- 11 L a ïcité et Répu b l i q u e : un pa r c ou r s h istorique De la crise des inventaires à l’apaisement « La question de savoir si l’on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine » Georges Clémenceau L a loi est un texte de compromis : ce n’est pas une loi anti-religieuse comme l’auraient souhaité les anticléricaux les plus ardents ; l’article 4, en particulier, maintient le principe de hiérarchie des églises. Les réactions Les protestants et les juifs, qui avaient obtenu des articles organiques du concordat une reconnaissance précieuse, acceptent loyalement la séparation en espérant que les fidèles prendront en charge avec responsabilité la vie de leur communauté. Ce sont bien sûr les catholiques qui dénoncent la rupture unilatérale du concordat, invoquent la violation de l’engagement historique de compensation par l’État de la perte des biens « spoliés » lors de la Révolution et ne font aucune confiance au gouvernement quant à l’application de la loi. Mais les catholiques ne sont pas unanimes : certains, héritiers du gallicanisme, redoutent que la séparation livre le clergé à la toute puissance du Vatican, pendant que l’Action française et les anti-dreyfusards les plus extrémistes prônent la politique du pire. Les évêques sont divisés : la majorité reste attentiste et est surtout préoccupée de la gestion matérielle de leur diocèse (comme Mgr Germain, archevêque de Toulouse) ; certains (c’est le cas de Mgr Mignot, archevêque d’Albi) considèrent que les associations cultuelles sont compatibles avec l’organisation de l’Église et n’ont pas peur d’une application loyale de la séparation. Tout le monde attend la position du Vatican. Mais la mise en œuvre de la loi va se heurter à la maladresse et à la raideur de ses textes d’application et à l’intransigeance du pape Pie X. 1906-1908 Les inventaires La question des cultuelles L’inventaire n’aurait dû être qu’un état des lieux avant la mise en place de la nouvelle organisation. Pour les cultes protestants et israélite, il en fut ainsi. En ce qui concerne l’Église catholique, il en fut tout autrement : il est pris pour la profanation d’un espace sacré et la préparation non pas d’une simple transmission des biens des fabriques aux associations cultuelles, mais d’une spoliation. L’encyclique Gravissimo loco du 10 août 1906 vient ruiner l’espoir de la majorité des évêques et des catholiques réalistes : le pape refuse que soient constituées des associations cultuelles. Or la loi donnait un an pour ce faire : passé le délai du 11 décembre 1906, les immeubles propriété de l’État, des départements et des communes (évêchés, grands séminaires, presbytères…) reviennent à leur propriétaire. À Paris, dès le 1er et le 2 février, l’Action française profite des inventaires des églises Ste Clotilde et St Pierre du Gros Caillou pour provoquer des affrontements, très médiatisés, avec les forces de l’ordre. C’est alors que le pape fait enfin connaître sa totale opposition à la séparation, « négation très claire de l’ordre surnaturel » : c’est l’encyclique Vehementer nos du 11 février 1906. La résistance aux inventaires est soit passive (lecture d’une protestation par le curé, refus de collaborer et fermeture de l’église), soit violente. Les incidents graves ont lieu en pays de forte catholicité : Bretagne, Sud-Est du Massif Central et Nord. On doit déplorer un mort à Boeschèpe (Nord) le 6 mars et une autre victime en Haute-Loire à la fin du mois. Les élections législatives de mai 1906 se déroulent dans cette atmosphère troublée : elles se traduisent par une victoire nette du Bloc républicain. Georges Clémenceau, devenu ministre de l’Intérieur, donne des ordres de modération. En Haute-Garonne, les fidèles déplorent l’absence de leur archevêque, Mgr Germain, parti malencontreusement à Rome en ces jours difficiles pour assister au sacre des premiers évêques nommés par le pape. Les incidents, finalement très peu nombreux, n’ont lieu qu’à Toulouse : le 12 février à Saint-Étienne et à la Daurade, surtout les 20-21 février à St Sernin. Les inventair es dans les ég lises Le grand séminaire de Toulouse (rue du Taur), les petits séminaires de l’Esquille et de Polignan sont donc évacués. L’archevêché (devenu aujourd’hui la chambre de commerce et d’industrie, rue d’Alsace) l’est le 21 décembre 1906 : l’on se bat place Saint-Étienne et 30 arrestations, dont celles de deux prêtres, s’ensuivent. Il ne faut pas moins de trois lois (2 janvier, 28 mars 1907, 13 avril 1908) pour réorganiser le dispositif initial de la loi de 1905 afin de faire face à l’intransigeance du Vatican et forcer l’église catholique à entrer « dans la légalité malgré elle » : les évêchés, séminaires et presbytères reviennent définitivement à l’État, aux départements et aux communes : les communes pourront laisser les curés occuper les presbytères, mais moyennant une location ; les biens des anciens établissements publics du culte (les immeubles et revenus divers des fabriques) seront attribués aux établissements communaux d’assistance ou de bienfaisance ; les églises et cathédrales restent affectées au culte, gratuitement et sans limitation de durée, sans qu’il soit nécessaire d’autoriser les cérémonies qui s’y déroulent. • • • L’État et les communes sont donc aujourd’hui propriétaires des édifices catholiques construits avant 1905, qui sont la grande majorité. Ils peuvent également engager les dépenses nécessaires pour leur entretien. En revanche, la loi interdit depuis 1905 que les pouvoirs publics participent à la construction d’édifices nouveaux. Le clergé catholique, désormais privé des subsides publics, doit mettre en place un système de contribution volontaire des fidèles, le denier du culte. La résistance aux inventaires à Cominac (Ariège)