la gestion de la réserve biologique domaniale des falaises d

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LA GESTION
DE LA RÉSERVE BIOLOGIQUE DOMANIALE
DES FALAISES D’ORIVAL DANS LA FORÊT
DE LA LONDE-ROUVRAY
(SEINE-MARITIME)
T. DUTOIT - Dominique BONNETAUD
Au sein d’espaces bénéficiant du régime forestier, les réserves biologiques domaniales forestières
ont pour vocation de protéger les habitats naturels et les espèces les plus remarquables de la diversité biologique régionale et nationale (ONF, 1995). Ces réserves sont dites dirigées lorsque toutes
les interventions sont orientées vers des objectifs de conservation bien déterminés. Actuellement,
un réseau national de 118 réserves biologiques dirigées existe et couvre une surface de 19 089 ha
(Dubourdieu et al., 1995). Ce réseau complète un ensemble de mesures en matière de gestion édictées par l’Office national des Forêts pour une meilleure prise en compte de la biodiversité dans
l’exploitation des forêts domaniales (Dubourdieu, 1991 ; Rameau et Olivier, 1991 ; ONF, 1993a et b ;
Roland, 1995).
Contrairement aux réserves intégrales dont l’objectif principal est de laisser se dérouler les processus d’évolution naturelle (Ballu, 1983 ; Hubert, 1991), les réserves biologiques dirigées comprennent
des espaces naturels dont la richesse biologique peut être menacée par un boisement spontané
(prairies humides, pelouses calcaires, etc.).
Le maintien d’espaces ouverts en forêts est à relier avec l’absence sur le territoire national de
grandes surfaces de forêts anciennes climaciques (Falinski, 1991 ; Walter, 1991). Dans ces écosystèmes, la fermeture des espaces ouverts (mares, clairières, landes, etc.) est en effet compensée par
la création d’autres trouées dans la strate forestière (chablis, feux courants, pâturage des grands
herbivores, dépérissement naturel, inondations, etc.). Ce n’est pas le cas des forêts françaises où
les différentes exploitations humaines présentes et passées ont considérablement transformé et
fragmenté les massifs forestiers. Si quelquefois ces actions ont été bénéfiques, certaines perturbations ne peuvent cependant plus s’y exprimer librement et des interventions de gestion conservatoire sont nécessaires pour restaurer ou maintenir leur biodiversité.
Le mot biodiversité exprime la diversité du vivant à trois niveaux d’organisation tant biologiques
(espèces, variétés génétiques) qu’écologiques (écosystèmes). La discipline scientifique qui a pour
objectif la préservation de cette diversité est appelée biologie de la conservation (Blondel, 1996).
204
Biologie et forêt
Les systèmes de gestion conservatoire des espaces naturels sont issus de ces recherches (Dutoit,
1996a). Cependant, l’ingénierie écologique en matière de restauration d’habitat est encore en
devenir et le gestionnaire forestier manque souvent d’éléments pour intervenir dans des milieux
naturels dont le fonctionnement est très éloigné des écosystèmes de forêt (Bouvarel, 1993, 1994).
Il s’avère utile, et cela est imposé par les instructions de l’Office national des Forêts, de constituer
une commission consultative régionale des réserves biologiques réunissant scientifiques, naturalistes, propriétaires, etc. Ce comité donne son avis sur la création d’une réserve biologique domaniale et sur la cohérence du réseau. Quand la réserve est créée, c’est le comité scientifique
consultatif qui joue un rôle de conseil et d’appui technique auprès de l’Office national des Forêts.
Dans cet article, nous traiterons de l’exemple de la réserve biologique domaniale des Falaises
d’Orival (Seine-Maritime). L’objectif de la gestion conservatoire est de maintenir la diversité biologique des formations herbacées présentes : les pelouses calcaires.
Après avoir présenté les caractéristiques et les enjeux de protection de ces écosystèmes, le site de
la réserve et la gestion conservatoire seront esquissés. Les conséquences des interventions pour la
richesse biologique globale de la forêt domaniale de La Londe-Rouvray sont ensuite discutées.
L’exemple de cette réserve est particulièrement intéressant pour la gestion de milieux identiques
dans la vallée de Seine, qu’ils appartiennent aux collectivités territoriales ou qu’ils soient privés.
Nous espérons que cette contribution incitera les gestionnaires de réserves biologiques domaniales
à faire de même pour réaliser dans ces colonnes une large diffusion des résultats acquis.
PRÉSENTATION DES ÉCOSYSTÈMES DE PELOUSE CALCAIRE
Les pelouses calcaires sont des formations végétales semi-naturelles à dominante herbacée. Elles
sont présentes dans le nord-ouest de l’Europe sur des coteaux calcaires et jurassiques bien exposés
(Wolkinger et Plank, 1981). Au niveau stationnel, elles occupent des sites offrant un certain déficit
hydrique. Leur végétation comprend des espèces d’origine continentale et méridionale. Leur richesse
en espèces végétales herbacées est très importante et beaucoup de plantes y sont légalement protégées (Cistacées, Orchidées, Liliacées, etc.).
Au niveau de la faune, ce sont surtout les insectes qui présentent la plus grande richesse avec,
comme pour la flore, la présence d’espèces plutôt méridionales (Cicadetta montana, Mantis religiosa, etc.). Certains reptiles (Anguis fragilis, Lacerta viridis, Vipera berus) ou certains oiseaux
(Lullula arborea, Burhinus oedicnemus) y sont également signalés lorsque les surfaces de pelouse
sont suffisamment importantes.
Les formations de pelouses ne sont pas strictement naturelles. Les plus anciennes ont été directement utilisées pour l’élevage pendant des siècles tandis que d’autres se sont installées sur d’anciennes parcelles cultivées, pour être ensuite pâturées (Duvigneaud et al., 1982 ; Dutoit et Alard,
1995).
Aujourd’hui, en l’absence d’exploitation traditionnelle, les pelouses se boisent spontanément avec
des espèces arbustives très communes (Églantier, Prunellier, Aubépine, Cornouiller, etc.). À terme,
les fourrés menacent par leur ombrage les espèces de milieux ensoleillés caractéristiques des
pelouses calcaires (Smith, 1980). En conséquence, des opérations de débroussaillement, de fauchage ou de pâturage doivent être entreprises pour assurer la pérennité des pelouses calcaires
(Alard et Dutoit, 1995).
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T. DUTOIT - Dominique BONNETAUD
Pour plus d’informations sur les pelouses calcaires et leur gestion, le laboratoire d’écologie de l’université de Rouen a réalisé une bibliographie informatisée regroupant plus de 500 références nationales et internationales (Dutoit et Alard, 1996a).
LA RÉSERVE BIOLOGIQUE DOMANIALE DES FALAISES D’ORIVAL
La réserve biologique des Falaises d’Orival se situe sur les coteaux crayeux de la vallée de Seine en
amont de la ville de Rouen (figure 1, ci-dessous). Créée par un arrêté du ministère de l’Agriculture et
de la Forêt le 12 juillet 1988, elle est comprise dans la forêt domaniale de La Londe-Rouvray (5 053 ha).
Au niveau sylvicole, ce massif est en conversion vers la futaie régulière de Chêne sessile (45 %)
exploité à 0,80 m de diamètre, de Hêtre (28 %) exploité à 0,60 m, de feuillus divers (11 %), de Pin
sylvestre (11 %) exploité à 0,50-0,60 m de diamètre et de résineux divers (5 %).
Le Tréport
Dieppe
Pays de Bray
Fécamp
Yvetot
LE HAVRE
ROUEN
Gournay-en-Bray
LES ROCHES D’ORIVAL
Les Andelys
Louviers
Brionne
La
Se
in
e
Bernay
Vernon
Évreux
10 km
Figure 1
SITUATION DES ROCHES D’ORIVAL PARMI LES DIFFÉRENTS SITES
DE PELOUSES CALCAIRES EN HAUTE-NORMANDIE
Carte D. ALARD
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Biologie et forêt
L’objectif est de revenir à une dominance du Chêne sessile (espèce climacique en Haute-Normandie)
mélangé avec le Hêtre, tout en tenant compte de la vocation particulière de certaines stations (sols
hydromorphes, coteaux crayeux, etc.).
La réserve occupe une surface de 9,34 ha entre 20 et 120 m d’altitude dans un ensemble de falaises
et de pelouses se succédant sur plus de 7 km le long de la rive sud de la Seine (photo 1, p. 210).
Tout cet ensemble est répertorié en site inscrit (18 novembre 1931) et une partie (Hameau des
Roches) en site classé (16 avril 1924).
La forêt domaniale et la réserve sont incluses dans le périmètre de la forêt de protection (Boullard,
1971). 9,32 ha protégés au titre du POS (Plan d’Occupation des Sols) de la commune d’Orival sont
concernés par le PER (Plan d’Exposition aux Risques). Il en résulte, au niveau de l’exploitation forestière, une interdiction de coupe dans la frange boisée près des fronts de taille.
Outre sa richesse biologique, la réserve contient les ruines du château fort de la Roche Fouet (édifié
en 1195 par Richard-Cœur-de-Lion et détruit par Jean-sans-Terre en 1204), des ruines d’un fanum
gallo-romain et des restes de fours à briques utilisés durant le XIXe siècle. Elle est entrecoupée par
des “roules” qui étaient des sortes de ravines servant à la descente des matériaux vers la vallée.
Les pelouses calcaires ont été pâturées depuis le Néolithique mais elles sont aujourd’hui toutes
abandonnées consécutivement aux changements apparus dans les systèmes d’exploitation agricole
(intensification) au début des années 1960. Actuellement, il ne reste sur la réserve qu’un hectare de
pelouse (photos 2 et 3, p. 210).
Cette petite surface de pelouse et ses marges forestières possèdent une richesse botanique exceptionnelle pour la Haute-Normandie. Dans cet article, nous nous intéresserons particulièrement aux
orchidées car elles sont étudiées sur ce site depuis 1986 par un membre de la Société française
d’Orchidophilie (Monsieur Stéphane Chodan). On y dénombre pas moins de 30 espèces, soit plus
des trois-quarts des espèces présentes dans la région (Démares, 1996 ; Jacquet, 1995) :
Orchidées exceptionnelles
pour la région
Ophrys incubacea
Ophrys splendida
Orchidées protégées
au niveau régional
Aceras anthropophorum
Cephalanthera rubra
Coeloglossum viride
Epipactis atrorubens
Gymnadenia odoratissima
Herminium monorchis
Orchis simia
Ophrys araneola
Ophrys fuciflora
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Autres orchidées
Anacamptis pyramidalis
Cephalanthera damasonium
Cephalanthera longifolia
Dactylorhiza fuchsii
Dactylorhiza maculata
Epipactis helleborine
Gymnadenia conopsea
Himantoglossum hircinum
Listera ovata
Neottia nidus-avis
Orchis mascula
Orchis militaris
Orchis morio
Orchis purpurea
Orchis ustulata
Ophrys apifera
Ophrys insectifera
Ophrys sphegodes
Platanthera chlorantha
T. DUTOIT - Dominique BONNETAUD
Outre les orchidées, la végétation des pelouses est composée d’espèces xériques et thermophiles
dont certaines sont en limite nord de leur aire de répartition (Liger, 1952 ; de Foucault et Frileux,
1988). L’entomofaune associée est également très diversifiée avec la présence d’orthoptères comme
l’Ephippigère (Ephippiger ephippiger) ou le Grillon d’Italie (Oecanthus pellucens), espèces relativement rares en Haute-Normandie (Bouillie, 1989).
La réserve est traversée par un sentier de grande randonnée (GR 2) et elle est très fréquentée par
le public (promeneurs, VTT). Il n’est pas prévu d’installer des panneaux éducatifs en l’absence de
mesures spéciales de surveillance (garderie “renforcée”). Ces panneaux pourraient en effet attirer
l’attention des promeneurs sur des espèces à protéger et la discrétion a été jugée préférable.
Par rapport à la photographie aérienne de 1947, où toute la surface est en pelouse, la réserve est
composée aujourd’hui d’un tiers de pelouse calcicole, un tiers de fourrés thermophiles à Amélanchier
et Chêne pubescent et un tiers de taillis-sous-futaie à Hêtre et à Tilleul. Cette évolution justifie des
interventions pour maintenir et agrandir la surface occupée par les pelouses calcaires.
LA GESTION DE LA RÉSERVE DE 1988 À 1995
La gestion de la réserve a été mise en place en 1988, par Monsieur Pascal Rimasson, chef du
groupe technique de Rouvray actuellement relayé par Mademoiselle Isabelle Porquet, ingénieur des
Travaux forestiers à la Division de Rouen. Cependant, depuis 1986, Monsieur Stéphane Chodan et
les membres de la Société d’Études des Sciences naturelles d’Elbeuf avaient déjà effectué quelques
opérations de fauchage et de débroussaillement. Depuis 1988, la réserve a été divisée en deux
parties : la pelouse de la Vénerie (0,2 ha) et la pelouse de la Roche Fouet (0,8 ha). Ces deux
pelouses ont subi des traitements différents à cause de la pente. Des interventions sur les parties
boisées ont également eu lieu.
La pelouse de la Vénerie, relativement plate, a été régulièrement fauchée depuis 1988. Le fauchage
est réalisé deux fois par an en juin et septembre grâce à des débroussailleuses à fil de nylon
(photo 4, p. 211). Avant d’être exportés, les produits de la coupe sont entassés pendant une
semaine afin de permettre la fuite des insectes. Sur cette pelouse, seules ont été suivies les populations d’orchidées (Chodan, données inédites). Sur toute la surface des deux pelouses et de leurs
lisières, les pieds d’orchidées sont comptés chaque année qu’ils soient fleuris ou non.
Globalement le fauchage à la débroussailleuse semble favorable au maintien et à l’extension des
populations d’orchidées. En 10 ans d’observation, le nombre moyen d’espèces a plus que doublé
passant de 14 à 30 ainsi que le nombre moyen d’individus par espèce. Les résultats du fauchage
14
Nombre de pieds
12
Orchis mascula
10
8
Figure 2
ÉVOLUTION DU NOMBRE
DE PIEDS D’ORCHIS MASCULA
ET OPHRYS INSECTIFERA
ENTRE 1986 ET 1995
DANS LA PELOUSE
DE LA VÉNERIE
6
Ophrys insectifera
4
2
0
1986
1988
1990
1992
1994
208
(Chodan, données inédites)
Biologie et forêt
se traduisent par l’apparition ou la réapparition d’espèces (Orchis simia en 1988, Coeloglossum
viride en 1987, Orchis morio et Herminium monorchis en 1991, etc.) ou l’augmentation du nombre
de pieds pour d’autres espèces comme Orchis mascula et Ophrys insectifera (figure 2, p. 208). Le
fauchage automnal peut cependant être néfaste à certaines espèces comme l’Himantoglossum
hircinum qui a disparu en 1993 et n’est pas réapparu depuis. Un rotofauchage pratiqué en 1993 a
entraîné la disparition momentanée de certaines espèces comme Ophrys fuciflora, Ophrys apifera et
Herminium monorchis.
Aucune donnée chiffrée n’est disponible pour les autres espèces végétales et les insectes. Il faut
cependant signaler que l’exceptionnelle richesse en orchidées de cette petite parcelle de pelouse
doit orienter la gestion vers la conservation de ces espèces. Il est sûr que ce type d’objectif ne favorisera pas certaines espèces végétales et certaines populations d’insectes (Dutoit et Alard, 1996b ;
Maubert et Dutoit, 1995) mais l’ensemble du cortège floristique et les insectes sont pris en considération sur d’autres parcelles des Roches d’Orival et dans d’autres sites localisés à proximité
(Dutoit, 1996b).
La pelouse de la Roche Fouet est sur une pente beaucoup plus abrupte et seules des opérations
de débroussaillement des lisières ont été effectuées entre 1988 et 1996 (photo 5, p. 211). Ces interventions ont entraîné une réapparition de nombreuses espèces d’orchidées : Orchis ustulata en 1986,
Ophrys fuciflora en 1987, Aceras anthropophorum en 1988, etc. Cependant certaines espèces plus
inféodées aux lisières et fourrés ont tendance à régresser (Orchis militaris et Platanthera chlorantha).
Ainsi, ce type de gestion est surtout favorable aux espèces d’orchidées inféodées aux pelouses.
Pour les espèces de lisière, un autre type de gestion devra donc être mis en place.
Les parties boisées (4 ha) sont traitées en futaie irrégulière, en favorisant la diversité des essences
forestières : Érable plane et Érable sycomore, Tilleul à petites feuilles, If, Merisier, Alisier torminal,
Orme des montagnes. Une coupe à dominance sanitaire a été réalisée en 1996 pour éclaircir les
peuplements jouxtant la réserve. Dans l’avenir, les arbres situés à proximité des lisières seront
enlevés pour faire reculer les ourlets forestiers et agrandir la surface de pelouse. Ces ourlets ne
seront pas systématiquement détruits car ils abritent également des espèces rares et représentent
un type d’habitat considéré d’intérêt communautaire.
NOUVELLE ORIENTATION EN 1995
À l’initiative du laboratoire d’écologie de l’université de Rouen et du conservatoire des sites naturels de Haute-Normandie, un système de pâturage de parcours a été restauré sur les pelouses calcaires. Ce type d’intervention fait appel à des moutons de race rustique (les mergellands) qui
circulent en troupe dirigée par un berger et des chiens (Dutoit et Alard, 1996c). La gestion conservatoire consiste ici à imiter l’exploitation traditionnelle tout en assurant des liens entre les différentes
pelouses grâce à la transhumance des moutons d’un site à l’autre (transport de graines et de pupes
dans la laine des animaux, complémentarité alimentaire entre les différentes pelouses). L’impact du
pâturage sur la richesse et la diversité de la végétation et de certaines populations d’insectes
(Lépidoptères, Orthoptères) fera l’objet d’un suivi dont les méthodes ont déjà été exposées dans un
précédent article (Richard et Dutoit, 1995).
Le troupeau du conservatoire des sites (90 moutons) a été présent sur la pelouse de la Roche Fouet
en octobre 1995 et septembre 1996 avant l’apparition des premières rosettes d’orchidées. Il n’y a
pas pour l’instant de résultats quantitatifs des impacts du pâturage sur les populations végétales ou
les insectes. Au niveau physionomie, on peut juste constater une ouverture plus grande des
pelouses aux endroits où celles-ci étaient très denses.
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1
2
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3
Biologie et forêt
4
Photo 1
Vue aérienne des falaises d’Orival
dans la basse vallée de Seine
Photo D. ALARD
Photos 2 et 3
Évolution de la colonisation
ligneuse spontanée des pelouses
des Roches d’Orival
entre 1906 et 1996
Collection et photo T. DUTOIT
Photo 4
La pelouse de la Vénerie
Photo T. DUTOIT
Photo 5
La pelouse de la Roche Fouet
Photo T. DUTOIT
5
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BILAN ET PERSPECTIVES
Le choix du pâturage par rapport au fauchage s’explique par les contraintes techniques de la
pelouse de la Roche Fouet dont la pente ne permet pas un débroussaillement mécanique. Le
pâturage n’est donc pas à opposer au fauchage qui a donné d’excellents résultats par rapport aux
populations d’orchidées. Lorsque le boisement est trop dense, des opérations “lourdes” de débroussaillement devront cependant être réalisées.
Concernant la physionomie du site et la restauration d’un équilibre dynamique entre les différentes
formations végétales de la réserve (pelouse, fourrés, bois), le pâturage de parcours apparaît comme
un outil beaucoup plus souple d’utilisation par rapport au fauchage ou au pâturage en enclos. Il ne
nécessite pas l’installation de clôtures car les animaux peuvent être regroupés dans des parcs
mobiles (filets électriques) ou fixes sur des pelouses sans intérêts écologiques particuliers. En fonction des résultats sur la faune et la flore, la pression et l’époque de pâturage peuvent être modulées très facilement.
À l’échelle de la forêt domaniale de La Londe-Rouvray, la réserve constitue une clairière entraînant
une augmentation de la diversité biologique globale du massif notamment en espèces herbacées
calcicoles et thermophiles. Le maintien de cette clairière au stade herbacé empêchera toutefois sa
régénération forestière et l’augmentation consécutive du nombre d’espèces arborées pionnières
intéressantes vis-à-vis de leur rareté en Haute-Normandie (Amelanchier ovalis, Quercus pubescens,
Sorbus torminalis). C’est pourquoi, en l’absence de possibilité de créer d’autres clairières de ce type
sur les falaises calcaires qui bordent le massif (propriétés privées), il faut laisser s’exprimer pour
partie les lisières forestières de la réserve pour ne pas figer les différentes formations végétales. Le
renouvellement des lisières, fourrés et pré-bois pourra facilement être obtenu grâce à des périodes
d’abandon du pâturage et des débroussaillements différentiels sur certaines lisières. Au-delà d’un
zonage spatial des objectifs et interventions, le plan de gestion devra proposer un zonage temporel
permettant un équilibre évolutif entre les différentes formations.
Il est important de varier les types d’intervention pour éviter la disparition de certaines espèces dont
la biologie n’est pas compatible avec la répétition régulière de la même technique de gestion. Dans
les pelouses calcaires des environs de Rouen, le cas de l’Alisier de Fontainebleau (Sorbus latifolia)
est particulièrement éloquent. Cette espèce est protégée au niveau national et colonise les pelouses
calcaires abandonnées. La restauration d’un système de pâturage ne peut permettre le maintien de
cet arbre car ses feuilles et son écorce sont consommées par les ovins rustiques. Il est donc nécessaire dans certaines parcelles de donner libre cours à la colonisation arbustive spontanée afin de
permettre sa régénération (Drapier, 1991 ; Carbiener, 1995).
Les perspectives futures de gestion consistent surtout au maintien des pelouses grâce à l’élimination des arbres et arbustes pionniers (Bouleau, Noisetier, Pin sylvestre, etc.). Le fauchage se poursuivra sur la pelouse de la Vénerie tandis que le pâturage continuera à être expérimenté sur la
pelouse de la Roche Fouet. Des arbustes seront maintenus (Amélanchier, Cerisier de Sainte-Lucie).
Pour garder certaines formations arbustives, la forêt sera gérée en futaie claire irrégulière. Quelques
arbres morts seront conservés dans la forêt pour permettre le développement d’espèces lignicoles
et xylophages (champignons, carabes et avifaune associée).
CONCLUSIONS
La gestion de la réserve biologique domaniale dirigée des Falaises d’Orival illustre bien la problématique générale de maintien de la biodiversité dans des réserves où les écosystèmes à conserver
ne sont pas forestiers. Dans l’impossibilité de proposer un modèle global de gestion, le gestionnaire
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Biologie et forêt
doit s’entourer des avis d’un comité scientifique le plus ouvert possible car, pour l’instant, les interventions de gestion sont dans cette réserve fortement dépendantes des résultats obtenus pour un
groupe d’espèces (les orchidées). Dans un proche avenir, le comité scientifique devra donc définir
plus précisément les objectifs de conservation, les hiérarchiser, réaliser un plan de gestion et le suivi
scientifique des différentes interventions.
T. DUTOIT
Dominique BONNETAUD
Maître de Conférences
Ingénieur du Génie rural, des Eaux et des Forêts
UNIVERSITÉ DE PROVENCE
Adjoint au Directeur régional
Laboratoire de Biosystématique
OFFICE NATIONAL DES FORÊTS
et Écologie méditerranéenne
Direction régionale Haute et Basse-Normandie
URA 1152, FST Saint-Jérôme, case 421 bis,
53 bis, rue Maladrerie
F-13397 MARSEILLE CEDEX 20
F-76042 ROUEN CEDEX
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier le personnel de l’Office national des Forêts, le bureau d’études de la direction
régionale de Haute- et Basse-Normandie, la Division ONF de Rouen et le personnel de terrain. Nos remerciements
vont également à Monsieur Stéphane Chodan et aux membres de la Société d’Études des Sciences naturelles
d’Elbeuf pour la communication de données inédites sur les orchidées et les travaux de débroussaillement effectués sur la réserve. Que Messieurs J. Pardé, J. Trouvilliez, M. Jacamon et J.-C. Rameau soient remerciés pour
leurs commentaires et avis apportés à une première version du texte.
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LA GESTION DE LA RÉSERVE BIOLOGIQUE DOMANIALE DES FALAISES D’ORIVAL DANS LA FORÊT DE LA
LONDE-ROUVRAY (SEINE-MARITIME) (Résumé)
Créée en 1988 sur des falaises calcaires de la vallée de Seine, la réserve biologique dirigée des Roches d’Orival de la
forêt domaniale de La Londe-Rouvray, forêt proche des agglomérations rouennaise et elbeuvienne (département de la
Seine-Maritime) est constituée d’une dizaine d’hectares de pelouses sèches et de pré-bois. Pour cet espace naturel, l’arrêté de mise en réserve a été pris pour maintenir et restaurer la diversité biologique des pelouses calcaires et de leurs
lisières forestières. Depuis l’abandon des pratiques pastorales traditionnelles, ces formations végétales sont en effet
menacées de disparition par une colonisation ligneuse spontanée. Après avis favorable du comité scientifique consultatif, l’Office national des Forêts a donc mis en place un système de gestion par fauchage. Les premiers résultats montrent
que ce système est favorable à la richesse spécifique des pelouses notamment en orchidées. Toutefois, la présence de
pentes abruptes et la nécessité de prendre en compte la protection d’autres espèces ont aujourd’hui orienté la gestion
vers le retour au pâturage extensif ovin guidé par un berger. Ce type de gestion pourrait s’avérer plus souple pour la
conservation d’un équilibre dynamique entre les différentes communautés végétales.
MANAGING THE BIOLOGICAL RESERVATION IN THE STATE FOREST OF LA LONDE-ROUVRAY (SEINE-MARITIME)
ON THE ORIVAL CLIFFS (Abstract)
The managed biological reservation of Roches d’Orival was established over some ten hectares of dry grassland and
wooded pastures in the state forest of La Londe-Rouvray in 1988 located on the calcareous cliffs of the Seine valley
located close to the cities of Rouen and Elbeuf (Seine-Maritime). The purpose of creating this natural reserve was to preserve and restore the biological diversity of the calcareous grasslands and the surrounding forest vegetation which was
threatened with extinction due to spontaneous woody colonization as a result of the decline of traditional grazing practices. Having obtained a favorable opinion from the scientific advisory committee, the National Forestry Board (ONF)
began by implementing a management scheme based on cutting the grass. Initial results show that this system did
encourage the specific diversity of the grassland, particularly as regards orchids. However, because of steep slopes and
the need to protect other species, management practices are now turning back to traditional extensive sheep grazing
under the supervision of a shepherd. This type of management may turn out to be more flexible for the purpose
of maintaining a dynamic equilibrium between the various plant communities.
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