PDF du numéro

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01
dossier
Bâle transfrontalière
Projet 3Land
Entretien avec Monica Linder-Guarnaccia
L’exemple de Genève
réalisations
Luca selva architekten
pages
défis pour 2016
par Stefan Cadosch
142e année / 8 janvier 2016
Bulletin technique de la Suisse romande
01
bâle transfrontalière
6 Bâle, au-delà des frontières
Stéphanie Sonnette
14L’IBA au service de la coopération
transfrontalière
Monica Linder-Guarnaccia, propos recueillis par Stéphanie Sonnette
16 Genève, projet pour une métropole
transfrontalière
Mounir Ayoub
Réalisations
18Luca Selva architekten, situations
bâloises
attentive
5
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28
30
Mounir Ayoub
ÉDITOrial
actualités
ici est ailleurs
Pages SIA
34
36
38
Concours
Agenda
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Stadtspaziergang in Basel | Ein städtebauliches
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Architetturaingegneria | Due bilancieri in equilibrio |
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Il futuro non è più quello che era e il passato è
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Tracés 01/2016
« Au-de l à de s f ron t i è r e s , e ns e m bl e –
G e m e i ns a m ü b e r G r e n z e n wac h s e n » 1
iches d’une longue expérience en matière de coopération transfrontalière, les villes et les collectivités
territoriales de l’agglomération bâloise poursuivent
leur cheminement commun et plus particulièrement
la stratégie de développement 2020.
Dans quatre ans, l’exposition de clôture de l’IBA
Basel 2020 présentera au public les projets retenus. D’ici là, l’agglomération de Bâle se sera dotée
d’un véritable district trinational, disposé de part et
d’autre du Rhin.
Financé conjointement par l’Union européenne et la
Confédération, ce projet sous-tend bien plus que ce
qu’il affirme, à savoir la transformation d’une zone
industrielle frontalière en zone mixte d’habitation et
d’activités. Il ouvre la voie à une réalité qui concerne
deux des trois plus grandes agglomérations suisses :
l’exigence de penser la politique de la ville au-delà du strict cadre national. Genève
est comme Bâle, son avenir s’écrit en partie en dehors de ses frontières.
Si Genève n’a pas su encore se doter des instances planificatrices pour un réel
développement transfrontalier, son plus grand chantier d’infrastructure, le CEVA,
concerne un axe ferroviaire urbain qui traversera une frontière.
Que la stratégie de développement transfrontalier soit une nécessité tant pour Bâle
que pour Genève n’est d’aucune garantie. La montée de part et d’autre des frontières de partis populistes, xénophobes et antieuropéens pourrait à termes compromettre le développement transfrontalier.
Cette menace rappelle indéniablement que ce type de partenariat ne saurait avoir
lieu sans une réelle stratégie de pédagogie autour du concept de métropole transfrontalière. Là réside la deuxième grande différence entre Bâle et Genève : en plus
d’instances planificatrices, Bâle semble engagée dans l’élaboration de représentations et d’activités de médiation afin de rendre l’hypothèse de la ville au-delà des
frontières désirable. Ce besoin de représentation explique peut-être pourquoi l’IBA,
l’organe au cœur de ce chantier, n’est autre qu’une Internationale Bauausstellung,
c’est-à-dire un dispositif pour donner envie.
Christophe Catsaros
1 Slogan de l’IBA Basel 2020.
5
6
urbanisme
Tracés 01/2016
1
Bâle, au-delà
des frontières
A la confluence de la France et de l’Allemagne,
aux confins de la Suisse alémanique, Bâle n’envisage
pas son développement sans ses voisins. Le projet
3Land, emblématique d’une coopération transfrontalière
qui ne date pas d’hier, pose les jalons d’un vaste
espace trinational.
Stéphanie Sonnette
bâle transfrontalière
Tracés 01/2016
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Bâle
2
3
1 Le bar-restaurant Rostiger Anker, au bord
du bassin n°1 du port de Kleinhüningen,
près de la frontière franco-allemande
(photo Jean-Baptiste Lestra)
2 Bâle au cœur d’un territoire métropolitain
trinational. Les limites administratives de
la ville se confondent au nord et à l’est
avec les frontières française et allemande.
(Schéma Jean-Baptiste Lestra)
3 Les installations portuaires de Kleinhüningen et les bâtiments de Rhenus Logistics
(photo Jean-Baptiste Lestra)
A
la terrasse du restaurant Rostiger Anker, logée
sur un quai étroit où sont amarrées d’ordinaire
des péniches porte-conteneurs, dans le port
rhénan de Kleinhüningen, aux confins de Bâle. On arrive
là par mégarde, sans avoir franchi les barrières qui
habituellement ceignent les grands ports industriels. Le
week-end, on se promène entre les voies ferrées, au pied
des grues de déchargement des terminaux à conteneurs
et des bâtiments à la modernité radicale, symboles de
l’histoire industrielle de la ville, comme le grand silo
à grains dessiné en 1924 par Hans Bernoulli. Dans les
rues du port, les amateurs de voitures en modèles réduits
poussent leurs engins à pleine vitesse sur les voies désertées
tandis que quelques photographes rôdent en quête de ces
paysages industriels, désolés autant que poétiques. En
remontant sur le quai haut, on quitte le silence du bord de
l’eau pour trouver l’effervescence d’un samedi de shopping
transfrontalier entre Suisse et Allemagne. Flux croisés
de piétons, bouchons de voitures et de bus, langues et
nationalités brassées dans ce secteur décidément étrange
où une zone commerciale bordée de petits lotissements
jouxte le port industriel. Le télescopage d’ambiances
révèle incidemment la singularité exceptionnelle et
symbolique de ce lieu : nous sommes au Dreiländereck, le
tripoint, l’intersection des trois frontières qui convergent
1 La Suisse, portrait urbain, volume 3 : matériaux, Roger Diener, Jacques Herzog,
Marcel Meili, Pierre de Meuron, Christian Schmid, ETH Studio Basel, Institut pour
la ville contemporaine, Birhauser, 2006.
autour du Rhin, dénominateur commun de l’identité
transfrontalière. C’est dans cette proximité que se
nouent déjà des liens entre les trois cultures et que se
construira demain l’un des plus ambitieux projets urbains
transnationaux, 3Land.
Coopération
« L’idée d’espace métropolitain n’est pas une construction artificielle née du point de vue d’une économie
mondiale active au niveau transfrontalier, mais correspond à une réalité intuitive du passé et de la vie quotidienne contemporaine », nous disent Herzog et de
Meuron dans leur ouvrage La Suisse, portrait urbain1 .
Le territoire possède sa propre cohérence géographique
et mentale, au-delà des frontières. C’est là, dans le fossé
d’effondrement rhénan, que se confrontent les grandes
structures géographiques des Vosges, de la Forêt-Noire
et du Jura, une convergence qui en fait historiquement un
espace d’échanges.
Dès 1963, l’espace métropolitain de Bâle-MulhouseFreiburg, qui regroupe aujourd’hui 2 300 000 habitants, s’est doté d’une structure de planification et de
réflexion transfrontalière, l’association Regio Basiliensis.
Depuis, plusieurs organes de coopération ont vu le jour,
dans ce territoire où plus de 50 000 travailleurs franchissent les frontières quotidiennement. L’Agglomération
Trinationale de Bâle (ATB), créée en 2002, a été transformée en 2007 en Eurodistrict Trinational de Bâle
8
urbanisme
Tracés 01/2016
4
4 IBA Forum 2011 (© IBA Basel 2020)
(ETB) 2 . Cette association a élaboré une « stratégie de
développement 2020 », un outil de planification pour
« penser le bassin de vie et son fonctionnement en effaçant
les frontières », à travers des projets bi ou tri-nationaux.
La création de l’IBA 3 Basel par l’ETB en 2010, première
IBA internationale, réunissant la France, la Suisse et
l’Allemagne, a permis d’accélérer encore la coopération
transfrontalière. Pour Frédéric Duvinage, directeur de
l’ETB, « le but (de l’IBA) est de créer une fenêtre d’opportunités où tout devrait être possible. Cette fenêtre permet
de sortir de la routine des procédures d’aménagement
réglementaires et redonne un peu de rêve au politique.
Ce processus de concentration du temps met les systèmes
politiques et administratifs sous pression et les pousse à
développer des projets urbains, paysagers et maintenant
culturels, qu’ils n’auraient jamais réalisés sans la présence
d’une IBA. »4
A l’issue d’un appel à projets ouvert aux acteurs publics
comme privés, l’IBA Basel a présélectionné 44 projets
répartis dans les trois pays frontaliers, qu’elle va accompagner et soutenir jusqu’à la labellisation et la réalisation.
Ces projets concernent aussi bien des installations artistiques que des plateformes numériques collaboratives, ou
de grandes opérations de développement urbain (3Land)
et de mise en réseau des espaces naturels.
Identité
Dans un espace transfrontalier qui forme autour
de Bâle une vaste conurbation densément construite,
mêlant industries lourdes, habitat et zones naturelles,
l’attractivité du territoire nécessite de trouver de
nouveaux espaces capables d’accueillir un développement
résidentiel et tertiaire ou le redéploiement des installations portuaires et industrielles. La reconversion en
cours de plusieurs zones industrielles, historiquement
implantées en limites communales ou près des frontières,
qui agissaient jusqu’à présent comme des « barrages
urbains » 5 , offre un « potentiel de réinvention de la ville »6
et de développement considérable.
A Bâle, le campus Novartis, avec ses 51 hectares et
10 000 employés, est emblématique de la reconversion
de l’ensemble du secteur industriel bâlois en sièges
sociaux et laboratoires de recherche & développement
à haute valeur ajoutée, dans les domaines de la chimie,
de la pharmacie et des biotechnologies. Des activités
valorisantes pour l’image de ces groupes qui s’avèrent
2 L’Eurodistrict Trinational de Bâle (ETB) est la plateforme de coopération
transfrontalière de l’agglomération trinationale de Bâle. 250 communes, 900 000
habitants. Du côté suisse : les communes des cantons de Bâle-Ville et de BâleCampagne, le Planungsverband Fricktal Regio (Argovie), les arrondissements de
Thierstein (SO Expositions) et Dorneck (SO), le Forum Regio Plus (SO) du Canton
de Soleure. Du côté allemand : les communes du Landkreis Lörrach, ainsi que
les villes de Wehr et Bad Säckingen. Du côté français : les trois communautés de
communes du Pays de Saint Louis.
3 Internationale Bauausstellung. Les Internationales d’Architecture, créées il y a
cent ans en Allemagne, ont vocation à mettre en lumière et à accompagner des
processus de projets métropolitains en devenir.
4 « L’agglomération trinationale de Bâle – enjeux et perspectives », Frédéric Duvinage
SEES / RES > Dossier : Quelles ambitions pour la Genève immobilière ?
5 La Suisse, portrait urbain, volume 3 : matériaux, Roger Diener, Jacques Herzog,
Marcel Meili, Pierre de Meuron, Christian Schmid, ETH Studio Basel, Institut pour
la ville contemporaine, Birhauser, 2006
6Ibid.
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10
urbanisme
Tracés 01/2016
5
aussi plus compatibles avec leur présence au milieu de
secteurs très urbanisés. Novartis a ainsi reconverti une
partie de son site historique, au nord de Bâle, sur la rive
gauche du Rhin, et accueille aujourd’hui « la plus forte
densité au monde d’œuvres conçues par des lauréats du
Pritzker Prize (…). Des bâtiments signés, dont l’esthétique envoie des signaux forts d’excellence, de modernité et de prestige » 7, que les touristes, moyennant 400
francs, peuvent visiter deux samedis par mois. Frédéric
Duvinage estime que la réalisation du campus Novartis
a permis de concrétiser l’idée « de faire rentrer la ville
dans la zone d’activité portuaire ». Aujourd’hui, qu’il
s’agisse de 3Land sur les friches BASF et le port de
Kleinhüningen, ou de Dreispitz au Sud, la conquête
des espaces industriels par les projets urbains est
en marche.
3Land
3Land est l’un de ces 44 projets pré-nominés par
l’IBA, et sans doute le plus ambitieux. Sur 430 hectares
de part et d’autre du Rhin, entre le pont du Palmrain
au nord et le Dreirosenbrücke au sud, il s’étend sur les
trois communes de Bâle, Huningue et Weil am Rhein,
et devrait accueillir à terme 20 000 nouveaux emplois et
habitants. La mutation annoncée du port industriel de
7 Novartis, froide oasis, Flavien Menu, criticat n°15, printemps 2015
Kleinhüningen en rive droite et des friches industrielles
de Novartis et BASF en rive gauche ouvre la voie à la
reconversion des berges du Rhin en quartiers mixtes de
logements et de bureaux, opérant ainsi la continuité avec
le centre-ville de Bâle. Côté port, le projet de construction d’un nouveau terminal à conteneurs et d’un troisième bassin sur une ancienne gare de triage, un peu plus
à l’est, devrait permettre de relocaliser une partie des
installations portuaires et de libérer du foncier en bord
de fleuve.
C’est entre le quartier de Klybeck et Kleinhüningen
que la mutabilité semble la plus forte. La libération des
emprises ferroviaires qui desservaient le port laisse
entrevoir des opportunités particulièrement favorables
au projet urbain. La proximité du centre-ville fait déjà
percevoir cette mutation comme une évidence. Le tissu
constitué du quartier de Klybeck, l’attrait des berges du
Rhin et de la Wiese, le linéaire de quais et leurs multiples
orientations, l’ambiance portuaire et l’intérêt de certaines
architectures industrielles, sont autant de perches supplémentaires auxquelles l’urbain ne demande qu’à s’accrocher. Enfin, le télescopage des usages et les frottements
fonctionnels qui caractérisent les tènements directement frontaliers sont un piment stimulant pour le projet
urbain. Dans ce presqu’urbain déjà approprié par des
usages pionniers, la moindre opération peut déclencher
des mutations multiples pour les trois parties.
11
ETB
TEB
Aire de développement potentiel
Zukünftiges Entwicklungsgebiet
Aire de développement potentiel
Zukünftiges Entwicklungsgebiet
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Camping
Campingplatz
Loisirs et habitat
Freizeit und Wohnen
Loisirs et habitatFreizeit und Wohnen
Halte nautique
Bootsanlegeplatz
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Kesselhaus
Kesselhaus
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Rhein center
Rhein Center
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École internationale
Internationale Schule
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Friedlingen
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Campus innovant
Campus Labor
Biotech Novartis
Biotech Novartis
Nouvelle industrie
Neue Industrie
Travail, innovation et culture
Arbeiten Innovation und Kultur
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Bassin Portuaire III
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Logements et travail
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Nouvelle industrie
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Novartis Campus
Novartis Campus
Corridor vert
Grüner Korridor
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Parc urbain
Urbaner Park
Sport et loisirs
Sport und Freizeit
Parc du Rhin
Rhein Park
Parc des Eaux Vives
Park «Eaux Vives»
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Bu
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Hôtel
Hotel
Espace Abbatucci
Platz Abbatucci
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Park
bâle transfrontalière
Tracés 01/2016
Aire de développement potentiel
Zukünftiges Entwicklungsgebiet
Aire de développement potentiel
Zukünftiges Entwicklungsgebiet
Horburg Parc
Horburg Park
IBA
IBA
Tram 1
Tram 1
Tram 14
Tram 14
25
En regard du plan guide
Une première « vision de développement 3Land »
proposée par l’agence MVRDV dans le cadre de l’IBA, a
été reprise par l’agence LIN, sous la forme plus aboutie de
« concept urbain 3Land », qui sert aujourd’hui de feuille
de route aux collectivités engagées.
« Nos premières intuitions pour ce projet ont porté sur
trois sujets », explique Fabienne Boudon, chef de projet de
l’agence LIN. « Celui de l’eau, et pas seulement des berges
du Rhin, mais aussi du canal de Huningue et de la Wiese.
Celui de la mobilité, autour d’un futur pont sur le Rhin
qui deviendra un nœud multimodal avec un schéma de
mobilité en X pour créer des échanges très forts entre les
trois pays, et celui de la programmation d’équipements
transfrontaliers qui incitent à franchir les frontières. »
Ces intuitions se sont traduites dans un plan guide et
plusieurs scénarios pour une planification flexible qui s’articulent autour de quatre axes :
- des paysages et des espaces publics diversifiés : le Rhin
devient la colonne vertébrale du projet, ses berges sont
rendues aux piétons et cyclistes. Les espaces verts existants sont intégrés dans une trame de nouveaux espaces
publics et de voies vertes. Trois grands parcs sont créés :
le parc urbain à Huningue, le parc de la Plage / parc de
l’île à Bâle et le corridor vert à Weil am Rhein.
-la mobilité : un nouveau pont sur le Rhin entre
Huningue et Bâle, au niveau de l’embouchure de la
6
5 Les berges du Rhin au niveau du campus
Novartis (photo Jean-Baptiste Lestra)
6 Le plan guide (scénario parc) de l’agence
LIN architectes-urbanistes pour le projet
3Land (© LIN architectes urbanistes)
7 Le périmètre du projet 3Land, à cheval sur
les trois villes de Bâle (CH), Huningue (F)
et Weil am Rhein (D) (vue aérienne
© Google)
Wiese, accueille un corridor multimodal, le développement du réseau de transports en commun transfrontalier est renforcé, et le réseau cyclable étendu, notamment sur les deux rives du Rhin.
- une programmation transfrontalière, équilibrée entre
les trois pays et flexible, de part et d’autre du Rhin : un
« vis-à-vis urbain » entre Huningue et Bâle autour du
futur pont, dédié à l’habitat et au tertiaire, un « vis-àvis sur le Rhin » entre Huningue et Weil am Rhein
accueille immobilier résidentiel et loisirs, et un campus
innovant s’installe au sud d’Huningue, dans le prolongement du campus Novartis.
- des quartiers connectés grâce aux nouveaux ponts et
espaces publics, au réseau de transport transfrontalier
et à une structure urbaine poreuse, composée de petits
îlots.
Au-delà du concept lui-même, c’est le processus de
projet qui est intéressant. Dans un contexte de mutation
du tissu industriel, le développement futur du territoire
repose pour une large part sur les stratégies des entreprises privées et des gestionnaires du port, relativisant
la portée du travail de planification. L’intelligence de la
proposition de LIN réside pour Frédéric Duvinage dans
le fait de pouvoir « réaliser le projet en plusieurs morceaux
jusqu’en 2050. On pose des jalons, c’est ce qui permet au
mécano de se mettre en place. Pour garder la flamme, il
faut faire des petits bouts tout le temps. Par exemple, la
12
urbanisme
Tracés 01/2016
8
piste cyclable qui est en cours de réalisation sur la rive
gauche entre Bâle et Huningue », en bordure des friches
Novartis et BASF. C’est à coups de projets – réalisables
dès aujourd’hui – que s’enclenche la dynamique qui
permettra de créer les conditions d’accueil favorables
pour de nouvelles opérations immobilières à plus long
terme. 3Land s’installe donc progressivement dans le
paysage, à travers des interventions pérennes ou temporaires sur les espaces publics et naturels, sur le réseau
de transports en commun et modes doux. Ces premiers
projets permettent de renforcer les usages transfrontaliers et d’en développer de nouveaux, notamment autour
de la culture de l’eau. Ils créent des parcours à travers des
zones de friche et font découvrir de nouveaux territoires.
A une autre échelle, 3Land propose une vision politique du développement transfrontalier qui s’affranchit
temporairement des contraintes juridiques et financières
et des questions foncières. Par sa dimension collaborative,
la visibilité et la qualité que lui confère son label IBA,
le projet stimule les initiatives des collectivités, incite
des acteurs qui jusqu’à présent s’étaient tourné le dos à
réfléchir autrement et donne envie aux acteurs privés de
trouver leur place dans ce processus.
Il questionne aussi l’équilibre des forces en présence,
la répartition des rôles des différentes collectivités et
leur identité au sein d’un espace trinational en devenir.
Ainsi, la commune de Huningue, en réaction aux
premières visions de développement, a fait valoir qu’elle
ne souhaitait pas devenir la zone de loisirs ni le terrain
de promenade des Bâlois habitant les futurs quartiers
résidentiels denses de la rive droite du Rhin. Le projet de
LIN, en proposant un « vis-à-vis urbain », opère une forme
de rééquilibrage entre espaces publics et secteurs résidentiels des deux côtés du Rhin.
Aujourd’hui, alors que la mission de LIN est arrivée
à son terme, chaque commune développe ses propres
« parcelles pilotes », avec le soutien de l’IBA jusqu’en
2020. A Huningue, des études sont en cours sur le secteur
du centre-ville et les terrains des Voies navigables de
France (camping et darse). Weil am Rhein a organisé un
référendum sur la transformation du secteur ouest autour
du Rheinpark et les quartiers au nord du port qui a permis
de faire émerger de possibles affectations temporaires
liées aux loisirs. Bâle s’est quant à elle concentrée sur la
faisabilité du pont sur le Rhin et les premières opérations
le long des berges du campus Novartis. La mise en service
du nouveau pont, élément fondateur du projet 3Land, est
prévue en 2020.
Stéphanie Sonnette, juriste et urbaniste de formation, membre
de la rédaction de la revue criticat, est rédactrice spécialisée en
aménagement urbain.
8 Enjambant le Rhin, la passerelle des Trois
Pays relie le secteur commercial de Weil
am Rhein en rive droite et Huningue
(photo Jean-Baptiste Lestra).
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urbanisme
14
Tracés 01/2016
L’IBA au service
de la coopération
transfrontalière
Créée en 2010, l’IBA Basel 2020 stimule les forces sousjacentes d’un territoire aujourd’hui fragmenté pour
donner corps à une nouvelle réalité transfrontalière.
Monica Linder-Guarnaccia, propos recueillis par Stéphanie Sonnette
M
onica Linder-Guarnaccia est directrice de
l’IBA Basel 2020. Elle revient pour Tracés
sur les objectifs qui ont motivé la création de
cette structure et sur ses méthodes d’intervention pour
accélérer la coopération transfrontalière.
Pourquoi une IBA sur ce territoire ?
L’IBA Basel a été créée à l’initiative de l’ETB1 pour
concrétiser le travail transfrontalier déjà engagé, accompagner les projets trinationaux et garantir leur qualité,
dynamiser le processus et offrir une visibilité commune
à l’ensemble de l’agglomération. L’IBA est l’instrument
flexible qui manquait à ce territoire fragmenté par des
frontières territoriales, politiques et culturelles pour
mettre en œuvre un développement intégré et durable et
coordonner l’action de tous les partenaires.
1 Projet IBA, 24 Stops. Un chemin avec 24
panneaux informatifs qui relie la Fondation
Beyeler à Riehen au Campus Vitra à Weil
am Rhein et resserre les liens dans la
région. Douze d’entre eux ont été inaugurés en automne 2015.
Comment se déroule le processus de labellisation des
projets ?
En 2011, nous avons lancé un appel à projets public
1 qui a duré cinq mois et permis aux acteurs privés comme
publics des trois pays de soumettre leurs propositions.
Nous étions à la recherche d’idées innovantes dans les
domaines de l’urbanisme, du paysage, des infrastructures
et de la culture, susceptibles de révéler les potentialités
de l’espace transfrontalier et de porter des projets exemplaires pour son développement et sa croissance. Notre
slogan, « Au-delà des frontières, ensemble », était au cœur
de cette démarche. C’est la première fois dans l’histoire de
l’IBA que nous avons conduit une consultation aussi large
1 L’Eurodistrict Trinational de Bâle.
Tracés 01/2016
qui a ouvert à un vaste panel d’acteurs la possibilité d’agir
sur le devenir de l’agglomération.
La résonance de l’appel à projets a été très importante : nous avons reçu plus de 130 propositions, dont
44 ont été pré-qualifiées par le comité scientifique de
l’IBA, selon plusieurs critères dont le plus important est
la dimension transfrontalière. L’objectif est en effet de
fabriquer des liens entre les territoires et entre les gens
ou d’esquisser des lieux qui pourraient servir à cette
communauté et rayonner sur l’ensemble de la région.
Ces 44 projets ont été présentés lors du Forum IBA en
novembre 2011 à Bâle. Le comité politique, composé de
quatre représentants par pays et qui est l’organe suprême
de l’IBA, a confirmé ce choix.
Quels sont les champs et les modes d’intervention de
l’IBA Basel ?
L’IBA accompagne les projets par étapes, depuis le
processus de qualification jusqu’à l’obtention du label.
Elle soutient le développement des projets par différents moyens d’action : le lancement d’études, le conseil,
les événements, conférences, expositions, les concours
d’idées, la communication, la recherche de financement
ou encore la mise en réseau des partenaires.
A notre initiative, des groupes de projet thématiques
sont créés pour tisser des liens entre les porteurs de
projet et faire émerger de nouvelles idées. Par exemple,
les groupes de projet « paysage » permettent de planifier le développement des vallées ou des grandes entités
bâle transfrontalière
paysagères de manière cohérente. Même chose pour les
groupes de projet « gare active », qui explorent l’idée d’un
échange entre les porteurs de projets transnationaux. De
ces échanges naissent des conventions partenariales.
Dans le cas du projet 3Land, comment avez-vous
­travaillé ?
Ce projet est exemplaire d’un processus qui permet
une coopération trinationale riche, dépassant les intérêts particuliers. Nous avons organisé plusieurs ateliers
d’experts et des coopérations avec un réseau d’universités et lancé en parallèle un processus de participation trinational pour la présentation du concept spatial
3Land élaboré par le bureau LIN. Les premiers résultats
seront rendus publics à la fin de l’année. Dans le domaine
de la communication, l’IBA Basel soutient fortement
les porteurs de projets et génère une visibilité sur la
scène internationale. Le projet 3Land a par exemple été
présenté lors de la Conférence des parties sur les changements climatiques (COP21) à Paris.
Que devient l’IBA Basel après 2020 ?
Les IBA ont une durée de vie limitée à dix ans, c’est
l’une de leurs particularités. Nous sommes donc dans une
sorte de course contre la montre. Les IBA permettent
de créer un réseau de travail entre des acteurs aussi bien
privés que publics qui seront capables de porter le projet
au-delà de 2020. L’exposition est le point de départ de ce
travail coopératif à venir.
15
urbanisme
16
Tracés 01/2016
Genève, projet pour
une métropole
transfrontalière
Focus sur un contre-projet alternatif,
progressiste et par-delà les frontières.
Mounir Ayoub
L
e long de la rue de Genève, d’un côté et de
l’autre de la douane de Moillesulaz, entre la
Suisse et la France, un paysage parsemé de
maisons individuelles, de supermarchés, de boutiques
d’alimentation exotiques, un rond-point maintes fois
décoré, des ralentisseurs routiers et un flux incessant de
voitures qui devient un cauchemar pour les automobilistes
aux heures de pointe. C’est le paysage ni accueillant ni
repoussant, mais ordinaire, de la Genève transfrontalière.
C’est dans ces territoires que le groupe de recherche et
de projets sur la ville Genève 500 mètres de ville en plus
pratique depuis plus de vingt ans le safari urbain comme
premier instrument pour un projet territorial critique.
En 2013, il publie Genève, projet pour une métropole
transfrontalière, un livre consacré en grande partie à leur
second outil d’action, le contre-projet. Le livre présente
en détail leur proposition, ses précédents, son ancrage
politique et théorique et enfin ses composantes. Au-delà,
le livre se lit aussi bien comme un regard critique et sans
concession sur la prééminence des enjeux marchands dans
la fabrication de la métropole contemporaine.
sociaux et culturels. A partir de ce positionnement théorique manifeste, ils distinguent d’emblée deux territoires
au sein de la métropole genevoise. L’ancienne Genève,
confinée dans ses « murailles vertes », est formée par la
ville médiévale, les quartiers du 19e siècle et les ensembles
des années 1960. En se densifiant à l’intérieur de ses
limites, objets d’une protection rigoriste, elle se développe
d’une façon intensive intra-muros. La nouvelle Genève
est celle de la dispersion extensive des fonctions et de
l’habitat de plus en plus éloigné du centre. C’est celle des
zones d’activités, du pavillonnaire, des centres commerciaux : les « tiers-espaces » par-delà les frontières. Les deux
dynamiques spatiales concomitantes produisent invariablement un déséquilibre entre le centre et les périphéries.
Face à ce qu’ils dénoncent comme « un déni territorial »,
les auteurs du contre-projet proposent d’inverser le regard
de la périphérie vers le centre. Ils se positionnent ainsi à
l’intérieur d’une échelle de territoire qui efface les frontières nationales et n’admet que celles géographiques.
Pour eux, le territoire de la métropole transfrontalière
s’étend de la chaîne du Jura jusqu’au Salève et aux Voirons.
Le contre-projet
Genève, projet pour une métropole transfrontalière est
d’abord un contre-projet aux planifications officielles
de ces dernières années. Pour les auteurs, le Plan directeur cantonal de 2011 ou encore le Projet d’agglomération franco-valdo-genevois de 2012 sont des projections
urbaines guidées par le modèle du « libre marché territorial » dominant depuis au moins trente ans. En se situant
d’emblée dans la lignée des sociologues de la ville des
années 1970, notamment Henri Lefebvre plusieurs fois
évoqué dans le livre, les auteurs du contre-projet envisagent le territoire comme un espace spatialement déterminé et véhiculant des rapports de forces économiques,
Un projet de résistance
La seconde partie du livre détaille précisément les cinq
composantes qui structurent le projet : résistance, cité
linéaire, réseaux ferroviaires et routiers, parcs urbains
articulés par le lac, les rivières et les montagnes et enfin
le rééquilibrage des fonctions et des densités. La première
composante est certainement la plus explicite de ce
contre-projet. Elle se retrouve en réalité dans les quatre
autres. Le contre-projet conteste la ségrégation sociale
qu’implique le développement urbain concentrique et
oppose des formes d’implantations tangentielles : en
constatant que le développement des zones urbaines
diffuses s’organise, dans le cadre de la morphologie du
Tracés 01/2016
bâle transfrontalière
17
1
bassin genevois entouré de montagnes, selon un axe principal nord-est sud-ouest, ils proposent des cités linéaires
structurées dans une maille urbaine qui reprend cette
orientation géographique. Il s’agit encore de résistance
au réseau de transport actuel lorsque le contre-projet
propose un maillage de transport territorial qui diffuse
les flux au lieu de les concentrer vers la ville centre. Il
est aussi question de justice territoriale lorsque le projet
propose d’équilibrer l’urbanisation des rives gauche et
droite du lac. Les auteurs du contre-projet parlent enfin
d’égalité lorsqu’ils demandent le rééquilibrage transfrontalier entre emplois et logements.
On entrevoit les grimaces des acteurs politiques du
développement territorial lorsque les auteurs du projet
pour une métropole transfrontalière ont l’opportunité
de présenter leur proposition. Mais un fait d’armes leur
donne raison : la nouvelle gare centrale de la Praille.
L’exiguïté de l’emplacement actuel de la gare Cornavin
hypothèque les opportunités de son extension. Et à
Genève, l’idée d’une autre gare métropolitaine sur un
autre site, plus précisément dans le PAV, n’est plus taboue.
Les auteurs du contre-projet l’avait proposée, il y a déjà
plus de vingt ans.
Pour ceux qui croient que le territoire est une valeur
marchande, Genève, projet pour une métropole transfrontalière n’est certainement pas un projet réaliste. Mais
il est un contre-projet pour le réel. Il nous rappelle à la
valeur d’usage du territoire. La montée transfrontalière
des votes étriqués et identitaires dans les urnes se traduit
très concrètement, en matière de politique de la ville, par
le rétrécissement du droit à la ville pour tous. Le contreprojet demeure une arme de résistance.
Retrouvez l’entretien réalisé avec Louis Cornut et Raymond Schaffert,
membres de Genève 500 mètres de ville en plus sur www.espazium.ch.
2
1 Projet de métropole transfrontalière, tiré
de Genève, projet pour une métropole
transfrontalière, groupe Genève 500
mètres de ville en plus, éditions L’Age
d’Homme, Lausanne, 2013 / € 15
(www.geneve500m.com)
2 Esquisse d’une nouvelle gare métropolitaine
3 Projet de métropole transfrontalière,
3
perspective
1
Luca Selva architekten,
situations bâloises
A Bâle, extraordinaire laboratoire de l’avant-garde
architecturale depuis les années 1980, la dernière
décennie est marquée par l’intense production du
bureau Luca Selva Architekten. Au milieu du parfois
troublant vacarme bâlois empreint de désirs de
performances et d’exploits formels, le travail de
l’architecte bâlois est intimement relié aux conditions
urbaines de sa ville.
Mounir Ayoub
Luca Selva Architekten
Tracés 01/2016
19
2
3
L
orsqu’on lui demande quel bâtiment il conseille de
visiter à Bâle, Luca Selva recommande en premier
lieu l’immeuble de bureau Steinentorberg réalisé
par Diener & Diener en 1990, situé dans le même îlot que
le bureau de l’architecte, dans le quartier de la gare (fig. 2).
Le bâtiment d’angle longe sur son plus petit côté une rue
fortement en pente et traversée par une ligne de tramway.
Parallèlement à sa grande façade, un imposant pont routier
dessine un nouveau sol de référence aligné au niveau haut
du soubassement de l’immeuble. Le bâtiment appartient
si intimement à son contexte urbain qu’il est impossible
de prédire qui de lui ou de l’infrastructure routière
précède dans le temps. L’attachement de Luca Selva à sa
ville est ensuite plus explicite lorsqu’il recommande de
découvrir Am Viadukt, un immeuble de logements réalisé
par l’architecte bâlois Rudolf Linder en 1915 (fig. 3).
L’impressionnant bâtiment se pose au pied du zoo de Bâle
et déroule fièrement sa façade le long du viaduc routier
voisin et face aux infrastructures ferroviaires de l’autre
côté du parc. La présence de l’immeuble dans son site
dégage une rare impression d’inhérence d’une architecture
envers sa ville. Les deux immeubles visités sont des
réponses précises aux données changeantes des sites qui
les abritent. C’est cette « exactitude » que recherche Luca
4
1Exposition Luca Selva Architekten Acht
Fenster, Architektur Galerie Berlin
(© Luca Selva Architekten, photo Yohan
Zerdoun, impression sur verre Thomas
Woodtli)
2 Vue depuis le viaduc routier, Diener & Diener Arch., Bürohaus Steinentorberg, Bâle,
1988-90 (© Diener & Diener Architekten)
3 Plan de niveau, Rudolf Linder Arch.,
immeuble d’habitation Am Viadukt, Bâle,
1911-15
4 Plan de niveau, Rudolf Linder Arch.,
Ahornstrasse 1-8, Bâle, 1904-08, démoli
Selva dans ses réalisations : le rêve d’immanence d’un
bâtiment avec ses conditions urbaines.
Typologie spécifique1
Dans le Gellertpark, un quartier dominé par des villas
bourgeoises et enclavé au cœur de la métropole bâloise,
un surprenant bâtiment de logement se niche à l’intérieur
d’un jardin planté de grands feuillus (fig. 6 et 7) : quatre
dalles en béton blanc soutenues par de fins poteaux périphériques semblent émerger des feuillages (fig. 5). La
géométrie irrégulière des plateaux résulte du dessin du
périmètre légal constructible dont sont soustraites les
emprises circulaires des houppiers des arbres préservés.
En contraste à cette géométrie irrégulière, à l’intérieur,
deux murs porteurs parallèles contiennent le hall commun
et l’escalier distributif des appartements. Si le plan de l’immeuble est à l’évidence une déduction exacte des données
du règlement et du site, sa géométrie rappelle fortement
un immeuble de logement bâlois réalisé en 1908 dans la
Ahornstrasse par Rudolf Linder (fig. 4). Dans le projet au
1 SpecificTypolgies est le titre d’une exposition de Luca Selva Architekten qui s’est
tenue dans le Palazzo Bembo, lors de la Biennale d’architecture de Venise de 2014.
L’exposition s’inscrivait dans le thème général proposé pour la biennale par son
curateur Rem Koolhaas, Fundamentals.
réalisations
20
Tracés 01/2016
Situation
1:3000
6
5
0
1
5m
Gellertpark, la forme architecturale peut s’expliquer par
un raisonnement déductif des données particulières du
site, mais aussi d’une façon plus référentielle. Les deux
compréhensions du projet se complètent. L’exacte réponse
voulue par l’architecte aux données spécifiques du site se
superpose à un référencement architectural plus discret,
mais tout autant tiré de sa ville.
Membranes résonnantes
La résonance entre l’architecture de Luca Selva
Architekten et sa ville est encore plus explicite dans
le projet de home multigénérationnel réalisé dans le
quartier de Binningen sur un terrain en situation de
promontoire dominant l’agglomération bâloise (fig. 10
et 11). L’Architektur Galerie Berlin a récemment exposé
une série de photographies prises à partir des fenêtres
du bâtiment1 (fig. 1). L’exposition met l’accent sur le
2 Eight Windows est une exposition qui s’est tenue à l’Architektur Galerie de Berlin
entre le 30.10 et le 12.12.2015. L’exposition présentait cinq images du photographe
Yohan Zerdou prises dans le home multigénérationnel réalisé par Luca Selva
Architekten en 2013.
7
5
6
7
8
9
10
11
Vue depuis le jardin (photo Yohan Zerdoun)
Plan de situation
Plan de rez-de-chaussée
Vue depuis le parc (photo Ruedi Walti)
Vue intérieure (photo Ruedi Walti)
Plan de situation
Plan de rez-de-chaussée
dispositif architectural du projet consistant en une disposition précise des ouvertures en fonction des vues vers les
paysages de la ville et du parc environnant (fig. 8). Sur le
vitrage, le reflet des espaces intérieurs se superpose aux
vues vers l’extérieur. Dans l’exposition berlinoise, cet
effet de surimpression des paysages intérieurs et extérieurs est à son comble grâce au support vitré sur lequel
sont imprimées les images : en plus du double paysage de
Binningen, l’espace de la galerie se reflète sur le verre. La
fine membrane vitrée concentre les multiples relations de
l’architecture avec son milieu. De la même façon, Luca
Selva Architekten envisage les enveloppes de ses bâtiments comme une membrane réflexive qui concentre en
elle les données du projet. Dans le projet de Binningen,
c’est dans le vitrage des fenêtres que transparaissent ces
résonances. Pour l’immeuble de logement réalisé sur la
Hegenheimerstrasse, c’est toute la peau du bâtiment qui
réagit comme une membrane résonnante. Dans le quartier
de Kannenfeld situé à quelques encablures de la frontière
française, un immeuble en forme de T se pose au centre
d’une cour entourée d’immeubles de différentes époques
Luca Selva Architekten
Tracés 01/2016
21
Erdgeschoss
1:333
Erdgeschoss
1:333
N
8
9
0 1
10m
(fig. 13 et 14). Dans cet ancien résidu urbain utilisé pour
la maintenance des rues de Bâle, un volume en béton clair
s’implante face au fragment d’une construction datant du
19e siècle. En réponse au mur pignon et aveugle, les ouvertures sont placées au nu intérieur de l’enveloppe, accentuant ainsi l’effet d’une masse solide et pérenne. La forme
en T est complétée par un volume entièrement recouvert
d’une résille en cuivre avec les fenêtres fixées en léger
débord du nu extérieur. Par contraste avec le premier, la
peau de celui-ci apparaît foncée, tendre et changeante (fig.
12). Le volume s’imprègne de la disparité architecturale
de l’intérieur de l’îlot. A Kannenfeld, le dispositif urbain
des cours ouvertes dessine la morphologie du quartier et
dans l’une de ces cours, ancien délaissé urbain, la peau du
bâtiment fonctionne comme une membrane sensible qui
concentre les particularités du lieu qui l’abrite.
Situations précises
C’est en ces termes que Luca Selva décrit son processus
de conception : « Nous recherchons le particulier dans le
projet et nous essayons d’être le plus exact possible par
N
5
10
rapport aux données du site et à toutes les conditions qui
forment le projet. » Cette exactitude conceptuelle doublée
d’une sensibilité précise pour sa ville se traduit d’une
autre façon dans le projet Densa-Park (fig. 15 à 17). Les
deux immeubles de logement se situent à Kleinhüningen,
un quartier voisin de la frontière allemande enserré entre
le Rhin et la Wiese. Dans un environnement urbain où se
dispersent sans ordre apparent des immeubles de logement, des bureaux et un centre commercial réalisé par
Diener & Diener, les deux barres en brique apparente
sont librement disposées à l’intérieur d’un îlot ouvert. La
première forme un front bâti sur l’unique rue qui dessert
l’îlot et la seconde se déploie en direction de la rivière.
Plutôt que de rechercher un ordonnancement du site, les
barres se plient librement sans vouloir à tout prix reconstituer une unité urbaine d’ensemble. Le choix de l’implantation des deux bâtiments dévoile l’intérêt de la dispersion
urbaine environnante. Depuis l’intérieur de l’îlot, des
vues obliques s’ouvrent indifféremment vers la Wiese ou
0 immeubles
50m revêtus de briques et l’équipeencore vers les
ment commercial voisin.
0 1
5
10m
11
22
réalisations
Tracés 01/2016
Situation
1:3000
Erdgeschoss
1:500
13
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15m
L’inhérence des projets de l’architecte bâlois dans leur
milieu urbain résulte des dispositifs architecturaux qu’il
met en place de la manière « la plus exacte possible » en
réponse aux données spécifiques à chaque projet. Cette
relation intime qu’entretient l’architecture avec sa ville
ne peut pas être rapprochée de la notion de « Stimmung »,
terme qu’auraient volontiers employé ses collègues bâlois.
Luca Selva se positionne dans une perspective moins
encline aux retours historiques et postures hérités de
l’enseignement postmoderne popularisés à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich depuis les années 1970 3 . Il
oppose l’idée de « Genaue ». Pour chacun de ses projets,
cette quête d’exactitude propose une architecture qui
répond précisément aux complexités des situations
urbaines d’une métropole contemporaine, en l’occurrence Bâle. Les données réglementaires d’un terrain
dans le quartier de Gellertpark dessinent littéralement
la géométrie du bâtiment. A Binningen, le projet de
home multigénérationnel fonctionne comme un dispositif photographique qui se projette vers les paysages
extérieurs et les superpose avec les reflets des espaces
intérieurs sur une fine membrane vitrée. Les particularités d’une cour urbaine délaissée dans le quartier de
3 A l’Epfz, suite au passage entre 1972 et 1975 de Aldo Rossi en tant qu’enseignant
invité, les professeurs Miroslav Sik et Fabio Reinhart notamment ont enseigné et
diffusé l’architecture analogue. Une grande partie des architectes zurichois et
bâlois sont passé par cet enseignement. Au début des années 1990, Luca Selva
était étudiant, diplômé et ensuite assistant du professeur Dolf Schnebli.
14
Luca Selva Architekten
Tracés 01/2016
23
Situation
1:5000
15
16
150m
Kannenfeld caractérisent précisément la peau du bâtiment qui s’y insère. Enfin, l’hétérogène disparité d’une
frange urbaine à Kleinhüningen est prolongée – et même
par moment accentuée – par la disposition libre des deux
barres de logements. Ensemble, les réalisations de Luca
Selva Architekten fonctionnent comme un révélateur de
la complexité de la métropole bâloise, oscillant constamment entre la permanence des empreintes urbaines et
architecturales de la ville et les données changeantes de
chaque situation de projet.
25m
12
13
14
15
Vue depuis de la cour (photo Ruedi Walti)
Plan de situation
Plan de rez-de-chaussée
Vue depuis l’intérieur de l’îlot (photo Ruedi
Walti)
16 Plan de situation
17 Plan de rez-de-chaussée
17
actualités
24
Tracés 01/2016
Chandigarh – Le devenir indien d’une ville moderne
Cinquante ans après Le Corbusier
1
2
3
L’exposition sur Chandigarh, qui se tient
parallèlement à celle consacrée à l’AUA, à la
Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris,
invite à se replonger dans le plus abouti des
projets urbains corbuséens : l’édification de la
capitale administrative du Penjab.
D’une fraîcheur inattendue, l’exposition
réalisée avec le concours de la Fondation Le
Corbusier observe l’évolution de cette ville
moderne conçue pour 150 000 habitants et qui
en compte aujourd’hui 1 200 000. Pensée sur le
mode de plusieurs déambulations urbaines qui
se croisent et se chevauchent, la présentation
établit la compatibilité entre un projet moderne
et la réalité indienne. Loin de toute dénonciation des manquements dans la préservation
patrimoniale de l’ensemble, le propos qui se
dessine au fil des périples filmés souligne l’adaptabilité et l’ouverture de la trame corbuséenne.
Cartographie quasi exhaustive
Les très beaux plans, maquettes et élévations d’origine font face à des projections de
la ville saisies dans son quotidien. Des prises
de vue du nord au sud et de l’est à l’ouest qui
restituent admirablement la vitalité de cette
métropole. Huit grands écrans s’activent
pour donner à voir le paysage urbain de
Chandigarh. Chacun de ces parcours thématiques est repérable sur une carte livrée à
l’entrée. Inspiré de la cartographie Google, ce
dispositif de maillage filmique permet d’aller
au-delà d’une simple évocation d’atmosphères,
pour tenter une lecture spatiale exhaustive
de la ville. Aussi étonnant que cela puisse
paraître, l’objectif n’est pas loin d’être atteint.
Il faut par contre y passer plusieurs jours pour
voir intégralement l’ensemble des parcours
documentaires.
A ce travail de déambulation non commenté
s’ajoute toute une série d’entretiens avec des
spécialistes, qui évaluent la pertinence du
dessein corbuséen à l’aune des spécificités du
modèle urbain indien.
Sujet à une géographie sociologique encore
déterminée par des questions de castes, le
modèle urbain indien est assez différent de
ceux européens ou même asiatiques. A la différence de la ville européenne définie par un
centre, ou de la ville japonaise étalée et polycentrique, la ville indienne fonctionne sur un
modèle de centralités mobiles qui évoluent au
fil des saisons ou des heures. A cela s’ajoute un
développement qui ne va pas nécessairement
4
du centre à la périphérie, mais peut aussi aller
de la périphérie vers le centre.
Globalement, le propos tenu par l’exposition
tend vers un éloge de l'appropriation avec une
réelle volonté de mettre en avant l’adaptabilité
du projet corbuséen à l’évolution des besoins
de ses habitants. En quittant l’exposition, on
ne peut qu’applaudir la fondation pour son
ouverture d’esprit, notamment dans sa façon
de renoncer à une lecture patrimoniale, pour
contribuer à une exposition qui élève l’impureté au rang des qualités fondamentales de
l’urbanisme. On ne peut que lui souhaiter
de parvenir un jour à appliquer cette même
ouverture à l’ensemble de l’œuvre corbuséenne
et de quitter la posture de gardien du temple à
laquelle elle s’est assignée. Christophe Catsaros
Chandigarh : 50 ans après Le Corbusier
Jusqu’au 29 février 2016
Cité de l’architecture & du patrimoine, Paris
1 Penjab University (© Chandigarh College
of Architecture)
2, 4Secteur 17 (© Christian Barani)
3 Palais de l’Assemblée (© Christian Barani
© FLC/Adagp, Paris, 2015)
CONSTRUIRE LA COMPLEXITÉ
au jour le jour
Brunnen
Pontresina
Castione
Chur
Poschiavo
Domdidier
Rivera
Fribourg
Schwyz
Genève
St. Moritz
toscano.ch
Lausanne
Winterthur
Lugano
Zuoz
Mesocco
Zürich
actualités
26
Tracés 01/2016
Le bâti, matériau filmique
Fri Art présente jusqu’au 21 février la première exposition entièrement consacrée au cinéma expérimental en Suisse
< Vue de l’exposition Film
Implosion ! Experiments
in Swiss Cinema and
Moving Images, Fri Art,
centre d’art de Fribourg,
2015. A droite, les films
de HHK Schoenherr
(photo Max Reitmeier)
« A 2500 mètres d’altitude, dans le val
des Dix, un millier d’hommes dresse un
mur de béton aussi haut que la tour Eiffel :
le barrage de la Grande-Dixence. » C’est sur
cette épigraphe que s’ouvre Opération béton1 ,
le tout premier film de Jean-Luc Godard,
réalisé en 1954 et qui a pour objet de documenter les travaux de construction colossaux du plus haut barrage poids du monde
(285 mètres de haut). Après l’écrit, c’est la
voix off – procédé immédiatement cher à
Godard – qui prend le relais pour décrire, à
l’aide d’un vocabulaire quasi belliqueux, ce
chantier monstrueux et valoriser le travail
des hommes. Ainsi, nous dit Godard, alors
manœuvre sur le chantier, les équipes se
succèdent « sans trêve pour mener victorieusement ce combat prodigieux ».
Opération béton est projeté dans le cadre de
Film Implosion ! Experiments in Swiss Cinema
and Moving Images2 qui se tient jusqu’au 21
1 Le film Opération béton de Jean-Luc Godard est visible sur
YouTube (www.youtube.com/watch?v=Cliz6BA8Arw). Mais il
est projeté dans une qualité autrement supérieure à Fri Art,
dans le cadre de l’exposition Film Implosion ! Experiments in
Swiss Cinema and Moving Images.
2 www.fri-art.ch
3 Play 20, de Hans Helmut Klaus Schoenherr, réalisé dans les
années 1960, est visible sur le site Medienarchiv der Künste
(http://medienarchiv.zhdk.ch/entries/d97da67a-79df-482db955-e04bc78b8118).
4 www.veronique-goel.net/fugue.htm
5 www.veronique-goel.net/pobleno.htm
février à Fri Art. Le centre d’art de Fribourg
présente ici la première exposition entièrement
consacrée au cinéma expérimental en Suisse,
à travers la projection de quelque 70 œuvres
vidéo et de cinéma en format original ou en
transfert digital réalisées dès les années 1960.
Parmi les expérimentations à même la
pellicule, les films engagés, les documentaires et les films de fiction, on s’aperçoit que
le bâti et l’urbain sont incontestablement un
matériau à fabriquer du cinéma. Au rez-dechaussée, dans une scénographie de boîte
noire, plusieurs films de HHK Schoenherr
sont projetés sur un même pan de mur, la
plupart mettant en scène sa fille, à travers les
ans et dans des gestes du quotidien – elle boit
un jus d’orange, joue du piano, se maquille
– aux côtés d’un documentaire muet témoignant de la démolition d’un quartier berlinois 3 . Un peu plus loin, un série de films de
Véronique Goël4 , formant une sculpture
monolithique de neuf moniteurs, montre, par
des plans fixes, des travellings ou des panoramiques, des territoires urbains – Londres,
Berlin, Genève ou encore Téhéran – et les
rencontres fugaces qui s’y produisent. Dans
un autre de ses films 5 , également projeté à Fri
Art, elle documente l’évolution d’un quartier industriel de Barcelone, continuellement
démoli et reconstruit, à l’exception d’une
poignée de bâtiments classés.
Au premier étage, dans une scénographie
épurée qui se distingue de celle du rez, on
tombe d’emblée sur un film de Tony Morgan,
projeté dans une petite salle avec lavabo
peinturé, étagères et échelles – visiblement
utilisée au quotidien par les collaborateurs
du centre d’art –, qui se concentre sur les
gestes de deux ouvriers travaillant sur un
toit. Au même étage, une œuvre d’André
Lehmann permet au spectateur d’admirer
une portion de New York à partir d’un point
de vue aujourd’hui disparu : la West Side
Highway, un axe routier désaffecté dès les
années 1970, puis démantelé en 1989.
Avec cette exposition foisonnante, Fri Art
présente un pan jusqu’ici inexploré de l’histoire de l’art suisse et parvient à témoigner
de la diversité et de la qualité du cinéma
expérimental helvétique. Pauline Rappaz
Film Implosion ! Experiments in Swiss Cinema
and Moving Images
Projection de quelque 70 œuvres réalisées depuis les
années 1960, présentées sous forme d’installations,
séances ou (multi)projections
Jusqu’au 21 février
Fri Art, centre d’art de Fribourg
www.fri-art.ch
Retrouvez plus d’images de l’exposition sur www.espazium.ch.
28
Tracés 01/2016
Lascaux 6
Eugène ne sait plus où donner de la tête
Combien de grottes de Lascaux existe-il aujourd’hui dans le monde ?
Cette chronique est celle d’un décompte surréaliste.
1re grotte. En 1940, tandis que la bataille
d’Angleterre fait rage dans le ciel britannique,
quatre adolescents suivent leur chien Robot
qui a pénétré dans un trou de la taille d’un
ballon de foot, en Dordogne. Quel trou ! Des
fresques vieilles de deux cents siècles dorment
dans le silence des ténèbres. Malgré l’Occupation, les gens affluent pour déambuler dans ces
250 mètres de boyaux. Pas idiots, les inventeurs de la grotte vendent des billets d’entrée
pour deux francs. La situation devient vite
ingérable, si bien que le joyau de l’art paléolithique est fermé. Dès le début, Lascaux est une
affaire de gestion du flux des visiteurs.
En 1948, la grotte est rouverte après des
aménagements massifs consentis par le comte
de La Rochefoucauld, propriétaire de la grotte.
Construction d’une route, d’une porte d’entrée monumentale, électrification, escaliers et
abaissement du sol sont au programme.
2e grotte. En 1963, tandis que le nombre
de visiteurs a franchi le cap du million, André
Malraux (qui s’y connaît en pillage d’œuvres
d’art) ordonne la fermeture du site.
La société propriétaire de Lascaux, fondée
par la famille de La Rochefoucauld, se lance
dans la réalisation d’une réplique d’une partie
représentative de la grotte (le Diverticule axial
et la Salle des taureaux), avec une autorisation
d’exploitation de trente ans. Lascaux II est mis
en chantier à 300 mètres de la grotte originale.
Trop coûteux, le projet est en partie financé
par la vente de l’original à l’Etat, en 1972.
La prouesse technique est unique pour
l’époque. Une double coque en béton dont
l’intérieur reproduit fidèlement la grotte
originale est réalisée à partir des relevés de
l’Institut géographique national. Sur une
armature métallique sont posées plusieurs
couches de grillage à mailles suffisamment
fines pour retenir le béton projeté. La paroi
est reconstituée par un procédé de fibrociment. Quant à la reproduction des œuvres,
elle est confiée à Monique Peytral, artiste
fresquiste originaire de Marseille.
Le fac-similé ouvre en 1983 et accueille
300 000 visiteurs par année.
3e grotte. Passé l’an 2000, le fac-similé
menace de tomber en ruine, à son tour !
Comme il s’agit d’un monument hors du
commun, on décide de le préserver… au
même titre que l’original.
Le conseil régional de Dordogne voit les
choses en grand. Rénovation de Lascaux
II et mise en chantier de Lascaux III, une
exposition itinérante présentant des parties
de la grotte différentes de Lascaux II.
Renaud Sanson, ancien machiniste de
cinéma, développe une nouvelle technique :
relevé au laser de l’intérieur de la grotte et
développement d’un procédé de reproduction des parois nommé le « voile de pierre ».
Il devient possible de copier des portions de
parois à l’identique ! Autre avantage : la légèreté. Les voiles de pierre prennent la mer (à
condition de ne pas dépasser la taille d’un
container maritime standard).
Depuis 2013, Lascaux a surgi à Chicago,
Houston, Montréal. La grotte est en ce
moment à Palexpo, Genève. Puis repartira
pour la Corée du Sud et le Japon.
Il est révélateur que le catalogue de l’exposition ne présente que des photographies
prises dans Lascaux II. Les trois cents peintures de Monique Peytral sont enfin reconnues à leur juste valeur.
4e grotte. En 2016, la Dordogne inaugurera
son vaisseau amiral : Lascaux IV. Encore un
fac-similé ? Oui mais, cette fois, il reproduira
l’intégralité de la grotte, toujours en recourant au voile de pierre.
C’est le bureau norvégien Snøetta qui
a imaginé ce Centre international d’art
pariétal. Un complexe de 11 000 m2 pour un
budget de 60 millions d’euros. L’humanité en
général et la Dordogne en particulier doivent
beaucoup à la curiosité du chien Robot !
5e grotte. Parallèlement à Lascaux IV, un
travail de numérisation des parois est mené
à bien. Lascaux accède à l’éternité immatérielle. D’ailleurs, ce clone numérique est
présenté en projection 3D dans l’exposition
itinérante. Dans une salle de cinéma, le spectateur découvre la grotte comme personne
ne l’avait encore jamais vue : on peut zoomer
sur un renne, s’élever jusqu’au plafond pour
retrouver le point de vue de l’artiste paléolithique, juché sur son échafaudage.
6 e grotte. Il existe une dernière grotte. La
plus belle et poétique de toutes. Elle se cache
au fond de la mémoire de Monique Peytral.
L’artiste raconte que, pour mieux se mettre à
la place des chamans qui ont peint Lascaux,
elle a patiemment mémorisé chaque cheval et
chaque auroch. De cette façon, les courbes,
les crinières et les taches colorées venaient
« de l’intérieur de son être ». Aujourd’hui,
Monique Peytral est âgée de 88 ans. Mais la
grotte est toujours dans sa mémoire.
Eugène
Lascaux – chef d’œuvre de la préhistoire
Halle 7 de Palexpo, jusqu’au 17 janvier 2016
urbanisme
30
Tracés 01/2016
Pages d’information de la sia - Société suisse des ingénieurs et des architectes
Réflexions de Stefan
Cadosch au seuil
de la nouvelle année
L’année écoulée a été mouvementée. Or, si
l’on considère entre autres la nouvelle composition du Conseil national, celles et ceux
qui œuvrent au renouvellement énergétique
et territorial de notre pays auront sans doute
à affronter de nouveaux vents contraires. La
SIA et ses membres vont ainsi devoir relayer
leurs valeurs avec encore plus de fermeté
dans le débat politique.
Friedrich Dürrenmatt a dit un jour que, face
à des catastrophes imminentes, l’humanité se
comportait comme un homme sautant d’un
vingtième étage et s’exclamant à la hauteur du
dixième : « Eh bien, il n’est encore rien arrivé ! »
Non que je veuille assimiler la situation
actuelle à une catastrophe, loin de là. Mais
nous sommes effectivement face à un certain
nombre de défis qui appellent des réponses très
urgentes. Je pense notamment à notre fringale énergétique persistante, à la progression
du réchauffement climatique, à la poursuite
de notre étalement urbain dévoreur de sols et
aux coûts d’infrastructure qui en découlent.
Des défis aujourd’hui amplifiés par les f lux
croissants de personnes qui fuient des lieux
sans espoir, pour d’autres qui en offrent un peu
plus – et qui arrivent également chez nous. Des
gens qui ont aussi besoin d’un toit au-dessus de
leur tête, de maisons, de logements et, au-delà,
des infrastructures de transport et d’approvisionnement qui vont avec. Or, en ce qui me
concerne, je ne peux me défendre de l’impression que nous tardons un peu trop à empoigner
ces défis.
Revers cinglant pour la taxe sur l’énergie
Le 8 mars dernier, le peuple suisse a balayé
l’initiative en faveur d’une taxe sur l’énergie
avec 92 % de votes négatifs. Cela correspond au
plus fort taux de rejet de l’histoire des scrutins
populaires suisses. En raison d’un couplage
compliqué avec la taxe sur la valeur ajoutée,
la proposition n’a certes pas su me convaincre
non plus, mais ses défenseurs n’en poursuivaient pas moins l’objectif majeur de forcer la
substitution des énergies fossiles par des solutions renouvelables.
En septembre, le Conseil des Etats supprimait la déductibilité fiscale des sommes
investies dans la rénovation énergétique des
bâtiments. Une décision fatale quand on songe
que les quelque 2,5 millions d’objets qui constituent le parc immobilier suisse engloutissent
des ressources équivalant à 37 % de l’élec-
tricité et à 49 % des agents fossiles consommés dans le pays. Cela place le patrimoine
bâti parmi les principaux émetteurs de CO 2
en Suisse. Lorsqu’on prend conscience de ces
données, ainsi que de l’extrême lenteur avec
laquelle avance le renouvellement énergétique de ce patrimoine, on réalise que le maintien d’une incitation financière aurait été
dans le bon sens pour accélérer le processus.
Actuellement, le taux de rénovation annuel
concerne en effet tout juste 0,9 % des bâtiments, alors qu’il devrait s’élever à au moins
2 % pour correspondre à la stratégie énergétique définie par le Conseil fédéral à l’horizon
2050.
Beznau I, le plus vieux réacteur nucléaire au
monde
De même, le Conseil des Etats ne veut apparemment pas de la sortie du nucléaire, également envisagée par le Conseil fédéral dans
le cadre de la «Stratégie énergétique 2050».
Durant la session d’automne, il s’est ainsi prononcé contre la limitation de la durée de vie de
nos six centrales nucléaires. Y compris pour
Beznau I, en dépit du fait que ce réacteur bâti en
1969 est entre-temps le plus vieux au monde !
Réacteur qui, de surcroît, se trouve aujourd’hui
à l’arrêt en raison des défauts découverts dans
le matériau constituant la cuve.
Tout cela ne semble pourtant pas inquiéter
le Conseil des Etats – ou, pour paraphraser une
formule américaine : « On fait campagne en
poésie, mais on gouverne en prose ». Au niveau
de la Chambre haute en tous cas, la boutade se
vérifie en Suisse aussi.
Cela démontre une fois de plus que la durabilité est un bien immatériel, émanant de la
société et des individus mêmes qui la composent. Un bien dont la valeur et l’appréciation
reposent sur un consensus qui doit sans cesse
être renouvelé. Ou, en d’autres termes, que
l’aménagement durable de notre cadre de vie
implique d’abord et avant tout de travailler sur
les valeurs auxquelles les gens adhèrent, soit
de faire œuvre sociale et culturelle. Dans ce
contexte, nous devons – entendez la SIA et ses
membres doivent – non seulement élaborer et
fournir des solutions d’ingénierie, d’architecture et d’urbanisme exemplaires, mais encore
convaincre les gens que concevoir durablement le futur est l’affaire de tous. Et même,
que la mission est aussi belle que passionnante. Ingénieurs et architectes occupent une
position unique à l’interface entre les besoins
et aspirations d’un maître de l’ouvrage particulier et leurs devoirs envers le cadre collectif.
Nous sommes donc tenus d’annoncer la couleur et d’assumer nos responsabilités.
Stefan Cadosch, président de la SIA (Photo : Manu Friedrich)
C’est d’autant plus vrai qu’en renouvelant le
Conseil national en octobre, le souverain a ouvert
la voie à des vents contraires encore plus incisifs
en ce qui concerne la transformation durable
de la Suisse. Quant à la nouvelle composition de
la Chambre haute, elle ne laisse en tous cas pas
augurer de meilleures dispositions à cet égard.
Dans ce sens, c’est avec davantage de fermeté encore que la SIA et ses membres devront
relayer leurs convictions et leur savoir-faire
dans le débat public et politique. Que toutes
celles et ceux qui nous emboîteront le pas et
qui l’ont déjà fait au cours des dernières années
trouvent ici l’expression de mes plus chaleureux remerciements.
Stefan Cadosch, président de la SIA
Consultations
La SIA met en consultation les projets des
trois cahiers techniques suivants :
- prSIA 2014 CAO / DAO-Échange de données
– structure et codification des calques
- prSIA 2039 Mobilité – Consommation énergétique des bâtiments en fonction de leur
localisation
- prSIA 2040 La voie SIA vers l’efficacité
énergétique
Les projets sont disponibles sur notre site
internet www.sia.ch/consultations. Si vous
souhaitez prendre position, veuillez utiliser le
formulaire électronique qui peut être téléchargé sur ce site. Nous ne pouvons malheureusement pas prendre en considération les prises de
position nous parvenant sous une autre forme.
(SIA)
Tracés 01/2016
COMPTE-RENDU DE LA
SÉANCE 4/2015 DE LA ZN
Lors de sa dernière séance de l’année 2015,
le 17 novembre, la commission centrale des
normes (ZN) a prolongé de trois ans la validité de onze cahiers techniques, approuvé la
publication d’un nouveau cahier technique
et donné son feu vert à cinq projets.
Lors de sa séance du 17 novembre, la commission centrale des normes (ZN) a prolongé
la validité des cahiers techniques suivants
jusqu’à fin 2018:
– SIA 2015:2012 Catalogue des modèles de
représentation des objets du cadastre des
conduites de distribution et d’assainissement
– SIA 2016:2012 Modèles de données des objets
du cadastre des conduites de distribution et
d’assainissement
– SIA 2017:2000 Valeur de conservation des
ouvrages
– SIA 2022:2003 Traitement de surface des
constructions en acier
– SIA 2025:2012 Termes en physique, énergie
et technique du bâtiment
– SIA 2026:2006 Utilisation rationnelle de
l’eau potable dans les bâtiments
– SIA 2031:2009 Certificat énergétique des
bâtiments
– SIA 2032:2009 L’énergie grise des bâtiments
– SIA 2035:2009 Échanges de données CAO –
Aspects stratégiques
– SIA 2036:2009 Échanges de données CAO –
Aspects organisationnels
– SIA 2045:2012 Géoservices
Les cahiers techniques SIA 2026 et SIA
2031 sont déjà en révision et pourront être remplacés plus tôt en fonction de l’avancement des
travaux.
L’imprimatur a été donné au nouveau cahier
technique SIA 2052 Béton fibré ultra-performant (BFUP) – Matériaux, dimensionnement
et exécution. Le document s’applique au dimensionnement et à l’exécution de structures porteuses mettant en œuvre du BFUP. Deux types
d’application y sont mis en avant :
– les structures porteuses et éléments en
BFUP, BFUP armé et BFUP précontraint,
– les solutions mixtes BFUP-béton dans les
constructions neuves, ainsi que pour la
remise en état et le renforcement d’ouvrages
en béton existants.
L’approbation de la publication peut faire
l’objet d’un recours auprès du Comité de la SIA
jusqu’au 11 janvier 2016.
Les projets de révision acceptés concernent
les normes SIA 197/2:2004 Projets de tunnels –
Tunnels routiers, SIA 271:2007 L’étanchéité des
bâtiments et SIA 329:2012 Façades rideaux,
ainsi que la norme SN 506512:2010 Code des
coûts de construction Génie civil (eCCC-GC).
bâle transfrontalière
pages sia
La requête correspondante émane du Centre
suisse pour la rationalisation de la construction (CRB) et le projet est piloté par celui-ci.
Le démarrage des travaux pour le cahier
technique SIA 2059 Bases pour l’élaboration
des projets et actions sur les ouvrages temporaires a également obtenu le feu vert.
Enfin, la ZN a lancé un projet de cahier
technique sous le titre provisoire de « Dangers
naturels » en approuvant la composition de la
commission et l’établissement d’un calendrier
et d’un budget. Ce cahier technique est destiné à servir de vade-mecum à tous les acteurs
impliqués dans la construction d’ouvrages
tenant compte des dangers naturels et dans la
prévention des risques qui en découlent. Soit
avant tout les architectes, les ingénieurs, les
pouvoirs publics et les exécutants.
Le Dr Manuel Alvarez, Thomas P. Lang et
le prof. Dr Andreas Luible ont été élus nouveaux membres de la commission sectorielle
des normes de structures porteuses KTN et
Mathias Haupenthal a été désigné nouveau
membre de la commission des normes informatiques KIN.
Giuseppe Martino, responsable du département
Normes de la SIA; [email protected]
COMPTE-RENDU DE LA
SÉANCE 4/2015 DE LA ZO
La révision du règlement SIA 106 Règlement
concernant les prestations et les honoraires
des géologues a démarré. La commission SIA
142/143 va quant à elle traiter les étudestest comme une variante des mandats
d’étude parallèles.
Le 19 novembre 2015, la commission centrale des règlements (ZO) s’est réunie pour sa
dernière séance annuelle. Elle a commencé par
approuver à l’unanimité la requête de révision
du règlement SIA 106 Règlement concernant
les prestations et les honoraires des géologues.
Dans le cadre de ce projet, la ZO attache une
grande importance à ce que la coordination
avec les ingénieurs civils et les ingénieurs
forestiers soit assurée. Parallèlement au lancement du projet, elle a nommé la nouvelle commission. Un renouvellement qui a notamment
permis d’étoffer la représentation des maîtres
de l’ouvrage ainsi que de la Suisse latine. La ZO
se réjouit de cette évolution qui répond à l’un
de ces objectifs centraux, soit la représentation
de l’ensemble des acteurs concernés au sein
des commissions.
Avec les règlements SIA 142 Règlement sur
les concours d’architecture et d’ingénierie, SIA
143 Règlement des mandats d’étude parallèles
d’architecture et d’ingénierie et SIA 144 Appels
d’offre de prestations d’ingénierie et d’architec-
31
ture, la SIA met à disposition des règlements
adaptés aux différentes procédures de passation de marchés. Ainsi, les études-test sont en
principe déjà couvertes par le règlement SIA
143, sous la forme du mandat d’études parallèles sans mandat de poursuite. Dans la pratique toutefois, il s’avère régulièrement que
des indications complémentaires sont nécessaires pour l’application et la mise en œuvre
adéquate des règles établies. C’est pourquoi la
commission SIA 142/143 a été chargée d’examiner des projets correspondants, déjà existants, pour une réglementation plus détaillée
et de présenter des solutions.
Le troisième point principal à l’ordre du
jour a porté sur la délimitation entre normes
techniques et normes contractuelles – en
l’occurrence les règlements concernant les
prestations et les honoraires (RPH). Les RPH
contiennent notamment des descriptifs de
prestations énumérant les prestations fondamentales à fournir et règlent les attributions et les responsabilités des divers acteurs
impliqués. Pour les usagers, il importe que ces
aspects contractuels soient clairement réglés
à un endroit précis. La ZO attache en effet
une importance primordiale à mettre à disposition une collection de normes exemptes
de contradictions, formulées avec clarté et
concision. Elle a donc pris une série de décisions afin de pouvoir, avec des partenaires
internes et externes, épurer encore davantage de chevauchements au cours de l’année
à venir.
Michel Kaeppeli dirige le département Règlements
de la SIA; [email protected]
RAPPEL
La SIA est intéressée à connaître votre opinion concernant les règlements SIA 142 Règlement sur les concours
d’architecture et d’ingénierie et SIA 143 Règlement des
mandats d’étude parallèles d’architecture et d’ingénierie. Merci de nous faire part de vos expériences et de vos
éventuelles propositions d’amélioration à l’adresse Internet
suivante www.sia.ch/enquete-142-143
32
Marche des affaires :
stabilisation de la
branche des études
pour la construction au
quatrième trimestre 2015
L’économie suisse semble en légère rémission.
Selon le centre de recherches conjoncturelles
de l’EPFZ (KOF), un glissement horizontal
détermine l’évolution actuelle de la branche
des études. Les architectes sont pour l’heure
plus optimistes que les ingénieurs.
S’appuyant sur les dernières recherches
et analyses, divers experts immobiliers ont
récemment annoncé avec soulagement que la
longue phase d’ascension annuelle des prix était
terminée. On ne peut toutefois pas encore parler de situation détendue. A maints endroits, y
compris en périphérie, les prix de l’immobilier
demeurent toujours très élevés. Le contexte
reste déterminé par la situation actuelle sur
le marché des capitaux et du crédit : à défaut
d’alternatives de placement, d’importantes
sommes continuent à se déverser sur le marché immobilier – ce que semblent confirmer
les demandes de permis de construire déposées
au troisième trimestre (Batimag : +14 % sur
l’année, +12 % sur le trimestre). En dépit d’une
légère remontée des taux hypothécaires, la persistance des taux bas n’écarte en rien les risques
conjoncturels que cela implique.
La stabilité financière de la Suisse demeure
sous la loupe
Que faut-il concrètement en retenir ? Lors
de la réunion prospective du KOF, en octobre
2015, le vice-président de la Banque nationale
suisse, Fritz Zurbrügg, a notamment évoqué
trois types de risques susceptibles de continuer à menacer la stabilité financière.
1. Sur le marché immobilier, l’attention se
focalise toujours davantage sur l’évolution
des prix des objets dits de rendement locatif. La chasse à des rendements corrects
pour des capitaux en mal d‘investissements pourrait, même à court terme, continuer à alimenter la demande et à pousser
ainsi les prix vers le haut.
2. Dans un environnement de taux bas, l’érosion de leurs marges met les banques sous
pression. Cherchant à compenser la baisse
L’enquête du centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ
(KOF) pour la branche des études résulte d’un sondage
auquel des bureaux d’architecture et d’ingénierie suisses
participent volontairement. Les questionnaires portent sur
l’évaluation de leurs activités récentes, actuelles et à venir.
Si vous souhaitez y participer, vous pouvez répondre au
questionnaire à l’adresse http://survey.kof.ethz.ch. et tester
l’enquête en ligne sans aucun engagement.
Infos complémentaires : www.kof.ethz.ch
urbanisme
pages sia
des recettes, elles prennent donc de plus
gros risques face aux potentiels retournements des taux. Dans l’éventualité d’une
soudaine remontée de ces derniers, elles
subiraient, le cas échéant, des pertes économiques majeures. C’est une des raisons
de l’obligation faite aux grands établissements bancaires de disposer de suffisamment de fonds propres pour renforcer
leur résistance.
3. La recherche de rendements fait que l’octroi
d’hypothèques s’avère également de plus
en plus attractif pour des acteurs non bancaires, tels que les assureurs et les caisses
de retraite. La concurrence qui en résulte
pourrait encore restreindre la marge de
manœuvre déjà étriquée des banques en
cas de hausse des taux hypothécaires et,
en fin de compte, obérer la nécessaire augmentation de leurs fonds propres. Fritz
Zurbrügg salue dès lors comme une bonne
nouvelle la légère baisse de la dynamique
sur le marché hypothécaire et immobilier,
même s’il faut se garder de toute satisfaction prématurée.
Situation confortable pour la branche des
études
En comparaison d’autres secteurs économiques, la marche des affaires des architectes
et des ingénieurs les place au-dessus de la
mêlée. Globalement, l’enquête trimestrielle du
KOF indique une stabilisation dans la branche
des études. Les architectes tablent sur une
augmentation de la demande de prestations,
tandis que les perspectives des bureaux d’ingénieurs sont plus brouillées. Un cinquième des
bureaux interrogés s’attend à une baisse tendancielle. Et dans leur ensemble, les bureaux
d’étude ne sont guère optimistes quant à l’évolution de la valeur globale des constructions.
Ils sont en effet de plus en plus nombreux à rapporter des valeurs en baisse, notamment dans
la commande publique qui semble freinée.
Architectes en forme
Les bureaux d’architecture anticipent
quelques améliorations dans les six prochains
mois – avec des attentes positives pour la
demande, le niveau de l’emploi et les revenus.
Cela étant, la part des sondés qui tablent sur
une hausse des commandes s’est réduite de
cinq points de pourcentage à quelque 20 % en
un semestre. Contrairement aux bureaux d’ingénieurs, les cabinets d’architectes sont plus
nombreux à anticiper des investissements en
hausse dans la construction de logements.
Ingénieurs prudents
Bien que l’évaluation de la marche de leurs
affaires soit en hausse pour la première fois
depuis 2013, les attentes des ingénieurs pour
le semestre prochain ne reflètent pas d’éclair-
Tracés 01/2016
cie. Leurs réserves de mandats continuent à
diminuer.
David Fässler, responsable SIA-Service, avocat,
MBA ; [email protected]
Questions et réponses
concernant la norme
SIA 181
En raison des différentes demandes formulées au cours des dernières années, la commission SIA 181 Protection contre le bruit dans
le bâtiment a remanié la liste des questions et
réponses (version 2012) concernant l’application de la norme SIA 181:2006. Le document
est disponible sur www.sia.ch/correctif. La
liste d’origine émanait d’un atelier public sur
la norme, organisé à l’Empa.
A l’occasion de cette révision, la commission a précisé les questions existantes, mais
aussi ajouté de nouvelles questions ainsi que
les réponses associées. Elle a totalement supprimé certaines questions, qui ne remplissaient pas les exigences d’une liste simple et
concise. L’énumération selon des groupes thématiques a été conservée.
Les changements les plus importants
concernent la question de l’évaluation des
bruits des fenêtres coulissantes à levage ainsi
que la réponse à une demande relative aux
mesurages du bruit générés par l’utilisateur
pour remplacer la méthode de mesurage au
moyen du marteau basculant Empa.
sia online
Samuel Rütti, président de la commission SIA 181 ;
[email protected]
form
Processus Global du BIM
18 janvier 2016, 9h00 – 17h30
Code BIM06-16, informations et inscription : www.sia.ch/
form/bim06-16
La rénovation énergétique aujourd’hui
8, 15, 22 mars 2016, 3 jours, 9h00 – 17h30
Code GEF01-16, informations et inscription : www.sia.ch/
form/GEF01-16
La norme SIA 118 dans la pratique
10 et 11 mars 2016, 2 jours, Lausanne, 9h00 – 17h30
Code AB90-16, informations et inscription : www.sia.ch/
form/ab90-16
Le nouveau règlement RPH SIA 103 (2014)
15 mars 2016, Lausanne, 14h00 – 17h00
LHO27-16, informations et inscription : www.sia.ch/form/
lho27-16
Techniques de communication pour mieux présenter
vos projets
17 mars 2015, Genève 13h30 – 17h30
Code TC03-16, informations et inscription : www.sia.ch/
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Tracés 01/2016
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Concours de projets
Procédure ouverte
08.04.2016 (plans)
15.04.2016 (maquette)
Nouveau
Transformation du stade Pierre-de-Coubertin
à Vidy Lausanne
PLAREL SA Architectes
et urbanistes associés
Boulevard de Grancy 19a
CH – 1006 Lausanne
[email protected]
Concours de projets
Procédure ouverte
Cette rubrique est destinée à informer nos lecteurs
des concours organisés selon le réglement SIA 142 ou
UIA. Les informations qu’elle contient ne font pas foi sur le
plan juridique. Pour tout renseignement, prière de consulter les sites www.konkurado.ch et www.sia.ch/142i.
Les résultats des concours importants sont présentés
sur www.espazium.ch.
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Pour les informations et les réservations:
Téléphon 044 928 56 11 · [email protected] · www.zs-werbeag.ch
09.09.15 11:22
agenda
36
Tracés 01/2016
Jusqu’au 10.01
Jusqu’au 17.01
Jusqu’au 31.01
25.02 / 18:00
EXPOSITION
À la recherche de 0,10 –
Kasimir Malevitch et
l’avant-garde russe
Fondation Beyeler, Bâle
www.fondationbeyeler.ch
EXPOSITION
ARTISTES ET ARCHITECTURE.
DIMENSIONS VARIABLES
Pavillon de l’Arsenal, Paris
art.pavillon-arsenal.com
EXPOSITION
Europalia Turquie : archétypes
L’architecture en Turquie à travers
les siècles
Centre international pour la ville,
l’architecture et le paysage, Bruxelles
www.civa.be
Conférence
David Chipperfield.
Revisiting Modernism
Vitra Design Museum, Weil am Rhein
www.design-museum.de
22.01
12.01 / 18:00
Conférence
FHV
Architectes, Lausanne
Cycle « la face cachée du Léman.
Identités architecturales
lémaniques contemporaines »
HEIA-FR, Fribourg
www.heia-fr.ch
14.01 / 11:15-12:45
Manifestation
Denkraum für Baukultur Bâle : Un projet urbain entre
Trois pays
Swissbau, Bâle
www.espazium.ch
manifestation
16e Nuit des Musées bâlois
www.museumsnacht.ch
Jusqu’au 23.01
EXPOSITION
Carte blanche à Mathieu
Pernot, la ville révélée
L’exposition se décline selon cinq
grands ensembles : la figure de
l’individu, le groupe, la ville en
transformation, le port et l’horizon
Archives départementales des
Bouches-du-Rhône, Aix-en-Provence
www.archives13.fr
04.02 / 09:00-16:30
journée d’étude vlp-aspan
Développer vers l’intérieur :
une chance plus qu’une
contrainte - Valoriser les
atouts des communes
Aula Magna du Château, Yverdonles-Bains
www.vlp-aspan.ch
Conversion Project: Neues Museum Berlin, David
Chipperfield Architects, 1997–2009 (© Ute Zscharnt pour
David Chipperfield Architects)
25.02 / 18:30
Jusqu’au 14.02
Exposition
The World of Charles
and Ray Eames
Barbican Centre, art gallery, Londres
www.barbican.org.uk
Conférence
HAN TÜMERTEKIN
Architecte, Turquie
Pavillon Sicli, Genève
www.ma-ge.ch
Jusqu’au 24.01
Jusqu’au 29.02
14.01 / 18:30
Conférence
Thomas Ruff en conversation
avec Jacques Herzog
Architecte Herzog & de Meuron,
Bâle
Schaulager, Bâle
www.schaulager.org
EXPOSITION
Le Corbusier, le jeu du dessin
Musée Picasso, Antibes
www.antibes-juanlespins.com
Jusqu’au 14.02
EXPOSITION
Bernard Zehrfuss,
architecte de la spirale
du temps
Musée gallo-romain, Lyon
www.musees-gallo-romains.com
Exposition
La méthode Piano
Renzo Piano Building Workshop
Cité de l’architecture & du patrimoine,
Paris
www.citechaillot.fr
10.03 / 18:30
20.02 / 10:00-17:00
14.01 / 18:00
séminaire
Penser le milieu.
Renaturer la culture,
reculturer la nature
Avec Augustin Berque, géographe,
philosophe, spécialiste de la
­pensée japonaise
Couvent de La Tourette, Evreux
www.couventdelatourette.fr
Conférence
Lacaton & Vassal –
Living Space with a Future
Architectes, Paris
Vitra Design Museum, Weil am Rhein
www.design-museum.de
16-17.01
Visite
Visite de la ville italienne
de Turin
Groupement professionnel des
architectes
www.gpa-so.ch
28.01 / 18:30
Jusqu’au 21.02
Conférence
Bureau A
Architectes, Suisse et Portugal
Pavillon Sicli, Genève
www.ma-ge.ch
Exposition
Tomi Ungerer. Ce n’est pas
que pour les enfants
Villa Bernasconi, Grand-Lancy
villabernasconi.ch
Conférence
Philippe Ramette
Artiste, France
Pavillon Sicli, Genève
www.ma-ge.ch
24.03 / 20:00
Conférence
Günther Vogt
Vogt Landscape Architects,
Zurich
Centre culturel suisse, Paris
www.cssparis.com
RENDEZVOUS DE
LA MATIÈRE
3e édition
Un rendez-vous
professionnel consacré
aux matériaux pour
l’architecture, le design
et l’aménagement intérieur
Partenaires
mardi 22 et mercredi 23 mars 2016
de 10h à 19h
www.rendezvousdelamatiere.com
S
True Living of Art & Design
Bookstorming
49, boulevard de la Villette, 75010 Paris
Métro Colonel Fabien ou Belleville
La « planification » des urbanistes professionnels, tels que formés dans les universités qui leur
ont inculqué autant de « bonnes pratiques », s’impose partout. Elle imprime la matrice sans laquelle
interviennent les architectes « projeteurs ». Sur le
terrain, il se dégage l’impression persistante d’un
énorme fossé entre l’éducation dispensée, souvent
excellente, différenciée, voire sophistiquée du point
de vue théorique, et l’action de celles et ceux qui
en ont bénéficié, dès lors qu’ils exercent des mandats ou occupent des emplois. Ce questionnement
« laïque » fait écho à son pendant « professionnel »
qui consiste à affirmer que les formations ne correspondent pas aux pratiques courantes de la profession et à revendiquer davantage de « réalisme »
et de « pragmatisme » dans les cursus préparant à
l’urbanisme et à l’architecture. L’observateur tente
d’identifier le « trou noir » dans lequel disparaissent
connaissances et formations dès lors que leurs titulaires diplômés ont reçu un emploi ou un mandat.
Une observation empirique devrait considérer le
spectre le plus large possible des causes. Certaines
sont connues depuis longtemps et tiennent principalement aux « conditions de l’optimisation de
la rente foncière », soit, trivialement : comment
gagner un maximum d’argent par mètre carré
de sol. Je voudrais concentrer mon attention sur
un facteur spécifique, endogène de la pratique de
l’architecte, soit la notion de « projet » et la focalisation extrême qui s’ensuit sur l’objet architectural
décontextualisé.
L’origine en est la Renaissance italienne au cours
de laquelle l’espace pictural est devenu objectif et
fondé sur les mathématiques et s’est confondu avec
l’espace architectural. On fit tant et si bien que les
clients de l’architecte eux-mêmes ont été portés à
concentrer leur attention sur l’image de la chose et
sur le point de vue. C’est une entrée du Guide bleu
pour la ville de Pienza qui, incidemment, m’en a
livré la clef. Selon cette source, Pie II Piccolomini,
qui fit bâtir la ville, son palais et sa cathédrale,
aurait visité cette dernière au moment de son achèvement. Ayant trouvé la cathédrale conçue par
Rosselin, parfaite en toute chose et se souvenant
que lui-même, le client, était le souverain pontife,
il fulmina une bulle menaçant d’excommunication
quiconque y ajouterait ou en retrancherait quoi que
ce soit. Ce faisant, il consacrait à la fois l’autorité
du couple client et architecte et le caractère figé
de l’œuvre considérée de leur « point de vue ». La
manifestation de cette extraordinaire concentration de pouvoir lui conférant un statut mythique.
L’architecture néo-classique européenne a perpétué aux 18e et 19e siècles cette attitude, consacrant
et figeant comme une chose intangible et finie
l’œuvre architecturale. A partir du 19e siècle, les
théoriciens de la conservation des monuments se
sont employés à confirmer ce caractère et ils ont
contribué à le perpétuer, faisant de ces œuvres
des sortes d’objets « dérivés », livrés à un véritable
culte. De manière paradoxale si l’on considère ses
objectifs fondamentaux de réforme de l’habitat et
de la ville, l’architecture moderne, par un recours
massif à la photographie, va accentuer ce phénomène. Les retoucheurs des photographes d’architecture vont mettre à distance les représentations
de l’architecture moderne, supprimer les indices
de vie quotidienne, les oiseaux et même les nuages,
pas assez « modernes » à leurs yeux pour accréditer une architecture de l’objet et de l’image.
Singulièrement, l’image l’emportera sur l’intention
réformatrice et sur la substance, à l’initiative de
gens qui , comme l’américain Philip Johnson, ont
réduit le mouvement moderne à un « style » pour
mieux l’embrigader à leurs propres fins.
Tous ces éléments, qu’ils soient prosaïques et
suivent la pente des conditions dominantes ou qu’ils
soient plus élaborés idéologiquement et soulignent
la prééminence du projet et du projeteur, expliquent
en partie le conformisme et le suivisme des architectes et des planificateurs urbains dans leur pratique. Très rares sont celles et ceux qui s’écartent de
ce courant dominant, qui privilégient une approche
délicate, sensible, axée sur la création d’un environnement urbain capable de générer de la vie, pas seulement du chiffre d’affaires.
L’exception possède pourtant, avec Christopher
Alexander notamment, ses fondements théoriques.
Ils sont même enseignés dans les écoles. Dans de
nombreux pays et singulièrement dans ceux du Sud,
elle a aussi ses praticiens reconnus. L’architecture
en Suisse, véritable « médiapathe », tributaire de son
image forte et addicte au chiffre d’affaires généré
par la visibilité et le spectacle, ne s’en soucie que
très minoritairement. A quand l’overdose ?
Pierre Frey, historien de l’art
Maison Colnaghi, Paul Artaria & Hans Schmidt architectes, Riehen 1927
Toute reproduction du texte et des illustrations n’est autorisée qu’avec l’accord de la rédaction et l’indication de la source.
Une chronique de Pierre Frey
Paraîssent chez le même éditeur TEC21, Staffelstrasse 12, cp 1267, 8021 Zurich, www.espazium.ch
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En librairie Lausanne : La Fontaine (EPFL) ; Genève : Archigraphy ; Paris : Librairie Archibooks
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Tirage REMP Tirage diffusé : 3690 dont 102 gratuits (ISSN 0251-0979)
Qu’as-tu appris à l’école ?
Rédaction et édition Rédacteur en chef : Christophe Catsaros, mas. phil. Paris X | Rédacteur en chef adjoint : Cedric
van der Poel, lic. phil. UNINE, MAS urbanisme UNIL |
Rédacteurs : Mounir Ayoub, architecte | Philippe Morel, lic. ès sciences UNINE | Jacques Perret, dr ing. civil dipl. EPFL |
Pauline Rappaz, bac. ès lettres et mas. journalisme UNIGE, journaliste RP
Tous les rédacteurs peuvent être atteints par email : prénom.nom de [email protected]
Mise en page / Graphisme : Valérie Bovay, bachelor of arts HES-SO en communication visuelle
Rédaction des pages SIA : Frank Jäger, rédacteur, [email protected]
Conseil éditorial Eugen Brühwiler, dr ing. civil, prof. EPFL ; Lorette Coen, essayiste, journaliste, Le Temps ; Elena Cogato
Lanza, arch, prof. EPFL ; Daniel de Roulet, romancier ; Blaise Fleury, ing. civil dipl. EPFL ; Eric Frei, architecte ; Christophe
Guignard, architecte EPF, prof. ECAL ; Cyril Veillon, directeur d’Archizoom ; Pierre Veya, rédacteur en chef adjoint en charge
de l’économie Le Matin Dimanche.
Maquette Atelier Poisson www.atelierpoisson.ch | Lettrines et illustrations Bruno Souêtre www.brunosouetre.net
Adaptation de la maquette Valérie Bovay
Impression Stämpfli Publikationen AG, cp 8326, 3001 Berne, www.staempfli.com
[PAS] MAL d’archives
TRAcés Bulletin technique de la Suisse romande Revue fondée en 1875, paraît tous les quinze jours.
Rédaction Rue de Bassenges 4, 1024 Ecublens, tél. 021 693 20 98, CCP 80-6110-6, www.espazium.ch
Editeur espazium – Les éditions de la culture du bâti, Staffelstrasse 12, 8045 Zurich, tél. 044 380 21 55, [email protected]
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Régie des annonces Zürichsee Werbe AG, Seestrasse 86, 8712 Stäfa, tél. 044 928 56 11 | Régie des annonces en
Suisse romande : Inédit P
­ ublications SA, Avenue Edouard Dapples 7, 1006 Lausanne. Serge Bornand, tél. 021 695 95 95
Organe de la sia Société suisse des ingénieurs et des architectes www.sia.ch
Associations partenaires Fondation ACUBE, Association des diplômés de l’EPFL www.epflalumni.ch/fr/pretws-dhonneur ;
ETH Alumni, Anciens élèves de l’EPFZ www.alumni.ethz.ch ; USIC, Union suisse des ingénieurs-conseils
www.usic-engineers.ch ; FAS, Fédération des architectes suisses www.architekten-bsa.ch
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