Les enfants de l’école Jean-Henri-Fabre de Saint-Léons installent les nichoirs à abeilles sauvages qu’ils ont construits en classe - Cliché L. Baliteau Par Lucas Baliteau et Bruno Didier Un hôtel à osmies Dans le Midi, dès la fin de l’hiver, on peut voir voler les premiers individus mâles d’Osmie cornue (Osmia cornuta, Hym. Apidé) tout frais sortis. Cette abeille est bien connue pour nicher souvent dans les trous d’évacuation d’eau de nos fenêtres qu’elle obstrue. Une habitude, d’ailleurs bien peu dérangeante, qui en fait une candidate idéale à l’occupation des nichoirs artificiels à abeilles sauvages. UN HÔTEL À L’ÉCOLE Les abris à insectes sont des outils pédagogiques intéressants. Ils apportent un concentré de nature sauvage là où ils sont installés : dans un parc ou un jardin, voire dans la cour d’une école. Ils permettent de très nombreuses observations qui suscitent des explications et leur fabrication souvent simple permet aux enfants de mettre « la main à la pâte », pour leur plus grand plaisir. Le nichoir à osmies installé par Fabre dans son Harmas de Sérignan-du-Comtat est très bien décrit dans ses Souvenirs entomologiques1 avec ses expériences de tiges de bambou et cornets de papier. Près de la maison natale de Jean-Henri Fabre, à Saint-Léons2 1. Souvenirs entomologiques, Les osmies et chapitres suivants (699-752), Robert Laffont 1989. 2. À (re)lire : Sur les ailes des papillons, par Lucas Baliteau, Insectes n° 145, 2007(3), en ligne à www.inra.fr/opie-insectes/pdf/i145baliteau-carret.pdf I NSECTES 19 n°160 - 2011 (1) L’hôtel à insectes du Jardin d’insectes est prêt à accueillir ses premiers visiteurs insectes Cliché L. Baliteau (Aveyron), c’est un nichoir « à petites bêtes » qui vient d’être installé avec l’aide des écoliers du village. Il s’agit d’un abri, bien exposé au soleil, en bois non traité. Quelques Enfants de maternelle en pleine préparation des nichoirs d’argile et de paille compactées dans des briques creuses. À droite, un exemple de nichoir à insectes dans les jardins municipaux de la ville de Millau - Clichés L. Baliteau Le nichoir à osmies réalisé par Jean-Henri Fabre et présenté dans le jardin de sa maison natale en Aveyron - Cliché L. Baliteau piquets et planches, des vis et des clous servent à préparer une grosse boîte qui accueille des nichoirs variés correspondant aux exigences de différentes espèces. Quelques étagères et cloisons supportent et séparent des fagots, des tiges et des bûches percées de trous de différents diamètres, des boîtes avec des fentes et des trous pour accueillir chrysopes, punaises, mais aussi coccinelles, punaises, raphidies, perce-oreilles ou cloportes. Les interstices sont emplis de paille, foin, feuilles mortes et d’écorces couvertes de lichens desséchés. On peut ajouter des coquilles d’escargots de différents diamètres (de l’escargot des haies à l’escargot de Bour- Accouplement d'Osmies cornues. La femelle (15 mm) est dotée de deux petites excroissances en forme de cornes, qui valent son nom à l’espèce. Le mâle (10 mm) présente une touffe de poils blancs caractéristique bien visible au niveau des mandibules - Cliché entomart.be I NSECTES 20 n°160 - 2011 (1) gogne en passant par le petit gris) qui seront appréciées par plusieurs Hyménoptères (osmies, pompiles). Pour les abeilles qui nichent dans des cavités creusées dans le sol, on utilise des briques creuses coupées en deux dans la longueur. On y tasse de l’argile humide mélangée à des copeaux de paille. On peut ajouter un peu de terre sableuse ou boueuse, des copeaux de bois, de la sciure et du foin haché. On laisse sécher quelques jours avant d’installer ses briques dans l’hôtel. Ce travail passionne les enfants de maternelle… Les plus grands (du CP au CM2) ramènent à l’école des tiges à moelle (sureau, arbre à papillons) et tiges creuses (canne, chaume, bambou) qu’ils apprennent à lier en fagots et qu’ils installeront dans l’hôtel ou ailleurs dans la nature. UNE VIE D’OSMIE Dès leur émergence les mâles se relaient auprès des cavités d’où sortiront les femelles quelques jours plus tard. Que l’une ou l’autre pointe ses antennes hors du nid, elle est prise d’assaut par un ou plusieurs individus cherchant à s’accoupler. Après l’accouplement, la femelle cherche – parfois longuement – l’emplacement idéal : une cavité cylindrique, horizontale ou obliquant légèrement vers le haut, qu’elle soit naturelle (tige creuse par exemple) ou artificielle (dans nos fenêtres) lui convient parfaitement pour y établir son nid. Souvent, elle réoccupe le nid d’où elle a émergé. Commence alors la collecte de nectar et de pollen. Chaque jour ensoleillé, elle voyage sans interruption, de son nichoir aux plantes nourricières disponibles aux alentours. L’Osmie est assez opportuniste. On la voit sur les arbres fruitiers : prunelliers, amandiers, pruniers et cerisiers, mais aussi sur pissenlit, pervenche, pensée, violette, etc. Le pollen est collecté par une brosse de poils très raides, inclinés vers l’arrière, située sous l’abdomen. Une journée est nécessaire pour confectionner une pâtée pollinique (mélange de nectar, de salive et de pollen) déposée au fond du nichoir. L’Osmie pond alors un œuf qu’elle enfonce délicatement au cœur de la pâtée. Puis, elle construit une cloison faite de terre et de salive, qui délimite une logette au-delà de laquelle elle répète l’opération jusqu’au comblement complet de la cavité. L’œuf arrive à maturité en quelques jours. La larve, de la taille d’un grain de riz, dévore toutes ses provisions. Devenue dodue, tournant la tête en tous sens, elle tisse un fil de soie dont elle tapisse les parois de sa loge. Les couches de soie luisante, tassées et lisses à l’intérieur, sont plus grossières à l’extérieur. En 48 heures, le cocon translucide devient brunâtre. C’est dans cette enveloppe que la larve jaunâtre va se nymphoser. L’adulte émerge puis hiverne dans le nichoir jusqu’au printemps suivant. Seuls les œufs des loges profondes sont fécondés : ils donneront des femelles. Les autres donneront des mâles qui sortiront les premiers, libérant le passage pour les femelles. UN NID... D’OBSERVATIONS Les nichoirs artificiels accueillent les osmies et bien d’autres abeilles sauvages qui vont aussi y nidifier, utilisant divers diamètres en fonction de la taille de chaque espèce. Ils À gauche, cette osmie revient d'un voyage pollinisateur - Cliché entomart.be. À droite, tube transparent pour l'observation des larves de l’Osmie cornue dans le nichoir conçu par Jean-Henri Fabre. On distingue bien, dans chaque cellule de haut en bas : la cloison de séparation, le pâtée pollinique, la larve et ses excréments - Cliché L. Baliteau Tubes de bambou occupés par des nymphes d'Osmie cornue, ouverts pour en permettre l'observation - Cliché entomart.be sont aussi le rendez-vous de parasites et d’opportunistes de tous poils. Pendant que l’Osmie butine, des moucherons investissent son nid pour consommer la pâtée en préparation ou y pondre leurs propres œufs. C’est le cas en particulier de Cacoxenus indagator (Dip. Drosophilidé3) dont les asticots priveront rapidement la larve de l’Osmie de 3. À relire : « L'Osmie cornue et sa drosophile », par Remi Coutin, Insectes n°81, 1991(1), en ligne à : www.inra.fr/opie-insectes/pdf/i81coutin2.pdf I NSECTES 21 n°160 - 2011 (1) sa nourriture, qui en mourra. La porte refermée n’empêche pas la ponte de guêpes qui allongent leur tarière pour percer la ou les cloisons de terre. Elles insèrent leurs propres œufs derrière la paroi à peine sèche. Les anthrax, mouches noires jusqu’au bout des ailes, et les autres bombyles (Dip. Bombyliidés) projettent leurs œufs en les enrobant de grains de sable. Tombés à proximité des interstices du nichoir, Coquilles d'escargots Osmia bicolor installe son nid près des lisières ensoleillées. Dès qu'une femelle trouve une coquille d’escargot (Cepea sp.) vide, elle y colle de petits morceaux de feuilles mâchés et badigeonnés de salive. Elle apporte à l'intérieur pollen et nectar, pond un œuf, puis obture à l’aide d’une cloison de morceaux de feuilles. Elle apporte ensuite de nombreux petits graviers et bouts de bois, avant de fermer à l’aide d'une seconde porte végétale. L'Osmie tourne ensuite la coquille afin que l'ouverture soit dirigée vers le sol. Après avoir creusé la terre pour l'y enfoncer, elle entasse par dessus des fragments de chaumes et d'aiguilles de résineux. O. rufohirta utilise les coquilles d' Helicella sp. tandis qu’O. aurulenta préfère l'escargot de Bourgogne (Helix pomatia). Émergence d'une Osmie cornue mâle - Cliché entomart.be les minuscules asticots qui naîtront franchiront chaque cloison pour dévorer la pâtée, voire s’attaquer mortellement aux larves d’Osmie. Le Ptine bigarré (Ptinus fur, Col. Anobiidé), dont la femelle ressemble à une araignée, est un consommateur de matières organiques. Ses larves grignotent les déchets et les restes d’anciens nids et/ou les exuvies de parasites. De petites fourmis rouges installent leur nid entre les débris de cloisons et de cocons. Les fondatrices trouvent dans ces nichoirs, à l’automne, de quoi passer l’hiver bien à l’abri. Une fois la colonie en place, plusieurs tiges peuvent parfois être occupés en réseaux. L’Anthidie (Anthidium sp.) et l’Abeille charpentière (Xylocopa violacea) sont des visiteurs ponctuels qui s’abritent la nuit ou lors des journées pluvieuses de fin d’été. À l’automne, des guêpes solitaires de la famille des Sphécidés peuvent utiliser les nichoirs en y entreposant des amas de chenilles paralysées qui nourriront leurs larves. Le Lézard gris s’installe tranquillement à proximité et rafle l’insecte imprudent qui se fait surprendre. La Mésange bleue vient taquiner l’entrée des galeries et, plus rarement, c’est le Pic qui passe en revue chaque tube pour en avaler tout le contenu de sa langue gluante… EN ÉPINGLE - voir les autres Épingles à www.inra.fr/opie-insectes/epingle10.htm TRAVAIL ADAPTÉ POUR OUVRIÈRES USÉES Chez la fourmi champignonniste d’Amérique Centrale Atta cephalotes (Hym. Formicidé), les tâches sont réparties entre les soldats et les ouvrières, dont il existe trois tailles. Les petites s’occupent de la reine et décapent la cuticule des feuilles que récoltent les moyennes et les grandes. Récolter, c’est découper un disque dans une feuille et la rapporter au nid souterrain, où elle servira, empilée et farcie de salive et de fèces, de terreau à champignon. En y regardant de plus près, ce que vient de faire une équipe de l’université de l’Oregon (États-Unis), il y a les jeunes ouvrières fraîchement émergées, très affûtées, et les vieilles coupeuses, usées et émoussées. Très probablement pas au niveau de leur moral, mais – cela a été précisément mesuré – à celui de la partie coupante de leurs mandibules. Atta cephalotes découpant une feuille, Costa Rica - Cliché Cl. Lebas Il leur faut alors multiplier par 2,5 la force à appliquer. Épuisant. Et coûteux pour la colonie qui doit dépenser 44% de temps et d’énergie en plus par rapport à une situation où tout le monde serait parfaitement aiguisé. En fait, les ouvrières aux mandibules les plus émoussées se consacrent essentiellement au transport des disques de feuille. Parmi les mécanismes qui régissent l’eusocialité chez ces fourmis, cette réaffectation vers une tâche sans lien avec le handicap permet de « profiter » plus longtemps d’un individu. On doit s’interroger – et expérimenter – sur le rôle de l’usure (sa prise en compte, son évitement) dans l’évolution des fourmis et d’autres insectes. A.F. D’après, entre autres, « Ameisen stumpfen ab », lu le 23 décembre 2010 à www.scienceticker.info PS : au bout de 30 jours, l’ouvrière, globalement usée, est rayée des cadres et est admise comme consommable dans le réseau trophique local. I NSECTES 22 n°160 - 2011 (1)