PETiT . . . mais puissant ABB teste actuellement un nouveau transformateur de traction Max Claessens, DraŽen Dujic, Francisco Canales, ­ Juergen K. Steinke, Philippe Stefanutti, Christian Vetterli – L’innovation technologique est souvent affaire de taille. En témoignent de nombreux domaines où la masse et le volume ont un impact direct sur la productivité et où d’importants efforts de recherche sont consentis pour gagner en compacité et en légèreté. Or, jusqu’à présent, certains équipements faisaient de la résistance, notamment les transformateurs de puissance dont la taille minimale obéit avant tout aux lois de la physique : le circuit magnétique doit en effet être dimensionné pour supporter le champ magnétique. Le marché ferroviaire impose des exigences particulières au transformateur de traction : il faut, d’une part, libérer de la place au profit des voyageurs et, d’autre part, limiter la charge admissible par essieu tout comme l’énergie nécessaire à l’accélération du train. Par chance, la physique offre ici une piste pour alléger et réduire de volume les transformateurs de traction. En effet, plus la fréquence augmente, plus la taille du circuit magnétique diminue ; ce principe vaut aussi pour les appareils de faible puissance comme les chargeurs d’ordinateurs portables. Pour autant, l’appliquer à un matériel aussi volumineux et lourd que le transformateur de traction n’est pas qu’une question d’échelle ! ABB a relevé le défi et développé un prototype à électronique de puissance testé sur une locomotive. PETiT . . . mais puissant ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­1 1 1 Électrification des réseaux ferroviaires européens Non électrifiés 750 V CC 1 kV CC 3 kV CC 15 kV/16,7 Hz CA 25 kV/50 Hz CA La multiplicité des systèmes d’électrification du réseau ferré européen, héritage de l’histoire, est souvent le reflet de ce qui se faisait de mieux au début de l’électrification d’un pays ou d’une région ➔ 1. L par les sous-stations en basse tension (750 V à 3000 V) directement fournie aux moteurs de traction. Or, à ce niveau de tension, les pertes dans le conducteur aérien sont élevées. À bord des trains traditionnels tirés par une locomotive, un transformateur lourd n’est pas forcément pénalisant car il contribue à l’adhérence des roues sur les rails. L’effort de traction maximal que la locomotive peut produire sans perte d’adhérence est limité par sa masse. Or, pour les lignes de voyageurs, la ­tendance est aujourd’hui aux automotrices où la chaîne de traction n’est plus regroupée dans la locomotive, mais répartie sur toute la longueur du train, dans les rames de passagers. Face au nombre croissant d’essieux motorisés, l’adhérence n’est plus un facteur qui limite l’accélération du train ; par contre, la masse et la taille du transformateur demeurent une contrainte majeure pour les concepteurs de trains. Ultérieurement, l’électrification alternative monophasée à des tensions supérieures (15 kV/16,7 Hz et 25 kV/50 Hz) fut introduite, réduisant les pertes de transport mais imposant l’installation, à bord des trains, de transformateurs lourds et volumineux. Le train idéal combinerait la légèreté et la compacité des équipements des engins ferroviaires alimentés en continu aux faibles pertes de transport du train alimenté en haute tension alternative. En d’autres termes, le transformateur se voit imposer une cure d’amincissement ! es premières lignes ferroviaires électrifiées étaient principalement réalisées en tension continue. À l’époque, cette tension ne pouvant être abaissée par du matériel embarqué, les trains étaient alimentés Les gros transformateurs étant en majorité destinés à des ­applications stationnaires, la traction ferroviaire est probablement la première application à tirer profit de la réduction de masse des trans­forma­teurs. ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­1 2 revue ABB 1|12 Or, nous l’avons dit, sa taille et son poids obéissent aux lois de la physique : plus la fréquence est basse, plus le transformateur est volumineux. En augmentant la fréquence, on gagnerait à la fois du poids et de l’espace. Tel fut le raisonnement suivi par l’équipe de projet ABB du transformateur de traction à électronique de puissance PETT (Power-Electronic Traction Transformer). Le PETT à la loupe La chaîne de conversion de puissance de la plupart des trains modernes alimentés en alternatif est illustrée en ➔ 2. Le courant alternatif capté de la caténaire (conducteur aérien) circule dans les enroulements primaires d’un transformateur basse fréquence pour atteindre les rails, le retour du courant s’effectuant par ces derniers. La tension réduite disponible au niveau des enroulements ­secondaires du transformateur alimente un hacheur réseau quatre quadrants (4Q) qui la convertit en tension de bus continu. Enfin, un onduleur convertit cette dernière en courant alternatif de fréquence et de tension variables pour les moteurs de traction. Les auxiliaires peuvent également être alimentés par le bus continu. Pour utiliser un transformateur moyenne fréquence, un convertisseur doit être placé en amont du transformateur ➔ 3. Photo p. 11 Locomotive de manœuvre Ee 933 des Chemins de fers fédéraux suisses (CFF), qui embarque le démonstrateur PETT d’ABB. 2 Chaîne de conversion d’un train moderne alimenté en CA 3 Chaîne de conversion à transformateur moyenne fréquence Caténaire 15 kV/16,7 Hz - 25 kV/50 Hz CA Caténaire 15 kV/16,7 Hz - 25 kV/50 Hz CA Convertisseur principal Transformateur principal basse fréquence Transformateur moyenne fréquence Moteur de traction Bus continu Bus continu HT 1 Moteur de traction Bus continu BT 1 M 3 M 3 3 Rail (masse) Côté secondaire de ce dernier, un redres­ seur alimente le bus continu. Cette topologie pose un défi majeur : l’installation obligatoire d’un convertisseur côté haute tension. La génération actuelle de composants semi-conducteurs ne pouvant bloquer les tensions utilisées en électrification ferroviaire alter­ native, un montage en série s’impose. Plutôt que de raccorder en série un très grand nombre de semi-conducteurs pour former des valves, ABB a monté en La multiplicité des systèmes d’électrification du réseau ferré européen, héritage de l’histoire, est souvent le reflet de ce qui se faisait de mieux au début de l’électrification d’un pays ou d’une ­région. 3 Rail (masse) série une cascade de modules convertisseurs côté haute tension dont les sorties sont connectées en parallèle côté continu ➔ 4. Cette topologie donne une solution évolutive et permet une redondance M parmi N. La tension alternative fournie par la caténaire est filtrée par une inductance avant d’alimenter le premier module convertisseur. Chaque module se compose d’un bloc redresseur actif AFE (Active Front End) et d’un bloc convertisseur continucontinu ➔ 5. Le bloc AFE est essentiellement un pont en H qui régule la charge des condensateurs du bus continu et autorise également la régulation active du facteur de puissance. Convertisseurs en cascade Cette topologie en cascade permet de plus la commutation indépendante de chaque module et, donc, des commandes imbriquées des ponts en H. Si elles sont uniformément imbriquées (décalées de 360 °/N, N désignant le nombre de niveaux), le côté réseau du convertisseur perçoit une fréquence de commutation apparente (équivalente) 2N fois supérieures aux fréquences de commutation réelles de chacun des ponts en H. Cette fréquence de commutation apparente élevée (combinée au plus grand nombre de niveaux intermédiaires de tension) donne une distorsion harmonique inférieure à celle des convertisseurs de traction traditionnels, réduisant les besoins de filtrage en entrée. Des exemples de formes d’onde sont reproduits en ➔ 6. PETiT . . . mais puissant ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­1 3 4 Montage en série d’une cascade de modules convertisseurs côté primaire et sorties raccordées en parallèle côté secondaire Caténaire Module 1 Module 2 Module N Rail 5 Chaque module se compose d’un bloc redresseur actif (AFE) et d’un bloc convertisseur CC/CC. CA/CC S1 CC/CC S3 S5 S7 C1 C3 TR Lr SC Cr Lm C2 S2 S4 C4 S6 IGBT 6,5 kV/400 A Le transformateur de traction utilise la plate-forme de commande AC 800PEC d’ABB pour applications lentes et rapides. S8 IGBT 3,3 kV/800 A Transformateurs moyenne fréquence Ces transformateurs jouent un triple rôle. Primo, ils assurent l’isolement galvanique entre la haute tension alter­ native du réseau et la basse tension de la charge. Secundo, ils adaptent la ­t ension continue de 1,5 kV de la charge au ­ n iveau intermédiaire de la tension de 3,6 kV du bus continu. Tertio, ils aident les modules de transistors IGBT des c ­ircuits résonants LLC (cf. infra) à fonctionner en régime de commutation douce. La réduction de taille accentuant le problème de la rigidité électrique, cet aspect demande une étude approfondie. Les neufs transformateurs du démonstrateur PETT sont logés dans la même cuve à huile, tout comme l’inductance réseau et le chargeur de démarrage ➔ 7. ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­1 4 revue ABB 1|12 6 Formes d’onde mesurées du transformateur PETT Formes d’onde mesurées avec le démonstrateur PETT fournissant 900 kW (a, b), 500 kW (c, d) et 100 kW (e, f) au moteur de traction CC. a b (V) (A) 1250 0 -1250 0 0,05 0,1 a) Temps (s) 0,15 (V) (A) 100 3000 200 0 2000 0 -100 1000 -200 0,2 0 0,2 0,4 0,6 b) Temps (ms) 1,0 d c (V) (A) (V) 1250 50 3000 100 0 2000 0 -50 1000 -100 0 -1250 0 0,05 0,1 c) Time (s) 0,15 0,2 (A) 0 e 0,2 0,4 0,6 d) Temps (ms) 1,0 f (V) (A) (V) (A) 1250 15 3000 20 0 2000 0 -15 1000 -20 0 -1250 0 La compacité du PETT permet de le monter sous la caisse ou en ­t oiture, libérant un maximum d’espace pour les passagers et réduisant la consommation énergétique des trains. 0,05 0,1 e) Temps (s) 0,15 0,2 0 0,2 0,4 f) Temps (ms) 0,6 1,0 uline : Tension réseau i Tr_HV : Courant primaire transformateur iline : Courant réseau iTr_LV : Courant secondaire transformateur uload : Tension de charge Régime de commutation du circuit LLC Chacun des neufs transformateurs moyenne fréquence fait partie du convertisseur CC/CC associé ➔ 4. En utilisant les inductances parasites et de magnétisation des transformateurs ainsi que les condensateurs du circuit externe, on crée un circuit LLC résonant (Lr, Lm et Cr en ➔ 5) aux avantages suivants : – Large plage de régulation de sortie ; – Réduction des pertes de commutation côté primaire par la commutation à tension nulle sur la plage complète de la charge ; – Faible courant de blocage commandé par conception (commutation à courant quasi nul) ; – Faible contrainte de tension et commutation à courant nul sur le redresseur à diodes côté secondaire ; : Tension collecteur-émetteur u S6_ce de l’IGBT S6 de ➔ 5. – Fonctionnement indépendant de la charge à la fréquence de résonance. Un circuit LLC étant basé sur l’effet de résonance, les variations de la fréquence de commutation peuvent servir à réguler la tension de sortie. La version actuelle du PETT n’utilise toutefois pas cette possi­ bilité ; le convertisseur CC/CC r­ésonant du circuit LLC fonctionne en boucle ­ouverte avec une fréquence de commu­ tation fixe de 1,75 kHz, inférieure à la ­fréquence de résonance. Plate-forme de commande AC 800PEC La plate-forme de commande devait remplir les conditions suivantes : – Maintien d’un courant d’entrée sinusoïdal ; – Facteur de puissance quasi unitaire ; PETiT . . . mais puissant ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­1 5 7 Cuve et transformateur moyenne fréquence d’ABB – Tension moyenne constante du bus continu ; – Pollution harmonique minimale du réseau. Le nouveau transformateur de traction d’ABB a recours à la plate-forme de commande AC 800PEC pour applications lentes et rapides. Démonstrateur PETT pilote Le partenariat de longue date entre les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) et ABB a permis d’installer un démons- Le partenariat de longue date entre les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) et ABB a permis de tester un démonstrateur PETT pilote à bord d’une locomotive de manœuvre Ee 933. ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­1 6 revue ABB 1|12 trateur PETT pilote à bord d’une loco­ motive de manœuvre de type Ee 933 ( ➔ photo p. 11). Début 2008, ABB entreprenait d’importants travaux de recherche et d’études sur tous les sous-systèmes, qui aboutirent, au printemps 2011, au développement du démonstrateur PETT. Avant d’être installé sur la locomotive, le transformateur pilote subit une campagne complète d’essais électriques en laboratoire. Le transformateur de traction et le redres­ seur à thyristors GTO de la locomotive Ee 933 furent déposés pour permettre l’installation du PETT. Quelques modifications mécaniques s’imposèrent ainsi qu’une adaptation de l’interface électronique. La locomotive est alimentée par le r­ éseau en 15 kV/16,7 Hz. L’installation pilote, terminée mi-2011, reçut l’homologation de l’Office fédéral des transports (OFT) dès la fin de l’année. La locomotive ­débuta ses manœuvres en février 2012 à la gare Cornavin de Genève. Le transformateur PETT ➔ 8 compte neuf modules en cascade dont huit sont indis­pensables à son fonctionnement, le neuvième servant à des fins de redondance. D’une puissance nominale de 1,2 MW, il peut délivrer une puissance crête de 1,8 MW sur une courte durée. Sa tension continue de sortie atteint 1,5 kV et sa masse totalise 4500 kg, L’installation pilote, terminée mi-2011, reçut l’homologation de l’Office ­fédéral des transports (OFT) dès la fin de l’année. 8 Transformateur de traction PETT complet s­ ystème de refroidissement compris. Par rapport aux autres transformateurs de même puissance, le PETT remplace non seulement le transformateur existant, mais aussi le redresseur BT (comparer ➔ 2 et ➔ 3). Le but principal de ce projet était d’étudier la faisabilité de la technologie, la r éduction de masse venant en plus. ­ La puissance massique (exprimée en kVA/kg) des associations transformateur/redres­seur actuelles est de l’ordre de 0,2 à 0,35. La génération de PETT à l’étude sera bien plus performante, avec des puissances massiques entre 0,5 et 0,75. Parmi ses autres avantages, citons : – Un rendement énergétique accru entre la puissance absorbée en entrée et celle restituée en sortie. De 88–90 % à l’origine, il dépasse aujourd’hui 95 % (contre 90–92 % en moyenne pour les transformateurs de traction 15 kV/16,7 Hz autonomes actuels) ; – Une pollution harmonique réduite et un comportement CEM amélioré ; – Des émissions sonores inférieures. légèreté de la traction ferroviaire, mais aussi de puissance des trains m ­ odernes et de confort des voyageurs. La voie du futur ? Les gros transformateurs étant en majorité destinés à des applications stationnaires, la traction ferroviaire est probablement la première application à tirer profit de la réduction de masse des transformateurs. Les efforts d’innovation doivent donc privilégier cette application. Max Claessens ABB Power Products, Transformers Zurich (Suisse) De fait, si ce premier transformateur PETT est testé à bord d’une locomotive de manœuvre, sa vraie cible sont les trains de voyageurs : automotrices de banlieue et motrices à rames à grande vitesse. Sa compacité permet en effet un montage sous la caisse ou en toiture, ­libérant ainsi un maximum d’espace pour les passagers et réduisant la consommation énergétique des trains. [email protected] Dražen Dujic Francisco Canales ABB Corporate Research Baden-Daettwil (Suisse) [email protected] [email protected] Juergen K. Steinke ABB Power Electronics Turgi (Suisse) [email protected] Philippe Stefanutti Christian Vetterli ABB Sécheron SA Tous ces avantages font du PETT la ­s olution idéale pour répondre non seulement aux demandes de compacité et de Genève (Suisse) [email protected] [email protected] PETiT . . . mais puissant ­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­1 7