Nouvelle avancée pour le diagnostic et le traitement de l’œil sec : « Lipiview® & Lipiflow®» La sécheresse oculaire est un motif récurrent de consultation dans notre quotidien et constitue le plus souvent une des raisons d’intolérance de port de lentilles chez les patients demandeurs de chirurgie réfractive. Au-delà du traitement apporté, le diagnostic de l’œil sec reste une étape clé. Les tests traditionnels comportent des limites sur lesquelles certains industriels se sont appuyés pour mettre au point des dispositifs plus sophistiqués qui se basent sur des technologies de dernière génération. Les système Lipiview ®et Lipiflow® en sont d’excellents exemples. Outre le dispositif de diagnostic Lipiview®, la société TearScience ®(Etats-Unis, North Carolina) offre un dispositif de traitement Lipiflow ®selon un protocole précis et méthodique. Les résultats diagnostiques et thérapeutiques sont trèsprometteurs. La sécheresse oculaire La sécheresse oculaire est définie par « l’International Dry Eye Workshop » (DEWS, 2007) comme une « maladie multifactorielle des larmes et de la surface oculaire . Elle provoque une instabilité du film lacrymal pouvant entraîner des lésions de la surface oculaire. Elle est accompagnée d’une augmentation de l’osmolarité (concentration en solutés) du film lacrymal et d’une inflammation de la surface oculaire ». La sécheresse oculaire se manifeste sur le plan fonctionnel par une sensation de corps étranger, de brûlures, de picotements, d’irritation, de troubles de la vision, de fatigue oculaire, de photophobie avec souvent un larmoiement réflexe paradoxal. La sécheresse oculaire peut devenir très douloureuse et être un vrai handicap. L’œil sec reste la première cause d’intolérance aux lentilles de contact et 50% des patients porteurs de lentilles de contact déclarent avoir les yeux secs alors que cette prévalence n’est que de 20% chez les non-porteurs de lentilles. La prévalence de l’œil sec serait de 9 % chez les patients après 40 ans et de 15% après 65 ans. Le pourcentage de patients traités augmente en raison du vieillissement de la population. La prévalence de cette pathologie augmente avec l’âge. Elle est de plus en plus fréquente. Composition du film lacrymal : quelques rappels Le film lacrymal, dans son état naturel ou basal (non stimulé), est transparent, incolore, a un volume d’environ 7 µl et une épaisseur de 7 µm. La structure est composée d’une couche lipidique superficielle qui lubrifie et prévient l’évaporation, d’une phase intermédiaire aqueuse plus épaisse qui nourrit et protège la cornée et d’une couche mucinique adjacente au glycocalyx, qui protège l’épithélium cornéen hydrophobe en permettant aux larmes d’adhérer à la surface oculaire. Etiologies de la sécheresse oculaire Le rapport de 2007 du DEWS établit que l’œil sec est une maladie multifactorielle pouvant être classée en deux groupes étiologiques principaux : l’œil sec par déficience de la fraction aqueuse et l’œil sec par évaporation (déficit de la couche mucinique ou anomalie de la composante lipidique). L’œil sec par déficience aqueuse comprend tant le syndrome de Sjögren que les causes non-Sjögren de dysfonctionnement des glandes lacrymales (atteinte neurologique, cause médicamenteuse, obsctruction de l’évacuation du canal de la glande lacrymale..). L’œil sec par évaporation est divisé en causes intrinsèques et extrinsèques, les facteurs intrinsèques incluant un dysfonctionnement des glandes de Meibomius (MGD), les anomalies des paupières, les troubles de l’occlusion palpébrale et les insuffisances du clignement, tandis que les facteurs extrinsèques comprennent le port de lentilles de contact, les affections de la surface oculaire au premier rang desquels se place l’allergie ainsi que l’instillation de certains collyres. L’œil sec par déficience aqueuse survient lorsque les glandes lacrymales principales ou accessoires sont altérées. L’œil sec par évaporation, quant à lui, survient lorsque les glandes de Meibomius sont défectueuses, lorsque la surface oculaire est irrégulière, lorsque la structure des paupières est anormale ou lorsque des lentilles de contact sont portées. Les lentilles de contact induisent la sécheresse oculaire par la perturbation de la couche lipidique, l’amincissement du film lacrymal, le dessèchement cornéen suite à la déshydratation de la lentille, le changement de structure des paupières et/ou une altération du clignement. Toutes les lentilles de contact perturbent plus ou moins la structure du film lacrymal. Les patients ayant une surface oculaire et un film lacrymal sains avant l’adaptation de lentilles de contact peuvent supporter cette perturbation, mais les personnes ayant un système lacrymal fragile sont plus enclines à signaler une sensation d’œil sec lors du port de lentilles de contact. Les yeux secs par déficience aqueuse et les yeux secs par évaporation peuvent coexister, mais il est important d’établir la cause la plus probable par un contrôle approfondi, afin de traiter le plus efficacement possible la sécheresse oculaire. Evaluation en pratique clinique L’évaluation objective du film lacrymal et de la surface oculaire peut être subdivisée en quatre secteurs principaux. Lors d’un examen approfondi de l’œil sec, il est important d’évaluer les quatre secteurs, en effectuant au moins un test par secteur. Qualité du film lacrymal Tant pour l’œil sec par déficience aqueuse que pour l’œil sec par évaporation, la stabilité du film lacrymal est réduite tandis que son osmolarité est augmentée. Des tests de stabilité non invasifs effectués sans toucher le film lacrymal ni la surface oculaire, sont effectués à l’aide des mires de certains instruments ophtalmiques. Ces mires sont reflétées dans le film lacrymal. Le laps de temps entre un clignement et le premier signe de déformation ou bris des mires, le patient ne clignant pas, correspond au temps d’amincissement du film lacrymal. Un test à la fluorescéine permet également d’analyser la stabilité du film lacrymal . On considère en général que la limite entre un œil sain et un œil sec est indiquée par un temps d’amincissement du film lacrymal supérieur à 20 secondes pour un test non invasif. et supérieur à 10 secondes pour un test B.U.T. traditionnel à la fluorescéine. Quantité lacrymale Une quantité significative d’information au sujet de la quantité lacrymale peut être simplement obtenue en observant la hauteur des prismes lacrymaux inférieurs et supérieurs au moyen d’un biomicroscope à lampe à fente. Une hauteur inférieure à 0,2 mm indique une quantité de liquide lacrymal réduite. L’observation du profil du prisme lacrymal est également très utile. Un prisme lacrymal régulier est plus souvent observé dans un oeil sain, tandis qu’un prisme avec un bord dentelé est souvent associé à de la sécheresse oculaire Evaluation des paupières, des cils et de la couche lipidique L’observation du clignement et un examen approfondi à la lampe à fente des paupières et des cils peuvent indiquer des anomalies associées à un œil sec par évaporation. On recherchera particulièrement des signes de blépharite, une inflammation du bord libre des paupières un épaississement ou une irrégularité de la paupière, une éventuelle malposition des paupières (entropion). La fréquence et la qualité du clignement doit être noté de même que la texture et la quantité de la sécrétion méibomienne à la compression des glandes. Surface oculaire L’hyperémie de la conjonctive bulbaire et palpébrale doit être recherchée. L’approche Tear Science : Une nouvelle approche diagnostique et thérapeutique L’approche diagnostique recherche surtout un dysfonctionnement des glandes de Meibomius responsable d’un déficit de la couche lipidique des larmes. De nombreuses et différentes anomalies des glandes de Meibomius, dans lesquelles l’obstruction des glandes peut être partielle ou totale, sont regroupées sous le terme de « DGM ». Il semble pourtant que la forme la plus fréquente de DGM soit celle où les signes cliniques d’inflammation et autres soient absents sauf si l’on utilise des techniques spéciales d’examen. Pour différencier cette forme plus discrète de pathologie, un nouveau terme est utilisé : « non obvious meibomian gland dysfonction ou NOMGD », précurseur de la forme plus grave de la maladie appelée « obvious meibomian gland dysfonction (OMGD) ». L’approche diagnostique comprend 3 étapes a. Un questionnaire Patient (SPEED : Standard Patient Evaluation of Eye Dryness) décrivant la symptomatologie ressentie (Sécheresse, sensation de grains de sable ou démangeaison, sensation de douleur, Sensation de brûlure ou de larmoiement, fatigue oculaire) , sa fréquence, sa sévérité. Le score maximum pouvant être obtenu est de 28. Les catégories sont définies ainsi : SPEED = 0 pas de symptômes SPEED entre 1 et 9 symptômes légers à modérés SPEED ≥ 10 Symptômes sévères b. L’analyse de la qualité du film lacrymal basée sur l’interférométrie de surface oculaire : le LipiView®. ( fig 2 a)C’est un appareil d’imagerie ophtalmique qui capture, archive et stocke des images numériques d’observations du film lacrymal. Il s’agit d’un examen non invasif qui peut être réalisé en moins de 5 minutes. L’épaisseur du film lacrymal peut être observée distinctement sous la forme d’une gamme de couleurs qui se reflètent lorsqu’une source de lumière est dirigée sur la surface antérieure de l’œil. Cet examen permet l’estimation de l’épaisseur de la couche lipidique et sa qualité grâce à l’observation de sa trame des lipides en éclairage spéculaire. (fig 2b-c) Cet appareil utilise l’interférométrie avancée pour capturer des images du film lacrymal et en mesurer l’épaisseur de la couche lipidique. Fig 3 Fig 2a Lipiview® Dispositif d’acquisition Fig 2b Lipiview® Visualisation de la couche lipidique Fig 2c Lipiview® Visualisation colorimétrique de la couche lipidique Fig 3 Comparaison entre un film lipidique d’épaisseur normale à gauche et insuffisante à droite L’examen étant dynamique et l’analyse se faisant par vidéo l’étirement du film lacrymal sur la surface cornéenne après chaque clignement est également analysé. Cet appareil a enfin l’avantage de pouvoir de restituer image par image le film du clignement palpébral. Le rythme normal du clignement doit être régulier, environ un clignement toutes les cinq à six secondes (ou dix à douze clignements par minute). Des clignements incomplets sont souvent observés chez les porteurs de lentilles de contact. Lorsque la couche lipidique est anormale ou invisible, le taux d’évaporation du film lacrymal augmente d’un facteur quatre. Les patients ayant une couche lipidique plus mince doivent cligner plus fréquemment pour renouveler le film lipidique et ainsi prévenir d'un dessèchement cornéen. c. L’évaluation de la sécrétion des glandes de Meibomius (MGE : Meibomius glands evaluation) complète le diagnostic. Cette étape a été standardisée grâce à l’utilisation d’un nouvel instrument qui permet d’appliquer une pression constante au niveau du bord libre en regard de 5 glandes Meibomiennes. L’expression des glandes est ainsi analysée en nasal, au centre et en temporal de chaque paupière inférieure. (Fig 4 ) La sécrétion Meibomienne est normalement fluide et transparente. Selon la sévérité du dysfonctionnement des glandes de Meibomius elle peut être fluide graisseuse, légèrement trouble ou opaque, épaisse, semi-solide (texture de dentifrice) ou cireuse témoignant d’un blocage complet. Fig 4 a MGE Analyse de la sécrétion des glandes de Meibomius en clinique ©JV Greiner (traduit en français par C. Albou Ganem) Fig 4 – b : MGE Analyse de la sécrétion des glandes de Meibomius : représentation schématique L’approche thérapeutique Lipiflow® Différents traitements ont été et sont encore utilisés comme l’application de compresses chaudes, la pression physique pour enlever l’obstruction, l’administration de chaleur, l’utilisation d’exfoliants pour éliminer le blocage de l’orifice des glandes de Meibomius, un traitement médicamenteux pour atténuer l’infection et l’inflammation Malheureusement ces traitements sont contraignants, d’efficacité parfois limitée et leur observance est très insuffisante. Le système de pulsation thermique LipiFlow® constitue une évolution technologique importante, et les patients qui ont suivi ce traitement ressentent un soulagement de leurs symptômes dès les premiers jours de traitement. Le fonctionnement de l’appareil LipiFlow® Le Lipiflow®utilise une technologie et des composants perfectionnés pour contrôler la chaleur appliquée sur la surface interne des paupières et effectuer des massages intermittents de la surface externe des paupières afin de faciliter la production lipidique des glandes de Meibomius kystiques. Le dispositif comprend 2 parties. Un œilleton externe ( Eye Cup) en contact avec les paupières supérieures et inférieures . Il contient une poche souple et flexible qui se gonfle d’air par intermittence et effectue un massage contrôlé des paupières. Une partie interne ( Lid warmer) ressemblant à un large verre scléral de 24 mm de diamètre, dont la périphérie repose sur la conjonctive bulbaire, qui se moule sur la face interne des paupières tout en restant à distance de la cornée. La chaleur émise par cette partie est de 42,5° ce qui permet de faire fondre la matière obstruant les glandes par l’intérieur, sans endommager les glandes elles-mêmes. ( Fig 5 a-b). Fig 5 – a Le disposable du Lipiflow® Fig 5-b : Coupe schématique représentant l’action du Lipiflow® en pratique ©JV Greiner/TearScience ® Fig 6 Le Lipiflow® en clinique Il permet de traiter simultanément les glandes des paupières inférieures et supérieures. La procédure dure environ 12 minutes et est effectuée au cabinet du médecin. Le traitement n’est ni douloureux ni désagréable. (Fig 6) Il entraine une hyperhémie conjonctivale modérée de quelques heures. Les résultats cliniques Les résultats de plusieurs études confirment la sécurité d’emploi et l’efficacité du Lipiflow® dans le traitement de patients présentant un DGM et des symptômes de sécheresse oculaire, avec une amélioration de la symptomatologie et de l’évaluation des glandes de Meibomius ( MGE) Conclusion Le film lacrymal est une structure complexe et tous les aspects de sa physiologie sont interdépendants. Il existe de nombreuses méthodes d’évaluation de la structure et des propriétés de ce film hautement dynamique, un grand nombre de ces méthodes peuvent être utilisées dans un environnement clinique. Toutefois, dans certains cas, la procédure du test peut influencer le paramètre examiné, en induisant un larmoiement réflexe. L’objectif a donc été de développer des méthodes non-invasives, afin d’examiner le film lacrymal. De cette manière, l’état du film lacrymal peut être évalué le plus près possible de son état « physiologique ». C’est le cas de l’approche diagnostique Lipiview®. L’approche thérapeutique par le Lipiflow® semble avoir prouvé son efficacité dans le traitement de la sécheresse oculaire par dysfonctionnement des glandes de Meibomius en permettant une nette amélioration du confort et une diminution de la dépendance aux collyres lubrifiants.