nom d`une planete ! comment baptiser les mondes extrasolaires

publicité
NOM D'UNE PLANETE ! COMMENT BAPTISER LES MONDES EXTRASOLAIRES ?
Charline Zeitoun
Octobre 2001
Des dizaines de nouvelles planètes ont déferlé devant les yeux des astronomes depuis six
ans. Ces autres mondes, évoluant autour de lointains soleils, portent de vulgaires
numéros. Un jour, il faudra bien leur donner des noms comme Mars, Vénus ou Mercure.
Mais ce n’est pas si simple…
Chef ! On a découvert de la vie sur une planète en dehors du Système solaire !
– Pas croyable… Stoppez les rotatives ! On change la une du canard ! Alors, coco, que
proposes-tu comme gros titre ? Comment elle s’appelle, ta planète ?”
– Heu… HD 83443 b.
– Mouais, c’est pas très vendeur ça, coco…”
Que ces chasseurs de scoops en mal de titraille se rassurent, pas l’ombre d’un
protozoaire n’a bien sûr été aperçu sur les dunes de la dite exoplanète. Mais, force est de
constater que ces nouvelles venues, découvertes depuis 1995, se contentent de “plaques
d’immatriculation” peu folichonnes en guise de patronyme. HD 16141 b, HR 810 b, 51
Peg b, elles sont soixante-huit à ce jour répertoriées dans le catalogue du site internet de
l’observatoire de Paris-Meudon (Zoom). Géantes de gaz, saturnes chaudes, mastodontes
dix fois plus massifs que Jupiter ou poids plumes dix fois plus légers, elles portent toutes
le nom de leur soleil flanqué d’un b, pour les différencier de l’étoile en question (pour
laquelle un a est sous-entendu). “Si une autre planète est découverte autour du même
astre, elle reçoit une nomenclature identique en changeant simplement le b en c, et ainsi
de suite en fonction d’éventuelles trouvailles”, explique Xavier Delfosse, astronome de
l’observatoire de Grenoble. Mais cet usage, habituel chez les chasseurs de planètes, n’a
rien d’officiel. Et il faudra bien un jour donner un petit nom à ces nouveaux mondes,
comme on l’a fait pour les membres du système solaire.
Cette lourde tâche incombe à l’Union astronomique internationale (UAI), arbitre officiel
de la désignation des planètes et satellites depuis son premier meeting en 1919 à
Bruxelles. Son groupe de travail des systèmes planétaires, et ses divers sous-groupes de
la Lune, de Mars ou de Vénus, comptent une trentaine de membres, américains, russes,
anglais, français, japonais, chinois, néerlandais et norvégiens. Ces astronomes sont
invités à se creuser les méninges afin de proposer lors de l’assemblée générale, réunie
tous les trois ans, des noms à donner aux objets célestes et à leurs formations
géologiques. Satellites, cratères, plateaux, plaines, canyons, volcans, failles, se
bousculent au guichet des enregistrements, puisque le nombre de leur découverte
semble ne pas trouver de limite. Bien sûr, faire passer en douce un nom plusieurs fois est
strictement interdit. Pour nourrir la bête insatiable et dans le respect de la diversité des
cultures, les membres de l’UAI épluchent donc des encyclopédies entières, se repaissent
des mythologies et légendes du monde entier, plongent dans L’Iliade et L’Odyssée
d’Homère, descendent dans L’Enfer de Dante, dévorent le Livre des Navajo, les Contes
folk hawaïens, la chanson de Roland, ou encore l’anthologie des œuvres de William
Shakespeare et même le Who’s who, célèbre annuaire des very important persons de la
planète ! Grâce à ces sources intarissables, ils établissent un catalogue, une sorte de
banque de données, où ils choisissent ensuite les sons les plus faciles à prononcer dans
toutes les langues… en s’assurant qu’ils ne sont injurieux dans aucun pays. Ainsi Titania,
reine des fées dans Le songe d’une nuit d’été, est devenue une lune d’Uranus. On peut
fouler la terre de Ronceveau sur Iapetus, satellite de Saturne. Et sur une autre de ses
lunes, Téthys, ainsi que sur Vénus, deux formations géologiques se nomment
respectivement Circé, qui changea les compagnons d’Ulysse en pourceaux, et Piaf, en
hommage à Édith.
1
Dernière règle du jeu : ne pas céder à l’engouement passager d’une starlette
hollywoodienne ou d’un boysband à succès. Ceux qui inscrivent leur nom dans le ciel
doivent mériter l’accès à l’éternité. Exception faite pour les comètes et les astéroïdes
(Zoom), les noms des personnes vivantes sont désormais bannis. Seuls les individus
décédés depuis au moins trois ans, à condition qu’ils ne soient ni des leaders politiques
ou militaires, ni des figures religieuses, ont leur chance. “Dans ces deux cas, nous
décidons entre nous d’un délai d’attente. Par exemple, 3 000 ans semblent raisonnables
pour un dieu, alors que 300 ans devraient suffire lorsqu’il s’agit d’un leader politique ou
militaire, tout charismatique soit-il…” s’amuse André Brahic, professeur à l’université
Paris 7 et membre du groupe Système solaire extérieur.
Trois mille femmes hors du commun ont ainsi été honorées sur la deuxième planète,
comme l’Anglaise Christine Norden, déesse du cinéma d’après-guerre qui parut les seins
nus sur une scène de théâtre, devenue logiquement un mont de Vénus. “En revanche, La
Pompadour a été refusée par les américains, poursuit André Brahic, car elle était la
maîtresse du roi de France.” Shocking… Enfin, il y a plus de 70 ans, dans la plus pure
tradition des dieux grecs puis romains, l’UAI baptisait la petite dernière du système
solaire, découverte par Clyde Tombaugh en 1930, du nom de Pluton. Il suffisait de
compléter l’arbre généalogique de la famille de Gaïa (la Terre, en grec), puisque Pluton
n’est autre que le frère de Jupiter. Quelle logique adopter à présent pour les corps
orbitant autour de soleils étrangers ?
“Avant de donner un nom à ces planètes, il faudrait déjà pouvoir leur donner le nom de
‘planète’ !”, expliquent en substance les membres de l’UAI et les astronomes qui traquent
ces nouveaux mondes. Car la définition scolaire — un objet gazeux ou rocheux, sans
réaction nucléaire, en orbite autour d’une étoile et qui brille seulement par réflexion de la
lumière d’autres astres — se heurte à de nouvelles curiosités. “Que dire des objets aux
caractéristiques planétaires mais errant dans l’espace ?” s’interroge par exemple
Stéphane Udry, de l’observatoire de Genève. En février dernier, en marge des
assemblées générales trisannuelles de l’UAI, les membres du groupe de travail sur les
planètes extrasolaires ont tranché. Leur définition provisoire ne fait pas de quartier.
Premièrement, exit les objets flottants, quels qu’ils soient. Deuxièmement, ceux orbitant
autour d’une étoile mais d’une masse 13 fois supérieure à celle de Jupiter, la planète
géante du système solaire, sont officiellement relégués au rang de naine brune (Zoom).
Bien, l’affaire est entendue ! La voie est-elle libre désormais pour identifier et baptiser les
exoplanètes ? Que nenni ! “Pour la plupart d’entres elles, les méthodes actuelles de
mesure ne permettent pas d’obtenir une valeur exacte de la masse, explique Xavier
Delfosse. Plus tard, certaines pourraient se révéler de vulgaires naines brunes. Il faudrait
alors changer leur nom au risque d’une grande confusion.” Misère…
Autre problème : l’image. Même les meilleurs paparazzi de la Galaxie seraient bien peine
de fournir à l’heure actuelle le moindre cliché d’une seule de ces exoplanètes. Les
preuves de leur existence se résument à des mesures de détection, au spectrographe, en
traquant les oscillations d’une étoile. Or, en parfait saint Thomas de la nomenclature,
l’UAI ne nomme que ce qu’elle voit. Tant pis si la première image n’est pas attendue
avant une bonne dizaine d’années. Peu surprenant dans ces conditions que l’organisation
internationale “ne voit pas l’intérêt de baptiser les exoplanètes et n’en a aucune intention
en l’état actuel des connaissances”. Tout juste devrait-on entériner l’appellation la plus
courante, du type “HD 123456 b”, à la prochaine assemblée. “C’est plus sage, commente
Xavier Delfosse, car il faut aussi s’attendre à un autre écueil : nous allons bientôt crouler
sous les nouvelles planètes. Les missions spatiales telles que Gaïa pourront en trouver un
nombre gigantesque, des centaines, peut-être des milliers ! Comment donner un petit
nom à chacune ?” L’UAI pourrait bien jeter l’éponge en effet. Comme elle l’a déjà fait
devant le nombre astronomique d’étoiles, référencées par des signes grecs en fonction
de leur position dans les constellations et classés dans différents catalogues sous des
numéros d’immatriculation, exception faites des plus brillantes (Véga, Altaïr, etc.) aux
noms consacrés par la tradition. “Concernant les exoplanètes, nous y verrons plus clair
vers 2030, conclut André Brahic, quand nous connaîtrons la masse de ces objets et leur
orbite, indispensables pour les baptiser.”
2
Le status quo semble donc s’installer pour quelques décennies. “Il faut bien comprendre
que nous ne sommes pas pressés, sourit l’astrophysicien. Nous travaillons pour
l’éternité…”
> Zoom
Le site internet www.obspm.fr/encycl/ catalog.html est mis à jour régulièrement par
l’astronome Jean Schneider. Pour chaque exoplanète, sont notamment indiquées la
masse et la période.
> Zoom
Ces corps voyageurs sont aujourd’hui les seuls autorisés à s’approvisionner en dehors
des cimetières. Ils adoptent le patronyme de leur découvreur ou, dans le cas des
astéroïdes, tout nom choisi par le découvreur. Pour preuve : Stravinsky, Mahler,
Debussy, Mac Cartney, Harrisson, Starr et Lennon, trouvailles d’astronomes mélomanes.
> Zoom
Étoile de faible masse, trop froide pour que les réactions nucléaires dont elle est le siège
s’auto-entretiennent.
Si les chasseurs nommaient leurs planètes…
Michel Mayor, directeur de l’observatoire de Genève (Suisse)
“Ce n’est pas du tout à l’ordre du jour. Ceci dit, si j’avais dû choisir un nom, j’aurai été
tenté de donner un coup de chapeau à Épicure, philosophe grec qui, voilà près de 2 000
ans, écrivait déjà à Hérodote qu’il y avait une infinité de monde. Il en était absolument
convaincu. Fabuleux, non ?”
Geoffrey Marcy, de l’université de Berkeley (États-Unis)
“Depuis plusieurs années, j’ai proposé que l’on donne à ces planètes des noms qui
signifient ‘paix’, ‘coexistence’ et ‘harmonie’ dans toutes les langues. Ainsi, toutes les
cultures seraient représentées dans ces nouveaux mondes et les noms des exoplanètes
nous permettraient de nous rappeler éternellement nos plus nobles défis.”
La Paz en espagnol, Hoa Binh en vietnamien, Mir en russe, Rukun en javanais,
Tsumukikatu en comanche, et tous les autres noms sont disponibles sur le pacifique site
web de Geoffrey Marcy :
http://astron.berkeley.edu/~gmarcy/peace.html
Tout l’Olympe dans le Système solaire
Mars, Saturne, Jupiter, Vénus et Mercure, connues depuis l’Antiquité, avaient déjà reçu
des noms de dieux babyloniens avant que les Grecs, puis les Romains ne reprennent la
combine à leur compte. Ainsi, comme les Anciens imaginaient que la couleur rouge de
Mars venait du sang qui colorait son sol, immense champ de bataille, le dieu de la guerre
romain y élu naturellement domicile. Saturne, lente dans ses déplacements dans le ciel,
synonyme de régularité, doit son appellation au dieu du temps. L’honneur d’accueillir le
roi des dieux revient à Jupiter, tandis que la brillante Vénus est dédiée à l’amour et à la
beauté. Mercure, qui se lève ou se couche juste avant le Soleil, annonce en quelque sorte
les faits et gestes de celui-ci. Elle fut donc considérée comme le messager des dieux.
Plus tard, Uranus, Neptune et Pluton seront également baptisées dans cette logique
divine. En 1781, il semble limpide à Johann Bode de désigner la planète découverte par
Herschel du nom du père de Saturne, Uranus. Quant à Neptune, observée en 1846 par
Johann Galle, et Pluton, trouvée par Clyde Tombaugh en 1930, elles furent nommées en
qualité de frères de Jupiter. Une affaire de famille, en somme. Bien sûr, il y a eu
quelques tentatives de dissidence. Par exemple, William Herschel a d’abord voulu
baptiser sa découverte “planète de George”. Cette délicate attention à l’égard du roi
George III valait bien la pension de 300 guinées allouée par son protecteur !
3
Téléchargement