Critiques des pièces présentées dans le cadre du Festival montréalais 2006 de théâtre amateur LES FEMMES SAVANTES de Molière Dans une mise en scène de Stéfan Perreault. Avec : Vincent Barrat, Sébastien Bougie, Andrée Charbonneau, Jean-Philippe Denis, Julie Garceau, Frédérique Laliberté, Jacques Lefebvre, Véronique Raymond et Annie Roy. Une production de Cadavre exquis, présentée le 6 juin 2006, dans le cadre du 22e Festival montréalais de théâtre amateur. JEAN-SÉBASTIEN PILON 7 juin 2006 Mettre en scène Les femmes savantes dont le propos est solidement attaché au contexte historique qui a vu naître la pièce, constituait un défi en soi pour les membres de la troupe du Cadavre exquis qui présentait, mardi soir, la comédie satirique de Molière. Si le défi n’a été qu’en parti relevé, l’enthousiasme avec lequel le groupe a défendu son travail était pour le moins manifeste et contagieux. À l’époque, la création des Femmes savantes fut l’occasion pour Molière de se moquer d’une pédanterie toute particulière dont certaines femmes faisaient état. À l’image du personnage central de Philaminte, celles-ci cherchaient par l’étalage de leur savoir à se sortir de la basse position sociale où les hommes les confinaient. L’intrigue de la pièce repose sur le mariage d’Henriette, la fille de Philaminte, dont le choix d’un époux est l’occasion d’un débat sur la pertinence et le bien fondé de la conduite d’un tel groupe de femmes. Or, si ce débat au sujet de l’éducation et de l’émancipation des femmes tel que présenté par Molière est bien d’une autre époque, toute la question du pédantisme, de ses artifices et de son hypocrisie est encore bien digne d’intérêt. Alors que les femmes savantes croient s’élever vers les hautes sphères de la science et de la philosophie, Stéfan Perreault et son équipe ont bien su exploiter l’humour avec laquelle Molière démasque les prétentions de ces femmes. Par un jeu inspiré de la commedia dell’arte qui se prête toujours bien à l’univers de l’auteur, les comédiens nous ont proposé une version très burlesque de cette univers bourgeois, caricaturant parfois à l’excès les désirs cachés et la détresse de ces femmes aux grandes ambitions. En accord avec la ligne directrice de la pièce, tout un travail de parodie a manifestement été fait afin de grossir le désir de plaire refoulé de ces femmes savantes. L’utilisation de nombreux lazzis aux penchants grivois et l’ajout d’une pantomime tout aussi allusive ont bien fait de montrer le ridicule avec lequel les protagonistes de cette pièce défendent tout haut les bonnes manières, tout en manifestant en sourdine leurs instincts des plus primaires. L’emphase mis sur leurs désirs sexuels fut malheureusement trop importante. Si le rire était au rendez-vous, les subtilités du texte et les multiples facettes des personnages s’en sont vues réduites. Henriette, par exemple, nous a certes paru plus franche que les femmes qui l’entouraient et la conseillaient, mais son intelligence et sa force de retenue n’ont pas été suffisamment exploitées. Au plan de l’interprétation, il faut noter l’excellent travail des comédiens qui ont su casser la rythmique traditionnelle des vers pour donner à la langue de Molière un aspect plus familier. Cela a sans doute contribué au rythme accrocheur de la pièce qui s’est maintenu jusqu’à la toute fin. La prononciation toutefois en a peut-être un peu souffert. En plus de cette accélération de la parole, chaque comédien proposait un accent vocal qui réussissait en général à mieux camper le personnage, mais qui nuisait désagréablement chez certains à la compréhension du texte. Notons à ce sujet un manque de direction des acteurs. Si certains jeux vocaux appuyaient de façon très juste la caricature, d’autre, comme la déclamation de Clitandre, manquaient de nuances et aplatissaient des personnages dont les subtilités ne peuvent pas que reposer sur la force du texte. Chaque comédien paraît posséder un bon potentiel, mais le travail sur le jeu semble parfois avoir été fait sans tenir compte des divers enjeux de la pièce. Ne passons pas sous silence le jeu de Véronick Raymond qui a su trouver un équilibre dans la caricature en interprétant avec justesse et cohérence le personnage complexe de Philaminte. Accompagnée de Bélise dont l’alcoolisme était tout à fait approprié et d’Armande, dont la sottise était à point, Philaminte a contribué fortement à ne pas laisser la pièce dériver à la bouffonnerie. Cela dit, les membres de la troupe du Cadavre exquis ont démontré une énergie capable de garder facilement l’attention de leur public. Cette qualité primordiale devrait les encourager à continuer leur travail sans craindre de nous ennuyer en jouant de façon retenue. EMPIRE de Jocelyn Sioui Dans une mise en scène de Jocelyn Sioui. Avec : Valérie Beaulieu, Jessica Blanchet, Mildred Bois, Pascale Carrère, Éric Desjardins, Diane Leprohon, Élise Martinez, Jocelyn Sioui et Marie-Aube St-Amant Duplessis. Une production de L’École de théâtre Figures de Style, présentée le 8 juin 2006, dans le cadre du 22e Festival montréalais de théâtre amateur. JEAN-SÉBASTIEN PILON 9 juin 2006 Hier soir, en me rendant à la représentation d’Empire qu’on décrivait comme un Shakespeare revisité, j’avoue avoir douté qu’on puisse y rencontrer de réelles et intéressantes nouveautés. Honte est de dire aujourd’hui que je me trompais royalement. Jocelyn Sioui et son équipe ont mis en scène un texte bien défendable qui s’inspire de nombreuses pièces du répertoire sans tomber dans la redite et dont la construction possède l’immense qualité de faire confiance en l’imagination. De façon anecdotique, Empire est l’histoire de Roméo et de Juliette dont la guerre entre leurs deux familles interdit toute union. L’aspect tragique de leur destin prendra toute son ampleur lorsque la situation s’inversera. Alors invités et même forcés à s’unir, les deux amants apprendront être frère et sœur et verront leur désir de nouveau contraint par le lourd tabou de l’inceste. Mais du côté de l’expérience artistique, Empire est plutôt l’amalgame de plusieurs espaces fictifs, de la tragédie au conte pour enfants, dont la traversée oblige le spectateur (et le critique) à oublier le monde confortable de la vraisemblance et de la rigueur pour se laisser prendre au plaisir de la fiction. En cela, l’aspect le plus solide du texte est de briser le mur entre la scène et la salle. Par l’insertion d’un narrateur, par des adresses indirectes aux techniciens afin qu’on change la nuit en jour ou le jour en nuit, par l’apparition soudaine d’un quiz télévisé dans lequel la salle est invitée à influencer le cours du drame, bref, par l’intervention d’une multitude de rebondissements saugrenus qui rappellent au public qu’il est bel et bien au théâtre, Empire nous entraîne à assumer l’univers de fiction pour nous permettre de mieux y entrer. De ce point de vue, tous les médiums de la représentation théâtrale furent mis à contribution. Les costumes par exemple, très minimalistes quoique créatifs, permettaient de voyager avec peu de moyens et sans confusion d’un lieu ou d’un personnage à un autre. Ajoutant à cela l’utilisation de marionnettes, issues d’une imagination débordante sans jamais tomber dans la gratuité, la troupe a réussi à nous faire accepter de façon convaincante des personnages des plus étrangers à l’univers tragique. Le décor de son côté, d’une rigidité tout à propos, se prêtait avec souplesse aux nombreux lieux évoqués. Au-delà d’une représentation figée, le metteur en scène a su exploiter toutes les possibilités du décor en suggérant, avec les mêmes éléments, une série de différents lieux. En cela, ne laissons pas en reste la riche trame sonore et l’éclairage qui contribuèrent tout autant à la magie suggestive de la scénographie. Au plan de l’interprétation qui fut dans l’ensemble bien travaillée, notons les bonnes performances de Diane Leprohon dans le rôle de Capulet et de Mildred Bois dans les rôles de Salomé et de Simbad. Quant aux manipulateurs de marionnettes, ils furent en grande majorité à la hauteur si ce n’est qu’il manquait à Roméo une touche supplémentaire de finesse qui aurait pu nous enlever tout soupçon sur la pertinence de sa marionnette. Le couple Roméo-Juliette est d’ailleurs celui qui nous a laissés le plus en appétit. Ils portaient à eux deux une grande part de la dimension tragique de la pièce et la tâche, en cela très exigeante, n’a pas toujours été bien remplie. Cela dit, la faute de cette faiblesse doit aussi être attribuée au texte. Le texte de Sioui joue sur plusieurs registres très différents. S’il a le mérite de faire cohabiter entre les personnages des niveaux de langage à la fois familier et littéraire sans que cela n’accroche, la chose est moins vraie lorsque la langue passe d’un niveau à l’autre au sein des mêmes répliques. Le collage de certains passages du répertoire classique à l’écriture de Sioui détonne souvent et nous fait décrocher. Parfois utilisés dans des contextes plus ou moins pertinents (je pense ici à une reprise de la plus célèbre réplique de Hamlet), ces passages nuisent à la création d’une tension tragique. Une pièce réussie reste pour moi une pièce qui unit une salle et une scène dans une force d’implication mutuelle autour d’un sujet déroutant. Si le côté tragique d’Empire était un peu émietté à travers les récits d’aventures, force est d’avouer que l’essentiel était au rendez-vous. IL / ELLE collage création Dans une mise en scène de Patrick Rozon, assisté de Martin Lafrenière. Avec: Émilie Brunet, Marie-Ève Bryant, Olivier DemersDubé, Stéphanie Denault-Sauvé, Patrice Joubert, Gabrielle Laprise-Laberge, Andrée-Anne Léger, Rebecca Milette, Maxime Nadon, Valérie Ouellet et Karine Plouffe. Une production de la Troupe de théâtre du Collège Gérald-Godin, présentée le 9 juin 2006, dans le cadre du 22e Festival montréalais de théâtre amateur. MARIE-ANDRÉE MORACHE Le spectacle il / elle réunit des extraits de plusieurs textes relativement récents écrits par de jeunes dramaturges québécois. Les jeunes de 18 à 20 ans composant la troupe de théâtre du Collège Gérald-Godin pouvaient donc facilement s'identifier aux personnages et se sentir interpellés par les thèmes abordés. Ces thèmes touchent, comme le titre du spectacle l'indique, les rapports homme - femme, le sujet le plus récurrent étant les problèmes de communication qui persistent toujours aujourd'hui entre homme et femme, surtout concernant la sexualité. De plus, le spectacle comprend une part de création collective, des numéros, muets ou non, dont cette scène où un jeune homme lit la lettre que lui a écrite son ami avant de se suicider, et qui est issue d'un travail collectif d'écriture. Le public du Festival a semblé très touché par la représentation. À la sortie, beaucoup de parents se disaient émus par les propos tenus par leurs jeunes sur scène. Pour ma part, je dois avouer ne pas avoir été très touchée par les textes choisis, qui m'ont semblés prévisibles et contenir de nombreux clichés, à l'exception de la scène de Frédéric Blanchette, où un homme parfait à tous les niveaux se révèle finalement être sans pénis, ce qui constitue une surprise rafraîchissante. Aussi ai-je de beaucoup préféré les nombreux tableaux sans texte où le metteur en scène exploite au maximum la charge émotive de la musique, et où les acteurs font preuve d'une grande rigueur dans l'exécution de chorégraphies. Les onze acteurs bougent avec aisance et précision, ils sont habiles à synchroniser leurs mouvements et à équilibrer le plateau. Et dans les scènes parlantes, c'est encore le travail corporel qui m'impressionne le plus : dans leur jeu physique, les acteurs se sont jetés à l'eau avec générosité et audace, faisant montre, notamment dans la sensualité, d'une impudeur sans gratuité aucune. On l'aura compris, si quelque chose m'a dérangée dans cette pièce, c'est dans le « parler », dans la façon dont les acteurs disent le texte. J'essaie de cibler ce petit quelque chose qui à mon oreille sonne faux : ce n'est pas que les acteurs jouent trop gros, ils ne déclament pas, ne chantent pas leur texte et les intentions sont correctes; et pourtant, on n'y croit pas tout à fait parce que ça s'entend que c'est un texte appris par cœur. Pour le dire autrement, on sent les virgules passer; c'est léger, mais c'est partout et ça donne un effet figé. L'acteur a beau bénéficier d'une belle sensibilité, d'une belle sincérité, quand la parole n'est pas fluide l'émotion semble plaquée sur le texte. À mon avis, il n'y a que Gabrielle LapriseLaberge qui sache dire son texte sans que jamais on ait l'impression qu'elle est en train de le lire dans sa tête. Certes, ce sont de jeunes acteurs, certains en sont à leur première expérience sur scène, mais je me serais attendue à plus de naturel dans l'interprétation de rôles qui n'étaient pas si loin d'eux. D'autant plus que ce naturel, ils l'atteignent dans la scène finale, quand chacun vient s'adresser directement au public. Dans ces derniers instants, tous les acteurs ont une présence exceptionnelle sur scène et s'adressent vraiment à quelqu'un. Si seulement ils pouvaient saisir cette présence, cette ouverture à l'autre, cette spontanéité apparente dans la réplique qui apparaît soudain, sans doute causée par la détente générale de fin de spectacle, et aborder avec cette attitude leurs prochains personnages... car bien sûr, je leur souhaite de remonter sur scène encore et encore, de revivre cette expérience de groupe dont ils nous ont fait partager la magie. Notons finalement que il / elle passe rapidement et qu'on ne s'y ennuie pas. Le décor, par ses allusions au monde du cirque et du cabaret, soutient le spectacle dans ses moments les plus animés (je pense entre autres aux symboles du féminin et du masculin enfermés dans des cages, tels des animaux de foire). Enfin, la trame sonore réalisée par le metteur en scène Patrick Rozon est certainement une des meilleures conceptions sonores pour une pièce de théâtre que j'ai entendues ces dernières années. JE VEUX VOIR MIOUSSOV de Valentin Kataïev Dans une mise en scène de Robert Maurac assisté de Françoise Tremblay. Avec: Jeannette Myles, Daniel Boudrias, Nathalie Labbé, Gérald Morin, Élisabeth Rivest, François Lesieur, Diane Leprohon, Paule Gilbert, Dominic Tremblay, Michaël Cartier, Mike Muchnik. Une production d'Art neuf, présentée le 5 juin 2006 dans le cadre du 22e Festival montréalais de théâtre amateur. MARIE-ANDRÉE MORACHE « Le repos, au début, ça énerve »! En effet, dans la maison de repos Les Tournesols, c'est à coups de bains forcés, de détours labyrinthiques, de chocs émotifs et au besoin d'ultrasons que l'on soigne la nervosité. La spécialité de la maison est qu'une fois entré l'on n'y comprend plus rien, et c'est à se demander qui, des employés ou des clients, a le plus besoin de soins. Valentin Kataïev nous présente un univers où des individus sont confrontés aux règlements arbitraires d'une bureaucratie paralysante: un fonctionnaire zélé du nom de Zaïtsev doit se mettre dans des situations incroyables afin d'obtenir la signature d'un certain Mioussov. L'U.R.S.S. avait un idéal d'ordre et d'efficacité, mais ici règnent la confusion et l'absurdité, ce que symbolise bien le décor de Sylvie Archambault : avec son étoile soviétique en étoile filante, tel un rêve qui retombe; et cette autre étoile qui domine la scène, cette rose des vents pointant dans toutes les directions sans pour autant pouvoir servir de guide. Mais qu'on ne s'y trompe pas, « Je veux voir Mioussov » est une pièce très drôle et Robert Maurac à la mise en scène l'a bien compris. Le secret de cette comédie réside dans les divers malentendus et quiproquos qu'elle génère: tel personnage ne sait plus de quelle femme il est censé être le mari, un autre, pensant qu'on veut le tuer, passe sa journée de repos caché dans un placard à balais, une femme est accusée d'avoir commis l'adultère avec son propre mari, etc. Ces personnages troublés exposent leur étrange système de valorisation, ce qui provoque un autre effet comique: par exemple, la femme la plus désirable est une excellente tractoriste et on lui fait la cour en lui offrant du ciment et des agglomérés! Cette pièce exige des comédiens de la troupe d'Art neuf, un grand effort cardio-vasculaire. Pour réussir ce tour de force de retenir l'attention du public pendant deux heures sans interruption, les comédiens doivent maintenir un rythme effréné tant au niveau du débit que de l'intensité du jeu. La grandeur de la salle du Festival ne les a pas aidés : ils ont dû accélérer les déplacements et fournir encore plus d'énergie pour habiter ce grand espace. Mickaël Carlier en Kostia, par son tonus soutenu, est sans doute celui qui a le mieux réussi à imposer sa présence sur scène. Elizabeth Rivest a également déployé une grande énergie pour interpréter l'« incurable mais charmante » Doudkina. Ses apparitions que je qualifierais d'hystérie vaporeuse étaient très réussies. Saluons également la performance de Daniel Boudrias dans le rôle du vieux Zaïtsev, de toute évidence un rôle de composition. Enfin, dans le rôle du fameux Vladimir Mioussov, Gérald Morin a su rendre toute la couardise et la vanité du personnage. Son Mioussov était insignifiant à souhait! Les scènes qui fonctionnent le mieux sont celles où les personnages semblent suspendre un instant leur course folle entre deux portes, le temps d'un nouveau malentendu, lorsqu'ils semblent n'être que de passage sur scène. Aussi, les moments les moins dynamiques de la pièce sont quelques dialogues où les acteurs s'installent un peu trop, ces moments où le rythme s'essouffle, par baisse du tonus, du débit et, pour quelques comédiennes, du volume de la voix et de la diction. Mais avec ces douze personnages qui courent dans tous les sens, il y a de quoi s'essouffler! À ce propos, je m'interroge sur la pertinence des effets d'éclairage et des effets sonores. Certes, tous ces effets sont bien recherchés et bien exécutés. Les effets sonores sont particulièrement originaux. Cependant, je me demande si plutôt que de renforcer la dynamique de la pièce, ils ne viennent pas freiner son envolée. On dirait parfois que les acteurs figent le temps de l'effet technique. Or, le texte est déjà riche en rebondissements et en effets de surprise, l'humour intelligent de Valentin Kataïev est bien servi par la mise en scène et par le jeu des acteurs. Bref, le charme opère déjà, était-ce nécessaire d'en rajouter? Je profite de cette dernière ligne pour saluer le travail de Jeannette Myles et de Gérald Morin aux costumes et accessoires : ces uniformes avec leurs tournesols, ces pyjamas assortis et toutes ces perruques étaient à la fois beaux et efficaces. LA PETITE PHÈDRE de Jean Canolle preuve de beaucoup de grâce et d'agilité pour soutenir du début à la fin un jeu aussi éthéré. Dans une mise en scène de Piéwo Filiole. Avec: Jef, Laurent Cappadocia, Hélène Senechal, Alexandre Magne, Marcela Molinié, AnneEstelle Philippe. Une production de la TRAC (Troupe Rythme Audace & cie), présentée le 10 juin 2006, dans le cadre du 22e Festival montréalais de théâtre amateur. J'ai été étonnée des progrès accomplis en quelques années seulement par la comédienne Marcela Molinié. Le rôle de Phèdre (la Phèdre de Canolle bien sûr!) lui va comme un gant. Il faut la voir se dandiner sur scène, le corps et la langue déliés, pour incarner cette séductrice impudique, cette femme-enfant insouciante qui joue à être reine. J'ai aimé surtout que Marcela fasse passer en toute simplicité la complexité de ce personnage, de cette femme sans méchanceté et sans amour, franche mais infidèle, intègre mais inconstante. MARIE-ANDRÉE MORACHE Comment Hercule a-t-il lavé les Écuries d'Augias? Il a profité d'une inondation. Et le lion de Némée? Il était vieux et malade. Et le géant? Il avait un lumbago. Comment triomphe-t-on à coup sûr d'un monstre? On attend qu'il s'ennuie assez pour se laisser abattre. C'est également de cette façon qu'une gamine boudeuse triomphe d'un roi sanguinaire trop démoralisé pour lui trancher la tête. On l'aura compris, cette pièce de Jean Canolle tourne en dérision la mythologie grecque. Thésée, qui s'est rendu célèbre par ses exploits guerriers et sexuels, a maintenant plus de cinquante ans et règne sur Athènes confortablement assis dans un Lazy Boy. L'homme se voit atteint dans sa virilité lorsqu'une jeunesse de dix-huit ans, la petite Phèdre qu'il vient tout juste d'enlever, lui préfère son fils Hippolyte. Ainsi, les grands héros sont jetés à bas de leur piédestal et nous apparaissent comme de simples mortels. Le décor très kitsch de Marie-Mathilde Riffaud répond bien à cette visée de démythification de Canolle. Tout y est manifestement faux, peint et sculpté grossièrement, sans trompe-l'œil : les colonnes, les balustrades, le lierre un peu partout, le mini-temple grec en maquette, l'illustration de Thésée tuant le Minotaure (dont la tête lui sert maintenant de téléphone!) et celle de Poséidon à l'arrière-plan, qui donne l'impression d'un immense aquarium, évoquent pour moi la décoration de mauvais goût d'un restaurant grec ou plutôt se voulant grec. C'est avec grand plaisir que nous retrouvons cette année encore les comédiens de la TRAC. Jef vole la vedette avec son interprétation d'Hippolyte en doux éphèbe. L'acteur est d'une douceur désarmante dans ce rôle d'adolescent chaste, plus chérubin que grand chasseur. Il fait Alexandre Magne m'avait impressionnée l'an dernier en Don Juan. Il campe cette année un Thésée grisonnant et paillard, donc les apparitions, accompagnées de musique folklorique grecque, suscitent irrésistiblement la bonne humeur. Cependant, avec ses grognements de porc récurrents et sa manie de se tâter les couilles pour tout et pour rien, l'acteur frôle le cabotinage et risque par moments de tomber dans la facilité. La performance de Hélène Senechal en Aricie m'a semblé à première vue beaucoup moins solide que celle qu'elle nous avait offerte l'an dernier, mais tout s'explique quand on sait qu'elle n'a eu que quelques semaines pour apprendre son texte et composer son personnage. Les personnages de Théramène et d'Oenone, respectivement interprétés par Laurent Cappadocia et Anne-Estelle Philippe, offrent moins d'attraits que les autres, mais les comédiens ont su faire quelque chose d'intéressant des scènes d'affrontement entre ces deux personnages. Enfin, le très sympathique Piéwo Filiole a su réchauffer la salle avec beaucoup d'assurance. Si je ne peux douter de son talent d'animateur, je reste toutefois moins convaincue de son talent de metteur en scène. Je n'ai rien à redire à sa direction d'acteur, c'est la dynamique du spectacle comme telle (mise en place, déplacement, effet d'ensemble, rythme des entrées et sorties, etc.) qui me laisse... bon, peutêtre pas froide, disons tiède : c'est correct, ça fonctionne, sans plus. Je dirais donc qu'il s'agit d'une bonne production, drôle et chaleureuse, mais certainement pas la meilleure de la TRAC. LES GIRLS DE CLÉMENCE collage de textes de Clémence Desrochers Dans une mise en scène de Denis Brassard, assisté de Gilbert Trudel. Avec : Michelle Brisebois, Andrée-Ann Fortier, Rachel Graton, Émilie Lavigne, Amélie Leduc-Dauphinais, Myriam Richer, JoAnie Simard, Stéphanie Vandelac. Une production du Théâtre du Bélier (Collège Ahuntsic), présentée le 10 juin 2006, dans la cadre du 22e Festival montréalais de théâtre amateur. MARIE-ANDRÉE MORACHE C'est en grand nombre que le public du Festival s'est présenté au rendez-vous. Les gens sont venus d'une part pour des retrouvailles avec les textes de Clémence Desrochers, d'autre part, pour voir à l'oeuvre huit jeunes étudiantes du Collège Ahuntsic; et ils n'ont pas été déçus. De nombreux applaudissements (pendant la représentation!) ont salué des numéros particulièrement réussis. Les spectateurs ont aussi encouragé les comédiennes en claquant des mains au rythme des refrains des chansons ou en fredonnant avec elles ces airs bien connus. Certains se sont vus arracher quelques larmes au moment où ils ne s'y attendaient pas. Bref, beaucoup d'enthousiasme dans la salle. C'est que les monologues et les chansons de Clémence Desrochers ont été admirablement bien servis par la mise en scène de Denis Brassard et par le travail acharné de ces huit jeunes femmes. Le moins que l'on puisse dire est que ses interprètes, Denis Brassard les fait travailler! Les huit filles passent les deux heures du spectacle sur scène, les changements se faisant à vu. Elles accumulent plusieurs rôles et toutes participent aux chansons et aux répliques du chœur. En effet, si une fille est mise de l'avant dans chaque monologue, elle est toujours soutenue par ses partenaires qui forment une sorte de chœur. De plus, les huit filles prennent part aux nombreuses chorégraphies et tableaux de groupe. Elles doivent donc, à de nombreuses reprises, synchroniser à la fois leurs gestes et leurs paroles, pour exécuter, en autres, des chorus line. Ce qu'elles accomplissent fort bien, aidées en cela par une mise en place réglée au quart de tour. Rien n'est laissé au hasard, l'ordre règne (notamment par la symétrie des positions des filles) sur la scène des Girls de Clémence, et cela ne nuit en rien à la belle folie des textes de Clémence Desrochers. Les costumes, les éléments du décor et jusqu'au moindre accessoire respectent une convention : rouge, noir, blanc, quadrillé, rayé, pointillé. Le regard est charmé par ces effets de répétition qui donnent au spectacle (n'oublions pas qu'il s'agit d'un collage de quarante morceaux!) sa cohérence. Ajoutez à cela l'élégant piano à queue et le grand dessin servant de toile de fond et vous aurez une idée de la perfection esthétique à laquelle aspire cette production. Dans leurs interprétations de personnages divers, les comédiennes font preuve de vivacité et d'une grande polyvalence, pour passer ainsi de l'enfant plaintif au vieillard dansant le disco, de la fausse diva à l'amoureuse sincère, de la précieuse au mari grossier. Se démarquant du lot, Rachel Graton offre une performance exceptionnelle. Nul doute qu'elle saura bientôt faire sa place sur la scène professionnelle. Soulignons également le talent certain pour la comédie de JoAnie Simard, à qui nous devons de nombreux éclats de rire. Enfin, Andrée-Ann Fortier retient l'attention dans son rôle de bonne et dans celui de serveuse, dont on n’est pas près d'oublier la réplique : « J'aime mieux être une planche à laver qu'une fille à repasser. » Bernard Quessy au piano assure la qualité de la musique, quasi omniprésente. Reste que cela demande du courage de prendre le micro, les notes ne sont pas toujours justes, la voix, assez puissante. Or, comme l'a fait remarquer M. Brassard, il s'agit d'un théâtre musical, non d'une comédie musicale, de comédiennes qui chantent et non de chanteuses qui jouent : c'est la justesse de l'interprétation qui compte. D'autant plus que certains sons moins harmonieux sont produits volontairement pour leur effet comique. Les changements d'atmosphère au cours du spectacle servent bien la prose de Clémence Desrochers qui jamais ne s'appesantit sur la tristesse ou sur l'ironie. L'alternance de scènes comiques et de chansons émouvantes, de scènes intimes et de chorégraphies de groupe, fait en sorte que l'émotion nous saisit dans le détour. En conclusion, après avoir vu tous les spectacles de cette semaine de Festival, je peux maintenant dire que Les girls de Clémence fut ma production préférée de cette édition. LUCKY LADY de Jean-Marc Dalpé Dans une mise en scène de Geoffrey Gaquere, assisté de Pascale Lidji. Avec: François-Olivier Chené, Nadia Gosselin-Kessiby, Philippe Grégoire, Caroline Therriault et Caroline Yergeau. Une production du Théâtre des 5 moi, présentée le 9 juin 2006, dans le cadre du 22e Festival montréalais de théâtre amateur. MARIE-ANDRÉE MORACHE C'est l'histoire de cinq personnages prisonniers d'une situation et qui cherchent à s'en évader. Pour Zach, il s'agit simplement de s'évader de prison et de payer ses dettes. Bernie souhaite en plus retrouver le droit chemin et se réconcilier avec la mère de son enfant. Celle-ci élève seule sa fille et est aux prises avec des menaces de plaintes à la D.P.J. Pour la chanteuse Shirley, le salut réside dans un disque qui, elle n'en doute pas, la fera quitter les « bars de soûlots ». Pour Mireille, c'est une montagne en Arizona où elle ira se purifier auprès des grands esprits. Lucky Lady, c'est aussi l'histoire de sept mille dollars dus aux Hells et que les personnages mettent en jeu, espérant ainsi changer leur destinée. En pariant cet argent aux courses sur le cheval nommé Lucky Lady, ils risquent de perdre le peu qui leur reste, pour certains, la vie. Le metteur en scène Geoffrey Gaquere a travaillé le texte de Jean-Marc Dalpé comme une partition musicale, c'est-à-dire en étant très attentif à la petite musique de Dalpé, et cela a donné d'excellents résultats en ce qui a trait au respect de la langue propre à l'univers de Dalpé, propre à ses personnages. Cette langue haletante, hachurée, pleine d'anglicismes et de sacres est éminemment poétique. Pas un mot de trop, même pas un « ostie » de trop comme le faisait remarquer l'un des comédiens après la représentation. Rendre à la fois toute la violence et la poésie du texte exige des cinq acteurs du Théâtre des 5 moi, à l'origine membres du Théâtre de l'Université de Montréal (T.U.M.), un grand travail technique; par exemple, pour projeter sans grimper dans les sons aigus, la plupart des personnages exigeant des voix graves et rauques, ou pour conserver une bonne diction même avec un débit très rapide. François-Oliver Chené fait face à une difficulté technique supplémentaire dans son rôle de Bernie, puisqu'il doit imposer sa présence en demeurant assis dans une chaise roulante tout au long de la pièce. François-Olivier a su malgré cette contrainte donner de l'aplomb à son personnage, grandement aidé en cela par sa belle voix caverneuse. L'acteur a malheureusement l'habitude d'interrompre trop brutalement sa phrase lorsqu'il doit être coupé par son interlocuteur, ce qui crée des centaines de minuscules hésitations et, à la longue, fait perdre du naturel à son interprétation. Caroline Therriault et Philippe Grégoire font également face à une difficulté particulière, la majorité de leurs répliques étant adressées à un interlocuteur invisible. Non seulement ils s'en tirent bien dans ces numéros en solo, mais je dirais même qu'ils y démontrent plus d'habileté que lors des dialogues avec leurs partenaires. Les passages où Zach (Philippe Grégoire) fait semblant de se repentir devant son comité de réhabilitation figurent parmi les moments les plus comiques de la pièce. Et que dire de la Shirley de Caroline Therriault sinon qu'elle est cheap à souhait, à la fois drôle et attachante dans son désespoir. Si je peux me permettre un petit conseil à Caroline, ce serait d'essayer de détendre la mâchoire et tout le bas du visage, même pour jouer la colère; cela aide généralement à plonger davantage dans l'émotion. J'ai bien aimé comment Caroline Yergeau, qui s'est jointe tardivement à l'équipe, a campé cette mère exaspérée, surtout dans la scène où elle s'identifie au personnage principal du film La Grande évasion. Je crains cependant qu'à descendre ainsi sa voix au plus bas elle ne se l'abîme. Enfin, Nadia Gosselin-Kessiby, infatigable boule d'énergie en Mireille, donne une performance dont je n'ai rien à redire : des cinq, elle est celle dont le personnage est le plus crédible du début à la fin. Certes, sa Mireille manque peut-être de nuance, elle semble taillée tout d'un bloc, mais on peut en dire autant de tous les personnages. Alors peut-être est-ce ce que la pièce de Dalpé demande? Le metteur en scène a fait preuve d'un talent certain dans son travail sur le texte, mais aussi dans sa mise en place. Occuper ce grand espace noir et vide, à l'exception de quelques éléments (chaise, table, porte-manteau) qui disparaissent en cours de spectacle, cela n'a rien d'évident. Il a été bien épaulé dans sa tâche par Carl Girard, à l'éclairage : comme quoi il suffit parfois de cinq ronds de lumière judicieusement placés pour habiter la scène. QUELQUES HUMAINS de Pierre-Michel Tremblay Dans une mise en scène de Éric Hupin. Avec : Mathieu Lampron, Emma Bernard, Caroline Tremblay, Philippe Desaulniers et Arnaud Beauchamp. Une production d'Histrion, présentée le 7 juin 2006 dans le cadre du 22e Festival montréalais de théâtre amateur. MARIE-ANDRÉE MORACHE Le spectacle s'ouvre sur une scène vide et silencieuse. Au cours de la pièce, quelques meubles et accessoires viennent habiter l'espace, des effets sonores viennent soutenir l'action, mais toujours de façon discrète, de façon, donc, à laisser le champ libre à l'acteur. En effet, la sobriété de la production fait en sorte que le succès de la pièce repose sur le jeu des acteurs. Ce qui aurait pu être une entreprise casse-gueule, si les productions Histrion n'avaient pu compter sur une équipe de comédiens aussi solides et qui, de toute évidence, ont été fort bien dirigés par le metteur en scène Éric Hupin. Les cinq acteurs qui se partagent les vingt-huit rôles de Quelques humains ont tous joué avec naturel et simplicité, avec un bon dosage de l'intensité, une belle détente sur scène (ils étaient « groundés » comme on dit), beaucoup d'aplomb et d'écoute de l'autre. Philippe Desaulniers et Mathieu Lampron se démarquent par leur performance : ces deux acteurs sont parmi les plus justes et les plus crédibles qu'il m'ait été donné de voir dans le cadre de ce Festival. La qualité de l'interprétation et la rareté des artifices enrobant le spectacle mettent de l'avant le texte de Pierre-Michel Tremblay. La pièce, qui à sa création en 1998 a été qualifiée de « comédie existentialiste », met en scène des personnages contemporains tenant des propos encore très actuels : quel est le sens de l'existence dès lors qu'il n'y a plus rien de sacré, ni la famille ni l'amour; que les figures d'autorité sont destituées; qu'aucun savoir, qu'il soit d'ordre philosophique ou psychanalytique, ni aucun grand mythe n'est plus d'aucun secours pour donner un sens à la vie, pour lutter contre l'absurdité de la condition humaine? Et alors quel héritage, quelle leçon essentielle léguer à nos enfants? Quelles références leur donner comme points de repère, sinon justement une parodie de l'autorité, une banalisation des grands idéaux et une démythification généralisée : « Sophocle you ! ». J'ai particulièrement apprécié les deux tableaux « Économie » qui se répondent en écho. Comme quoi que l'on soit dans le lounge d'un condo bourgeois ou dans la cuisine d'un appartement du quartier Hochelaga, que ce soient de riches privilégiés ou des travailleurs en chômage qui discutent, cela revient au même : le sujet de conversation principal demeure l'argent, celui qu'on a pas, celui dont on a jamais assez. Mais mon moment préféré demeure cette autre scène où un homme, plutôt cynique et désabusé, aimerait manger tranquillement dans un parc et en est empêché par les rencontres successives d'une « ex » devenue bouddhiste, du disciple d'un shaman qui se considère plus évolué lorsqu'il imite l'oiseau, d'une marionnette à laquelle il se voit contraint de s'adresser, et d'une femme qui pourrait être son destin. L'homme s'accroche à sa rationalité ironique pour réduire toutes ces expériences au fruit du hasard, pour en souligner le ridicule, et, en conséquence, il se retrouve de nouveau tout seul : lucide, mais seul. Dans chaque monologue séparant les scènes de groupe, on retrouve un individu différent prétendant avoir saisi une vérité cachée sur le fonctionnement de la société et révéler un complot profitant de l'aliénation collective (on ignore le vrai danger de l'aspartame!). Ces monologues ont, d'après moi, moins bien fonctionné, parce que ces moments étaient moins dynamiques et le jeu des acteurs moins crédible. Cependant, ils ont donné lieu à un moment fort, lors du tableau final, quand tous ces « monologueurs » reviennent sur scène parler en même temps sans s'écouter les uns les autres, le tout au son de la radio où un animateur parle dans le vide des gens « vides qui n'ont rien à dire », et qu'au milieu de ce dialogue de sourds s'élève la voix de Charlie, personnage muet jusque-là, qui seul s'engage vraiment dans son énonciation et dans son adresse à l'autre : « Moi t'aime ». À l'exception de quelques dames vivement importunées par la fumée des cigares, lors du troisième tableau, le public d'hier soir a bien réagi au spectacle, par des rires francs et des applaudissements chaleureux. À la sortie de la représentation, des spectateurs blaguaient en disant que les gens d'Histrion ne sauraient remporter le prix de la scénographie décerné par le jury du Festival. C'est fort probable, mais gageons toutefois qu'ils seront considérés pour le prix de l'interprétation.