Étude de la relation entre l`exposition chronique à l`arsenic hydrique

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Article original
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Étude de la relation entre l'exposition
chronique à l'arsenic hydrique
d'origine naturelle et la survenue de cancers
en Auvergne
DAMIEN MOULY1
JEAN FRANÇOIS JUSOT2
BÉNÉDICTE BÉRAT3
SARAH GORIA3
MORGANE STEMPFELET3
PASCAL BEAUDEAU3
1
InVS
Cire Auvergne
60, avenue de l'Union
soviétique
63057 Clermont-Ferrand
cedex
France
<[email protected].
fr>
2
Centre de recherche
médicale et sanitaire
Niamey
Niger
<[email protected]>
3
InVS
Département santé
environnement
12, rue du Val D'Osne
94415 Saint Maurice cedex
France
<[email protected]>
<[email protected]>
<[email protected].
fr>
<[email protected].
fr>
Tirés à part :
D. Mouly
Mots clés : arsenic ; cancer ; eau de boisson.
Abstract
Study of the relation between chronic exposure to natural arsenic in drinking
water and some cancers in Auvergne
The International Agency for Research on Cancer has classified inorganic arsenic as
carcinogenic for humans (group 1). The geologic features of Auvergne result in the
presence of natural arsenic in its water. In 2001, more than 140,000 people were served by
water networks in which arsenic concentrations exceeded 10 mg/L (maximum contaminant level in effect since 2003). The objective of this study was to look for a link between
chronic exposure to low-level doses of arsenic in drinking water and the occurrence of
some cancers. This ecological study was conducted among the population living in three
districts of Auvergne. The exposure and health indicators were collected at the
municipality level. The cancer sites selected for study were the skin (melanoma), kidneys,
bladder and urinary tract, and lungs. A relation between cancer and exposure to arsenic in
drinking water was sought by a spatial analysis applying a Poisson regression model. The
results showed a significant relation between the incidence of lung cancer in men and the
presence of arsenic in water intended for human consumption. No association was
observed among women for any of the cancers studied, and no other associations were
observed among men.
Key words: arsenic; cancer; drinking water.
rat B, Goria S, Stempfelet M, Beaudeau P. Etude
Pour citer cet article : Mouly D, Jusot JF, Be
de la relation entre l’exposition chronique a
l’arsenic hydrique d’origine naturelle et la survenue de cancers en AuvergneEnviron Risque Sante 2012 ; 11 : 294-7. doi : 10.1684/
ers.2012.0548
294
Environ Risque Sante – Vol. 11, n8 4, juillet-août 2012
doi: 10.1684/ers.2012.0548
Article reçu le 12 janvier 2012,
accepté le 26 avril 2012
Résumé. L'arsenic inorganique a été classé comme cancérigène pour l'homme (groupe 1)
par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). L'Auvergne est une région
géologiquement favorable à la présence d'arsenic hydrique. En 2001, plus de
140 000 personnes étaient desservies par des réseaux d'eau dont la teneur en arsenic
était supérieure à 10 mg/L (limite de qualité en vigueur depuis 2003). L'objectif de cette
étude était de rechercher une association entre la survenue de certains cancers et
l'exposition chronique à l'arsenic hydrique à faibles doses. Il s'agit d'une étude de
corrélation écologique réalisée dans la population résidant dans trois départements de
la région Auvergne. Les indicateurs d'exposition et sanitaires ont été recueillis au niveau
de la commune. Les localisations cancéreuses sélectionnées étaient le mélanome
cutané, le cancer du rein, le cancer de la vessie et des voies excrétrices, le cancer du
poumon. Une relation entre la survenue de cancer et l'exposition à l'arsenic hydrique a
été recherchée par une analyse spatiale faisant appel à un modèle de régression de
Poisson. Les résultats mettent en évidence une relation significative entre l'incidence du
cancer du poumon chez l'homme et la présence d'arsenic dans l'eau destinée à la
consommation humaine. Aucune association n'est observée chez les femmes pour
l'ensemble des cancers étudiés ni chez l'homme pour les autres cancers sélectionnés.
Etude écologique arsenic hydrique et cancers
Contexte
des troubles cardiovasculaires, neurologiques et hématopoïétiques, une hémolyse et une mélanose.
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Origine de l'arsenic et sources d'exposition
L'arsenic est un des composants naturels de l'écorce
terrestre. Il est retrouvé dans l'air, les ressources en eau,
les sols, les sédiments et les organismes vivants. Dans les
eaux de surface ou souterraines, les concentrations en
arsenic d'origine naturelle sont habituellement faibles,
comprises entre 1 et 10 mg/L, mais peuvent atteindre des
niveaux très élevés (entre 100 et 5 000 mg/L) comme par
exemple dans certaines régions d'Inde ou du Bangladesh,
mais aussi de Taiwan, du Chili, du nord du Mexique,
d'Argentine. La présence d'arsenic dans l'environnement
^tre liée à des rejets industriels ou à
peut également e
l'utilisation de produits dans l'agriculture (pesticides
herbicides, fongicides, insecticides, raticides) et pour la
conservation du bois (préparations pour chrome, cuivre,
arsenic [CCA]). La principale voie d'exposition pour
l'homme à l'arsenic est l'ingestion d'eau de boisson ou
d'aliments. Chez les enfants, l'ingestion de terre ou un
contact avec du bois traité par CCA constituent les
principaux modes de contamination directe. Enfin,
l'inhalation de particules arséniées constitue également
une voie d'exposition pour l'homme. Un premier bilan de
la contamination en arsenic des eaux destinées à la
consommation humaine réalisé en France métropolitaine
en 1997 a identifié des installations produisant une eau
ayant une teneur en arsenic supérieure à 10 mg/L dans
plusieurs départements. L'Auvergne est une région
particulièrement concernée du fait de son contexte
géologique. En 2001, plus de 140 000 personnes étaient
desservies par des réseaux d'eau dont la teneur en arsenic
était supérieure à 10 mg/L.
Effets sur la santé
L'arsenic inorganique a été classé comme cancérigène
pour l'homme (groupe 1) par le Centre international de
recherche sur le cancer (Circ). Cette classification se base
sur l'induction du cancer cutané, du cancer du poumon et
du cancer de la vessie. Les données épidémiologiques sur
les dangers de l'arsenic sont nombreuses et concordantes
pour de fortes expositions (supérieures à 100 mg/L). Elles
restent encore parcellaires en ce qui concerne les
expositions chroniques à faibles doses (inférieures à
50 mg/L). L'extrapolation du risque aux fortes doses vers le
risque aux faibles doses à partir d'une courbe doseréponse de type linéaire n'est probablement pas adaptée
au cas de l'arsenic. En dehors des effets cancérigènes, les
effets à long terme de l'arsenic identifiés pour de fortes
doses sont des lésions cutanées (hyperpigmentation et
hyperkératose) et une maladie vasculaire périphérique
appelée blackfoot disease. L'arsenic favorise aussi l'apparition du diabète. Les effets aigus de l'arsenic sur la santé
sont essentiellement des symptômes gastro-intestinaux,
Environ Risque Sante – Vol. 11, n8 4, juillet-août 2012
Contexte réglementaire
En France, depuis 2003, la limite de qualité de l'arsenic
dans l'eau destinée à la consommation humaine a été
abaissée de 50 à 10 mg/L (articles 1321-1 et suivants du
code de la santé publique relatifs aux eaux destinées à la
consommation humaine).
Étude réalisée
Objectif
L'objectif de cette étude était de rechercher une
association entre l'exposition chronique à l'arsenic
hydrique à de faibles doses (inférieures à 50 mg/L) et la
survenue de cancers dans la région Auvergne sur une
période qui s'étendait de 1998 à 2005 [1].
Méthode
Il s'agit d'une étude de corrélation écologique réalisée
dans la population âgée de 15 ans et plus et résidant dans
trois départements de la région Auvergne (Allier, Puy-deDôme, Cantal). Les indicateurs d'exposition et sanitaires
ont été recueillis au niveau de la commune qui constitue
l'unité spatiale d'analyse. Un cas était défini comme toute
personne âgée de 15 ans ou plus présentant une tumeur
primitive, micro-invasive ou invasive, localisée au niveau
du poumon, des voies urinaires, du rein ou de la peau,
diagnostiquée entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre
2005, confirmée par l'histo-cytologie ou par l'obtention
d'une exonération du ticket modérateur, et domiciliée
dans l'Allier, le Puy-de-Dôme ou le Cantal au moment du
diagnostic. Les cas d'incidents ont été recueillis à partir
des données des laboratoires d'anatomo-cytopathologie
et des caisses d'Assurance maladie (régime général,
Mutualité sociale agricole, régime social des indépendants). L'exposition passée à l'arsenic hydrique a été
estimée au niveau communal à partir des données du
contrôle sanitaire réalisé par les Directions départementales des Affaires sanitaires et sociales (Ddass) (depuis le
1er avril 2010, les Ddass ont été intégrées dans les Agences
régionales de santé (ARS) sous le nom de Délégations
territoriales de l'ARS) et des modifications effectuées sur
les réseaux d'eau. Certains facteurs de confusion ont été
pris en compte : sociodémographie, découpage des
territoires de santé, proximité de sites industriels et de
vignes. Une relation entre la survenue de cancer et
l'exposition à l'arsenic hydrique a été recherchée par une
analyse spatiale faisant appel à un modèle de régression
de Poisson.
295
D. Mouly, et al.
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Principaux résultats
L'ensemble des laboratoires d'anatomo-cytopathologie a participé au recensement des cas. Les trois régimes
de l'Assurance maladie ayant participé au recensement
des cas couvrent près de 80 % de la population. La base
de données utilisée pour l'analyse contenait 8 932 cas
de cancers dont 3 931 pour le poumon, 2 489 pour les
voies urinaires, 1 376 pour le rein et 1 134 pour la peau
(mélanome). Les femmes représentent 27 % des cas et les
hommes 73 % (tableau 1).
La moyenne des concentrations en arsenic pour les
communes exposées s'élevait à 15,7 mg/L et la valeur
maximum à 140,0 mg/L. Les résultats mettent en évidence
une relation significative entre la survenue de cancers du
poumon chez l'homme à l'échelle de la commune et la
présence d'arsenic dans l'eau destinée à la consommation
humaine (risque relatif = 1,20 [1,05-1,37]). Aucune association n'a été observée chez les femmes pour l'ensemble
des cancers étudiés ni chez l'homme pour le mélanome
cutané et le cancer des voies urinaires (tableau 2).
poumon, l'association mise en évidence dans notre
étude est cohérente avec des études précédentes dans
lesquelles les concentrations en arsenic étaient inférieures à 100 mg/L. En revanche, bien qu'une relation entre
l'exposition à l'arsenic et le cancer de la vessie et le cancer
de la peau ait déjà été mise en évidence pour de fortes
concentrations en arsenic, cette association n'a pas été
retrouvée dans notre étude. Concernant le cancer de la
peau, le choix du mélanome pour des raisons de
disponibilité des données d'incidence et des données
de référence, plutôt que le carcinome cutané, type
histologique le plus fréquemment relié à l'arsenic y
compris pour des concentrations inférieures à 100 mg/L,
peut expliquer l'absence d'association. De m^
eme, pour
le cancer de la vessie, les résultats de notre étude
n'apportent pas d'élément supplémentaire par rapport
aux études ayant mis en évidence une association pour
des concentrations plus élevées (> 100 mg/L) que celles
observées en Auvergne. Des biais liés à l'approche
écologique et engendrant une perte de puissance
statistique peuvent également expliquer l'absence d'association pour le cancer de la vessie.
Discussion
Conclusion
L'association entre l'arsenic et le cancer est de nature
causale (groupe 1, Circ 2004). Cette classification se base
sur les résultats obtenus pour les localisations cancéreuses suivantes : poumon, vessie, peau.
Cette association est largement documentée pour des
niveaux d'exposition élevés à l'arsenic (> 100 mg/L). Les
résultats des études sont en revanche plus controversés à
des niveaux d'exposition plus faibles en arsenic, en raison
notamment de la nécessité de prendre en compte un
nombre important de sujets pour mettre en évidence un
faible risque avec une puissance statistique suffisante. De
ce point de vue, la taille de la population exposée dans
notre étude (près de 180 000 personnes estimées comme
potentiellement exposées à des niveaux supérieurs à
10 mg/L en arsenic avant les années 1990) est la plus
importante parmi les études publiées. Pour le cancer du
Cette étude fait partie des rares travaux cherchant et
montrant une relation entre l'exposition à l'arsenic aux
faibles concentrations et la survenue du cancer du
poumon. Néanmoins, l'interprétation des résultats doit
tenir compte de l'absence de prise en compte de certains
facteurs de risque de cancer comme le tabagisme et de
l'approche écologique utilisée. Il n'est notamment pas
possible de transposer ce résultat au niveau de l'individu
ni de quantifier la part attribuable à l'arsenic dans
l'apparition du cancer du poumon. Toutefois, ces résultats
sont concordants avec la littérature internationale. Par
ailleurs, l'approche écologique utilisée dans cette étude
présente l'avantage de pouvoir intégrer un nombre
important de sujets mais augmente également le risque
de biais qui ont tendance à diminuer la puissance
Tableau 1. Cas de cancer observés et taux d'incidences (pour 100 000 personnes années), 1998-2005, dans les
départements de l'Allier, du Cantal et du Puy-de-Dôme chez la femme et l'homme de plus de 14 ans.
Table 1. Cancer cases and incidence rates observed (per 100,000 person-years), 1998-2005, in the districts of Allier,
Cantal and Puy-de-Dôme in women and men older than 14 years.
Localisations
Mélanomes
Poumon
Rein
Voies urinaires
296
Femme
Homme
Cas observés
Incidence
Cas observés
Incidence
645
817
463
463
16,6
21,0
11,9
11,9
489
3 114
915
2 026
13,6
86,8
25,5
56,5
Environ Risque Sante – Vol. 11, n8 4, juillet-août 2012
Etude écologique arsenic hydrique et cancers
Tableau 2. Résultats de la régression de Poisson multivariée (modèle avec prise en compte de la surdispersion)
associée à une différence entre le percentile 90 et le percentile 5 de la concentration en arsenic.
Table 2. Results of the Poisson multivariate regression (model taking overdispersion into account) associated with a
difference between the 90th and the 5th percentile of the arsenic concentration.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Type de cancer
Poumon chez la femme
Poumon chez l'homme
Mélanome chez la femme
Mélanome chez l'homme
Rein chez la femme
Rein chez l'homme
Voies urinaires chez la femme
Voies urinaires chez l'homme
Nombre de cas
Coefficient
Écart type
RR
IC 95 %
817
3 114
645
489
463
915
463
2 026
- 0,042
0,128
- 0,059
0,185
0,007
- 0,011
- 0,039
- 0,021
0,084
0,047
0,094
0,107
0,092
0,080
0,097
0,060
0,94
1,20
0,92
1,30
1,01
0,98
0,94
0,97
(0,74-1,19)
(1,05-1,37)
(0,71-1,20)
(0,96-1,76)
(0,78-1,30)
(0,79-1,23)
(0,72-1,24)
(0,82-1,15)
Les chiffres inscrits en gras correspondent aux relations statistiquement significatives à p < 0,05. RR : risque relatif ; IC : intervalle de confiance.
Facteurs de confusion pris en compte dans l'analyse : la densité de population, l'indicateur de Townsend, l'indicateur rural/urbain, l'indicateur d'exposition
aux autres industries polluantes, le pourcentage de surface viticole de la commune. Leur introduction dans le modèle a été réalisée sous forme linéaire
(indicateur de Townsend, indicateur rural/urbain, indicateur d'exposition aux autres industries polluantes, pourcentage de surface viticole de la commune)
ou non linéaire (densité de population).
The numbers in bold type correspond to statistically significant relations (p < 0.05). RR: relative risk; IC: confidence interval.
Confounding factors taken into account in the analysis: population density, Townsend indicator, rural/urban indicator, indicator of exposure to other
polluting industries, and percentage of land in the municipality on which wine grapes are grown. Population density was introduced into the model in
nonlinear form and the other indicators in linear form.
statistique de l'étude. La perte de puissance globale due à
ces biais pourrait expliquer l'absence de résultats
significatifs pour le cancer de la vessie mis en évidence
par ailleurs.
Portée de l'étude et recommandations
Plusieurs recommandations portent d'abord sur les
mesures de gestion et de prévention. Les auteurs
appellent à la vigilance vis-à-vis des facteurs de risque
du cancer du poumon tels que l'arsenic, mais aussi le
radon fortement présent dans la région et facteur de
risque connu du cancer du poumon. Concernant la
surveillance épidémiologique, il paraît nécessaire de
développer des outils d'observation des cancers au
niveau régional. Enfin, les auteurs préconisent pour le
futur le recours à des études individuelles.
Remerciements et autres mentions
^ ts : aucun.
Financement : aucun ; conflits d'intére
Référence
1. Mouly D, Jusot JF, Bérat B, Goria S, Stempfelet M, Beaudeau P.
Étude de la relation entre l'exposition chronique à l'arsenic
hydrique d'origine naturelle et la survenue de cancers en
Auvergne. Saint-Maurice : Institut de veille sanitaire, 2011. http://
Environ Risque Sante – Vol. 11, n8 4, juillet-août 2012
www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/
Environnement-et-sante/2011/Etude-de-la-relation-entre-lexposition-chronique-a-l-arsenic-hydrique-d-origine-naturelleet-la-survenue-de-cancers-en-Auvergne.
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