RMC 2013-1-COUVREUR.pub

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Article de synthèse
L’ergothérapie à la pointe du progrès
dans le service de réadaptation externe du site de Vésale :
la rééducation sensitive
suivant les théories de Claude SPICHER1
Service de réadaptation fonctionnelle - Pr A. CATANO - Chef de service
Département paramédical de réadaptation - J.HUBERT - Directeur
Unité d’ergothérapie externe - CHU A. Vésale
Catherine Couvreur - Ergothérapeute RS certifiée CREA-HELB
D
M
epuis plusieurs années, nous avons mis en place, au sein de notre service, une
technique de rééducation des syndromes douloureux, tels que le CRPS2 ou le
zona : la contre stimulation tactile.
Celle-ci a fait l’objet d’un précédent article, je n’y reviendrai pas.
ais depuis l’an passé, je continue à me former sur toutes les formes de
traitements concernant les allodynies3 et des hyposensibilités, qu’elles soient
d’origine périphérique ou centrale.
Cette formation en rééducation sensitive m’amène à développer de nouvelles prises en
charge.
Je vais ici les développer brièvement. Par facilité, j’ai fractionné ces explications en 4
parties distinctes :
les allodynies mécaniques d’origine périphérique,
les hyposensibilités d’origine périphérique,
les hyposensibilités d’origine centrale,
les hyposensibilités secondaires aux allodynies.
Les allodynies mécaniques
E
n rééducation, nous accueillons le patient avec sa douleur, cette allodynie, qui fait
que tout contact devient un calvaire (port de vêtement, contact des draps,…)4.
Peu importe la cause première, elle peut être aussi vaste qu’un CRPS, un zona, une
compression nerveuse,…
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Article de synthèse
L’important est de prendre en considération la personne présentant une névralgie, souvent chronique et qui ne répond pas aux traitements mis en place antérieurement.
Une fois par semaine, nous recevons les patients de façon spécifique, avec une prise en
charge composée de bilans, de conseils et d’éducation à la rééducation.
Le point spécifique à cette forme de rééducation sensitive est que le traitement à proprement parler se fait par le patient lui-même, à son domicile. Nous parlons d’autorééducation au domicile où le patient est le partenaire de soins privilégiés.
En rééducation, nous faisons différents bilans, telle que l’EVA (échelle visuelle analogique), mais aussi le questionnaire de la douleur de Saint-Antoine, ceci afin de déterminer
comment celle-ci est ressentie afin de la cibler au mieux lors du traitement.
Nous cartographions5 aussi la zone douloureuse en réalisant ce que nous appelons une
allodynographie6.
Cette carte, de taille réelle, réalisée sur papier millimétré,
est le parfait reflet du territoire douloureux, que nous espérons
voir disparaître au cours de notre traitement.
Pour la réaliser, nous utilisons le filament de SemmesWeinstein de 15 grammes, ainsi que la référence de 3/10
à l’échelle EVA .
L’endroit où la pression du filament provoque une douleur
dépassant 3/10 sur l’EVA devient un point de référence pour la
cartographie7.
S
ur ces bases, nous avons toutes les cartes en main pour démarrer le traitement quotidien, au domicile. Dans le cadre d’allodynie, celui-ci consistera en une
«désensibilisation » du territoire hypersensible par le biais d’une stimulation agréable qui
va inhiber la sensation douloureuse et erronée du nerf lésé, responsable de l’allodynie.
Nous parlons de contre stimulation tactile à distance
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L
e traitement s’effectuera comme suit :
8 fois par jour, pendant 1 minute, ou moins longtemps8, le patient stimule une zone confortable, proximale à la lésion douloureuse, à l’aide d’un tissu soyeux, délicat
(fourrure, satin, …).
Ce territoire sera appelé « zone de travail » et ne devra en aucun cas déborder sur l’allodynie, sous peine de voir celle-ci exacerbée.
Si aucune zone confortable n’est trouvée en proximal de la zone d’allodynie, nous étendrons notre recherche de zone confortable au territoire d’un nerf cousin, issu de la même
branche du plexus, toujours en proximal.
Le cas échéant, nous pouvons remonter ou descendre au niveau segmentaire sur le
tronc du patient, toujours à la recherche de cette zone.
Celle-ci doit être confortable au toucher et le tissu choisi doit aussi être le plus agréable
possible afin de faire oublier au mieux la douleur.
A
cette contre stimulation tactile à distance vient s’ajouter une
véritable éducation au patient, afin d’éliminer les stimulations et
les contacts exacerbant la douleur : adaptation du choix vestimentaire, conseils pour la position au lit (tunnel de lit), modification des
habitudes de vie par rapport aux soins corporels … ainsi qu’une éducation des autres thérapeutes, concernant notamment le positionnement des
mains de nos confrères kinésithérapeutes lors de leurs manipulations.
Le suivi de la prise en charge se fera donc 1 fois par semaine, en consultation, avec la
réactualisation des bilans, le suivi des conseils et de la zone confortable de travail pour la
contre stimulation tactile à distance.
Dès que l’allodynographie9 devient négative, nous notons que la peau présente une zone
d’hypoesthésie appelée secondaire. Nous développerons ce point un peu plus loin.
En parallèle, le score du questionnaire de Saint-Antoine doit diminuer au fil de la prise en
charge.
LES HYPOSENSIBILTÉS D’ORIGINE PÉRIPHÉRIQUE
N
ous abordons ici un tout autre registre que le suivi de cette forme d’ hyposensibilité !
La pratique reste un peu similaire.
Une fois par semaine le patient vient en rééducation pour être testé.
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Nous réalisons dans ce cas une esthésiographie10, la carte
du territoire sensitif non réactif au filament de Semmes-Weinstein
de 0, 7 gramme11
C’est sur cette zone que le traitement quotidien devra être réalisé, au domicile.
Pour déterminer le traitement, 2 autres bilans vont être réalisés afin de quantifier la perte
de sensibilité.
Le premier est le test de l’esthésiomètre à 2 points (mesure des 2 points statiques), le
second test est le seuil de perception de la pression (couramment appelé SPP), réalisé à
l’aide des filaments de Semmes-Weinstein.
D’abord à l’aide de l’esthésiomètre, nous
allons mesurer la distance minimale qui
peut être ressentie entre les 2 pointes12.
E
nsuite, par ordre croissant, nous allons déterminer, parmi un choix défini de filaments, le premier que le patient peut détecter et qui nous servira de référence pour
déterminer le seuil de perception à la pression.
Ce seuil correspond à la moyenne faite à l’aide de 7 filaments13 et est exprimée en
grammes.
Ces deux références en main, nous avons le choix entre 2 traitements à mettre en place
en collaboration avec les patients : soit la rééducation « des tracés » pour ceux qui présentent une sensibilité moins bonne14, soit la thérapie du « touche à tout » pour ceux qui
présentent une sensibilité meilleure15.
es deux approches de réveil de la peau se font quotidiennement, à raison de 4 fois
5 minutes de traitement, au domicile.
Elles sont basées sur le même principe : stimuler au mieux une surface de peau hypoesthésique afin de recouvrer un maximum de sensibilité.
C
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C
hacune a sa particularité :
La rééducation des tracés se fait à l’aide d’un crayon muni d’une gomme à son extrémité et la participation d’une tierce personne. Celle-ci, le crayon en main,
dessine à l’aide de la gomme, des points et des droites par exemple, ou des droites et
des courbes sur la surface de peau hypoesthésique.
Le patient, sans avoir recours à la vue, doit les reconnaître et ainsi, excite sa sensibilité.
(4 séances chaque jour, durant 5 minutes).
La thérapie du « touche à tout » se fait par le patient lui-même, qui, à
l’aide de 3 textures différentes (exemples : un gant de toilette, un foulard et un coton démaquillant), stimule son territoire hyposensible. (4 séances chaque jour, durant 5 minutes)
Le suivi du patient est réalisé chaque semaine par le thérapeute,
avec des réévaluations et au besoin un ajustement du plan de soin.
Le traitement s’arrête dès que la peau a retrouvé une sensibilité dans les normes,
ou quand, malheureusement,
celle-ci est au maximum de sa récupération,
objectivée par une stagnation des bilans.
NB : Petite particularité par rapport aux traitements des allodynies : les évaluations hebdomadaires sont elles-mêmes thérapeutiques. En effet, la rééducation de l’hyposensibilité
vise à stimuler le système somesthésique, ce qui est fait lors de chaque testing (SPP ou
mesure des 2 points statiques).
LES HYPOSENSIBILTÉS D’ORIGINE CENTRALE
A
ctuellement, nous mettons en place ces traitements sur les atteintes sensitives des
plantes de pied de nos patients atteints de sclérose en plaques ou des formes variées de myélite.
Cette approche présente une grande différence, avec le traitement des hyposensibilités
périphériques, en ce qui concerne la zone de travail à définir pour le traitement.
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Article de synthèse
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ous ne définissons pas ici un territoire de distribution sensitif précis, mais nous
abordons directement la plante de pied suivant une surface délimitée entre le talon,
la tête du premier métatarsien et celle du 5ème métatarsien.
C’est sur cette surface que nous procédons aux 2 mêmes tests : celui de l’esthésiomètre
à 2 points, et celui du seuil de perception à la pression, pour avoir un tableau très complet des dysesthésies.
Sur la base de ces résultats, nous pouvons, comme pour les hypoesthésies d’origine périphérique, classifier la perte de sensibilité (S2 ou S3) et donc mettre en place le traitement adéquat.
L
a prise en charge quotidienne se fait suivant les mêmes principes :
thérapie du « touche à tout »
thérapie des tracés, à effectuer au domicile 4 fois par jour.
D
ans le cadre de cette approche en neurologie centrale, nous essayons de mettre
en évidence une corrélation entre les troubles de l’équilibre et les difficultés à la
marche.
Elle vise toujours à stimuler la peau et
donc à réveiller la sensibilité
C
’est pour cela qu’en complément de la rééducation sensitive, nous prenons des
données proprioceptives pour mettre les résultats en parallèle.
Le traitement prend fin dès que la peau se « normalise » ou
que les bénéfices sensitifs sont atteints et stabilisés dans le temps
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Article de synthèse
Cas particulier :
L’hypoesthésie secondaire
Ce trouble sensitif est secondaire à l’allodynie.
En effet, sous chaque territoire allodynique, se cache une zone hypoesthésique, qu’il faut
bien entendu traiter. Sans quoi nous prenons le risque de voir réapparaître l’allodynie.
Un traitement de réveil de la peau, adapté à la fragilité de la peau (et donc un peu différent de celui d’une hypoesthésie classique) est alors mis en place quotidiennement et
toujours au domicile du patient.
Il s’agit d’une rééducation du « touche à tout », avec des séances plus fréquentes, mais
moins longues pour me pas agresser la peau encore fragile du patient.
La prise en charge d’une allodynie prend donc réellement fin dès que la peau est
« normalisée », et qu’elle a retrouvé un seuil de sensibilité normal.
CONCLUSION
A
u sein de notre service de rééducation externe, nous multiplions les
rééducations des troubles de la sensibilité.
En névralgies périphériques, mais aussi en troubles neurologiques centraux, nous effectuons des prises en charge individuelles, spécifiques et
adaptées au besoin du patient.
Nous sommes bien entendu disponibles pour tous renseignements que
vous jugeriez utiles.
Il y a beaucoup de données que je ne pouvais développer dans cet article,
mais sachez que vous pouvez franchir, dès que vous le souhaitez,
les portes de notre salle de rééducation.
Je vous informe aussi que très prochainement, un second article
vous présentera d’autres techniques novatrices mises en place
dans notre service de réadaptation externe de Vésale.
A suivre …
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Article de synthèse
BIBLIOGRAPHIE
Spicher C., Desfoux N. , Noël L. (2009). La sensibilité au toucher: Symptôme paradoxal,
signe d’examen clinique, et prévalence, e-News for Somatosensory Rehabilitation , 6 (1),
14-27.
Ammann, J.- 2004 - La rééducation sensitive soigne les nerfs à fleur de peau. La Liberté.
Clément-Favre, S., Latière, P., Desfoux, N., Quintal, I. & Spicher, C.J. (2011). Allodynie
mécanique du membre supérieur : Zones de travail et pronostic du traitement. M.-H.
Izard (Ed.), Expériences en ergothérapie, 24ème série, (pp. 145-152). Montpellier, Paris :
Sauramps médical.
Desfoux, N., Hoellinger, P., Noël, L. & Spicher, C.J. (2011). Douleurs neurogènes : Définitions, évaluations et traitement. e-News for Somatosensory Rehabilitation, 8(2), 65-72.
Spicher, C. (2003). Manuel de rééducation sensitive du corps humain. Genève, Paris:
Médecine & Hygiène.
Spicher C., Desfoux N., Sprumont P. (2010). Atlas des territoires cutanés du corps humain - Esthésiologie de 240 branches : Sauramps médical.
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Article de synthèse
NOTES
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
Ergothérapeute, responsable du centre de rééducation sensitive, Fribourg, Suisse
et créateur des techniques de rééducation sensitive.
Syndrome douloureux régional complexe
Douleurs neurogènes spécifiques provoquées par un stimulus non douloureux.
La sensibilité au toucher: Symptôme paradoxal, signe d’examen clinique, et prévalence – C. Spicher, N. Desfoux , L. Noël - e-News for Somatosensory Rehabilitation
– tome 6 - 2009
Un atlas des territoires cutanés, qui détaille précisément chaque centimètre de
peau, nous sert de guide durant nos cartographies. (Spicher C., Desfoux N., Sprumont P. (2010). Atlas des territoires cutanés du corps humain - Esthésiologie de
240 branches : Sauramps médical.)
Celle-ci est, bien entendu, associée au territoire de distribution cutanée d’un nerf.
Si l’EVA montrait déjà une douleur supérieure à 3/10, nous tenons compte du point
de la douleur + 1.
Si la stimulation crée des dyesthésies, le temps de contre stimulation tactile est
écourté.
Et que donc la zone d’hypersensibilité au toucher aura disparue.
L’esthésiographie est associée au territoire de distribution cutanée d’un nerf
ou en fonction de la zone : 0,4 gr pour la face dorsale de la main ou du pied, 0.2 gr
pour la face palmaire et plantaire et 0,1 gr pour le visage.
Claude Spicher, manuel de rééducation sensitive(2003)
Claude Spicher, manuel de rééducation sensitive(2003)
Sensibilité « S2 », score supérieur à 30 mm à l’esthésiomètre à 2 points, et SPP
d’au moins 100 gr.
Sensibilité « S3 », score inférieur ou égal à 30 mm à l’esthésiomètre à 2 points.
« Le Grand Hornu »
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