suborneuse d‘Adam, car la question de la femme, dit-on, s‘est posée avec elle. La Bible nous enseigne qu‘être mère de tous les hommes fut son rôle essentiel. «Plusieurs zones de la Plaine de l‘Iran comme Sialk de Kashan, Colline-Bakun, Persépolis, Shûsh, Colline-Mussian (Khûzistân), la Vallée de Soghan, Colline-Yahya (Kermân), Colline-Guian (près de Nahavand), Colline-Hessar (Damghan) et beaucoup d‘autres régions à l‘entourage désertique montrent une évolution : dès la fin du 5e millénaire av. J.C., des groupes humains, d‘une manière disparate mais généralement dans le cadre d‘une vie établie menée par l‘agriculture, fondèrent des centres civilisés presque identiques les uns aux autres en Iran… Selon les empreintes découvertes dans des fouilles archéologiques, on peut indiquer bien précisément que dès le début de l‘époque néolithique, au moins, le matriarcat fut le foyer socio-économique des iraniens (des persans)… Les témoignages obtenus dans les explorations de Suse prouvent le rôle et la religion de la femme en tant que mère et femme nourrice ; les documents d‘Ilam, concernant le 2ème millénaire av. J. C. révèle la permanence de traces bien remarquables (authentiques) de la communauté matriarcale.» (Basti, 2003, 79). La base des croyances religieuses fut fondée sur le culte de l‘adoration de la déesse. Des fouilles dans différentes régions d‘Iran et la découverte de sculptures féminines sur beaucoup de sites archéologiques confirment la supériorité du sexe féminin dans l‘Antiquité. Sachant la difficulté d‘élaboration des objets aux époques anciennes en connaissant les disponibilités d‘outils, il semble évident que la sculpture n‘était pas un 111 art d‘agrément mais que tout comme la chasse et l‘agriculture elle s‘intégrait dans les activités considérées comme vitales. La sculpture revêt alors des sens liturgiques, elle incarne les croyances et les courants de pensée dans la société. 2-3-7 De la Sibérie aux Pyrénées sous l'emprise des déesses mères : Dans leur œuvre majeure, S. Lahidji et M. Kar développent leur recherche jusqu‘au paléolithique. Après avoir étudié toutes les sculptures trouvées dans des pays européens comme l‘Autriche, la France, l‘Espagne,… elles notent : «La découverte de sculptures de la «Mère Suprême» dans un vaste territoire qui s‘étend de la Sibérie aux Pyrénées, concernant le paléolithique, montre l‘universalité de la «Déesse-Mère». Au vu de ces explorations faites aux cours des premières décades du siècle dernier, l‘idée de «l‘archétype» - ou «le rôle premier» - de la femme-mère, dans toute son intégralité, a influencé profondément le monde tout entier… L‘opinion générale abonde dans une acceptation unique et une croyance universelle du concept d‘une «Déesse-mère».» (Lahidji et Kar, 2002, 38). 2-3-8 Les champs verts de blé et d'orge, les céréales dans les mains des femmes : «Pratiquement tous les archéologues et les anthropologues considèrent les femmes comme étant les premières agricultrices ; leur idée s‘est enracinée peut-être dans ce fait que les femmes apprirent la culture de chaque plante et leur emplacement favorable, la façon de séparer les graines comestibles, la meilleure manière pour conserver et sécher les fruits, la connaissance de la valeur alimentaire de certaines graines 112 oléagineuses pour les remplacer par de la viande… Toutes ces affaires furent transmises des mères à leurs enfants.» (Ibid., 49). Ivanof, Childe, Lenski, Durant, Ghirshman et Reed sont tous unanimes, en désignant le Moyen-Orient comme le lieu originel de la production du blé et de l‘orge d‘où ils se sont propagés dans le monde entier. «Les premières plantes qui favorisèrent une économie agricole dans cette région furent le blé et l‘orge. Vu leur goût délicieux, leur abondance, la facilité de les récolter et même de les conserver et, le point le plus important, leur plantation simple, tout cela fit qu'on les prit pour des graines alimentaires. Cela explique le grand rôle historique du MoyenOrient et surtout du Plateau de l‘Iran dans l‘évolution de la civilisation humaine. Ayant probablement gagné, grâce à des inondations saisonnières, les plaines et les régions plus basses, le blé et l‘orge sont des plantes indigènes des zones montagneuses du Plateau iranien ; elles ont mieux poussé et ont pu faire fructifier des grains plus abondants et plus nutritifs dans des terrains sédimentaires.» (Ibid). Sans doute les découvertes des archéologues, des historiens et des anthropologues, permettent d‘attribuer la culture du blé, de l‘orge et de beaucoup d‘autres plantes ainsi que l‘élevage des moutons et des vaches à cette région- même [Le Moyen-Orient]. Suivant Ronald Weiser, Lahidji remarque : «le blé, l‘orge, le millet, le maïs, le mouton, la vache, tous furent des plantes et des animaux indigènes iraniens et particulièrement du Nord-est de l‘Iran. Pour une exploitation plus profitable des graines, les iraniens inventèrent l‘agriculture artificielle dont les méthodes se propagèrent donc en Mésopotamie et en Egypte. La culture des graines alimentaires a commencé en Iran à une date qui remonte à 7500 avant J.C.» (Ibid., 66). 113 Troisième Partie: RÉSULTATS DES RECHERCHES SUR LES NAPPES D'OFFRANDE 3-1 De l'Iran mazdéen à l'Iran shi'ite ; Pariha, Pirha (les fées) Dans la croyance zoroastrienne, à côté du dieu Ahura Mazda26, on peut observer à sa droite trois entités sacrées éternelles masculines Ordibehecht27, Sharivar28 et Bahman29, et à sa gauche trois entités 26- Ahura Mazda : signifie ―le Seigneur Sage‖. Dieu suprême du mazdéisme. C‘est sur lui que Zoroastre a fondé sa réforme. Il est le créateur universel et le guide de l‘Homme vers le bien. Il est entouré de six entités (les Amesh Spenta). Dans le zoroastrisme postérieur, sous le nom d‘Ohrmazd, il mène le combat contre son frère jumeau Ahriman, principe du mal. 27- Ordibehecht : (Arta-Vahishta ou Asha-Vahishta). Signifie « meilleure justice ». La plus belle des entités, symbole de l‘harmonie du monde, de la loi divine et de la discipline morale. Il doit surveiller que les paroles soient justes, que les rites soient observés, que le blé pousse correctement… Il surveille les prières. Les personnes qui ont déçu Ordibehecht ne trouvent pas de place au paradis. Cette entité non seulement exerce sa discipline sur la Terre, mais l‘exerce également sur le Paradis et l‘Enfer ; elle fait attention que les mauvais esprits ne punissent plus que nécessaire. Ses disciples sont Izad-é Azar (le Feu), Izad-é Soroush (le Messager), Bahram (la Guerre) et Nirisang. 28- Sharivar : (Khshathra-Vairya) signifiant « règne, bon gouvernement ». Symbole de la puissance et du prestige du Créateur. Dans le monde spirituel, c‘est le symbole du commandement du Paradis, et dans le monde matériel (guiti), c‘est le symbole de la royauté idéale. Il surveille les pauvres et les miséreux. Il essaie de combattre le mal. Ses disciples sont : Izad-é Mehr (les rayons du Soleil), Izad-é Khorshid (dieu du Soleil), Izad-é Asseman (dieu du Ciel), Izad-é Houm, Borz, Ardo-y-Assour (Anahita) et Souk. Il prend également la défense des métaux qui symbolisent la Terre. C‘est Sharivar qui, à la fin du monde, procédera au jugement dernier à l‘aide de métaux fondus. 29- Bahman : (Vohu Manah) signifie « pensée bonne ». Il est assis à la droite de Ahura Mazda. Il est le gardien, l‘avocat des animaux utiles du monde. Il est en relation avec les « bonnes pensées » de l‘Homme parce qu‘il est le reflet de la sagesse du Créateur du fait que c‘est par cette voie qu‘on peut connaître la religion. Il transporte la bonne pensée de l‘esprit de l‘Homme dans la direction du Créateur. Après la mort, il accueille les âmes des dévots et les guide vers les sommets du Paradis. C‘est Bahman qui a emmené Zoroastre vers Ahura Mazda. Ses principaux disciples, tous masculins, sont Izadehmah (dieu de la Lune), Izadgoshovaran (protecteur des quadrupèdes), Izaderam, Sepehr et Zorvan. . (M. Haririan et autres, 2002 :65) 114 sacrées éternelles féminines Khordad30, Amordad 31et Sependarmazd32. Dans l'Avesta, Zoroastre essaye d'éliminer certaines déesses des temps anciens (Pariha, ce qui signifie Fées). « Dans le mazdéisme, les « pari » (les fées) étaient le symbole de « scandale », les pièges utilisés par Ahriman. C‘est pour cette raison qu‘on en a toujours mal parlé dans les textes zoroastriens. Selon l‘Avesta, les fées sont des êtres méchants et de mauvaise vie qui trouvent leur place à côté des « dives », des magiciens et des femmes qui ont mal tourné. Il faut garder ses distances, et pour cela, il faut prier dieu, les saints et les héros. » (B. Sarkarati, 1990, 1). Cet auteur a effectué une recherche approfondie dans les ouvrages d‘éminents orientalistes33. Il a relevé les différentes significations et les concepts relatifs au mot « pari » (fées). À l‘origine « pari » était une déesse des temps anciens (nous avons déjà parlé des Vénus de la colline de Sarab, datant des 8ème et 6ème millénaires avant J.C., de celle de la colline de Rey et de celle de 30- Khordad : entité féminine qui signifie « Perfection entière », « Salut de l‘Homme ». Protectrice de l‘Eau, symbole de la bonne santé des végétaux. Ses accompagnatrices sont Izad-é Tichtar (la Pluie), Bad (le Vent) et autres bons esprits. Lors de l‘attaque de Ahriman, elle a fait appel à l‘Eau et au Vent pour transporter la Pluie dans tout le pays. 31- Amordad : (Ameretat) entité féminine qui signifie « Immortalité » et « Seigneur des végétaux ». Elle est responsable de la croissance des végétaux, de l‘augmentation des troupeaux de moutons. Elle empêche le flétrissement des végétaux. Ses compagnes sont Rashan (la Justice), Ashtad et Zamyad (déesse de la Terre). 32- Sependarmazd : (Spanta-Armaiti). Entité féminine qui signifie ―Sincérité, Patience sacrée‖. C‘est le symbole de la féminité ; elle est la fille de Ourmaz, elle est la déesse de la Terre, elle fournit les pâturages aux quadrupèdes ; elle est heureuse de constater le bon travail agricole fait par des dévots, alors qu‘elle est mécontente lorsque les gens de mauvaise vie, les voleurs foulent le sol. Elle est aidée par Ardo-yAssour (Anahita), les déesses religieuses et Ard/Ashi (ibid.) 33- Benveniste, les Textes Sagdiens, III, Paris 1940, H. Hübschmann, Armenische Grammatik, G. Morgenstierne, an etymological vocabulary of Pashto, Oslo, 1927, L. von Schroeder, Indiens Litteratur und Kultur, Ch. Bartholomae, Beiträge zur Kunde des indogermanischen Sprachen et J. Charpentier, Beiträge zur indoiranischen Etymologie. Le mot « pari » dans la langue persane est dérivé du mot avestique parika qui, dans la langue pahlavi du Moyen-Age s‘est transformé en parik. Dans le persan d‘Asie centrale torfani, il est devenu parig, puis s‘est transformé en pr’yk en sogdien et en parik en arménien. En Pachtou, ce mot est devenu perai et en sanskrit raksasi ou maharaksasi. Bartholomae tout d‘abord a écrit pairika comme adjectif féminin ou paraka qui signifie « ennemie » ou « femme étrangère » en langue indienne ancienne. 115 Bakoun datant du 4ème millénaire avant J.C.) vénérée avant l‘apparition de la religion de Zoroastre. « Mais, avec les changements sociaux, la transmission culturelle des fées (pari) est devenue impossible ; elles ont pris une valeur négative chez les gens qui ont embrassé la nouvelle religion. Cependant, dans leur inconscient, sont restés les souvenirs de la fertilité, de l‘amour et du bonheur liés à Pari. Cette notion réapparaitra plus tard dans la littérature persane et dans le folklore. » (Sarkarati, 1990, 2). Un héritage aussi ancien a pu survivre jusqu'à nos jours et a permis d'étaler les nappes d'offrande dans les maisons des Zoroastriens. À ce propos, Katayoun Mazdapour, chercheuse zoroastrienne, remarque : "de nos jour, la participation aux nappes sacrées et traditionnelles est très courante. Les religieux et les penseurs regardent parfois ces nappes d'un mauvais œil. Ces nappes sont celles de la fille du Roi des Fées, la nappe de Bahman Emshasepand, la nappe de Bibi Seshanbeh (Madame Mardi) et la nappe de Noghod Moshkel Gosha" (1996, 110). Pari, une des déesses antérieures à Zoroastre. Miniature de Farshchian 116 La nappe d‘offrande votive de la fille du Roi des Fées (sofreh dokhtar-é shah-é Parian) est courante chez les zoroastriens en Iran34 à Yazd35, Taft, Kerman et Téhéran, ainsi qu‘en Inde (comme le rapporte E. Phalippou dans sa thèse de doctorat). Farangis Mazdapour, l'érudite zoroastrienne, pour ce qui concerne la société actuelle zoroastrienne en Iran et à l'étranger, dit au sujet des nappes d'offrande traditionnelles :" dans le zoroastrisme officiel, existent des coutumes qui sont accompagnées de nappes telles "Gahanbârha" et des rites (Vedordegân). Mais la vraie religion (Zoroastrisme) sait que, en dehors des nappes qui apparaissent dans les textes religieux ainsi que la manière de les préparer, il en existe d'autres. Autant que nous le sachions, ces nappes sont la nappe de Bibi Seshanbeh (Madame Mardi), la nappe de Shah–é Parian (le Roi des Fées) et la nappe Pirvahomanrouz ; et chez les Zoroastriens, on trouve également la nappe Moshkelgosha" (2002, 82). 3-1-1 Anahita, la déesse suprême de l'eau : Anahita signifie pureté, absence de pollution, déesse de la beauté, de grande taille, aux tresses blondes, aux bras blancs, à la ceinture serrée à la taille, montée sur un char tiré par quatre chevaux, le vent, la pluie, le nuage et la grêle, distributrice de l'eau, purificatrice de la semence de l'homme et de l'utérus de la femme, génératrice de l'écoulement du lait dans la poitrine, de l'abondance des troupeaux et 34- Cette nappe est peut-être un souvenir mythologique d‘une tradition rituelle très ancienne datant de l‘époque du matriarcat. Selon les croyances de la période de la déesse-mère suprême, qui était la déesse de l‘abondance et de la prospérité, la grande prêtresse, sa représentante sur terre et reine, se choisissait chaque année un nouveau mari dans un groupes de jeunes hommes ; à la fin de l‘année lunaire, celui-ci était offert en sacrifice, exécuté de la main des jeunes du groupe dans lequel allait être choisi un nouveau mari.(B. Sarkarati, 1990, 17) 35- Grâce à Mme Shahnazi, une zoroastrienne de Yazd, notre guide lors d‘un voyage d‘étude sur les nappes zoroastriennes de Gahanbar, nous avons pu participer à la nappe votive de la fille du Roi des Fées. 117 des céréales, détentrice de milliers de sources et de rivières. Elle est la déesse de l'intelligence, car depuis les temps immémoriaux, il existe un rapport céleste entre l'eau et l'intelligence (Karbassyan, 2005, 14). "Le Aban yašt est spécifique à Ardoyasur Anahita, il comporte 20 parties et 133 strophes. Grâce à ce verset, contrairement aux autres dieux, nous pouvons tracer une image claire de Anahita. Le verset Aban est le summum de la création de mots splendides et d'une rencontre affectueuse dans l'Avesta… le verset Aban est l'un des hymnes les plus magnifiques et apaisants de l'histoire religieuse mondiale (Radjabi, 2004, 140). "Anahita, d'après le cinquième verset est le symbole de l'eau et apparaît sous la forme d'une grande rivière…" cette grande femme, au corps magnifique rayonnant qui coule comme de l'eau courante de jour comme de nuit à la manière de toutes les eaux qui s'épanchent sur la terre (strophe 15)". "Les filles stériles doivent requérir ton aide pour enfanter et avoir un mari brave, et les femmes doivent faire appel à ton aide pour accoucher. Tu leur donneras tout ce qu'elles désirent, Ô la pure, Ô la puissante" (strophe 87) " (Gaviri, 1990, 52). Mary Boyce pense que Anahita est la déesse renommée de l'ouest de l'Iran et les Iraniens célèbrent les traditions de la mort de Tamuz et de sa renaissance ; cette cérémonie s'est répandue jusqu'aux confins orientaux de l'Iran. "Au troisième millénaire avant J.C., avec l'apparition et la disparition de Zohreh, les gens faisaient des offrandes à la déesse "Nané"… Apparemment, les Parsis les considéraient comme un être unique et les assimilaient à leur déesse Anahita. Ils employaient le nom de "Nané" à la place de celui de leur dieu, car ce terme désignait la "mère" chez les Iraniens" (Boyce, 1995, 49). 118 Anahita offrant l’anneau du pouvoir à un roi sassanide. Kermanshah, Tagh-é-Bostan, 2010 (photo A. Khodarahmi) "Les louanges à Nané ont un long passé. Selon Kermon, elle avait peut-être été un jour la déesse de la ville d'Erck/Ourouk au sud de Babel et y était confondue avec Ishtar ; en dehors de la Mésopotamie, elle était vénérée en Iran et en Ilam. La tradition Nané – Anahid a régné à Shush durant le deuxième millénaire avant J.C. et, plus tard, elle s'est répandue dans les provinces orientales de l'Iran. Ses temples se sont élevés à Shush jusqu'à l'époque d'Alexandre" (Kermon, 1995, 42). " Un autre dieu qui a été vénéré après Mehr et à son époque était la déesse de l'eau Nahid, Anahita. Son véritable nom est Ardoya Sour. "Ardoy" est un nom mythique signifiant "grande abondance et fertilité", "Soura" signifie "puissant". Anahid est le qualificatif de ce dieu qui signifie pur. Le cinquième verset et l'Yasna 65 de l'Avesta s'y rapportent. Il touche l'enfantement… Selon les premières croyances, Anahita était la divinité de la rivière Seyhoun et comme le territoire iranien s'étendait près de la rivière Djeyhoun, un peu plus bas que la rivière Seyhoun, dans la région de Kharazm et au nord de Soghd, nous 119 pouvons comprendre comment Anahita est devenue la déesse de l'eau et de la fertilité chez les Aryens " (Pirnia, 1990, 45). D'après les recherches de Ghirchman traitées dans les pages précédentes, la sécheresse est apparue en Iran entre 10 000 et 15 000 avant J.C. Le rôle de l'eau destinée à l'agriculture et à l'élevage dans une vaste zone aride est évident. De ce fait, contrairement à l'occident, au Moyen-Orient, surtout en Iran, la vie et la concentration humaine dans des lieux dont les noms comportent le mot "Ab" (eau) persistent jusqu'à aujourd'hui, tels Akbar Abad, Farah Abad, Hossein Abad, Mehr Abad, Mian-do-Ab, Doulab, Farah Abad etc., démontrent l'importance du sujet et le rôle de l'eau. Dès le début de la période achéménide, le rôle et l'importance d'Anahita s'intensifient et ses temples s'élèvent partout en Iran et dans les régions voisines. Les sources sont habituellement ses lieux de naissance ; c'est donc pour cette raison que les jeunes filles et les femmes peuvent s'y rendre et y puiser de l'eau alors qu'elles sont considérées comme des tabous pour les hommes. Si un homme va à la source, ce fait est considéré comme un viol, et les sources qui sont les déesses de l'eau sont toujours vierges et l'homme ne doit pas s'y rendre" (Mirshokrayi, 2003, 144).36 Après l'Islam, les lieux, les sources, les puits ont pris les noms de Bibi, Khatoun, Dokht, Bidokht, Poldokhtar, Tcheheldokhtar37, etc. partout en Iran, et là où il y a une source, un pont, une grotte avec une source, on peut y voir leur influence et leur attestation dans des lieux comme Bibi Sharhbanou près de Shahr-é-Rey, Ghaleh-é-Dokhtar en Azerbaïdjan, Tcheheldokhtar en Azerbaïdjan, Poldokhtar au 36- Par analogie à cette croyance, et en réponse à la question proposée au premier chapitre, les nappes d‘offrande de la Fille du Roi des Fées, de Bibi Seshanbeh, de Bibi Hour, de Bibi Nour ne peuvent même pas être observées de loin par les hommes ou même par une femme enceinte, car elle peut porter un enfant mâle. De plus, ces nappes doivent être dressées dans un endroit complètement fermé ; le Ciel, considéré comme élément masculin, ne peut être visible de l‘endroit où est dressée la nappe. 37- Tous ces noms qualifient ―Anahita‖, considérée comme une vierge. 120 Khuzestan, Bibi Pars, Bibi Seti, Bibi Mahbanou à Yazd, etc., tous ces lieux portent un signe de cette déesse. Mais ce qui est important, c'est la transformation du nom de cette déesse en celui du premier Imam des shi‘ites, Hazrat-é Ali après l'arrivée de l'Islam en Iran et l'acceptation de la religion shi‘ite ; le rôle de la distribution de l'eau dans les citernes publiques a alors été attribué au dirigeant de l'événement de Karbala, Hazrat-é Abolfazl-al Abbas. Dans le prochain chapitre, quand nous parlerons de l'Entité de la Terre Sepandarmaz, nous montrerons le rôle de ces deux déesses, et nous ferons connaissance avec les théories d'Henri Corbin, philosophe français. 3-1-2 Sepandarmaz – l'Entité gardienne de la Terre : "La cinquième Amšaspand qui signifie sacrifice « sacré » et qui montre la tolérance et la modestie, est la gardienne de la Terre, de nature féminine, et elle a comme mission de conserver la Terre verdoyante, prospère et fertile " (Karbassian, 2005, 26), "Esfand est un mot très ancien qui est arrivé jusqu'à nous ; il remonte à des millénaires et trouve ses racines à l'époque aryenne et indo-iranienne. Sepanta Armaiti ou Esfand est l'une des sept Amšaspand de la tradition zoroastrienne et le cinquième jour de chaque mois solaire du calendrier zoroastrien est nommé Esfand. Espandarmaz dans l'Avesta sous forme de Sepanta Armaiti qui est la combinaison de trois éléments Sepanteh, féminin de Sepanta, qui signifie pur, sans pollution (sacré) issu du qualificatif arem signifiant juste, exact, et Mati de l'infinitif Man (réfléchir), donc Esfandarmaz Sepanta Armaiti Sepand Armati Sepandarmaz Esfand enfin avec la signification de la pensée juste et pure (la bonne pensée, la compatibilité, la conscience, la tolérance et la modestie sacrée) " (Radjabi, 2004, 389). "Cette Amšaspand fait partie du groupe à trois éléments des Amšaspand féminines 121 (Sepandarmaz, Khordad et Amordad) ; elle est gardienne de la Terre et de sa prospérité. Le nom de la fille de Ahura Mazda dans les Védas est synonyme de la Terre" (Soudagar, 1990, 60). Dans l'Avesta, nous recourons à plusieurs reprises à Amšaspand et nous remarquons le rôle de la Terre dans la culture des plantes. La Terre est la fille d'Ahura Mazda, il faut la respecter. "C'est la Terre qui t'appartient complètement, tu l'as vouée à Sepanta Armaiti, sur cette Terre, c'est l'agriculteur appliqué qui élève le bétail et c'est lui qui bénéficie de l'appui de Sepandarmaz" (Razi, 1995, 91), " Sepandarmaz guide les femmes et les jeunes filles. Dans le livre Assar-alBaghieh, il est écrit que le cinquième jour du mois d'Esfandarmaz est nommé Sepandarmaz du fait qu'ils tombent le même jour ; il signifie sagesse et tolérance. Sepandarmaz est l'Entité gardienne de la Terre, et le soutien des femmes justes et pieuses, aimant leurs maris " (ibid., 49), " les mythes des déesses suprêmes nous rappellent la gentillesse envers tous les êtres vivants. C'est par ces mythes qu'on accède à la compréhension, le véritable caractère sacré de la Terre, car la Terre est un corps divin" (Campbell, 1998, 251). H. Corbin, dans ses recherches et ses études sur les relations de l'Iran mazdéen (zoroastrien) et de l'Iran islamique (shi‘ite) aborde les aspects les plus importants de l'histoire culturelle de l'Iran. Sohrawardi et sa philosophie (Hekmat-ol-Eshragh) ouvrent la voie aux théories d'autres savants tels qu'Avicenne, Molla Sadra Shirazi et finalement à la doctrine shi‘ite shaykhite ; ceci n'avait jamais été fait jusqu'alors. L'importance de ces recherches réside dans le fait que Corbin a très bien compris la langue symbolique de cette pensée et en donne l'explication. L'un de ses principaux travaux porte sur l'étude de l'époque de passage de l'Iran mazdéen (zoroastrien) à l'Iran musulman (shi‘ite duodécimain). Corbin a 122 réussi à réintroduire par Sohrawardi le monde imaginaire de la philosophie antique iranienne (philosophie Khosravani) dans le monde imaginaire shi‘ite de l'Iran et à expliquer et à aborder les symboles et les cadres par des exemples de la coutume iranienne antique (Zoroastriens) aux iraniens musulmans shi‘ites duodécimains à travers les savants Avicenne, Sohrawardi, Molla Sadra et la doctrine shaykhite. Donc tout ce qui est relatif au sujet de la recherche de la féminité des nappes d'offrande s'éclaircit grâce à son interprétation et son explication, y compris la comparaison de Fatémeh Zahra, la fille du prophète de l'Islam avec Sepandarmaz, l'Entité de la Terre, et celle de Soushiante, le sauveur des Zoroastriens avec le sauveur attendu Mehdi des shi‘ites duodécimains, ainsi que celle du monde imaginaire des dieux zoroastriens et leurs déesses avec l'Islam iranien (shi‘ites duodécimains). 3-1-3 Progressio harmonica (Progrès harmonique) : Fâtima, la fille du Prophète et la terre céleste : De l'Iran mazdéen à l'Iran shî'ite ". Par la connexion nouée entre le vieil Iran mazdéen et l'Iran shî'ite, dans lequel nous aurons à considérer plus spécialement ici l'école spirituelle qui depuis la fin du XVIIIème siècle a réactivé, dans l'Islam iranien, la gnose shî'ite traditionnelle, il se passe quelque chose comme une progressio harmonica. Plus nous "ascendons", plus nous entendons d'harmoniques. Finalement, la fondamentale nous redevient perceptible, celle qui a donné sa tonalité ici au chapitre précédent….. 123 Sepandarmaz, symbole de la Terre et de la Fertilité (Emshasepand). Peinture folklorique. (photo S. Salimian) On pourra lire plus loin quelques pages de Sohrawardî, le jeune maître, mort martyr à l'âge de trente-huit ans (587/1191), surnommé depuis lors, "Shaykh al-Ishrâq" le " maître de la théosophie orientale" parce que son grand dessein fut la renaissance de l'ancienne sagesse iranienne. Son nom a déjà été prononcé ici et il le sera encore, tant son œuvre est d'une importance insigne pour notre thème de la "Terre céleste", car son œuvre sert de cadre de référence. Dans le présent contexte, notre propos se limite à attirer l'attention sur quelques pages de son principal ouvrage, celles qui mentionnent expressément, sous le nom que lui confèrent traditionnellement la hiérosophie mazdéenne, le rang et la fonction de 124 l'Archange féminin de la Terre : Sepanta Armaiti, dont le nom en moyeniranien ou pahlévi, évolue en Sependarmaz, pour donner en persan actuel Esfendarmaz. Le précédent chapitre nous a montré comment s'ordonnait autour d'elle la constellation des autres Anges de la Terre (Corbin, 1960, 99). Corbin, du fait de sa connaissance précise du monde imaginaire symbolique de l'Iran antique et de sa prolongation dans l'Iran shi‘ite, s'est intéressé en détail au sujet important concernant la fondation de cette doctrine, c'est-à-dire le monde des symboles et des signes. De ce fait, nous pouvons le relier à Clifford Geertz qui possède de profondes connaissances sur deux pays musulmans, l'Indonésie et le Maroc, et tirer profit des idées de ces deux théoriciens pour cette étude, surtout en ce qui concerne l'interprétation des symboles culturels – religieux dans les nappes d'offrande. 3-1-4 Dans le monde imaginaire de l'interprétation (ta'wîl) : D'où le ta'wîl est par excellence l'herméneutique des symboles, l'exegesis, le dégagement des sens spirituels cachés. Sans le ta'wîl, il n'y aurait ni la "théosophie orientale" de Sohrawardî, ni d'une façon générale ce phénomène spirituel qui transfigure le sens de l'Islam : la gnose shî'ite. Et réciproquement, sans le monde de Hûrqalyâ que nous étudions ici, c'est-àdire sans le monde des images-archétypes où opère la perception imaginative, capable d'atteindre le sens caché parce qu'elle transmue en symboles les données matérielles de l'histoire extérieure, bref sans l' "histoire spirituelle" dont les événements se passent en Hûrqalyâ, il n'y aurait pas de ta'wîl possible. Le ta'wîl présuppose la superposition de mondes et d'inter mondes, comme fondement corrélatif de la pluralité des sens d'un même texte (Ibid., 103). 125 Dans le deuxième chapitre, nous avons parlé en détail des statuettes découvertes aux quatre coins de l'Iran, et nous avons comparé leur rôle divin avec la réalité terrestre en tant que déesse suprême. L'existence de nappes d'offrande féminines millénaires témoigne en quelque sorte de tout ce monde imaginaire et symbolique expliqué à travers les théories de Corbin, Geertz, Parsons, Mid et Bella. Elles nous aident à comprendre les côtés cérémoniels et coutumiers de ses aspects mystérieux et à dévoiler un par un ces mystères millénaires. Sans doute, les pensées des premiers anthropologues Frazer, L. Morgan, Tyler et Bachofen, des archéologues Ghirchman, Smith, Breedwoodi et des spécialistes de la culture Razi, Radjabi, Lahidji… ont joué un rôle primordial dans l'éclairage des points obscurs de cette recherche. Corbin, du fait de sa connaissance de l'Iran pré- et postislamique a théorisé de nombreux symboles et interprété leurs aspects mystérieux. 3-1-5 Les temples des entités et des déesses célestes et leurs symboles terrestres : Parmi les entités des espèces figure Esfendarmaz. Trait significatif décelant une information sûre : Sohrawardî, à son tour, emploie l'ancien terme iranien caractéristique par lequel, nous l'avons vu, l'Avesta désignait déjà la fonction de Sepanta Armaiti, à savoir la kadbanû, la fonction de "maîtresse de maison". Comme Entité de la Terre, Esfendarmaz assume spécialement la providence des règnes naturels dans lesquels prédomine l'élément tellurique, puisque la Terre est la "théurgie" de son Entité. La Terre est "celle qui reçoit" ; comme réceptacle des influx et effets des Sphères célestes, elle assume le rôle du féminin à l'égard du masculin. C'est un des thèmes que développera encore, au cours de ses leçons professées à 126 Shîrâz, le profond commentateur de Sohrawardî, Sadroddîn Shîrâzi (ob. 1640, voir ci-dessous seconde partie, art. I, VI et IX). Il y a, d'une part, entre la Terre terrienne et les autres Formes qui sont objet de perception sensible, un rapport analogue à celui qui existe, d'autre part, entre la Terre idéale, c'est-à-dire l'Entité de la Terre, et les autres substances séparées ou Entités des espèces. Non point que l'on puisse parler de "passivités" (infi'âlât) dans le monde des Intelligibles ; la féminité de l'Entité de la Terre consiste en ce qu‘elle est "celle qui reçoit", celle en qui se manifeste la multitude des effets et influences des "Intelligences actives" chérubiniques, selon une gradation ontologique et une structure intelligible, de même que sur cette Terre les effets des corps célestes dont ces Intelligences sont les motrices, par l'intermédiaire de leurs Ames, se manifestent selon une succession chronologique et une structure qui tombe sous les sens. Telle est sur notre Terre la part de kad-banû'îya qui fait que notre Terre symbolise avec son Entité, Esfendarmaz (Ibid., 105). Finalement, Corbin a démontré le passage de l'Iran mazdéen au monde islamique shi‘ite de l'Iran, et cette fois-ci, il a clarifié le rôle de Sepandarmarz dans son nouveau cadre, soit dans le nouvel archétype de l'existence de Fatémeh Zahra, la fille du prophète de l'Islam. Enfin, achevant le plérôme du Lâhût, lui donnant à la fois sa plénitude et son assise, voici que Hazrat-é Fâtima profère sa réponse. Elle est ainsi la Terre du suprême plérôme, et c'est pourquoi il convient de dire qu'à ce plan ontologique elle est plus que la Terre céleste, elle est la Terre supra-céleste. Autrement dit, Cieux et Terre du plérôme du Lâhût sont envers les Cieux et la Terre de Hûrqalyâ, dont il sera longuement question dans les pages qui vont suivre, dans le même rapport que les Cieux et la Terre de Hûrqalyâ avec les Cieux et la Terre du monde sensible. Ou encore, la personne pléromatique de Fâtima est envers la Terre céleste de Hûrqalyâ dans le 127 même rapport que Sepanta Armaiti envers la Terre mazdéenne nimbée de la lumière du Xvarnah38 (Ibid., 113). 3-2 Les résultats explicatifs des recherches : 3-2-1 La nappe d’offrande de Hazrat-é Fatémeh Zahra : (Que Dieu la bénisse) Représentation symbolique shi’ite de l’incendie de la porte de la maison de Fatémeh-Al-Zahra, la fille de Hazrat-é-Mohammad, au moment de la succession du Prophète Chez les Shi‘ites, la nappe d‘offrande de Hazrat-é Fatémeh (la fille du prophète de l‘Islam) est une des cérémonies les plus votives qui sont accomplies ou réalisées par les femmes après l‘exaucement des vœux. 38 - Xvarnah : signifie « auréole de lumière ». Au début de la création, Ahura Mazda a utilisé cette lumière pour créer des êtres bons, superbes et extraordinaires, remplis de vie et lumineux. (Corbin, 1960, 59) Far ou Farah ou Xovara ou Xovarnah, signifient les puissances célestes qui, provisoirement existent dans tout être humain pour l‘aider dans sa tâche. Les gouvernants, le clergé, les Aryens, Zoroastre et… ont des « far » particuliers ; tant que le far divin accompagne un gouvernant, celui-ci sera vainqueur, mais dès que le far divin s‘en éloigne, il perd sa couronne (J. Amouzegar, 2004, 100) 128 Naturellement, le développement et la richesse de la culture sur le territoire iranien, la présence de différentes tribus avec leurs contextes culturels, géographiques diversifiés, nous montrent des variations et des présentations différentes de cette nappe d‘offrande dans les différentes régions de l‘Iran. Comme Shiraz - la capitale des Zandiyeh, comme Meshed - la capitale des Afsharieh - et enfin, comme Ispahan - la capitale des Safavides Téhéran, capitale de l‘Iran depuis deux siècles, elle-même héritière de la civilisation et de la culture de quelques capitales anciennes, nous présente un ensemble de toutes les cultures importantes. De fait, nous présenterons la cérémonie de la nappe d‘offrande de Hazrat-é Fatémeh à la mode des habitants de Téhéran et ensuite nous proposerons d‘autres différents modèles que l'on trouve dans d‘autres régions de l‘Iran. La nappe téhéranaise : (Interview avec Mme Ehteram-Al-Sadat Hejazi, Téhéran, Shemiran ; 31 mars 2008) Lorsqu‘on est confronté à un problème comme une maladie grave ou que l‘on souhaite l‘avènement d‘un fait important comme le retour d‘un proche de la famille qui a été longtemps loin du pays ou que l‘on doit honorer une dette importante dont le paiement est difficile, on fait un vœu, et après la réalisation de ce vœu, on organise la cérémonie de la nappe d‘offrande de Hazrat-é Fatémeh-Zahra. Normalement, deux semaines avant la réalisation de cette cérémonie, celle qui a fait vœu et qu‘on appelle l‘hôtesse de la nappe d‘offrande, généralement une des femmes de la famille, invite quelques dames de sa famille et quelques amies et des proches et leur annonce son intention d'offrir une nappe votive (sofreh) à Hazrat-é Fatémeh, par exemple: - Je 129 vous invite, jeudi dans deux semaines à quatre heures de l‘après-midi. En général, la veille de la cérémonie, une vieille dame très croyante et pratiquante de la famille entre dans le salon de la maison et couvre les fenêtres à l‘aide de rideaux pour la soustraire aux regards extérieurs. Ensuite, il faut que la vieille dame prenne un bain et qu‘elle fasse ses ablutions. Après cela, elle commence à réciter des ―Salavat‖39 ou à mentionner d‘autres prières. Au coucher du soleil, elle prend un grand carré de tissu blanc et l‘étend par terre au centre de la chambre. Elle y dépose un grand plateau rond en cuivre ou en zinc et pendant qu‘elle cite le "Salavat" et fait des voeux et des prières, elle forme avec minutie un petit dôme de farine de blé sur le plateau. A côté de cette nappe blanche, elle fait deux oraisons quotidiennes et elle égrène un chapelet au nom de ―Fatémeh‖ (la fille du prophète de l‘Islam) en demandant à cette dernière d‘exaucer ses vœux et ceux de l‘assemblée et en l‘implorant de considérer avec clémence et attention cette nappe d‘offrande et surtout la farine de blé qui est sur le plateau. Ceci étant fait, la dame sort du salon et ferme précautionneusement la porte afin que nul ne puisse y entrer. Ensuite, elle raconte pour l‘organisatrice de la nappe d‘offrande, pour l‘hôtesse de la maison et pour les jeunes filles de la maison tout ce qu‘elle a fait. Naturellement les hommes et les jeunes garçons sont éloignés de la maison, car la cérémonie est exclusivement féminine. Le lendemain matin, normalement un jeudi, la doyenne, au réveil, fait ses ablutions en citant des ―Salavat‖ et s‘en va dans la chambre où la nappe blanche a été étalée. Elle allume une lampe pour voir si elle peut trouver trace d‘une empreinte, d‘un signe de la présence spirituelle de Fatémeh sur 39- Salavat : Que Dieu salue et bénisse le Prophète et sa famille. 130 la farine de blé ; par exemple, l‘empreinte d‘un chapelet ou la trace d‘une main ou d‘un doigt. Après la citation des prières et des incantations, elle retourne près des membres féminins de la famille et annonce la bonne nouvelle au sujet de l‘empreinte sur la farine. Toutes, ensemble, elles vont vers le plateau pour contempler l‘empreinte de leurs propres yeux ce qui conduit à l'allégresse générale. Au lever du jour, les activités commencent dans la maison et généralement la vieille dame croyante et pratiquante prend la responsabilité des événements. Celle-ci peut être la grand-mère de la maison ou l‘une des femmes âgées de la famille. Son premier travail consiste à prendre une quantité de la farine de blé bénie et à en préparer une pâte de ses propres mains. Ayant laissé reposer ce pâton pendant une heure, elle en fait des boulettes ensuite, comme dans les modèles traditionnels, elle les abaisse sur un plan de travail plat et uni pour en préparer la cuisson. Elle dépose les abaisses de pâtes prêtes à cuire dans une poêle plate et ronde (Sadj) qui est chauffée sur le feu en les disposant en forme de petites galettes. Quand elles sont prêtes, elle les retire de la poêle et entame une nouvelle cuisson jusqu‘à épuisement des galettes. De la même farine, elle prend une autre quantité pour préparer des vermicelles pour la préparation de ―Ash-é Reshteh‖. Elle prépare de la pâte, l‘aplatit et la coupe en forme de fins rubans. Aujourd‘hui, dans la société urbaine, on utilise plus souvent des vermicelles tout préparés achetés au marché. Après la cuisson des galettes du pain ―Sadji‖ (pain préparé dans le poêle) et la préparation des vermicelles pour le ―Ash-é-Reshteh‖, elle 131 Cérémonie de personnes préparant le pain pour la nappe de Fatémeh-Al-Zahra, Téhéran, 2004 (photo E. Hedjazi) prélève encore une quantité de la même farine pour préparer du ―Katshi40‖. Pendant tout ce temps, la citation de ―Salavat‖ continue. Les autres membres féminins de la famille s‘occupent d‘autres tâches. Par exemple, l‘une lave les fruits dont le choix dépend de la saison : en été, nous trouverons des pommes, des concombres, des pêches, des poires, des raisins, de la pastèque et un melon entiers non coupés41. Une autre peut préparer de la boue avec l‘argile sur laquelle, une fois sèche et solide, elle place quelques bougies pour illuminer la nappe d‘offrande. De nos jours, on préfère utiliser des chandeliers. En début d‘après-midi, quelques femmes s‘attachent à la cuisson du ―Ash-é Reshteh‖ et du ―Katshi‖ dans la cuisine. Lorsqu‘il est prêt, le ―Ash-é 40- Pour préparer le katshi : dans une grande casserole, on fait fondre du beurre et on prépare un roux avec de la farine de blé ; on y ajoute un sirop de sucre avec du safran et de l‘eau de rose et de la cardamome en poudre. Il faut mélanger soigneusement le mélange et donner un ou deux bouillons. Le katshi est ensuite versé dans des bols en porcelaine individuels. On peut les décorer avec des amandes effilées ou des morceaux de pistaches. 41- Les pastèques et les melons sont présentés entiers parce que la nappe est considérée comme un champ. On doit donc attendre et prier pour les laisser symboliquement mûrir avant de pouvoir les partager. 132 Reshteh42‖est servi dans de grands saladiers et on le décore avec le ―Kashk‖43, du safran, des anneaux d‘oignon et d‘ail poêlés assaisonnés et de la menthe rôtie. Le ―Katshi‖ est servi à part dans de petits bols individuels (aujourd‘hui, on utilise des petits bols en plastique jetables). Dès midi, au milieu du salon de la maison, la pièce la plus vaste, ces dames ont disposé une large nappe blanche rectangulaire et au fur et à mesure, elles mettent le couvert et ajoutent les plats préparés. Petit à petit, on dispose sur la nappe d‘offrande les fruits, les chandeliers, les galettes de pain, les herbes aromatiques, les gâteaux, les carafes d‘eau, les bols de ―Katshi‖. Préparation de Ash-é-reshteh pour la nappe Décoration de Ash-é-reshteh pour la nappe votive de Hazrat-é-Abbas, chez Madame N. votive de Hazrat-é-Abbas, chez Madame N. Badii, 2005 (photo M. Homayun Sepehr) Badii, 2005 (photo M. Homayun Sepehr) Enfin, quelques instants avant l‘arrivée des invitées, on sert les grands saladiers de ―Ash-é Reshteh‖ avec leur décoration spéciale que l‘on dépose 42- Ash-é reshteh a une grande importance et a une valeur sacrée et populaire dans la plupart des nappes d‘offrande votive chez les zoroastriens et les shi‘ites. En dehors des nappes, on en consomme en certaines occasions comme tchaharchanbeh souri, sizdehbédar et autres. Pour le préparer, on fait bouillir de l‘eau dans une grande marmite. On y ajoute des herbes hachées (persil, petits poireaux, épinards ou feuilles de betterave), puis des lentilles, des pois chiches, des haricots secs préalablement trempés et déjà cuits. En fin de cuisson, on ajoute des resteh qui sont des nouilles de blé, et on lie avec de la farine diluée dans de l‘eau. A part on rôtit à l‘huile de l‘oignon et de l‘ail, avec un peu de curcuma et de menthe sèche. On les ajoute à la soupe, sans oublier le sel et le poivre. On y ajoute aussi du kashk. Plusieurs femmes participent à la préparation de ce plat 43- Le kashk est préparé à partir de petit lait obtenu après égouttage de yaourt fait à partir de lait de brebis, concentré par chauffage. 133 au milieu de la nappe. Vers quatre heures de l‘après-midi, en été vers cinq heures, les invitées arrivent peu à peu et s‘asseyent autour de la nappe d‘offrande, de telle façon qu‘après une heure, à peu près, tout le monde est prêt pour la cérémonie. En général, aujourd'hui, on étend par terre les nappes dans les différentes directions dans le salon car le nombre des invitées va en augmentant. À ce moment-là, une prédicatrice entre et s‘assied à une place spéciale. En général, c‘est elle qui dirige la cérémonie et tout le monde écoute son discours, ses prières et ses narrations. D‘abord, elle prêche et conseille aux participantes de pratiquer et de respecter les préceptes de la religion et leur demande d‘être craintives du châtiment de leurs péchés et de penser au jour de la Résurrection. Si le nombre de l‘assistance le requiert, la prédicatrice peut utiliser un microphone. Généralement, la prédicatrice possède une belle voix et en utilisant toute sa tessiture et des mélodies différentes, elle confère une atmosphère triste et chagrine à l‘assemblée. Après le discours, la prédicatrice commence à lire le ―Doây-é Tavassol44‖ (la prière de recours). Certes, dans les cérémonies de la nappe d‘offrande où il n‘y a pas trop de monde, chaque femme présente, si elle le désire, peut lire une partie du ―Doây-é Tavassol‖. Pendant ce temps, les femmes assises autour de la nappe d‘offrande, en lisant la prière, commencent à émietter les galettes de pain qui sont devant elles et les 44- Doây-é Tavassol : Tavassol signifie « intermédiaire » entre 14 personnages sacrés (les douze Imâms shi‘ites Ali, Hassan, Hossein, Sadjad, Bagher, Sadegh, Kazem, Reza, Djavad, Ali-Al—Naghi, Hassan Asghari et Mahdi, plus le Prophète et sa fille Fatémeh) et Dieu. C‘est une prière très importante chez les shi‘ites dans la plupart des nappes votives comme la nappe votive de Fatémeh Zahra, de Abolfazl-al Abbas, Imam Hassan, Emâm caché… 134 mettent dans des assiettes creuses ou des bols placés devant chacune d‘elles (les miettes de pain sont pour le repas qu‘on sert à la fin de la prière et qui s‘appelle ―Changal‖). La chambre est quelque peu sombre et seules les bougies sont allumées, cela ajoute à l‘atmosphère spirituelle de la cérémonie. Pendant tout ce temps, un lourd silence baigné d‘un mélange de gaieté et de nostalgie emplit la pièce et toutes les personnes présentes dans l‘assemblée font leurs propres confidences au Bon Dieu et à Hazrat-é Fatémeh. Elles font leurs propres vœux et la prédicatrice lit le ―Doây-é Tavassol‖, et aussi les prédications et les narrations de la vie des martyrs pour chacun des Imams et des Saints. Depuis le début de la cérémonie de la nappe d‘offrande jusqu‘à la fin, pendant que la prédicatrice lit les prières et les prédications, personne n‘a le droit de toucher aux aliments sur la nappe, comme si un pouvoir spécial défendait à chacun de se servir. Personne n‘oserait mettre un tout petit bout dans sa bouche et tout le monde connaît et respecte cette règle. Peu à peu, le soir descend. Les prières et les prédications se terminent et quand on cite le nom du dernier Imam shi‘ite, ―Hodjat-ebne-Al-HassanAl-Mahdi‖, tout le monde se lève et se positionne dans la direction de la Mecque. Elles sollicitent et implorent la grâce de Dieu et ainsi s‘achève la prière45. À ce moment, la prédicatrice invite les participantes à se restaurer. 45- Les shi‘ites croient que le 12ème Imam, l‘Imam Caché, reviendra un jour pour établir la justice et la paix. A l‘évocation de son nom, les personnes présentes doivent se lever pour montrer qu‘elles sont prêtes à lui venir en aide. Jusqu‘à nos jours, certains groupes de croyants shi‘ites tiennent un cheval et un sabre dans leur écurie pour aider Hazrat-é Mahdi dans son combat contre l‘injustice et pour la paix prêts lorsqu‘il apparaîtra. (Nous avons été témoin d‘un tel fait le 20 juin 2011 dans un petit village de la vallée de Talléghan à l‘ouest de Téhéran). Le 15 Shâban (8 ème mois de l‘année lunaire), est célébré dans la liesse, dans les pays shi‘ites, l‘anniversaire de la naissance de cet Imam. Après les invocations, on le supplie de venir le plus tôt possible. 135 Tout à coup, l‘atmosphère devient gaie et joyeuse. Pendant que tout le monde est en train de manger les repas et les nourritures bénis, une dame croyante prépare les mets du repas spécial de la nappe d‘offrande, le ―Changal‖. Elle s‘assied à même le sol et pose devant elle un réchaud. Quelqu‘un d‘autre ramasse les miettes de pain que les invitées ont émiettées pendant les prières et les apporte à la dame responsable de cuire le ―Changal‖. Celle-ci prend un grand plat en cuivre et le met sur le réchaud. Elle met les miettes de pain dedans et ensuite elle prépare un sirop qui contient de l‘eau, du sucre, du safran et de l‘eau de rose en rapport avec le nombre de participantes. Elle verse ce sirop sur les miettes de pain et elle les mélange parfaitement. Ensuite, elle y ajoute de l‘huile végétale ou du beurre fondu et poursuit le mélange avec une grande cuillère ou avec une écumoire. Le ―changal" béni se prépare rapidement et pendant les quelques minutes de la cuisson, tout le temps, la cuisinière lit et cite des prières et des incantations qui sont plutôt des ―Salavat‖. Le ―changal‖ préparé est servi aux convives tout autour de la nappe. Quand les incantations, les invocations particulières de chaque pèlerinage et les prédications prennent fin, l'atmosphère se détend, devient très gaie et joyeuse comme nous l‘avons déjà mentionné. Pendant que les invitées mangent et parlent ensemble, l‘hôtesse va et vient tout le temps pour voir si elle n‘a rien oublié de ses devoirs de maîtresse de maison. Elle fait des présents à tout le monde et propose des sacs en plastique à celles qui le souhaitent afin qu‘elles puissent emporter les reliefs des fruits, des fruits secs et des gâteaux servis sur la nappe d‘offrande votive. L‘hôtesse leur propose également des bols ou des assiettes creuses pour prendre du ―Ash-é Reshteh‖, du ―Katshi‖ et du ―changal‖ pour leur famille. 136 Manger, boire et parler dure à peu près une heure et ensuite on ramasse la nappe. On garde la nappe et on appelle les jeunes filles prêtes à se marier. On les invite à s‘asseoir au milieu du salon et on leur répand sur la tête les petits restes de tout ce qu‘on a mangé sur la nappe d‘offrande. Il est dit qu‘ainsi, bien vite, elles se marieront46. A la fin de certaines cérémonies de la nappe d‘offrande, on sert du thé et des gâteaux et si jamais ce même soir coïncide avec le jour de l‘anniversaire de Hazrat-é Fatémeh Zahra, une fête est organisée et normalement la prédicatrice, de sa belle voix, commence à chanter les poèmes du poète Moloudi, accompagnée d‘un tambourin. Les invitées chantent et répètent elles aussi quelques vers de ces chants. À ce moment, l‘atmosphère de la nappe d‘offrande change complètement par rapport au temps de la cérémonie de la nappe d‘offrande proprement dite et les invitées deviennent gaies, riantes et joyeuses. Les chants de la prédicatrice, les notes du tambourin apportent de la joie et de la chaleur aux invitées et celles-ci par leurs applaudissements, leurs acclamations et leurs cris de joie, transforment complètement l‘atmosphère de l‘assemblée. Quelquefois, des jeunes filles ou des fillettes se mettent à danser. Ainsi l‘atmosphère lourde, sérieuse et silencieuse implicitement générée au commencement par les prédications, se change en une joie indescriptible47. Vers vingt-deux heures, le moment est venu de se dire au revoir et de 46- C‘est une tradition ancienne issue de la mythologie symbolique religieuse. Sepandarmaz représente la Terre. Les filles sont la Terre qu‘il faut fertiliser. Les restes de la nappe qu‘on secoue sur la tête des filles, dans la joie, sont considérés comme étant des graines à semer dans la terre. 47- Ce fait est en rapport avec la mythologie. Dans la plupart des pays, en particulier ceux du MoyenOrient, les mariages avaient lieu à la période des moissons et de la récolte des fruits. A la fin de l‘automne, les travaux agricoles terminés, les dieux agriculteurs, exécutés en martyrs, retournent à l‘obscurité de la terre. Commence alors une période de deuil accompagné de gémissements, de lamentations, de chants tristes. Les déesses partent à leur recherche pour revenir avec leurs maris ressuscités au printemps. Apparaissent alors des fêtes très joyeuses (Norouz). 137 quitter la cérémonie. En général, l‘hôtesse se tient debout devant, proche de la porte et prend congé de ses invitées. Elle insiste et répète à qui veut l‘entendre, que si l‘une d‘elles (les invitées) a besoin de quelque chose, qu‘elle le lui dise. Quelquefois, il arrive que l‘hôtesse ou d‘autres membres de la famille, aillent et viennent plusieurs fois dans la cuisine, pour apporter des plats et les présenter aux invitées. Les invitées, heureuses et contentes, s‘en retournent chez elles avec des assiettes pleines de repas délicieux et parfumés comme le ―Asht Reshteh‖, le ―Katshi‖, le ―changal‖ ou encore des fruits de saison et des fruits secs. Arrivées chez elles, elles distribuent les mets bénis par la cérémonie entre les membres de leur propre famille pour leur santé et leur joie tout en leur racontant ce que s‘est passé pendant la cérémonie de la nappe d‘offrande. Bougies allumées devant une citerne d’eau, le soir de Ashoura (Sham-é-Ghaliban), province du Guilan, 2005 (photo A. Ghassemi) 138 3-2-2 La nappe d’offrande de Hazrat-é Roghieh” [Sofreh Hazrat-é Roghieh] : La connaissance et le regard d‘étude posé sur la culture populaire permettent à cette dernière d‘apparaître sous son meilleur jour. Les croyances et les convictions religieuses sont des sujets qui, pour les nouvelles générations dans une société moderne et actuelle, peuvent prendre une double valeur. Les évolutions sociales, culturelles et un nouveau système des valeurs peuvent leur conférer d‘une part un caractère désuet, irrationnel et encombrant allant jusqu‘à être ennuyeux alors que d‘autre part l‘analyse critique et/ou une étude spécialisée éclairciront le contexte dans lequel elles ont été engendrées, leur parcours historique et social en expliquant leur place et leur utilité depuis des millénaires jusqu‘à nos jours. Dans ce chapitre, nous essayerons de soulever un coin du voile qui couvre les secrets des différentes nappes, en particulier de la nappe d‘offrande de Hazrat-é Roghieh et fournir la clé qui ouvrira la porte des symboles tout en montrant comment depuis des milliers d‘années et bien avant l‘arrivée des nomades aryens éleveurs de bétail, dans cette étendue vivaient des peuples épris de la terre, de l‘eau, de la culture horticole et des jardins, qui avaient fondé au bord des sources limpides et des rivières rugissantes Sialk48, Tchogha-Zanbil49, Shahr-é Soukhteh50, Takhteh 48- Sialk (Tépé) : site près de Kashan, au sud de Téhéran, où furent trouvés les vestiges d‘une cicilisation préhistorique (fouilles par R. Ghirchman de 1933 à1937) 49- Tchogha-Zanbil : ancienne cité sainte de l‘Elam, à l‘est de Suse au sud-ouest de l‘Iran. Elle a été construite dans la première moitié du XIIIème siècle avant J.C. sa ziggourat est la mieux conservée de l‘ancien orient. 50- Shahr-é Soukhteh : située à l‘est de l‘Iran, dans la région du Sistan. Elle a été construite en 3000 avant J.C., découverte par l‘archéologue italien Touji. Des vestiges d‘une très ancienne culture y ont été découverts : traces d‘opération de l‘œil avec mise en place d‘un œil artificiel, poteries avec dessins ancêtres des dessins aimés, présence de fuseaux 139 Soleiman51, etc. Naturellement c‘étaient les femmes qui étaient à l‘avantgarde et gardiennes des liens entre les sociétés se consacrant à l‘agriculture et celles vouées à l‘horticulture. Ce sont elles qui auraient préservées depuis la nuit des temps jusqu‘à nos jours, l‘héritage de ces nappes d‘offrande rituelles, religieuses, nationales, ethniques, allant des plus courantes comme celle de Nôrouz aux sept éléments jusqu‘à celles des cérémonies de mariage ou celles consacrées à Bibi Seshanbeh, à Bibi Hour, à Bibi Nour, la fille du roi des Fées, ou encore celle de Hazrat-é Fatima, de Hazrat-é Zeynab, Hazrat-é Roghieh, en tant qu‘archétypes de renaissance et de résurrection paradisiaque. (Interview avec Tahéré Bani Asad ; Téhéran, Avenue Rey, Rue Imamzadeh Yahya ; 7 mai 2007). La cérémonie est trés attristante et chagrinante, et se passe, généralement, un jeudi après-midi après le coucher du soleil, ce qui ajoute encore de la nostalgie à cette tristesse. On étend la nappe dans un coin de la pièce On y dépose des morceaux de pain Taftoune, Sangak ou Lavash (différentes sortes de pain iranien) ; sur ces morceaux de pain, on place deux ou trois dattes. Si la cérémonie se déroule à la maison, pendant ce temps, on récite des invocations et des incantations. Dans la cérémonie de la nappe d‘offrande de Hazrat-é Roghieh, on chante seulement des prédications tristes Ces prédications contiennent des poèmes tragiques sur une petite fille dont le père, le frère et les oncles ont été martyrisés. Ensuite, elle et sa famille ont été emmenées en Syrie à Damas. Là-bas, elle n'a de cesse de réclamer son père et de se languir de 51- Takht-é Soleiman : site au nord-ouest de l‘Iran, près du lac d‘Orumieh. Certains historiens pensent que c‘était la capitale de l‘Azerbaïdjan à l‘époque de la dynastie des Parthes. On y trouve les vestiges d‘un temple zoroastrien Azar Goshanzb. 140 lui. Miniature représentant le midi de Ashoura. Deuil des femmes de l’entourage de l’Imam Hossein, au retour de son cheval seul. Miniature célèbre de Farshchian. Dans les légendes religieuses, on dit qu‘enfin on lui apporta la tête coupée de son père, l‘Imam Hossein. Elle en fut si affligée et émue, qu‘elle en mourut. On l‘enterra sur place et actuellement, son saint mausolée est un lieu de pèlerinage pour beaucoup de musulmans Shi‘ites qui viennent de toutes parts pour s‘y recueillir. Après avoir cité les prédications de Hazrat-é Roghieh, l‘hôtesse distribue le pain et les dattes entre les personnes présentes. Il est loisible à chacune de les manger dans l‘instant ou de les emporter chez soi. Quelquefois, la cérémonie de la nappe d‘offrande de Hazrat-é Roghieh, se passe dans une chapelle ou un mausolée d‘un descendant d‘Imam 141 (Imamzadeh). Par exemple, à Téhéran, on répertorie trois Imamzadeh des plus célèbres pour faire vœu et dresser la nappe d‘offrande de Hazrat-é Roghieh. Le premier est l‘Imamzadeh Saleh à Shemiran, le deuxième est l‘Imamzadeh Sed Nassreddine à côté du grand bazar de Téhéran et le troisième est l‘Imamzadeh Yahya dans le centre de Téhéran, avenue Rey. Imamzadeh Sed Nassreddine et Imamzadeh Yahya à Téhéran où on dresse la nappe d’offrande de Hazrat-é Roghieh, le jeudi soir, 2008 (photos M. Homayun Sepehr) 142 Le jeudi, ces trois endroits accueillent beaucoup de pèlerins. Une femme qui souhaite faire vœu peut aller dans un coin de l‘Imamzadeh et étendre une nappe. Ensuite, elle dispose les morceaux de pain et les deux ou trois dattes. Elle convie quelques femmes à s‘asseoir autour d‘elle et à cet instant, un prédicateur qui est toujours présent dans l‘Imamzadeh se joint à elles pour lire les invocations particulières du pèlerinage et les prédications. Il s‘approche de la nappe et après un discours sur les événements advenus à Hazrat-é Roghiyeh, il commence à chanter des poèmes sur une mélodie mélancolique. Ces poèmes concernent les événements de ―Karbala‖ et en particulier ceux qui ont touché la famille de l‘Imam Hossein et surtout Hazrat-é Zeynab, la sœur de l‘Imam Hossein et enfin ce qui s‘est passé à Damas pour cette petite fille. Les femmes qui sont autour de la nappe, se mettent à pleurer, à gémir et à se lamenter. Du commencement à la fin, la cérémonie ne dure pas très longtemps, à peu près une heure. Après les prédications, le prédicateur reçoit un peu d‘argent et fait des prières. Il demande la bénédiction et intercède auprès de Dieu ; il prie pour l‘exaucement des vœux pour la personne qui est à l‘initiative de la nappe d‘offrande et se retire. La femme qui a dressé la nappe, prépare des rouleaux avec le pain et les dattes qu‘elle a apportés et les distribue entre les femmes présentes, qu‘elle ne connaît souvent pas. Elle peut également emporter les reliefs de la nappe à la maison. Dans les autres villes et villages, cette nappe d‘offrande se déroule avec 143 quelques variantes. Le Rôzeh (récitation en vers de l‘histoire du martyre de Karbala) en l‘occurrence celle de Hazrat-é Roghieh Qui aurait vu ou entendu Qu‘à un orphelin en besoin de consolation On présenterait une tête suppliciée Ma chère Roghieh, ma chère Roghieh, À la vue de la tête exposée sur un plateau La chère Roghieh de ses yeux larmoyants Sa souffrance embrasa les cœurs présents De Karbala jusqu‘à Kouffeh en passant par Damas Elle n‘a eu que chagrin sur chagrin À la vue du visage paternel Elle se calma comme sous le charme du chant du rossignol Des coups de fouets infligés Son corps restait marqué Comme à la mère de Fatémeh Zahra C‘est à outrance qu‘on prodigua les souffrances C‘est déjà la nuit du dénouement Qui verra les cœurs brisés Et lorsque l‘étoile de la nuit va céder à celle du jour Ma Roghieh aura disparue (Tempête des larmes 238) Nous pouvons donner les résultats suivants au sujet de tout ce qui a été dit ci-dessus : 144 1) la nappe de Hazrat-é Roghieh est une des plus simples et des plus populaires dans la tradition féminine des vœux et des nappes d‘offrande. 2) Le vœu ou le souhait et son recours se font auprès de Hazrat-é Roghieh, la fille de l‘Imam Hossein. C‘est une porte s‘ouvrant sur le monde des souhaits (Bab al Havayedje) dans le shi‘isme. 3) Selon la tradition, cette nappe se déploie deux fois, la troisième étant dépendante de l‘exaucement du vœu. 4) Selon la tradition et le caractère mythico historique des nappes d‘offrande, elle est spécifiquement féminine et cette spécificité a été préservée jusqu‘à nos jours. 5) Au contraire des autres nappes et en raison de sa simplicité, la personne porteuse du vœu s‘en occupe exclusivement. 6) D‘une manière générale, elle se fait sans invitation et ce sont les gens qui se trouvent au moment de son déroulement dans l‘enceinte du mausolée qui seront bénéficiaires de ses mets. 7) Elle a lieu à proximité des lieux saints tels que les Imamzadehs et les participants sont les femmes et les enfants présents sur les lieux. 8) Les souhaits qui président cette nappe d‘offrande se font par le biais des femmes et sont de l‘ordre de l‘élimination des problèmes ou des soucis quotidiens tels que le payement des dettes, l‘achat d‘une maison, la réussite des enfants aux examens, un accouchement facile, l‘embauche ou la recherche d‘un emploi, la guérison des enfants malades, le retour sain et sauf des voyageurs etc., dans les régions rurales c‘est en rapport avec l‘agriculture, l‘élevage, la protection contre des fléaux terrestres et célestes et c‘est après l‘exaucement qu‘elle se déploie. 9) En raison de sa simplicité, elle prend peu de temps et les dimensions de la nappe restent modestes, un mètre sur un mètre de couleur blanche ou beige et son contenu se compose de 15 à 20 petits morceaux de pain 145 (sangak, lavash ou taftoune) accompagnés de trois à quatre dattes (Rôtab) et parfois on allume aussi une bougie. 10) Ce qui est indispensable c‘est de réciter le Rôzeh consacré à Hazrat-é Roghieh et après avoir cité le malheur qui a frappé et emporté cette enfant innocente (Hazrat-é Roghieh), le pain et les dattes sont distribués parmi les gens présents. (pour plus de détails se rapporter à l’annexe p. 243) 3-2-3 La nappe d'offrande de Bibi Seshanbeh (sofreh-yé Bibi Seshanbeh) : 3-2-3-1 La nappe votive de Bibi Seshanbeh shi’ite : Une autre offrande est celle qui s‘adresse à la ―dame du mardi‖ (sofrehyé bibi Seshanbeh). L‘on dresse cette nappe le dernier mardi du mois de shabân. Elle comporte les mets suivants : katshi 52 n‘ayant été ni exposé à l‘air ni sucré, fatîr (pâte sans levain), melon (ou, hors saison : graine de melon), dattes, qâout (pois pilés et sucrés)53, potage aux nouilles, fromage, fruits secs, verdure, une cruche. Tout cela doit être préparé au moyen d‘argent mendié. Le maître de maison jeûne ; les femmes, se tenant à distance de la nappe, ont préalablement plongé leur doigt dans le katshi et tiennent en l‘air leurs mains. L‘une d‘elles conte en détail l‘histoire dont voici le résumé : Une jeune fille avait une marâtre qui la tourmentait beaucoup et lui donnait chaque jour un mouton à conduire au pâturage. Un jour, il se perdit. Après avoir bien pleuré par crainte de sa marâtre, la jeune fille fit vœu de dresser la ―nappe de la dame du mardi‖ au moyen d‘argent mendié, 52- Pour la recette du katshi, voir Richard- Khan, Sobh-é Iran (Téhéran). Nº 260 (farine, sucre, beurre). 53- Ibid, Nº 239. 146 si elle retrouvait le mouton. Le sort voulut qu‘elle le retrouvât. D‘aventure, le fils du roi vint chasser ; voyant la fille, il s‘éprit d‘elle et l‘emmena. Quand elle se trouva dans le harem du roi, ne pouvant plus dresser sa nappe au moyen d‘argent mendié, elle ferma les portes de l‘appartement, mit de la farine et du beurre fondu dans la niche du mur ; elle mendiait devant la niche, en disant: ―Tante ! Faites-moi la charité, pour l‘amour de Dieu ! Donnez-moi de la farine ! Donnez-moi du beurre !‖ ; ensuite elle les emportait dans un réduit et faisait cuire du katshi. Par hasard, sa belle-mère la surprit ; elle alla trouver son fils et lui dit: ―Tu as pris pour épouse une mendiante ; tu nous as déshonorés ; elle est naturellement vile et mendie par habitude : en effet malgré tous les aliments savoureux qui se trouvent ici, elle mendie auprès de la niche‖. Le fils du roi fut très mécontent ; dès qu‘il vit sa femme auprès de la marmite à katshi, il la renversa d‘un coup de pied ; son contenu se répandit ; deux gouttes éclaboussèrent sa pantoufle. Ensuite le prince, accompagné de deux fils du vizir, partit à la chasse, avec deux melons dans son bissac. Chemin faisant, les fils du vizir disparurent. Au moment du repas, en ouvrant son bissac, il trouva les deux têtes coupées des fils du vizir à la place des melons et il vit que les deux gouttes de katshi sur sa pantoufle étaient devenues deux gouttes de sang. Son père, convaincu qu‘il était le meurtrier, le fit emprisonner. De sa prison, le fils du roi envoya un message à sa mère, pour demander ce qu‘était ce katshi. La jeune femme raconta son vœu, puis fit cuire d‘autres katshi. Les fils du vizir ressuscitèrent et le roi libéra son fils. Ce récit terminé, les assistantes lèchent le doigt qu‘elles ont trempé dans le katshi. (Ibid., 302) 147 3-2-3-2 La nappe votive de Bibi Seshanbeh zoroastrienne : Les zoroastriennes qui font vœu servent54 la nappe d'offrande de Bibi Seshanbeh. "Cette cérémonie se fait un mardi. La femme qui fait vœu de cette nappe d'offrande ne peut être dans une période de menstruations. Autrefois, elle allait dans un coin de la cuisine et, à l‘aide de l‘extrémité de sa manche, balayait autour du four, nettoyait l'endroit. Ensuite, elle posait une pierre sur l'endroit balayé ainsi qu'une brique crue ou de l‘encens sur le feu. Elle veillait à jeûner. Après la cuisson du "Oumadj55" et du pain avec de la pâte sans levain et après avoir allumé une lampe à huile, elle commençait à raconter l'histoire ou la légende de la nappe d'offrande. Quand elle avait terminé, elle mangeait un peu de la nourriture bénie de la nappe et ainsi rompait son jeûne. Cette nappe d'offrande se sert en privé, à l‘insu de l‘entourage. Seules la maîtresse de cérémonie de la nappe et quelques femmes intimes y participent."56 Pari Kioumarzi, une zoroastrienne habitant Téhéran quartier Youssefâbâd et originaire de Yazd, se propose de nous conter la cérémonie de cette nappe d'offrande. Sur une nappe blanche triangulaire posée sur une table dans un coin de la cuisine, on pose à chacun des angles de cette nappe du thym (ou de l‘origan), des dragées sucrées, un peu de sésame, du sucre et des raisins secs. On met aussi, à chacun des angles de la nappe du "Houlmadj" qui est 54- Les zoroastriennes utilisent le verbe "servir" à 'la place du verbe "étendre" qu'utilisent les Iraniennes pour les nappes d'offrande. 55- Sorte de Ash (potage) fait avec des pâtes ayant la forme de petites boulettes. 56- Mazdapour, Faranguis, "Introduction aux nappes d'offrande sacrées des zoroastriens", Ed. Yadbad : 383-384. 148 un des repas traditionnels des zoroastriens pour leurs cérémonies. Il est préparé à l‘avance par la propriétaire de la nappe qui l‘accompagne de "Sirouk57" et de "Komadj Mardagoun". On prend aussi quelques fruits de saison que l'on coupe en trois morceaux, un pour chaque angle de la nappe. On dispose également trois assiettes, séparément, remplies de sel, de sucre et d'eau saupoudrée de thym, au milieu de la nappe. Une autre sorte de pain azyme, l‘"Hoshva" est l'une des nourritures de la nappe. Une petite tranche de grenade fraîche ou sinon une grenade tout entière est dans un bol d'eau et de thym. Quand on raconte la légende de Bibi Seshanbeh, une petite fille, chaque fois qu'elle acquiesce, frappe cette petite tranche de grenade. Quelle est la légende de "Bibi Seshanbeh" ? C‘est une très longue histoire. La voici résumée en quelques mots : Le fils du roi se marie avec Bibi Hayat. Celle-ci, avec l'aide de Bibi Seshanbeh s'en alla vers sa destinée et quelle destinée ! Alors que Bibi Hayat se trouvait à la cour du roi, ses sœurs étaient toujours célibataires. Bibi Hayat, jour et nuit, pense à elles et enfin lui vient une idée. Elle dit à sa servante : «Sois ma confidente. Je te donne de l'argent et tu iras acheter pour moi un peu de raisins secs, des graines de sésame, de la farine de blé et des bougies et tu me les apporteras.» Puis, elle s'en va au hammam, se lave les cheveux et au retour entre en cuisine pour préparer du pain azyme et du "Houlmadj". Sa belle-mère, la mère du roi, demanda à la servante : «Où est Bibi Hayat aujourd'hui ? Pourquoi ne sort-elle pas ?» 57- Sirouk : Pain sucré rond d‘une trentaine de centimètres de diamètre, rôti dans l‘huile de sésame. On le garnit de pashmak, sorte de barbe-à-papa et on le sert roulé. On trouve ce Sirouk dans la majorité des nappes religieuses et cérémoniales zoroastriennes 149 La servante lui répondit : «Elle n‘a rien, elle est dans la cuisine.» La mère du roi dit : «Nous n'avons rien à faire dans la cuisine !» et inquiète à son tour elle s'en va vers ce lieu. Bibi Hayat, en pleine préparation du "Houlmadj" pour la nappe d'offrande de Bibi Seshanbeh, est justement en train de se lécher les doigts pleins de Houlmadj. En voyant cette scène, la belle-mère se met en colère et dit : «Quand on trouve une fille dans le désert et on l'emmène au palais du roi, on ne peut espérer mieux que cela.» Elle s'en va voir son fils et lui dit : «Où as-tu donc la tête ? Tu ne vois pas que ta femme, avec toutes les richesses qu'on a ici, est allée au fond de la cuisine et prépare le repas des pauvres ? Elle met devant elle du pain azyme, de l'eau et des bougies sur une nappe !» Ici, Mehrbanou (la narratrice) arrête son récit et rappelle que la nappe d'offrande doit être servie, obligatoirement, dans la cuisine. Ensuite en mangeant, petit à petit, des morceaux de fruits que la fille du roi des anges, lui apporte, elle continue à raconter. Le fils du roi se rend à la cuisine et voit que sa femme, a étendu une humble nappe, dans un coin de la pièce. En colère, il débarrassa la nappe et dit : «Je vais à la chasse. A mon retour, je divorcerai !» et il quitte les lieux. Le fils du roi achète une pastèque, la met dans la sacoche sur son cheval et il s‘en va à la chasse. Après avoir chevauché quelques temps, il se sent fatigué. Il descend du cheval, l'attache et s'endort quelque part. Dans la ville proche, le fils du gouverneur s‘était égaré et les inspecteurs de police le cherchaient partout en suivant ses traces. Ils arrivèrent jusqu'aux sacoches que portait le cheval du fils du roi qui se reposait toujours. Bref, le fils du roi est accusé d'avoir tué le fils du gouverneur de cette 150 ville. Les inspecteurs le saisissent et vont l‘exécuter, quand le prince se souvient de sa faute, c'est-à-dire d‘avoir débarrassé la nappe d'offrande qu‘avait composée Bibi Seshanbeh. Promptement, il envoie un messager à sa femme lui intimant de remettre la nappe d'offrande et de demander sa grâce. Après ce message, les hommes du gouverneur, ouvrent une fois encore les sacoches du prince et à la place de la tête du fils du roi, ils trouvent la pastèque et en plus le fils du gouverneur égaré fut retrouvé et les sœurs de Bibi Hayat se marient avec les fils de ce gouverneur. A la fin de l'histoire, la narratrice, avec une cuillère, prend l'eau et le thym dans le bol et en donne une gorgée à chacune des femmes présentes. On dit qu'en buvant ce breuvage …….58 3-2-4 La nappe d’offrande de Om-Ol Banin (sofreh) : Nappe symbolique de Om-Ol-Banin, exposition sur les nappes d’offrande zoroastriennes et shi’ites iraniennes au palais de Sa’d Abad, Téhéran, 2006 (photo M. Valilou) 58- E. Phalippou, dans son livre « Aux sources de Shéhérazade, contes et coutumes des femmes zoroastriennes », (2002, 80-92) a rapporté différentes versions de la légende de Bibi Seshanbeh : la version zoroastrienne de Bombay, la version musulmane de Kerman, et la version zoroastrienne de Kerman. Notre récit est encore différent, la version la plus proche est celle musulmane de Kerman. Nous avons trouvé d‘autres versions chez les zoroastriens de Yazd et de Téhéran, ainsi que chez les shi‘ites iraniens. 151 Il y a deux manières de faire ces offrandes votives : La première c‘est l‘offrande de dattes. Les gens font vœux pour différents sujets et un jeudi soir, ils disposent des dattes dans des plats ou les laissent dans les caissettes de carton dans lesquelles on peut les acheter. Ils restent debout dans des lieux de passage public et ils offrent ces dattes aux passants. Quelquefois, certains achètent deux ou trois cartons de dattes, les emportent à la mosquée et au moment de la prière du couchant et du soir, ils les offrent aux gens présents. La deuxième manière, c‘est de dresser une nappe d‘offrande. La nappe d'offrande de Om-Ol-Banin est l'une des nappes d'offrande qui ne se fait que très rarement. Cette nappe d'offrande est pour l'exaucement de vœux, tel que la libération de prisonniers. A Téhéran, cette nappe est plus courante. "La cérémonie de la nappe d'offrande d'Om-Ol-Banin, se déroule un mardi à midi ou dans l‘après- midi. Les nourritures utilisées pour cette nappe, dépendent des possibilités de son organisatrice. Généralement, sur la nappe, on met du riz cuit, du "Ash", le "Katshi", le "Adjile Moshkel Gosha", des dattes, du fromage, des herbes aromatiques, … Les invitées peuvent également formuler un vœu et apporter une nourriture ou un repas spécial, décidé personnellement. Pour cette cérémonie, la veille, le lundi soir, on demande une quantité de farine, gratuitement à sept personnes qui se prénomment "Fatémeh". Celle qui est à l‘initiative de la nappe et du vœu principal, achète ou prépare elle-même une quantité d'huile, de safran, d'épices, de haricots, de lentilles, de poireaux, de persil, de feuilles de betterave, de la coriandre, du sel, du curcuma et quelques bougies et d'autres aliments nécessaires. Ensuite, elle étend une nappe blanche et elle met chacun de ces aliments sur une assiette qu‘elle dispose au milieu de la nappe. 152 Elle allume une lampe dans cette pièce où personne n'a le droit d'entrer et quitte la chambre jusqu‘au lendemain matin. Le lendemain, c'est-à-dire le mardi, elle ouvre la porte de la chambre et cherche la trace d'un doigt ou d'un grain de chapelet sur la farine. Il est dit que si une trace ou une empreinte est visible sur la farine c'est le signe de l'exaucement du vœu. A ce moment, la personne à l‘initiative du vœu, fait deux prières au nom de Hazrat-é Abolfazl et deux autres au nom de sa mère Om-Ol Banin. Ensuite, elle récite à haute voix cent fois avec conviction : "O la lune de Bani Hashem, ton visage comme un soleil, Abbas ! O la lumière du cœur de Heydar Ali, la lumière de bougie des martyrs, Abbas ! » Ensuite, elle prend les aliments de la nappe et prépare avec eux des repas et des nourritures pour leur bénédiction. A midi, quand les invitées arrivent et se mettent autour de la nappe, on sert le potage "Ash-é Oumadj" et les autres repas de la nappe et on allume les bougies. On fait asseoir une fillette, prénommée "Fatémeh" dans la direction de la Mecque et on met devant elle une assiette pleine de potage et une autre assiette vide. La prédicatrice commence à réciter la prédication de Hazraté Abolfazl et les sept premiers versets de la sourate "Yassine". Après la citation de chaque verset, les invitées toutes ensemble répètent : "Assalam-o- Alayk a Amir-Al-Momenine" (Salutation à l‘Imam Ali). Pendant tout ce temps, la petite Fatémeh prend le potage d'une des assiettes et cuillerée après cuillerée, le transvase dans l'autre assiette. Après la prière et la prédication, on mélange ce potage transvasé avec celui présent sur la nappe et on le sert aux invitées présentes". 153 Généralement, pour tous les vœux, mais surtout pour la libération de prisonniers, on dresse deux nappes et on garde la troisième en garantie. (Interview avec T. Téhérani, juin, 2005 à Téhéran, quartier de Vahidieh à l‘est de Téhéran). 3-2-5 La nappe d’offrande de Hazrat-é Abolfazl-Al-Abbas : Il s‘appelle aussi Abbas, fils de Ali-ebn-é Abitaleb et de mère Om-OlBanin. Il a été martyrisé, à côté de son frère Hossein-ebn-é-Ali, lors des événements de Karbala. Ses titres ou surnoms sont : Hazrat-é Abbas, Abolfazl, Abolfazl-alAbbas, Sardar-é Dasht-é Karbala (le porteur d‘eau au champ de Karbala), Mah-é Bani Hashem ou Ghamar-é Bani Hashem (la lune éclairée de la famille Hashem), Alamdar-é Hossein (le porte-drapeau de Hossein). Il est l‘un des personnages favoris de la famille purifiée du prophète aux yeux des Shi‘ites. En général, pour l‘exaucement des vœux, on fait appel à ce Hazrat et l‘un des rites qui est très courant, est de lui sacrifier un mouton ou de faire l‘offrande par un potage, du pain et du yaourt, du pain et des dattes, et des fines herbes en son nom. Dans plusieurs cas, les Shi‘ites jurent en son nom ou en un de ses surnoms. Pour prouver leur innocence, ils font sept pas vers lui, dans sa direction. Ils soumettent leurs ennemis à la lame de son épée. Ils croient que prêter serment sur ses deux bras coupés est un serment convaincant et agréé car le parjure ne restera jamais impuni et pâtira de son épée qui pourfend les menteurs. 154 Portait populaire de Hazrat-é Abbas. Les Shi‘ites ont chanté et ont écrit beaucoup de quatrains, de vers pour lui déclarer leur affection et aussi pour montrer leur foi, leur croyance et leur conviction en lui. Ces vers consistent en : ―Celui qui nous regarde aux yeux de son cœur‖ ―Que la main de Ghamar-é Bani Hashem soit à son secours‖ ―Celui qui ne cesse de nous blâmer et de reprocher‖ ―Que l‘épée de Ghamar-é Bani Hashem lui coupe la tête à la raie‖. Généralement, on écrit les vers ci-dessus et on les accroche au mur de sa maison ou de son magasin. Ou encore un autre couplet que l‘on chante comme une prière ou une litanie : ―Ô lune de Bani Hashem, lumière des bougies des martyrs, Ô Abbas ! ―Ô lumière du cœur de Heydar Ali, ton visage comme un soleil, Ô Abbas ! ―Avec chagrin, douleur et lamentation, nous nous sommes tournés vers toi 155 ―Je te jure en Dieu, prends ma main, aide-moi qui suis chagriné, Ô Abbas ! ―Joie Abbas-é Ali, le commandant. Ô le roi, prends le drapeau, Ce chagrin que tu connais, enlève-le de mon cœur !‖ Les deux bras coupés de Abolfazl. Les Shi‘ites reconnaissent les deux bras coupées d‘Abolfazl, au jour d‘Ashoura, dans les événements de Karbala comme le symbole de la sincérité et de la vérité, le châtiment pour les menteurs, pour les calomniateurs et pour les voleurs et ils s‘en remettent pour la punition de ces gens entre les mains d‘Abolfazl. Ils disent : ―Remets le menteur entre les mains d‘Abolfazl !‖ Pour affirmer la véracité de leurs paroles et de leurs prétentions, généralement, ils jurent sur les bras d‘Abolfazl et ils insistent : ―Je jure sur les deux bras coupés d‘Abolfazl si je mens !‖. Comme les bras d‘Abolfazl ont été coupés parce qu‘il voulait apporter de l‘eau pour les enfants assoiffés du camp d‘Imam Hossein, on met la représentation symbolique de sa main aux fontaines publiques (sagha khaneh), sur les étendards et les drapeaux religieux, faisant allusion à la bonté et à la générosité dans la voie de la vérité et du sacrifice pour les faibles et les opprimés. La prédication d’Abolfazl : C‘est la commémoration du courage, des aides et des interventions de Abbas-ebne-Ali-ebne Abitaleb dans les événements de Karbala. C‘est la description de ses peines jusqu‘au moment de son martyre. Normalement, on fait vœu pour un besoin avec la prédication 156 d‘Abolfazl et quand ce vœu est exaucé, on organise la cérémonie de la nappe d‘offrande d‘Abolfazl. Le champion du monde d’haltérophilie Hossein Rezazadeh, arborant le nom de Abolfazl sur son maillot Ibrahim Shakourzadeh, qui a réuni une collection précieuse des folklores du Khorasan, nous raconte une prédication de Abolfazl, telle que les femmes prédicatrices de Meshed la chantent (dans l‘expression régionale on appelle ces femmes : ―Atouha‖). Il est logique que les textes des prédications, d‘un point de vue historique de l‘aventure et des événements parallèles soient à peu près les mêmes. Si nous pouvons relever certaines différences, il faut se référer au talent de la prédicatrice dans l‘imagination des scènes. Nous vous présentons un exemple : ―…D‘abord, les personnes présentes dans l‘assemblée, toutes ensemble citent le ―Salavat‖ ; poursuivant, “Mollbadji” à haute voix lit ces vers : «En premier, vers le ciel, pour les anges, Salavat ! Ensuite, sur la terre, pour le lion de Dieu (Imam Ali) Salavat ! À Koufah, maudits soient les infidèles ! 157 À Meshed, pour Imam Reza Salavat ! Salavat est une définition de la beauté de Mohammad Le Coran, dans son entièreté, est la qualification de la perfection de Mohammad Au plafond de l‘Epyrée, est écrit le nom de Mohammad Alors, Salavat à Mohammad et à la famille de Mohammad. » Après cette introduction, d‘une voix spécifique et portée par une mélodie spéciale, elle fait une narration des peines de Abolfazl à l‘aide de vers métriques : ―Il dit à cet instant, le bon fils digne du prophète, l‘héritier de Heydar-é Safdar (titre de l’Imam Ali), cet Ali le porteur d‘eau au Paradis dont le juste nom dans le monde est ―le Roi des martyrs‖, dans le paradis est ―Seyyed des bienfaiteurs‖, et qui est dans le ciel comme une lune éclairée, voudrait lui-même, depuis le début du monde, se dévouer aux peines et aux malheurs.‖ ―Abbas dit au Roi des martyrs, avec déférence, sincérité et grâce : - Ô Roi de religion, je te jure en Dieu, donne-moi la permission d‘aller au champ de bataille, que j‘aille pour les orphelins au combat de la secte des mesquins, que je demande de l‘eau au corps d‘armée des infidèles, des oppresseurs, des cruels et des mauvais penseurs, que je puisse rapporter une gorgée d‘eau pour les coeurs enflammés et que j‘empêche le trouble et les émeutes.‖ ― Ce Roi des bons lui répondit, d‘un coeur serré et affligé : Pourquoi t‘en aller vers le champ de bataille ? Ne t‘empresse pas de faire la guerre avec cette secte honteuse et infâme ! Aujourd‘hui, ton seul but est d‘apporter de l‘eau pour mes orphelins qui sont tous assoiffés, fatigués et accablés. Ils n‘ont pas d‘âme au cœur sauf le chagrin et la souffrance. Dépêche-toi ! Va-t‘en ! Apporte-nous de l‘eau, pour nos 158 entrailles assoiffées de l‘eau éternelle !‖ ―Abbas se mit en route pour aller au champ de bataille, comme un lion féroce et furieux, s‘attaqua à cette tribu vile et basse, se tourna vers leur commandant et dit : Moi, lion de Dieu, je ne vous laisserai pas vivant !‖ Après cette introduction, la prédicatrice change le ton de sa voix et passe de la poésie à la prose : ―Oui, mes sœurs et mères ! Abbas prit l‘outre d‘eau sur son dos, monta à cheval et s‘en alla vers le fleuve de l‘Euphrate. Quand il arriva au bord du fleuve, il descendit de cheval et le laissa s‘abreuver, mais le pauvre animal ne but pas comme s‘il voulait signifier que tant que vous ne boirez pas, moi non plus je ne boirai pas. Oui, mes chères sœurs ! Abbas- ebn-Ali mit la paume de ses mains dans le fleuve pour prendre de l‘eau et boire. Mais, juste à ce moment, il se souvint que les lèvres de son frère étaient sèches. Alors, il poussa de grands cris et il pleura à chaudes larmes. Il se souvint des lèvres sèches de son frère, et le fleuve Euphrate est devenu un flot de sang. On dit que la fleur du jardin d‘Ali n‘a pas bu d‘eau. Si tu veux, tu peux boire de l‘eau, mais où a disparu la fraternité ? Abbas-ebne-Ali, prit dans sa paume un peu d‘eau du fleuve, mais n‘en but pas. Il prit l‘outre et la remplit de l‘eau du fleuve. Il la mit sur son dos, remonta à cheval et commença à galoper pour arriver le plus vite possible au camp de Aba-Abdollah El-Hossein pour leur donner une goutte d‘eau. Mais soudain, l‘armée des infidèles l‘entoura et chaque soldat, commença à l‘attaquer. Un cruel coupa la main droite de Abbas d‘un coup de sabre. Il prit l‘outre d‘eau de la main gauche et en pleurant, à haute voix, dit : ―Ô mon Dieu, ma main droite est tombée de mon cœur, Ô laisse-moi faire appel à Hossein avec mon autre main ! 159 Ma main gauche est à sa place, même si j‘ai perdu la main droite Mais, mille fois dommage qu‘une main seule n‘ait pas de voix !» Un autre coup de sabre lui coupa la main gauche, et il dut tenir l‘outre entre ses dents. Il se remit à galoper, pour enfin pouvoir apporter de l‘eau au camp de Hossein. À ce moment, un autre cruel tira une flèche sur l‘outre d‘eau qu‘il tenait entre les dents. Un autre féroce lança la troisième flèche et troua l‘outre d‘eau. L‘eau se répandit sur le sol. Abbas se vit obligé de se soumettre à la volonté de Dieu et à la providence. Il se remit à pleurer et cria : - Mon cher frère ! Hossein ! Viens à l‘aide de ton frère ! L‘humble Zeynab (sœur d‘Imam Hossein), sur le lieu du meurtre, vit que le visage empourpré de Hossein virait au jaune comme le safran. Elle appela Hossein et dit : - Mon cher frère ! Pourquoi deviens-tu pâle ? Hossein-ebne-Ali dit en pleurant : - Ma sœur chérie, laisse-moi ! On vient de tuer mon brave frère. Ensuite, Hossein-ebne-Ali, se mit en route pour rejoindre le lieu du meurtre. Il chercha partout et arriva enfin au chevet de son frère Abolfazl. Quel frère voit-il ! Il n‘avait plus les mains attachées au corps. Ses deux yeux étaient remplis de sang et il gisait à moitié mort. Il prit la tête de Abbas sur ses genoux et pleura. Il vit que Abbas aussi pleurait. Il dit : - Mon cher frère ! Pourquoi pleures-tu ? Tes blessures te brûlentelles, te font–elles souffrir ou est-ce la flèche dans ton œil qui te torture ? Abbas-ebne-Ali dit : - Non mon frère. Hossein-ebne-Ali : - Alors pourquoi pleures-tu ? Abbas-ebne-Ali répondit : - Ô mon cher frère, mes pleurs ne sont pas 160 pour les blessures de mon corps, ni pour la lumière de mes yeux, ni pour mes mains arrachées de mon corps. Mes pleurs ne sont pas non plus pour la fille ou la mère ou pour toi qui es sans compagne Et pour te tuer, tant d‘infidèles sont là ! Hossein-ebne-Ali, psalmodiant, répond : - Mon cher frère, ne sois pas triste ! Je ne suis pas seul et sans compagne, ma sœur Zeynab, après ma mort, viendra sur ma tombe. Abbas-ebne-Ali : - Mon cher frère ! A cette dernière minute de ma vie, j‘ai une dernière volonté : ne m‘emmène pas dans la tente tant que j‘ai encore un souffle de vie. Pourquoi ? Car j‘ai honte de rencontrer Sakineh (fille de l‘Imam Hossein). Sakineh m‘a demandé de l‘eau mais je suis navré de ne pouvoir lui en apporter une seule goutte ! Ensuite, Mollbadji change encore une fois la mélodie de sa voix et dit : ―Où dois-je aller, à qui puis-je parler, sauf en la présence de Dieu Dites à haute voix, dix fois ―Ya Allah !‖ Les personnes présentes obtempèrent. Mollbadji continue encore et dit : ―Ô mon Dieu, je te jure en honneur du prophète Je jure sur ton prophète Mahomet, Ceux qui donnent du pain et du yaourt Que Hazrat-é Abbas les récompense ! Ceux qui donnent du gruau Donne-leur à la résurrection un habit de lumière ! Ceux qui donnent du Abgousht (sorte de pot-au-feu) Donne-leur à la résurrection un habit qui couvre ! Ceux qui donnent du riz Donne-leur à la résurrection un habit neuf !» 161 Ensuite, elle cite une prière telle que : «Je fais serment aux âmes pures des Imams, aux âmes pures des prophètes et aux favoris au Cœur de Dieu, aux martyrs du champ de Karbala, au père et à la mère de toutes les personnes présentes, à la propriétaire de cet endroit et de cette maison, c‘est-à-dire la fondatrice de cette assemblée, les enfants et les adultes, les Arabes et les Persanes, Ô Dieu, pardonne-les toutes !» (Shakurzadeh, 1998, 38-41) Déroulement de la nappe d’offrande de Hazrat-é Abolfazl-é Abbas (Sofreh) : La nappe d‘offrande de Hazrat-é Abolfazl-é Abbas est une des plus courantes ―Sofreh‖ votives dans l‘Iran actuel chez les Shi‘ites. On dresse cette nappe d‘offrande pour des causes différentes comme : réussir à honorer une dette, réaliser l‘acquisition d‘un bien immobilier, obtenir la libération de prisonniers, favoriser des activités commerciales, la réussite professionnelle, une réussite commerciale, réussir au concours général d‘admission dans une université, obtenir un aval des autorités pour des travaux, le retour de voyageurs partis au loin, la santé d‘une parturiente et son accouchement facile, le mariage des jeunes gens, pour avoir des enfants et surtout pour avoir un fils, pour la réconciliation des familles, pour l‘achat d‘un terrain ou d‘une voiture, pour être guéri d‘une maladie ou le succès d‘une intervention chirurgicale, pour terminer la construction d‘un bâtiment, pour recevoir un prêt à la banque ou dans une société de crédit, pour être engagé dans une administration, dans une banque, pour être épargné des accidents, et nous en passons ! 162 Nappe de Hazrat-é-Abolfazl-Al-Abbas chez Madame N. Badii, Bruxelles, 2005 (photo M. Homayun Sepehr) Cette nappe d‘offrande est très célèbre pour sa variété et la diversité des nourritures utilisées. A quelques différences, la nappe se déroule selon le même schéma dans tout l‘Iran. Pour la cérémonie de cette nappe d‘offrande, il n‘est pas nécessaire de choisir un jour précis. Généralement on choisit un jeudi après-midi car le lendemain c'est vendredi, un jour chômé. Tout naturellement, selon les régions, les villes et les villages, en rapport avec la culture régionale, nous pouvons remarquer quelques différences dans les aliments utilisés, mais les plats essentiels sont les mêmes. (Interview avec Mme Badiï, N., Tervuren ; 16 Août 2005) Dans la nappe d‘offrande de Hazrat-é Abbas, l‘origine principale des nourritures est la farine de blé. ―Katshi‖ et ―Ash-é Reshteh‖ ainsi que « addas polo » sont les repas principaux de la nappe d‘offrande, accompagnés de « Adjil-é Moshgel Gosha » (ce sont des fruits secs tels que 163 pistaches, amandes, mûres, raisins, noisettes, petits pois et dattes). Normalement, un jour avant la cérémonie, une dame un peu âgée, croyante et pratiquante, prend la responsabilité de la cérémonie. Elle étend une nappe blanche par terre dans une pièce retirée de la maison, qui n'est pas un lieu de va et vient de la famille. Elle met une quantité de farine de blé dans un grand plateau et la lisse en l‘aplatissant pendant qu‘elle sollicite et implore une grâce d’Hazrat-é Abbas et d‘autres Imams et saints. Elle fait vœu et expose ses besoins. Lorsqu‘elle finit d‘aplanir la farine, elle ajoute de l‘eau, un miroir et un Coran sur la nappe. Elle sort de la pièce et referme bien la porte de la chambre pour que personne ne puisse y entrer. Avant de sortir, elle fait deux oraisons et demande à Dieu, à Hazrat-é Abbas et à d‘autres Imams que ses vœux soient exaucés. Le lendemain, très tôt dans la matinée, elle s‘en va dans la chambre et après la citation de ―Salavat‖ (Salut au prophète Mahomet et à sa famille), elle regarde la farine. Peut-être que cet Imam a jeté un coup d‘œil et généralement elle trouve une trace comme celle de l‘empreinte d‘un doigt ou d‘un chapelet ou encore d‘une main avec cinq doigts ou quelques lignes. Ensuite, elle fait rapport aux autres, leur signifiant que leur nappe d‘offrande a attiré l‘attention de l‘Imam et, que plaise à Dieu, tout a été accepté. Au commencement de la journée, les travaux débutent : on prépare le ―Ash-é Reshteh‖ ―Katshi‖, ―Addas Polo‖ (un riz cuisiné) et peut-être le ―Sholé Zard‖ (un dessert sucré composé de riz, sucre, safran, huile, eau de rose). 164 Sholeh zard (riz cuit à l’eau, dans lequel on ajoute un sirop parfumé à l’eau de rose et coloré au safran, ainsi que des amandes effilées et des pistaches en poudre. Finalement, il est décoré avec de la cannelle en poudre et des amandes). Téhéran, 2010 chez Madame F. Abdolrassoul. (photo F. Abdolrassoul) Dans certaines régions, les plats cuisinés sont différents, nous trouverons un autre type de ―polo‖ (riz cuisiné) et du ―Halva‖ (dessert composé de farine, sucre, safran, huile, eau de rose), nous en parlerons. Dans le passé, avec une farine de blé bénie, on préparait une pâte et ensuite on lui donnait la forme de boulettes que l‘on aplatissait avec un rouleau à pâtisserie ; on les disposait en plusieurs couches pour ensuite, avec un couteau, les couper en tranches fines comme les pâtes italiennes, y ajoutant de la farine. On les mettait à l‘air frais pour leur permettre de durcir et d‘être prêt à la cuisson dans le Ash-é Reshteh. L‘après-midi, on étend la nappe dans la chambre, par terre et bien sûr, le choix de la dimension de la chambre change par rapport au nombre des invitées. La nappe étendue au milieu de la pièce est couramment rectangulaire. On dispose les plats et les assiettes de fruits convenablement ainsi que des 165 plats de gâteaux, des herbes aromatiques avec du fromage et de petits tas d‘Adjil-é Moshkel Gosha, en un mot les nourritures principales de la nappe d‘offrande. Le déroulement de la cérémonie sera cité plus tard. Katshi : On prend une quantité suffisante de farine de blé pour toutes les personnes invitées et on la met dans un chaudron en cuivre ; on la fait roussir sur le feu, ensuite on ajoute un peu de graisse animale ou de l‘huile végétale et on continue le roux pour obtenir une belle couleur brune. Ensuite, on y ajoute du curcuma et de l‘eau de rose en l‘empêchant de faire des grumeaux. On obtient comme une pâte de levain. Quelques personnes préfèrent ajouter du sirop de safran et de l‘eau de rose et après l‘avoir fait bouillir, quand il devient épais et dur, on l‘enlève de sur le feu et on le sert dans les assiettes creuses. Aujourd‘hui, on utilise des assiettes en plastiques à usage unique pour chaque personne et quelquefois on les décore avec des pistaches et des amandes effilées. Ash-é- Reshteh : Voir la note page p.132 Préparation de Ash-é-reshteh de la nappe de Décoration de Ash-é-reshteh avec du Hazrat-é-Abolfazl-Al-Abbas, 2008 (photo F. safran, de l’ail et de l’oignon rôtis, 2008, Abdolghassoul) (photo M. Homayun Sepehr) 166 Addas Polo : (Dans certaines villes, ce repas préparé avec du riz cède le pas à d‘autres formes de repas composés de riz). On fait bouillir le riz dans l‘eau. Après cuisson, on l‘égoutte dans une passoire. On mélange le riz cuit avec des lentilles cuites et avec du beurre ou de l‘huile et on le laisse cuire encore. Quand ce mélange est prêt, on le sert dans de grands plats que l‘on décore avec des dattes revenues au beurre mélangées avec de la cannelle. On y ajoute également de la viande hachée 59 grillée pour la décoration et l‘on dispose les plats sur la nappe. On sert d‘ordinaire les plats de ―Addas Polo‖ à la fin des prédications et après la citation des incantations, afin d‘empêcher leur refroidissement, mais pour les autres mets ce souci n‘est pas de mise. La cérémonie de la nappe d‘offrande commence par le discours d‘une prédicatrice. D‘abord, elle prêche devant tous et parle des problèmes quotidiens de la vie. Elle encourage toutes les personnes présentes à pratiquer les principes religieux ou moraux ; elle invite tout le monde à favoriser les bienfaisances et à interdire les actions prohibées. Ensuite, elle parle du résultat des actes et des conduites. Enfin, elle termine en donnant des conseils se basant sur les versets du Coran, les citations de Dieu luimême ainsi que celle du prophète et des Imams. 59- Autrefois, il n‘y avait jamais de viande dans les nappes d‘offrandes votives traditionnelles et nationales, ainsi que dans les nappes de mariage et pour les morts, mises à part dans certaines nappes zoroastrienne, comme celles de Vahoumanro et Amshaspand où on ajoute du mouton et du poulet, mais, actuellement, certaines personnes ajoutent un peu de viande hachée rôtie pour décorer ce plat. Notre recherche a montré qu‘autrefois, avant l‘invasion des aryens éleveurs de troupeaux, la base de la nourriture des iraniens était uniquement d‘origine végétale (différentes sortes de Ash sans viande). Selon Ferdowsi, dans le mythe du roi Zahak, c‘est le diable qui a préparé un repas pour la première fois avec de la viande de veau. Le roi, qui a apprécié ce plat, en remerciement a autorisé Ahriman à embrasser ses épaules, d‘où sont sortis deux serpents qui, entrant par les oreilles, grignotaient son cerveau. (Ferdowsi, Shah Nameh, 1994, 31) 167 Nappe de Hazrat-é-Abbas, Bruxelles, chez Madame N. Badii, 2005 (photo M. Homayun Sepehr) ―Doây-é Tavassol‖ (la prière du recours) est la partie principale des incantations généralement lues dans les nappes d‘offrande. Dans les nappes d‘offrande où il n‘y a pas de prédicatrice proprement dite, chacune des invitées lit une partie de la prière. Mais dans les cérémonies de nappes d‘offrande auxquelles participe une prédicatrice, celle-ci dirige personnellement la cérémonie. ―Doây-é Tavassol‖ est une des plus importantes prières pour les musulmans Shi‘ites et la cause de cette importance est qu‘après l‘invocation du nom du prophète de l‘Islam, de sa respectueuse fille, de son gendre, l‘Imam Ali, et leurs chers enfants en les citant chacun par son nom, on les supplie de considérer avec clémence les personnes qui ont eu recours à eux et qui leur demandent d‘intercéder pour eux auprès de Dieu et aussi d‘exaucer leurs vœux dans les deux mondes et dans l‘Eternel, car ils ont un rang distingué et sont estimés de Dieu. La prédicatrice, en lisant la prière et en citant chacun des saints, répète les phrases et chante la prédication personnelle et spéciale de chaque personnage. Elle n‘omet pas de faire la prédication de ―Hazrat-é Fatémeh Zahra‖, 168 d‘ ―Imam Ali‖ et surtout d‘ ―Imam Hossein‖ (surnommé : « Seyedo Shohada »,60), également celle de ―Hazrat-é Abbas‖ (que nous trouvons nommé dans la prière), de ―Ali Asghar‖, de ―Moussabn-é Djafar‖ (surnommé ―61‖), tout cela avec beaucoup de tristesse et de chagrin. Les invitées qui connaissent les étapes de cette prière, appellent au secours chacun d‘eux pour exprimer leurs vœux et leurs attentes ; c'est larmoyantes et suppliantes, qu'elles font leurs vœux. Pour découvrir la ―Doây-é Tavassol‖ et les sujets s‘y rapportant, nous nous référerons au livre ―Mafatih-Al-Djenan‖ qui souligne l‘importance de cette prière. Dans cette prière, quand on en arrive au nom du dernier Imam shiite, soit le ―Mahdi-é Môoud‖, toutes les personnes présentes se lèvent et pendant qu‘elles demandent l‘apparition physique de cet Imam, elles se tournent dans la direction de la Mecque, et dans l‘intimité de leur cœur, elles évoquent leurs vœux. Après la citation de ―Salavat‖ (la salutation et la bénédiction au Prophète et à sa famille), si une autre personne dans l‘assemblée souhaite lire une autre prédication, les invitées s‘asseyent à nouveau et la cérémonie reprend ; sinon, la prédicatrice invite les personnes présentes à commencer à manger les mets et les nourritures bénies disposées sur la nappe. On commence par manger le ―Ash-é Reshteh‖. Ensuite, on continue avec le ―Katshi‖ et le ―Addas Polo‖. L‘hôtesse invite et encourage tout le monde à se resservir. 60- Titre donné au 3ème Imam shi‘ite qui signifie le « Seigneur des Martyrs ». Dans « alamat », symbole des martyrs de Karbala, il y a normalement 5 lames correspondant aux 5 martyrs les plus importants ; la lame centrale, la plus grande, représente « Seyedo Shohada », les 4 autres, deux de chaque côté, représentent Abolfazl- Al Abbas, Ali Akbar et Ali Asghar, deux fils de Imam Hossein, et Hazrat-é Ghassem, fils de Imam Hassan. 61- Bab-Al-Havayedje : Chez les iraniens shi‘ites duodécimains, ce sont les 5 personnages pouvant exaucer les vœux : Hazrat-é Fatémeh Zahra, Hazrat-é Abolfazl Abbas, Hazrat-é Ali Asghar, Hazrat-é Roghieh et Hazrat-é Emâm Moussabn-é Djafar. 169 La face chagrinée de l‘assemblée s‘estompe et c‘est avec gaieté et une légèreté d‘esprit et de cœur, que chacune commence à manger et à deviser. Les fruits que l‘on doit découper avant de les déguster comme la pastèque et le melon, sont portés hors de la nappe, découpés, dressés sur des plateaux, ensuite proposés à l‘assemblée. Les petits paquets enveloppés de tulle qui contiennent de l’Adjil Moshkel Gosha sont décorés avec de fins rubans verts et sont distribués aux invitées présentes. A chacune d‘elles, on en donne plusieurs afin qu‘elle les emporte avec d‘autres nourritures provenant de la nappe d'offrande ; ainsi toute leur maisonnée pourra profiter de la bénédiction de cette dernière. À ce moment, la servante de la maison éteint les bougies sur la nappe et si quelqu‘un le désire, il en emporte une ou deux chez lui. Elles seront conservées en gage jusqu‘à l‘exaucement de ses vœux62. Lorsque le vœu est exaucé par l‘intermédiaire de ―Hazrat-é Abbas‖, la personne qui a participé à la cérémonie et qui a emporté des bougies dressera une nouvelle nappe d‘offrande de ―Hazrat-é Abbas‖ chez elle. 3-2-6 La nappe d’offrande de Hazrat-é Imam Hassan : (Sofreh) La nappe d‘offrande de Imam Hassan63 a ses caractéristiques spécifiques. D‘abord on en fait vœu pour différents besoins et requêtes et après leur exaucement, on organise généralement la cérémonie un lundi, jour attribué généralement à l‘Imam Hassan. La cérémonie peut se passer également le quinzième jour du mois de Ramadan, car c‘est le jour de l‘anniversaire de la naissance de cet Imam. 62- Il arrive parfois que les participantes, pour la réussite de leur vœu, organisent deux petites nappes dans l‘intimité, gardant la troisième comme garantie. Nous rappelons ici que dans la 2 ème partie, nous avons parlé de la théorie d‘échanges de Homans et Blau. 63- Dans l‘imâmologie shi‘ite, Hazrat-é Imam Hassan Modjtaba occupe la 2ème place. C‘est le fils aîné de Imam Ali et de Fatémeh, et petit-fils du Prophète de l‘Islam ; il est né à Médine et il est mort en martyr empoisonné à Médine. Il est enterré au cimetière Baghi, dans cette même ville. 170 Si c'est ce jour-là, alors la nappe d‘offrande se déroule au moment de ―Eftar‖, après le coucher du soleil, quand les musulmans, qui ont fait abstinence toute la journée, peuvent rompre le jeûne. è Nappe verte symbole de la verdure des champs pour Imam Hassan, exposition sur les nappes d’offrande votive, palais de Sa’d Abad, Téhéran, 2006 (photo M. Valilou) La cérémonie peut se passer également le quinzième jour du mois de Ramadan, car c‘est le jour de l‘anniversaire de la naissance de cet Imam. Si c'est ce jour-là, alors la nappe d‘offrande se déroule au moment de ―Eftar‖, après le coucher du soleil, quand les musulmans, qui ont fait abstinence toute la journée, peuvent rompre le jeûne. Cette nappe d‘offrande peut encore se dérouler le vingt-huitième jour du mois de Safar (deuxième mois de l‘année lunaire), jour qui commémore le martyr de l‘Imam. (Interview avec Eshrat Labani ; Téhéran, Mahmudieh ; 21 mars 2008) Une des caractéristiques de cette nappe d‘offrande est sa couleur. Dans la nappe d‘offrande de Imam Hassan, tous les objets, les assiettes et les plats, la nappe elle-même et les nourritures doivent être verts. Celle qui a fait vœu un lundi, qui est le jour de Imam Hassan, étend une 171 nappe verte rectangulaire dans la chambre et y dispose des nourritures vertes déjà préparées. D‘abord, elle met un plat rempli d‘herbes aromatiques vertes comme de la cive, de la menthe, du basilic, du cresson,… avec du fromage. Ensuite, elle ajoute un plat rempli de raisins secs verts et elle prépare des repas de couleur verte comme le Sabzi Polo (plat de riz cuisiné avec des herbes vertes), du Coucou Sabzi (omelette aux herbes), Ash-é Reshteh. On peut préparer aussi le ―Sholé zard‖ (composé de riz, de sucre, de safran et d‘eau de rose) que l‘on décore avec des pistaches coupées, vertes aussi. Ensuite, viennent des fruits verts comme concombre, pastèque et melon non coupés. Les bougies, les serviettes et tout ce qu‘on utilise dans la nappe d‘offrande de l‘Imam Hassan, doit être de couleur verte. Après l‘arrivée des invitées, la cérémonie commence. Dans cette cérémonie, on lit le ―Doây-é Tavassol‖ (la prière du recours) et quand on arrive au nom de l‘Imam Hassan dans cette prière, la prédicatrice rappelle les peines et les amertumes subies par cet Imam. Elle raconte d'une voix mélancolique sa biographie pleine d‘événements. Une des particularités qui augmente la tristesse des prédications chantées par la prédicatrice, est que cet Imam a été empoisonné par son épouse et, après sa mort, son cadavre a encore été transpercé par des flèches. Rappelons que la tombe de l‘Imam Hassan se trouve dans le cimetière ―Baghi‖ à Médine en Arabie Saoudite et comme sa tombe n‘est pas un tombeau somptueux, qu‘il n‘a ni voûte, ni coupole, ni autres décorations, les musulmans Shi‘ites en pleurent encore davantage et lui expriment leur compassion. Après la fin de la prière, on répète 10 fois, en direction de la Mecque l‘invocation de ―Amman Yodjib‖ (une prière spéciale en langue arabe qui signifie : Qui peut aider celui qui a besoin d‘aide le plus…. Généralement, 172 cette prière conclut chaque cérémonie religieuse), qui est pour l‘exaucement des vœux. Ensuite l‘hôtesse de cette assemblée, invite tout le monde à manger les repas bénis de la nappe. En général, la gaieté et la joie qu‘on remarque après les cérémonies de la nappe d‘offrande de Hazrat-é Fatémeh et de Hazrat-é Abolfazl Abbas, ne se voient pas dans cette cérémonie et l‘atmosphère reste attristée et chagrine jusqu‘à la fin. Parmi les invitées, quelques-unes prennent quelques objets de la nappe en tant que gage. Quand leur propre vœu est exaucé, elles font leur propre offrande à Imam Hassan et ajoutent l‘objet de gage sur leur propre nappe d‘offrande. 3-2-7 La nappe d’offrande de Hazrat-é Ali Asghar : (Sofreh) Représentation populaire du martyre de Ali Asghar lors de l’événement de l’Ashoura à Karbala La nappe d‘offrande de Hazrat-é Ali Asghar, est une cérémonie de nappe votive très simple et aussi très mélancolique, car le personnage sujet auquel s‘adresse la cérémonie de la nappe d‘offrande, est un jeune enfant. C‘est un petit bébé de six mois, qui, le jour de ―Ashoura‖ (le dixième jour 173 du mois de Moharram) meurt atteint d'une flèche ennemie dans la gorge dans les bras de son père, l‘Imam Hossein, et devient ainsi le plus jeune martyr de ―Karbala‖. C'est l'événement le plus triste de ce jour à “Karbala‖. Dans la plupart des régions de l‘Iran, cette nappe d‘offrande se fait avec très peu de variations. En général, les personnes qui ont un enfant malade et qui ne guérit pas, font vœu de cette nappe votive pour la guérison et le rétablissement de la santé de l'enfant. Hazrat-é Ali Asghar, dans la culture shi‘ite est un des ―Bab-AlHavayej‖ (c‘est-à-dire, un des personnages saints des shi‘ites qui a une haute dignité auprès de Dieu et à l‘aide de celui-ci, les vœux seront exaucés). C‘est pour cela que certaines personnes, pour se sortir de graves problèmes, font vœu avec cette nappe d‘offrande. (Interview avec Mme Tina Razavi, Téhéran, Mahmudieh ; 7 juillet 2009) La nappe d‘offrande de ―Ali Asghar‖ est très simple et à peu près dans tout l‘Iran, se déroule de la même manière. La cérémonie de cette nappe d‘offrande se fait en général au mois de ―Moharram‖ (premier mois de l‘année lunaire) et spécialement dans les dix premiers jours de ce mois. Dans la nappe d‘offrande de Ali Asghar, on ne trouve pas d‘autres nourritures que du lait chaud et du pain pétri avec de l‘huile. La raison en est que Ali Asghar était un nourrisson et mis à part le lait, il ne mangeait pas autre chose. Quand on étend la nappe, on invite également une prédicatrice qui chante et récite les prédications et les invocations en rapport avec le petit bébé martyr. Cette nappe d‘offrande, comme les autres ―sofreh‖, est tout à fait féminine et la responsabilité de tous les événements qui la composent 174 incombe aux femmes. Les invitées, après s‘être assises autour de la nappe, sans toucher aux aliments, écoutent attentivement les prédications attristantes et mélancoliques et pleurent abondamment. Les participantes, sous l‘influence des phrases de la prédicatrice, pleurent de plus en plus pour ce jeune enfant et les affres qu‘il a subies, comme la soif intense, ainsi que son père, l‘Imam Hossein qui avait demandé en vain de l‘eau pour son enfant à l‘ennemi qui a plutôt préféré l‘exécuter d‘une flèche qui lui a transpercé la gorge. Représentation de Hazrat Ali Asghar, Téhéran, 2006 (photo M. Homayun Sepehr) Après les prédications, quand le calme regagne l‘assemblée, on sert aux invitées un petit verre de lait avec un petit morceau de pain pétri avec de l‘huile. Après avoir mangé, les invitées prennent congé de l‘hôtesse et quittent la maison. Si l‘une des invitées demande un peu de lait et de pain pour son propre enfant malade elle peut en emporter pour favoriser la guérison. La nappe d‘offrande de Ali Asghar, comme quelques autres ―Sofreh‖, 175 doit être étendue deux fois et on garde la troisième pour après l‘exaucement du vœu64. 3-2-8 La nappe d’offrande de Hazrat-é Ghassem (Sofreh) : La nappe d‘offrande de Hazrat-é Ghassem65, est une cérémonie très simple, sans luxe ni ornement. En général, ce sont plutôt les jeunes femmes qui font vœu de cette nappe d‘offrande. Les deux caractéristiques essentielles de cette nappe d‘offrande sont : Hazrat-é Ghassem était un jeune homme et il a été martyrisé deux ou trois jours après son mariage. En se souvenant de son nom, on se souvient de l‘événement affligeant des martyrs de ―Ashoura‖ à Karbala. Ainsi, les jeunes femmes, pour aplanir leurs difficultés conjugales, vouent la nappe d‘offrande au Prince Ghassem. On étend une nappe blanche sur laquelle on dispose des dattes, des dragées sucrées, des gâteaux, etc. Dans le haut de la nappe on pose un bouquet de fleurs. La panégyriste cite la prédication de ―Prince Ghassem‖ et ensuite on mange les mets de la nappe, repas tel que ―Keshmesh Polo‖, composé de riz et de raisins secs, et d'autres nourritures. Celle qui fait vœu, prend des dragées sucrées en tant que gage et de bénédiction, jusqu‘à ce que son vœu soit exaucé.66 64- Depuis quelques années, une nouvelle tradition populaire est apparue à Téhéran : c‘est le jour dédié à Ali Asghar. Les jeunes mères se réunissent avec leurs bébés habillés avec des vêtements blancs à la mode arabe comme on peut le voir sur la photo précédente. 65- Hazrat-é Ghassem ou Prince Ghassem, est le fils de Imam Hassan et le neveu de Imam Hossein, qui a combattu côte à côte avec son oncle à Karbala et a été martyrisé quelques jours après son mariage. 66- Shariat Zadeh, Seyed Ali, ―La culture du peuple de Shahroud‖, 1982, 389. 176 3-2-9 La nappe d’offrande de Imam Zaman (Sofreh) : La nappe d‘offrande de l‘Imam Zaman (le douzième et le dernier Imam saint des musulmans Shi‘ites), se fait le quinzième jour du mois de Shâban67 (le huitième mois de l‘année lunaire), car ce jour est celui de l‘anniversaire de cet Imam, c‘est-à-dire [Que Dieu dépêche son apparition chérie] et pour cette raison, ce jour est un grand jour béni chez les musulmans Shi‘ites. Pendant cette journée, dans tout l‘Iran, se célèbrent de grandes cérémonies, et des fêtes sont organisées, accompagnées de guirlandes, d‘illuminations dans les avenues, les rues, les ruelles et les maisons. (Actuellement, on fait même des feux d‘artifice à Téhéran et dans les grandes villes du pays). En relation avec cet esprit festif, nous notons dans la nappe d‘offrande de Imam Zaman davantage de joies et de réjouissances. Le quinzième jour de Shâban qui peut tomber n‘importe quel jour de la semaine, on convie des invitées qui se préparent à l‘avance pour cette nappe d‘offrande. Si par hasard, ce jour de fête coïncide avec un jeudi, ce jeudi sera honorable et respectueux car d‘après la croyance des Shi‘ites, le jeudi est un jour qui appartient à l‘Imam Zaman Hazrat-é Mahdi qui est absent et caché aux yeux de tous et dont les musulmans shi‘ites attendent impatiemment l‘apparition physique. 67- Mahdi, Mohammad -ebn –é Hassan Askari. C‘est le dernier Imam shi‘ite duodécimain. Il est né à Saméra en Iraq en 250 de l‘Hégire Lunaire (870). Il avait 5 ans lorsque son père est mort en martyr. Il a disparu de la vie publique en 260 de l‘Hégire. Il a eu des contacts avec ses fidèles : Abou Omar, Osman-é ebn-é Saïd Assadi, Abou Djafar Mohammad-ebn-é Osman-ebnSaïd, Abol-Ghassem Hassan-ebn- Rouh, et Abol-Hassan Ali-ebn-é Mohammad-é Semari. Après la mort de ses compagnons (en 326 de l‘Hégire), il a complètement disparu. Les shi‘ites attendent son retour avec impatience. Chardin , voyageur français de l‘époque safavide, a vu deux chevaux harnachés dans une écurie, prêts à être montés par Mahdi et par Jésus à leur retour pour établir la justice et la paix sur la Terre. 177 Cette nappe d‘offrande est également exclusivement féminine et les hommes n‘y trouvent pas leur place. Le contenu de la nappe d‘offrande de Hazrat-é Imam Zaman présente beaucoup de similitudes avec la nappe d‘offrande de Hazrat-é Abolfazl Abbas que nous avons déjà citée précédemment, sauf qu‘en plus, est ajoutée une grande quantité de dragées sucrées (noghl) et de gâteaux qui seront distribués entre les invitées. On dispose de petites pièces de monnaie sur lesquelles a été imprimé le nom de l‘Imam Zaman, et avec les dragées sucrées elles sont enveloppées de cellophane. Ces petits paquets seront remis aux invitées. L‘atmosphère de la cérémonie de la nappe d‘offrande de Imam Zaman est très joyeuse et enthousiaste. Les invitées essaient de porter leurs meilleurs vêtements et se parent de beaucoup de bijoux et d‘accessoires. Quelquefois, elles viennent à la cérémonie avec des paniers et de grands bouquets de fleurs. À l‘endroit où se tient la fête, on allume une multitude de lampes et sur la nappe on, met beaucoup de chandeliers avec des bougies décorées restant allumées pendant toute la cérémonie. Malgré l‘atmosphère gaie de la cérémonie, pendant quelques moments, la prédicatrice psalmodie des incantations évoquant les malheurs et les peines de la famille du prophète, ainsi que des invocations et prédications sur Fatémeh Zahra et les autres Imams et saints. C‘est là une des tâches essentielles de la prédicatrice qui s‘illustre en professionnelle. Quand on finit de lire le ―Doây-é Tavassol‖ et qu‘on arrive au nom du dernier Imam, c‘est-à-dire l‘Imam Zaman, comme ce jour lui est dédié, l‘enthousiasme des invitées augmente et atteint son apogée. Ici, précisément, le rôle de la prédicatrice est très important. À ce moment, on lit le ―Doây-é Faradj‖ (une prière pour demander sans délais l‘apparition 178 physique de l‘Imam Zaman) et celles qui ont de graves problèmes ou bien qui ont des besoins, les réclament auprès de l‘Imam Zaman et décident dans leur cœur que si jamais leurs vœux sont exaucés, elles voueront à leur tour une nappe d‘offrande. Toute la cérémonie de ―Doây-é Tavassol‖ avec les prières et les prédications dure à peu près deux heures. Ensuite, l‘hôtesse de la maison et la prédicatrice invitent les femmes présentes à manger les nourritures et les mets bénis de la nappe. À ce moment, la joie de l‘assemblée fait son apparition et les visages tristes et sombres, après avoir séché les larmes et s‘être refait une beauté, changent et s‘illuminent. On bavarde et, peu à peu, fusent des éclats de rire de tous les côtés. Après une heure, la nappe se vide petit- à- petit de ses victuailles et chaque invitée prend une quantité des mets, des gâteaux et des dragées sucrées sur une assiette ou dans un sachet de plastique pour en rapporter chez elle pour sa famille. Après avoir ramassé la nappe, tout le monde attend le ―Môludi‖ (chant accompagné de musique de tambourin spécial à la fête d‘anniversaire du prophète, de sa fille ou des 12 Imams). La prédicatrice commence à chanter le ―Môludi‖ et une ou deux femmes l‘accompagnent en jouant du tambourin et ainsi les cris de joie, les applaudissements et les acclamations remplissent l‘espace du salon. Pendant ce temps, la réception se poursuit avec du thé, des gâteaux, du chocolat chaud. Parfois, les personnes ayant fait vœu, distribuent des dragées sucrées avec les petites pièces de monnaie au nom de l‘Imam Zaman. Au fil des chants, des sons du tambourin qu‘accompagne l‘assemblée, le chagrin et la tristesse du début de la cérémonie s‘envolent bien vite. 179 Vers vingt-deux heures, le moment est venu de prendre congé et les adieux s‘éternisent parfois. 3-2-10 La nappe d’offrande du Prophète Elie (Sofreh) : Cyprès, symbole de la vie éternelle à Abarghou (centre de l’iran), symbole du prophète Elie, 2006. (photo M. Abarghoui) La nappe d‘offrande du Prophète Elie est une des nappes d‘offrande la moins usitée à Téhéran. Cette nappe d‘offrande se fait au soir du dernier vendredi de l‘année et jusqu‘au moment du nouvel an (Norouz), on n‘y touche pas. Pour étendre cette nappe, d‘abord on en prend la décision intérieurement et quand le vœu est exaucé, on étend la nappe d‘offrande. La nappe d‘offrande du Prophète Elie, est une des nappes d‘offrande la plus onéreuse, surtout à Shiraz, car on y remarque toutes sortes de nourritures des plus variées. Parmi celles-ci, relevons : 180 - le Shirin Polo : plat de riz, à base de zestes d‘orange détaillés en fines lamelles, d‘amandes effilées et de pistaches. Ce plat s'accompagne de poulet. - le Baghali Polo : plat de riz à l‘aneth et aux fèves. - le Halva : dessert composé de farine de blé, de sucre, de safran, d‘eau de rose et d‘huile. - le Ferini : dessert composé de lait, de farine de riz et de sucre. - le Gha’out (Ghovatou à Kerman) : mélange composé de pois pulvérisés et grillés, de sucre, de poudre d‘amande. - le Sohan : sorte de sucrerie. - le Kolutshe : sorte de petites galettes fourrées avec des noix. - le Masghati : dessert fait avec de l‘amidon, de l‘huile, du sucre, du safran et cardamome. Se trouvent également sur la nappe des objets comme : des bougies, des pièces de monnaie, une aiguière ou un pichet à eau, un bassinet,… 68 Pour les Téhéranais, la nappe d‘offrande du prophète Elie est beaucoup plus simple et on se contente du seul ―Gha’out‖ comme nourriture, d‘un bol d‘eau et d‘une feuille verte sur la nappe. A côté de la nappe, on place un pichet d‘eau et un bassinet, pour que si jamais Hazrat-é Elie se décide de faire ses ablutions pour faire ses prières, l‘eau soit prête et présente pour lui. D‘après le témoignage de l‘écrivain que nous citons, Mohtaram Kazémi était une des personnes qui faisait l‘offrande de cette nappe à Téhéran. Peu de temps avant l‘arrivée de l‘hiver, elle mettait une nappe d‘offrande qui contenait des nourritures comme du ―Gha’out‖. Elle le 68- Noban, Mehr Alzaman, ―les nappes d‘offrande, la manifestation de la sincérité et la pureté‖, revue Mirass-é Farhangui, nº = 2, Hiver 1990-91. Chez les musulmans shi‘ites iraniens, on dit que le prophète Elie est toujours vivant et qu‘il apparaîtra avec l‘Iman Zaman. 181 préparait avec des pois pulvérisés et grillés, du sucre, des graines ou semence de coriandre, des graines de pourpier,… elle les pilait et les mélangeait soigneusement et servait le ―Gha‘out‖ préparé sur un grand plateau qu‘elle déposait au milieu de la nappe. Elle prenait soin de le présenter bien compact et l‘aplatissait de tous les côtés. Elle croyait que, le soir venu, le prophète Elie viendrait pour bénir la nappe et le ―Gha‘out‖, et qu‘il laisserait l‘empreinte de son chapelet ou de sa canne sur ce plat. Elle faisait cela le soir du ―Tshélé‖ (ou shab-é Yalda, la nuit la plus longue de l‘année) de l‘hiver qui coïncide avec le premier jour du mois de ―Day‖ (premier mois de l'hiver en Iran). Elle fermait la porte de la chambre et avant de sortir, elle faisait deux génuflexions de prières à l‘intention du Prophète Elie. Le lendemain matin, très tôt, avant l‘aube, elle s‘en allait dans la chambre et vérifiait la trace de la présence du prophète Elie, c‘est-à-dire son empreinte sur le ―Gha’out‖. Ensuite elle prenait ce ―Gha’out‖ et le distribuait à sa famille et ses amies. Elle croyait aussi que si pendant quarante nuits, avant l‘aube ou avant le lever du soleil, elle nettoyait le seuil de la porte d‘entrée avec de l‘eau et un balai, à la fin du quarantième soir, elle verrait le prophète Elie de ses propres yeux. Elle disait qu‘au moment où il apparaîtrait, il faudrait s‘attacher à un pan de son vêtement et faire ses vœux, qu‘ils seraient certainement exaucés. Un point intéressant à remarquer c‘est que contrairement aux autres nappes d‘offrande, dans celle-ci il n‘y a pas de prédications, d‘incantations ou autres invocations. Nulle présence de mélancolie. pleurs, de lamentation, de tristesse ou de 182 L‘atmosphère qui règne sur cette nappe d‘offrande est silencieuse, expectative. Voir également l‘offrande à Khezr (Hider) le prophète p.257. 3-2-11 Doây-é Tavassol (la prière du recours) : L'un des piliers des nappes d'offrande est la récitation d'une prière particulière. La plus importante est la Doây-é Tavassol69. Parfois, les participantes aident les récitantes de l'histoire des martyrs à lire cette prière. Plus la cérémonie des nappes d'offrande est grandiose et le nombre de participantes élevé, plus les récitations et les prières sont longues. Elles se poursuivent parfois pendant une heure et demie à deux heures. Les nappes de moindre importance telles celle de celles de Hazrat-é Roghieh ou celle de Hazrat-é Ali Asghar, dressées dans les Imamzadeh se limitent uniquement à la lecture de l'histoire des martyrs, mais dans d'autres nappes telles celles de Hazrat-é Fatémeh Zahra et de Hazrat-é Abbas, en plus, des prières sont récitées. La récitation des prières et la narration de l'histoire des martyrs sont impératives dans les nappes d‘offrande ; tant que la prière et la narration ne sont pas terminées, aucune personne n'est autorisée à manger ce qui est étalé sur la nappe. Ainsi, les participantes assises autour de la nappe doivent attendre afin que cette nappe soit bénie. Après que l'hôtesse a annoncé la fin de la prière et du récit et que chacune des participantes a exprimé ses besoins à Dieu et aux Saints, elles peuvent se servir des mets. Ceci montre peut-être que, symboliquement, la nappe représente un champ : tant que la récolte n'a pas été faite, personne ne peut en profiter. Ainsi tout le monde attend que les produits des champs et des 69- Dans le livre de prières (Mafatih-al-Djenan ) rassemblées par Sheykh Abbas-é Ghomi) il est expliqué : Alameh Madjlessi raconte que l‘origine de cette prière remonte aux Imams eux-mêmes. Il ajoute que chaque fois qu‘il a lu cette prière, ses problèmes ont été résolus. (Ghomi, 2006, 183) 183 jardins soient à point ; de même dans les nappes, ces points symboliques sont respectés. Donc, s'abstenir de manger dès le début des nappes signifie peut-être que, symboliquement parlant, il faut attendre pour commencer à manger après que les participantes ont prié, récité et exprimé leurs besoins aux Saints. Ô mon Dieu, je Te supplie et je Te demande et j‘attire Ton attention vers Ton prophète, le prophète de la clémence, Mahomet, que Dieu rende son salut et sa bénédiction à lui et à sa famille ; Ô père de Ghassem, Ô le prophète de Dieu, Ô Imam de miséricorde ; Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Lui. Ô père de Hassan. Ô Ali fils d‘Abitaleb, Ô la preuve de Dieu à ses créatures ; Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès du Seigneur. Ô Fatémeh Zahra, Ô fille de Mahomet, Ô la chérie du prophète, Ô notre Mère et notre Maîtresse, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme médiatrice entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui soutiens Mahomet, Ô Hassan fils d‘Ali, Imam Hassan-e-Modjtaba, Ô fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous remettons nos vœux entre tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. 184 Ô Aba-Abdollah, Ô Hossein le fils d‘Ali, Ô le Martyr, Ô le fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. Ô père de Hassan, Ô Ali le fils de Hossein. Ô Imam Zeyn-Ol-Abedine, Ô fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Seigneur. Ô père de Djafar, Ô Mahomet fils d‘Ali Imam Bagher, Ô fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. Ô Aba-Abdollah, Ô Djâfar fils de Mahomet, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. Ô père de Hassan, Ô Moussa fils de Djâfar, Ô Kazem fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos 185 vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. Ô père de Hassan, Ô Ali fils de Moussa, Ô Reza fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. Ô père de Djâfar, Ô Mahomet fils d‘Ali, Ô Taghi-Al-Djavad fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. Ô père de Hassan, Ô Ali fils de Mahomet, Ô Hadi-Al-Naghi fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. Ô Père de Mahomet, Ô Hassan fils d‘Ali, Ô Zaki-Al-Askari, fils du prophète de Dieu, Ô la preuve de Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous remettons nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. Ô le curateur de Hassan et le Remplaçant digne de la preuve de Dieu, Ô celui que nous attendons, Al-Mahdi, le fils du prophète, la preuve de 186 Dieu à ses créatures, Ô notre Seigneur et notre Maître, nous nous tournons vers Toi, nous recourons à Toi et nous Te choisissons comme intercesseur entre nous et Dieu et nous confions nos vœux entre Tes mains, Ô Toi qui as du crédit auprès de Dieu, plaide pour nous auprès de Dieu. [Ici, vous faites vos vœux afin qu‘ils soient exaucés, plaise à Dieu, et vous continuez votre prière par ces phrases :] Ô les Majestés et les maîtres, nous vous prêtons attention, vous êtes nos Imams et nos dirigeants, nos réserves pour le jour de misère et nos médiateurs pour rapporter nos vœux à Dieu. Je recours à vous dans la cour de Dieu et je vous choisis comme intercesseur auprès de Dieu, plaidez pour moi auprès de Dieu et sauvezmoi de mes péchés auprès de Dieu, car vous êtes le seul moyen de mon sauvetage auprès de Dieu et j‘ai espoir en notre amitié et en notre intimité pour me sauver devant le jugement de Dieu ; Soyez la cause de mes espérances auprès de Dieu. Ô mes chefs, Ô les saints et les élus de Dieu, Que Dieu vous bénisse Tous, Que Dieu maudisse les cruels et les injustes envers vous depuis les premiers jusqu‘aux derniers. Amen Ô Dieu des deux univers. 3-2-12 Adjil Moshkel Gosha : Les fruits naturels ont constitué la première et la plus importante source de l'alimentation de l'Homme pendant des millions d'années. Au cours du temps, l'Homme en a profité sans se donner beaucoup de peine. Le rôle des femmes dans la récolte des fruits secs et frais s'est montré d'une importance particulière dans l'histoire des cultures et des civilisations humaines. 187 Adjil Moshkel gosha en vrac pour la réalisation des Adjil Moshkel gosha présentés vœux pour les nappes zoroastriennes (lork), emballés dans du tulle pour une nappe Téhéran, 2006 d’Hazrat Abbas, Téhéran, 2006 (photo S. Salimian) (photo S. Salimian) Les fruits secs ou frais, la première source de l'alimentation humaine (lork – adjil – khoshkbâr) "Les femmes, comme on peut le voir dans les sociétés agricoles actuelles, s'occupaient des travaux des jardins et des vergers" (Lenski, 1995, 199), "les femmes faisaient les travaux relatifs aux plantes et aux végétaux, alors que les hommes s'occupaient des animaux ; nous pouvons confirmer que, à leur début, la culture des plantes a été découverte par les femmes, et la domestication des animaux inventée par les hommes" (ibid., 194), "deux inventions ont sauvé l'Homme de la peur continuelle de la faim : l'invention des moyens de conservation des aliments et celle de l'agriculture. Mais pour la tribu qui, avant d'avoir appris comment planter les graines et créer un jardin, a découvert le moyen de conservation des fruits frais, secs et des cœurs de palmier, même si ses voisins avaient trouvé ces méthodes, il était possible qu'elle n'ait pas été capable de découverte ultérieure" (Mid, 1998, 22), "les arbres fruitiers, une fois plantés, donnent régulièrement des fruits pendant des années, ce fait constitue une autre méthode qui permet de faire des réserves sûres d'aliments". (Ibid., 23) 188 Fruits frais et leur importance dans la vie, en particulier dans les nappes zoroastriennes et également dans celles des musulmans shi’ites iraniens. Marché aux fruits, Téhéran, 2006. (photo S. Salimian) Les historiens ont appelé le Moyen-Orient berceau des civilisations humaines (Durant, Childe, Ghirchman, Lenski, Rovelinston, etc.). Childe pense que dans le village de Jéricho "les premiers habitants vivaient de la chasse et de la cueillette des fruits des arbres" (Childe, 1978, 46)." Dans ces régions croissaient la vigne et plusieurs variétés d'arbres fruitiers sauvages, et certainement la vie dans un tel endroit qui chaque année permettait des récoltes de dattes, d'olives, de figues et de raisin, était très agréable. De ce fait, les jardiniers ont délaissé leur vie dans le désert qui semblait encore présenter des avantages aux agriculteurs" (ibid., 64). Au pied des hautes montagnes, la présence de sources bouillonnantes et de rivières rendait la vie très agréable aux Iraniens autochtones dans les grandes plaines, au milieu des jardins, avant l'arrivée des Aryens ; ils appelaient la résidence des dieux Baghestan ou Bâghestan et essayaient d'agrémenter leurs jardins de la meilleure manière, y plantant toutes sortes de fruits et de fleurs. C'est pour cette raison que le nom des jardins iraniens apparaît dans les œuvres de Goutian à l'époque achéménide, et le mot "paradis" désignait en fait le lieu idéal. Les rois iraniens ont tenté d'implanter leurs jardins près de 189 sources et de rivières afin de permettre la croissance de toutes sortes d'arbres fruitiers ; ce motif trouve naturellement ses racines parmi les ethnies iraniennes très anciennes. Les fruits secs et frais étaient considérés comme l'un des dons les plus importants aux dieux. Il s'est donc révélé nécessaire, lors des cérémonies traditionnelles nationales, religieuses ou occasionnelles telles que Norouz, Gahanbâr, Mehregan, Sedeh, Yalda, Govaguiran, Tshaharshanbeh Souri, à l'occasion de la puberté, d'un mariage, etc. d'étendre une nappe, symbole des jardins du paradis et des champs terrestres et d'y déposer de gros récipients remplis de fruits secs et frais ; cette tradition existe encore actuellement chez les Zoroastriens et autres ethnies iraniennes, sous différents prétextes. En réalité, un des plus importants piliers des nappes traditionnelles – coutumières des Zoroastriens était le lork (fruits secs), et Adjil Moshkel gosha pour les nappes d'offrande traditionnelles iraniennes. Vraisemblablement, l'histoire des Adjil Moshkel gosha, que nous traiterons dans la prochaine section, est de très grande importance. Dans le Coran, le livre sacré des Musulmans, quelques versets sont consacrés aux fruits du paradis ; il y est annoncé la bonne nouvelle que les bienfaiteurs auront accès à ces fruits. Les fruits secs et frais présentent donc une grande valeur pour tout le monde et ont su conserver pendant des millénaires leur caractère sacré du fait du soutien religieux. Dans les récits folkloriques, une punition est attribuée aux personnes qui oublient de faire des vœux de Adjil Moshkel gosha ou les critiquent. LE CORAN : LA VACHE - 23 (115) Annonce à ceux qui croient et qui font le bien, qu‘ils habiteront des jardins où coulent des fleuves. Lorsqu‘ils goûteront des fruits qui y croissent, ils diront : Voilà les fruits dont nous nous sommes nourris sur 190 terre. Mais ils n‘en auront que l‘apparence. Là ils trouveront des femmes purifiées. Ce séjour sera leur demeure éternelle. LA FAMILLE D‘IMRAN 13 (147) Dis : Que puis-je annoncer de plus agréable à ceux qui ont la piété, que des jardins arrosés par des fleuves, une vie éternelle, des épouses purifiées et la bienveillance du Seigneur qui a l‘œil ouvert sur ses serviteurs ? (Ibid., 65) LE TONNERRE 35 (284) Les jardins de délices, arrosés par des fleuves, ces jardins, où l‘on trouvera une nourriture éternelle et des ombrages toujours verts, seront le prix de la piété. Les incrédules auront les flammes comme récompense (Ibid., 100). Bagh-é-Shahzadeh, Mahan, près de Kerman. Représentation des ruisseaux d’eau courante du jardin du paradis, 2006 (photo S. Salimian) LE PÈLERINAGE 5 (317) … Considère la terre que la sécheresse a rendue stérile. Nous y versons la pluie. Son sein s‘émeut, et elle produit toutes les plantes qui composent sa richesse et sa parure (Ibid., 120). 191 LA PARURE 71 (169) On leur présentera à boire dans des coupes d‘or. Le cœur trouvera dans ce séjour tout ce qu‘il peut désirer, l‘œil tout ce qui peut le charmer, et ces plaisirs seront éternels (Ibid., 145). 72. Voici le paradis dont vos œuvres vous ont procuré la possession 73. Nourrissez-vous des fruits qui y croissent en abondance (Ibid., 200). LA LUNE 54 – 55 (503) 54. Les justes reposeront dans les jardins de délices, au milieu des ruisseaux. 55. A l‘ombre de la vérité éternelle, sous les yeux du roi Très-Puissant (Ibid., 210). LE MISÉRICORDIEUX 46 – 54 (503) 46. Ceux qui craignent le jugement posséderont deux jardins. 47. Lequel, etc. 48. Ils seront ornés de bosquets. 49. Lequel, etc. 50. Dans chacun d‘eux jailliront deux fontaines. 51. Lequel, etc. 52. Dans chacun d‘eux les fruits divers croîtront en abondance. 54. Les hôtes de ce séjour, couchés sur des lits de soie, enrichis d‘or, jouiront au gré de leurs désirs de tous ces avantages. 62. Près de ces lieux enchantés s‘ouvriront deux autres jardins. 64. Une verdure éternelle formera leur parure. 66. Deux sources jaillissantes en seront l‘ornement. 68. Les dates, les grenades, les fruits divers y seront ressemblés. 69. Lequel des bienfaits de Dieu nierez – vous ? 192 70. Les houris d‘une beauté ravissante embelliront ce séjour. 72. Ces vierges aux beaux yeux noirs seront enfermées dans des pavillons superbes. 74. Jamais homme ni génie n‘aura porté atteinte à leur pudeur (Ibid., 300). Les raisins, les grenades, les olives les dattes et les figues les fruits importants pour les zoroastriens et les musulmans, en particulier pour les musulmans shi’ites iraniens, qui entrent à l’état sec ou frais dans la plupart des cérémonies et les rituels religieux et culturels LE JUGEMENT 27 – 40 (507) 27. Ils se promèneront parmi les arbres qui n‘ont point d‘épines. 28. Et au milieu des bananiers, disposés dans un ordre agréable. 29. Ils jouiront de leur épais feuillage. 193 30. Au bord des eaux jaillissantes. 31. Là une multitude de fruits divers. 32. S‘offrent à la main qui veut les cueillir. 33. Ils reposeront sur des lits élevés. 34. Nous créâmes leurs épouses d‘une création à part. 35. Elles seront vierges. 36. Elles les aimeront et jouiront de la même jeunesse qu'eux. 37. La classe de ceux qui occuperont la droite 38. Sera formée d‘une multitude d‘anciens. 39. Et d‘une multitude de modernes. 40. Quel sera le sort de ceux qui seront relégués à la gauche ? (Ibid., 507). LE JOUR INÉVITABLE 22 – 24 (536) 22. Hôte du jardin élevé. 23. Les fruits s‘offriront à ses désirs. 24. Rassasie – toi des plaisirs qui te sont offerts ; ils sont le prix du bien que tu as fait sur la terre. LE MESSAGER 41 – 44 (551) 41. Les justes seront au milieu des ombrages et des fontaines. 42. Les fruits qu‘ils aiment s‘offriront à leurs désirs. 43. Buvez et mangez à souhait ; jouissez du prix de vos vertus. 44. C‘est ainsi que nous récompensons les bienfaisants. (le Coran, 1995) C'est un Adjil (fruits secs) qu'on offre à l'Imam ou aux saints pour la réalisation des vœux que l‘on formule en offrande à l‘Imam Ali-Ebn-éAbitaleb et c'est pour cette raison qu'on l'appelle aussi Adjil-é Moshkel Gosha Ali. 194 Abdollah Mostoufi écrit : "Adjil-é Moshkel Gosha, qui apparemment est un des aliments votifs de l'époque préislamique, contient des dattes, des raisins secs, des mûres sèches, des amandes décortiquées, des noisettes, des pistaches, des noix et des pois grillés. Celui qui, pour la première fois, fait vœu, doit personnellement prendre un plat et y mettre l'argent nécessaire pour payer le prix d'Adjil et si à la place d'un plat, il prend un mouchoir, il doit mettre cet argent dans le bout de tissu et le nouer ; il le remet au marchand d‘Adjil. Le marchand, dans le plat ou le mouchoir qu'il reçoit, met de chacun des produits nommés la quantité nécessaire et c'est comme cela que se déroule l'achat d'Adjil, sans qu'aucun d'eux (vendeur et acheteur) ne prononce une parole. Cet Adjil, doit être purifié par deux ou trois personnes. On coupe aussi les dattes en petits morceaux de la taille des raisins secs et pendant ce fait, celui qui a fait vœu, doit raconter l‘événement qui a causé l'exaucement de son vœu et il doit expliquer comment il a aspiré à ce que ce vœu soit exaucé. Après chacune de ses phrases, les personnes qui sont venues l'aider, doivent lui dire : " Que Dieu exauce votre vœu !» Ensuite cet Adjil doit être distribué. L'exemplaire de cet Adjil contient sept pièces principales tels que : pois grillés, raisins secs verts, mûres sèches, dattes, noisettes, amandes décortiquées, petites dragées sucrées (noghl) et quelquefois on ajoute des figues sèches. Quelques groupes de croyants ont des vœux ou des offrandes habituelles. Par exemple, le premier jour de chaque mois lunaire ou le soir du dernier jeudi de chaque mois lunaire, ils achètent pour trois à cinq rials de l‘Adjile Moshkel Gosha. Dans ce cas cet Adjil ne contient que des pois grillés et des raisins secs et quelques dattes. Dans ces cas, la quantité d'Adjil 195 ni son prix n'importent. (Mostoufi, 1965, 287) En ce qui concerne Adjile Moshkel Gosha, Hedayat a écrit : "Pour l'exaucement des vœux et pour éloigner les malheurs, pendant sept mois à raison d‘une fois par mois, on doit acheter et distribuer le Adjile Moshkel Gosha … Le premier mois, un vendredi, il faut attacher cent Dinars au bout d'un mouchoir et le donner à un marchand d‘Adjil ; celui-ci comprendra lui-même et vous donnera du Adjil." [Neyranguestan] Hedayat énumère sept éléments qui composent l‘Adjile Moshkel Gosha soit : datte, pistache, noisette, amande effilée, pois grillé, raisin sec, mûre sèche et il insiste sur le fait qu‘il faut les distribuer entre sept personnes. "Amande effilée" que nous notons chez Hedayat, nous suggère que les autres éléments comme pistaches et noisettes ne seraient pas décortiqués, mais nous savons que tous les éléments de l‘Adjil sont entiers. Un autre point auquel on doit faire attention, c'est que Adjile Moshkel Gosha doit être acheté dans un magasin qui se situe dans la direction de la Mecque. (Hedayat, 1963: 61) Ibrahim Shakourzadeh (dans "Les croyances et les coutumes populaires du peuple de Khorassan") écrit à ce propos : "Celui qui est pris dans le pétrin des événements et des mésaventures ou bien qui est atteint d'un malheur ou d'un problème, fait vœu que si jamais il est libéré de son malheur ou que si son problème se résout, tout au long de sa vie, une fois par mois ou par semaine, il achètera pour trois sous de Moshkel Gosha ou d‘Adjile Moshkel Gosha." IL ajoute que ces trois « sous » sont des monnaies en usage dans le pays, par exemple trois pièces de 10 Shahi ou d'un Rial ou de deux Rials ou de cinq Rials. (Sans doute, aujourd‘hui dépendant de l'époque, on doit y ajouter des pièces de 10 et de 20 Rials et se passer des trois premières qui n'ont plus d'usage dans l'économie actuelle). Shakourzadeh a fait remarquer 196 que "si celui qui fait vœu, n'a pas assez d'argent, il pourra choisir la plus petite pièce courante du pays et se contenter d'acheter seulement des pois grillés (salés)." Le Adjile Moshkel Gosha doit être préalablement purifié lors d‘une cérémonie spéciale. La cosse du pois, le pétiole du raisin sec, le noyau de la datte et autres surplus, doivent être enlevés et on les met dans un endroit sûr pour s‘assurer qu'ils ne soient pas en contact avec les pieds et les mains et ensuite on les lave avec de l'eau courante (qanât). On croit aussi que purifier les fruits secs apporte des bienfaits et pour cette raison, n'importe qui peut aider les autres à purifier et à nettoyer les Adjil. La cérémonie de la purification et du nettoyage commence en prononçant sept fois le "Salavat", et il est entendu que purifier aussi bien que manger le Adjil, pour les personnes qui ne font pas leurs prières quotidiennes (comme les femmes en période de menstruation) est un péché. Ce qu'il ne faut jamais oublier, c'est que l'une des personnes qui vient aider à la purification, doit raconter le conte de "Baba Khar kan" ou cours de la cérémonie (Shakourzadeh, 1984, 41). Voir également la version de H. Massé page 258. 3-2-13 Dans un conte téhéranais, on raconte : Introduction sur les nouvelles folkloriques récitées lors des nappes d’offrandes votives : Les nappes religieuses votives zoroastriennes 70 et certaines nappes votives shi‘ites71 sont accompagnées de récits qui en fait sont des versions différentes des mêmes histoires. Comme elles sont très anciennes, il existe 70- Dans sa thèse, E. Phalippou a expliqué la majorité des récits des nappes d‘offrandes zoroastriennes en Inde et en Iran ; il a également comparé les diverses versions des récits des nappes. 71- Il n‘y a pas de récits légendaires dans les nappes importantes telles que sofreh Hazrat-é Fatémeh Zahra, de Hazrat-é Roghieh, de Hazrat-é Abolfazl, de Hazrat-é Ali Asghar, de Hazrat-é Ghassem…, mais on y fait le récit de leur tragédie, de leurs souffrances à Médine (Hazrat-é Fatémeh Zahra) ou à Karbala (les autres), qu‘on expose sous forme de Rozeh. 197 des versions variées selon les régions. Selon V. Propp « les légendes populaires n‘ont aucune indication de date et de durée. Dans toutes les civilisations, l‘Homme a produit et écouté des récits. Les narrations populaires sont adaptées à l‘environnement social, et de ce fait, bien que très anciennes, elles sont toujours d‘actualité. Les idées de ces nouvelles sont cachées dans l‘inconscient de l‘Homme, mais sont également ancrées dans les profondeurs de la culture. Elles subissent des changements continuels et ont de nouvelles interprétations. » (V. Propp, 2007,1). Ce fait explique la grande diversité de versions de récits contés dans les nappes zoroastriennes et shi‘ites. Ces récits présentent de nombreuses ressemblances avec la destinée de personnages mythologiques racontée dans les cérémonies et les rites. « Si nous étudions les rites comme appartenant à la religion, nous pouvons oublier leur côté mythique. De nombreux écrits expliquent la relation existant entre les nouvelles traitant de fées et les mythes » (Ibid., 196). Les nouvelles gravitent autour de deux sujets principaux de la vie : le premier concerne les besoins matériels quotidiens de l‘Homme comme le besoin de se nourrir, les besoins sexuels, l‘habillement, la recherche de travail, d‘une habitation…, le deuxième est relatif aux besoins spirituels, comme le pardon des péchés, l‘éloignement du feu de l‘enfer, l‘entrée au paradis (on peut citer le doây-é tavassol dont on a parlé p. 169). Du fait de l‘engagement des femmes dans l‘organisation et la réalisation des vœux des nappes, les personnages principaux des récits sont également des femmes. Oublier un engagement se révèle être un péché impardonnable. Le récit, en réalité est une clochette qui résonne annonçant le commencement et la réalisation de la nappe ou des rites religieux pour rappeler aux participantes leur responsabilité dans leur bon déroulement72. 72- Pendant le déroulement de la nappe, l‘organisatrice ou l‘hôtesse raconte le récit, et elle frappe un bol en métal avec une cuiller tenant le rôle d‘une clochette pour rappeler leur responsabilité vis-à-vis du vœu. 198 « Il faut comparer le récit des Fées aux rites et au déroulement des cérémonies afin de découvrir à quel motif ils se rapportent et la relation existant entre eux » (Ibid., 193). Les récits des nappes : ―Partout où l‘on allait, il y avait un chemin‖ ―Partout où l‘on arrachait, il y avait des épineux‖ ―Sa clé était entre les mains du souverain tout-puissant‖ Il était une fois, un pauvre homme nommé Baba Khar Kan qui vivait avec sa femme et sa fille dans une minuscule maison en dehors de la ville. Les matins, il s‘en allait arracher des épineux, il en rassemblait un fardeau et les transportait à la ville pour les vendre. Avec l‘argent gagné, il achetait de la nourriture et la rapportait chez lui. Il mangeait avec sa femme et sa fille et tous remerciaient Dieu. Un matin, avant d‘aller ramasser des épineux, Baba Khar Kan eut envie de fumer le narguilé. Il dit à sa fille : ― Ma chère petite, prépare-moi un narguilé que je fumerai et ensuite je m‘en irai au travail ! » La petite Sénalla prépara le narguilé, mais vit qu‘il n‘y avait pas de feu. Elle alla chez leur voisin pour en demander, quand elle remarqua qu‘il y avait plein de monde chez eux. Des gens étaient assis tout autour de la pièce et contaient des histoires en triant et nettoyant des pois grillés et des raisins secs. Elle salua et dit : « Je suis venue vous demander un tout petit peu de feu pour préparer le narguilé pour mon père.» La femme du voisin répondit : «Assieds-toi un moment. Nous sommes en train de trier de l‘Adjil-é Moshkel Gosha. Si tu veux, fais un vœu comme moi, d‘acheter deux sous d‘Adjil-é Moshkel Gosha pour dénouer les nœuds dans les affaires de ton père et que ses difficultés soient résolues.» 199 La fille de Baba Khar Kan s‘assit et commença à aider les autres à purifier et à nettoyer l‘Adjil-é Moshkel Gosha. Quand ils eurent terminé et qu‘ils eurent lu aussi le Faté-al Ketab (La première sourate du Coran), elle prit sa part d‘Adjil et avec son feu, elle rentra à la maison. Sur le chemin du retour, elle fit vœu que si tout marchait bien et comme il faut pour son père, elle ferait une offrande en achetant deux sous d‘Adjile Moshkel Gosha, comme la femme du voisin. Quand elle arriva chez elle, Baba Khar Kan commença à crier : « Ô fille sans intérêt ! Quérir un peu de feu t‘a demandé bien longtemps. Tu as mis si longtemps que j'ai complètement raté ma journée de travail !» La fille répondit : « Ça ne fait rien papa. En revanche, je t‘ai rapporté de l‘Adjile Moshkel Gosha. J‘ai fait le vœu que si tout changeait pour de bon pour nous, j‘achèterais chaque mois deux sous d‘Adjile Moshkel Gosha. » Baba Khar Kan fuma le narguilé que sa fille lui avait préparé et s‘en alla travailler. Malgré le retard qu‘il avait pris pour commencer sa journée de travail, il put arracher et rassembler un grand tas d‘épineux. Pendant qu‘il arrachait ceux-ci et qu‘il les entassait les uns sur les autres, il vit un très grand buisson d‘épineux et il se dit : - Bon, j‘arracherai ce dernier buisson et ce sera suffisant pour aujourd‘hui. Il prit la racine du buisson et tira avec force et arracha les épineux de la terre, quand tout à coup, en dessous, il vit un rocher. Il invoqua le nom de l‘Imam Ali et poussa le rocher de côté et il vit un escalier s'enfonçant dans le sol. Il pensa qu‘il y avait certainement quelque chose en bas. Il invoqua Dieu et commença à descendre les marches jusqu‘à ce qu‘il arrive dans une cave. Il regarda de tous les côtés et il dit : «Oh là là ! Quelle bénédiction !‖. Dans la cave, il y avait douze jarres ―Khosravi‖, pleines de bijoux, de perles, d‘émeraudes et de topazes ; sur chaque jarre, il y avait un 200 bijou étincelant, aussi gros qu‘un œuf de pigeon, qui brillait comme le soleil et qui éclairait la cave comme en plein jour. Chacun de ces bijoux aurait suffi pour payer les rançons de sept pays pendant sept années. Il fut très heureux ; il prit un de ces bijoux, sortit de la cave, remit le rocher à sa place et s‘en alla vers la ville. C‘est au coucher du soleil qu‘il arriva en ville. Il s‘en alla directement au marché des bijoutiers et dans une bijouterie il vendit très cher son bijou. Le soir-même, il acheta tout ce dont il avait besoin pour la maison comme des casseroles, une cocotte, un chaudron, un tapis, une lampe, … tout ce qu‘il fallait pour manger et pour s‘habiller et même le superflu ce qui jusqu‘alors avait été impossible … il acheta tout cela et le mit sur le dos de sept portefaix auxquels il dit : « Portez tout cela à tel endroit, telle adresse et dites que le propriétaire vous suit et arrivera juste derrière vous.» Quand la fille de Baba Khar Kan vit les portefaix, elle ouvrit de grands yeux, soupira et dit : "Mon Dieu ! De l‘or chez les pauvres ! Plaise à Dieu! Mais pour nous rien de tel ne peut arriver, vous vous êtes trompés d‘adresse !" Les portefaix insistent et la fille de Baba Khar Kan persiste jusqu‘à ce que les portefaix s‘énervent et soient sur le point de repartir quand survient Baba Kar Khan. Les voyant, il dit : «Allons donc ! Pourquoi avez-vous tant fait attendre ces pauvres bougres sous leurs fardeaux ?» La fille et sa mère, étonnées, se levèrent pour aider à ranger les denrées et les objets. Les portefaix reçurent leur argent et leurs pourboires et ils repartirent. Ensuite, Baba Khar Kan s‘assit et en prenant tout son temps, il raconta à sa femme et sa fille l‘aventure de l‘exploitation de son trésor. Enfin il dit : «Bon, enfin c‘est notre tour ! Nous sommes sauvés de la misère. Maintenant, notre seul problème c‘est que je ne sais pas comment 201 cacher tous ces bijoux pour que personne ne s‘en aperçoive.» La fille dit : « Bah ! Mais ce n‘est pas un grave problème, ce n‘est pas difficile père : d‘abord on construit un mur tout autour du terrain où se trouve le trésor. Ensuite, nous prendrons chaque fois quelques bijoux et petit à petit nous les vendrons. Enfin nous construirons un beau château là-bas, un château si grand et si haut qu‘il touchera le ciel !» Et ils firent ainsi et tout se déroula comme l‘avait dit la jeune fille. Un jour, le roi du pays avec ses ministres vint à passer par-là en allant à la chasse. Soudain, il se trouva devant le château du Baba Khar Kan et en voyant ce lieu fabuleux, il fut très étonné et dit : «Oh là là ! Quel château ! Quel château merveilleux ! A qui appartient ce château ?». Son entourage lui répondit : «Que votre majesté soit en bonne santé ! Que Dieu nous entende, ce château a été construit récemment et on ne connaît pas bien son propriétaire. On dit seulement qu‘il appartient à un homme qui s‘appelle Lalé Sodagar.» Le roi consulta deux de ses ministres qui étaient à sa droite et à sa gauche et l‘un d‘eux dit : «Qu‘il plaise à votre Majesté, si vous permettez, sous prétexte de demander de l‘eau, nous allons nous rapprocher du château et frapper à la porte pour avoir des nouvelles, savoir ce qui s‘y passe, connaître le propriétaire et son métier.» Tout le monde apprécia cette idée. Ils s‘avancèrent devant la porte et frappèrent : « Sa Majesté le Roi est venu ici pour chasser et il a soif. Pourriez-vous lui offrir un gobelet d‘eau ?» Baba Khar Kan, qui par hasard, était venu lui-même à la porte, fit une grande révérence et dit : «Bien sûr, volontiers et avec plaisir !». Il courut chercher parmi le trésor un verre en or décoré de beaucoup de 202 bijoux ; il le remplit d‘un sirop sucré qu‘il rafraîchit avec l‘eau de rose et l‘apporta pour le roi. Quand le roi but cette eau, il jeta un coup d‘œil au verre et dit : «Quel joli verre, on ne peut trouver un tel verre même dans les trésors d‘un roi tel que moi !» Promptement, Baba Khar Kan fit une autre révérence et dit flatteusement : « Sire, il vous appartient !» Le roi, très content, demanda : «A qui appartient ce château ? » Baba Khar Khan répondit : «Qu‘il plaise à votre Majesté. Ce château appartient à votre vieux serviteur, Lalé Sodagar.» Le roi retourna à son palais. Sa fille remarqua qu‘il était rentré bien tôt de la chasse et lui dit : « Sire, mon père, pourquoi êtes-vous rentré si tôt ?» Le roi raconta à sa fille les événements passés par le menu. La princesse que était très seule et n‘avait aucune compagnie lui dit : «Oh ! Si seulement vous aviez demandé si ce Lalé Sodagar avait une fille de mon âge, qu‘elle puisse venir ici pour être ma demoiselle de compagnie !» Promptement le roi manda s‘enquérir et ses envoyés rapportèrent à la princesse que Lalé Sodagar avait bien une fille si belle que les rayons du soleil et de la lune devraient faire la révérence devant sa beauté et qu‘elle serait parfaite pour être la demoiselle de compagnie de la fille du roi. A cette nouvelle, la princesse devint très contente. Elle envoya chercher la fille de Lalé Sodagar. Celle-ci prit quelques bijoux et elle s‘apprêtait à partir chez le roi quand sa mère lui dit : «Chère petite, n‘oublie pas en revenant, d‘acheter deux sous d‘Adjile Moshkel Gosha pour que ton vœu s‘exauce.» Mais la fille, qui ne pensait qu‘à sa rencontre avec la princesse et qui était pressée d‘arriver le plus vite possible au palais du roi, répondit : «Que dis-tu dis mère ? C‘est quoi cet Adjile Moshkel Gosha ? Laisse-moi ! Tu ne 203 sais pas que le raisin sec est trop chaud73 et le pois grillé trop lourd 74 !» Cela dit, elle s‘en alla chez la fille du roi. En peu de mots, je vous dirais que la fille de Lalé Sodagar plût beaucoup à la fille du roi, tant et si bien qu‘après leur première rencontre, elles devinrent comme une âme dans deux corps et elles se languissaient l‘une de l‘autre. Un jour la princesse dit à la fille de Lalé Sodagar : « Ma Sœur ! Tu as bien fait de venir. Je souhaite aller au hammam et tu vas m‘accompagner.» La fille de Lalé Sodagar répondit : «Non ma sœur, j‘ai déjà pris mon bain il y a une heure.» La fille du roi lui dit : «Soit, alors accompagne-moi là-bas et tu m‘attendras au vestiaire du hammam. S‘il te plaît, garde-voie mon collier de perles jusqu‘à ce que je sorte du bain.» Quand la fille du roi se déshabilla et entra dans le bain, l‘autre s‘assit dans le vestiaire. Elle regardait par-ci, par-là, quand tout à coup elle vit un oiseau en bois attaché au mur et comme sa main transpirait et était humide à cause du collier, elle le pendit ou cou de l‘oiseau en bois. Après quelques minutes, tout à coup, elle remarqua que l‘oiseau en bois, avec le pouvoir de Dieu, était devenu vivant et qu‘il commençait à avaler petit à petit le collier de la princesse. Voyant cela, la fille de Lalé Sodagar devint émue et, hébétée, elle regarda et regarda, sans mot dire, jusqu‘à ce que l‘oiseau eût avalé tout le collier. La fille du roi sortit du bain et réclama son collier. La fille de Lalé 73- Selon la médecine traditionnelle iranienne, la nourriture est considérée comme étant chaude ou froide ; les aliments chauds sont ceux très caloriques comme le miel, les dattes, le concentré de jus de raisin, la confiture, les raisins secs, les pistaches, les noix… sont considérés comme froids, les aliments acides qui diminuent la température corporelle et la tension artérielle, comme la pastèque, les concombres, les pickles, le vinaigre, le poisson, le riz, le yaourt. 74- Difficile à digérer. 204 Sodagar commença à rire et dit : «L‘oiseau en bois a mangé et a avalé ton collier !» La princesse lui dit : «Ne plaisante pas ma sœur, est-ce qu‘un oiseau en bois peut manger quelque chose ?» La fille de Lalé Sodagar qui ne pouvait s‘empêcher de rire, dit : «Je te jure qu‘il l‘a avalé !». La fille du roi rétorqua : «Mais comment se peut-il qu‘il l‘ait avalé ?» La fille de Lalé Sodagar lui dit : «Il n‘y a pas de comment, il l‘a avalé tout simplement… comme ça grain après grain jusqu‘à la fin.» La princesse dit : «Ne dis pas n‘importe quoi ! Ce collier coûtait bien sept ―Lak‖… ou bien tu me le donnes maintenant ou bien je vais dire à mon père de vous mettre en prison tes parents et toi, afin que tu me le rendes ! ». Mais la fille de Lalé Sodagar de jurer : « Je jure sur Dieu, je jure sur Dieu, que je ne veux pas ton collier. Seulement comme ma main était moite à cause de l‘humidité, je l‘ai pendu au cou de l‘oiseau en bois, celui-ci a commencé à se mouvoir et à avaler le collier.» Bref, j'abrège pour ne pas trop vous fatiguer … Les soldats du roi partirent bien vite s‘emparer des parents de la jeune fille, ils les menèrent sans ménagement au palais et ils les emprisonnèrent tous trois. Ensuite, ils repartirent pour confisquer les biens de Lalé Sodagar. Pendant ce temps, en prison, que se passait-il ? Dans la cellule, la mère se tourna vers sa fille et lui dit : « Tu as fait un vœu avec l‘Adjile Moshkel Gosha pour que le métier de ton père change et le Bon Dieu a changé notre vie et le travail de ton père. Mais toi, fille ingrate, quand tu as reçu l‘argent et les biens, tu as tout oublié ! Je t‘ai rappelé plusieurs fois ton vœu, mais tu n‘as pas écouté, tu as dit que le raisin sec est trop chaud, le pois grillé trop lourd et voilà, tu nous as remis dans la misère et tu nous as rendus malheureux. Maintenant, c‘est bien fait pour toi ! Tu t‘es rendue 205 malheureuse comme nous, sans fortune !» Quand la jeune fille entendit ces paroles, elle commença à pleurer à chaudes larmes et elle pleura, elle pleura tant, qu‘elle s‘endormit. Elle fit un rêve. Elle rêva d‘un seigneur d‘une clarté divine portant des mules vertes, un châle, une robe et un turban verts qui vint près d‘elle et la toucha avec sa canne et lui dit : «Ô ! Inconsciente ! Ta mère t‘a dit de réaliser ce que tu avais promis si ton vœu était exaucé, mais tu as douté. C‘est la punition de ton mauvais esprit ! Maintenant, lève-toi, cherche dans le chambranle de la porte de la prison, sous le verrou de la porte, tu trouveras un sou. Prends-le et achète du Adjile Moshkel Gosha et accomplis ta promesse !» Tout à coup, elle se réveilla et songea : - Allons donc ! Mais est-ce qu‘une chose pareille peut être vraie ? Mais que ferait cet argent sous le verrou de la porte ? Je crois que c‘est à cause de mes pensées que j‘ai fait ce rêve ! Se disant cela, elle se rendormit mais elle fit le même rêve. Cette fois, elle se réveilla épouvantée et elle alla vers la porte pour regarder sous le verrou. Elle chercha dans les couches de poussière couvrant la porte et trouva le sou et vit que le geôlier était là. Elle mit sa bouche près de la serrure, appela le geôlier et dit : «Que Dieu te bénisse, frère ! S‘il te plaît, fais un effort : prend ce sou et achète pour moi des raisins secs et des pois grillés.» Le geôlier lui répondit : «Quelle audace, jeune fille ! Au milieu de tous ces malheurs, tu as envie de pois grillés et de raisins secs ? Ou alors, tu veux te débarrasser de moi et t‘enfuir ? … Non, je ne ferai pas ça !» Après quelques minutes, on entendit dans la ruelle derrière le mur de la prison, le bruit du galop d‘un cheval. La fille courut vers la fenêtre et demanda la même chose au cavalier. Mais le cavalier n‘accéda pas non plus 206 sa demande. Plus tard, elle vit une vieille passer dans la ruelle. La fille l‘appela par la fenêtre et lui dit : «La mère ! S‘il vous plait, achetez pour moi du Adjile Moshkel Gosha avec ce sou, pour que je puisse accomplir ma promesse et exaucer mon vœu.» La vieille lui répondit : «Mon fils est en train de mourir, ma fille. Mais d‘accord, je vais t‘acheter ce que tu veux. Moi-même, j‘ai fait la promesse que si mon vœu de ne pas voir mon fils mourir est exaucé, chaque mois j‘achèterai un sou d‘Adjile Moshkel Gosha.» La vieille s‘en alla acheter ce qu‘avait demandé la jeune fille, l‘apporta à la prison et le lui donna. La jeune fille s‘assit et commença à trier et à nettoyer le Adjil. Enfin, elle lut le Fatéhé75 et elle était en train de donner sa part à la vieille dame quand quelqu‘un arriva essoufflé et dit à celle-ci : «Qu‘est-ce que tu fais ici ? Viens, ton fils est sauvé de la mort, il est guéri et t‘appelle.» Écoutons l‘autre partie de l‘histoire : La fille du roi était dans le vestiaire du hammam en train d‘enlever ses vêtements. Tout à coup, elle jeta un coup d‘œil à l‘oiseau en bois et vit que par le pouvoir de Dieu, l‘oiseau ouvrit son bec et en sortit une des perles du collier, puis une autre et une autre et encore une autre… et ainsi tout le collier sortit de son bec sauf la dernière perle !… La princesse insista pour la faire sortir mais elle n‘en sortit pas ! On rapporta la nouvelle au roi ; on lui dit que l‘oiseau en bois avait rendu le collier à l‘exception de la dernière perle qu‘il avait gardée dans son bec et qu‘il ne la rendait pas ! Le roi dit : «Si je ne me trompe pas, il y a un secret dans ce fait que je dois découvrir !» 75- Fatéhé : prière composée de l‘adoration de Dieu, puis, récitation de trois fois de la sourate « Tohid » qui clame l‘unicité de Dieu. 207 Il envoya chercher la fille de Lalé Sodagar ainsi que ses parents à la prison et la jeune fille lui raconta toute l‘histoire. Enfin, elle dit : «Oui, Mon Seigneur ! Comme j‘ai douté du Adjile Moshkel Gosha, tous ces malheurs nous sont arrivés !» Le roi tout heureux, lui dit : « Bien, alors, faites un vœu aussi pour moi pour que ma couronne et mon pouvoir soient éternels.» La princesse et la fille de Baba Khar Kan s‘embrassèrent sur la joue et quand Baba Khar Kan avec sa femme et sa fille partirent, en arrivant ils virent qu‘à l‘aide du pouvoir de Dieu, encore une fois, leur château et tous leurs biens étaient revenus à leurs places et Baba Khar Kan redevint Lalé Sodagar. Comme le Bon Dieu a exaucé leurs vœux, qu‘Il lui plaise d‘exaucer les nôtres aussi ! ―Partout où on allait, il y avait un chemin‖ ―Partout où on arrachait, il y avait des épineux‖ ―Sa clé était entre les mains du souverain tout-puissant‖ Fatéhé !76 76- Ce sont deux sourates coraniques récitées pour le repos des morts. 208 Quatrième Partie : ANALYSE DES DONNEES STATISTIQUES 4-1 Enquête : 1. Nom et prénoms (facultatif) : …………………………………. Cocher la (les) case(s) □ utile(s) 2. Situation familiale : célibataire 3. Age : □ marié □ □ □ □ □ □ moins de 20 ans entre 20 et 25 ans entre 25 et 35 ans entre 35 et 45 ans plus de 45 ans 4. Profession : □ □ □ □ □ □ Fonctionnaire Libérale Ménagère Retraitée Lycéenne /étudiante Demandeuse d‘emploi 5. Niveau d'éducation : Inférieur au baccalauréat Baccalauréat BTS Licence Maîtrise Doctorat Études théologiques □ □ □ □ □ □ □ 209 1. Avez-vous déjà organisé des nappes votives ? oui □ non □ 2. Combien de nappes votives avez-vous déjà organisées ? 1 fois □ 2 à 5 fois □ plus de 5 fois □ 3. A quelle intention avez-vous organisé cette∕ces nappe∕s votive∕s : Guérison de malades □ Satisfaction de besoins matériels □ Résolution de problèmes professionnels □ Réussite d'un mariage □ Libération de prisonniers □ Ensemble de ces intentions □ 4. Quel type de nappe votive avez-vous surtout organisée ? Hazrat-é Abbas □ Hazrat-é Fatémeh □ Hazrat-é Roghieh □ Imam de ce Temps □ Hazrat-é Ali Asghar □ Toutes □ 5. Avez-vous déjà participé à une nappe votive ? oui □ non □ 210 6. Si vous avez répondu positivement à la question 5, jusqu'à présent, combien de fois avez-vous participé à une nappe votive ? 1 fois □ 2 à 5 fois □ plus de 5 fois □ 7. Combien de types de nappes votives connaissez-vous ? 1 □ 2à4□ 5□ plus de 5 types □ 8. A quel type de nappe votive avez-vous surtout pris part ? Hazrat-é Abbas Hazrat-é Fatémeh Hazrat-é Roghieh Imam de ce Temps □ □ □ □ □ Hazrat-é Ali Asghar 9. A votre avis, à quelle intention une nappe votive pour Hazrat-é Abbas est-elle associée ? Guérison de malades Satisfaction de besoins matériels Résolution de problèmes professionnels Réussite d'un mariage Libération de prisonniers □ □ □ □ □ □ Ensemble de ces intentions 10. A votre avis, à quelle intention une nappe votive pour Hazrat-é Fatémeh est-elle associée ? Guérison de malades Satisfaction de besoins matériels Résolution de problèmes professionnels Réussite d'un mariage Libération de prisonniers Ensemble de ces intentions □ □ □ □ □ □ 211 11. A votre avis, à quelle intention une nappe votive pour Hazrat-é Roghieh est-elle associée ? Guérison de malades Satisfaction de besoins matériels Résolution de problèmes professionnels Réussite d'un mariage Libération de prisonniers Ensemble de ces intentions □ □ □ □ □ □ 12. A votre avis, à quelle intention une nappe votive pour l'Imam de ce Temps est-elle associée ? Guérison de malades Satisfaction de besoins matériels Résolution de problèmes professionnels Réussite d'un mariage Libération de prisonniers Ensemble de ces intentions □ □ □ □ □ □ 13. A votre avis, à quelle intention une nappe votive pour Hazrat-é Ali Asghar est-elle associée ? Guérison de malades Satisfaction de besoins matériels Résolution de problèmes professionnels Réussite d'un mariage Libération de prisonniers Ensemble de ces intentions □ □ □ □ □ □ 212 14. Quel type de nappe votive est organisé pour satisfaire les besoins matériels ? Hazrat-é Abbas Hazrat-é Fatémeh Hazrat-é Roghieh Imam de ce Temps Hazrat-é Ali Asghar Tous types réunis □ □ □ □ □ □ 15. Quel type de nappe votive est organisé pour obtenir la guérison des malades ? Hazrat-é Abbas Hazrat-é Fatémeh Hazrat-é Roghieh Imam de ce Temps Hazrat-é Ali Asghar Tous types réunis □ □ □ □ □ □ 16. Quel type de nappe votive est organisé pour résoudre les difficultés ? Hazrat-é Abbas Hazrat-é Fatémeh Hazrat-é Roghieh Imam de ce Temps Hazrat-é Ali Asghar Tous types réunis □ □ □ □ □ □ 213 17. Quel type de nappe votive est organisé pour la réussite d'un mariage ? □ □ □ □ □ □ Hazrat-é Abbas Hazrat-é Fatémeh Hazrat-é Roghieh Imam de ce Temps Hazrat-é Ali Asghar Tous types réunis 18. Quel type de nappe votive est organisé pour la libération de prisonniers ? □ □ □ □ □ □ Hazrat-é Abbas Hazrat-é Fatémeh Hazrat-é Roghieh Imam de ce Temps Hazrat-é Ali Asghar Tous types réunis 19. Connaissez-vous des nappes votives particulières devant être organisées un jour précis de la semaine ou du mois ? oui □ non □ sans opinion □ Si la réponse est positive, précisez lesquelles : ………………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………… 20. Connaissez-vous des nappes votives particulières devant être organisées à un moment précis ? oui □ non □ sans opinion □ 214 Si la réponse est positive, précisez lesquelles : ………………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………… 21. D'après vous, dans quelle tranche d'âge les croyances dans les nappes votives sont-elles les plus fortes ? Les jeunes □ les personnes âgées □ l‘âge sans importance □ 22. D'après vous, existe-t-il une concurrence dans l'organisation d’une nappe votive ? oui □ non □ sans opinion □ 23. D'après vous, est-il apparu un déploiement de luxe dans les nappes votives ? oui □ non □ sans opinion □ 24. D'après vous, les nappes votives ont-elles été détournées de leur vocation première ? oui □ non □ sans opinion □ 25. D'après vous, faut-il encourager les autres à organiser des nappes votives ? oui □ non □ sans opinion □ 26. D'après vous, les nappes votives présentent-elles un côté social ? oui □ non □ sans opinion □ 27. Ne considérez-vous pas que les nappes votives comme étant non seulement un gaspillage, mais aussi approuvées par la tradition ? oui □ non □ sans opinion □ 215 28. Peut-on remplacer des nappes votives par d'autres vœux ? oui □ non □ sans opinion □ 29. Avez-vous participé à des nappes votives auxquelles assistaient des hommes ? oui □ non □ 30. Que pensez-vous de la participation des hommes aux nappes votives ? favorable □ défavorable □ 31. Avez-vous jusqu'à présent organisé une nappe votive pour laquelle le vœu a été exaucé ? oui □ non □ 34. À quelle nappe ce vœu était-il lié ? Hazrat-é Abbas Hazrat-é Fatémeh Hazrat-é Roghieh Imam de ce Temps Hazrat-é Ali Asghar □ □ □ □ □ 35. En cas de réponse affirmative à la question 31, quelle était l'intention de la nappe votive ? Guérison de malades Satisfaction de besoins matériels Résolution de problèmes professionnels Réussite d'un mariage Libération de prisonniers Ensemble de ces intentions □ □ □ □ □ □ 216 4-2 Echantillons et procédés d'échantillonnage : 80 questionnaires d'enquête ont été distribués parmi les étudiantes de 3ème et 4ème années de l'Université Azad Islamique, Faculté des Sciences, département d'Anthropologie. Il leur a été demandé d'y répondre en famille, c'est-à-dire avec leurs grands-mères, mères et sœurs. Les réponses dépouillées ont été soumises à un traitement statistique, puis les résultats ont été présentés sous forme de graphiques. 4-3 Analyse des données : 1.Parmi les 80 individus constituant la population de l'enquête statistique ayant répondu à l'enquête, 65 personnes, soit 81% de l'ensemble des participantes, ont jusqu'à présent organisé des nappes d'offrande, et 15 personnes, soit 19% du total des participantes, ne l'ont jamais fait. Non 19% 70 60 50 40 30 20 Oui 81% 10 0 Series1 Oui Non 65 15 Diagrammes 1 : Nombre de personnes ayant organisé des nappes d'offrandes et de celles n'en ayant jamais exécuté. 2.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 22 personnes, soit 34% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande une seule fois, 30 personnes soit 46% de l'ensemble des participantes, de 2 à 5 fois, et 13 personnes, soit 20% de l'ensemble des participantes, plus de 5 fois. 217 Plus de 5 fois 20% 1 fois 34% 30 25 20 15 10 5 2-5 fois 46% 0 1 Fois 2-5 Fois Plus de 5 Fois 22 30 13 Series1 Diagrammes 2 : Nombre de fois que les participantes ont organisé des nappes d'offrande. 3.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 12 personnes, soit 17% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande en vue de la guérison de malades, 10 personnes, soit 14% de l'ensemble des participantes, en vue de la satisfaction de besoins matériels, 40 personnes, soit 57% de l'ensemble des participantes, pour la résolution de problèmes professionnels, 2 personnes, soit 3% de l'ensemble des participantes, pour la réussite d'un mariage, 1 personne, soit 1% de l'ensemble des participantes pour la libération d'un prisonnier, et 6 personnes, soit 8% de l'ensemble des participantes, pour l'ensemble de toutes ces intentions. libération d'un Prisonnier 1% l'ensemble 8% 40 Guérison de malades 17% 30 25 20 réussite d un mariage 3% résolution de problèmes 57% 35 15 10 besoins matériels 14% 5 0 Series1 Guerison besoins de malades Materiels 12 10 resolution de reussite d un problemes mariage 40 2 liberation d'un l'ensemble Prisonnier 1 6 Diagrammes 3 : Intentions pour lesquelles les participantes ont organisé des nappes d'offrande. 218 4.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 31 personnes, soit 48% de l'ensemble des participantes, ont organisé un nappe d'offrande en l'honneur de Hazrat-é Abbas, 2 personnes, soit 3% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande en l'honneur de Hazrat-é Fatémeh, 30 personnes, soit 46% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande en l'honneur de la Hazrat-é Roghieh, et 2 personnes, soit 3% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour l'Imam Zaman (12ème Imam, l'Imam caché). Imam caché 3% Saint Ali Asghar 0% 35 L' ensemble 0% 30 25 20 15 10 Sainte Roghieh 46% 5 Sainte Fatima 3% Saint Abbas 48% 0 Series1 sainte Abbas Sainte Fatima 31 2 Sainy L'imam Sainte Ali Roghieh Cache Asghar 30 2 0 l'ensemble 0 Diagrammes 4 : Différents types de nappes d'offrande organisées par les participantes. 5.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 77 personnes, soit 96% de l'ensemble des participantes, ont pris part à une nappe d'offrande, et 3 personnes, soit 4% de l'ensemble des participantes n'y ont jamais participé. Non 4% 80 70 60 50 40 30 20 Oui 96% 10 0 Series1 Oui Non 77 3 Diagrammes 5 : Nombre de participantes qui ont participé aux nappes d'offrande. 219 6.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, ont participé à une nappe d'offrande 1 seule fois, 33 personnes, soit 41% de l'ensemble des participantes, l'ont fait de 2 à 5 fois, et 42 personnes, soit 53% de l'ensemble des participantes, l'ont fait plus de 5 fois. 1 fois 6% 50 40 30 20 10 Plus de 5 fois 53% 2-5 fois 41% 0 Series1 1 Fois 2-5 Fois Plus de 5 Fois 5 33 42 Diagrammes 6 : Nombre de participations aux nappes d'offrande. 7.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 4 personnes, soit 5% de l'ensemble des participantes, connaissent un seul type de nappe d'offrande, 46 personnes, soit 57% de l'ensemble des participantes, en connaissent de 2 à 4 types, 10 personnes, soit 13% de l'ensemble des participantes, en connaissent 5 types, et 20 personnes, soit 25% de l'ensemble des participantes, en connaissent plus de 5 types. plus de 5 types 25% 1 type 5% 50 40 30 20 10 5 types 13% 2-4 types 57% 0 Series1 1 Type 2-4 Types 5 Types Plus de 5 types 4 46 10 20 Diagrammes 7 : Nombre de types de nappes connaissent les participantes. 220 8.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 55 personnes, soit 68% de l'ensemble des participantes, ont surtout pris part à une nappe d'offrande de Hazrat-é Abbas, 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, ont surtout pris part à une nappe d'offrande pour la Hazrat-é Fatémeh, 17 personnes, soit 21% de l'ensemble des participantes, ont surtout pris part à une nappe d'offrande pour la Hazrat-é Roghieh, 3 personnes, soit 4% de l'ensemble des participantes, ont surtout pris part à une nappe d'offrande pour l'Imam de ce Temps, et 1 personne, soit 1% de l'ensemble des participantes, a surtout pris part à une nappe d'offrande pour Hazrat-é Ali Asghar. Imam Sainte Roghieh 21% caché 4% Saint Ali Asghar 1% 60 50 40 30 20 10 Sainte Fatima 6% 0 Saint Abbas 68% Series1 saint Abbas Sainte Fatima Sainte Roghieh L'imam Caché Saint Ali Asghar 55 5 17 3 1 Diagrammes 8 : Participation aux diverses nappes d'offrandes. 9.Parmi les 80 individus constituant l'échantillon statistique ayant répondu à l'enquête, ayant organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Abbas, 12 personnes, soit 33% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de l'obtention de la guérison de malades, 2 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la satisfaction de besoins matériels, 15 personnes, soit 41% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la résolution de problèmes professionnels, 2 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, en vue de la libération de prisonniers, et 5 personnes, soit 14% de l'ensemble des participantes pour toutes ces intentions. 221 libération d'un Prisonnier 6% l'ensemble 14% Guerison de malades 33% 16 14 12 10 réussite d un mariage 0% 8 6 4 2 besoins Materiels 6% résolution des problèmes 41% 0 Series1 Guerison besoins de malades Materiels 12 2 resolution des reussite D un problemes mariage 15 0 liberation d'un l'ensemble Prisonnier 2 5 Diagrammes 9 : Intentions pour lesquelles la nappe de Hazrat-é Abbas est organisée. 10.Parmi les 80 individus constituant l'échantillon ayant répondu à l'enquête, ayant organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Fatémeh, 8 personnes, soit 10% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de l'obtention de la guérison de malades, 2 personnes, soit 3% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la satisfaction de besoins matériels, 15 personnes, soit 19% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la résolution de problèmes professionnels, 18 personnes, soit 22% de l'ensemble des participantes, pour la réussite d'un mariage, 2 personnes, soit 3% de l'ensemble des participantes, en vue de la libération de prisonniers, et 53 personnes, soit 43% de l'ensemble des participantes, pour l'ensemble de ces vœux. l'ensemble 43% Guérison de malades 10% besoins matériels 3% 35 30 25 20 résolution de problèmes 19% libération d'un prisonnier 3% 15 10 5 réussite d un mariage 22% 0 Series1 Guerison besoins de malades Materiels 5 2 resolution de reussite d un problemes mariage 15 18 liberation d'un l'ensemble Prisonnier 2 35 Diagrammes 10 : Intentions pour lesquelles la nappe de Hazrat-é Fatémeh est organisée. 222 11.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, ayant organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Roghieh, 20 personnes, soit 25% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de l'obtention de la guérison de malades, 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la satisfaction de besoins matériels, 16 personnes, soit 20% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la résolution de problèmes professionnels, 1 personne, soit 1% de l'ensemble des participantes, pour la réussite d'un mariage, 4 personnes, soit 5% de l'ensemble des participantes, en vue de la libération de prisonniers, et 34 personnes, soit 43% de l'ensemble des participantes, pour toutes ces intentions. l'ensemble 43% Guérison de malades 25% 35 30 25 20 libération d'une Prisonnier 5% besoins matériels 6% réussite d un mariage 1% résolution de problèmes 20% 15 10 5 0 Series1 Guerison besoins de malades Materiels 20 5 resolution de reussite d un problemes mariage 16 1 liberation d'une l'ensemble Prisonnier 4 34 Diagrammes 11 : Intentions pour lesquelles la nappe de Hazrat-é Roghieh est organisée. 12.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, ayant organisé une nappe d'offrande pour l'Imam de ce Temps, 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de l'obtention de la guérison de malades, 13 personnes, soit 16% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la satisfaction de besoins matériels, 15 personnes, soit 19% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la résolution de problèmes professionnels, 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, pour la réussite d'un mariage, 2 personnes, 223 soit 3% de l'ensemble des participantes en vue de la libération de prisonniers, et 40 personnes, soit 50% de l'ensemble des participantes, pour toutes ces intentions. l'ensemble 50% Guérison de malades 6% besoins matériels 16% 40 35 30 25 20 15 résolution de problèmes 19% libération d'une Prisonnier 3% 10 5 0 réussite d un mariage 6% Series1 Guerison besoins de malades Materiels 5 13 resolution de reussite d un problemes mariage 15 5 liberation d'un l'ensemble Prisonnier 2 40 Diagrammes 12 : Intentions pour lesquelles la nappe de l'Imam Zaman est organisée. . 13.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, ayant organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Ali Asghar, 25 personnes, soit 31% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de l'obtention de la guérison de malades, 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la satisfaction de besoins matériels, 9 personnes, soit 11% de l'ensemble des participantes, l'ont fait en vue de la résolution de problèmes professionnels, 3 personnes, soit 4% de l'ensemble des participantes, pour la réussite d'un mariage, 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, en vue de la libération de prisonniers, et 33 personnes, soit 42% de l'ensemble des participantes, pour toutes ces intentions. 224 Guérison de malades 31% l'ensemble 42% 35 30 25 20 libération d'un Prisonnier 6% besoins matériels 6% 15 10 5 résolution de problèmes 11% réussite d un mariage 4% 0 Guerison besoins de malades Materiels 5 25 Series1 resolution de problemes 9 reussite d un mariage 3 liberation d'un l'ensemble Prisonnier 5 33 Diagrammes 13 : Intentions pour lesquelles la nappe de Hazrat-é Ali Asghar est organisée. 14. Pour obtenir la satisfaction de besoins matériels, parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 28 personnes, soit 34% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Abbas, 3 personnes, soit 4% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Fatémeh, 7 personnes, soit 9% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Roghieh, 13 personnes, soit 16% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour l'Imam de ce Temps, 3 personnes, soit 4% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Ali Asghar, et 26 personnes, soit 33% de l'ensemble des participantes, pour toutes ces intentions. saint Abbas 34% l'ensemble 33% 30 25 20 15 10 Saint Ali Asghar 4% imam caché 16% Sainte Roghieh 9% Sainte Fatima 4% 5 0 Series1 sainte Abbas Sainte Fatima 28 3 Sainte imam Sainte Ali Roghieh Cache Asghar 7 13 3 l'ensemble 26 Diagrammes 14 : Types de nappes votives organisées pour satisfaire les besoins matériels. 225 15.Pour obtenir la guérison de malades, parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 18 personnes, soit 23% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Abbas, 9 personnes, soit 11% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Fatémeh, 13 personnes, soit 16% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Roghieh, 6 personnes, soit 8% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour l'Imam de ce Temps, 9 personnes, soit 11% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Ali Asghar, et 25 personnes, soit 31% de l'ensemble des participantes, pour toutes ces intentions. l'ensemble 31% saint Abbas 23% 25 20 15 10 Saint Ali Asghar 11% imam caché 8% Sainte Roghieh 16% Sainte Fatima 11% 5 0 Series1 sainte Abass Sainte Fatima 18 9 Sainte imam Sainte Ali Roghieh Cache Asghar 13 6 9 l'ensemble 25 Diagrammes 15 : Types de nappes votives organisées pour obtenir la guérison de malades. 16.Pour trouver une solution à leurs problèmes, parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 20 personnes, soit 24% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Abbas, 10 personnes, soit 13% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Fatémeh, 10 personnes, soit 13% de l'ensemble des participantes, 226 ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Roghieh, 14 personnes, soit 18% de l'ensemble des participants, ont organisé une nappe d'offrande pour l'Imam de ce Temps, 2 personnes, soit 3% de l'ensemble des participants, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Ali Asghar, et 24 personnes, soit 29% de l'ensemble des participantes, pour toutes ces intentions. Saint Abbas 24% l'ensemble 29% 25 20 Sainte Fatima 13% Saint Ali Asghar 3% 15 10 5 Imam caché 18% Sainte Roghieh 13% 0 Series1 sainte Abass Sainte Fatima 20 10 Sainte imam Sainte Ali Roghieh Cache Asghar 10 14 2 l'ensemble 24 Diagrammes 16 : Types de nappes votives organisées pour la résolution de difficultés. 17.Pour la réussite d'un mariage, parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, seules 65 personnes ont répondu à cette question : 10 personnes, soit 15% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Abbas, 23 personnes, soit 36% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Fatémeh, 8 personnes, soit 12% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Roghieh, 5 personnes, soit 8% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour l'Imam de ce Temps, et 19 personnes, soit 29% de l'ensemble des participantes, pour toutes ces intentions. 227 Saint Abbas 15% l'ensemble 29% 25 20 15 Saint Ali Asghar 0% Sainte Fatima 36% 10 5 Imam caché 8% Sainte Roghieh 12% 0 sainte Abbas 10 Series1 Sainte Fatima 23 Sainte imam Sainte Ali Roghieh Cache Asghar 8 5 0 l'ensemble 19 Diagrammes 17 : Types de nappes votives organisées pour la réussite d’un mariage. 18.Pour la libération de captivité, parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, seules 55 personnes ont répondu à cette question : 12 personnes, soit 22% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Abbas, 3 personnes, soit 5% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Fatémeh, 9 personnes, soit 16% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Roghieh, 7 personnes, soit 13% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour l'Imam de ce Temps, 5 personnes, soit 9% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour Hazrat-é Ali Asghar, et 19 personnes, soit 35% de l'ensemble des participantes, pour toutes ces intentions. Saint Abbas 22% l'ensemble 35% 20 15 Sainte Fatima 5% 10 5 Saint Ali Asghar 9% Imam caché 13% Sainte Roghieh 16% 0 Series1 sainte Abbas Sainte Fatima 12 3 Sainte imam Sainte Ali Roghieh Cache Asghar 9 7 5 l'ensemble 19 Diagrammes 18 : Types de nappes votives organisées pour la libération d’un prisonnier 228 19.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 38 personnes, soit 48% de l'ensemble des participantes, connaissent des nappes d'offrande particulières devant être organisées en un jour spécial, 25 personnes, soit 31% de l'ensemble des participantes, ne connaissent pas de telles nappes d'offrande, et 17 personnes, soit 21% de l'ensemble des participantes, n'expriment aucune opinion à ce sujet. Sans opinion 40 35 21% 30 25 20 15 Oui 48% 10 5 0 Non 31% Series1 Oui Non 38 25 Sans opinion 17 Diagrammes 19 : Nombre de participantes qui connaissent un jour particulier pour la réalisation de nappes d'offrande. 20.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 12 personnes, soit 17% de l'ensemble des participantes, connaissent des nappes d'offrande particulières devant être organisées à un moment spécial, 27 personnes, soit 39% de l'ensemble des participantes, ne connaissent pas de telles nappes d'offrande, et 30 personnes, soit 44% de l'ensemble des participantes, n'expriment aucune opinion à ce sujet. 229 Sans opinion Oui 17% 44% 30 25 20 15 10 5 0 Non 39% Series1 Oui Non 12 27 Sans opinion 30 Diagrammes 20 : Nombre de participantes qui connaissent un moment précis pour la réalisation de nappes d'offrande. 21.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 40 personnes, soit 50% de l'ensemble des participantes, considèrent que seules des personnes âgées prennent part aux nappes d'offrande, et 40 personnes, soit 50% de l'ensemble des participantes pensent que la participation aux nappes d'offrande n'est pas en relation avec l'âge. Les jeunes 0% 40 30 N'est pas en relation avecl'age 50% 20 Age 50% 10 0 Series1 Les Jeunes Age N'est Pas en Relation 0 40 40 Diagrammes 21 : Nombre de participantes qui donnent leur avis sur le rapport entre l'âge et la réalisation des nappes. 22.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 61 personnes, soit 76% de l'ensemble des participantes, estiment qu'il existe une concurrence pour les nappes d'offrande, 10 personnes, soit 13% de l'ensemble des participantes, n'acceptent pas cette idée, et 9 personnes, soit 11% de l'ensemble des participantes n'expriment aucune opinion sur le sujet. 230 Sans opinion Non 13% 70 11% 60 50 40 30 20 Oui 76% 10 0 Series1 Oui Non 61 10 Sans opinion 9 Diagrammes 22 : Avis des participantes en relation avec l'aspect compétitif des nappes d'offrande. 23.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 70 personnes, soit 88% de l'ensemble des participantes, estiment qu'il existe un déploiement de luxe dans les nappes d'offrande, 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes, n'acceptent pas cette idée, et 5 personnes, soit 6% de l'ensemble des participantes n'expriment aucune opinion sur le sujet. Sans opinion Non 6% 70 6% 60 50 40 30 20 10 0 Oui 88% Series1 Oui Non 70 5 Sans opinion 5 Diagrammes 23 : Avis des participantes en relation avec le luxe des nappes d'offrande. 24.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 60 personnes, soit 74% de l'ensemble des participantes, estiment que les nappes d'offrande ont été détournées de leur vocation primitive, 10 personnes, soit 13% de l'ensemble des participantes, 231 n'acceptent pas cette idée, et 10 personnes, soit 13% de l'ensemble des participantes n'expriment aucune opinion à ce sujet. Non 13% Sans opinion 13% 60 50 40 30 20 10 0 Oui 74% Series1 Oui Non 60 10 Sans opinion 10 Diagrammes 24 : Avis des participantes sur la déviation des nappes d'offrande de leur vocation primitive. 25.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 30 personnes, soit 38% de l'ensemble des participantes, croient en la nécessité d'encouragements des gens pour l'élaboration des nappes d'offrande, 19 personnes, soit 24% de l'ensemble des participantes, n'acceptent pas cette idée, et 31 personnes, soit 38% de l'ensemble des participantes n'expriment aucune opinion sur le sujet. Oui 38% Sans opinion 38% 35 30 25 20 15 10 5 0 Non 24% Series1 Oui Non 30 19 Sans opinion 31 Diagrammes 25 : Avis des participantes sur l'encouragement à la réalisation des nappes d'offrande. 26. Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 53 personnes, soit 66% de l'ensemble des participantes, croient en l'intervention du facteur échelle sociale dans les 232 nappes d'offrande, 15 personnes, soit 19% de l'ensemble des participantes, n'acceptent pas cette idée, et 12 personnes, soit 15% de l'ensemble des participantes n'expriment aucune opinion sur le sujet. 60 Sans opinion 15% 50 40 30 Oui 66% 20 10 0 Non 19% Series1 Oui Non 53 15 Sans opinion 12 Diagrammes 26 : Avis des participantes sur les niveaux sociaux des nappes d'offrande. 27.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 58 personnes, soit 72% de l'ensemble des participantes, considèrent ces nappes comme du gaspillage mais les acceptent en tant que tradition, alors que 22 personnes, soit 28% de l'ensemble des participantes, sont contre cette idée. Non 28% 60 50 40 30 20 Oui 72% 10 0 Series1 Oui Non 58 22 Diagrammes 27 : Avis des participantes sur la présence ou l'absence de gaspillage dans les nappes d'offrande. 233 28.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 41 personnes, soit 51% de l'ensemble des participantes, pensent qu'il est possible de remplacer un vœu par un autre, 20 personnes, soit 25% de l'ensemble des participantes, n'acceptent pas cette idée, et 19 personnes, soit 24% de l'ensemble des participantes n'expriment aucune opinion sur le sujet. 50 Sans opinion 24% 40 30 20 10 0 Oui 51% Non 25% Series1 Oui Non 41 20 Sans opinion 19 Diagrammes 28 : Avis des participantes sur le remplacement d’une nappe d'offrande par d’autres vœux. 29.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 6 personnes, soit 8% de l'ensemble des participantes, ont participé à des nappes d'offrande comportant une présence masculine, alors que 74 personnes, soit 92% de l'ensemble des participantes, n'ont pas pris part à de telles nappes d'offrande. Sans opinion 0% Oui 8% 80 70 60 50 40 30 20 10 Non 92% 0 Series1 Oui Non 6 74 Sans opinion 0 Diagrammes 29 : Participation à une nappe en présence d’hommes. 234 30.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 50 personnes, soit 62% de l'ensemble des participantes, se montrent favorables à la présence d'hommes dans les nappes d'offrande, alors que 30 personnes, soit 38% de l'ensemble des participantes, se montrent défavorables. Contre 38% 50 40 30 20 10 Favorables 62% 0 Series1 Contre Favorables 30 50 Diagrammes 30 : Avis des participantes sur la participation des hommes aux nappes d'offrande. 31.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 25 personnes, soit 31% de l'ensemble des participantes, ont organisé des nappes d'offrande dont les intentions ont été exaucées, alors que 55 personnes, soit 69% de l'ensemble des participantes, n'ont pas vu leurs intentions exaucées. Oui 31% 60 50 40 30 Non 69% 20 10 0 Series1 Oui Non 25 55 Diagrammes 31 : Avis des participantes sur la réalisation des vœux des nappes d'offrande. 235 32.Parmi les 25 individus de la population statistique pour lesquelles les intentions ont été exaucées, 15 personnes, soit 60% de cet ensemble, ont dédié leur nappe d'offrande à Hazrat-é Abbas, 2 personnes, soit 8% de cet ensemble, ont dédié leur nappe d'offrande à Hazrat-é Fatémeh, 6 personnes, soit 24% de cet ensemble, ont dédié leur nappe d'offrande à Hazrat-é Roghieh, et 2 personnes, soit 8% de cet ensemble, ont dédié leur nappe d'offrande à l'Imam de ce Temps. Sainte Roghieh 24% Imam caché 8% Saint Ali Asghar 0% 16 14 12 10 8 6 4 2 0 Saint Abbas 60% Sainte Fatima 8% saint Abbas Saint e Fatima Sainte Roghieh imam Caché Saint Ali Asghar 15 2 6 2 0 Series1 Diagramme 32 : Type de nappe auquel le vœu du diagramme 31 est lié. 33.Parmi les 25 individus de la population statistique pour lesquelles les intentions ont été exaucées, 17 personnes, soit 68% de cet ensemble ont imploré la guérison de malades, 22 personnes, soit 12% de cet ensemble ont imploré la satisfaction de biens matériels, 4 personnes, soit 16% de cet ensemble, ont imploré la résolution de problèmes professionnels, et 1 personne, soit 4% de cet ensemble, a imploré la réussite d'un mariage. réussite d un mariage 4% résolution de problèmes 16% l'ensemble 0% libération d'un prisonnier 0% 18 16 14 12 10 8 6 4 2 besoins ;atériels 12% Guérison de malades 68% 0 Series1 Guerison besoins de malades Materiels 17 3 resolution de problemes 4 reussite d un mariage 1 liberation d'un l'ensemble Prisonnier 0 0 Diagrammes 33 : Intention de la nappe précédente. 236 34.Parmi les 80 individus constituant la population statistique ayant répondu à l'enquête, 3 personnes, soit 4% de l'ensemble des participantes, ont organisé une nappe d'offrande pour des intentions telles que séparation de 2 associés ou autres personnes, alors que 77 personnes, soit 96% de l'ensemble des participantes, ne l'ont pas fait. Oui 4% 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Non 96% Series1 Oui Non 3 77 Diagrammes 34 : Avis des participantes sur l’organisation de nappes d’offrandes en vue de la séparation de deux personnes. 4-4 Résultats : L'analyse des résultats de la recherche dans l'enquête statistique montre l'inquiétude, le souci spirituel et le sentiment de responsabilité des femmes vis-à-vis des membres de la famille et d'elles-mêmes dans les tâches de la vie quotidienne. Les résultats de cette recherche montrent que dans le cadre de l'enquête statistique, 80% des femmes participent aux nappes d'offrande, 46% d'entre elles avec une fréquentation annuelle entre 2 et 5 fois, 34% une seule fois, et 20% plus de 5 fois. Les raisons de l'instauration des nappes sont : la résolution de difficultés (57%), la guérison de malades (17%), la résolution de problèmes pécuniaires (14%), la libération de prisonniers (1%), la réussite d‘un mariage (3%) et toutes les possibilités combinées (8%). 237 L'étude de l'enquête statistique montre de nombreux points de la culture folklorique et anthropologique de la société féminine d'Iran, la relation de foi en un monde divin et spirituel dans lequel les personnes saintes et religieuses capables s'exaucer les vœux telles que Hazrat-é Fatémeh, Hazrat-é Roghieh, et les hommes tels que Hazrat-é Abbas, Hazrat-é Imam Hassan, Hazrat-é Ghassem, et privilégiée. Hazrat-é Ali Asghar ont une place 238 Cinquième Partie : CONCLUSION L'extension importante des nappes d'offrande féminines en Iran et leur perpétuation hors des frontières de ce pays grâce aux immigrantes, le vif intérêt qu'elles suscitent et la position qu'elles occupent au sein de la société iranienne, justifient en soi la recherche, l'explication et l'analyse anthropologique. Tout au long de cette recherche, des hypothèses ont été émises et des questions ont été soulevées qui seraient restées sans réponse sans l'utilisation d'un cadre théorique strict du fait principalement que les racines du sujet remontent à plusieurs millénaires. D'autre part, l'actualité de la recherche et l'organisation des nappes votives par les femmes ont entraîné les chercheurs dans le domaine de l'étude à être confrontés à des tabous liés à la féminité (intime ou non). Heureusement, les recherches antérieures menées par des archéologues, des anthropologues, des historiens, des sociologues et des mythologues, ainsi que la perpétuation des traditions et que la transmission des nappes d'offrande chez les Zoroastriens et les musulmans shi‘ites iraniens ont dans une certaine mesure facilité le travail des chercheurs ; les réponses aux questions relatives aux études expérimentales et au cadre théorique ont été trouvées progressivement. Cependant, quelques questions sont restées sans réponse, ce qui pourrait constituer un sujet de recherche future. Tout d'abord, nous avons dû remonter le cours du temps par un voyage dans l'histoire et la préhistoire, à la rencontre des nappes d'offrande zoroastriennes et des nappes traditionnelles religieuses shi‘ites iraniennes (duodécimaines). Les archéologues, il y a un ou deux siècles, ont dévoilé le 239 monde mystérieux et mythique des déesses de la fécondité, avec la découverte de la Vénus de Sarāb (Kermanshah), vieille de 10 000 ans et d'autres statuettes trouvées à différents endroits du plateau iranien, vénérées jusqu'à la période sassanide. La théorie des déesses mères de l'époque matriarcale et de la déesse suprême a été universellement reconnue. Le point commun le plus important de ces statuettes féminines trouvées dans des zones habitées à cette époque est leur nudité, avec une insistance sur les organes sexuels et de la fécondité. "Les nombreuses statuettes de déesses nues découvertes sur des sites préhistoriques d'Iran nous permettent de penser que l'Homme préhistorique du plateau iranien possédait cette sorte de croyance. Cette déesse avait probablement un mari, dieu lui aussi, qui était à la fois un mari et un enfant". C'est alors que les idées de Ghirchman, Childe, Lenski, Durant, etc., fondées sur celles de Bachofen, L. Morgan, Engels, Taylor et Frazer ont gagné une forme plus réelle et ont permis de répondre à notre question initiale concernant la féminité des nappes d'offrande. Suite à la vénération de ces déesses, nous sommes arrivé à la conclusion que la déesse de la fertilité est à l‘origine des nappes et des légendes qui sont apparues plus tardivement (Anahita, Sepandarmaz, Khordad, Tshista, Amordad, Diana, Ard, Arshtad, etc). La présence exclusive d'aliments végétaux et de fruits secs et/ou frais, ainsi que l'absence totale de viande, indique que dans la société primitive, les femmes ont changé les habitudes alimentaires du fait de leurs découvertes (blé, orge, graines sauvages). « Dans cette société primitive, la femme était chargée des tâches qui lui étaient propres : elle était non seulement la gardienne du feu, et peutêtre la créatrice et la fabricatrice des poteries, mais elle devait, bâton en main, parcourir la montagne à la recherche de racines comestibles de végétaux et de fruits sauvages. La connaissance des plantes, de leur période de croissance et de leur montée en graines, attestait une longue et incessante observation qui la dirigera vers un savoir-faire agricole. 240 Leurs premières tentatives agricoles ont été menées dans des terrains sédimentaires. Au néolithique, occupant des cavernes, les hommes ont peu progressé, alors que les femmes ont beaucoup inventé dans le domaine de l'agriculture primitive. Par conséquent, est apparu un déséquilibre entre les tâches incombant aux hommes et celles des femmes. Ce fait est peut-être à l'origine de l'ascendance des femmes sur les hommes dans certaines sociétés primitives (matriarcat). Dans ces sociétés (aussi bien que dans les sociétés polyandres) ce sont les femmes qui dirigent les travaux de la tribu et accèdent à la divinité ; elles constituent également les maillons de la chaîne familiale parce que la transmission par le sang est considéré comme la fondation la plus pure de la tribu. Nous verrons que la supériorité de la femme est un fait spécifique aux principaux habitants du plateau iranien ; elle sera introduite plus tard dans les coutumes des conquérants aryens. » La responsabilité naturelle des femmes dans la fécondité, l'enfantement, l'allaitement et l'alimentation des nourrissons et des enfants leur a fait assumer la tâche difficile de l'alimentation de la famille qui s'est poursuivie pendant des millénaires et la relation avec le monde métaphysique et les forces divines afin de réussir dans le travail agricole et de garantir ses besoins ; la femme se trouvant ainsi dans une situation d'échanges et d'obligations afin d'obtenir la satisfaction de ses besoins, a commencé à prier et à organiser des cérémonies religieuses et spectaculaires avec des scènes de tristesse et de lamentations, suivies ensuite de démonstrations d'allégresse et de danses avec la participation d'autres femmes. La théorie de la réaction symbolique explique aussi ces sortes de cérémonies, de traditions et de rites. Le caractère intrinsèquement hermétique de ces nappes d'offrandes, dû à leur appartenance exclusive au monde féminin, ainsi que les symboles, les signes et les mystères présents, nécessitent une analyse herméneutique. Dans cette recherche, nous 241 avons essayé de mener une étude approfondie à ce sujet. Bien sûr, nous avons recouru aux théories de Geertz, Henri Corbin, à la théorie de la transmission de la mémoire et des objets de D. Berliner, aux récits populaires sur les Fées de V. Propp, et aux idées de H. Razi, M. Bahar, F. Mazdapour, Sh. Lahidji et M. Kar. Plus tard, avec les invasions arabes musulmanes, la transmission culturelle religieuse a entraîné le remplacement des anciennes déesses par des saintes et des saints, par exemple, Hazrat-é Fatémeh Zahra a remplacé Sepandarmaz, Anahita est devenue Hazrat-é Roghieh ; il en est de même pour Hazrat-é Zeynab. Hazrat-é Imam Ali, Hazrat-é Imam Hossein ainsi que les dix autres Imams, et Hazrat-é Abolfazl, et des centaines d‘autres Imamzadehs dans tout l‘Iran, qui ont pris une grande importance, les Imamzadehs ayant remplacé les temples zoroastriens. Les offrandes, en particulier les nappes d‘offrande votive traditionnelles, nationales, religieuses et Adjile Moshkel Gosha ont été perpétuées parallèlement aux nappes zoroastriennes. L'analyse des résultats de la recherche dans l'enquête statistique montre l'inquiétude, le souci spirituel et le sentiment de responsabilité des femmes vis-à-vis des membres de la famille et d'elles-mêmes dans les tâches de la vie quotidienne. Les résultats de cette recherche montrent que dans le cadre de l'enquête statistique, 80% des femmes participent aux nappes d'offrande, 46% avec une fréquence annuelle qui oscille entre 2 à 5 fois, 34% une seule fois, et 20% plus de 5 fois. Les raisons de l'instauration des nappes sont : la résolution de difficultés (57%), la guérison de malades (17%), la résolution de problèmes pécuniaires (14%), la libération de prisonniers (1%), la réussite d‘un mariage et toutes les possibilités combinées (8%). L'étude de l'enquête statistique montre de nombreux points de la culture folklorique et anthropologique de la société féminine d'Iran, la relation de foi 242 en un monde divin et spirituel dans lequel les personnes saintes et religieuses capables s'exaucer les vœux telles que Hazrat-é Fatémeh, Hazrat-é Roghieh, et les hommes tels que Hazrat-é Abbas, Hazrat-é Imam Hassan, Hazrat-é Ghassem, et Hazrat-é Ali Asghar ont une place privilégiée. 243 Annexes : 1. La nappe de Hazrat-é Roghieh, 1-1 Reflet symbolique des liens entre les Champs de blé et les palmeraies : La nappe d‘offrande de Hazrat-é Roghieh est la plus célèbre et aussi la plus simple des nappes d‘offrande votive. Cette nappe d‘offrande se fait à la maison ou dans un Imamzadeh. La nappe d‘offrande de Hazrat-é Roghieh, se dispose sur un carré de tissu blanc, d‘une surface d‘un mètre carré, que l‘on peut étendre même dans une petite chambre. Le nombre des invitées ne dépasse pas quelques femmes. La cérémonie de cette nappe, tout comme les autres que nous envisageons, est strictement féminine. Les évolutions sociales et leurs répercussions sur les croyances religieuses en général et les nappes d’offrandes en particulier : La société d’horticulteurs : Il s‘agit d‘une société où la culture des jardins d‘arbres fruitiers et des lopins de terre se pratique à l‘aide d‘instruments comme la pelle, la bêche, le plantoir, etc. Ce qui la distingue de l‘agriculture c‘est l‘absence de charrue pour labourer. Dans ces sociétés il y a eu dès le départ une division du travail imposée à cause de la condition physique de la femme, de sa période de fécondité ainsi que l‘allaitement et le temps nécessaire à élever des enfants. « Premièrement, planter des jardins d‘arbres fruitiers avaient un aspect progressif. Deuxièmement, même si les techniques et les 244 méthodes de culture des plantes et de domestication des animaux relevaient de quelques rares communautés, on ne peut cependant douter du fait que beaucoup d‘autres sociétés, en apprenant la culture de nouvelles variétés végétales et en domestiquant de nouvelles espèces animales, ont contribué amplement à l‘avancée et à l‘extension des techniques de pointe et enfin comme dans les sociétés qui vivaient de la chasse et de la cueillette ainsi que celles qui subsistaient grâce aux vergers, c‘étaient surtout les femmes qui s‘occupaient de tout ce qui était plantation alors que les hommes se vouaient aux animaux ; dès lors il y a de bonnes raisons pour affirmer que cultiver relève du domaine du féminin et domestiquer des animaux de celui du masculin.» (Lenski, G., Lenski, J., 1995, 194). «Pour que la révolution Néolithique ait pu s‘accomplir, il a fallu que les hommes en général et les femmes en particulier se consacrent non seulement à découvrir des plantes d‘une nouvelle variété et de la façon de les planter mais aussi pourvoir une technologie pour les labourer, les récolter, les engranger et enfin les transformer en denrée comestible. Un bâton au bout pointu duquel était suspendu une pierre aiguisée servait de bêche…pour séparer les graines, moissonner et décortiquer il y avait les moulins ; tantôt on utilisait le mortier et le pilon tantôt on avait recours aux meules…des documents ethnographiques nous font penser que ces inventions ont été faites par des femmes.» (Childe, 1967, 53) La plupart des recherches anthropologiques et ethnographiques sont significatives à cet égard et démontrent la place prépondérante que la femme occupe quand il s‘agit de connaissances botaniques, de la cueillette des racines comestibles ou dans l‘invention des premières technologies agricoles dans le monde. «Les peuples subsistant des cueillettes et du ramassage d‘espèces végétales ne sont pas encore au stade de l‘agriculture, néanmoins on ne 245 peut non plus les ranger dans la catégorie des chasseurs et cueilleurs qui eux, trouvent leur nourriture dans de vastes plaines où les plantes sauvages sont abondantes, ou ramassent des fruits que la nature leur pourvoit aux frontières de leur ethnie. Leur subsistance provient des milliers de racines comestibles ou des rizières sauvages ou encore des marronniers.» (Lang, sans date, 88) L‘Homme a traversé des millénaires avant de parvenir à faire ses premiers pas dans l‘ère de l‘agriculture et des jardins d‘arbres fruitiers. «De ce point de vue le monde se partage en deux périodes principales : celle des chasseurs et cueilleurs qui a duré des centaines de milliers d‘années, et celle de la production de moyens de subsistance qui a débuté avec l‘agriculture et la préservation de la nourriture depuis huit mille ans seulement et qui coïncide avec l‘aube de la civilisation. Entre ces deux périodes, il y a eu une étape de culture limitée de jardins d‘arbres fruitiers ou de l‘horticulture. (Reed, 1984, 175) L‘Iran est un des premiers berceaux de la civilisation humaine et avant que l‘ère de la sécheresse ne commence, son territoire était couvert de forêts denses par endroits. Des vestiges qui restent encore dans les différentes régions de l‘Iran prouvent que la civilisation n‘est pas apparue d‘un coup dans ces étendues. «Le centre du plateau iranien est désertique, mais tout autour dans les montagnes, des jardins et des fermes sont irrigués par des sources et des rivières.» (Childe, 1967, 65) Certainement que le début de la période sèche qui a commencé il y a 15000 ans et qui continue jusqu‘à présent a été un sujet d‘anxiété pour les ethnies vivant dans ces contrées et naturellement, le rôle des femmes dans la production limitée de l‘agriculture mais aussi dans l‘horticulture présente une importance particulière. Ce n‘est pas sans raison que les déesses font leur apparition sur la scène sociale et étendent leur guidance et leur 246 assistance du monde céleste aux femmes du monde terrestre qui ont recours à leur aide. «Les découvertes archéologiques de la fin du 19 ème siècle et de la période qui s‘ensuit a fourni des exemples définissables quant à l‘extension de l‘adoration de la Déesse Mère. On raconte que c‘est depuis les excavations de Shoush que le secret de l‘adoration de cette Déesse en Iran a été révélé…dès la formation des systèmes primitifs de production agricole dans le monde, les symboles de divinités masculines ont cédé leur place aux symboles de divinités féminines qui pendant longtemps ont eu l‘exclusivité et se sont propagés à profusion. Cette évolution est assez frappante pour qu‘on puisse affirmer qu‘au début de l‘ère de l‘agriculture, la grande Déesse Mère a été adulée plus qu‘à n‘importe quelle autre période et plus que jamais pour l‘Homme du début de l‘ère agricole, son corps est devenu le symbole de l‘abondance, de grâce, de création, de fécondité et d‘une manière générale représentative des forces naturelles et surnaturelles.» (Lahidji et Kar, 2002, 79) «Toutes les croyances diverses et les rites liés à la société agricole exigent qu‘on ait foi en des forces sacrées qui influencent la récolte. Ces forces prennent parfois des figures étranges et uniques ou sont représentées par des actes, des objets, des idoles ou des figurines ou encore se manifestent chez certains animaux ou êtres humains.» (Hatami 2005,58) Les excavations de Tépé Sialk à Kashan mettent en relief le sens artistique des femmes et leurs dons d‘observation et de spécialisation. Ghirshman qui est spécialiste de cette période en Iran écrit : « La femme s‘occupe du jardin, prépare la nourriture et trouve le temps de réaliser des poteries. Mais cette dernière tomba dans les mains des artisans qui possédaient le tour de potiers. La raison du retard dans l‘invention de ce dernier est attribuée au fait que pendant longtemps les femmes fabriquaient des ustensiles à la main et à la maison.» (Ghirshman, 1995, 19) 247 «Alors qu‘un aspect de l‘activité des femmes c'est-à-dire cultiver la terre s‘orientait vers l‘agriculture, l‘autre aspect était dirigé vers la domestication des animaux. C‘est la combinaison des deux qui a servi de base à l‘évolution et le progrès de l‘Homme de son état primitif vers l‘état de barbare et enfin de civilisé. C‘est dans les étapes suivantes que les hommes ont repris ce que les femmes avaient créé et accompli pour devenir des agriculteurs et éleveurs principaux. En ce qui concerne les méthodes et les arrangements de la nourriture aussi, ce sont les femmes qui ont été obligées d‘inventer des méthodes nouvelles et des moyens de préserver les provisions. Messine rapporte ainsi « comment les femmes ont créé des techniques nées de cette nécessité. Là où les hommes ont vécu, les femmes ont fondé progressivement la production des matières si essentielles et si importantes qui sont devenues l‘appui principal de la société. En Polynésie ces denrées étaient les bégonias et le fruit de l‘arbre à pain, en Afrique le tapioca, la palme, le sorgho et la patate douce et dans d‘autres régions des marronniers et des ailes d‘oiseaux. Toute l‘existence industrieuse des femmes était basée sur ces quelques denrées. Des premiers pas entrepris pour pourvoir les ingrédients à l‘état cru jusqu‘à la cuisson et la consommation du repas, nous avons affaire à une série d‘échanges qui résultent du milieu de vie.» (Reed, 1984, 180). Frazer a bien décrit cette période de la vie de l‘Homme dans toutes les régions où les femmes s‘occupaient de cultiver et de produire ainsi que l‘aspect des joies et des tristesses dans les rites et les cérémonies liées à tout cela. « Nous venons d‘achever notre recherche sur les caractéristiques et les spécificités des trois divinités orientales que sont Adonis, Attis et Osiris. La connaissance fondamentale de leur trait mythique et légendaire nous permet de les étudier conjointement. Apparemment tous trois 248 représentent la force de fécondité en général et la croissance végétale en particulier. On pense que tous trois sont morts et revenus du monde mortuaire. Ainsi leur mort et leur résurrection divine s‘exhibent de façon spectaculaire dans les fêtes annuelles et leurs adorateurs passent successivement de la joie à la tristesse pour revenir à l‘état joyeux. Les phénomènes naturels qui se concevaient et se représentaient de cette façon mythique étaient en fait le changement des saisons ; surtout le plus bouleversant de tous c'est-à-dire le flétrissement et la repousse des plantes et le but de ces manifestations sacrées étaient de renouveler et renforcer les forces mortes de la nature par une magie bienveillante qui contribuerait à la fertilité des arbres, à l‘éclosion des graines et à la fécondité des hommes et des animaux.» (Frazer, 2004, 437) Le pain et les dattes à l‘abri des mausolées ou Imamzadehs : Les dattes : Le dattier qui peut atteindre de 10 à 20 mètres a un tronc cylindrique, lisse et sans ramifications, où les traces des feuilles mortes demeurent sous formes de saillies. Les feuilles se déploient en ailes avec des épines à leur base et sont d‘une longueur de 3 à 6 mètres, d‘une couleur vert foncé avec des feuillets durs et cireux. Le dattier est un arbre à deux pieds : certains sont mâles et d‘autres sont femelles. Si l‘arbre est issu de la semence, il fleurit au bout de dix ans mais s‘il résulte de l‘arbre engendrant une nouvelle éclosion, ce qui est la forme la plus courante, il fleurit en 4 ou 5 ans. Au début les fleurs sont contenues dans un tissage végétal et doivent être fécondées par des fleurs en provenance du groupe mâle avant que le fruit n‘apparaisse. Les cultivateurs locaux ont dénommé 7 étapes qui vont de l‘état de fleur au fruit prêt à être cueilli. Ce sont : Tâle : c‘est le printemps du dattier. L‘échine de l‘arbre mâle s‘appelle ‗Goshane‘ ou encore ‗Tarouneh‘. Bâlehe : ce sont les fleurs femelles fécondées. 249 Khélale : le fruit est encore vert et pas sucré. Bôchre : le fruit jaunit. Ghosb : qui est appelé la datte casse-pierre en persan. Rôtabe : c‘est le fruit à peine mûri qui est très juteux. Tâmre : la datte ayant pris des couleurs est prête à être cueillie, elle est un peu plus sèche que la Rôtabe …le fruit mûr du dattier ou Tâmre prend des couleurs brun clair, brun ou brun foncé. La chair est sucrée et contient un noyau d‘une longueur de 1 à 3 cm ; les fruits apparaissent sous forme de grandes grappes. L‘accroissement de la datte se fait par le biais de l‘auto bourgeon qui apparaît au pied de l‘arbre ; ces auto bourgeons qui pèsent de 10 à 15 kilos sont plantés au printemps à des distances de 7 à 8 mètres et on plante pour chaque pied femelle trois pieds mâles. La datte est originaire des régions chaudes de l‘Afrique et de l‘Arabie mais est aussi plantée dans d‘autres endroits chauds du monde. En Iran on la trouve dans les régions comme Ghassr-é Shirine, les différentes régions du Khûzistân, Kermân, la province de Fars, le Béloutshistan et le centre du pays. (Moghadam, 2005, 68). Des sources historiques et archéologiques mentionnent la consommation des dattes sous formes variées dans l‘Iran Antique. Une tablette de cette époque relate l‘importance de la datte et le rôle joué par les femmes dans sa production et sa consommation. «Les femmes qui cueillent les dattes sont celles qui travaillent dans ce secteur agricole dans l‘Antiquité en Iran et ce sont elles qui font la cueillette de fruits. Le dattier qui est un arbre fournissant un ingrédient essentiel, est reconnu dans les rites religieux comme ‗l‘arbre de vie‘.» (Behzadi, 2000, 110) Des sources variées retracent les palmeraies des régions chaudes de l‘Iran dans le passé. L‘histoire de ‗Diodore‘ a été écrite entre les années 60 et 30 avant J .C. et rapporte dans son chapitre consacré aux luttes entre les 250 généraux d‘Alexandre le Grand pour la conquête de son trône : « Après avoir traversé le fleuve et être parvenu aux territoires de Shoush (Khuzestan actuel) en raison de la rareté de la nourriture, ils se répartirent en trois groupes et chaque groupe parcourut le pays de son côté. Et puisque le blé était introuvable, ils préparèrent des plats à partir de riz, de sésame et de dattes.» (Soroushian, 2008, 643) Dans le livre de Ibn Balkhi, on trouve des mentions de tribut imposé aux navires de l‘époque de Khosrow Anoushiravan et qui était composé de blé, d‘orge, de raisin, de dattes, d‘olives, et de riz qui étaient cultivés à l‘époque. (Ibid., 11) Dans «Les Frontières Du Monde» écrit en 372 de l'Hégire, on parle ainsi de Kermân : « c‘est là que poussent le cumin, la datte, l‘indigo, la canne à sucre et le millet.» (Ibid., 41) Depuis l‘Antiquité, des fruits tels que la mûre, la prune, la pomme, le coing, la poire, la noix de coco et plus particulièrement la figue et la datte étaient de consommation courante. Alors que les fruits secs connus sous les noms de Lork et plus tard d‘Adjil constituaient un des principaux éléments des nappes Gahanbar (correspondant à une des six périodes de la création du monde chez les zoroastriens ….etc. tandis que les dattes existant dans la composition de Lork sont un des éléments fondamentaux de ce mélange traditionnel et antique. M. Soroushian dans son livre «Soroush-é Pir-é Moghan » (La révélation faite au vieux sage) l‘ange Annonciateur de bonnes nouvelles» donne une liste des plats traditionnels des Zoroastriens avec leurs ingrédients et leur mode de préparation. Les plats dans lesquels la datte joue un rôle prépondérant sont : le Halva Senne, le Komadjeh Senne Sirouk. « Le Sirouk était accompagné de barbe à papa dans les fêtes et les dattes dans les funérailles. » Le Sirouk de dattes, Tshomale. (Ibid., 643) 251 On pourrait ajouter à la liste ci-dessus une collection de plats du Sud, du Sud-Ouest et d‘Est du pays, ainsi que la vaste culture des plats faits de ce produit arboricole. Dans un souci d‘abréger, nous passons sur le rôle du blé et de ses produits dérivés c'est-à-dire le pain et nous nous contentons de mentionner l‘importance de ces deux produits de la terre que sont le blé et la datte, fruit des palmeraies et le lien entre les deux qui se reflètent dans la nappe d‘offrande de Hazrat-é Roghieh. 1-2 Déroulement de la nappe d’offrande de Hazrat-é Roghieh : La plupart des chercheurs qui se sont penchés sur les nappes d‘offrande, considèrent la nappe de Hazrat-é Roghieh comme étant la plus simple, la plus populaire et la plus répandue des nappes d‘offrande dans tout l‘Iran. Safinejade, en relatant les vœux, fait la description de cette nappe à «Taleb Abad» : «Il faut étaler cette nappe un vendredi. Cela se fait de la façon suivante : il faut acheter un pain Sangake et cinq sirs (375 g) de dattes et entrer dans un Imamzadeh/ mausolée d‘Imam et déployer ladite nappe. Ensuite il faut couper le pain en morceaux que l'on fourre de quelques dattes et réciter la prière des morts ou Rôzeh après quoi on peut distribuer le pain parmi l‘assistance. En général on allume aussi deux bougies posées aux deux extrémités de la nappe. (Safinejade, 1974, 403) Shariat Zadeh décrit plus en détails la nappe telle qu‘elle se déroule à Shahrud : «les femmes étendent la nappe les soirs du samedi, du lundi et du mercredi. On étale un grand tissu noir sur le tapis et on dépose des briques crues aux quatre coins sur lesquels on allume des bougies. Au milieu, on dépose le pain lavash et une certaine quantité de dattes. Puis on éteint les lumières et le mollah récite le Rôzeh (commémoration de martyre) de Hazrat-é Roghieh, à la fin duquel on distribue le pain et les dattes dans l‘assemblée mais on laisse les bougies se consumer. Pour terminer on 252 secoue la nappe au-dessus de la tête des jeunes filles en âge de se marier pour favoriser leur destin. (Shariat Zadeh, 1992, 389) Faghiri rapporte brièvement la nappe de Hazrat-é Roghieh à Shiraz : «Auparavant on déployait cette nappe dans le sanctuaire de Seyyed Alla‘eddin Hossein mais cela ne se passe plus ainsi, cela se fait un lundi soir. Le déploiement de cette nappe reste très simple. On l‘étale et on dépose dessus deux pains Sangak et des dattes. Ensuite quelqu‘un récite le Rôzeh de Hazrat-é Roghieh et on allume les bougies. Le but reste celui d‘avoir son vœu exaucé. (Faghiri, 1971, 53) Noban fait également allusion à 4 éléments importants dans la nappe d‘offrande de Hazrat-é Roghieh : - Sa simplicité (le pain et la datte.) - Son déroulement à proximité des sanctuaires et autres mausolées. - Ses jours sont les lundi, mercredi, jeudi et vendredi et cela se fait par les femmes. - La récitation du Rôzeh consacré à Hazrat-é Roghieh. Les préparatifs comprennent du pain Sangak, du fromage, des fines herbes, des dattes et des bougies. La porteuse du vœu, après avoir rassemblé tout ce qui est nécessaire, accomplit ses ablutions et répartit le pain en petits morceaux qu‘elle dispose avec les autres préparatifs sur la nappe. Après avoir récité la prière de son vœu, elle invite une professionnelle de Rôzeh à raconter les événements tragiques survenus à Sham (Damas) pour cette Hazrat et la cruauté de Yazid fils de Moavieh… » (Noban, 1990, 49) Valilou prend également en considération les 4 éléments ci-dessus : «…Il faut noter que le trait marquant de cette nappe est son dépouillement. Elle se déroule dans les Imamzadehs (mausolées des imams) les jeudis soirs 253 et son contenu ne dépasse pas le pain, les dattes et les bougies. » (Valilou, 2001, 52) La nappe d‘Hazrat-é Roghieh à Ardebil a été décrite par Vakhshouri de la façon suivante : «un tissu blanc est étendu par terre et les habitants d‘Ardebil y disposent du pain, des verdures, du halva clair, des dattes, des bougies et parfois des fruits de saison. La plupart du temps ceci prend place un jeudi dans les mosquées ou les Imamzadehs et on distribue les pains contenant les dattes emballés dans des sachets en plastique parmi les gens qui ont assisté à la récitation du Rôzeh. (Vakhshouri, 2003, 229) «Hedayat» qui met beaucoup de soin à rapporter minutieusement la culture populaire, dans son livre «Neyranguestan/ le lieu des ruses» se limite à décrire les vœux de «senteurs délicieuses», de «nappe de fines herbes» qui ont cours à Kermân et l‘Adjile sésame ouvre-toi ainsi que la nappe de Hazrat-é Fatémeh Zahra et les funérailles de Amir al Moménine. Il passe outre les autres nappes d‘offrande et indique dans l‘annotation qu‘ «il existe d‘autres nappes telles que celle de Bibi Hour et Bibi Nour etc. que nous avons renoncé à détailler puisqu‘elles se ressemblent approximativement.» (Hedayat, 1963, 64) Henri Massé dans son ouvrage sur les croyances, us et coutumes en Iran, décrit amplement les détails de la culture populaire mais en ce qui concerne les nappes d‘offrande il ne signale que «la nappe des fines herbes» à Kermân et l‘Adjil Moshkel Gosha (sésame ouvre-toi) et ne fait que mentionner celles de «Bibi Seshanbeh», de «Fatémeh Zahra», de «Bibi Hour» et de «Bibi Nour». De même qu‘il nomme aussi «la nappe du prophète, Hazrat-é Khezr» mais nulle part il ne parle de la nappe de « Hazrat-é Roghieh» ni d‘autres comme «Hazrat-é Zeynab», «Abolfazl- Al Abbas», «Hazrat-é Ghassem», «Hazrat-é Ali Asghar», «Hazrat-é Imam Zaman». 254 Nous ne savons pas à quel moment la tradition d‘offrande à Hazrat-é Roghieh est apparue dans les mausolées, ceci constituant un objet de recherche à part, mais dans la ville de Téhéran les sanctuaires des imams tels que, Seyyed Ismail, Imamzadeh Zeyde etc. et à Shemiran, l‘Imamzadeh Saleh en particulier servent de lieux d‘offrande à Hazrat-é Roghieh. Bien entendu cela se passe aussi dans d‘autres lieux sacrés à Téhéran comme les mausolées de Shah Abdol Azim, Imamzadeh Hamzeh, Imamzadeh Taher à Shahr-é Rey et Ibn-é Babouyeh, mausolée de Bibi Shahr-é banou, de Sar Ghabr-é Agha, de Seyyed Vali, de Seyyedeh Malek Khatoun, de Bibi Zobaydeh, de Hamideh Khatoun. On pourrait ajouter des dizaines d‘autres noms à la liste des lieux saints ce qui est, en soi, révélateur d‘une réalité digne d‘interprétation et de description. Comme dit Geertz : « il faut considérer l‘anthropologie des symboles comme une suite de l‘anthropologie religieuse. En ce sens que dans cette tendance, on considère la religion comme une collection de symboles et de significations hautement importants dans chaque culture. Néanmoins, la méthode d‘analyse de la religion diffère complètement des moyens employés précédemment et ce bien qu‘en fin de compte, l‘étude de la religion se fait sous la houlette de ses conséquences sociales, bien que ce sujet traite plutôt les processus religieux et plus particulièrement les rites qui relèvent de ce domaine et qui, en plaçant l‘individu et le groupe dans un contexte dramatique et théâtral, facilite la description des symboles. Ici la discussion anthropologique porte en réalité sur les réseaux de significations, leurs formations à partir des symboles et les liens qui s‘établissent entre eux et les moyens fournis pour la compréhension de l‘environnement et le monde extérieur pour l‘individu et pour le groupe.» (Fokouhi, 2002, 255) 255 2. Croyances et coutumes persanes selon Henri Massé : 2-1 Nappe verte de Kerman : « A Kerman, on croit que celui qui est malade ou dont les affaires se trouvent contrariées doit demander assistance à son " génie jumeau" (hamzâd) ( ...) ou à un démon (sâyé). L‘on considère en effet que les événements néfastes ont pour cause les désagréments qu‘on inflige aux djinns. Si le malade est riche, on prépare une offrande d‘herbes potagères (sofreh-yé sabzi : "nappe verte") en vue de son rétablissement. S‘il est pauvre, on se borne à le traiter par fumigations, de la manière suivante : vers le coucher du soleil, une vieille femme, experte et digne de confiance, fait une fumigation composée de rue sauvage (esfand) et d‘encens ; elle met le feu à des broussailles au-dessus desquelles le malade doit sauter (s‘il est trop malade, on le passe pardessus). Quant à l‘offrande de verdure (dont l‘opportunité doit être approuvée par un devin), voici comment on procède. D‘abord, choisir l‘endroit et l‘opératrice convenables. A Kerman, l‘on se tient au voisinage d‘une chaîne de montagnes qu‘on appelle "pays de la santé" (tandorostân) : l'on croit que les djinns s‘y réunissent ; on fait appel à une vieille femme experte, et zoroastrienne si possible. Que nul ne se trouve à proximité. La personne qui offre la verdure doit obéir aveuglément à cette vieille femme. L‘offrande comporte sept denrées dont le nom commence par « s » (haft sin, comme à Norouz) ; on y ajoute divers aliments qui doivent être de bonne qualité—particulièrement du Komadj, du samanou ; puis une salière, une lampe à huile et une bougie. La vieille femme, toute seule, dresse la table et demande à la fille du Roi des Fées (pari) la guérison du malade ou la réalisation du désir formulé par le postulant. Après l‘accomplissement de 256 ces rites spéciaux, si un chat ou un pigeon vient sur la nappe, on sera sûrement exaucé, car il est possible que la fille du Roi des Fées, ayant pris cette apparence, mange quelque chose ou mette son doigt dans le sel. Sinon, tout est à recommencer » (H. Massé, 1938, 299) 2-2 Offrande à Fatémeh Zahra : « La femme qui désire accomplir ce rite doit être en état de pureté. L‘on dresse cette nappe contre afflictions, dettes, maladies ou dans l‘intention d‘un pèlerinage, ou pour tout autre motif. Pour commencer, la femme exprime en ces termes son intention: ―O Fatémeh Zahra ! Pour que j‘échappe à cet embarras, j‘ai recours à toi et je t‘expose mes besoins‖. Cette nappe est dressée dans la nuit du jeudi au vendredi, et à trois reprises. La première fois, il faut mettre 7 ½ sir (environ 550 g) de farine propre dans un sac vert qu‘on suspend à la chaîne du cadenas qui ferme la porte de la chambre—de façon que l‘auteur du vœu passe sous cette farine. La deuxième fois : 8 sir (600 g) ; la troisième : 10½ (environ 790 g). Le matin, on travaille cette farine avec du beurre fondu et un peu de sucre, pour faire du katshi (cette opération se fait dans l‘obscurité) ; on verse le tout dans un bol, on couvre d‘un linge blanc et l‘on n‘y touche plus. Les autres mets nécessaires à cette nappe sont les suivants : sucreries, fruits secs, pâte sans levain (fatîr), sirop, pain, verdure, fruits frais (et un melon ou une pastèque intacts). A midi, tous les invités se mettent autour de la nappe ; un prédicateur récite l‘oraison de la Sainte Famille (âl-è’ abâ). Puis on découvre le katshi à la surface duquel on voit l‘empreinte du doigt de Fatémeh. Pour acquérir des grâces, toutes les personnes en mangent et se partagent les autres mets. Toutefois nul homme ne doit toucher à ce katshi et les femmes ne peuvent en manger que si elles sont en état de pureté. 257 Pour la deuxième séance, pas de différences. Mais on n‘organise pas la troisième avant d‘avoir obtenu ce qu‘on désire ». (Ibid., 302) 2-3 Offrande à Bibi Hour et Bibi Nour : « Ce sont les sœurs du roi des Fées (Pary-ian). Une nuit de jeudi à vendredi, dans les mois de chabân ou de redjeb, on étale dans une chambre une nappe sur laquelle on pose du pain, du fromage, des verdures potagères (sabzi), un miroir, un bol de sirop, un bol de lait caillé (mâst), l‘aiguille et la boîte à sormé (khôl), six récipients de qâout (les hommes ne doivent pas manger de ce qâout). On allume une bougie. La personne qui a fait une demande ou un vœu jeûne et fait cuire du katshi dans un endroit obscur (―un lieu que le ciel ne voit pas‖). Le lendemain, les invités se réunissent. On apporte le katshi avec du riz (façon tshélo et façon polo). Un prédicateur est présent. On fait une prière comprenant deux oraisons (rok’è) en vue de la demande (namâz-é hâdjèt), deux pour le lieu où l‘on se trouve, deux pour Bîbî Hour, deux pour Bîbî Nour. Puis on rompt le jeûne. Le lendemain, à midi, on lave les récipients qui contenaient les mets et on jette l‘eau de lavage (pour qu‘elle ne soit pas souillée) dans une eau courante, en dehors de la ville. » (Ibid., 303) 2-4 Offrande à Khezr (Hider) le prophète : « Ceux qui ont été sauvés lors d'un naufrage ou de tout autre péril en mer rendent tous les ans, à jour fixe, des actions de grâces solennelles à ce saint. Des cérémonies se font au mois de février, et ceux qui se veulent acquitter de leurs vœux invitent leurs amis pour souper, des hommes et des femmes… Ils font grande chère, mais ne boivent point de vin. Cependant ils servent aussi dans une autre chambre plusieurs plats de fruits et de confitures ; et au milieu de la chambre, ils disent: ―Hider Nabi, si cette 258 offrande t‘est agréable, témoigne-le par quelque signe‖. Si le lendemain l‘on trouve des signes dans la chambre ou des marques d‘une main dans la farine, c‘est un très bon signe, et les amis s‘assemblent encore ce jour-là pour se réjouir » (Olearius, I, 601). (Ibid., 303). 2-5 Adjil Moshkel Gosha : ("fruits secs qui dénouent les difficultés") Pour obtenir ce qu‘on désire (ou pour conjurer un mal), il faut acheter des Adjil Moshkel Gosha ("fruits secs qui dénouent les difficultés") et conter leur histoire, une fois par mois, à sept reprises. Le premier mois, un vendredi, l‘on noue une pièce de 2 shâhis (2 sous) dans un coin de mouchoir et on la remet au marchand de fruits secs, sans mot dire ; celui-ci comprend et donne ces fruits : d‘une part, pistaches, amandes, noisettes, pois grillés (nokhodshi), graines de pastèque et de citrouille ; d‘autre part, raisins secs, dattes, pruneaux, abricots. On prélève sept unités de chaque élément ; sur chacun on récite sept fois la formule de Salavat ("O Allah ! Bénis Mahomet et sa famille" : allâhomma çalli’ala Mohammad wa'ala âl Mohammad). Ensuite on distribue le tout entre sept personnes qui, elles aussi, doivent réciter sept fois la Salavat. Tout doit être préalablement décortiqué. Avant de manger les fruits secs, on conte l‘histoire de leur origine. La voici : Il y avait un marchand de broussailles bien misérable et ne possédant rien. Un jour, il partit au désert pour arracher des ronces et vit un cavalier qui lui dit : ―Tiens mon cheval ! je vais revenir‖. A son retour, il donna au pauvre une poignée de sable du désert, enfourcha son cheval et s‘en fut. Au coucher du soleil, le débroussailleur revint à son logis, tout triste ; il répandit le sable dans un coin du réduit aux coffres, en disant : ―Qu‘il reste là ! Les enfants joueront avec !‖ Puis il s‘en alla dormir. Pendant la nuit, sa femme se leva pour allaiter 259 son enfant dans son berceau. Voyant briller quelque chose dans le réduit, elle appela son époux et lui dit : ―Qu‘est-ce donc ?‖ Ils s‘aperçurent alors que c‘étaient des pierres précieuses. Au matin, l‘homme alla vendre au bazar quelques pierreries ; il en tira de quoi vêtir de neuf ses enfants ; ses affaires prospérèrent et il devint un gros commerçant. (On a deviné que le cavalier était Ali par la grâce de qui les grains de sable s‘étaient transformés en joyaux). Il prit de l‘argent pour un voyage d‘affaires et dit à sa femme : ― Je m‘en vais ! Chaque mois, prends pour cent pièces d‘or de fruits secs qui résolvent les difficultés et distribue-les‖. Puis il partit. Sa femme était l‘amie de la reine : elles allaient ensemble au hammâm. Quelque temps après, elle oublia d‘acheter des fruits secs. Une fois qu‘elle allait au hammâm avec la reine, cette dernière y perdit son collier‖. ―Qui l‘a donc volé ?‖ s‘écrièrent les personnes présentes. Elles sautèrent à la gorge de l‘épouse du commerçant, lui prirent tout ce qu‘elle possédait, la traînèrent au palais et la jetèrent en prison. Au retour de son voyage, le commerçant trouva sa demeure en ruines, sa femme et ses enfants absents. La nouvelle de son arrivée parvint au palais : il fut arrêté, et emprisonné. A minuit, un cavalier lui apparut en songe et lui dit : ―O aveugle d‘esprit ! Ne t‘avais- je pas dit d‘acheter mensuellement pour cent pièces d‘or de fruits secs qui dénouent les difficultés ? Les voici, sous ton entrave. Prends-les et achète des fruits secs‖. Et le cavalier disparut. L‘homme se réveilla, se leva, vint à la porte de la prison et dit à un jeune garçon : ―Voici cent pièces d‘or ! Achète-moi des fruits secs avec ces cent pièces d‘or. – J‘ai un malade à l‘article de la mort ; il faut que j‘aille acheter du cèdre et du camphre (pour le lavage mortuaire). – Pardieu ! Ton malade guérira ! ―Le garçon s‘en fut acheter les fruits secs qu‘il rapporta. Le commerçant les distribua. Mais écoutez la suite ! La reine, s‘étant dévêtue, se baigna dans le bassin du hammâm. A un moment, elle vit un corbeau qui, tenant le collier dans son bec, le laissa tomber sur ses vêtements. ―Quelle injustice j‘ai 260 commise !‖ s‘écria-t-elle ; j‘ai fait emprisonner follement ces gens !‖ Elle les fit remettre en liberté et leur rendit de quoi vivre ; et ils retournèrent à leurs affaires. Quant aux deux jeunes gens, le premier trouva sa fiancée morte, le second trouva guéri son malade. Que Dieu délie vos difficultés comme il délia les leurs ! (Ibid.,) 261 Bibliographie : - Adibi, H., 1978, Zeminé-yé ensanshenasi, Téhéran, Loh, Éditeur. - Amid, H., 1974, Amid Persian Dictionary, Téhéran, Amir Kabir, Éditeur. - Azadanlou, H., 2004, Mafahim-é asasi-yé djamehshenasi, Téhéran, Ney, Éditeur. - Basti, N., 2003, Zan va Farhang, Téhéran, Miras-é Farhangui, Éditeur. - Bates, D., Plog, F., 1996, Cultural Anthropology, trad. Solasi, M., Téhéran, Elmi, Éditeur. - Behzadi, R., 2000, Zan dar shargh-é bastan, Téhéran, Pajouhand, Éditeur. - Behzadi, R., 2004, Ghomha-yé kohan dar asiya-yé markazi va falat-é Iran, Téhéran, Tahouri, Éditeur. - Berliner, D., 2002-2003 ―Nous sommes les derniers buloŋic‖. Sur une impossible transmission dans une société d‘Afrique de l‘Ouest (GuinéeConakry). Thèse de doctorat présentée en vue de l‘obtention du grade de Docteur en Sciences Sociales (orientation : Anthropologie). 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