LETTRE MENSUELLE N°172 FIN DE VIE JANVIER 2014 DECRYPTAGE GÈNÉTHIQUE VOUS INFORME Un risque de dérive euthanasique : décryptage des propositions Claeys-Leonetti A la suite de la remise du rapport « Claeys-Leonetti » au président de la République le 12 décembre 2014, le gouvernement a annoncé l’ouverture des débats sur la fin de vie à l’Assemblée nationale le mercredi 21 janvier 2015. Même si la proposition de loi Claeys-Leonetti intégrée au rapport et servant de base au débat parlementaire n’emploie pas les mots « euthanasie » et « suicide assisté », cependant, le risque est grand qu’elle conduise à légaliser des gestes euthanasiques. Gènéthique décrypte pour vous cette proposition de loi, point de départ du débat parlementaire sur la fin de vie. La proposition de loi considère explicitement la nutrition et l’hydratation artificielles comme des traitements : « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement ». Ceci n’est pas une nouveauté mais une conséquence de la loi Leonetti de 2005, qui n’inscrivait pas explicitement qu’alimentation et hydratation étaient des traitements susceptibles d’être arrêtés. Cependant son interprétation a abouti de nombreuses fois à les suspendre, comme cela a été le cas pour Vincent Lambert par exemple. Cette faille de la loi Leonetti a donné lieu à l’expression « d’euthanasie passive ». La proposition ClaeysLeonetti inscrit une nouvelle certitude légale : la nutrition et l’alimentation seront des traitements et non plus des soins vitaux dus à toute personne. La proposition de loi instaure un droit du patient à être endormi de façon irréversible tout en arrêtant son alimentation et son hydratation : La sédation qui avait pour vocation de soulager, apaiser (...) conduira à « éradiquer le patient pour éradiquer l’angoisse et la douleur » « A la demande du patient (…) un traitement à visée sédative (…) provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mis en œuvre… ». Le Docteur Béatrix Paillot1 alerte sur une telle disposition qui prive « sans retour en arrière possible » le patient de « vivre l’ultime étape de [son] existence », « une privation de liberté » à des moments « riches de sens et d’échanges avec les proches ». La conséquence d’une telle rédaction associant sédation profonde et arrêt des traitements, incluant nutrition et hydratation, est pour Jean-Marie Le Méné2 inévitable : elle « créer[a] une automaticité entre l’arrêt de l’acharnement thérapeutique ou de l’obstination déraisonnable (par arrêt des traitements inutiles) et la mort (par arrêt de la nutrition et de l’hydratation, abusivement assimilées à des traitements) ». Pour Olivier Jonquet3 , ce droit pourrait dériver dans les faits au « suicide médicalement assisté ». La proposition de loi présume le consentement des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté à l’euthanasie. Une présomption légale qui aboutit à obliger les médecins à pratiquer une sédation irréversible en cas d’arrêt de traitements : « Lorsque le patient ne peut exprimer sa volonté (…) dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, le médecin applique le traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès ». Le rapport Claeys-Leonetti illustre l’esprit de cette disposition en affirmant qu’« il est permis de penser que ces personnes pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable si elles pouvaient s’exprimer ». Pour Jean-Marie Le Méné, « ces personnes vivantes, mais hors d’état d’exprimer leur volonté sont présumées consentir à l’euthanasie du fait qu’elles sont présumées refuser l’obstination déraisonnable ». Les médecins se voient alors dans l’obligation de lier arrêt des traitements et sédation profonde (irréversible). Béatrix Paillot s’inquiète : « Les soignants ne doivent pas être obligés d’arrêter contre leur conscience une alimentation et une hydratation artificielles bien tolérées par un malade sous prétexte que l’on veut l’endormir pour le soulager physiquement et moralement ». Et si c’est le cas comme le prévoit le texte, alors affirme-t-elle, une clause de conscience serait légitime. Ce que ne prévoit pas le texte. Car en effet, si l’on arrête l’alimentation et l’hydratation au motif que l’on endort la personne pour la soulager, « c’est pour être sûr de provoquer la mort au cas où le malade ne meurt pas aussi vite qu’on l’aurait cru […] C’est de l’euthanasie pure et simple ». La proposition de loi rend les directives anticipées opposables : Les « directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne (…) l’arrêt des traitements et actes médicaux (…) Elles sont imposables au médecin ». Il s’agit ici de sacraliser la volonté du patient contre l’avis ou la conscience médicale. L’autonomie, la maîtrise de sa mort, est première. Pourtant, comme en témoignent les médecins dont Béatrix Paillot, beaucoup de personnes changent d’avis quand arrivent leurs derniers instants : « Il y a [alors] tant de choses précieuses à vivre ». Là encore, la clause de conscience des médecins n’est pas même évoquée par la proposition de loi. Pour conclure, le docteur Olivier Jonquet rend compte d’une finalité détournée de la sédation qui avait pour vocation de soulager, apaiser, et qui dans la proposition de loi Claeys-Leonetti conduira à « éradiquer le patient pour éradiquer l’angoisse et la douleur ». Cette proposition de sédation profonde et continue, confirme Jean-Marie Le Méné, est le « pavillon de complaisance de l’euthanasie », une « volonté explicite de « raccourcir la vie indigne », une « méconnaissance de la nature humaine et de la richesse de ce qui peut être vécu en fin de vie » selon Béatrix Paillot. ■ ◗ 1. Médecin gériatre ◗ 2. Président de la Fondation Lejeune ◗ 3. Médecin réanimateur CHU Montpellier, porte-parole du collectif Convergence Soignants-Soignés. → → Lu pour vous La mort peut attendre, Pr. Maurice Mimoun Ed. Albin Michel Depuis de longues années le professeur Mimoun, chef du service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique de l’hôpital SaintLouis à Paris et du Centre de traitement des brûlés, est habitué à défier la mort. L’accompagnement d’un de ses amis, atteint d’un cancer, va bouleverser tous ses repères. Il revient dans ce livre sur le cas de nombreux patients, et plonge le lecteur dans le quotidien du médecin, ses décisions, ses doutes. Un essai, qui en quelques pages, rappelle que chaque situation est unique, que «tout bascule pour presque rien», que «le mort» est finalement «heureux de vivre», qu’on ne peut pas tout prévoir et qu’«on verra bien demain»... Embryon DECRYPTAGE GÈNÉTHIQUE VOUS INFORME Des gamètes humains artificiels créés à partir de cellules souches ? L L’article de Cell dont il s’agit vient de scientifiques (Jacob Hanna, Azim Surani) qui travaillent depuis des années sur les cellules souches et plus particulièrement sur les questions plus fondamentales de différenciation et de reprogrammation. L’article ne vise pas une perspective d’application aux infertilités, mais plutôt une meilleure connaissance des phénomènes génétiques, épigénétiques et cellulaires, mis en jeu dans la formation de la lignée germinale, dans l’embryon. Le scientifique japonais Mitinori Saitou et ses collaborateurs avaient pu obtenir chez la souris, en 2012, des cellules germinales primordiales en appliquant un facteur appelé « BMP4 » à des cellules « iPS » (cellules souches pluripotentes induites) qui sont des cellules de la peau reprogrammées pour avoir la totipotence d’une cellule embryonnaire. Ces cellules germinales primordiales pouvaient donner des spermatozoïdes lorsqu’on les greffait dans des testicules de souriceau, et des œufs lorsqu’on les greffait dans les ovaires d’une souris. La production artificielle de sperme et d’œufs à partir des cellules iPS (donc de la peau humaine) paraissait alors à portée de main, et les spécialistes s’en étaient émus. Mais les efforts pour reproduire cette technologie chez l’homme n’avaient pas réussi : on n’avait pu obtenir à partir des iPS que quelques cellules germinales primordiales et l’affaire en était restée là. De nouvelles recherches Azim Surani, Jacob H.Hanna et leurs collaborateurs ont pensé que cette difficulté était due au fait que les cellules souches pluripotentes humaines (cellules souches embryonnaires ou cellules iPS) ont une pluripotence plus faible (dite « engagée ») que les cellules souches pluripotentes de souris (qui ont une pluripotence dite « naïve » ou « fondamentale »). Pour contourner cette difficulté, ils ont donc appliqué à des cellules souches pluripotentes humaines un milieu spécial, le « medium 4 », qui a transformé ces cellules en cellules pluripotentes de type « naïf », comme le sont les cellules souches pluripotentes de souris. Et ils ont publié ce résultat en 2013. Puis ils sont passés au stade suivant et ont appliqué la méthode de Mitinori Saitou à ces cellules pluripotentes humaines de type « naïf ». Et ils ont bien obtenu les cellules primordiales germinales humaines « artificielles » qu’ils espéraient. C’est cette réussite qu’ils publient aujourd’hui dans la revue Cell. Toutefois, si A. Surani et ses collègues avaient bien prévu d’arriver à ce résultat, une surprise leur était tout de même réservée : car le facteur qui préside à l’orientation des cellules vers la lignée des cellules primordiales germinales, chez l’homme, SOX17, n’a pas ce rôle chez la souris. La réussite d’A.Surani et de ses collègues n’est qu’une première étape sur la route menant à l’obtention de spermatozoïdes et d’ovocytes humains à partir des iPS. Il est probable que ces chercheurs poursuivent maintenant leur étude en explorant les stades suivants de la gamétogénèse, avec le passage des cellules primordiales germinales aux cellules mûres de la reproduction. Mais J.H.Hanna a déclaré que ni lui, ni ses collaborateurs, ne se jugeaient prêts « à faire ce plongeon » chez l’homme à cause des trop grandes inconnues que comporterait l’introduction de sperme et d’œufs « artificiels » dans le domaine humain. Des conséquences éthiques La possibilité de produire des gamètes fonctionnels des deux sexes génétiques à partir d’iPSCs humaines est de fait préoccupante. Elle est hautement discutable sur le plan éthique. Elle ouvre la porte non seulement au « clonage reproductif », universellement condamné, mais que bien peu de législations interdisent, mais encore à tous les fantasmes reproductifs qui peuvent passer par l’imaginaire humain : depuis l’enfant pour couples homosexuels jusqu’à l’enfant sans parent commandité par quelque entreprise et mis au monde par une « grossesse pour autrui ». De plus, comme les cellules somatiques destinées à être reprogrammées en iPSCs pour en faire des gamètes pourraient être obtenues subrepticement d’une personne non volontaire, à son insu, il serait possible par ce moyen à une personne célibataire d’avoir un enfant d’un donneur sans que celui-ci le sache. Le grand perdant, comme toujours dans le domaine des procréations artificielles, sera l’enfant à qui sera imposé une entrée dans le monde sans tenir compte de sa liberté et de ses droits. ■ Lettre Gènéthique, 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15 [email protected] - www.genethique.org I mprimerie : PRD - N° ISSN 1627.498 La réussite d’A.Surani n’est qu’une première étape sur la route menant à l’obtention de spermatozoïdes et d’ovocytes humains à partir des iPS. Copyright : DR e 24 décembre dernier, la revue Cell a publié les résultats des travaux d’une équipe de chercheurs de l’Institut Weizmann de Rehovot en Israël. Ils ont réussi à obtenir des cellules germinales primordiales humaines, précurseurs des ovocytes et des spermatozoïdes, en les dérivant de cellules souches pluripotentes humaines, qui avaient été modifiées à cet effet afin qu’elles aient une pluripotence plus forte (dite « naïve » ou « fondamentale »).