Bactéries multirésistantes, bactéries hautement résistantes

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dossier
Les bactéries multi- ou hautement résistantes
mise au point
Bactéries multirésistantes,
bactéries hautement résistantes
émergentes : maîtriser le risque
CLÉMENT LEGEAY
Assistant spécialiste des
hôpitaux
NADIA LE QUILLIEC
Infirmière
JEAN-RALPH ZAHAR*
Chef de département
Unité de prévention et de
lutte contre les infections
nosocomiales (Uplin),
CHU d’Angers, 4, rue Larrey,
49100 Angers, France
z Le problème de la résistance aux antibiotiques est aujourd’hui omniprésent à l’hôpital, mais
également en institution communautaire z La progression de ce phénomène fait peser la menace
d’une impasse thérapeutique dans de nombreuses infections z Pour maîtriser les épidémies à
bactéries multirésistantes (BMR) ou hautement résistantes émergentes (BHRe), il est impératif de
mettre en œuvre les recommandations du Haut Comité de santé publique, mais aussi d’avoir des
comportements d’hygiène simples et systématiques au contact de tous les patients et résidents.
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Mots clés – bactérie hautement résistante ; bactérie multirésistante ; hygiène des mains ; risque ; transmission
L
e problème des bactéries résistantes aux antibiotiques est mondial et en constante progression. Les déplacements de population, la
promiscuité, l’absence de système de traitement
des eaux usées, ont favorisé l’émergence de ces
résistances et leur diffusion [1].
Le milieu hospitalier, en réunissant une proximité entre des patients fragilisés, un usage des
antibiotiques, une charge en soin importante et
de nombreux intervenants, constitue l’épicentre
de la diffusion des bactéries résistantes aux antibiotiques.
DÉFINITIONS
z Les bactéries multirésistantes (BMR) ont
acquis de multiples mécanismes de résistance
comparativement à la même espèce retrouvée à
l’état sauvage. Ces BMR restent sensibles à
quelques antibiotiques.
En France, deux espèces sont concernées : le Staphylococcus aureus 1 résistant à la méticilline 2
(SARM) et les entérobactéries productrices de bêtalactamase3 à spectre4 élargi (EBLSE) (tableau 1).
Si les spécialistes français ont limité les programmes de lutte aux deux espèces précitées, cela
se justifie par leur caractère commensal, leur fréquence, la fréquence des infections et surtout les
conséquences individuelles (mortalité) et collectives (diffusion de la résistance, surconsommation
d’antibiotiques) dont elles sont responsables [2].
z Les bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe) sont des bactéries du tube digestif, encore rares en France, qui sont résistantes à
tous les antibiotiques ou presque. La rareté du
phénomène, la fréquence des infections et leurs
TABLEAU 1. Comparaison des différentes BMR et BHRe.
SARM
EBLSE
BHRe
Réservoir
Humain (nez)
Humain (tube digestif)
Humain (tube digestif)
Identification
des porteurs
Facile, score clinique
Impossible
Hospitalisation à l’étranger
Épidémies régionales
Mode de transmission
Manuportée
Manuportée
Manuportée
Quantités excrétées
Faibles
Massives (excreta +++)
Massives (excreta +++)
Situation en France
Épidémique
Endémique
Épidémique
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail :
[email protected]
(J-R. Zahar).
8
BMR : bactérie multirésistante ; SARM : staphylocoque doré résistant à la méticilline ; EBLSE : entérobactérie productrice de bêtalactamase à spectre élargi ; BHRe :
bactérie hautement résistante émergente.
Source : CHU d’Angers
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http://dx.doi.org/10.1016/j.sasoi.2015.06.002
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SOiNS AIDES-SOIGNANTES - no 65 - juillet/août 2015
dossier
Les bactéries multi- ou hautement résistantes
conséquences (absence d’antibiotiques efficaces)
expliquent les recommandations nationales mises
en place [3].
Ces bactéries sont déjà très répandues dans divers
pays étrangers, comme dans le Sud-Est asiatique,
le Proche et Moyen-Orient et l’Afrique, et plus
récemment, des pays proches de nous sont endémiques comme les pays du Maghreb, la Grèce ou
encore l’Italie [4]. Plusieurs épidémies régionales
ont lieu en France [2]. Face à cette menace,
encore rare dans notre pays, des mesures d’isolement, de suivi des transferts et de dépistages sont
recommandées et justifiées.
MODE DE TRANSMISSION
ET CONSÉQUENCES
z Les mains sont les vecteurs essentiels des
bactéries, et particulièrement des BMR et BHRe.
L’acquisition se fait de façon directe (directement
à partir du patient) ou indirecte (à partir de l’environnement du patient). Les principales bactéries contre lesquelles nous luttons (EBLSE,
BHRe) ont comme réservoir le tube digestif
(nous excrétons plus d’un milliard de bactéries
par jour dans nos selles).
z Certains soins sont donc particulièrement à
risque. En effet, les soins incluant le périnée (toilette, pansements, autres), la gestion de la sonde
urinaire et la gestion des excreta nécessitent de
redoubler de vigilance. D’autres soins exposent
eux aussi à l’acquisition de ce type de bactéries
telles la gestion des plaies et pansements et la gestion des cathéters.
Lexique
• Commensal : qui est naturellement présent dans
l’organisme sans provoquer de maladie.
• Endémie : persistance d’une maladie dans une
région géographique donnée.
• Excreta : substances rejetées hors de l’organisme,
constituées de déchets de la nutrition et du
métabolisme (selles, urines, vomissements).
• Manuportage : transmission de germes d’un
individu à un autre par l’intermédiaire des mains.
• Observance de l’hygiène des mains (HDM) :
réalisation d’une hygiène des mains, chaque fois
qu’elle est nécessaire.
• Patient porteur : patient colonisé par une bactérie
résistante avec un risque de transmission secondaire.
• Rupture de procédure de soins : interruption
pendant la réalisation d’un soin.
COMMENT MAÎTRISER LE PHÉNOMÈNE ?
z Les moyens de maîtrise des risques infectieux existent et sont à notre portée. La France
a réussi à maîtriser la diffusion des SARM [2]. Cela
a nécessité la mise en place de politiques d’identification et d’isolement des patients porteurs
ou infectés, ainsi qu’une amélioration de l’observance de l’hygiène des mains grâce à l’introduction des solutions hydro-alcooliques (annexe A).
z Toutefois, les efforts effectués restent insuffisants pour maîtriser le phénomène lié aux bactéries du tube digestif. En effet, pour les EBLSE et
les BHRe, du fait des quantités importantes excrétées par les patients porteurs ou infectés, leur maîtrise nécessite un niveau de respect des précautions
standard, et notamment une observance de l’hygiène des mains qui doit dépasser les 80 %.
z Le manuportage joue un rôle crucial dans la
transmission croisée ; c’est pourquoi il est primordial, au cours des soins, de respecter une
hygiène des mains selon les cinq indications de
l’Organisation mondiale de la santé [5] : avant de
toucher le patient, avant un geste aseptique, après
un risque d’exposition à un liquide biologique,
après avoir touché un patient, après avoir touché
l’environnement du patient (figure 1).
z La diffusion en ville du phénomène et la difficulté d’identifier les patients porteurs sont les
deux raisons pour lesquelles il est important de
mieux observer les précautions standard, quel
que soit le type de patient pris en charge et quel
que soit le type de soin. Il est évident que certaines
situations nécessitent de faire plus [3].
QUE FAUT-IL FAIRE EN PRATIQUE ?
Risques liés aux soins
z Face à une charge en soins qui ne cesse de
croître, l’aide-soignant est amené à réaliser des
soins complexes avec une durée de contact longue et un risque élevé de contamination des
mains, donc de transmission secondaire. En effet,
réaliser une toilette au lit chez un patient présentant des plaies, des dispositifs médicaux invasifs
(sonde urinaire, voie veineuse ou sous-cutanée,
etc.) auxquels peut s’ajouter une incontinence
urinaire et/ou fécale, sont des situations à haut
risque de contamination. De plus, si des aléas
de type “rupture de procédure” viennent perturber les soins, le risque de ne pas réaliser une
hygiène des mains adéquate (bon moment et
de manière efficiente) est un facteur de risque
de transmission.
SOiNS AIDES-SOIGNANTES - no 65 - juillet/août 2015
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NOTES
1
Staphylocoques dorés.
Antibiotique du genre des
β-lactamines.
3
Enzymes sécrétées par
les bactéries qui dégradent
les antibiotiques du genre
β-lactamines.
4
Ensemble d’espèces de
bactéries sensibles à un
antibiotique ; plus le spectre est
large, plus le nombre d’espèces
contre lesquelles l’antibiotique
est réputé efficace est important.
2
RÉFÉRENCES
[1] Organisation mondiale
de la santé. Premier rapport
de l’OMS sur la résistance aux
antibiotiques : une menace grave
d’ampleur mondiale. Avril 2014.
www.who.int/mediacentre/news/
releases/2014/amr-report/fr
[2] Arnaud I, Jarlier V, groupe de
travail BMR-Raisin. Surveillance
des bactéries multirésistantes
dans les établissements de santé
en France. Réseau BMR-RAISIN.
Données 2012. Saint-Maurice:
Institut de veille sanitaire; 2014.
www.invs.sante.fr/Publicationset-outils/Rapports-et-syntheses/
Maladies-infectieuses/2014/
Surveillance-des-bacteriesmultiresistantes-dans-lesetablissements-de-sante-francais
[3] Haut Conseil de la santé
publique (HCSP). Prévention
de la transmission croisée
des “Bactéries Hautement
Résistantes aux antibiotiques
émergentes” (BHRe). Juillet
2013. www.hcsp.fr/explore.cgi/
avisrapportsdomaine?clefr=372
[4] Nordmann P.
Carbapenemase-producing
Enterobacteriaceae: overview of
a major public health challenge.
Med Mal Infect. 2014; 44(2): 51-6.
[5] Organisation mondiale de
la santé. Les 5 indications de
l’hygiène des mains. Mai 2009.
www.who.int/gpsc/5may/
tools/workplace_reminders/
affiche_5indications_hygiene_
mains.pdf
9
dossier
© OMS
Les bactéries multi- ou hautement résistantes
Figure 1. Les 5 indications de l’hygiène des mains de l’OMS.
RÉFÉRENCES
[6] Société française
d’hygiène hospitalière (SF2H).
Recommandations pour
l’hygiène des mains. Hygiènes.
2009; XVII(3): 165-77.
www.sf2h.net/publicationsSF2H/SF2H_recommandations_
hygiene-des-mains-2009.pdf
[7] Organisation mondiale de
la santé. Usage des gants : fiche
d’information. Avril 2010.
www.who.int/gpsc/5may/tools/
training_education/slcyh_usage_
des_gants_fr.pdf
ANNEXES A, B.
MATÉRIEL
COMPLÉMENTAIRE Le matériel complémentaire
(Annexes A et B)
accompagnant la version
en ligne de cet article est
disponible sur http://10.1016/j.
sasoi.2015.06.002.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent
ne pas avoir de conflits
d’intérêts en relation avec
cet article.
z Seul le respect de l’hygiène des mains permet de réduire le risque. Cela consiste en l’utilisation des solutions hydroalcooliques en quantité
suffisante (3 mL), en respectant une durée de
friction de 30 secondes. Ce doit être le dernier
geste effectué avant de réaliser le soin du malade
et immédiatement après le soin. La friction est
réalisée sur des mains macroscopiquement propres
(pas de salissures, pas de matières), nues (sans
bijoux), avec des ongles courts et sans vernis [6].
z Le port de gants ne permet pas de protéger
de la contamination, d’autant qu’il est fréquemment associé à une moindre observance de l’hygiène des mains. Son indication réside en le port
systématique en cas de contact avec les liquides
biologiques (muqueuse, peau lésée, urines ou
sonde urinaire, gestion du bassin ou de l’urinal).
Il nécessite une hygiène des mains avant et après
le port.
Il est important de souligner qu’une paire de
gants correspond à un geste de soin, et qu’elle
doit être systématiquement changée entre deux
soins : un geste ou un soin = une paire de gant +
une hygiène des mains par friction avec un produit hydroalcoolique [7].
z Peu de situations nécessitent le port d’un
tablier ou d’une protection de la tenue de soin.
Elles sont limitées aux soins mouillants ou salissants.
Cette situation met le soignant au contact du
principal réservoir bactérien. Elle nécessite une
rigueur incluant non seulement une protection
de la tenue, mais aussi l’entretien du matériel.
Dans ce cas précis, l’utilisation des douchettes
pour entretenir les bassins est proscrite car ces dernières exposent à une aérosolisation des bactéries.
Seule l’utilisation d’un lave-bassin permet de limiter
la contamination de l’environnement. En l’absence
de lave-bassin, la manipulation des excreta se fera
de façon rigoureuse, en protégeant sa tenue avec un
tablier à usage unique, et en portant des gants de
soins à usage unique (après une friction hydroalcoolique). L’évacuation du contenu du bassin se fera
dans le cabinet de toilette du patient avant de réaliser un entretien par “trempage”.
z Au regard du risque environnemental, le bionettoyage devient une mission à part entière qui
se doit d’être respectée. En effet, cet acte, en plus
d’assurer une propreté visuelle, permet de maîtriser le risque de contamination de l’environnement en éliminant les bactéries présentes.
z Le respect des précautions standard (PS) est
donc l’étape indispensable et nécessaire pour maîtriser un risque qui a diffusé et que nous ne pouvons
pas identifier. Ces précautions s’appliquent partout
et tout le temps, chaque fois que nous sommes au
contact du patient ou de son environnement. Toutefois, en cas de notion de porteur/infecté à BMR
ou BHRe, il est recommandé de mettre en place des
mesures supplémentaires telles que les précautions
complémentaires contacts (dites PCC) pour les
BMR, et des mesures encore plus contraignantes en
cas de BHRe (précautions spécifiques BHRe)
(annexe B). Ces mesures sont justifiées par les risques
épidémiologiques liés à la diffusion de ces bactéries.
CONCLUSION
La lutte contre les infections nosocomiales et les
bactéries résistantes repose sur l’investissement de
chacun et sur le respect de gestes simples mais primordiaux au quotidien. Nous sommes tous acteurs
de la santé des autres, et si nous voulons préserver
notre qualité de soins pour notre avenir et celui de
nos patients, c’est à nous tous de respecter et de
faire respecter ces comportements. n
Risques liés à l’entretien
z Il faut également souligner le risque lié à la
gestion de l’urinal ou du bassin (les excreta).
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