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Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
Créer de l’emploi en Méditerranée :
quels secteurs privilégier ?
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
Conférence animée par Claire Hedon, journaliste à Radio France Internationale (RFI)
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
SYNTHESE
Sont intervenus :
- Gilles Pargneaux, député européen et membre de la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et de la délégation à
l’assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée (UPM) ;
- Mohamed Slassi Sennou, président de la commission Formation de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) ;
El Mouhoub Mouhoud, professeur d’Économie à l’université de Paris Dauphine ;
- Jean-Claude Bouly, professeur du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), chaire Petite entreprise et artisanat, directeur
CNAM Entrepreneur(s) ;
- Nicole Madariaga, économiste au sein de la division Analyse macroéconomique et Risque pays à l’Agence française de développement
Malgré une croissance significative dans les années 2000, les économies des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM) n’ont
pas pu absorber l’arrivée massive de jeunes diplômés sur le marché du travail : 19 % de jeunes chômeurs au Maroc, 25% en Égypte,
42 % en Tunisie. Pour inverser cette tendance, deux axes paraissent essentiels : diversifier les économies vers des secteurs capables
de générer des chocs de productivité favorables à l’emploi, et agir sur les facteurs structurels qui limitent la création d’emplois.
PRIVILEGIER DES SECTEURS INNOVANTS CAPABLES DE DRAINER DE LA MAIN D’ŒUVRE
Si « les gains de productivité ont des effets essentiels sur la croissance économique », leurs effets sur l’emploi sont variables
selon leur nature (Nicole Madariaga) :
– les gains intrasectoriels : l’innovation technologique ou la montée en gamme dans un secteur donné créent de
nouvelles lignes de production à plus forte valeur ajoutée tout en générant des gains de productivité qui
favorisent la création d’emplois. A l’inverse, les gains de productivité liés à l’amélioration ou à la mécanisation
des processus de production économise de la main d’œuvre et réduit les besoins en emplois ;
– les mouvements de main d’œuvre entre secteurs (gains intersectoriels) : lorsqu’ils se font depuis un secteur
peu productif vers un autre qui l’est davantage et où la valeur ajoutée est plus importante (par exemple de
l’agriculture vers les hautes technologies), on assiste à un « choc de productivité » favorable à l’emploi.
Or, les économies des PSEM sont fortement polarisées sur un petit nombre de secteurs à faible valeur ajoutée ou à faible
contenu technologique comme le textile dans l’industrie ou les centres d’appels dans les services. En outre, « les mouvements
de main d’œuvre se sont effectués entre des secteurs qui ne se distinguaient pas par une forte différence de productivité
initiale » (Nicole Madariaga). En somme, les gains de productivités intersectoriels –liés aux mouvements de main d’œuvreont été presque inexistants tandis que les gains intrasectoriels ont été plus importants mais ne proviennent pas d’efforts
d’innovation et demeurent donc peu créateurs d’emplois. Les PSEM doivent par conséquent diversifier leurs économies tout
en faisant émerger un ou des secteurs leaders attirant la main d’œuvre et pouvant bénéficier d’importants gains
technologiques ou d’une forte montée en gamme comme « l’agro-alimentaire, les énergies renouvelables ou le tourisme »
(Gilles Pargneaux), mais aussi l’automobile et l’aéronautique qui ont déjà montré de très bons résultats au Maroc, ou encore
les NTIC ou le BTP.
AGIR SUR LES FACTEURS STRUCTURELS QUI ENTRAVENT LA CREATION D’EMPLOIS
Ces solutions de diversification sectorielle et de montée en gamme ne peuvent être efficaces qu’à condition d’agir en même
temps sur les obstacles structurels qui entravent la création d’emplois dans les PSEM :
Des taux d’emploi parmi les plus bas du monde, de l’ordre de 40 à 50% (contre 65% en Amérique Latine ou en Asie de
l’Est), avec un taux de participation des femmes à la force de travail de 22 %, contre 73 % en Asie de l’Est. « La faiblesse du
taux d’emploi des femmes est une raison majeure de l’inertie de ces économies. » (El Mouhoub Mouhoud)
Une jeunesse massivement confrontée au chômage. Le phénomène touche là encore en priorité les femmes. En 2013,
120 000 emplois ont été créés au Maroc alors qu’on comptait 400 000 jeunes primo demandeurs. En outre, les ruraux ne
parviennent pas à accéder à l’emploi en ville du fait de loyers trop élevés.
Une crise du système d’éducation de masse. La dépense en éducation par tête décroît régulièrement. Les systèmes éducatifs
rencontrent des difficultés de maintien de leur qualité et d’adéquation entre les diplômes et les besoins de l’économie : « des
demandes réelles sont exprimées par les entreprises mais elles ne rencontrent pas les profils adéquats » (Mohamed Slassi
Sennou).
Le poids du secteur informel limite la compétitivité du secteur formel et entrave sa capacité à créer de l’emploi. La
corruption et les phénomènes de rentes sur le marché du travail constituent des facteurs d’inhibition pour l’entrepreneuriat et
pour l’emploi.
Une intégration régionale insuffisante. Faute d’entente entre gouvernements, les accords bilatéraux, notamment avec
l’Union européenne, se sont multipliés au détriment d’accords régionaux qui abaisseraient les coûts de transaction entre pays
frontaliers, et donc au détriment du développement économique régional.
Six leviers ont été identifiés pour agir sur ces facteurs structurels :
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développer des politiques publiques en faveur de l’emploi des femmes et des jeunes ;
améliorer la formation et l’adéquation entre compétences et besoins des entreprises ;
réfléchir sur la politique fiscale à adopter face au travail informel ;
soutenir l’entrepreneuriat et la diversification de la production ;
mettre en place des stratégies sectorielles nationales et améliorer le dialogue public/privé
favoriser l’intégration régionale à travers des politiques communes, par exemple dans les domaines de
l’agriculture et de l’énergie.
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
Conférence-débat « Créer de l’emploi en
Méditerranée : quels secteurs privilégier ?»
Introduction
Gilles Pargneaux, député européen, membre de la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb
et de la délégation à l’assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée (UPM)
Cette rencontre a été organisée en raison de l’enjeu majeur que la création d’emplois en Méditerranée constitue.
En parallèle des indispensables débats théoriques, il s’agit également de réfléchir aux conditions de possibilité
d’échanges économiques accrus entre l’Union européenne et le Maroc.
Claire Hedon, journaliste à Radio France Internationale (RFI)
La croissance économique, pourtant forte au cours des années 2000, n’a pas été en mesure de créer
suffisamment d’emplois pour absorber les arrivées massives de jeunes diplômés sur le marché du travail.
Selon la Banque mondiale (2013), le taux de chômage est plus élevé dans les pays méditerranéens que dans
d’autres régions, touchant massivement les jeunes et les femmes. Ainsi, 19 % des jeunes sont au chômage au
Maroc, 25 % en Égypte et 42 % en Tunisie. Le manque d’opportunités professionnelles a largement contribué
aux demandes de changements politiques et économiques dans les pays méditerranéens. Trois ans après le début
des révolutions arabes, la situation de l’emploi ne s’est pas améliorée.
Quels sont les secteurs à privilégier pour favoriser une croissance créatrice d’emplois ? Comment façonner la
spécialisation pour stimuler l’emploi et l’innovation ? Dans quelle mesure la formation professionnelle peutelle répondre aux enjeux d’une croissance créatrice d’emplois ?
El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université de Paris Dauphine
Une disjonction préoccupante entre croissance et emploi
La question d’une croissance inclusive se pose particulièrement pour les pays du sud et de l’est de la
Méditerranée. La Tunisie a connu une rupture révolutionnaire, suivie par l’Égypte et la Libye. Ces phases de
transition révolutionnaire ne sont pas terminées et peuvent encore suivre différentes directions. Ainsi, si l’on peut
saluer la direction prise par la Tunisie, on ne peut que s’inquiéter devant celle que semblent emprunter d’autres
pays.
Pourquoi ces pays ont-ils connu une telle rupture politique alors que leurs performances
macroéconomiques étaient satisfaisantes ? En effet, leur taux de croissance était élevé, des progrès avaient été
affichés en matière de gouvernance, leur gestion macroéconomique avait été beaucoup plus efficace
qu’auparavant, avec un engagement fort dans des politiques contracycliques pour faire face à la crise. Les
organisations internationales délivraient des satisfecit à ces pays.
En phase de croissance économique, l’amélioration des conditions de vie n’est ni générale ni uniforme
pour la population. Dans L’Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville montrait déjà que les élites deviennent
paradoxalement d’autant plus impatientes que des progrès sociaux se manifestent. Nombre de personnes ne sont
en effet pas touchées tout de suite par les effets bénéfiques de la croissance.
Ces pays souffrent de cinq fléaux qui se combinent entre eux. La formidable spécificité de ces États est de
supporter des taux d’emploi parmi les plus bas du monde, de l’ordre de 40 à 50 %, au contraire de
l’Amérique latine ou de l’Asie de l’Est où ce taux atteint en moyenne 65 %. La question du taux d’emploi doit
être séparée de celle du taux de chômage, qui est au demeurant particulièrement élevé pour les jeunes et les
femmes. Quels sont les facteurs communs rendant compte de ces deux phénomènes dans les différents pays de la
zone ?
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
Une concentration de l’activité sur quelques secteurs
Quelles que soient leurs spécialisations, toutes ces économies sont polarisées et concentrées sur peu de secteurs
d’activité. La valeur ajoutée est généralement concentrée sur trois à quatre secteurs. Par exemple, l’Algérie
se caractérise par une forte concentration en hydrocarbures, mais aussi par un processus de désindustrialisation
d’ampleur considérable : l’industrie n’y représente plus que 4 % du PIB. En Tunisie, l’activité est polarisée sur le
tourisme et quelques secteurs manufacturiers plutôt cantonnés à de l’assemblage, ce qui entraîne peu de
remontée de filière dans les chaînes de valeur. La situation est similaire en Égypte. Le pays qui progresse le
plus en terme de diversification est le Maroc.
Un faible taux de spécialisation peut coexister avec un fort taux de croissance, à l’instar de la Libye qui a
connu une croissance de 8 % dans les années 1990 et 2000 jusqu’à la rupture révolutionnaire.
Le corollaire de ce premier fléau est un taux d’emploi et un taux de participation à la force de travail les plus
faibles du monde. Deux spécificités sont à prendre en compte. Il s’agit d’abord de distinguer entre le taux
d’emploi des hommes et celui des femmes. Dans cette région, les femmes ont un taux de participation à la
force de travail de 22 %, contre 73 % en Asie de l’Est et 56 % en Amérique latine. Cet écart extraordinaire
explique la faiblesse moyenne du taux dans la région. Par ailleurs, décomposé selon les régions, ce taux
d’emploi présente également de fortes disparités. Dans la Haute-Égypte rurale, le taux d’emploi des femmes
est de 6 % ; ce taux est doublé dans la Basse-Égypte. La faiblesse du taux d’emploi des femmes est ainsi une
raison prioritaire de l’inertie de ces économies.
Une « assignation à résidence » de la jeunesse
Le taux de chômage des jeunes s’établit à 29 % en Tunisie, 24 % en Égypte et 21 % en Algérie. Les différences
entre les hommes et les femmes sont également préoccupantes : en Égypte, le taux de chômage des jeunes est
de 14 % pour les hommes et de 54 % pour les femmes.
Un verrouillage supplémentaire intervient également avec la ruralité. Le prix du foncier étant élevé, les
jeunes ruraux ne peuvent trouver de logement dans les grandes agglomérations alors même que certains emplois
n’y sont pas pourvus. Les politiques publiques rencontrent de grandes difficultés à traiter ce problème.
L’incidence de la pauvreté en Égypte est de 66 % pour les mille villages les plus pauvres. Les inégalités
territoriales constituent certes un phénomène commun, à l’instar de la France. Ici, leur spécificité est de
constituer de plus une cause non négligeable du chômage des jeunes. En Kabylie, le taux de chômage des jeunes
peut atteindre 80 % dans les villages. Les jeunes ne peuvent quitter le monde rural car le coût du logement dans
les grandes agglomérations représente 1,5 fois le taux de salaire moyen auquel ils pourraient prétendre.
Une crise du système d’éducation de masse
Ces pays ont tous répondu à la demande postcoloniale de création d’un système d’éducation de masse. Quelle
que soit la nature des régimes en exercice, ils n’ont pas pu échapper à cette aspiration majeure qui était au
fondement de la décolonisation. Le taux d’éducation était en effet inférieur à 3 % dans les colonies. La
croissance de ce taux a été remarquable, avec en parallèle une tertiarisation croissante de l’économie et une
hausse du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur. La part des dépenses d’éducation dans le PIB s’est
ainsi accrue.
Cependant, le système d’éducation de masse rencontre une crise de massification, liée au maintien de sa
qualité et à l’adéquation entre les diplômes et les besoins de l’économie. Les sciences humaines et sociales
concentrent trop de diplômés, au regard des besoins en sciences de l’ingénieur, par exemple. La dépense
d’éducation par tête décroît de manière inquiétante au fil du temps. Les pays devront donc massivement
augmenter la part de leurs ressources allouée à cet égard.
Les jeunes diplômés n’ont que deux débouchés d’emploi :
- l’expatriation qui est anormalement élevée, de l’ordre de 20 %. Certains pays, comme le Maroc et le
Sénégal, mettent en place des stratégies pour tirer bénéfice de leur diaspora. Dans d’autres pays, l’effet de
seuil est dépassé et le résultat pour les économies est globalement négatif ;
- le déclassement local. En Tunisie par exemple, les jeunes sont employés dans des activités déclassées,
comme les centres d’appel qui n’entraînent pas l’économie vers le haut.
Deux types d’élites coexistent dans ces économies, à savoir une élite de masse à la dérive et une élite minoritaire,
qui accapare les rentes de situation par la corruption et détient ainsi un avantage absolu pour accéder aux emplois
qualifiés. L’élite de masse à la dérive a été à la source de la rupture du pacte interne dans ces pays.
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Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
Une corruption verticalisée
Bien que corrompue, la Chine demeure un pays qui « fonctionne ». La question est celle du seuil de corruption
qui, selon le mot d’Amartya Sen, entraîne « l’érosion des capabilities » et de la confiance. À partir d’un certain
palier, la corruption devient un facteur d’inhibition pour l’emploi, l’entrepreneuriat et la prise de risque :
un pays tout entier peut alors sombrer dans une aversion généralisée pour le risque.
Une insertion internationale négative
On peut observer une concordance entre le verrouillage de ces économies dans leurs spécialisations
traditionnelles et leur type d’insertion internationale. En effet, ces pays ont tous signé un accord bilatéral de
libre-échange avec l’Union européenne, dans un jeu non coopératif entre eux. Or il aurait été davantage dans leur
intérêt de d’abord se regrouper pour ensuite contracter un accord de libre-échange plus favorable. Il en est de
même pour l’accord signé entre les États-Unis et l’Égypte, qui n’est pas favorable à cette dernière. Par ailleurs
partiel au niveau de l’agriculture et des services, ce type d’accord constitue un frein à l’émergence de ces
économies. Chacune d’entre elles est globalement déficitaire avec l’Union européenne. À l’opposé, dans le cas
des pays de l’Europe centrale et orientale, les asymétries avaient été favorables aux pays entrants.
L’Union européenne a organisé un modèle fondé sur des accords bilatéraux et en faisant en sorte qu’il
n’existe pas de lien entre les pays. Par conséquent, les investissements directs d’accès aux marchés sont peu
attirés par ces régions car les secteurs sont trop fragmentés. Les effets de frontière entre les économies
jouent à plein : les coûts de transaction entre elles sont quatre fois plus élevés que ceux avec l’Union européenne.
Les petits secteurs fragmentés reçoivent peu ou pas d’investissements directs pour favoriser l’accès aux marchés.
Les seuls investissements directs effectués consistent à accéder aux ressources et à les exploiter,
notamment la main-d’œuvre bon marché et les hydrocarbures. L’intégration régionale Sud-Sud constitue
donc une question fondamentale à débattre. Les États ont plutôt cherché une légitimation politique
internationale par des accords de libre-échange que le bien-être global de leur population.
Un deuxième pacte, externe, a donc été rompu avec les pays de l’Union européenne en particulier. En voie de
reconstruction, ce pacte n’est toujours pas achevé. De ce point de vue, le Parlement européen est un peu en
avance de la Commission et des États membres quant à une refondation éventuelle de l’accord passé avec les
pays du Sud.
Ces cinq fléaux, certes schématiques, sont surtout à envisager comparativement au reste du monde. À travers la
planète, les États rentiers ne se fondent pas seulement sur leurs ressources naturelles, mais peuvent aussi
bénéficier des transferts de fonds des migrants et du tourisme. Or en Méditerranée, les États rentiers
n’accumulent pas de richesses et ne diversifient pas leur économie. Au contraire, ils utilisent et
redistribuent les fruits de la croissance. Dans les États asiatiques, qui peuvent être autoritaires comme ceux de
la Méditerranée, les élites technocratiques ont plutôt accumulé les richesses créées.
Paradoxalement, les régions qui ont subi les chocs révolutionnaires mettront davantage de temps à engager
des réformes économiques, à l’opposé d’autres pays qui ne les ont pas connus. Les politiques de coopération,
de formation et de localisation des activités constituent des enjeux majeurs.
Nicole Madariaga, économiste au sein de la division Analyse macroéconomique et Risque pays à l’Agence
française de développement (AFD)
Quels effets des gains de productivité sur l’emploi ?
La question du rôle des gains de productivité dans la création d’emplois a été relativement moins abordée dans la
littérature économique que les autres caractéristiques que vient de citer M Mouhoud en raison de la difficulté à
constituer une base de données fiable et détaillée pour l’ensemble des pays méditerranéens. Or les gains de
productivité ont des effets essentiels sur la croissance économique tout en ayant potentiellement des effets
pervers sur la création d’emplois. En effet, la productivité est bénéfique lorsqu’elle est fondée sur de
l’innovation technologique ou la création de nouvelles lignes de production. Cependant, elle peut aussi se fonder
sur une amélioration ou une mécanisation du processus de production sans véritablement remonter la chaîne de
la valeur ajoutée. Par exemple, dans le secteur textile, l’introduction de machines à coudre à la place des hommes
induit des économies d’emploi considérables. En ce cas, la croissance est peu capable de créer de l’emploi.
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
Les déterminants du chômage
Partageant l’analyse d’El Mouhoub Mouhoud sur les spécificités du chômage dans les pays méditerranéens,
on peut retenir deux aspects fondamentaux :
– les conditions démographiques : parallèlement à la question de l’inadéquation de l’éducation au
marché de l’emploi, le phénomène de transition démographique s’est trouvé décalé au regard
d’autres zones du monde, notamment l’Asie et l’Amérique latine. Plus tardive, cette transition
démographique entraîne une arrivée massive de jeunes sur le marché du travail. Le taux de
croissance de l’économie, bien que dynamique, n’a pas été suffisant pour absorber tous ces jeunes ;
– par ailleurs, le décalage entre l’offre et la demande de travail est lié au fait que les jeunes
diplômés n’ont pas tout à fait les qualifications exigées par le secteur privé. Le débouché
principal pour ces jeunes diplômés demeure le secteur public (plus rémunérateur, plus sécurisant,
etc.). Les jeunes tiennent à décrocher un emploi dans le secteur public et sont prêts à patienter en
occupant provisoirement un poste dans le secteur informel pour l’obtenir. Ce phénomène a conduit
au développement considérable du secteur informel.
Enfin, les structures productives constituent un déterminant de l’emploi.
L’absence de chocs de productivité
Les pays ne se sont pas spécialisés dans des secteurs pouvant créer de l’emploi. Les gains de productivité
peuvent être décomposés de deux manières principales :
– les gains de productivité intrasectoriels par innovation technologique, montée en gamme ou par
mécanisation ;
– les mouvements de main-d’œuvre qui quittent un secteur peu productif pour aller vers un autre qui
l’est davantage.
Dans certaines zones du monde, un mouvement a ainsi été engagé vers l’industrie, comme en Asie émergente où
la main-d’œuvre s’est déployée vers le secteur industriel dont le contenu technologique a parallèlement
progressé. Ces mouvements de main-d’œuvre, qui peuvent nécessiter une formation professionnelle spécifique,
créent un choc de productivité. Or dans les pays sud-méditerranéens, ce choc de productivité ne s’est pas opéré :
les mouvements de main-d’œuvre se sont effectués entre des secteurs qui ne se distinguaient pas par une
grande différence de productivité initiale. Leur industrie se déploie sur des secteurs à faible valeur ajoutée
comme le textile. En Tunisie, les industries mécaniques et électriques n’atteignent pas non plus un niveau de
sophistication très élevé. La spécialisation productive a été tournée vers l’Union européenne. Au moment de la
signature des accords, les produits à faible valeur ajoutée ont été maintenus dans le sud de la Méditerranée et
ceux à haute valeur ajoutée ont été concentrés dans le nord. Avec le temps, une forte concurrence s’est instaurée
avec d’autres pays en capacité de fournir des produits similaires à ceux de la Méditerranée.
Claire Hedon
La méconnaissance des petites entreprises a-t-elle un impact sur les questions d’emploi ?
Jean-Claude Bouly, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), chaire Petite
entreprise et artisanat, directeur du Cnam entrepreneur(s)
Les petites entreprises sont davantage mal traitées que mal connues, ce qui fait résonance avec les propos
tenus par les économistes. Apportons maintenant une vision complémentaire d’histoire du management : il s’agit
d’observer comment les réalités macroéconomiques se concrétisent dans la microéconomie. Dans ce cadre,
est-il possible de concevoir des leviers de changement qui prennent en compte ces réalités, tant dans l’action
publique que dans la faculté de l’appropriation auprès des entrepreneurs ?
L’appétence des élites éduquées pour le secteur public rencontre une limite. Les pays sud-méditerranéens ne sont
pas capables d’absorber autant de juristes et de sociologues que les systèmes de formation en produisent.
De grands secteurs sont structurés, comme celui des phosphates ou de la chimie carbonée, ou encore celui du
tourisme disposant de grandes unités de production. Cependant, comment peut-on amener ces territoires à
prendre en compte la capacité d’innovation et d’initiative qui peut se révéler ? Comment peut-on
travailler sur le passage de l’économie informelle à l’économie formelle ? En cette matière, les sciences du
management peuvent aider à prendre en compte ces réalités et essayer d’imaginer des outils constituant des
leviers du changement.
Une interrogation majeure porte sur le système éducatif tel qu’il a été mis en œuvre. Les Français peuvent
d’autant plus battre leur coulpe qu’ils ont réussi à fortement exporter dans ces pays les parties de leur système
éducatif les moins propices au développement. Par ailleurs, la question de la formation professionnelle a été
laissée de côté tout comme en France. Or il s’agit de l’enjeu majeur auquel ces pays sont confrontés. Il faut
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Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
redorer le blason de cette voie de succès que constitue la formation professionnelle. Beaucoup de chemin reste à
parcourir. Des actions et des modalités de changement sont à envisager pour prendre en compte cette question
centrale qu’est la formation professionnelle au service des entrepreneurs. Il est indispensable de développer la
capacité à capter les informations permettant aux employeurs de mener des innovations, ainsi que de relayer
leurs initiatives.
Claire Hedon
Le taux de croissance du Maroc s’établit autour de 4,5 à 5 %, mais ne se traduit pas en création d’emplois. Peuton partager l’analyse d’El Mouhoub Mouhoud concernant les « cinq fléaux » qu’il a évoqués ?
Mohamed Slassi Sennou, président de la commission Formation de la Confédération générale des
entreprises du Maroc (CGEM)
La présentation d’El Mouhoub Mouhoud est effectivement pertinente. Apportons toutefois des éléments
complémentaires relatifs à la situation du Maroc. Ils peuvent par ailleurs illustrer l’état des lieux qui a déjà été
exposé.
En dépit de ce taux de croissance, nous ne parvenons pas à enregistrer des créations d’emplois en qualité et en
nombre suffisants pour absorber le flux démographique qui arrive sur le marché de l’emploi. Beaucoup de jeunes
demeurent malheureusement exclus du marché du travail.
Deux grands types de facteurs peuvent être distingués pour expliquer cette question de l’emploi.
Un secteur informel dénotant une inadéquation de la formation et des besoins réels
Le premier genre de facteurs est structurel et endogène : un secteur informel coexiste avec un secteur
formel. Ce dernier subit aujourd’hui de plein fouet la concurrence sans visage du secteur informel, ce qui limite
sa compétitivité et sa capacité à créer de l’emploi. Cette situation ne semble pas se résorber car, dans le même
temps, le système d’éducation ne produit pas les compétences suffisantes pour alimenter le secteur formel.
Des demandes réelles sont exprimées par les entreprises mais elles ne rencontrent pas les profils adéquats.
L’éducation nationale s’est retirée de l’éducation de la filière technique et de la formation professionnelle depuis
quelques décennies. Par ailleurs, la filière d’enseignement général ne produit pas suffisamment de jeunes
diplômés pour le marché. Depuis 1974, il existe un grand système de formation professionnelle continue pour
accompagner les entreprises et les salariés. Il y a une dizaine d’années, devant l’impératif de répondre aux
besoins du marché, les pouvoirs publics ont largement mobilisé cet instrument, au détriment de la formation
continue, ce qui n’a pas permis de mettre à niveau les entreprises.
Le roi du Maroc a tiré la sonnette d’alarme à l’occasion d’un discours. Aujourd’hui, les acteurs se sont mobilisés
autour de cette priorité nationale. Il faut trouver une solution urgente à cette situation intolérable d’entreprises
qui expriment des besoins face à des jeunes qui ne parviennent pas à trouver un emploi. La résorption du
secteur informel passe par une meilleure performance de l’éducation et de la formation professionnelles.
Une concentration forte du système productif
Un autre facteur endogène consiste en ce que le secteur productif demeure concentré en taille. Sur
140 000 entreprises du secteur privé qui cotisent à la Caisse nationale de sécurité sociale, 1,2 % emploie environ
45 % des 2,5 millions de salariés. La concentration est également territoriale : 65 % de la production se trouve
sur un axe compris entre Kénitra et El-Jadida. Les lieux de compétitivité se trouvent encore rarement en
province, mais la régionalisation prend forme. Le potentiel est énorme.
L’impact de l’ouverture vers l’extérieur
D’autres facteurs sont exogènes. Dans une économie en transition comme celle du Maroc, les facteurs externes
qui ont affecté le pays sont ressentis de façon très sensible. Jamais les facteurs de changement n’ont été autant
simultanés que profonds. Le Maroc s’est ouvert à une économie mondialisée. Il a démantelé ses barrières
douanières dans le cadre des associations de libre-échange, ce qui le place aujourd’hui dans un marché de
1,2 milliard de consommateurs. Ce chiffre est énorme au regard de sa population (32,3 millions d’habitants). La
pénétration des technologies a entraîné un changement massif des chaînes de production. L’installation de
l’économie numérique et l’émergence d’une économie ouverte ont eu un impact significatif sur le système
productif.
Cependant, l’absence de mécanismes de prospective n’a pas permis aux différents secteurs d’activité
d’anticiper et de se préparer au changement et de trouver les solutions adéquates. Les secteurs automobile
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
et aéronautique constituent des exceptions. Cette situation produit une dégradation considérable de la part
relative de l’industrie dans la contribution au produit intérieur brut (PIB). Entre 2006 et 2011, la part relative de
l’industrie est ainsi passée de 15 % à 10 %. La rencontre d’El Mouhoub Mouhoud avec le ministre de l’Industrie
en février 2014 montre que le problème est pris en compte de manière aiguë par le gouvernement.
Cette dégradation se reflète dans la question de l’emploi. Selon le Haut-commissariat au plan, sur les
120 000 emplois créés en 2013, 5 000 d’entre eux le sont dans l’industrie, 70 000 dans l’agriculture et 45 000
dans les services. Or ces deux secteurs sont dépendants de facteurs aléatoires : l’agriculture est fortement liée
aux conditions climatiques tandis que les services dépendent de l’investissement direct étranger.
Malgré le fort taux de croissance, cette situation a besoin d’être prise en considération et de trouver des solutions
rapides. La création d’emplois doit être en qualité et en nombre suffisants.
Claire Hedon
Si 120 000 emplois ont été créés en 2013 au Maroc, combien de jeunes arrivent sur le marché du travail ?
Mohamed Slassi Sennou
Le flux démographique est estimé à 400 000 jeunes primodemandeurs. Une étude publiée en novembre 2011 par
le Conseil supérieur de l’enseignement et le Conseil économique et social, « L’employabilité des jeunes : les
voies et les moyens », signale cet état de fait et établit des préconisations.
Claire Hedon
Quels sont les leviers possibles pour pallier ces faiblesses ?
Gilles Pargneaux
Quatre conditions paraissent indispensables pour établir un cadre propice à l’essor économique et à
l’emploi, le groupe d’amitié entre l’Union européenne et le royaume du Maroc partageant le diagnostic établi
autour de l’idée des « cinq fléaux ».
Accélérer la construction démocratique
La première condition sine qua non est la construction démocratique. Or depuis les processus
d’indépendance, les pays sud-méditerranéens ont connu des chapes de plomb politiques à des différentes
échelles. Les décennies précédant 1999 ont ainsi été qualifiées d’« années de plomb » au Maroc. Elles ont été
propices à une réduction de l’essor économique et à l’inefficacité du lien entre croissance économique et emploi.
Des efforts ont été consentis, à l’instar de la nouvelle Constitution marocaine en 2011. Des élections législatives
indépendantes et transparentes ont été organisées le 25 novembre 2011. Cependant, les élus parlementaires
doivent encore prendre pleinement possession des nouveaux pouvoirs qu’ils ont pu acquérir. Par exemple, des
débats parlementaires sur l’emploi des jeunes devraient prendre place afin d’entrer en adéquation avec la volonté
de réforme exprimée par le roi. Les initiatives politiques en matière économique semblent encore prises au
cabinet royal plutôt qu’au Parlement et dans le gouvernement. Un processus démocratique a également été
entamé en Tunisie. Une nouvelle Constitution a été adoptée en février 2014. Il est donc possible dorénavant
d’aller plus loin.
Amorcer une régionalisation des politiques de soutien à l’emploi
On peut dresser un rapide bilan des pays de la région :
– au Maroc, la régionalisation a été évoquée. Omar Azziman a présidé une commission consultative
sur la régionalisation qui a défini un cadre d’action à investir concrètement. Certes, ce processus
démocratique n’est pas une démarche facile : des « baronnies » peuvent subsister dans certaines
régions ;
– en Libye, l’État n’existe plus, en faveur de tribus qui entraînent l’enfoncement du pays ;
– en Algérie, la chape de plomb sur les institutions existe toujours et l’emploi des jeunes est
particulièrement peu élevé au regard du Maroc et de la Tunisie :
– depuis la révolution, l’Égypte a connu divers soubresauts qui révèlent l’instabilité persistante du
pays et la difficulté du processus démocratique.
L’Union européenne doit mener des actions fortes pour accompagner les efforts démocratiques qui
prennent place dans ces pays. Dans les années à venir, la problématique constituée par la situation
insupportable des jeunes peut provoquer de nouvelles explosions institutionnelles.
Renforcer les partenariats avec l’Union européenne
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
Le partenariat entre la rive sud de la Méditerranée et l’Union européenne doit constituer un point fort du
développement. D’autres aires géographiques constituées s’organisent dans un fort partenariat, à l’instar de
l’Alena entre les deux Amériques, de l’Asean en Asie ou du Mercosur en Amérique latine. Or les accords
bilatéraux entre l’Union européenne et certains pays du Maghreb et du monde arabe empêchent la construction
d’une aire économique forte.
La question de l’emploi doit trouver sa place dans le partenariat global en construction entre les pays du sud de
la Méditerranée et l’Union européenne. Par exemple, ces pays pourraient avoir accès au Fonds social
européen (FSE) qui constitue un levier puissant pour promouvoir l’emploi, en particulier des jeunes. C’est ainsi
le cas dans les régions en difficulté de l’Union européenne. Suite au sommet européen de février 2013, le budget
voté en novembre suivant permet désormais de disposer en 2014-2015 de 6 milliards d’euros pour l’emploi des
jeunes de moins de 25 ans dans les régions européennes dans lesquelles le taux de chômage est supérieur à 25 %.
Même s’ils existent déjà pour certains pays, nous devons aussi nouer des partenariats plus forts avec la
Banque européenne d’investissement (BEI). La formation professionnelle constitue également un enjeu
majeur.
Construire l’Union du Maghreb arabe
Depuis plus de vingt ans, la fermeture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc représente une perte de 1,5 à
2 % du PIB pour chacun des deux pays. Elle n’est aujourd’hui plus envisageable : il faut mettre en œuvre une
Union du Maghreb arabe qui permette d’envisager des politiques fortes, à l’instar de la Communauté
européenne du charbon et de l’acier à la fin des années 1950. Une politique commune en matière agricole de la
part de l’ensemble des pays arabes apparaît notamment comme l’une des pistes de court terme forte. Cette
ambition pourrait être partagée par l’ensemble des pays du Maghreb arabe.
Claire Hedon
Au Maroc, quelles initiatives pourraient favoriser la création d’emplois ?
Mohamed Slassi Sennou
Le 3e Forum des employeurs maghrébins s’est tenu à Marrakech les 24 et 25 février 2014. 3 500 à
4 000 employeurs de la Mauritanie, du Maroc et de la Tunisie y ont assisté. Cette initiative est portée par la
CGEM. La prise de conscience est effective.
L’entreprise marocaine a aujourd’hui un rôle essentiel à jouer dans le dispositif d’éducation et de
formation. Même si la gouvernance globale reste peu participative, elle l’est néanmoins dans les textes. Nous
siégeons notamment au conseil d’administration de l’Office national de formation professionnelle, que nous
finançons au travers de la taxe parafiscale de la formation professionnelle qui représente 1,6 % de la masse
salariale. Cet office forme chaque année près de 160 000 lauréats de la formation professionnelle et
340 000 stagiaires en formation initiale.
Cependant, cette action doit être renforcée à travers un certain nombre de mécanismes visant à assurer une
adéquation entre l’emploi et la formation. Ainsi, les cadres nationaux de certification sont en phase
d’implémentation dans 140 pays environ. Il s’agit d’identifier le besoin du marché de l’emploi, d’édifier un
système d’information, de délimiter des compétences dans une démarche systémique et itérative et de
l’exprimer de façon compréhensive à travers le système d’éducation et de formation. Au Maroc, une grille
nationale de huit échelons permet d’appréhender le niveau de qualification de chaque métier, par ailleurs
clairement décrit dans un certain nombre de descripteurs de savoirs, d’aptitudes et de compétences (savoir,
savoir-faire, savoir-être, adaptabilité, gestion de la complexité, autonomie, responsabilité). Du côté de l’offre
comme de la demande, l’ensemble des parties prenantes est d’accord sur ce mode de communication.
Des mécanismes territoriaux et sectoriels sont donc en cours d’instauration afin d’enregistrer les besoins et de les
exprimer selon un protocole défini. À cet égard, la CGEM a joué un rôle fort de partenaire avec le gouvernement
dans la mesure où elle participe au comité de pilotage, au même titre que les ministères de la Formation
professionnelle, de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Aujourd’hui, la phase de mise en place
institutionnelle de ce cadre est en chemin à travers une instance nationale de la certification. Les certificats
délivrés aux jeunes doivent d’abord connaître un processus de positionnement par rapport aux réalités du marché
de l’emploi, puis être évalués avant d’être inscrits sur un registre national qui constitue un signal de qualité pour
les apprenants, leurs parents, les entreprises et les institutions. Cette régulation du système libéral constitue
une assurance-qualité. Il s’agit d’un défi majeur qui devrait permettre d’aligner l’emploi et la formation
professionnelle. Ce dispositif a également des impacts sectoriels.
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
Débat avec les participants
Manuel Fernández, Union pour la Méditerranée (UPM)
43 pays participent à l’Union pour la Méditerranée (UPM), notamment les 28 États membres de l’Union
européenne et 15 pays du sud et de l’est de la Méditerranée. L’UPM a pour objectif d’accroître la coopération
et les partenariats en Méditerranée à travers la réalisation de projets concrets dans certains domaines
prioritaires (environnement, énergie, transports, enseignement, affaires sociales) et le développement des petites
et moyennes entreprises. Dans ce cadre, l’UPM travaille sur une Initiative méditerranéenne pour l’emploi
(Med4Jobs) qui cherche à identifier les bonnes pratiques en matière de création d’emplois afin de les
reproduire dans la région. Conçue comme une initiative intersectorielle, elle se fonde sur des projets concrets
et se focalise sur les trois aspects cruciaux que sont l’employabilité, l’intermédiation en matière d’emploi et
la création de nouvelles infrastructures. Le premier aspect consiste à identifier notamment les expériences de
formation visant à combler le décalage existant entre les compétences des travailleurs et les besoins du marché
du travail. Il s’agit ensuite d’améliorer les flux d’information entre les personnes à la recherche d’un emploi et
les employeurs. Enfin, le troisième aspect affirme la nécessité d’encourager et de soutenir la création de
nouvelles entreprises. En particulier, l’UPM est chargée d’améliorer la coordination pour promouvoir ces
projets.
Par exemple, l’un des projets de promotion de l’employabilité, intitulé Génération entrepreneur, vise la
formation spécifique des jeunes diplômés dans le domaine financier. De nombreux projets peuvent être conçus
pour accompagner et soutenir les jeunes entrepreneurs dans les aspects tant techniques que financiers. À cet
égard, le Centre euroméditerranéen pour le développement des entreprises vise à créer un réseau d’agences et
d’institutions qui soutiendrait les petites et moyennes entreprises au travers d’un service de conseils intégrés,
qualifiés et fiables. Nous sommes prêts à écouter toute suggestion ou proposition pour faire avancer au mieux
ces initiatives.
De la salle (Membre de la Commission européenne, direction générale de l’Emploi, des Affaires sociales et
de l’Inclusion)
Chef de coopération de la délégation de l’Union européenne en Tunisie entre 2008 et 2013, j’y ai organisé toute
la réponse de l’Union européenne en matière de coopération technique et financière aux lendemains de la
révolution.
Le faible taux d’emploi des jeunes constitue un facteur d’instabilité sociale et politique non seulement
dans les pays de la région et du voisinage méridional, mais aussi pour l’Afrique subsaharienne. Il n’est pas
assez perçu au niveau politique que ce qui s’est passé dans les pays du voisinage méridional risque de se
propager dans tous les pays de l’Afrique continentale qui n’ont pas achevé leur transition démographique et où
des millions de jeunes atteindront le marché de l’emploi dans les vingt à trente prochaines années.
Claire Hedon
Notre analyse peut effectivement être extrapolée à l’ensemble de l’Afrique dont le taux de croissance moyen est
de 6,5 % et le taux de chômage absolument incroyable.
De la salle (Membre de la Commission européenne, direction générale de l’Emploi, des Affaires sociales et
de l’Inclusion)
Concernant le coût de la non-intégration régionale dans le voisinage méridional, et notamment au Maghreb,
peut-être faudrait-il corriger un peu ce qu’a dit El Mouhoub Mouhoud. Le fait que l’Union européenne a signé
des accords de coopération bilatérale n’explique pas l’absence d’intégration régionale.
El Mouhoub Mouhoud
Il n’existe pas de causalité entre les deux phénomènes. Les accords de libre-échange bilatéraux renforcent la
polarisation et la spécialisation. Cependant, on n’a pas affirmé qu’ils étaient à l’origine de l’absence
d’intégration. Pour que le jeu soit gagnant-gagnant pour toutes les parties en présence, l’intégration régionale
est pourtant indispensable.
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
De la salle (Membre de la Commission européenne, direction générale de l’Emploi, des Affaires sociales et
de l’Inclusion)
L’absence d’intégration régionale, notamment au niveau du Maghreb, est avant tout due à la faiblesse des
processus politiques internes aux pays. Fin 2012, la Commission européenne a publié une communication
portant sur les coûts de la non-intégration dans les pays du Maghreb et les efforts que l’Union européenne doit
poursuivre pour la promouvoir.
Dans la liste des facteurs qui expliquent le faible taux d’emploi chez les jeunes, un sixième élément peut
être relevé, à savoir la faiblesse relative des politiques publiques. À l’exception du Maroc qui s’est lancé dans
une politique de diversification de son économie, peu de pays ont mené des politiques économiques qui
favorisent d’une part la diversification, d’autre part la montée en gamme dans un même secteur. En Tunisie, les
grands programmes de modernisation industrielle visaient toutes les entreprises et tous les secteurs, sans réelle
évaluation de leur impact sur l’emploi.
Comme praticienne du développement, je m’interroge sur l’influence que l’Union européenne peut exercer pour
la promotion de politiques publiques favorables à l’emploi des jeunes. Les politiques d’éducation et de formation
professionnelle me semblent constituer des conditions nécessaires mais non suffisantes. À cet égard, il pourrait
être pertinent de s’inspirer des expériences positives comme négatives qui ont été menées au niveau européen.
La directrice adjointe de l’Organisation internationale du travail (OIT) nous confiait récemment que nombre de
recherches montraient que l’augmentation du niveau des salaires avait un impact sur la hausse de la productivité
dans les entreprises. Or le salaire minimal dans les pays de la Méditerranée est très bas. Les économistes
estiment-ils qu’une élévation de ce salaire minimal pourrait entraîner une hausse de la productivité, sans
même évoquer les conséquences sociales sur la vie concrète des personnes concernées ?
Nicole Madariaga
Le coût de la non-intégration en Méditerranée a été abordé dans plusieurs études. L’une d’entre elles,
menée par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) en France, a tenté d’explorer
l’impact attendu à quinze ans d’un approfondissement des relations EuroMed. En effet, cette étude montre qu’en
l’état actuel de la structure productive de ces pays, une simple libéralisation des échanges ne produirait que peu
d’effets en termes de croissance, d’échanges commerciaux et de réallocation des facteurs. Ceci est en grande
partie lié à la structure productive de ces pays, très orienté sur un secteur exportateur à faible valeur ajoutée..
Une intégration MedMed nécessite de réfléchir sur l’intégration en tant que telle, avec une restructuration
profonde des économies qui passerait notamment par leur diversification. En l’état, la libéralisation
interviendrait sur des secteurs proches, ce qui ne produirait que peu d’effet conséquent sur l’ensemble de la
région.
Quant à la question du niveau de salaire, les jeunes diplômés ne vont pas d’emblée vers le secteur privé.
En effet, le secteur public assure l’emploi et octroie des salaires plus élevés que dans le secteur privé. C’est
pourquoi les jeunes qualifiés se dirigent davantage vers le secteur public. Ce phénomène peut expliquer une
productivité globale plus faible dans le secteur privé. Si le salaire augmente, il se produira probablement une
réorientation des qualifications.
El Mouhoub Mouhoud
Pour nuancer les propos de Nicole Madariaga, l’asymétrie entre l’Union européenne et chaque pays pris
séparément est particulièrement forte. La part des échanges de chacun de ces pays dans le commerce
européen ne représente presque rien. En revanche, la part de l’Union européenne dans les échanges de chacun
d’entre eux est énorme. Cette différence a des effets particulièrement structurants.
Avec la Greater Arab Free Trade Area (Gafta), les droits de douane ont baissé, au contraire des droits non
tarifaires. Or les barrières non tarifaires représentent environ 40 % des droits de douane. Les problèmes
premiers liés à l’absence d’intégration Sud-Sud ne sont pas à chercher dans la croissance, mais dans les
effets de rentabilisation avec l’Union européenne. La question de l’attrait des investissements directs étrangers
et de la fragmentation des marchés sera modifiée de manière substantielle lors de l’émergence d’un marché
régional. Des investissements directs ne sont pas effectués si les marchés sont trop petits. Entre chaque pays, les
coûts de transaction sont gigantesques, notamment les coûts de transport.
Pour nuancer également la question de la substitution entre les économies, ces dernières sont beaucoup plus
complémentaires qu’il n’y paraît. Leur point commun est d’avoir des spécialisations concentrées sur peu de
secteurs. Ce n’est pas le cas au Maroc, où le déficit de la balance commerciale se réduit et où les exportations
d’automobiles ont augmenté de 23 % : un frémissement de diversification se fait jour, avec du phosphate, des
matières premières, des produits manufacturés d’Algérie, etc. Des sources de complémentarité apparaissent
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
dans ce qui peut être mis en commun, à l’instar de l’éducation. L’intégration ne recouvre pas que les
échanges commerciaux.
Nicole Madariaga
Il existe effectivement une complémentarité, mais elle ne favorise pas la diversification.
El Mouhoub Mouhoud
La diversification ne se décrète pas. Dans le cas européen, la crédibilité de l’intégration régionale a poussé les
investissements directs vers l’Espagne, le Portugal, les pays de l’Europe centrale, orientale et méridionale. Ces
investissements directs ont aidé à la diversification des économies. Leur motivation était d’accéder aux marchés
et non seulement d’exploiter les ressources naturelles et la main-d’œuvre, ce qui aurait entraîné un verrouillage
de la spécialisation. Une meilleure intégration mondiale peut produire un effet bénéfique du fait de
l’ouverture commerciale.
Par ailleurs, cette intégration constitue une aspiration profonde des populations qui ne doit pas être sousestimée. En Tunisie, un mouvement d’intégration se produit par le bas. Les syndicats de travailleurs ont fait
montre de la même initiative que les entreprises. Historiquement, à très long terme, les frontières sont factices, à
l’exception du royaume du Maroc. Des changements sociologiques surviennent également, avec notamment la
progression de la langue arabe. Les données d’enquête font montre d’une demande forte en faveur de cette
intégration de la part des acteurs locaux, de même qu’une présence de la Turquie. La révolution constitue un
changement institutionnel majeur qui n’est pas encore entamé totalement. La voie de la Tunisie est à ce titre
remarquable : les idées de la Révolution française ne sont pas plaquées sur cette société en transition, mais des
institutions originales sont inventées. Ainsi, la Constitution tunisienne n’évoque pas la laïcité, mais l’égalité
entre les femmes et les hommes, la liberté de conscience et le respect des religions. Le cadre institutionnel
international a bloqué les évolutions et retardé les révolutions, y compris dans le cas des pays du sud de la
Méditerranée. La question de l’intégration Sud-Sud semble donc être plus complexe que celle de
l’intégration du commerce stricto sensu.
De la salle
L’UNIDO a des projets en Égypte, en Afrique et dans la Méditerranée. Nous effectuons des clusters sur
l’énergie, l’innovation et les projets industriels.
Existe-t-il une contradiction entre la diversification et les politiques qui se concentrent sur les clusters, qui sont
des concentrations géographiques et industrielles ?
De plus, la question de la flexibilité de l’emploi est-elle évoquée au Maroc ou en Tunisie ?
Mohamed Slassi Sennou
Concernant la flexibilité, au Maroc les partenaires sociaux (syndicats et employeurs) ont récemment signé un
pacte d’accord et d’entente pour fluidifier et assouplir le marché de l’emploi. Jusqu’à aujourd’hui, le dialogue
social était favorisé par la courroie de transmission qu’est le gouvernement. Depuis un an, des initiatives
ont été prises pour laisser les partenaires sociaux dialoguer entre eux. Une plateforme a ainsi été signée par
trois des cinq centrales syndicales ainsi que par la CGEM : son objectif est de régler la question du droit de grève
et d’organiser des services de flexisécurité de manière à donner du dynamisme au marché de l’emploi. Des
mécanismes de formation tout au long de la vie accompagneront également le salarié dans sa trajectoire
professionnelle.
Pour en revenir au rôle des secteurs comme leviers dans la création d’emploi, il faudrait apporter quelques
informations. Au Maroc, certains secteurs ont un comportement exemplaire. C’est le cas de ceux de l’automobile
ou de l’aéronautique qui connaissent nombre de succès. En général, les secteurs se sont pris en charge euxmêmes. Le gouvernement a mis en place des instruments qui permettent de donner aux secteurs l’entière
responsabilité de leur propre développement. Ceux de l’aéronautique et de l’automobile se sont
particulièrement saisis de ces opportunités. Le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales
(Gimas) a établi un système d’éducation et de formation sectoriel qui a permis au secteur de créer la même
chaîne de valeurs. Ce système a constitué le début de la reconnaissance des emplois et a favorisé leur mobilité.
Renault et son cortège de sous-traitants ont également travaillé à leur propre prise en charge de l’emploi. Un
projet EuroMed porté par la Fondation européenne d’éducation et de formation (ETF) basée à Turin soutient les
pays partenaires et ceux du voisinage dans la mise à niveau de leur système d’éducation et de formation.
Un nouveau projet intitulé EuroMed Qualif est aujourd’hui en cours de déploiement : en s’inspirant des
secteurs dont le fonctionnement est vertueux, il pourrait être opportun d’inventer des outils
méthodologiques permettant à tout secteur de construire une chaîne de valeurs partagée et des profils
communs. Ce projet intègre ainsi sept pays de la région méditerranéenne (France, Espagne, Italie, Maroc,
Algérie, Tunisie, Égypte). Aujourd’hui, les deux secteurs pilotes que sont le bâtiment et travaux publics (BTP) et
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
le tourisme font montre de résultats remarquables. Ils avaient été choisis car leur degré de développement était
similaire quel que soit le pays envisagé. Il y a eu suffisamment de matériel accumulé pour pouvoir accompagner
n’importe quel secteur dans la construction de sa chaîne de valeurs et ses profils communs, dans la perspective
d’une compétitivité régionale accrue et d’une mobilité.
De la salle
Je partage l’ensemble du diagnostic qui a été effectué et qui rejoint les résultats de l’audit commandé par le roi
Mohammed VI dès son avènement en 1999. On avait alors un besoin impératif de connaître la réalité des choses
avant de penser de grandes initiatives de développement pour le Maroc. L’absence de démocratie, la faiblesse
des droits de l’homme, la situation économique et sociale avaient besoin d’être constatées, noir sur blanc. Ce
travail a été mis entre les mains d’une commission indépendante. Il était nécessaire de faire le bilan sur ce qui
s’était passé entre 1956 et 1999 de manière inclusive : l’inclusivité est fondamentale car elle génère des positions
et des comportements citoyens. Nous avons voulu que tout le monde soit associé ; pas uniquement les officiels,
mais également les parlementaires, la société civile et le secteur privé, dont on voit depuis une dizaine d’années
qu’il joue un rôle fondamental.
Sur le plan économique et social, une étude a été produite en associant l’ensemble des acteurs. De là ont émergé
différentes réformes, concentrées sur :
– les secteurs ;
– la réduction des inégalités sociales ;
– les aspects environnementaux.
L’Union européenne et l’AFD ont d’ailleurs contribué à leur mise en place. Je rappelle que depuis 1992, date à
laquelle nous avons entamé notre coopération avec l’AFD, cette institution a engagé 2,7 milliards d’euros vers le
Maroc.
Concernant l’intégration régionale, ou plutôt son absence, il a été dit que cela relevait de notre
responsabilité au Sud, et c’est certainement vrai à 80 %. Je le dis très honnêtement : jusqu’ici le processus
d’Union du Maghreb arabe est une honte. Nous sommes comptables devant les générations maghrébines des
désastres que peut occasionner l’absence d’intégration régionale. Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer – en tous
les cas du côté du Maroc. Nous avons multiplié les initiatives en ce sens : il y a des complémentarités, pas
uniquement économiques, mais aussi historiques, linguistiques, sociales. Il y a eu des tentatives comme l’accord
d’Agadir, censé associer tous les ensembles des pays du Sud ; la Tunisie, l’Égypte, la Jordanie se sont associées
au Maroc. Cela commence à donner des résultats : l’Union européenne en a financé le secrétariat.
Pour autant, si le Maroc a choisi, comme d’autres pays, la voie bilatérale dans sa relation avec l’Union
européenne, cela ne tient pas à ces seules raisons. Cela vient aussi du fait que l’Union européenne – je n’ose
croire que ce soit par facilité – a voulu considérer le monde arabe comme un bloc homogène et appliquer
les mêmes recettes partout, en attendant un nivellement par le bas. Quand le Maroc, à la fin des années
1990, demandait un engagement beaucoup plus fort avec l’Union européenne, on lui répondait qu’il fallait
patienter jusqu’à ce que les autres pays soient au même niveau.
Concernant les questions d’éducation, le gros problème auquel le Maroc a été confronté après l’indépendance a
consisté à trouver les ressources humaines pour prendre la relève dans l’administration. L’État marocain est
devenu le pourvoyeur dans le domaine de la fonction publique. Cela crée une culture, même chez nos jeunes,
qui consiste à privilégier le travail dans le secteur public au détriment du privé. Les manifestations
légitimes auxquelles nous assistons en ce moment au Maroc voient défiler de jeunes diplômés au chômage : la
très grande majorité des participants demandent à être employés dans la fonction publique, même s’il y a
possibilité de les intégrer ailleurs.
Gilles Pargneaux
Revenons sur cinq points clés pour souligner ceux à privilégier prochainement dans le cadre de ce
développement de l’emploi au sud de la Méditerranée :
– le renforcement de l’intégration régionale : comment peut-on à terme favoriser des politiques
communes, que ce soit dans l’agriculture ou dans le domaine énergétique, par exemple ?
– l’amélioration de la formation professionnelle, qui souffre de nombreuses lacunes, même si le
Maroc est certainement le pays qui en fait le plus dans ce secteur. Les programmes de formation
professionnelle, quand ils existent, sont souvent trop limités. Très peu d’entre eux offrent une
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
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expérience concrète au sein de l’entreprise. Ils se limitent souvent à l’enseignement d’un certain
nombre de compétences techniques et manquent cruellement de financement. L’Union européenne
doit donc financer ce type de programmes à destination du Maghreb ;
l’indispensable diversification au profit des secteurs innovants. L’agroalimentaire, les énergies
renouvelables ou le tourisme : voilà des diversifications économiques qui doivent porter leurs fruits
demain ;
le développement de politiques publiques en faveur de l’emploi des jeunes. Prenons des
exemples existant en France : les emplois jeunes mis en place en 1997, les contrats d’avenir, le
financement d’entreprises d’insertion ou de l’économie sociale et solidaire… Ce sont des pans
entiers de secteurs non marchands qui permettent à tous ces jeunes inactifs d’entrer dans un
processus d’insertion du monde du travail ;
la signature de compromis sociaux sur les politiques industrielles, la flexibilité… Il est anormal
que l’Union européenne ou certains de ses membres considèrent le Maghreb uniquement comme un
ensemble de pays à bas coûts. Un compromis social avec les forces syndicales de ces pays doit
nécessairement se construire. Voilà un beau « pacte de responsabilité » à conclure.
Jean-Claude Bouly
Insistons sur trois idées :
– pour diversifier, il faut faire confiance aux entrepreneurs. Les politiques qui estiment qu’on
règle les problèmes à travers des clusters ou des pôles de compétitivité relèvent de la technocratie à
l’état pur ;
– lorsqu’il s’agit d’imaginer une action publique dans l’entrepreneuriat, il est nécessaire de cesser de
penser qu’entrepreneuriat signifie création d’entreprise. Favoriser les entreprises déjà existantes
en y menant des politiques de diversification des activités représente le seul moyen de
structurer un secteur productif et de diminuer le secteur informel. Cela représente
l’investissement le plus rentable de l’argent public ;
– sur la formation professionnelle, n’oublions pas que les niveaux de qualification dont ont besoin tant
les pays émergents que nos économies du nord de la Méditerranée sont des niveaux de techniciens.
Arrêtons de former des gens très diplômés qui n’auront jamais d’emploi.
Pour résumer, il faut insister sur la nécessité de former des techniciens supérieurs pour les entreprises qui
existent et de faire confiance aux entrepreneurs dans leurs capacités à diversifier leur activité.
El Mouhoub Mouhoud
Il faut démystifier le fait que rien ne puisse être fait sur l’emploi en dehors de l’intégration régionale. Cette
dernière n’est qu’un facteur aggravant, mais toutes les économies du monde ont des politiques favorables à
l’emploi : en l’état actuel des choses, ces questions peuvent donc se régler à l’intérieur des économies.
Il faut séparer plusieurs problèmes :
– l’insertion sur le marché du travail, qu’il faut améliorer par la formation mais qui peut aussi
mobiliser des dispositifs de court terme sans que ce soit contradictoire. Il y a eu des initiatives
très intéressantes en Tunisie, évaluées par l’OCDE : le stage d’initiation à la vie professionnelle
(SIVP) a réduit très largement le chômage. Il existe donc des choses à faire à court terme, non
seulement du côté des entreprises mais aussi du côté des pouvoirs publics pour favoriser
l’employabilité. D’autres mesures sont également possibles : lutter contre les rentes sur le marché de
travail, mettre en place des systèmes d’appels d’offres ou des CV anonymes ;
– le taux d’emploi. La problématique de la diversification sectorielle est liée à la faiblesse de ce taux
d’emploi. C’est une question de transformation structurelle, qui engage des débats très difficiles.
Quelle politique fiscale trouver pour passer de l’informalisation à la formalisation ? Rappelons
que contrairement aux pays asiatiques, les économies du Maghreb ont vu augmenter la première
tendance au détriment de la seconde ;
– les questions du rapport public/privé ou des stratégies industrielles sont aussi fondamentales.
Gilles Pargneaux
Notre réflexion doit se poursuivre. Nous avons une coresponsabilité : il ne faut pas seulement compter sur des
progressions dans les pays du sud de la Méditerranée. En Europe, notre crise économique et sociale est
sans précédent : nous ne saurons nous en sortir qu’en développant cette grande politique avec eux.
Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
SIGLES
AFD : Agence française de développement
Alena : Accord de libre-échange nord-américain
Asean : Association des nations de l’Asie du Sud-Est
BEI : Banque européenne d’investissement
BTP : Bâtiment et travaux publics
CGEM : Confédération générale des entreprises du Maroc
CEPII : Centre d’études prospectives et d’informations internationales
Cnam : Conservatoire national des arts et métiers
ETF : Fondation européenne d’éducation et de formation
FSE : Fonds social européen
Gafta : Greater Arab Free Trade Area
Gimas : Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales
MacroDev 8 : série éditoriale de l’AFD spécialisée dans la macroéconomie du développement, par pays ou par
thème
Med4Jobs : Initiative méditerranéenne pour l’emploi, portée par l’UPM
Mercosur : Marché commun d’Amérique du Sud
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques
OIT : Organisation internationale du travail
PIB : produit intérieur brut
RFI : Radio France Internationale
SIVP : stage d’initiation à la vie professionnelle
UMA : Union du Maghreb arabe
UPM : Union pour la Méditerranée
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