SANTÉ ET QUALITÉ DE L`EMPLOI Impact des facteurs macro

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SANTÉ ET QUALITÉ DE L'EMPLOI
Impact des facteurs macro-économiques sur la mortalité en Europe
et dans l'OCDE
SYNTHÈSE & CONCLUSIONS ET IMPLICATIONS STRATÉGIQUES
(Rapport final)
Commission européenne
Direction générale de l'Emploi, affaires sociales et égalité des chances
Unité D1
juillet 2006
Investigateur principal
Prof. Dr. M. Harvey Brenner
Université technologique de Berlin
John Hopkins University
University of North Texas, Health Science Cente
Ce rapport est uniquement disponible en anglais.
Le rapport a été financé par la Direction générale de l’Emploi, affaires sociales et égalité des
chances de la Commission européenne et établi pour être utilisé à ses propres fins sous le
contrat no. VC/2004/0256.
Son continu ne reflète que les opinions de l'auteur et ne représente pas nécessairement la
position officielle de la Commission européenne.
Synthèse
Objectifs de I' étude
L'objectif principal de cette étude était de déterminer si l'évaluation de la «qualité de vie au
travail » nous donne des indications appropriées sur la santé physique et mentale des
populations actives en Europe et dans d'autres pays industrialisés.
L'examen approfondi de la littérature épidémiologique relative aux risques encourus par la
santé physique et mentale des travailleurs, constitue I' essentiel du travail de cette étude.
Plusieurs facteurs de risque marquants se dégagent de cet examen dont (1) I' incapacité à
moderniser (c'est-a-dire en contradiction avec la preuve scientifique) I' ergonomie, I'
équipement, les installations matérielles et la technologie de contrôle des émissions, afin de
minimiser les blessures accidentelles, I' invalidité, les toxines chimiques et autres ainsi que
les facteurs cancérigènes ; (2) le manque d'autonomie des travailleurs (y compris un contrôle
tout a fait minime du processus de travail et une complexité intellectuelle insuffisante des
tâches); (3) le manque d'observation des règlementations en matière de santé et de sécurité
tel qu'il peut se produire dans les emplois de I' économie souterraine ; (4) des fractures
majeures dans le déroulement de carrière, y compris le chômage, la perte de revenus, et le
sous-emploi; et (5) des hiérarchies salariales et des différences de statut d'emploi qui
catégorisent les employés selon des facteurs qui peuvent ne pas être associés à la
productivité, à savoir le sexe et l'âge. En littérature économique, il est souvent fait référence à
ce dernier point sous le terme d'inégalités économiques.
Méthodes
Ayant identifié les facteurs de risque épidémiologiques traditionnels pour la santé au niveau
individuel, la question s'est alors posée de savoir si de telles mesures, effectuées sur le
comportement des individus et des entreprises pouvaient également être appliquées à un
niveau plus global ou national du fonctionnement sociétal. Quatre de ces facteurs
macroéconomiques ont été identifiés : le PIB réel par habitant, la proportion de travailleurs
indépendants dans la population active, la part relative de I' économie souterraine dans le
PIB, et I' ampleur des inégalités salariales calculées par rapport à I' indice de Gini de
concentration des revenus.
L'objet de la recherche était de déterminer si ces facteurs macroéconomiques, accompagnés
occasionnellement de facteurs de risques épidémiologiques plus traditionnels, pouvaient
expliquer les niveaux et les modifications des taux de mortalité dus aux causes principales
de décès dans des échantillons de pays européens, d'autres pays de I'OCDE et même dans
un plus grand nombre de pays. Les données ont été extraites des banques de données
d'Eurostat, de I'OMS, du BIT, de la Banque mondiale et de la FAO. Pour l'analyse des
données statistiques, des analyses de régressions multi-variables transversales, des analyses
de séries chronologiques transversales combinées et des analyses chronologiques ont été
utilisées.
1
Résultats principaux
Les résultats principaux de cette étude s'articulent en quatre découvertes:
1. La plus frappante est que le niveau du PIB réel par habitant est le facteur le plus
important pour distinguer les taux de mortalité nationaux parmi les populations actives
des pays industrialisés. Cette découverte n'est pas uniquement importante du fait de son
pouvoir de prévision. Sa nouveauté est née du fait que, alors qu'il est généralement
admis que la santé publique par habitant est importante pour la santé des populations
des pays en voie de développement, il n'existe que de rares indications en littérature
épidémiologique qui mettent en avant le fait que le PIB par habitant pourrait améliorer la
santé dans les sociétés industrialisées. En effet, il est admis dans la littérature que, dès
qu'un certain seuil minimal de revenus par habitant (touchant l'alimentation, le système
sanitaire, le logement, les transports, les soins de santé primaires) est franchi, les effets
d'une croissance économique accrue n'ont pas de répercussions bénéfiques
supplémentaires sur les taux de survie dans les nations industrialisées. Cette étude
prouve que ces hypothèses dominantes sont foncièrement erronées.
2. Alors que I' autonomie des travailleurs a été I' un des thèmes principaux dans la littérature
épidémiologique sur le stress occupationnel, cette étude note pour la première fois que
lorsque le travail indépendant (ou le travail dans une petite entreprise) est pris comme
indicateur national, il a un effet important sur la réduction de la mortalité.
3. Alors qu'en général, les économistes ont I' impression que le travail dans I' économie
souterraine prive le gouvernement de revenus fiscaux, il semble être un plus pour les
revenus des travailleurs et la prospérité nationale. II est toutefois clair, sur la base de
cette étude, que I' ampleur de I' économie souterraine a un impact préjudiciable
substantiel sur la santé des populations en âge de travailler.
4. Au cours des deux dernières décennies, le débat sur I' impact potentiel des inégalités de
revenus sur les niveaux de santé publique a été très intense. La preuve épidémiologique
la plus récente tend à montrer que l'influence de I' indice de Gini peut être minime voire
inexistante. Par contraste, I' étude actuelle montre que les inégalités de revenus sont
effectivement nuisibles a la santé de la population en âge de travailler, mais qu'elles le
sont tout particulièrement pour les hommes de moins de 45 ans et les femmes de tous
âges.
Résultats particuliers
1. Le modèle principal a quatre variables: le PIB réel par habitant, le travail indépendant,
I' économie souterraine et les inégalités de revenus sont responsables de près de 80%
des variations de la mortalité ajustées par âge dans les 31 pays de l'Europe de I' Est et de
I' Ouest ainsi que dans d'autres pays de I'OCDE. Quant aux trois autres principaux
facteurs de risques épidémiologiques, tels que la consommation d'alcool et de glucides
par habitant, ils peuvent augmenter les variations expliquées de près de 90%.
2. Le PIB par habitant dans la parité de pouvoir d'achat constitue clairement le facteur le
plus important pour expliquer les variations de taux de mortalité. On peut le constater sur
une base transversale dans tous les échantillons de I' étude (24, 31, 38 et 46 pays), la
2
mortalité totale et virtuellement toutes les causes principales de décès. La grande force
explicative de la mortalité dans le groupe des 15 à 64 ans peut également être visualisée
clairement dans l'analyse chronologique. Les modèles de régression représentés
graphiquement, illustrent la relation inverse extrêmement constante entre le PIB par
habitant et la mortalité ajustée par âge chez les 15 à 64 ans dans tous les pays
européens. En effet, là où les tendances croissantes de PIB ont été relativement
absentes, comme en Pologne ou en Hongrie, il n'y a pas de déclin de la mortalité ajustée
par âge.
3. De plus, des modèles chronologiques portant sur I' effet des changements historiques sur
le PIB par habitant, ont été développés en utilisant une méthode de correction des
erreurs, pour les pays du G7 (Canada, France, Allemagne (de I 'Ouest), Italie, Japon,
Royaume-Uni, Etats-Unis). Ces modèles montrent que I 'impact du PIB par habitant est
modéré dans le temps, dans une relation interactive avec le niveau du taux de chômage.
4. Les modèles économiques ont été testés avec succès sur la mortalité ajustée totale par
âge pour la population des 15 à 64 ans ainsi que neuf causes de décès spécifiques
supplémentaires : origine cardiovasculaire, cancers, totalité des accidents, accidents
hors circulation, accidents de la circulation, empoisonnement accidentel, cirrhose du foie,
suicide et homicide.
Implications méthodologiques et politiques
1. Au niveau national, des indicateurs macroéconomiques peuvent être identifiés pour
décrire plusieurs facteurs principaux de prévision des taux de mortalité dans la population
en âge de travailler dans les pays européens et dans le reste de I'OCDE.
2. Alors qu'il est possible dans une large mesure d'utiliser les taux de mortalité, incluant les
causes principales de décès, comme mesure de la mortalité de la population (ou des
dommages à la santé) associée à I 'environnement économique, il n'est cependant pas
possible d'utiliser des mesures de l'incidence ou de la prévalence de maladies ou d'
handicaps dans ce but.
3. Etant donné l'importance des quatre principales variables macroéconomiques dans la
prévision de la mortalité, des tentatives systématiques d'évaluation de I 'efficacité des
normes législatives de santé et de sécurité pour les populations nationales doivent d'une
certaine façon contrôler, ajuster ou prendre en compte les effets du PIB par habitant, de
I' autonomie des employés, des activités économiques souterraines et des inégalités de
salaires et de statuts.
4. Le PIB par habitant étant le principal facteur de prévision de santé (par le biais des taux
bas de mortalité) dans la population active, il va de soi que la Commission européenne
a raison de mettre l'accent sur la compétitivité économique internationale, en se fixant
comme objectif politique principal I 'amélioration du PIB par habitant. Cette étude montre
que cet objectif politique économique est également un facteur intrinsèque de
l'amélioration de la santé.
3
5. Cette étude fournit une preuve supplémentaire que I' autonomie des employés, la
présence d'entreprises relativement petites et I' entreprenariat devraient être encouragés
dans I 'économie du 21ème siècle. C'est un facteur essentiel pour la prévision de
l'amélioration de la santé publique.
6. L'économie souterraine n'est pas un problème uniquement parce qu'elle prive les
gouvernements de revenus nécessaires pour subvenir a I' éducation, aux soins de santé
et à I' aide sociale. En soi, I' ampleur de I' économie souterraine, avec ses lacunes en
termes de normes de santé et de sécurité, semble avoir un effet marqué sur la baisse de
I' état de santé des personnes actives. Ainsi, une politique de santé publique devrait
s'efforcer d'en minimiser la part dans I' économie nationale.
7. Le débat international épidémiologique sur I' effet néfaste des inégalités salariales pour la
santé de la population est clos, dans une certaine mesure, par les données de cette
étude. II a été démontré que, particulièrement parmi les hommes jeunes (moins de 45
ans) et les femmes de tous âges, les inégalités salariales, mesurées par I' indice de Gini,
constituent un facteur important d'augmentation du taux de mortalité (l'importance de I'
indice de Gini n'est pas notable lorsque l'on observe la mortalité totale des 15 à 64 ans,
essentiellement parce que les hommes de 45 à 54 ans et de 55 à 64 ans, avec leur taux
de mortalité relativement élevé, n'illustrent pas cette relation). Cette « découverte » de
I' importance de I' inégalité de revenus des jeunes hommes et des femmes de tous les
groupes d'âge, met en évidence l'importance potentielle de I' action politique pour
minimiser les différences de statut salarial et d'emploi basées uniquement sur des
motivations de sexe et d'âge.
Selon I' étude, les plus fortes influences sur la santé des employés sont exercées par le
développement économique (qui influence de manière positive la capacité économique et
technologique des entreprises à mettre en œuvre des normes élevées de politiques de santé
et de sécurité), la minimisation du contrôle bureaucratique ainsi que sur I' économie
souterraine et la réduction des sources principales d'inégalité salariale.
Les pays ont différentes normes dans leurs politiques de santé et de sécurité respectives et
ils ont différents moyens de mise en œuvre financière et de contrôle de ces politiques. Afin de
tirer des conclusions sur I' efficacité des différentes approches de politiques de santé au
travail et de sécurité, d'autres recherches seraient souhaitables pour analyser I' impact des
politiques de santé et de sécurité (correctement mises en œuvre) sur la longévité des
employés dans le contexte de changements économiques et culturels spécifiques.
4
Conclusions et implications stratégiques
1 Interprétation des principaux résultats
Dans le cadre de cette étude, des techniques de régression transversales, de séries
chronologiques transversales et de séries chronologiques ont été employées pour vérifier
des hypothèses selon lesquelles l'influence de facteurs standard de risque pour la santé
parmi la population en âge de travailler pouvait être observée au niveau d'analyse national.
Si cela se révélait exact, les responsables de l'élaboration des politiques pourraient être à
même d'utiliser les résultats pour formuler ou modifier des politiques en matière de santé au
travail en fonction de leurs effets mesurés sur la mortalité. En outre, l'intérêt particulier était
de voir si des indicateurs de changement dans la macroéconomie et sur le marché du travail
étaient intrinsèquement liés à des processus de mortalité, qui pourraient alors nuancer
l'expérience des pays industrialisés. Si cette hypothèse se révélait aussi exacte, les taux de
mortalité pour les causes majeures pourraient être utilisés comme indicateurs de premier
ordre de l'efficacité des politiques nationales dans les domaines de la macroéconomie, du
marché du travail, de la protection sociale, de la gestion des entreprises et de la santé et de
la sécurité au travail. Notre principale constatation est que les taux de mortalité nationaux
sont extrêmement sensibles aux changements qui interviennent dans l'économie dans son
ensemble et sur le marché du travail à l'intérieur (marché du travail interne) et à l'extérieur
(marché du travail externe) des petites et des grandes entreprises.
Les résultats les plus importants sont les suivants: le PIB réel par habitant et la proportion de
travailleurs indépendants dans la population jouent un rôle dans la grande majorité des
différences de taux de mortalité entre les pays industrialisés. Il existe une relation inverse très
marquée entre ces deux facteurs et les taux de mortalité ajustés selon l'âge. Le deuxième
groupe de variables économiques qui influencent les taux de mortalité comprend la
proportion que représente l'économie souterraine dans le PIB (facteur de risque majeur sur le
plan de la mortalité) et les inégalités économiques (qui augmentent également les taux de
mortalité).
Pourquoi le PIB réel par habitant contribue-t-il de manière si importante, voire fondamentale,
à réduire la mortalité ajustée selon l'âge? La réponse la plus large à cette question est peutêtre la suivante: puisque la croissance économique dépend de l'évolution scientifique et
technologique, c'est en réalité cette évolution qui constitue le fondement de l'amélioration de
la santé des travailleurs dans les populations nationales. La science et la technologie sont à
la base des solutions aux problèmes traditionnels et plus récents d'adaptation des personnes
à l'environnement bio-physico-chimique et à l'environnement humain ou bâti. Le terme
"adaptation" fait ici référence à l'élaboration de solutions aux problèmes de survie et de
maintien du fonctionnement (c'est-à-dire, à la "santé"). L'importance fondamentale de
l'économie pour la santé est quadruple: l'économie permet de financer 1) la transformation de
la base d'adaptation scientifique conceptuelle en sa manifestation matérielle fondée sur
l'ingénierie, 2) les sources initiales des travaux scientifiques de recherche et de
développement, 3) l'entrepreneuriat requis pour transférer les innovations vers les processus
de production et les marchés et 4) la capacité des consommateurs et des entreprises à
acheter les matérialisations de ces innovations sous la forme de biens et de services.
5
En particulier, la capacité de la croissance économique à financer l'application des normes
établies en matière de santé et de sécurité au travail a une importance fondamentale pour la
santé des salariés. Ces normes concernent notamment l'ergonomie, la toxicologie, le climat,
les facteurs de risque chimiques (en particulier les cancérigènes) et les risques liés au
transport. Un élément peut-être aussi important est le financement de technologies
médicales et chirurgicales permettant de réduire la gravité des accidents et des maladies qui
trouvent leur origine sur le lieu de travail grâce à l'élaboration 1) de procédures d'urgence et
ambulatoires et 2) de procédures de soins intensifs en hôpital pour soulager les personnes
souffrant d'une maladie ou d'un handicap et prolonger leur vie. Par ailleurs, lorsque l'on
compare différents pays, il ne faut pas oublier que, en fonction des systèmes de soins de
santé — nationaux, par assurance et privés —, les populations actives n'ont pas toujours
accès dans la même mesure aux soins de santé de haute technologie disponibles. Toutes
ces questions d'accès des salariés dépendent aussi très largement de la richesse des
sociétés, et en particulier de la capacité de leurs secteurs public et privé à financer la faculté
de recevoir des soins.
Nous avons observé que le PIB par habitant était un déterminant essentiel de la capacité
des sociétés à financer et concrétiser les avancées scientifiques et technologiques dans le
domaine de l'adaptation humaine. Un élément concomitant à la croissance économique à
long terme est le "développement économique". Celui-ci inclut le déplacement classique
(observé empiriquement, bien que non nécessaire logiquement) de l'accent sur l'économie
des secteurs primaire et secondaire vers celle du secteur tertiaire dans de nombreuses
sociétés de l'ère moderne. Très récemment, à la fin du vingtième et au début du vingt et
unième siècle, le mouvement s'est poursuivi au sein du secteur tertiaire par le passage à
l'économie "de la connaissance" ou de l'information. Cette dernière semble se caractériser
par un nombre fortement réduit d'emplois manufacturiers dans des organisations
hiérarchiques complexes et par la pleine émergence des professions scientifiques,
techniques et managériales, en plus des établissements de commerce de détail, de
restauration et d'hôtellerie des sociétés urbaines les plus diverses et les plus développées.
Si nous nous concentrons sur les indicateurs les plus étroits de cette évolution des secteurs
économiques, nous pouvons mettre en évidence l'importance statistique du travail
indépendant (et du travail familial) en tant que facteur prédictif inverse de mortalité. Cela est
cohérent avec la vaste littérature relative à l'épidémiologie des maladies professionnelles, qui
voit dans l'autonomie des salariés un facteur essentiel de la santé au travail ou, selon une
approche plus technique, relève l'importance de la gestion du processus de travail par le
travailleur. Toutefois, de manière plus générale, on peut extrapoler cette interprétation en la
reliant au développement du secteur tertiaire avancé, qui se caractérise par des entreprises
de plus petite taille, à la structure moins hiérarchique et plus flexibles du point de vue de leur
capacité d'adaptation aux changements concurrentiels sur le marché. Cela est également
cohérent avec la description de l'entreprise individuelle et de la petite entreprise, qui sont
considérées comme les principales sources d'innovation, à la fois en tant que telles et par
rapport aux entreprises de plus grande taille.
Dans la littérature économique, l'esprit d'entreprise de la petite unité est considéré comme la
base de la diffusion des innovations, et ce rôle entrepreneurial est supposé être le point de
départ de l'évolution technologique si on la considère comme un processus d'apprentissage
fondamental pour les entreprises et les consommateurs. En somme, nous disposons de
6
données selon lesquelles la présence relative d'entreprises individuelles et de petites
entreprises est un indicateur 1) de l'autonomie salarié-dirigeant, 2) d'un développement du
secteur tertiaire avancé dominé par des entreprises plus petites et plus flexibles dans un
environnement novateur de société de l'information et 3) d'une économie compétitive
présentant un degré relativement élevé d'esprit d'entreprise et d'innovation.
Il s'avère que les bénéfices intrinsèques du PIB par habitant et du travail indépendant pour la
santé s'appliquent à la vie professionnelle dans les économies les plus avancées. Des
éléments indiquent également que les dommages pour la santé liés à la présence relative de
l'économie souterraine et aux inégalités de revenus concernent les économies dans
lesquelles le PIB par habitant est relativement faible et où, partant, le secteur tertiaire avancé
est relativement peu développé. Bref, il semble donc évident qu'à l'échelon international, des
niveaux élevés de santé des salariés sont associés à des niveaux élevés de revenu national
et de développement économique sectoriel.
Ces résultats montrent que la Commission européenne a raison d'affirmer que la
compétitivité économique devrait être un objectif essentiel de l'UE. Il semble évident qu'une
telle compétitivité serait la base du bien-être économique et donc également de la santé
professionnelle. Il s'avère également que, dans le contexte de la promotion de la compétitivité
associée à la surveillance de la productivité économique, les investissements dans la santé
et la sécurité des travailleurs, au moyen de mesures mises en place par les entreprises ellesmêmes et à travers les systèmes de soins de santé, sont essentiels. De même, les
investissements dans la recherche et le développement et dans l'éducation ("l'éducation et la
formation tout au long de la vie") de la société, pour que les compétences des travailleurs
puissent être constamment adaptées aux évolutions de l'économie novatrice, revêtent une
importance fondamentale. Enfin, en soutenant la création de petites entreprises innovantes,
on devrait contribuer à la productivité et, partant, à la santé des salariés.
2 Validation des hypothèses
Du point de vue de la macroéconomie et des conditions de travail générales, notre
hypothèse principale est que les pays qui ont une croissance économique relativement
élevée sont financièrement capables d'investir dans des machines et un environnement
physique économiquement sophistiqués, dans la lutte contre les émissions sur le lieu de
travail, dans les contrôles en matière de climat et d'hygiène dans l'industrie et dans la
formation adéquate des salariés pour limiter autant que possible les accidents ou toute
exposition involontaire à des risques professionnels. Selon cette hypothèse, ces pays ont
également les moyens financiers d'assurer un niveau minimal élevé de soins de santé dans
des conditions garanties et, partant, de réduire la gravité des accidents et des maladies et de
faire baisser le taux de mortalité lié à ces maladies. Enfin, la croissance économique durable
est l'inhibiteur le plus certain des récessions – ces sources importantes d'instabilité
économique qui génèrent à la fois des stress massifs liés à l'imprévisibilité sur le lieu de
travail et la crainte de perdre son emploi et son revenu.
Cette hypothèse centrale selon laquelle la croissance économique, principalement exprimée
par le PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat (PPA), a une importance primordiale, est
la source essentielle d'améliorations sur les plans de la santé et de la mortalité dans les
7
sociétés industrialisées modernes. Cette hypothèse a été confirmée dans des échantillons de
pays tirés des principales bases de données internationales établies par l'Organisation
mondiale de la santé, l'Organisation internationale du travail, la Banque mondiale, l'OCDE et
Eurostat. Cette conclusion est d'autant plus remarquable que, ces dernières années, des
doutes ont été émis concernant cette hypothèse par des partisans de la théorie selon laquelle
ce seraient les inégalités de revenus au sein des pays, et non la croissance économique
sous-jacente, qui joueraient un rôle essentiel dans la détérioration de la santé et du bien-être
de la population, et que, très récemment, certains éléments dans la littérature ont semblé
accréditer l'idée que, paradoxalement, le déclin économique et le chômage avaient des effets
positifs latents sur la santé de la population.
Si la croissance économique constitue clairement le déterminant essentiel de la santé
comparative de la population des nations industrialisées, elle n'est pas le seul facteur
important. Nous avons découvert qu'un deuxième facteur intervenait largement dans les pays
où les taux de mortalité ajustés selon l'âge étaient quelque peu inférieurs à ce qu'aurait
permis la croissance économique à elle seule. Par exemple, l'énigme classique pour les
épidémiologistes des pays industrialisés consiste à comprendre pourquoi un État tel que
l'Allemagne, avec son PIB par habitant relativement élevé, ses excellents soins médicaux et
ses politiques de santé au travail strictement contrôlées, a un taux de mortalité ajusté selon
l'âge sensiblement supérieur à celui de la Grèce, qui présente les caractéristiques opposées,
ou pourquoi les États-Unis, bien qu'ils aient le PIB par habitant le plus élevé, enregistrent une
espérance de vie plus courte que la France, qui a un PIB par habitant nettement inférieur. Il
semble que nous ayons découvert au moins l'une des variables manquantes essentielles qui
expliquent ce paradoxe. À cet égard, nous avons tout d'abord remarqué une relation inverse
très marquée entre la proportion de "travailleurs familiaux" dans la population active d'un
pays et la mortalité. Dans le prolongement, nous nous sommes rendu compte – et il s'agit là
de la découverte clé – de l'existence d'une relation inverse très nette entre la part de
travailleurs indépendants dans la population active et la mortalité ajustée selon l'âge et, à
l'opposé, d'une importante relation directe entre la part de travailleurs salariés dans la
population active d'un pays et la mortalité ajustée selon l'âge.
Sur la base de la théorie actuelle du stress professionnel et des études épidémiologiques
récentes, ainsi que des études classiques relatives à la sociologie organisationnelle, à la
bureaucratie, au statut socio-économique et à la psychologie du travail, l'interprétation
courante de ces constatations serait que l'emploi dans des organisations très
bureaucratiques et fortement hiérarchisées comporte d'importants facteurs de risque pour la
santé au travail et la santé de la population en général. Si c'est exact, sur la base de nos
découvertes empiriques, les deux piliers de la santé au travail et de la santé de la population
dans le monde industrialisé sont 1) un niveau stable de croissance économique et 2) l'emploi
dans des institutions le moins bureaucratiques et hiérarchisées possible.
Ces "piliers" du lien entre le développement économique et l'espérance de vie dans les pays
industrialisés expliquent dans une extrêmement large mesure les différences de taux de
mortalité ajustés selon l'âge au sein des échantillons de pays de l'OCDE et de l'Europe.
Toutefois, il reste d'autres facteurs, qui expliquent en grande partie les différences restantes.
Fait intéressant, l'un de ces facteurs est la part de la population travaillant dans l'agriculture,
qui présente une relation directe avec les taux de mortalité; en outre, il existe une relation
inverse entre la part de la population qui a au moins terminé des études secondaires et la
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mortalité, et une relation directe entre le taux de chômage de la population ayant terminé des
études secondaires et la mortalité. À PIB par habitant et part d'indépendants dans la
population égaux, ces trois facteurs (l'emploi dans le secteur agricole, les études secondaires
et le taux de chômage) ont une influence marquée sur la mortalité.
Une vision quelque peu différente de l'importance des résultats économiques nationaux
pour la mortalité peut découler d'un autre modèle prédictif, quoique un peu moins puissant
statistiquement. Ce modèle reposerait sur le PIB par habitant et les facteurs liés au marché
du travail qui ont une influence sur la stabilité des courbes de croissance économique. Ainsi,
plus le taux d'emploi de la population ayant terminé des études primaires est élevé, plus la
mortalité est faible, et plus le taux de chômage de la population est important, plus la
mortalité est forte.
Toutes les constatations exposées ci-dessus concernent la mortalité totale et la mortalité
cardiovasculaire. Dans le cadre de nos analyses, nous nous sommes d'abord attachés à la
mortalité cardiovasculaire, étant donné qu'il s'agit de la source de maladie liée au stress
professionnel la plus citée dans la littérature relative au stress. Toutefois, on peut facilement
déduire que de nombreuses autres causes de maladie et de décès – infections, accidents,
mauvaise gestion cognitive du travail en raison de relations sociales perturbées ou
consommation de substances telles que l'alcool – pourraient aussi résulter du stress
émotionnel au travail. Dès lors, nous avons décidé de considérer au sens le plus large les
relations avec l'économie liées au stress qui peuvent se manifester dans la sphère
professionnelle, et nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait tenir compte du plus
grand nombre de pathologies médicales. Par conséquent, nous avons examiné la mortalité
totale par âge et ajustée selon l'âge pour l'ensemble de la population et chaque sexe.
Selon nous, un deuxième groupe de résultats, fondés sur des analyses de séries
chronologiques historiques, permet de mieux comprendre l'importance du stress
professionnel. Ces analyses ont été réalisées pour les États-Unis, le Canada, le Japon et les
quatre autres pays du G7 (la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni). Comme dans le
contexte des analyses transversales citées précédemment, le PIB par habitant en PPA est
presque toujours le facteur primordial de baisse de la mortalité observée dans les pays
industrialisés depuis la Seconde Guerre mondiale au moins. Cette découverte a une
importance considérable étant donné que de nombreux spécialistes de la santé pensent
actuellement que les facteurs alimentaires et environnementaux potentiellement nocifs pour
la santé constituent en réalité les déterminants statistiques les plus importants de la santé de
la population. Nos données indiquent au contraire que les tendances durables de croissance
économique représentent les facteurs prédictifs essentiels des diminutions de la mortalité
enregistrées pendant la deuxième moitié du vingtième siècle.
Une réserve très importante doit être émise concernant cette conclusion générale relative
aux effets bénéfiques de la croissance économique sur la santé. Nous sommes désormais
capables d'établir que les augmentations de croissance économique à très court terme
tendent à avoir des effets quelque peu dommageables sur la santé de la population. De
même, on observe parfois une relation inverse entre les taux de chômage et la mortalité au
cours de la toute première année d'augmentation du chômage – en dépit du fait qu'en
général, le chômage se traduit à moyen et long terme par une augmentation des taux de
mortalité. On trouve dans la littérature plusieurs explications à ces relations paradoxales. La
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plus connue touche aux théories des cycles conjoncturels de Schumpeter, selon lesquelles
les investissements dans l'innovation jouent un rôle essentiel. Étant donné que des
innovations technologiques sont généralement introduites dans l'économie pendant les
périodes de reprise, la population active doit s'adapter aux changements de la structure
technologique, aux processus d'apprentissage adaptatifs et aux modifications dans les
hiérarchies administratives, qui constituent traditionnellement des sources de stress.
Toutefois, ces sources de stress, qui sont liées à la "crise de croissance" des entreprises et
autres organisations, sont nécessaires en vue du développement à moyen et long terme de
la croissance économique, qui reste le déterminant fondamental de l'allongement de
l'espérance de vie.
De manière assez évidente, une deuxième série d'éléments, liés à la charge de travail,
augmentent à court terme en raison de l'accroissement de la demande globale: la vitesse, le
volume, l'intensité et les heures de travail. Il convient également de mentionner le modèle du
stress professionnel accru résultant du concept de chômage en tant qu'indicateur de
décalage du cycle économique. Selon ce modèle, lorsque l'économie sort de la récession et
la croissance économique augmente, les employeurs ne sont pas prêts à engager de
nouveaux salariés (ou à réembaucher d'anciens salariés), car ils ne perçoivent pas encore
de signes de durabilité de la reprise économique. Par conséquent, le taux de chômage reste
élevé pendant, voire après la reprise. Cela signifie que les employeurs voudront accroître la
vitesse et le volume de travail des salariés existants pour ne pas perdre de commandes de
produits et services supplémentaires. De même, lorsque la récession commence et le PIB
diminue, les employeurs sont quelque peu réticents à licencier de nombreux travailleurs, car
ils ne perçoivent pas encore de signes clairs de poursuite de la récession et ils préféreraient
ne pas devoir reformer des salariés perdus inutilement pendant la récession. Cela implique
que la productivité chute durant les périodes de récession et augmente durant les périodes
de reprise.
3 Implications méthodologiques et stratégiques spécifiques
1. Il est possible de définir des indicateurs macroéconomiques au niveau national pour
décrire plusieurs des principaux facteurs de prévision des taux de mortalité de la
population en âge de travailler dans les pays européens et le reste de I'OCDE.
2. Alors qu'il est en grande partie possible d'utiliser les taux de mortalité, y compris par
grandes causes de décès, comme mesure de la santé (ou des dommages à la santé) de
la population associée à l'environnement économique, il n'est pas encore possible
d'utiliser des mesures de l'incidence ou de la prévalence de maladies ou de handicaps à
ces fins.
3. Étant donné l'importance des quatre principales variables macroéconomiques dans la
prévision de la mortalité, les tentatives systématiques d'évaluation de l'efficacité des
normes législatives de santé et de sécurité pour les populations nationales doivent d'une
certaine façon contrôler, ajuster ou prendre en compte les effets du PIB par habitant, de
l'autonomie des salariés, de l'activité économique souterraine et des inégalités de salaires
et de statuts.
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4. Le PIB par habitant étant le principal facteur de prévision de la santé de la population
active (via des taux de mortalité peu élevés), il va de soi que la Commission européenne
a raison de mettre l'accent sur la compétitivité économique internationale, en se fixant
comme objectif stratégique principal l'amélioration du PIB par habitant. Cette étude
montre que cet objectif de politique économique est également un facteur intrinsèque de
l'amélioration de la santé.
5. Cette étude fournit une preuve supplémentaire que l'autonomie des salariés, la
présence d'entreprises relativement petites et l'esprit d'entreprise devraient être
encouragés dans l'économie du début du vingt et unième siècle. C'est un facteur
essentiel pour la prévision de l'amélioration de la santé nationale.
6. L'économie souterraine n'est pas un problème uniquement parce qu'elle prive les États de
recettes nécessaires pour subvenir à l'éducation, aux soins de santé et à l'aide sociale. En
soi, l'ampleur de l'économie souterraine, dans laquelle les normes de santé et de sécurité
sont inexistantes, semble avoir un effet marqué sur la baisse de l'état de santé des
personnes actives. Dès lors, les politiques nationales en matière de santé nécessiteraient
des efforts visant à en réduire la part dans l'économie nationale.
7. Le débat épidémiologique international sur l'éventuel effet néfaste des inégalités de
revenus sur la santé de la population est clos, dans une certaine mesure, par les données
de cette étude. On a découvert que, particulièrement chez les hommes jeunes (de moins
de 45 ans) et les femmes de tous âges, les inégalités de revenus, mesurées par l'indice de
Gini, constituaient un facteur important d'augmentation des taux de mortalité (l'importance
de l'indice de Gini n'est pas notable lorsque l'on observe la mortalité totale des 15 à
64 ans, essentiellement parce que les hommes de 45 à 54 ans et de 55 à 64 ans, avec
leur taux de mortalité relativement élevé, ne présentent pas cette relation). Cette
"découverte" de l'influence des inégalités de revenus chez les hommes jeunes et les
femmes de tous les groupes d'âge met en évidence l'importance potentielle des mesures
stratégiques visant à réduire autant que possible les différences de salaires et de statuts
professionnels uniquement fondées sur le sexe et l'âge.
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