Article original Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Étude de la relation entre l'exposition chronique à l'arsenic hydrique d'origine naturelle et la survenue de cancers en Auvergne DAMIEN MOULY1 JEAN FRANÇOIS JUSOT2 BÉNÉDICTE BÉRAT3 SARAH GORIA3 MORGANE STEMPFELET3 PASCAL BEAUDEAU3 1 InVS Cire Auvergne 60, avenue de l'Union soviétique 63057 Clermont-Ferrand cedex France <[email protected]. fr> 2 Centre de recherche médicale et sanitaire Niamey Niger <[email protected]> 3 InVS Département santé environnement 12, rue du Val D'Osne 94415 Saint Maurice cedex France <[email protected]> <[email protected]> <[email protected]. fr> <[email protected]. fr> Tirés à part : D. Mouly Mots clés : arsenic ; cancer ; eau de boisson. Abstract Study of the relation between chronic exposure to natural arsenic in drinking water and some cancers in Auvergne The International Agency for Research on Cancer has classified inorganic arsenic as carcinogenic for humans (group 1). The geologic features of Auvergne result in the presence of natural arsenic in its water. In 2001, more than 140,000 people were served by water networks in which arsenic concentrations exceeded 10 mg/L (maximum contaminant level in effect since 2003). The objective of this study was to look for a link between chronic exposure to low-level doses of arsenic in drinking water and the occurrence of some cancers. This ecological study was conducted among the population living in three districts of Auvergne. The exposure and health indicators were collected at the municipality level. The cancer sites selected for study were the skin (melanoma), kidneys, bladder and urinary tract, and lungs. A relation between cancer and exposure to arsenic in drinking water was sought by a spatial analysis applying a Poisson regression model. The results showed a significant relation between the incidence of lung cancer in men and the presence of arsenic in water intended for human consumption. No association was observed among women for any of the cancers studied, and no other associations were observed among men. Key words: arsenic; cancer; drinking water. rat B, Goria S, Stempfelet M, Beaudeau P. Etude Pour citer cet article : Mouly D, Jusot JF, Be de la relation entre l’exposition chronique a l’arsenic hydrique d’origine naturelle et la survenue de cancers en AuvergneEnviron Risque Sante 2012 ; 11 : 294-7. doi : 10.1684/ ers.2012.0548 294 Environ Risque Sante – Vol. 11, n8 4, juillet-août 2012 doi: 10.1684/ers.2012.0548 Article reçu le 12 janvier 2012, accepté le 26 avril 2012 Résumé. L'arsenic inorganique a été classé comme cancérigène pour l'homme (groupe 1) par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). L'Auvergne est une région géologiquement favorable à la présence d'arsenic hydrique. En 2001, plus de 140 000 personnes étaient desservies par des réseaux d'eau dont la teneur en arsenic était supérieure à 10 mg/L (limite de qualité en vigueur depuis 2003). L'objectif de cette étude était de rechercher une association entre la survenue de certains cancers et l'exposition chronique à l'arsenic hydrique à faibles doses. Il s'agit d'une étude de corrélation écologique réalisée dans la population résidant dans trois départements de la région Auvergne. Les indicateurs d'exposition et sanitaires ont été recueillis au niveau de la commune. Les localisations cancéreuses sélectionnées étaient le mélanome cutané, le cancer du rein, le cancer de la vessie et des voies excrétrices, le cancer du poumon. Une relation entre la survenue de cancer et l'exposition à l'arsenic hydrique a été recherchée par une analyse spatiale faisant appel à un modèle de régression de Poisson. Les résultats mettent en évidence une relation significative entre l'incidence du cancer du poumon chez l'homme et la présence d'arsenic dans l'eau destinée à la consommation humaine. Aucune association n'est observée chez les femmes pour l'ensemble des cancers étudiés ni chez l'homme pour les autres cancers sélectionnés. Etude écologique arsenic hydrique et cancers Contexte des troubles cardiovasculaires, neurologiques et hématopoïétiques, une hémolyse et une mélanose. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Origine de l'arsenic et sources d'exposition L'arsenic est un des composants naturels de l'écorce terrestre. Il est retrouvé dans l'air, les ressources en eau, les sols, les sédiments et les organismes vivants. Dans les eaux de surface ou souterraines, les concentrations en arsenic d'origine naturelle sont habituellement faibles, comprises entre 1 et 10 mg/L, mais peuvent atteindre des niveaux très élevés (entre 100 et 5 000 mg/L) comme par exemple dans certaines régions d'Inde ou du Bangladesh, mais aussi de Taiwan, du Chili, du nord du Mexique, d'Argentine. La présence d'arsenic dans l'environnement ^tre liée à des rejets industriels ou à peut également e l'utilisation de produits dans l'agriculture (pesticides herbicides, fongicides, insecticides, raticides) et pour la conservation du bois (préparations pour chrome, cuivre, arsenic [CCA]). La principale voie d'exposition pour l'homme à l'arsenic est l'ingestion d'eau de boisson ou d'aliments. Chez les enfants, l'ingestion de terre ou un contact avec du bois traité par CCA constituent les principaux modes de contamination directe. Enfin, l'inhalation de particules arséniées constitue également une voie d'exposition pour l'homme. Un premier bilan de la contamination en arsenic des eaux destinées à la consommation humaine réalisé en France métropolitaine en 1997 a identifié des installations produisant une eau ayant une teneur en arsenic supérieure à 10 mg/L dans plusieurs départements. L'Auvergne est une région particulièrement concernée du fait de son contexte géologique. En 2001, plus de 140 000 personnes étaient desservies par des réseaux d'eau dont la teneur en arsenic était supérieure à 10 mg/L. Effets sur la santé L'arsenic inorganique a été classé comme cancérigène pour l'homme (groupe 1) par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Cette classification se base sur l'induction du cancer cutané, du cancer du poumon et du cancer de la vessie. Les données épidémiologiques sur les dangers de l'arsenic sont nombreuses et concordantes pour de fortes expositions (supérieures à 100 mg/L). Elles restent encore parcellaires en ce qui concerne les expositions chroniques à faibles doses (inférieures à 50 mg/L). L'extrapolation du risque aux fortes doses vers le risque aux faibles doses à partir d'une courbe doseréponse de type linéaire n'est probablement pas adaptée au cas de l'arsenic. En dehors des effets cancérigènes, les effets à long terme de l'arsenic identifiés pour de fortes doses sont des lésions cutanées (hyperpigmentation et hyperkératose) et une maladie vasculaire périphérique appelée blackfoot disease. L'arsenic favorise aussi l'apparition du diabète. Les effets aigus de l'arsenic sur la santé sont essentiellement des symptômes gastro-intestinaux, Environ Risque Sante – Vol. 11, n8 4, juillet-août 2012 Contexte réglementaire En France, depuis 2003, la limite de qualité de l'arsenic dans l'eau destinée à la consommation humaine a été abaissée de 50 à 10 mg/L (articles 1321-1 et suivants du code de la santé publique relatifs aux eaux destinées à la consommation humaine). Étude réalisée Objectif L'objectif de cette étude était de rechercher une association entre l'exposition chronique à l'arsenic hydrique à de faibles doses (inférieures à 50 mg/L) et la survenue de cancers dans la région Auvergne sur une période qui s'étendait de 1998 à 2005 [1]. Méthode Il s'agit d'une étude de corrélation écologique réalisée dans la population âgée de 15 ans et plus et résidant dans trois départements de la région Auvergne (Allier, Puy-deDôme, Cantal). Les indicateurs d'exposition et sanitaires ont été recueillis au niveau de la commune qui constitue l'unité spatiale d'analyse. Un cas était défini comme toute personne âgée de 15 ans ou plus présentant une tumeur primitive, micro-invasive ou invasive, localisée au niveau du poumon, des voies urinaires, du rein ou de la peau, diagnostiquée entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2005, confirmée par l'histo-cytologie ou par l'obtention d'une exonération du ticket modérateur, et domiciliée dans l'Allier, le Puy-de-Dôme ou le Cantal au moment du diagnostic. Les cas d'incidents ont été recueillis à partir des données des laboratoires d'anatomo-cytopathologie et des caisses d'Assurance maladie (régime général, Mutualité sociale agricole, régime social des indépendants). L'exposition passée à l'arsenic hydrique a été estimée au niveau communal à partir des données du contrôle sanitaire réalisé par les Directions départementales des Affaires sanitaires et sociales (Ddass) (depuis le 1er avril 2010, les Ddass ont été intégrées dans les Agences régionales de santé (ARS) sous le nom de Délégations territoriales de l'ARS) et des modifications effectuées sur les réseaux d'eau. Certains facteurs de confusion ont été pris en compte : sociodémographie, découpage des territoires de santé, proximité de sites industriels et de vignes. Une relation entre la survenue de cancer et l'exposition à l'arsenic hydrique a été recherchée par une analyse spatiale faisant appel à un modèle de régression de Poisson. 295 D. Mouly, et al. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Principaux résultats L'ensemble des laboratoires d'anatomo-cytopathologie a participé au recensement des cas. Les trois régimes de l'Assurance maladie ayant participé au recensement des cas couvrent près de 80 % de la population. La base de données utilisée pour l'analyse contenait 8 932 cas de cancers dont 3 931 pour le poumon, 2 489 pour les voies urinaires, 1 376 pour le rein et 1 134 pour la peau (mélanome). Les femmes représentent 27 % des cas et les hommes 73 % (tableau 1). La moyenne des concentrations en arsenic pour les communes exposées s'élevait à 15,7 mg/L et la valeur maximum à 140,0 mg/L. Les résultats mettent en évidence une relation significative entre la survenue de cancers du poumon chez l'homme à l'échelle de la commune et la présence d'arsenic dans l'eau destinée à la consommation humaine (risque relatif = 1,20 [1,05-1,37]). Aucune association n'a été observée chez les femmes pour l'ensemble des cancers étudiés ni chez l'homme pour le mélanome cutané et le cancer des voies urinaires (tableau 2). poumon, l'association mise en évidence dans notre étude est cohérente avec des études précédentes dans lesquelles les concentrations en arsenic étaient inférieures à 100 mg/L. En revanche, bien qu'une relation entre l'exposition à l'arsenic et le cancer de la vessie et le cancer de la peau ait déjà été mise en évidence pour de fortes concentrations en arsenic, cette association n'a pas été retrouvée dans notre étude. Concernant le cancer de la peau, le choix du mélanome pour des raisons de disponibilité des données d'incidence et des données de référence, plutôt que le carcinome cutané, type histologique le plus fréquemment relié à l'arsenic y compris pour des concentrations inférieures à 100 mg/L, peut expliquer l'absence d'association. De m^ eme, pour le cancer de la vessie, les résultats de notre étude n'apportent pas d'élément supplémentaire par rapport aux études ayant mis en évidence une association pour des concentrations plus élevées (> 100 mg/L) que celles observées en Auvergne. Des biais liés à l'approche écologique et engendrant une perte de puissance statistique peuvent également expliquer l'absence d'association pour le cancer de la vessie. Discussion Conclusion L'association entre l'arsenic et le cancer est de nature causale (groupe 1, Circ 2004). Cette classification se base sur les résultats obtenus pour les localisations cancéreuses suivantes : poumon, vessie, peau. Cette association est largement documentée pour des niveaux d'exposition élevés à l'arsenic (> 100 mg/L). Les résultats des études sont en revanche plus controversés à des niveaux d'exposition plus faibles en arsenic, en raison notamment de la nécessité de prendre en compte un nombre important de sujets pour mettre en évidence un faible risque avec une puissance statistique suffisante. De ce point de vue, la taille de la population exposée dans notre étude (près de 180 000 personnes estimées comme potentiellement exposées à des niveaux supérieurs à 10 mg/L en arsenic avant les années 1990) est la plus importante parmi les études publiées. Pour le cancer du Cette étude fait partie des rares travaux cherchant et montrant une relation entre l'exposition à l'arsenic aux faibles concentrations et la survenue du cancer du poumon. Néanmoins, l'interprétation des résultats doit tenir compte de l'absence de prise en compte de certains facteurs de risque de cancer comme le tabagisme et de l'approche écologique utilisée. Il n'est notamment pas possible de transposer ce résultat au niveau de l'individu ni de quantifier la part attribuable à l'arsenic dans l'apparition du cancer du poumon. Toutefois, ces résultats sont concordants avec la littérature internationale. Par ailleurs, l'approche écologique utilisée dans cette étude présente l'avantage de pouvoir intégrer un nombre important de sujets mais augmente également le risque de biais qui ont tendance à diminuer la puissance Tableau 1. Cas de cancer observés et taux d'incidences (pour 100 000 personnes années), 1998-2005, dans les départements de l'Allier, du Cantal et du Puy-de-Dôme chez la femme et l'homme de plus de 14 ans. Table 1. Cancer cases and incidence rates observed (per 100,000 person-years), 1998-2005, in the districts of Allier, Cantal and Puy-de-Dôme in women and men older than 14 years. Localisations Mélanomes Poumon Rein Voies urinaires 296 Femme Homme Cas observés Incidence Cas observés Incidence 645 817 463 463 16,6 21,0 11,9 11,9 489 3 114 915 2 026 13,6 86,8 25,5 56,5 Environ Risque Sante – Vol. 11, n8 4, juillet-août 2012 Etude écologique arsenic hydrique et cancers Tableau 2. Résultats de la régression de Poisson multivariée (modèle avec prise en compte de la surdispersion) associée à une différence entre le percentile 90 et le percentile 5 de la concentration en arsenic. Table 2. Results of the Poisson multivariate regression (model taking overdispersion into account) associated with a difference between the 90th and the 5th percentile of the arsenic concentration. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Type de cancer Poumon chez la femme Poumon chez l'homme Mélanome chez la femme Mélanome chez l'homme Rein chez la femme Rein chez l'homme Voies urinaires chez la femme Voies urinaires chez l'homme Nombre de cas Coefficient Écart type RR IC 95 % 817 3 114 645 489 463 915 463 2 026 - 0,042 0,128 - 0,059 0,185 0,007 - 0,011 - 0,039 - 0,021 0,084 0,047 0,094 0,107 0,092 0,080 0,097 0,060 0,94 1,20 0,92 1,30 1,01 0,98 0,94 0,97 (0,74-1,19) (1,05-1,37) (0,71-1,20) (0,96-1,76) (0,78-1,30) (0,79-1,23) (0,72-1,24) (0,82-1,15) Les chiffres inscrits en gras correspondent aux relations statistiquement significatives à p < 0,05. RR : risque relatif ; IC : intervalle de confiance. Facteurs de confusion pris en compte dans l'analyse : la densité de population, l'indicateur de Townsend, l'indicateur rural/urbain, l'indicateur d'exposition aux autres industries polluantes, le pourcentage de surface viticole de la commune. Leur introduction dans le modèle a été réalisée sous forme linéaire (indicateur de Townsend, indicateur rural/urbain, indicateur d'exposition aux autres industries polluantes, pourcentage de surface viticole de la commune) ou non linéaire (densité de population). The numbers in bold type correspond to statistically significant relations (p < 0.05). RR: relative risk; IC: confidence interval. Confounding factors taken into account in the analysis: population density, Townsend indicator, rural/urban indicator, indicator of exposure to other polluting industries, and percentage of land in the municipality on which wine grapes are grown. Population density was introduced into the model in nonlinear form and the other indicators in linear form. statistique de l'étude. La perte de puissance globale due à ces biais pourrait expliquer l'absence de résultats significatifs pour le cancer de la vessie mis en évidence par ailleurs. Portée de l'étude et recommandations Plusieurs recommandations portent d'abord sur les mesures de gestion et de prévention. Les auteurs appellent à la vigilance vis-à-vis des facteurs de risque du cancer du poumon tels que l'arsenic, mais aussi le radon fortement présent dans la région et facteur de risque connu du cancer du poumon. Concernant la surveillance épidémiologique, il paraît nécessaire de développer des outils d'observation des cancers au niveau régional. Enfin, les auteurs préconisent pour le futur le recours à des études individuelles. Remerciements et autres mentions ^ ts : aucun. Financement : aucun ; conflits d'intére Référence 1. Mouly D, Jusot JF, Bérat B, Goria S, Stempfelet M, Beaudeau P. Étude de la relation entre l'exposition chronique à l'arsenic hydrique d'origine naturelle et la survenue de cancers en Auvergne. Saint-Maurice : Institut de veille sanitaire, 2011. http:// Environ Risque Sante – Vol. 11, n8 4, juillet-août 2012 www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/ Environnement-et-sante/2011/Etude-de-la-relation-entre-lexposition-chronique-a-l-arsenic-hydrique-d-origine-naturelleet-la-survenue-de-cancers-en-Auvergne. 297