Les cavités HF supraconductrices dans les accélérateurs de

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De la physique à la technologie
Les cavités HF supraconductrices
dans les accélérateurs de particules
La course vers les très hautes énergies et les faisceaux de très haute intensité ont placé
les cavités haute fréquence (HF) supraconductrices au premier plan des études et réalisations
des accélérateurs de particules. L’utilisation de la supraconductivité HF a progressé rapidement
grâce à une bonne compréhension des phénomènes physiques de base et à une amélioration
constante des technologies associées : fabrication des cavités, cryogénie, composants HF, etc.
Plusieurs accélérateurs dans le monde fonctionnent en utilisant des cavités supraconductrices
et les performances obtenues confirment l’état de maturité atteint par ces dispositifs. Aujourd’hui,
des projets plus ambitieux sont étudiés et des développements récents illustrent ces progrès :
des cavités prototypes offrent des performances approchant les limitations théoriques de la
supraconductivité HF.
a supraconductivité HF est un
phénomène étudié depuis
1940 et dont les paramètres
essentiels sont bien connus actuellement (encadré 1). A partir de 1965,
près de 20 ans de développements
technologiques, accompagnés d’une
meilleure compréhension des phénomènes physiques de base, ont été nécessaires pour assurer la transition
entre les premières cavités prototypes
de laboratoire et des cavités susceptibles d’être utilisées à grande échelle
sur un accélérateur de particules. A
partir de 1980, on a envisagé l’utilisation des cavités supraconductrices
fabriquées par l’industrie dans différents projets : TRISTAN (Laboratoire
KEK, Japon) et le LEP (CERN) sont
des collisionneurs e+ e– avec des faisceaux d’énergie de l’ordre de 30 et
100 GeV respectivement, HERA (Laboratoire DESY, Hambourg) est un
collisionneur e– p, l’anneau d’électrons de 30 GeV bénéficiant de cavités supraconductrices, CEBAF (Laboratoire T. Jefferson, USA) est un
accélérateur d’électrons de 4 GeV à
faisceau continu de 200 µA. Ces ma-
L
– Institut de Physique Nucléaire, UMR
6424 CNRS, 91406 Orsay Cedex.
104
chines sont aujourd’hui en fonctionnement et les résultats obtenus ont
confirmé les espoirs fondés sur cette
technologie. La supraconductivité HF
a rendu possibles certaines réalisations qui étaient inimaginables avec
la technologie classique des cavités
HF en cuivre : production de champs
électriques compris entre 5 et
10 MV/m (encadré 2) pour accélérer
des faisceaux continus ou de longue
durée, de forte intensité (> 0,1 A) et
ne dissipant sur les parois des cavités que des puissances de quelques
watts par mètre de longueur d’accélérateur, alors que, avec les cavités en
cuivre, les pertes avoisinent 105 à
106 watts/mètre.
L’accélération de faisceaux d’ions
lourds a également bénéficié de la supraconductivité HF. Plusieurs accélérateurs électrostatiques possèdent des
dispositifs post-accélérateurs constitués de structures résonnantes supraconductrices à basse fréquence (40 à
200 MHz). Une large palette d’ions
lourds : O, Ni, Au, U,... avec des rapports q/m (charge/masse) supérieurs
à 0,1 sont accélérés à des énergies
comprises entre 5 et 20 MeV/nucléon.
Ces dernières années, on a envisagé l’utilisation des cavités supraconductrices dans la partie hauteénergie (> 100 MeV) d’un accélé-
rateur linéaire de protons à faisceau
continu de forte intensité (> 0,1 A).
Différentes applications sont en cours
d’étude : sources de neutrons, transmutation de noyaux radioactifs à vie
longue, réacteurs hybrides, etc. Pour
atteindre une énergie finale proche de
1,5 GeV, on propose l’utilisation de
cavités supraconductrices de géométrie elliptique, comme celles utilisées
pour les électrons, mais fonctionnant
à des fréquences plus basses : 350 ou
700 MHz.
Dans un accélérateur, le rendement
global de la machine est un paramètre très important, surtout pour les
très grandes machines. Il est défini
comme le rapport entre la puissance
moyenne du faisceau accéléré
(Pfaisceau = < Ifaisceau >. Energie finale) et
la puissance électrique prélevée au
réseau pour faire fonctionner l’accélérateur. A première vue, l’utilisation
des cavités supraconductrices devrait
permettre de gagner un facteur très4
important sur ce paramètre (entre 10
et 105). Cependant, les cavités supraconductrices fonctionnent (en attendant les nouveaux supraconducteurs
à haute température) à la température
de l’hélium liquide (1,8 K à 4,2 K),
et les réfrigérateurs nécessaires ont
un rendement faible qui est le produit
du rendement théorique de Carnot et
De la physique à la technologie
du rendement des machines de cycle
utilisées. Selon le mode de fonctionnement et la taille, les rendements
cryogéniques sont compris entre
1.10–3 et 5.10–3. Il ne faut pas
oublier, également, le rendement propre aux générateurs et aux amplificateurs HF de puissance. Globalement
on vise un gain de 10 sur le rendement final de l’accélérateur.
L’une des dernières machines entrées récemment en fonctionnement
(l’accélérateur d’électrons à faisceau
continu CEBAF au T. Jefferson Laboratory, Newport News, Virginia
USA) est un exemple symbolique
des progrès récents de cette technologie. Ce projet, initié au milieu des
années 80, avait un cahier des charges assez osé pour l’époque avec un
champ accélérateur Eacc de 5 MV/m
et un coefficient de qualité
Q0 = 2,5 109 (voir encadré 2). Il a bénéficié pendant sa construction des
nombreux progrès obtenus sur les
techniques de fabrication, les conditions de préparation et les précautions
de montage. Cette machine, qui accélère des faisceaux continus d’électrons à 4 GeV (200 µA) pour des
expériences de physique nucléaire,
fonctionne aujourd’hui avec des
valeurs
et
^ Eacc & = 9 MV/m
10
Q0 = 10 . Ces valeurs correspondent à la moyenne sur plus de
350 cavités installées dans la machine représentant une longueur équivalente d’accélérateur de 180 m.
Ces succès ont conduit à reformuler des propositions datant des années
70 qui imaginaient l’utilisation des
cavités supraconductrices pour les futurs collisionneurs e– e+ de très haute
énergie. En Europe, une étude visant
à produire des faisceaux d’électrons
et de positons de 250 GeV (soit une
énergie totale dans le centre de masse
de 500 GeV) a été présentée en 1992.
Il s’agit du projet TESLA (TeV
Energy Superconducting Linear Accelerator) qui est basé sur des cavités supraconductrices fonctionnant à
25 MV/m. Cette idée a donné une
forte motivation à la communauté
des chercheurs et des ingénieurs, et
une collaboration internationale
Figure 1 - Cavité supraconductrice comprenant neuf cellules de types TESLA, fonctionnant à la fréquence de 1,3 GHz. Fabriquées à partir de tôles de niobium de 2,5 mm d’épaisseur, les demi-cellules
sont soudées au canon à électrons. La longueur totale est 1,38 m (longueur effective 1 m), le diamètre
max. est 0,2 m. L’objectif visé par le projet TESLA est d’atteindre un gain en énergie de 25 MeV/cavité.
(Allemagne, Italie, USA, France,...) a
mis sur pied un programme de travail
visant, dans une première étape, la
construction d’un accélérateur prototype TTF (TESLA Test Facility) avec
des cavités fournissant un champ accélérateur de 15 MV/m. Les cavités
prototypes pour le projet TESLA (figure 1) fabriquées en Allemagne et
en France ont confirmé pleinement
les espoirs : sur les dix-sept premières cavités, on a obtenu
10
^ Eacc & = 17,2 MV/m, Q0 > 10 , et
sept de ces cavités ont dépassé
20 MV/m. Le plus remarquable dans
ces résultats est qu’il s’agit de cavités entièrement équipées pour l’accélérateur, avec les coupleurs de puissance, les réservoirs d’hélium, les
systèmes d’accord en fréquence, etc.
Huit de ces cavités ont été installées
dans un cryostat spécial (cryomodule), et un faisceau de 8 mA
crête, en impulsions longues, a été
accéléré à 125 MeV en juin 1997 au
laboratoire DESY (Hambourg).
LIMITATIONS THÉORIQUES ET
POSSIBILITÉS PRATIQUES
Différents phénomènes limitent
l’utilisation de champs accélérateurs
élevés à haute fréquence.
Le métal supraconducteur utilisé
couramment dans les cavités supraconductrices est le niobium, supraconducteur du type II qui a un champ
critique (à température nulle)
Hc(0) = 195 mT, et une tempéra-
ture critique Tc = 9,2 K. Ces deux
limites fixent la frontière entre l’état
supraconducteur et l’état normal, selon l’expression de Gorter-Casimir :
F S DG
Hc~ T ! = Hc~ 0 ! ⋅ 1 − T
Tc
2
En présence d’un champ magnétique alternatif, la limitation en champ
critique est légèrement différente. En
courant continu, la pénétration progressive du champ dans le métal à
partir de la valeur Hc1, et qui détruit
l’état supraconducteur à partir de la
valeur Hc2, est expliquée par la « nucléation » des réseaux de lignes de
flux magnétique quantifié. Le temps
nécessaire à la « nucléation » est de
l’ordre de 10–6 s, beaucoup plus long
que la période des ondes HF dans les
cavités (~ 10–9 s). En haute fréquence, il est donc possible d’atteindre une phase métastable où le
champ critique est plus élévé que
Hc2, il est désigné par Hsh (superheating). Pour le niobium, les estimations théoriques indiquent : 200 mT
< Hsh < 240 mT, mais les mesures
expérimentales n’ont pas pu confirmer ces valeurs. A titre d’exemple, la
limite supérieure Hsh = 240 mT
correspond, dans le cas des cavités
prévues pour TESLA, à un champ accélérateur Eacc = 54 MV/m à 1,8 K.
Du point de vue des pertes HF
dans les parois de la cavité, la limitation est liée à la résistance de surface résiduelle. Pour Rres = 0 (température 1,8 K, fréquence 1,3 GHz), la
105
Encadré 1
LA SUPRACONDUCTIVITÉ À HAUTE FRÉQUENCE
La mise en évidence expérimentale de la supraconductivité HF
remonte aux travaux de London (1940) et Pippard (1947)
effectués il y a plus de 50 ans. Les développements théoriques
(BCS) des années 1957-1959 donnèrent un support complet
aux expériences sur les métaux supraconducteurs en courant
continu, et les travaux de Mattis, Bardeen, Abrikosov, etc.
conduisirent à la formulation de la résistance de surface de
ces métaux en présence d’un champ haute fréquence. Plus
tard Turneaure et Hallbriter, dans la période 1967-1969,
effectuèrent les premiers calculs utilisant la théorie BCS,
permettant une première interprétation des résultats
expérimentaux.
Les supraconducteurs présentent une résistance nulle en
courant continu à basse température (T < Tcritique). La théorie
BCS explique ce phénomène par l’interaction entre les
électrons et le réseau cristallin du métal. Les électrons se
condensent en des paires de Cooper qui peuvent se déplacer
sans résistance dans le métal. Les électrons sont liés par une
énergie de liaison D(T) dépendant de la température. A la
différence du comportement en courant continu, à haute
fréquence la résistance est nulle uniquement à 0 K. Pour des
températures plus élevées elle est très faible mais non nulle.
Le modèle à « deux fluides » proposé par London est plus
simple à formuler que la théorie BCS et donne une bonne
interprétation phénoménologique de la supraconductivité HF.
Les électrons sont partagés en deux fluides : les électrons
non appariés (nn, normaux) et les électrons appariés
résistance de surface théorique est
Rs = 4,2 10–9 ohm, ce qui correspond
à des facteurs de qualité Q0 ~ 5.1010.
La limitation en fréquence est très
élevée, l’absorption de rayonnement
pouvant détruire la supraconductivité
peut se calculer à partir de l’énergie
de liaison des paires de Cooper :
hv ≥ 2 ⋅ D(0). Pour le niobium,
D(0)z1,42 meV, ce qui donne des
fréquences supérieures à 700 GHz.
Malgré les progrès récents, on est
encore loin des limites théoriques
mais la compréhension des limitations pratiques s’est fortement clarifiée ces dernières années. Deux types
de limitation sont clairement établis :
les instabilités thermiques liées à un
refroidissement insuffisant de la ca106
(nsc, supraconducteurs). La distribution de ces électrons est
représentée de façon approchée par une distribution de
Boltzman :
~ − DkT~ T ! !
nn
= exp
nsc
Dans le cas d’un courant continu, tout le courant est
transporté par les électrons supraconducteurs et le métal offre
une résistance apparente nulle. Dans le cas d’un champ haute
fréquence, le champ électromagnétique à la surface du métal
induit des courants qui sont composés à partir des deux
fluides. Les électrons supraconducteurs vont se déplacer sans
résistance, mais les électrons normaux vont créer une
dissipation qui sera proportionnelle à la densité des électrons
normaux. Il existe donc une résistance de surface Rs (terme
résistif de l’impédance complexe de surface Z = E , reliant
H
les champs électriques et les champs magnétiques à la surface
du métal).
Les calculs effectués à partir de la théorie BCS ont permis de
trouver une formulation simplifiée de cette résistance de
surface :
2
~ − DkT~ 0 ! ! + R
Rs = A ⋅ x ⋅ exp
T
vité et/ou à la présence de défauts
(non supraconducteurs) dans la surface de la cavité, et l’émission électronique dans les zones à champ
électrique de surface élevée. Il est intéressant de détailler ces deux phénomènes pour comprendre les progrès
actuels et l’orientation des travaux en
cours.
Instabilités thermiques
Dans une surface supraconductrice
idéale, en absence de tout défaut ou
contamination, il peut apparaître une
instabilité thermique si la production
de chaleur liée à la résistance de surface et à l’intensité du champ magné2
tique (q = 1 Rs H , où q est la puis2
res
sance dissipée par unité de surface)
est supérieure à la capacité de refroidissement par transfert thermique
vers l’hélium liquide. Cette capacité
de refroidissement peut s’exprimer
simplement par l’intermédiaire de la
différence de température entre la
surface HF et le bain d’hélium :
S
DT = THF − THelium = q ⋅ e + 1
k hK
D
où les deux termes du transfert thermique sont explicites : la conduction
dans la paroi de niobium (e : épaisseur, k : conductivité thermique), et la
convection à l’interface niobiumhélium, représentée par le coefficient
d’échange hK (conductance de Kapitza). Dans la figure 2a, on présente
De la physique à la technologie
où A est un paramètre dépendant du matériau (longueur de
cohérence, profondeur de pénétration, libre parcours
moyen,...), x la pulsation de l’onde HF, T la température,
D(0) l’énergie de liaison à température nulle, et Rres la
résistance de surface résiduelle.
Sur les deux courbes de la figure 1, on a représenté la
variation de Rs (niobium) en fonction de la température et de
la fréquence. Cela permet d’évaluer simplement les
performances des cavités supraconductrices dans des
conditions typiques de fonctionnement d’un accélérateur.
La formule suivante est utile pour le niobium, matériau
couramment utilisé dans les cavités supraconductrices :
− 4
RS~ ohm ! = 10
T
~ −T18 ! + R
⋅ f ~ GHz ! ⋅ exp
2
res
Le terme Rres (Résistance de surface résiduelle) est un
paramètre expérimental, indépendant de la température, qui
n’est pas encore complètement expliqué. De nombreuses
expériences ont montré une forte dépendence de Rres en
fonction de la pureté du matériau et de l’état de surface. Pour
les meilleures cavités, en appliquant les techniques de
préparation les plus performantes, on a pu mesurer des
valeurs de Rres de l’ordre de 1 nano-ohm.
Figure 1 - Variations de la résistance de surface de cavités en niobium avec la fréquence (1) et la température (2).
le comportement d’une paroi de niobium qui est soumise, sur une face, à
un champ magnétique HF uniforme,
et qui est refroidie sur l’autre face par
de l’hélium liquide à 1,8 K. On observe une forte différence de comportement selon la fréquence appliquée,
qui s’explique simplement par la
forte dépendance par rapport à la fréquence de la résistance de surface
Rs (voir encadré 1). Pour des fréquences supérieures à 2 GHz, la production de chaleur est supérieure à la
capacité de refroidissement et on atteint un seuil d’instabilité thermique
(emballement ou « quench » d’origine thermique) bien avant d’avoir
atteint la limite de champ critique.
On peut améliorer légèrement les
choses en augmentant la conductivité
du niobium utilisé, mais finalement le
seuil de « quench » sera lié essentiellement à la conductance d’interface
(Kapitza) qui est un paramètre difficilement contrôlable. Pour les fréquences plus basses, on dispose
d’une marge thermique confortable,
et en général, pour une surface
« idéale », on atteint la limite de
champ magnétique critique avant
d’arriver au seuil de l’instabilité
thermique.
Le type d’instabilité décrit précédemment est difficile à observer sur
la plupart des cavités, qui sont généralement limitées par la présence de
défauts de surface qui occasionnent
des instabilités thermiques à des valeurs de champ bien plus faibles. Ces
défauts sont d’origines diverses : inclusions dans le métal de particules
non supraconductrices, zones du métal à supraconductivité affaiblie, ou
bien présence de défauts créés au
moment de la fabrication (soudures,
usinage,...). Ce type de limitation est
maintenant bien identifié, l’utilisation
des diagnostics thermiques (thermomètres de surface fonctionnant en hélium superfluide) a permis la localisation précise des défauts, confirmée
par l’examen ultérieur de la surface
interne de la cavité. En général, il
s’agit de défauts de taille variable,
comprise entre 10 et 100 µm. Sur la
figure 2b on voit une simulation
107
Encadré 2
LES CAVITÉS HF POUR ACCÉLÉRATEUR
Dans une cavité accélératrice, la puissance HF injectée établit
une distribution de champ électromagnétique dépendant du
mode de résonance excité. Pour le mode fondamental
(correspondant à la fréquence la plus basse), un champ
électrique axial permet l’accélération des particules chargées
traversant longitudinalement la cavité.
Généralement les cavités comportent plusieurs cellules
(figure 1), séparées par une distance fixée par la vitesse des
particules et la fréquence de l’onde accélératrice. Pour des
électrons relativistes (vitesse proche de c), la séparation entre
deux cellules est :
s = c , f : fréquence
2f
A un instant donné, les champs électriques de deux cellules
contiguës sont déphasés de π, et le déplacement de la
particule, en synchronisme avec le champ électrique alternatif,
permet l’accélération successive à chaque passage de cellule.
Les formes sphériques ou elliptiques des cavités
supraconductrices suppriment les phénomènes de
« multipactor » (émission résonante d’électrons dans les
parois des cavités) rencontrés dans les cavités cylindriques.
Dans une cavité on distingue deux régions critiques : les
équateurs, où le champ magnétique de surface est maximum,
et les iris, où le champ électrique de surface est maximum
(voir figure 1). La distribution des champs électrique et
magnétique dans une cavité est calculée avec une bonne
précision à l’aide des codes de calcul spécialisés, qui
permettent d’optimiser les formes et d’étudier l’installation
des coupleurs.
Les codes de calcul permettent d’établir une relation simple
entre les champs électrique et magnétique dans une cavité, et
le champ accélérateur Eacc. A titre d’exemple, dans les cavités
de type TESLA, les champs maximum de surface sont :
– à l’équateur H surf = 4,26 ⋅ Eacc (mT avec Eacc en MV/m)
max
– à l’iris E surf = 2 ⋅ Eacc (MV/m)
max
Les principaux paramètres des cavités peuvent être déduits des
mesures des puissances HF et de la mesure des constantes de
temps. Des relations simples relient ces mesures aux valeurs
des champs électriques et magnétiques et conduisent à une
caractérisation globale des performances des cavités. La
courbe Q0 = f(Eacc), donne une très bonne image du
comportement de la cavité et de ses limitations (voir figure 2).
Figure 1 - Schéma de principe d’une cavité formée de 5 cellules.
Les paramètres essentiels d’une cavité sont :
T
/2
RF
1) Le champ accélérateur, Eacc = 2 * E(z, t) dt (MV/m),
TRF 0
où TRF est la période de l’onde HF, E(z, t) le champ électrique
longitudinal vu par la particule pendant son trajet dans la
cellule.
2) Le facteur de qualité Q0 = xU , rapport entre l’énergie
Pdiss
2
emmagasinée U = 1 e0 *V E dV, par cycle HF (x étant la
2
pulsation de l’onde HF), et la puissance dissipée Pdiss dans les
parois de la cavité. Ce facteur peut également s’exprimer en
fonction de la géométrie de la cavité et de sa résistance de
surface (voir encadré 1) : Q0 = G , où G est le facteur
Rs
géométrique, compris entre 200 et 300 ohms pour les formes
des cavités actuelles.
numérique de l’évolution thermique
de la zone proche d’un défaut. La variation de la température est très dif108
Figure 2 - Courbes typiques Q0 = f(Eacc) obtenues avec les cavités
supraconductrices :
(a) Bonne résistance de surface, présence d’un défaut provoquant un
quench à champ élevé.
(b) Émission électronique, les pertes augmentent très fortement avec le
champ à partir d’un certain seuil.
(c) Résistance de surface dépendant du champ magnétique de surface,
comportement typique des cavités avec des dépôts de niobium.
férente du cas idéal sans défaut, et on
peut atteindre très rapidement le seuil
d’instabilité même pour de faibles
valeurs de champ. Dans les cavités
actuelles, avec des seuils de
« quench » supérieurs à 10 MV/m, on
De la physique à la technologie
Figure 2a - Calcul des instabilités thermiques pour une paroi de cavité idéale (sans défaut) soumise à
un champ magnétique HF à la température de 1,8 K. Pour une fréquence de 1,3 GHz, on atteint la li2
max
mite imposée par le champ magnétique critique : E acc ∝Hc(T) = Hc(0) ⋅ 1 − ( T ) . Pour des
Tc
fréquences plus élevées (p.e. 3 GHz), la production de chaleur est supérieure à la capacité de refroidissement et on atteint le quench pour une valeur du champ accélérateur inférieure à la valeur limite
(instabilité thermique globale).
F
peut déduire par les simulations qu’il
s’agit en général de défauts inférieurs
à 100 µm, c’est-à-dire très petits
comparés à l’épaisseur typique des
parois (2 à 2,5 mm). Dans ce cas,
considérant la faible influence du
bain d’hélium, on utilise un modèle
thermique très simple : le solide
semi-infini, ce qui permet de résoudre analytiquement l’équation de la
chaleur dans le métal environnant le
défaut. On peut déduire la valeur du
seuil de « quench » Hq, du champ
magnétique de surface :
Hq =
G
une bonne partie des progrès effectués avec les cavités est due à l’utilisation de niobium de haute conductivité thermique : dans la pratique on
utilise du niobium industriel de haute
pureté de RRR > 200 (Rapport de
Résistivité électrique Résiduelle :
RRR = q(295 K)), suivi d’un traiteq(4 K)
ment thermique à haute température
(800 à 1 400 °C) dans des fours sous
vide spécialisés, dans le but d’augmenter, après la fabrication de la
cavité, la valeur finale de RRR. En
adoptant systématiquement cette
technologie on a pratiquement doublé les seuils de quench, passant de
10 à 20 MV/m en moyenne (voir
figure 4). Pour aller au-delà, il faut
s’attaquer maintenant au problème de
fond : supprimer la présence des défauts micrométriques avant, ou pendant, la fabrication des cavités. Cela
semble impossible à grande échelle
et la voie explorée actuellement
consiste à vérifier systématiquement
par différentes méthodes (magnétiques, ultrasons,...), toutes les tôles de
niobium avant la fabrication des cavités, ce qui permettrait le rejet des
tôles contaminées. Cette précaution,
accompagnée d’un protocole de soudure et de préparation plus rigoureux,
peut conduire à atteindre rapidement
l’objectif de 25 MV/m.
Î
2 ⋅ ~ Tc − Tb ! ⋅ k~ T !
rdef ⋅ Rdef
où k(T) est la conductivité thermique du métal supraconducteur dépendant de la température, rdef est le
rayon du défaut, Rdef sa résistance de
surface, Tc la température critique,
et Tb la température du bain d’hélium. On note la dépendance par rapport à la conductivité thermique, ce
qui ouvre une voie pour améliorer le
seuil de quench dans les cavités supraconductrices. Depuis plus de 10 ans
Figure 2b - Calcul de l’évolution de la température à proximité d’un défaut de surface non supra.
(rayon 20 µm) pour deux types de niobium de conductivité thermique différente (fréquence 3 GHz, température initiale 1,8 K). La conductivité thermique d’un métal est proportionnelle à sa pureté, qui est
caractérisée par la valeur du Rapport de Résistivité Résiduelle (RRR). La courbe du champ accéléramax
teur limite (E acc ) est calculée à partir du champ magnétique critique Hc(T).
109
L’émission électronique
Les surfaces proches des iris des
cavités sont soumises à des champs
électriques très intenses (encadré 2).
Pour des cavités atteignant des
champs accélérateurs de 25 MV/m,
les champs électriques de surface
dans les zones critiques dépassent
des valeurs Emax = 50 MV/m. On
est donc dans une zone où l’émission
électronique par effet de champ peut
être très intense, ce qui constitue une
limitation importante du champ accélérateur. Dans les cavités classiques
en cuivre, l’apparition de ce phénomène est souvent décrite comme un
« courant d’obscurité » parasite, pouvant perturber le faisceau d’électrons
principal (figure 3a). Dans les cavités supraconductrices, au-delà des
problèmes liés au courant parasite,
les électrons émis accélérés et focalisés par les champs électromagnétiques heurtent les parois des cavités et
provoquent une dissipation locale
supplémentaire, largement supérieure
à la dissipation des parois (encadré 2).
Figure 3a - Trajectoires d’électrons calculées à partir d’un site d’émission placé à proximité d’un iris
dans une cavité multicellules fonctionnant à 1,3 GHz. Le champ électrique de surface au niveau du site
d’émission est de 30 MV/m, correspondant à un champ accélérateur Eacc = 18 MV/m. Les électrons
émis suivent des trajectoires différentes selon la phase de l’onde HF, certains électrons vont atterrir sur
la même cellule, provoquant une dissipation supplémentaire, d’autres peuvent suivre des trajectoires proches de l’axe de la cavité et être accélérés par des cavités successives, donnant lieu à un faisceau parasite (courant d’obscurité).
L’émission d’électrons par une
surface métallique soumise à un
champ HF est couramment présentée
sous la formulation classique proposée par Fowler et Nordheim :
IHF = b ⋅ E
2,5
~
exp − a
E
!
où IHF est le courant moyen émis, E
le champ électrique à la surface, et a,
b sont des constantes dépendant du
matériau (travail de sortie, surface
émissive équivalente, etc.). Pour le
niobium, cette expression donne des
courants significatifs à partir de valeurs de champ supérieures à
1 000 MV/m, alors que dans les cavités ainsi que dans les électrodes de
test, on observe un seuil d’émission
pour des champs beaucoup plus
faibles : 5 à 10 MV/m. Des nombreuses théories et hypothèses ont tenté
d’expliquer cette différence : renforcement du champ local par un effet
géométrique, modification des barrières de potentiel par la présence
d’oxydes, présence de contaminants
divers (particules, inclusions,...).
L’utilisation de différentes techniques
110
Figure 3b - Sites d’émission électronique observés sur des échantillons de niobium étudiés dans une
cavité spéciale en cuivre fonctionnant à 1,5 GHz.
(1) Défaut géométrique de surface (rayure) : protubérance de z 50 µm créée à l’aide d’une pointe en
diamant.
(2) Particules de fer de contamination (taille moyenne 20 µm). Après application d’impulsions HF de
puissance qui provoquent une forte émission électronique, les particules sont empilées, dressées, partiellement fondues et soudées à la surface de l’échantillon.
De la physique à la technologie
de diagnostic, des études sur échantillons en tension continue ou dans
des cavités prototypes spécialisées
ont confirmé l’origine ponctuelle des
sites d’émission et leurs caractéristiques ont pu être analysées en détail.
S’il existe encore des zones d’ombre
et des phénomènes non expliqués, il
apparaît que dans les cavités supraconductrices la principale origine de
l’émission électronique vient de la
présence de particules métalliques,
ou diélectriques, et des défauts géométriques de surface. Sur la figure 3b
on peut voir deux exemples typiques
de sites d’émission observés sur des
électrodes de test, étudiés à l’aide
d’une cavité HF à température ambiante, et qui sont représentatifs des
contaminations rencontrées dans les
cavités supraconductrices : 1) des
particules métalliques de la taille du
micron qui, en présence d’un champ
électrique intense, deviennent de
puissants émetteurs, les observations
de fusion partielle et d’adhérence
avec la surface confirment les très
hautes températures atteintes, 2) des
modifications géométriques dues aux
défauts de surface (rayures d’usinage,
de montage,...) qui peuvent présenter
des structures superposées de taille
micro(nano)métrique qui expliquent
les facteurs très importants de renforcement local du champ électrique.
Des études de contamination avec
des particules diélectriques (alumine,
téflon,...) ont confirmé également la
nocivité de ces contaminants : les
particules chauffées par le champ
électromagnétique atteignant de très
hautes températures sont des émetteurs très puissants qui peuvent exploser, les débris pouvant devenir des
sites émetteurs pour des champs plus
élevés.
Plusieurs techniques de conditionnement des cavités supraconductrices
ont été appliquées avec succès, et les
seuils d’émission ont été repoussés à
des valeurs de champ supérieures de
20 à 50 % par rapport aux valeurs
initiales. Les techniques de conditionnement par impulsions HF de
puissance, qui consistent en l’application d’impulsions de courte durée
(10 à 100 µs) à des puissances supérieures à 50 kW, ont fait preuve
d’une bonne efficacité sur des cavités multicellules. Les sites d’émission
peuvent fournir, pendant la durée de
ces impulsions, des densités de courant supérieures à 1012 A/m2, ce qui
provoque l’explosion du site et la fu-
sion ou l’évaporation des contaminants. Cependant, très souvent on retrouve des cratères à la place des
sites d’émission, qui peuvent devenir
à leur tour d’éventuels sites pour des
champs électriques plus élevés. Par
ailleurs, la dégradation du vide résiduel pendant le conditionnement peut
Figure 4 - Les meilleurs résultats obtenus récemment avec des cavités mono et multicellules à 1,3 GHz :
(a) Cavité prototype fabriquée par le laboratoire KEK (Japon).
(b) Cavité type TESLA de série, fabriquée en France par CERCA S.A.
On peut observer dans la figure (b) l’effet du recuit sous vide à haute température. L’augmentation de
la valeur du RRR, et donc de la conductivité thermique du métal, conduit à une amélioration notable
du seuil de quench.
111
détériorer la surface de la cavité.
Cette méthode exige également des
coupleurs et des klystrons de puissance adaptée, et une mise en œuvre
lourde dans un environnement cryogénique spécialisé.
Une méthode plus récente, qui
semble beaucoup plus prometteuse et
plus simple à mettre en œuvre, est le
rinçage des parois de la cavité à
haute pression avec de l’eau ultrapure. Cette méthode, qui est appliquée dans la phase finale de montage, exige des conditions de propreté
rigoureuses : application et séchage
en salle blanche, contrôle strict de
l’eau... Le jet d’eau sous haute pression (8 à 11 MPa) a non seulement
un effet de dépoussiérage mais également un effet de contrainte mécanique sur les excroissances et autres
défauts géométriques de la surface.
Des nombreuses cavités mono et
multicellules ont été traitées avec
cette méthode qui permet des valeurs
très élevées du champ électrique
(> 70 MV/m) sur les surfaces critiques, sans qu’aucune émission
d’électrons ne soit détectée.
Un protocole de fabrication et de
conditionnement des cavités a pu
ainsi être établi, qui comprend les
étapes suivantes :
− polissage chimique des surfaces
sur 80 à 100 µm de profondeur ;
− recuit sous vide à 1 400 °C, qui
entraîne une augmentation du RRR
équivalente (300 à 500) ;
− nouveau polissage chimique sur
80 µm ;
− rinçage à haute pression à l’eau
ultra-pure ;
− montage final en salle blanche
hors poussière de classe 10 (la classe
est définie comme le nombre de
particules d’une certaine taille,
p.e. > 1 µm, par unité de volume).
CONCLUSION
L’état de l’art des cavités supraconductrices peut être résumé par les
courbes présentées sur la figure 4 a-b.
Cescourbescorrespondentàdesmonocellules et des multicellules fabriquées par l’industrie (mise en forme
et soudures au canon à électrons) à
partir de tôles de niobium de qualité
supérieure (RRR > 200) et en suivant
le protocole défini précédemment.
Des tests intermédiaires dans des
cryostats d’essai sont nécessaires
avant le montage final de la cavité
dans le cryostat de l’accélérateur.
Des efforts de recherche technologique sont en cours, dans le but de
simplifier les méthodes de fabrication, afin d’obtenir aussi une certaine
diminution des coûts. Diverses solutions sont essayées : hydroformage
(ou repoussage) des cellules à partir
de tubes de niobium sans soudure,
dépôts de cuivre par projection thermique pour augmenter la rigidité des
cavités tout en diminuant l’épaisseur
des tôles de niobium et, finalement,
amélioration des techniques de dépôt
de couches minces de niobium par
pulvérisation sur des cavités en cuivre. Cette dernière technique a été
largement utilisée pour les cavités du
Article proposé par : Tomas Junquera. Tél. 01 69 15 51 65 e-mail :
[email protected]
Ont contribué à ces recherches les laboratoires suivants :
Institut de Physique Nucléaire et Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire CNRSIN2P3, Université Paris-Sud, Orsay.
CEA. Service d’Etudes des Accélérateurs DSM/DAPNIA/SEA, Saclay.
112
LEP au CERN, et constitue une technique économique pour les cavités
basse fréquence (350 MHz). Ce type
de dépôt donnait cependant une résistance de surface dépendant fortement
du champ, ce qui augmentait fortement les pertes HF et limitait les
champs accélérateurs opérationnels à
des valeurs comprises entre 5 et
10 MV/m. Des recherches récentes
sur l’amélioration des méthodes de
préparation des surfaces de cuivre
avant dépôt et sur l’optimisation des
paramètres de pulvérisation ont
donné de très bons résultats et pourraient conduire à l’utilisation de cette
technique également pour des cavités à fort champ accélérateur.
POUR EN SAVOIR PLUS
Padansee (H.), Knobloch (J.), Hays
(T.), « RF Superconductivity for Accelerators », John Wiley & Sons, Inc.
1998.
Proceedings of the 5th European Particle Accelerator Conference, Sitges (Espagne). Edited by the Institut of Physics Publishing, London 1996.
Proceedings of the Particle Accelerator
Conference, Dallas (USA) Edited by
the IEEE, 1995.
Comptes rendus des « Workshop on
RF Superconductivity ». Gif-sur-Yvette
(CEA-CNRS) Edité par B. Bonin, 1995.
Abano Terme (INFN Italie) Edité par
V. Palmieri, 1997.
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