/// Ligne de recherche 3 : Image, anthropologie et interculturalité

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/// Ligne de recherche 3 : Image, anthropologie et interculturalité
Responsable : Dr Markus Arnold (chercheur et enseignant)
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Cet axe de recherche, résolument pluri- et interdisciplinaire, vise une conjugaison des trois
notions aussi vastes et aux multiples strates de signification que sont l’« image », l’« anthropologie »
et l’« interculturalité ». Ce faisant, il ouvre sur une pluralité de questionnements et permettra
d’associer diverses affiliations de recherche.
Images matérielles ou conceptuelles, intentionnelles ou inconscientes, d’expression plastique ou
poétique, fixes ou animées, littérales ou schématisées, visuelles ou polysensorielles, analogiques ou
numérisées : le champ de la représentation iconique semble aussi étendu que ses formes et
variations inépuisables. Se nourrissant d’imaginaires individuels et collectifs, l’image constitue
effectivement « l’une des dimensions essentielles du déploiement de la vie humaine » (Gens &
Rodrigo). Avec le permanent renouvellement des techniques ainsi qu’une grande diversité de
réception et d’appropriation des médiums iconiques, nous vivons dans une véritable « civilisation de
l’image » – notion galvaudée depuis plusieurs décennies déjà – avec ses innombrables
métamorphoses et actualisations potentielles.
En tant que « catégorie mixte et déconcertante, qui se situe à mi-chemin du concret et de
l’abstrait, du réel et du pensé, du sensible et de l’intelligible » (Wunenburger), l’image possède une
réalité multiforme. En effet, avec d’un côté le tableau « classique » et, de l’autre, les médias visuels
contemporains travaillés par le temps réel et l’interactivité, l’éventail est large. De plus, entre le pôle
matériel de l’image (picture) et une dimension plus difficile à circonscrire (image), dans la tension
féconde entre psychologie et pragmatique, entre approche perceptuelle et plus symbolique, de
nombreuses formes coexistent. Sans parler des questions terminologiques, où d’aucuns définissent
l’image généralement comme un « message visuel » (Joly) et d’autres développent des typifications
nuancées d’un médium donné, « l’image-mouvement » et « l’image-temps » (Deleuze) ainsi que
leurs sous-classifications (images-perception, images-action, images-affection, images-souvenirs…)
pour circonscrire les variétés des signes cinématographiques servant ici d’exemple parmi d’autres.
En raison d’une telle pluralité et complexité, mais aussi eu égard d’une réception directe et
d’apparence facile de la profusion inflationniste de l’objet iconographique de nos jours, « l’image,
parce que justement elle provoque directement adhésion, répulsion, passion ou consommation
indifférente, réclame une vigilance accrue » (Gervereau). Si grand nombre de disciplines (esthétique,
philosophie, histoire, sémiotique, science cognitive…) s’occupent de l’image, car elle est au centre
des observations et des interrogations sur l’homme, il revient à l’art bien entendu un rôle privilégié,
puisqu’il investit comme aucun autre domaine la question de l’expérience du créateur et de
l’appréhension du récepteur. Comprise entre expression et communication, l’image artistique est en
effet un ensemble de significations, déclencheur d’échos culturels, et surtout une « mise en route
d’un jeu codifié et ouvert qui mobilise nos ressources psychologiques » (Morizot).
***
Quoique l’axe de recherche n’exclura pas la telle ou telle catégorie de représentation, priorité
sera donc donnée à l’étude d’images artistiques artefactuelles et visuelles (dessin, peinture,
photographie, vidéo, cinéma, bande dessinée…), leurs modes de production et de réception, leurs
inscriptions dans le champ artistique et social, leurs fonctionnements esthétiques, symboliques et
idéologiques. Par ailleurs, suivant l’idée que voir rime avec savoir (Huberman 1990), la considération
critique portera également sur nos manières d’appréhender des images avec des procédures de
connaissance et des catégories de pensée. Cette perspective ouvrira sur des questions diverses.
Notre regard n’étant pas innocent et incorporant toujours des expériences passées et des codes
culturels et autres, quelle dimension phénoménologique et épistémique relève-t-on de l’image?
Autrement dit, quelle est notre sensibilité par rapport à l’œuvre artistique iconique, comment
devient-elle un objet de savoir, et quel lien s’observe entre le plaisir créatoriel et plaisir réceptionnel
de l’image ?
On s’interrogera aussi sur le fait de savoir quel usage individuel et collectif est fait des images.
Et, dépendant du contexte (de production et de réception), certaines images ont-elles une
acceptabilité sociale plus importante que d’autres, et si oui, quelles en sont les raisons ? Dans ce
même sens, comment l’image parvient-elle à assumer le rôle d’une arme culturelle ou politique et
comment peut-on mettre en relation iconoclasme d’une part et iconophilie de l’autre (Latour &
Weibel) ?
Vu la grande variété de la codification du réel – entre le miroir naturaliste et son « illusion de la
réalité » et des écritures moins figuratives, voire abstraites du monde –, quel rapport existe-t-il entre
l’image et la chose représentée ? Existe-t-il par ailleurs une limite des représentations ? Ou, au
contraire, comment – et soulevant quelles questions éthiques – l’image participerait-elle à dissiper
l’idée de ce qui est parfois désigné comme l’inimaginable et l’irreprésentable (la « violence
extrême », la Shoah, le génocide…) ?
En plus de l’analyse des modalités spécifiques de chaque type d’image, un accent particulier
sera mis sur les croisements, échanges et hybridations – dorénavant très répandus – entre ces
catégories et genres. Cette juxtaposition des formes artistiques permet ainsi d’interroger une
possible variation entre les médiums quant à l’investissement psychologique dans l’image. On
pourra aussi se demander si telle forme d’image serait en mesure d’énoncer quelque chose de plus
« essentiel » et plus « universel » sur l’art et la condition humaine que telle autre ? Plus
généralement, quelles sont les dynamiques à l’œuvre dans l’« entre-images » (Bellour), dans le
passage entre photographie et peinture, entre cinéma et bande dessinée, entre film et écriture ?
Comment la photographie, par exemple, devient-elle un « support », un « fait » d’écriture (Guibert) ?
Ces questionnements sur l’intermédialité ouvriront également le débat sur l’intergénéricité, et
les multiples liens entre les signes plastiques, iconiques et linguistiques de l’image. On tentera ainsi
de penser l’interaction et la complémentarité entre image et langage/mot, comme le cas de la BD –
amalgame de narration et de figuration – ou celui du cinéma le montrent particulièrement bien.
***
En outre, dans le système de communication auquel l’art appartient, la composante
anthropologique est d’une importance primordiale. L’inclusion de sa vision ouverte dans cet axe de
recherche permettra de diversifier les interrogations sur l’image ; d’un côté afin de révéler des
correspondances spatio-temporelles et des affinités entre productions iconiques anciennes et images
« nouvelles » et « modernes », de l’autre, afin d’étudier tant les particularités culturelles de la
création et de la réception des images que les constantes « universelles » de celles-ci. Autrement dit,
comment l’anthropologie construit-elle l’image ? Comment l’image construit-elle l’anthropologie ? Et
quel est le rôle du spectateur dans ces processus de production ?
Enfin, dans des lieux aussi multiples et hétérogènes que sont les sociétés de la zone océan
Indien, cette dialectique entre une anthropologie générale de l’image et une anthropologie plus
spécifique de l’image se verra enrichie par la prise en compte de la notion de l’interculturalité et des
notions associées – telles que le métissage (Anzaldúa, Amselle, Benoist, Gruzinski…), la créolisation
(Hannerz, Glissant, Vergès & Marimoutou, Stewart…), l’hybridité (Bhabha, Young, Werbner &
Modood, Guignery et al., Hutnyk…), la (post)diaspora (Hall, Gilroy), ou encore la transculturalité
(Welsch). Ces étiquettes, malgré leur indéniable utilisation inflationniste de nos jours, restent
opérationnelles afin de penser des catégories d’identité complexes.
Selon l’idée que « l’image est universelle, mais elle est toujours particularisée » (Aumont), on
verra alors plus spécifiquement à quel point les îles indianocéaniques – mais aussi d’autres espaces
postcoloniaux du Sud –, avec leur ancrage culturel, social et historique particulier, permettent
d’interroger la supposée universalité (occidentale) du rapport à l’image.
Quels sont en ce sens les codes historiques, culturels, sociaux intériorisés dans les sociétés
indianocéaniques pour produire et recevoir des images ? Quelles considérations épistémologiques,
esthétiques et éthiques déclenchent-elles ? Existe-t-il une manière particulière dont l’image
communique et transmet des messages dans la zone, et quelles influences l’enracinement des
espaces insulaires dans une tradition de l’oralité et la « réalité » anthropologique d’éléments
surnaturels (mythes, légendes, spiritualités…) ont-ils sur le fonctionnement de la représentation
iconique ? Dans de tels espaces, les potentialités oniriques de l’image sont-elles encore accentuées ?
La base anthropologique, socioculturelle et historique des sociétés insulaires aurait-elle une
influence non seulement sur les thématiques représentées, mais également sur les modes et
techniques de la représentation ? A quel point cette base fait-elle de l’œuvre artistique un
« symptôme » particulier ? L’image devient-elle dans un tel contexte source d’affect spécifique ?
Peut-on relever dans la zone océan Indien une particularité dans la représentation de la différence
sexuelle (et sa réception) ? Et comment s’y présente-t-il l’entremêlement entre race et genre dans
(la production de) l’image ?
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Dans notre monde « étouffé […] de marchandise imaginaire » (Didi-Huberman 2003), l’image
n’est souvent plus perçue comme « présence sensible de l’Autre » (Rancière). Sa considération
critique s’impose donc plus que jamais, et la démarche analytique préconisée dans cet axe de
recherche se comprendra « comme un mouvement à contre-courant, orienté vers cet "amont" du
message où se trafiquent les effets de sens » (Fresnault-Deruelle). En examinant la nature composée
et hétérogène de l’image, ainsi que ses modes de production, usages et significations, on tentera
d’améliorer la compréhension sur la fabrication, la réception et le décodage des objets iconiques
artistiques.
Si l’anthropologie et l’interculturel introduisent certes une manifeste visée référentielle dans
l’image, les approches intégrées dans cet axe ne se limitent bien évidemment pas à la dimension
représentative de l’objet iconique. La considération de ces notions permettra alors de mieux
s’interroger sur les déterminations (historiques, sociales, ethniques, idéologiques, symboliques…) qui
englobent et influencent notre rapport à l’image, sans pour autant empêcher des orientations de
recherche plus esthétisantes et systémiques. Abordée dans une telle perspective critique ouverte et
inclusive, l’image se dévoilera tant par le prisme de son pouvoir représentationnel, que par sa
puissance de créer de l’émotion, de l’imagination, du savoir.
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