Critiques des pièces présentées dans le cadre du

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Critiques des pièces présentées dans le cadre du Festival montréalais 2006 de théâtre amateur
LES FEMMES SAVANTES
de Molière
Dans une mise en scène de Stéfan Perreault. Avec :
Vincent Barrat, Sébastien Bougie, Andrée Charbonneau,
Jean-Philippe Denis, Julie Garceau, Frédérique Laliberté,
Jacques Lefebvre, Véronique Raymond et Annie Roy.
Une production de Cadavre exquis, présentée le 6 juin
2006, dans le cadre du 22e Festival montréalais de
théâtre amateur.
JEAN-SÉBASTIEN PILON
7 juin 2006
Mettre en scène Les femmes savantes dont le propos est
solidement attaché au contexte historique qui a vu naître
la pièce, constituait un défi en soi pour les membres de la
troupe du Cadavre exquis qui présentait, mardi soir, la
comédie satirique de Molière. Si le défi n’a été qu’en
parti relevé, l’enthousiasme avec lequel le groupe a
défendu son travail était pour le moins manifeste et
contagieux.
À l’époque, la création des Femmes savantes fut
l’occasion pour Molière de se moquer d’une pédanterie
toute particulière dont certaines femmes faisaient état. À
l’image du personnage central de Philaminte, celles-ci
cherchaient par l’étalage de leur savoir à se sortir de la
basse position sociale où les hommes les confinaient.
L’intrigue de la pièce repose sur le mariage d’Henriette,
la fille de Philaminte, dont le choix d’un époux est
l’occasion d’un débat sur la pertinence et le bien fondé de
la conduite d’un tel groupe de femmes. Or, si ce débat au
sujet de l’éducation et de l’émancipation des femmes tel
que présenté par Molière est bien d’une autre époque,
toute la question du pédantisme, de ses artifices et de son
hypocrisie est encore bien digne d’intérêt. Alors que les
femmes savantes croient s’élever vers les hautes sphères
de la science et de la philosophie, Stéfan Perreault et son
équipe ont bien su exploiter l’humour avec laquelle
Molière démasque les prétentions de ces femmes. Par un
jeu inspiré de la commedia dell’arte qui se prête toujours
bien à l’univers de l’auteur, les comédiens nous ont
proposé une version très burlesque de cette univers
bourgeois, caricaturant parfois à l’excès les désirs cachés
et la détresse de ces femmes aux grandes ambitions.
En accord avec la ligne directrice de la pièce, tout un
travail de parodie a manifestement été fait afin de grossir
le désir de plaire refoulé de ces femmes savantes.
L’utilisation de nombreux lazzis aux penchants grivois et
l’ajout d’une pantomime tout aussi allusive ont bien fait
de montrer le ridicule avec lequel les protagonistes de
cette pièce défendent tout haut les bonnes manières, tout
en manifestant en sourdine leurs instincts des plus
primaires. L’emphase mis sur leurs désirs sexuels fut
malheureusement trop importante. Si le rire était au
rendez-vous, les subtilités du texte et les multiples
facettes des personnages s’en sont vues réduites.
Henriette, par exemple, nous a certes paru plus franche
que les femmes qui l’entouraient et la conseillaient, mais
son intelligence et sa force de retenue n’ont pas été
suffisamment exploitées.
Au plan de l’interprétation, il faut noter l’excellent travail
des comédiens qui ont su casser la rythmique
traditionnelle des vers pour donner à la langue de
Molière un aspect plus familier. Cela a sans doute
contribué au rythme accrocheur de la pièce qui s’est
maintenu jusqu’à la toute fin. La prononciation toutefois
en a peut-être un peu souffert. En plus de cette
accélération de la parole, chaque comédien proposait un
accent vocal qui réussissait en général à mieux camper le
personnage, mais qui nuisait désagréablement chez
certains à la compréhension du texte. Notons à ce sujet
un manque de direction des acteurs. Si certains jeux
vocaux appuyaient de façon très juste la caricature,
d’autre, comme la déclamation de Clitandre, manquaient
de nuances et aplatissaient des personnages dont les
subtilités ne peuvent pas que reposer sur la force du
texte. Chaque comédien paraît posséder un bon potentiel,
mais le travail sur le jeu semble parfois avoir été fait sans
tenir compte des divers enjeux de la pièce.
Ne passons pas sous silence le jeu de Véronick Raymond
qui a su trouver un équilibre dans la caricature en
interprétant avec justesse et cohérence le personnage
complexe de Philaminte. Accompagnée de Bélise dont
l’alcoolisme était tout à fait approprié et d’Armande,
dont la sottise était à point, Philaminte a contribué
fortement à ne pas laisser la pièce dériver à la
bouffonnerie.
Cela dit, les membres de la troupe du Cadavre exquis ont
démontré une énergie capable de garder facilement
l’attention de leur public. Cette qualité primordiale
devrait les encourager à continuer leur travail sans
craindre de nous ennuyer en jouant de façon retenue.
EMPIRE
de Jocelyn Sioui
Dans une mise en scène de Jocelyn Sioui. Avec :
Valérie Beaulieu, Jessica Blanchet, Mildred
Bois, Pascale Carrère, Éric Desjardins, Diane
Leprohon, Élise Martinez, Jocelyn Sioui et
Marie-Aube St-Amant Duplessis. Une
production de L’École de théâtre Figures de
Style, présentée le 8 juin 2006, dans le cadre du
22e Festival montréalais de théâtre amateur.
JEAN-SÉBASTIEN PILON
9 juin 2006
Hier soir, en me rendant à la représentation
d’Empire qu’on décrivait comme un Shakespeare
revisité, j’avoue avoir douté qu’on puisse y
rencontrer de réelles et intéressantes nouveautés.
Honte est de dire aujourd’hui que je me trompais
royalement. Jocelyn Sioui et son équipe ont mis
en scène un texte bien défendable qui s’inspire
de nombreuses pièces du répertoire sans tomber
dans la redite et dont la construction possède
l’immense qualité de faire confiance en
l’imagination.
De façon anecdotique, Empire est l’histoire de
Roméo et de Juliette dont la guerre entre leurs
deux familles interdit toute union. L’aspect
tragique de leur destin prendra toute son ampleur
lorsque la situation s’inversera. Alors invités et
même forcés à s’unir, les deux amants
apprendront être frère et sœur et verront leur
désir de nouveau contraint par le lourd tabou de
l’inceste. Mais du côté de l’expérience artistique,
Empire est plutôt l’amalgame de plusieurs
espaces fictifs, de la tragédie au conte pour
enfants, dont la traversée oblige le spectateur (et
le critique) à oublier le monde confortable de la
vraisemblance et de la rigueur pour se laisser
prendre au plaisir de la fiction. En cela, l’aspect
le plus solide du texte est de briser le mur entre
la scène et la salle. Par l’insertion d’un narrateur,
par des adresses indirectes aux techniciens afin
qu’on change la nuit en jour ou le jour en nuit,
par l’apparition soudaine d’un quiz télévisé dans
lequel la salle est invitée à influencer le cours du
drame, bref, par l’intervention d’une multitude
de rebondissements saugrenus qui rappellent au
public qu’il est bel et bien au théâtre, Empire
nous entraîne à assumer l’univers de fiction pour
nous permettre de mieux y entrer.
De ce point de vue, tous les médiums de la
représentation théâtrale furent mis à contribution.
Les costumes par exemple, très minimalistes
quoique créatifs, permettaient de voyager avec
peu de moyens et sans confusion d’un lieu ou
d’un personnage à un autre. Ajoutant à cela
l’utilisation de marionnettes, issues d’une
imagination débordante sans jamais tomber dans
la gratuité, la troupe a réussi à nous faire
accepter de façon convaincante des personnages
des plus étrangers à l’univers tragique. Le décor
de son côté, d’une rigidité tout à propos, se
prêtait avec souplesse aux nombreux lieux
évoqués. Au-delà d’une représentation figée, le
metteur en scène a su exploiter toutes les
possibilités du décor en suggérant, avec les
mêmes éléments, une série de différents lieux.
En cela, ne laissons pas en reste la riche trame
sonore et l’éclairage qui contribuèrent tout autant
à la magie suggestive de la scénographie.
Au plan de l’interprétation qui fut dans
l’ensemble bien travaillée, notons les bonnes
performances de Diane Leprohon dans le rôle de
Capulet et de Mildred Bois dans les rôles de
Salomé et de Simbad. Quant aux manipulateurs
de marionnettes, ils furent en grande majorité à
la hauteur si ce n’est qu’il manquait à Roméo
une touche supplémentaire de finesse qui aurait
pu nous enlever tout soupçon sur la pertinence de
sa marionnette. Le couple Roméo-Juliette est
d’ailleurs celui qui nous a laissés le plus en
appétit. Ils portaient à eux deux une grande part
de la dimension tragique de la pièce et la tâche,
en cela très exigeante, n’a pas toujours été bien
remplie. Cela dit, la faute de cette faiblesse doit
aussi être attribuée au texte.
Le texte de Sioui joue sur plusieurs registres très
différents. S’il a le mérite de faire cohabiter entre
les personnages des niveaux de langage à la fois
familier et littéraire sans que cela n’accroche, la
chose est moins vraie lorsque la langue passe
d’un niveau à l’autre au sein des mêmes
répliques. Le collage de certains passages du
répertoire classique à l’écriture de Sioui détonne
souvent et nous fait décrocher. Parfois utilisés
dans des contextes plus ou moins pertinents (je
pense ici à une reprise de la plus célèbre réplique
de Hamlet), ces passages nuisent à la création
d’une tension tragique.
Une pièce réussie reste pour moi une pièce qui
unit une salle et une scène dans une force
d’implication mutuelle autour d’un sujet
déroutant. Si le côté tragique d’Empire était un
peu émietté à travers les récits d’aventures, force
est d’avouer que l’essentiel était au rendez-vous.
IL / ELLE
collage création
Dans une mise en scène de Patrick Rozon,
assisté de Martin Lafrenière. Avec: Émilie
Brunet, Marie-Ève Bryant, Olivier DemersDubé, Stéphanie Denault-Sauvé, Patrice Joubert,
Gabrielle Laprise-Laberge, Andrée-Anne Léger,
Rebecca Milette, Maxime Nadon, Valérie
Ouellet et Karine Plouffe. Une production de la
Troupe de théâtre du Collège Gérald-Godin,
présentée le 9 juin 2006, dans le cadre du 22e
Festival montréalais de théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
Le spectacle il / elle réunit des extraits de
plusieurs textes relativement récents écrits par de
jeunes dramaturges québécois. Les jeunes de 18
à 20 ans composant la troupe de théâtre du
Collège Gérald-Godin pouvaient donc facilement
s'identifier aux personnages et se sentir
interpellés par les thèmes abordés. Ces thèmes
touchent, comme le titre du spectacle l'indique,
les rapports homme - femme, le sujet le plus
récurrent étant les problèmes de communication
qui persistent toujours aujourd'hui entre homme
et femme, surtout concernant la sexualité. De
plus, le spectacle comprend une part de création
collective, des numéros, muets ou non, dont cette
scène où un jeune homme lit la lettre que lui a
écrite son ami avant de se suicider, et qui est
issue d'un travail collectif d'écriture.
Le public du Festival a semblé très touché par la
représentation. À la sortie, beaucoup de parents
se disaient émus par les propos tenus par leurs
jeunes sur scène. Pour ma part, je dois avouer ne
pas avoir été très touchée par les textes choisis,
qui m'ont semblés prévisibles et contenir de
nombreux clichés, à l'exception de la scène de
Frédéric Blanchette, où un homme parfait à tous
les niveaux se révèle finalement être sans pénis,
ce qui constitue une surprise rafraîchissante.
Aussi ai-je de beaucoup préféré les nombreux
tableaux sans texte où le metteur en scène
exploite au maximum la charge émotive de la
musique, et où les acteurs font preuve d'une
grande
rigueur
dans
l'exécution
de
chorégraphies. Les onze acteurs bougent avec
aisance et précision, ils sont habiles à
synchroniser leurs mouvements et à équilibrer le
plateau. Et dans les scènes parlantes, c'est encore
le travail corporel qui m'impressionne le plus :
dans leur jeu physique, les acteurs se sont jetés à
l'eau avec générosité et audace, faisant montre,
notamment dans la sensualité, d'une impudeur
sans gratuité aucune.
On l'aura compris, si quelque chose m'a dérangée
dans cette pièce, c'est dans le « parler », dans la
façon dont les acteurs disent le texte. J'essaie de
cibler ce petit quelque chose qui à mon oreille
sonne faux : ce n'est pas que les acteurs jouent
trop gros, ils ne déclament pas, ne chantent pas
leur texte et les intentions sont correctes; et
pourtant, on n'y croit pas tout à fait parce que ça
s'entend que c'est un texte appris par cœur. Pour
le dire autrement, on sent les virgules passer;
c'est léger, mais c'est partout et ça donne un effet
figé. L'acteur a beau bénéficier d'une belle
sensibilité, d'une belle sincérité, quand la parole
n'est pas fluide l'émotion semble plaquée sur le
texte. À mon avis, il n'y a que Gabrielle LapriseLaberge qui sache dire son texte sans que jamais
on ait l'impression qu'elle est en train de le lire
dans sa tête.
Certes, ce sont de jeunes acteurs, certains en sont
à leur première expérience sur scène, mais je me
serais attendue à plus de naturel dans
l'interprétation de rôles qui n'étaient pas si loin
d'eux. D'autant plus que ce naturel, ils
l'atteignent dans la scène finale, quand chacun
vient s'adresser directement au public. Dans ces
derniers instants, tous les acteurs ont une
présence exceptionnelle sur scène et s'adressent
vraiment à quelqu'un. Si seulement ils pouvaient
saisir cette présence, cette ouverture à l'autre,
cette spontanéité apparente dans la réplique qui
apparaît soudain, sans doute causée par la
détente générale de fin de spectacle, et aborder
avec cette attitude leurs prochains personnages...
car bien sûr, je leur souhaite de remonter sur
scène encore et encore, de revivre cette
expérience de groupe dont ils nous ont fait
partager la magie.
Notons finalement que il / elle passe rapidement
et qu'on ne s'y ennuie pas. Le décor, par ses
allusions au monde du cirque et du cabaret,
soutient le spectacle dans ses moments les plus
animés (je pense entre autres aux symboles du
féminin et du masculin enfermés dans des cages,
tels des animaux de foire). Enfin, la trame sonore
réalisée par le metteur en scène Patrick Rozon
est certainement une des meilleures conceptions
sonores pour une pièce de théâtre que j'ai
entendues ces dernières années.
JE VEUX VOIR MIOUSSOV
de Valentin Kataïev
Dans une mise en scène de Robert Maurac
assisté de Françoise Tremblay. Avec: Jeannette
Myles, Daniel Boudrias, Nathalie Labbé, Gérald
Morin, Élisabeth Rivest, François Lesieur, Diane
Leprohon, Paule Gilbert, Dominic Tremblay,
Michaël Cartier, Mike Muchnik. Une production
d'Art neuf, présentée le 5 juin 2006 dans le cadre
du 22e Festival montréalais de théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
« Le repos, au début, ça énerve »! En effet, dans
la maison de repos Les Tournesols, c'est à coups
de bains forcés, de détours labyrinthiques, de
chocs émotifs et au besoin d'ultrasons que l'on
soigne la nervosité. La spécialité de la maison est
qu'une fois entré l'on n'y comprend plus rien, et
c'est à se demander qui, des employés ou des
clients, a le plus besoin de soins. Valentin
Kataïev nous présente un univers où des
individus sont confrontés aux règlements
arbitraires d'une bureaucratie paralysante: un
fonctionnaire zélé du nom de Zaïtsev doit se
mettre dans des situations incroyables afin
d'obtenir la signature d'un certain Mioussov.
L'U.R.S.S. avait un idéal d'ordre et d'efficacité,
mais ici règnent la confusion et l'absurdité, ce
que symbolise bien le décor de Sylvie
Archambault : avec son étoile soviétique en
étoile filante, tel un rêve qui retombe; et cette
autre étoile qui domine la scène, cette rose des
vents pointant dans toutes les directions sans
pour autant pouvoir servir de guide.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, « Je veux voir
Mioussov » est une pièce très drôle et Robert
Maurac à la mise en scène l'a bien compris. Le
secret de cette comédie réside dans les divers
malentendus et quiproquos qu'elle génère: tel
personnage ne sait plus de quelle femme il est
censé être le mari, un autre, pensant qu'on veut le
tuer, passe sa journée de repos caché dans un
placard à balais, une femme est accusée d'avoir
commis l'adultère avec son propre mari, etc. Ces
personnages troublés exposent leur étrange
système de valorisation, ce qui provoque un
autre effet comique: par exemple, la femme la
plus désirable est une excellente tractoriste et on
lui fait la cour en lui offrant du ciment et des
agglomérés!
Cette pièce exige des comédiens de la troupe
d'Art neuf, un grand effort cardio-vasculaire.
Pour réussir ce tour de force de retenir l'attention
du public pendant deux heures sans interruption,
les comédiens doivent maintenir un rythme
effréné tant au niveau du débit que de l'intensité
du jeu. La grandeur de la salle du Festival ne les
a pas aidés : ils ont dû accélérer les déplacements
et fournir encore plus d'énergie pour habiter ce
grand espace. Mickaël Carlier en Kostia, par son
tonus soutenu, est sans doute celui qui a le mieux
réussi à imposer sa présence sur scène. Elizabeth
Rivest a également déployé une grande énergie
pour interpréter l'« incurable mais charmante »
Doudkina. Ses apparitions que je qualifierais
d'hystérie vaporeuse étaient très réussies.
Saluons également la performance de Daniel
Boudrias dans le rôle du vieux Zaïtsev, de toute
évidence un rôle de composition. Enfin, dans le
rôle du fameux Vladimir Mioussov, Gérald
Morin a su rendre toute la couardise et la vanité
du personnage. Son Mioussov était insignifiant à
souhait!
Les scènes qui fonctionnent le mieux sont celles
où les personnages semblent suspendre un
instant leur course folle entre deux portes, le
temps d'un nouveau malentendu, lorsqu'ils
semblent n'être que de passage sur scène. Aussi,
les moments les moins dynamiques de la pièce
sont quelques dialogues où les acteurs
s'installent un peu trop, ces moments où le
rythme s'essouffle, par baisse du tonus, du débit
et, pour quelques comédiennes, du volume de la
voix et de la diction. Mais avec ces douze
personnages qui courent dans tous les sens, il y a
de quoi s'essouffler! À ce propos, je m'interroge
sur la pertinence des effets d'éclairage et des
effets sonores. Certes, tous ces effets sont bien
recherchés et bien exécutés. Les effets sonores
sont particulièrement originaux. Cependant, je
me demande si plutôt que de renforcer la
dynamique de la pièce, ils ne viennent pas freiner
son envolée. On dirait parfois que les acteurs
figent le temps de l'effet technique. Or, le texte
est déjà riche en rebondissements et en effets de
surprise, l'humour intelligent de Valentin Kataïev
est bien servi par la mise en scène et par le jeu
des acteurs. Bref, le charme opère déjà, était-ce
nécessaire d'en rajouter?
Je profite de cette dernière ligne pour saluer le
travail de Jeannette Myles et de Gérald Morin
aux costumes et accessoires : ces uniformes avec
leurs tournesols, ces pyjamas assortis et toutes
ces perruques étaient à la fois beaux et efficaces.
LA PETITE PHÈDRE
de Jean Canolle
preuve de beaucoup de grâce et d'agilité pour
soutenir du début à la fin un jeu aussi éthéré.
Dans une mise en scène de Piéwo Filiole. Avec:
Jef, Laurent Cappadocia, Hélène Senechal,
Alexandre Magne, Marcela Molinié, AnneEstelle Philippe. Une production de la TRAC
(Troupe Rythme Audace & cie), présentée le 10
juin 2006, dans le cadre du 22e Festival
montréalais de théâtre amateur.
J'ai été étonnée des progrès accomplis en
quelques années seulement par la comédienne
Marcela Molinié. Le rôle de Phèdre (la Phèdre de
Canolle bien sûr!) lui va comme un gant. Il faut
la voir se dandiner sur scène, le corps et la
langue déliés, pour incarner cette séductrice
impudique, cette femme-enfant insouciante qui
joue à être reine. J'ai aimé surtout que Marcela
fasse passer en toute simplicité la complexité de
ce personnage, de cette femme sans méchanceté
et sans amour, franche mais infidèle, intègre
mais inconstante.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
Comment Hercule a-t-il lavé les Écuries
d'Augias? Il a profité d'une inondation. Et le lion
de Némée? Il était vieux et malade. Et le géant?
Il avait un lumbago. Comment triomphe-t-on à
coup sûr d'un monstre? On attend qu'il s'ennuie
assez pour se laisser abattre. C'est également de
cette façon qu'une gamine boudeuse triomphe
d'un roi sanguinaire trop démoralisé pour lui
trancher la tête.
On l'aura compris, cette pièce de Jean Canolle
tourne en dérision la mythologie grecque.
Thésée, qui s'est rendu célèbre par ses exploits
guerriers et sexuels, a maintenant plus de
cinquante ans et règne sur Athènes
confortablement assis dans un Lazy Boy.
L'homme se voit atteint dans sa virilité
lorsqu'une jeunesse de dix-huit ans, la petite
Phèdre qu'il vient tout juste d'enlever, lui préfère
son fils Hippolyte. Ainsi, les grands héros sont
jetés à bas de leur piédestal et nous apparaissent
comme de simples mortels.
Le décor très kitsch de Marie-Mathilde Riffaud
répond bien à cette visée de démythification de
Canolle. Tout y est manifestement faux, peint et
sculpté grossièrement, sans trompe-l'œil : les
colonnes, les balustrades, le lierre un peu partout,
le mini-temple grec en maquette, l'illustration de
Thésée tuant le Minotaure (dont la tête lui sert
maintenant de téléphone!) et celle de Poséidon à
l'arrière-plan, qui donne l'impression d'un
immense aquarium, évoquent pour moi la
décoration de mauvais goût d'un restaurant grec
ou plutôt se voulant grec.
C'est avec grand plaisir que nous retrouvons
cette année encore les comédiens de la TRAC.
Jef vole la vedette avec son interprétation
d'Hippolyte en doux éphèbe. L'acteur est d'une
douceur désarmante dans ce rôle d'adolescent
chaste, plus chérubin que grand chasseur. Il fait
Alexandre Magne m'avait impressionnée l'an
dernier en Don Juan. Il campe cette année un
Thésée grisonnant et paillard, donc les
apparitions,
accompagnées
de
musique
folklorique grecque, suscitent irrésistiblement la
bonne humeur. Cependant, avec ses grognements
de porc récurrents et sa manie de se tâter les
couilles pour tout et pour rien, l'acteur frôle le
cabotinage et risque par moments de tomber dans
la facilité.
La performance de Hélène Senechal en Aricie
m'a semblé à première vue beaucoup moins
solide que celle qu'elle nous avait offerte l'an
dernier, mais tout s'explique quand on sait
qu'elle n'a eu que quelques semaines pour
apprendre son texte et composer son personnage.
Les personnages de Théramène et d'Oenone,
respectivement
interprétés
par
Laurent
Cappadocia et Anne-Estelle Philippe, offrent
moins d'attraits que les autres, mais les
comédiens ont su faire quelque chose
d'intéressant des scènes d'affrontement entre ces
deux personnages.
Enfin, le très sympathique Piéwo Filiole a su
réchauffer la salle avec beaucoup d'assurance. Si
je ne peux douter de son talent d'animateur, je
reste toutefois moins convaincue de son talent de
metteur en scène. Je n'ai rien à redire à sa
direction d'acteur, c'est la dynamique du
spectacle comme telle (mise en place,
déplacement, effet d'ensemble, rythme des
entrées et sorties, etc.) qui me laisse... bon, peutêtre pas froide, disons tiède : c'est correct, ça
fonctionne, sans plus. Je dirais donc qu'il s'agit
d'une bonne production, drôle et chaleureuse,
mais certainement pas la meilleure de la TRAC.
LES GIRLS DE CLÉMENCE
collage de textes de Clémence Desrochers
Dans une mise en scène de Denis Brassard,
assisté de Gilbert Trudel. Avec : Michelle
Brisebois, Andrée-Ann Fortier, Rachel Graton,
Émilie Lavigne, Amélie Leduc-Dauphinais,
Myriam Richer, JoAnie Simard, Stéphanie
Vandelac. Une production du Théâtre du Bélier
(Collège Ahuntsic), présentée le 10 juin 2006,
dans la cadre du 22e Festival montréalais de
théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
C'est en grand nombre que le public du Festival
s'est présenté au rendez-vous. Les gens sont
venus d'une part pour des retrouvailles avec les
textes de Clémence Desrochers, d'autre part,
pour voir à l'oeuvre huit jeunes étudiantes du
Collège Ahuntsic; et ils n'ont pas été déçus. De
nombreux applaudissements (pendant la
représentation!) ont salué des numéros
particulièrement réussis. Les spectateurs ont
aussi encouragé les comédiennes en claquant des
mains au rythme des refrains des chansons ou en
fredonnant avec elles ces airs bien connus.
Certains se sont vus arracher quelques larmes au
moment où ils ne s'y attendaient pas. Bref,
beaucoup d'enthousiasme dans la salle. C'est que
les monologues et les chansons de Clémence
Desrochers ont été admirablement bien servis par
la mise en scène de Denis Brassard et par le
travail acharné de ces huit jeunes femmes.
Le moins que l'on puisse dire est que ses
interprètes, Denis Brassard les fait travailler! Les
huit filles passent les deux heures du spectacle
sur scène, les changements se faisant à vu. Elles
accumulent plusieurs rôles et toutes participent
aux chansons et aux répliques du chœur. En
effet, si une fille est mise de l'avant dans chaque
monologue, elle est toujours soutenue par ses
partenaires qui forment une sorte de chœur. De
plus, les huit filles prennent part aux nombreuses
chorégraphies et tableaux de groupe. Elles
doivent donc, à de nombreuses reprises,
synchroniser à la fois leurs gestes et leurs
paroles, pour exécuter, en autres, des chorus line.
Ce qu'elles accomplissent fort bien, aidées en
cela par une mise en place réglée au quart de
tour. Rien n'est laissé au hasard, l'ordre règne
(notamment par la symétrie des positions des
filles) sur la scène des Girls de Clémence, et cela
ne nuit en rien à la belle folie des textes de
Clémence Desrochers.
Les costumes, les éléments du décor et jusqu'au
moindre accessoire respectent une convention :
rouge, noir, blanc, quadrillé, rayé, pointillé. Le
regard est charmé par ces effets de répétition qui
donnent au spectacle (n'oublions pas qu'il s'agit
d'un collage de quarante morceaux!) sa
cohérence. Ajoutez à cela l'élégant piano à queue
et le grand dessin servant de toile de fond et vous
aurez une idée de la perfection esthétique à
laquelle aspire cette production.
Dans leurs interprétations de personnages divers,
les comédiennes font preuve de vivacité et d'une
grande polyvalence, pour passer ainsi de l'enfant
plaintif au vieillard dansant le disco, de la fausse
diva à l'amoureuse sincère, de la précieuse au
mari grossier. Se démarquant du lot, Rachel
Graton offre une performance exceptionnelle.
Nul doute qu'elle saura bientôt faire sa place sur
la scène professionnelle. Soulignons également
le talent certain pour la comédie de JoAnie
Simard, à qui nous devons de nombreux éclats
de rire. Enfin, Andrée-Ann Fortier retient
l'attention dans son rôle de bonne et dans celui
de serveuse, dont on n’est pas près d'oublier la
réplique : « J'aime mieux être une planche à
laver qu'une fille à repasser. »
Bernard Quessy au piano assure la qualité de la
musique, quasi omniprésente. Reste que cela
demande du courage de prendre le micro, les
notes ne sont pas toujours justes, la voix, assez
puissante. Or, comme l'a fait remarquer M.
Brassard, il s'agit d'un théâtre musical, non d'une
comédie musicale, de comédiennes qui chantent
et non de chanteuses qui jouent : c'est la justesse
de l'interprétation qui compte. D'autant plus que
certains sons moins harmonieux sont produits
volontairement pour leur effet comique.
Les changements d'atmosphère au cours du
spectacle servent bien la prose de Clémence
Desrochers qui jamais ne s'appesantit sur la
tristesse ou sur l'ironie. L'alternance de scènes
comiques et de chansons émouvantes, de scènes
intimes et de chorégraphies de groupe, fait en
sorte que l'émotion nous saisit dans le détour.
En conclusion, après avoir vu tous les spectacles
de cette semaine de Festival, je peux maintenant
dire que Les girls de Clémence fut ma production
préférée de cette édition.
LUCKY LADY
de Jean-Marc Dalpé
Dans une mise en scène de Geoffrey Gaquere,
assisté de Pascale Lidji. Avec: François-Olivier
Chené, Nadia Gosselin-Kessiby, Philippe
Grégoire, Caroline Therriault et Caroline
Yergeau. Une production du Théâtre des 5 moi,
présentée le 9 juin 2006, dans le cadre du 22e
Festival montréalais de théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
C'est l'histoire de cinq personnages prisonniers
d'une situation et qui cherchent à s'en évader.
Pour Zach, il s'agit simplement de s'évader de
prison et de payer ses dettes. Bernie souhaite en
plus retrouver le droit chemin et se réconcilier
avec la mère de son enfant. Celle-ci élève seule
sa fille et est aux prises avec des menaces de
plaintes à la D.P.J. Pour la chanteuse Shirley, le
salut réside dans un disque qui, elle n'en doute
pas, la fera quitter les « bars de soûlots ». Pour
Mireille, c'est une montagne en Arizona où elle
ira se purifier auprès des grands esprits. Lucky
Lady, c'est aussi l'histoire de sept mille dollars
dus aux Hells et que les personnages mettent en
jeu, espérant ainsi changer leur destinée. En
pariant cet argent aux courses sur le cheval
nommé Lucky Lady, ils risquent de perdre le peu
qui leur reste, pour certains, la vie.
Le metteur en scène Geoffrey Gaquere a travaillé
le texte de Jean-Marc Dalpé comme une partition
musicale, c'est-à-dire en étant très attentif à la
petite musique de Dalpé, et cela a donné
d'excellents résultats en ce qui a trait au respect
de la langue propre à l'univers de Dalpé, propre à
ses personnages. Cette langue haletante,
hachurée, pleine d'anglicismes et de sacres est
éminemment poétique. Pas un mot de trop,
même pas un « ostie » de trop comme le faisait
remarquer l'un des comédiens après la
représentation. Rendre à la fois toute la violence
et la poésie du texte exige des cinq acteurs du
Théâtre des 5 moi, à l'origine membres du
Théâtre de l'Université de Montréal (T.U.M.), un
grand travail technique; par exemple, pour
projeter sans grimper dans les sons aigus, la
plupart des personnages exigeant des voix graves
et rauques, ou pour conserver une bonne diction
même avec un débit très rapide.
François-Oliver Chené fait face à une difficulté
technique supplémentaire dans son rôle de
Bernie, puisqu'il doit imposer sa présence en
demeurant assis dans une chaise roulante tout au
long de la pièce. François-Olivier a su malgré
cette contrainte donner de l'aplomb à son
personnage, grandement aidé en cela par sa belle
voix caverneuse. L'acteur a malheureusement
l'habitude d'interrompre trop brutalement sa
phrase lorsqu'il doit être coupé par son
interlocuteur, ce qui crée des centaines de
minuscules hésitations et, à la longue, fait perdre
du naturel à son interprétation.
Caroline Therriault et Philippe Grégoire font
également face à une difficulté particulière, la
majorité de leurs répliques étant adressées à un
interlocuteur invisible. Non seulement ils s'en
tirent bien dans ces numéros en solo, mais je
dirais même qu'ils y démontrent plus d'habileté
que lors des dialogues avec leurs partenaires. Les
passages où Zach (Philippe Grégoire) fait
semblant de se repentir devant son comité de
réhabilitation figurent parmi les moments les
plus comiques de la pièce. Et que dire de la
Shirley de Caroline Therriault sinon qu'elle est
cheap à souhait, à la fois drôle et attachante dans
son désespoir. Si je peux me permettre un petit
conseil à Caroline, ce serait d'essayer de détendre
la mâchoire et tout le bas du visage, même pour
jouer la colère; cela aide généralement à plonger
davantage dans l'émotion.
J'ai bien aimé comment Caroline Yergeau, qui
s'est jointe tardivement à l'équipe, a campé cette
mère exaspérée, surtout dans la scène où elle
s'identifie au personnage principal du film La
Grande évasion. Je crains cependant qu'à
descendre ainsi sa voix au plus bas elle ne se
l'abîme. Enfin, Nadia Gosselin-Kessiby,
infatigable boule d'énergie en Mireille, donne
une performance dont je n'ai rien à redire : des
cinq, elle est celle dont le personnage est le plus
crédible du début à la fin. Certes, sa Mireille
manque peut-être de nuance, elle semble taillée
tout d'un bloc, mais on peut en dire autant de
tous les personnages. Alors peut-être est-ce ce
que la pièce de Dalpé demande?
Le metteur en scène a fait preuve d'un talent
certain dans son travail sur le texte, mais aussi
dans sa mise en place. Occuper ce grand espace
noir et vide, à l'exception de quelques éléments
(chaise, table, porte-manteau) qui disparaissent
en cours de spectacle, cela n'a rien d'évident. Il a
été bien épaulé dans sa tâche par Carl Girard, à
l'éclairage : comme quoi il suffit parfois de cinq
ronds de lumière judicieusement placés pour
habiter la scène.
QUELQUES HUMAINS
de Pierre-Michel Tremblay
Dans une mise en scène de Éric Hupin. Avec :
Mathieu Lampron, Emma Bernard, Caroline
Tremblay, Philippe Desaulniers et Arnaud
Beauchamp. Une production d'Histrion,
présentée le 7 juin 2006 dans le cadre du 22e
Festival montréalais de théâtre amateur.
MARIE-ANDRÉE MORACHE
Le spectacle s'ouvre sur une scène vide et
silencieuse. Au cours de la pièce, quelques
meubles et accessoires viennent habiter l'espace,
des effets sonores viennent soutenir l'action,
mais toujours de façon discrète, de façon, donc, à
laisser le champ libre à l'acteur. En effet, la
sobriété de la production fait en sorte que le
succès de la pièce repose sur le jeu des acteurs.
Ce qui aurait pu être une entreprise casse-gueule,
si les productions Histrion n'avaient pu compter
sur une équipe de comédiens aussi solides et qui,
de toute évidence, ont été fort bien dirigés par le
metteur en scène Éric Hupin. Les cinq acteurs
qui se partagent les vingt-huit rôles de Quelques
humains ont tous joué avec naturel et simplicité,
avec un bon dosage de l'intensité, une belle
détente sur scène (ils étaient « groundés »
comme on dit), beaucoup d'aplomb et d'écoute de
l'autre. Philippe Desaulniers et Mathieu Lampron
se démarquent par leur performance : ces deux
acteurs sont parmi les plus justes et les plus
crédibles qu'il m'ait été donné de voir dans le
cadre de ce Festival.
La qualité de l'interprétation et la rareté des
artifices enrobant le spectacle mettent de l'avant
le texte de Pierre-Michel Tremblay. La pièce,
qui à sa création en 1998 a été qualifiée de «
comédie existentialiste », met en scène des
personnages contemporains tenant des propos
encore très actuels : quel est le sens de
l'existence dès lors qu'il n'y a plus rien de sacré,
ni la famille ni l'amour; que les figures d'autorité
sont destituées; qu'aucun savoir, qu'il soit d'ordre
philosophique ou psychanalytique, ni aucun
grand mythe n'est plus d'aucun secours pour
donner un sens à la vie, pour lutter contre
l'absurdité de la condition humaine? Et alors quel
héritage, quelle leçon essentielle léguer à nos
enfants? Quelles références leur donner comme
points de repère, sinon justement une parodie de
l'autorité, une banalisation des grands idéaux et
une démythification généralisée :
« Sophocle you ! ».
J'ai particulièrement apprécié les deux tableaux
« Économie » qui se répondent en écho. Comme
quoi que l'on soit dans le lounge d'un condo
bourgeois ou dans la cuisine d'un appartement du
quartier Hochelaga, que ce soient de riches
privilégiés ou des travailleurs en chômage qui
discutent, cela revient au même : le sujet de
conversation principal demeure l'argent, celui
qu'on a pas, celui dont on a jamais assez. Mais
mon moment préféré demeure cette autre scène
où un homme, plutôt cynique et désabusé,
aimerait manger tranquillement dans un parc et
en est empêché par les rencontres successives
d'une « ex » devenue bouddhiste, du disciple
d'un shaman qui se considère plus évolué
lorsqu'il imite l'oiseau, d'une marionnette à
laquelle il se voit contraint de s'adresser, et d'une
femme qui pourrait être son destin. L'homme
s'accroche à sa rationalité ironique pour réduire
toutes ces expériences au fruit du hasard, pour en
souligner le ridicule, et, en conséquence, il se
retrouve de nouveau tout seul : lucide, mais seul.
Dans chaque monologue séparant les scènes de
groupe, on retrouve un individu différent
prétendant avoir saisi une vérité cachée sur le
fonctionnement de la société et révéler un
complot profitant de l'aliénation collective (on
ignore le vrai danger de l'aspartame!). Ces
monologues ont, d'après moi, moins bien
fonctionné, parce que ces moments étaient moins
dynamiques et le jeu des acteurs moins crédible.
Cependant, ils ont donné lieu à un moment fort,
lors du tableau final, quand tous ces «
monologueurs » reviennent sur scène parler en
même temps sans s'écouter les uns les autres, le
tout au son de la radio où un animateur parle
dans le vide des gens « vides qui n'ont rien à dire
», et qu'au milieu de ce dialogue de sourds
s'élève la voix de Charlie, personnage muet
jusque-là, qui seul s'engage vraiment dans son
énonciation et dans son adresse à l'autre : « Moi
t'aime ».
À l'exception de quelques dames vivement
importunées par la fumée des cigares, lors du
troisième tableau, le public d'hier soir a bien
réagi au spectacle, par des rires francs et des
applaudissements chaleureux. À la sortie de la
représentation, des spectateurs blaguaient en
disant que les gens d'Histrion ne sauraient
remporter le prix de la scénographie décerné par
le jury du Festival. C'est fort probable, mais
gageons toutefois qu'ils seront considérés pour le
prix de l'interprétation.
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