nano-machine n°16 - Université Paul Sabatier

publicité
dOSSIER
LES NANO-MACHINES
Les nano-machines
mécaniques
Constituées d’une molécule unique ou d’un ensemble complexe de molécules
parfaitement assemblées à l’échelle du nanomètre, les nano-machines
réalisent des fonctions analogues aux machines mécaniques de notre échelle.
Comprendre et maîtriser ces nano-machines est la motivation des chercheurs
toulousains dans de nombreuses disciplines telles la biologie, la physique ou
l’automatique.
>>> Christian JOACHIM, directeur de recherche
CNRS au Centre d'Elaboration de Matériaux et
d'Etudes Structurales (CEMES, unité propre CNRS,
associée à l’UPS), Laurence SALOMÉ, directrice de
recherche CNRS à l’Institut de Pharmacologie et
Biologie Structurale (IPBS, unité mixte UPS/CNRS)
et Christophe VIEU, professeur à l’UPS,
au Laboratoire d'Analyse et d'Architecture
des Systèmes (LAAS, unité propre CNRS,
associée à l’UPS). © Cyril Frésillon/CNRS
De nos jours, la miniaturisation est
omniprésente : voitures, hélicoptères, satellites,
calculateurs, mémoires, téléphones….
Aujourd’hui on commence à construire
des nano-machines dont les domaines
d’application concernent des disciplines telles
que la biologie, la physique, l’automatique…
En fait, il y a bien longtemps qu’artisans puis
ingénieurs s’évertuent à développer le savoirfaire d’une réduction en taille des machines
pour nous faire bénéficier de ses avantages.
On s’émerveille encore du calculateur
astronomique d’Anticythère qui deux siècles
avant notre ère faisait entrer un système solaire
en miniature dans la maison du philosophe
grec Hipparchus. Il était fait d’une trentaine
d’engrenages en bronze chacun d’un diamètre
de quelques centimètres. Transmis par la
science arabe aux horlogers de la fin du moyen
âge puis revisités par un Blaise Pascal pour
sa machine à calculer mais aussi par les
amoureux des automates, ces mécanismes
miniatures ont longtemps tenu la technologie
des machines sans trop se voir réduire en taille.
La technologie monolithique inventée avec la
micro électronique a ensuite donné une
nouvelle impulsion à la miniaturisation des
dispositifs électroniques et mécaniques. Il est
devenu possible de fabriquer des engrenages en
matériaux solides d’un diamètre inférieur à
100 nm. Du coup, une nouvelle question est
apparue au début de ce siècle: à partir de cette
échelle peut-on encore fabriquer et faire
tourner des roues, assembler des trains
d’engrenage ou des machineries mécaniques
d’une taille encore plus petite ?
De plus en plus petit
Cette question intéresse bien sûr la technologie
des machines puisqu’il est généralement admis
page 4
que la réduction en taille d’une machine
permet d’en améliorer le temps de réponse ou
l’efficacité énergétique par rapport à une
grande sœur non miniaturisée. Cette question
interroge aussi les grands principes de la
physique comme le principe de superposition
de la mécanique quantique et le second
principe de la thermodynamique. On sait aussi
depuis le milieu des années soixante dix et
grâce aux travaux précurseurs de Paul Boyer
(Prix Nobel de chimie en 1997), que la Nature
a devancé cette question. En effet, certains
processus élémentaires de la vie d’une cellule
utilisent des machineries macromoléculaires
complexes en jouant sur des changements de
conformation d’assemblages de protéines
pour créer du mouvement.
Un mot nouveau est donc apparu dans
le vocabulaire scientifique :
« nano-machine ». Pour les uns, une nanomachine est une machine dont la taille ne
mesure que quelques nanomètres. Pour
d’autres, une nano-machine est une machine
miniature dont les pièces élémentaires sont
fabriquées avec une précision de l’ordre du
nanomètre. Les six contributions de ce dossier
présentent des nano-machines répondant à ces
deux définitions et qui sont explorées dans les
laboratoires toulousains.
Des systèmes et des approches variées
A l’UPS, des équipes de biologistes ont disséqué
le fonctionnement de plusieurs nano-machines
du vivant à l’aide d’approches expérimentales
in vitro novatrices à l’échelle de macromolécule,
molécule unique. Ainsi, à l’Institut de
pharmacologie et biologie structurale (IPBS,
unité mixte UPS/CNRS), deux équipes
travaillent à élucider les mécanismes de
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Les
nano-machines
>>> Sur un fond représentant le calculateur d'Anticythère (IIème siècle avant notre ère, musée d'Athènes),
quelques nano-machines (vue d'artiste).
machineries de l’ADN responsables de sa
réplication et de sa recombinaison, deux
processus essentiels pour le maintien et
l’évolution du génome. Pour l’étude de la
réplication de l’ADN, les chercheurs analysent
le résultat du travail effectué par cette nanomachine protéique dans la cellule en
cartographiant individuellement les molécules
d’ADN synthétisé. La méthode utilisée est le
peignage moléculaire, mais une approche
originale potentiellement plus performante est
à l’étude en collaboration avec un chercheur du
Laboratoire d’analyse et d’architecture des
systèmes (LAAS, unité propre CNRS, associée à
l’UPS). Les machineries de la recombinaison sont
elles étudiées au sein d’un deuxième groupe en
collaboration avec des collègues du Laboratoire
de Microbiologie et génétique moléculaires
(LMGM, unité mixte UPS/CNRS). L’approche
consiste cette fois à observer le travail effectué
par la nano-machine impliquée en détectant au
cours du temps les modifications induites sur
la molécule d’ADN. Ceci est effectué à l’aide d’un
« jokari » moléculaire : la technique de « Tethered
Particle Motion ». Une variante de cet outil, la
pince magnétique, permet d’étudier le
comportement sous force des nano-machines
biologiques. Elle est utilisée par une équipe du
Laboratoire de biologie moléculaire eucaryote
(LBME, unité mixte UPS/CNRS) pour élucider le
mécanisme de migration d’une jonction de
Holliday existant entre deux molécules d’ADN
qui échangent leurs brins.
Au LAAS, on étudie une machinerie protéique
encore plus complexe faite d’une centaine de
protéines assemblées en un moteur flagellaire de
45 nm de diamètre. Ce moteur naturel se trouve
à la base du flagelle des bactéries et permet leur
page 5
propulsion à des vitesses impressionnantes
(60 fois leur longueur par seconde). L’objectif de
ces chercheurs est double : comprendre le
fonctionnement de ce nanomoteur et mettre en
place une technologie capable de reconstituer
cette nanomachine naturelle au sein d’un
dispositif artificiel. Les chercheurs du LAAS
étudient les raisons d’une telle efficacité et
essayent de découvrir comment cette
nanomachine s’auto-assemble. Pour comprendre
son fonctionnement et son assemblage, rien de
tel que d’essayer de la « remonter » à partir de
ses rouages élémentaires : les protéines !
Au CEMES (unité propre CNRS, associée à l’UPS)
les chercheurs du groupe Nanosciences (GNS)
approchent la question des nano-machines par
en bas. Au lieu de poursuivre, avec les outils
standard de la miniaturisation, la fabrication de
machines de plus en plus petites, ils partent des
atomes eux même. Ils remontent en taille pour
trouver le nombre d’atomes juste nécessaire à la
construction par exemple d’un engrenage, d’une
crémaillère ou même d’une voiture. Cette
approche moléculaire des nano-machines est née
à Toulouse. Pour faire fonctionner une moléculemachines, les chercheurs du GNS utilisent le
microscope à effet tunnel. Dernier né des
microscopes (inventé en 1981), il permet de
cartographier la surface d’un métal ou d’un
semi-conducteur avec une précision meilleure
que 0.01 nm. Une fois la pointe de ce microscope
fabriquée avec soin, l’expérimentateur peut
manipuler un seul atome ou une seule molécule
à la fois et donc fournir à une molécule machine
complexe l’énergie nécessaire à son
fonctionnement.
Contact : [email protected],
[email protected], [email protected]
dOSSIER
Les
nano-machines
Les nano-machines
de la recombinaison génétique
Au cours de la vie d’une cellule, l’ADN, support de notre patrimoine héréditaire,
est régulièrement recombiné de manière spontanée ou en réponse à des
dommages (agressions chimiques, rayonnements). La recombinaison consiste
en une succession de réactions de coupure et de ligature assurées par des
complexes protéiques, véritables nano-machines du vivant. En permettant des
échanges entre brins d’ADN, ces machines sont les moteurs de la diversité
génétique, premier pas de l’évolution.
>>> de gauche à droite : Philippe ROUSSEAU
Maître de conférences à l’UPS, au LMGM,
Mikhail GRIGORIEV, Chargé de recherche
Inserm au LBME, Catherine Tardin, Maître de
conférences à l‘UPS à l’IPBS, François CORNET
Directeur de recherche CNRS au LMGM,
Sur le campus de l’université Paul Sabatier, trois
Observer les machines de recombinaison
équipes de recherche étudient différents types de
recombinaisons génétiques à l’échelle de la molécule
unique : la transposition, la recombinaison spécifique de
au travail
La caractérisation de ces machines biologiques a
commencé à l’aide de méthodes biochimiques classiques.
site et la recombinaison homologue, chacun catalysé par
Elles ont montré que les recombinaisons mettent en jeu
une machinerie enzymatique propre (suffixe -ase).
différentes étapes savamment orchestrées et que l’autoassemblage de leurs machineries est déterminant pour
Les transposases catalysent le déplacement de
CNRS au LMGM et Laurence SALOMÉ,
génome (transposition). Ces séquences colonisant tous
leur efficacité et leur régulation. Pour élucider le détail
structurel et dynamique des processus, nos équipes se
Directeur de recherche CNRS à l’IPBS.
les génomes (40% du génome humain), la
sont récemment tournées vers des techniques de mesure
compréhension du fonctionnement de ces machines,
à l’échelle de la molécule individuelle.
La technique de Tethered Particle Motion, développée
Michael CHANDLER, Directeur de recherche
séquences d’ADN d’une position à une autre d’un
objectif des travaux d’une équipe du Laboratoire de
microbiologie et génétique moléculaires (LMGM), est un
enjeu majeur. En outre, la maîtrise in vitro du processus
de transposition ouvre actuellement des applications
à l’IPBS, consiste à détecter le déplacement d’une nanoparticule fixée à l’extrémité d’une molécule d’ADN
ancrée sur une lamelle de verre. Elle permet de suivre
génique).
la dynamique de l’ADN et donc des changements de
longueur, de rigidité ou de courbure. Très sensible,
Les recombinases réalisent, quant à elles, des
la technique peut détecter la liaison d’une protéine
recombinaisons entre chromosomes au niveau de
séquences bien identifiées. Par
XerD, étudiées dans une autre équipe
à l’ADN. Ces expériences ont conduit à des résultats
importants comme la démonstration de la formation
d’une boucle dans la molécule d’ADN par la transposase
comme première étape de la transposition et la mesure
du LMGM, séparent les chromosomes
de la vitesse de migration d’une jonction de Holliday
dans les dimères formés
(point d’échange des brins des ADN). Avec une
particule micrométrique magnétique, une force
(<10 pN ou 10-11Newton) peut être appliquée à l’ADN.
importantes dans le domaine de la santé (thérapie
exemple, les recombinases XerC et
accidentellement lors de la réplication
chez E. coli. Cette machine en
rétablissant l’intégrité du génome
assure la survie des bactéries affectées
par cette anomalie génétique. Les
propriétés et les performances des
Cette méthode dite « pince magnétique » est utilisée
par l’équipe du LBME pour mieux comprendre l’hélicase
mais aussi d’autres enzymes introduisant une torsion
de l’ADN.
recombinases sont à la base des
Les hélicases étudiées dans une
Les chercheurs des équipes du LMGM et de l’IPBS
complètent l’étude des recombinases et transposases
équipe du Laboratoire de Biologie
par une visualisation directe de leur action sur des
Moléculaire Eucaryote (LBME)
molécules d’ADN au moyen des microscopes à force
atomique de la plateforme ITAV (Institut des
Technologies Avancées en sciences du Vivant).
techniques actuelles de transgénèse.
s’assemblent pour former des moteurs
de l’échange de brins entre deux
>>> Le mouvement d’une bille attachée à l’extrémité libre d’une
molécule d’ADN permet de suivre l’action de nano-machines du
vivant. Haut : une transposase ou une recombinase en rassemblant
molécules d’ADN similaires. Ce
processus de recombinaison
deux sites spécifiques d’une même molécule y forment une boucle
homologue, mis en place en réponse à
accompagnée par une amplitude de mouvement plus faible. Bas :
des cassures de la double hélice
une hélicase catalyse la migration de la jonction entre deux molécu-
d’ADN, joue un rôle prépondérant
les d’ADN échangeant leurs brins, révélée par une diminution conti-
dans la réparation de l’ADN et le
nue de l’amplitude du mouvement.
page 6
Contact : [email protected]
maintien de l’intégrité des génomes.
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Les
nano-machines
Les nano-techniques
pour visualiser
la duplication de l’ADN
L’essor récent de techniques permettant de visualiser la nano-machinerie de la
réplication de fibres individuelles d’ADN ouvre de nouvelles perspectives.
Objectif : mieux comprendre les liens entre défauts de réplication et instabilité
génétique.
Aurélien BANCAUD, Chargé de recherche
CNRS au LAAS (unité CNRS,
associée à l’UPS)
>>> >>> Marie-Jeanne PILLAIRE,
Chargé de recherche Inserm et
Jean-Sébastien HOFFMANN,
Directeur de recherche Inserm à l’IPBS
(unité mixte UPS/CNRS)
La machinerie de réplication de l’ADN est une nanomachine biologique particulièrement efficace et
critique qui assure la duplication de l’ensemble du
génome humain avant la ségrégation des
chromosomes. Elle débute au niveau de régions
précises appelées « origines de réplication » et
progresse sous la forme de fourches de réplication,
composées par de nombreux facteurs essentiels pour la
peignage moléculaire (brevetée par le CNRS et
l’Institut Pasteur), a été développée en France par le
Dr. Aaron Bensimon, et n’est encore utilisée que par
un nombre réduit d’équipes dans le monde, dont
notre équipe « Instabilité Génétique et Cancer » (IGC)
à IPBS. Le peignage moléculaire (ou DNA Combing
en anglais) permet d’accrocher et d’étirer les fibres
d’ADN sur une lame de verre silanisée. Une fois
polymérisation fidèle de l’ADN (les ADN polymérases)
et pour la stabilisation de ces fourches en cas de
rencontres d’obstacles endogènes (domaines
chromosomiques complexes et structurés) ou exogènes
(facteurs génotoxiques de l’environnement). La
moindre défaillance dans l’expression ou l’activité des
facteurs de réplication peut affecter le maintien de
peignées, ces fibres individualisées, qui peuvent
l’intégrité du génome et avoir des conséquences en
pathologie humaine. C’est le cas notamment lors du
développement de certains cancers où l’instabilité
génétique est un élément moteur dans les processus
d’initiation et de progression de la maladie, mais
également dans les mécanismes de résistance
thérapeutique. Les mécanismes moléculaires à
l'origine de ces défauts de réplication dans les cancers
programme de réplication (densité d’origines,
restent encore mal connus. En effet, les profils de
réplication varient considérablement d’une cellule à
l’autre et les approches biochimiques existantes ne
permettent d’obtenir qu’une image moyenne de la
réplication dans une population de cellules.
mesurer quelques Megabases (Mb), apparaissent
linéaires et parallèles les unes aux autres. Leur
visualisation est possible grâce à l’incorporation
d’analogues de nucléotides fluorescents. D’une
résolution de 0.005Mb environ, le peignage
moléculaire de l’ADN permet de décrypter le
cinétique des fourches,…). Cette technologie
a récemment permis à notre équipe IGC d’expliquer
une origine de la perturbation du programme
réplicatif des tumeurs(1).
Mettre de l’ADN dans des nano-tubes
L’équipe Nano-Ingénieurie et Intégration des
Systèmes au LAAS développe actuellement des
aspects méthodologiques innovants, fondés sur les
techniques de nano-fabrication et alternatifs au
peignage. Grâce aux outils issus de la
microélectronique, qui permettent de structurer la
matière jusqu’à l’échelle de quelques nanomètres, il
>>> (A) Fibres d’ADN peignées sur lame ayant incorporé
des analogues de nucléotides fluorescents ;
(B) Cliché de microscopie électronique de nano-canaux gravés
Peigner l’ADN
L’essor récent de nano-techniques
est en effet possible de concevoir des nano-capillaires
d’environ 100 nm de diamètre. Compte tenu du
permettant de visualiser la réplication au
confinement, les molécules d’ADN insérées dans ces
niveau de fibres individuelles d’ADN ouvre
nano-tubes sont étirées longitudinalement, d’une
de nouvelles perspectives pour la
manière comparable au peignage d’ADN. Ce peignage
compréhension des liens existant entre
strictement parallèle est dynamique car il ne nécessite
défauts de réplication et instabilité
pas de figer les molécules sur des surfaces, ce qui
génétique dans les cancers. Ces nouvelles
ouvre une voie vers des applications médicales
approches permettent non seulement
à haut débit.
d’identifier l’origine des défauts de
dans du silicium. Les structures mesurent ~150 nm de largeur
réplication dans les lésions précancéreuses,
(1) (Pillaire et al., Cell Cycle 2007, recommended article in
et de hauteur, et sont réalisées en parallèle. L'insert représente
mais aussi de définir de nouvelles stratégies
Faculty of 1000 Biology)
un cliché de microscopie à fluorescence d'ADN insérés dans les
thérapeutiques anti-tumorales afin de
nanocanaux (flèches rouges), et d'autres ADN en forme circulai-
potentialiser l'effet des traitements actuels
re, non contraints, sont visibles à gauche de la photo, et se trouvent dans des canaux d'arrivée macroscopiques.
agissant sur les fourches de réplication. La
plus performante de ces approches, appelée
page 7
Contact : [email protected]
Les
nano-machines
De la roue nanométrique
aux véhicules moléculaires
Dans l’histoire des inventions, la roue est à l'origine de développements
scientifiques et technologiques considérables. Les chercheurs du CEMES ont
été parmi les premiers à concevoir des nano-machines équipées de roues
ouvrant ainsi la voie à la conception d'une nano voiture constituée d'une
molécule unique.
>>> Christian JOACHIM, directeur de recherches
au CNRS ; Henri-Pierre JACQUOT, doctorant ;
Gwénaël RAPENNE, maître de conférences à
l'UPS, chercheurs au Centre d'Elaboration de
Matériaux et d'Etudes Structurales (CEMES,
unité propre CNRS associé à l’UPS).
© Cyril Frésillon/CNRS
L’utilisation du mouvement de rotation d’une roue
autour d’un axe a conduit à la conception de
machineries mécaniques à engrenages multiples puis,
plus tard, aux moteurs lançant ainsi la révolution
industrielle. L’échelle d’un nanomètre, la plus petite
échelle pour créer une roue, représente aux yeux des
chimistes et des physiciens un véritable défi. Depuis
quelques années, les chimistes du CEMES travaillent à
la conception puis à la synthèse de molécule-machines
munies de roues. Étape par étape, ils ont été les
premiers à défricher ce domaine avec leurs collègues
de l'Université Libre de Berlin (équipe du Dr Leonhard
Grill). L'originalité de l’approche consiste à travailler
dOSSIER
sur une seule molécule à la fois, choisie parmi un
grand nombre, déposée sur une surface métallique.
Avec sa pointe ultra fine stabilisée à moins de 1 nm
page 8
de la surface par un courant électrique induit par
l'effet tunnel, le microscope à effet tunnel (STM)
cartographie ces molécules. Cette pointe permet
ensuite de les manipuler une à la fois afin d’étudier
les propriétés mécaniques de chacune de ces moléculemachines.
La molécule brouette
Après la synthèse et l’observation en 2005 d’une
molécule-brouette (c'est à dire une molécule
constituée d'un plateau rigide, de deux pieds et de
deux roues), les chercheurs ont montré en 2007
qu’une des deux roues moléculaires montées sur un
essieu pouvait tourner lors de son déplacement induit
par la pointe du STM. Ils ont réussi à contrôler son
>>> L'essieu terminé par deux roues est poussé
par l'apex de la pointe (en gris) du microscope
à effet tunnel sur une surface de cuivre.
Vers une nano-voiture
Ces roues ont néanmoins un défaut intrinsèque de
par leur structure à trois pâles sans « pneu ».
Aujourd’hui, les chercheurs du CEMES développent
une nouvelle famille de roues rigides, circulaires et de
forme incurvée ce qui permet à la fois de minimiser
les interactions mécaniques avec la surface tout en
sens de rotation ce qui ouvre la voie à la synthèse de
augmentant la rigidité nécessaire à la rotation de la
nano-véhicules fonctionnels. L’expérience consistait à
déposer délicatement ces molécules sur une surface de
roue autour de son axe lors d’une poussée arrière par
l’apex de la pointe. Ces résultats ouvrent la voie à la
cuivre très propre et de les repérer par imagerie STM.
création de molécule-machines mécaniques avec pour
Ensuite, la pointe du STM se comporte comme un
doigt et déclenche le mouvement de rotation de la
roue interagissant avec l'extrémité atomique de la
pointe. Auparavant, cet apex avait été placé
intentionnellement à la verticale d’une roue mais un
objectif à long terme de pouvoir embarquer dans une
peu en retrait pour déclencher le mouvement de
rotation (voir la figure).
seule molécule toute la machinerie d’une nano-voiture :
ses quatre roues, son châssis et son moteur, ceci pour
transporter de la matière dans le nanomonde.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Les
nano-machines
Une famille de moteurs
moléculaires
Bien que le principe de fonctionnement d’un moteur soit simple –transformer
de l’énergie en mouvement– la conception d’un nano-moteur constitué d’une
molécule unique est un défi sérieux. Les chercheurs du CEMES ont pourtant
réussi à le relever en s’appuyant sur le modèle original du moteur
électrostatique.
Dans le domaine des nanosciences et de la nanomécanique moléculaire en particulier, un des défis
est la conception et la construction d’un moteur
moléculaire de taille nanométrique. Il s'agit d'une
>>> Gwénaël RAPENNE, maître de conférences
à l'UPS et Jean-Pierre LAUNAY, professeur
à l'UPS et directeur du laboratoire, chercheurs
au Centre d'Elaboration de Matériaux et
d'Etudes Structurales (CEMES, unité propre
CNRS, associé à l’UPS).
machine qui transforme de manière continue l’énergie
en produisant un travail via un mouvement de
rotation unidirectionnel contrôlé. Ce mouvement doit
être réversible et d’une amplitude suffisamment
grande pour qu’il soit mesurable et exploitable.
© Cyril Frésillon/CNRS.
Moteur électrostatique
Les moteurs que l’on a synthétisés ont été pensés
>>> Une famille de moteurs moléculaires de quelques nano-
pour être adressés individuellement. Le principe de
mètres de diamètre positionnée entre 2 électrodes métalliques
fonctionnement implique de pouvoir connecter la
fabriquées avec une résolution atomique
molécule par deux nano-électrodes servant de
réservoirs d’électrons comme représenté sur la figure.
La molécule comporte une partie fixe (stator) greffée
Nous avons synthétisé plusieurs molécules de taille et
de constitution différentes qui illustrent les différentes
à la surface et une partie mobile (rotor) portant
contraintes à respecter. Tout d’abord le système doit
des sites oxydables. En présence d’une polarisation,
l’électrode positive injecte à la partie mobile de la
être le plus rigide possible, c’est à dire ne pas
molécule des charges de même signe dont la répulsion
avec l’électrode provoque un mouvement de rotation.
entraîneraient une déperdition d’énergie dans des
Il s’agit ainsi d’un moteur électrostatique,
rotation soit aisée autour de l’axe vertical, mais sans
fonctionnant sur un principe décrit par Benjamin
Franklin en 1748 ! Le moteur tourne en consommant
qu’il y ait de tendance à la dissociation entre la partie
fixe et la partie mobile. Enfin il faut que l'ensemble
l’énergie provenant du transport des électrons d’une
des potentiels rédox soient compatibles avec le
zone de bas potentiel électrique à une zone de haut
processus souhaité.
présenter de degrés de rotation inutiles, qui
mouvements non souhaités. Ensuite, il faut que la
potentiel. La dissymétrie du système permettra de
contrôler le sens de rotation.
Plusieurs collaborations internationales sont mises en
œuvre avec des équipes complémentaires de physiciens
Ces moteurs ont une structure générale en tabouret de
(à l'Institut Max Plank de Stuttgart et à l'Université
piano. Ils sont composés d'une partie fixe (en noire
sur la figure) liée de manière covalente à la surface.
d'Ohio) pour déposer et étudier cette rotation électroinduite. A plus long terme ces moteurs pourraient
La seconde est une plateforme (bleue) terminée par
intégrer des robots nanométriques capables de remplir
cinq groupements électro-actifs. Ces groupements
seront le siège de transferts d'électrons successifs qui
une grande variété de fonctions allant de la médecine
aux applications quotidiennes ou bien motoriser les
induiront la rotation de la partie mobile de la
nanovéhicules que nous développons par ailleurs.
molécule et ceci en privilégiant un sens donné. Entre
ces deux parties, un atome de ruthénium joue le rôle
de rotule conférant à cette molécule un caractère
organométallique.
page 9
Contact : [email protected]
Les
nano-machines
Une crémaillère moléculaire
avec sa molécule-pignon
Pour développer des machineries moléculaires complexes, il est indispensable
de maîtriser la mécanique à l’échelle moléculaire. Des expériences dans ce
sens ont été effectuées de manière à faire déplacer un pignon sur une
crémaillère moléculaire.
La conception et la synthèse de molécules capables
d'effectuer des actions mécaniques précises sont une
>>> Christian JOACHIM, et André GOURDON,
directeurs de recherche CNRS, membres du Groupe
Nanosciences du CEMES (unité propre du CNRS,
associée à l'UPS). © Cyril Frésillon/CNRS.
des clés du développement de futures nanomachineries moléculaires complexes dont les pièces
élémentaires auront un diamètre de l’ordre du
nanomètre. Pour cela, il était d’abord indispensable
de démontrer comment un mécanisme aussi simple
qu’un pignon se déplaçant le long d’une crémaillère
est réalisable à l’échelle moléculaire en utilisant une
molécule-pignon d’un nanomètre de diamètre se
déplaçant mécaniquement le long d’une crémaillère
moléculaire.
>>> A- Image STM d'un cristal 2D d'hexa-tert-butyl-pyrimidylpenta-
Une molécule-pignon en forme d'étoile à six branches
a d’abord été conçue puis synthétisée. Afin de
phenylbenzène; une des molécules a été déplacée à
pouvoir suivre ses rotations lors d’expériences de
le bord de la monocouche, qui fait office de crémaillère
mécanique, une des branches est chimiquement
différente des cinq autres avec deux atomes d'azote,
en bleu sur le modèle moléculaire (voir figure). Ainsi,
l'aide de la pointe du microscope de façon à l'enclencher sur
B- Concept de la crémaillère; C- La présence des atomes
d'azote, qui apparaissent comme des points blancs, permet
de suivre la rotation de la roue dentée lors de son déplacement
le long du bord de marche.
quand une image en microscope à effet tunnel (STM)
de cette molécule est réalisée, cette branche est
cartographiée avec un large contraste tunnel. On
peut ainsi déterminer l'orientation de la molécule
dans chaque image STM. Ces molécules sont aussi
capables de s'auto-assembler sur une surface
métallique ultra propre. Elles forment spontanément
des ilots cristallins bidimensionnels composés chacun
d'une monocouche parfaitement organisée de
molécules, de véritables nano-cristaux de pignons.
Les bords d’un de ces ilots cristallins et plats
conservent la dentelure de la molécule qui le compose
et vont donc servir de crémaillère.
Une pointe pour déplacer la molécule
L'expérience de mécanique moléculaire est réalisée de
la manière suivante. 1) Une molécule-pignon isolée
est préalablement manipulée par la pointe STM en
direction de la crémaillère pour qu’au moins une de
ses branches s’enclenche dans les dents moléculaires
de la crémaillère. 2) La pointe du STM est alors
placée à la verticale et dans l'axe d'une moléculepignon. 3) La pointe est approchée de la molécule
pour devenir son axe de rotation. 4) La pointe est
alors déplacée par l’expérimentateur, pas à pas,
parallèlement à la crémaillère. La molécule-pignon
page 10
se met à tourner autour de son axe au rythme des
dents de la crémaillère rencontrées lors de son
déplacement par le pignon. Cette rotation est
observée soit dans le courant tunnel enregistré au
cours du déplacement de la pointe STM soit en
réalisant une image STM du pignon à chaque
rotation d’un sixième de tour. Nous avons pu ainsi
démontrer que le concept d'engrenage s’applique à
l'échelle d’une molécule. Les mouvements mécaniques
de la molécule-pignon autour de son axe sont en
apparence classiques. Le sens de rotation du pignon
est contrôlable par la direction du déplacement de
la pointe le long de la crémaillère. Reste maintenant
à remplacer la pointe du STM par un axe lui-même
défini à l’échelle atomique et adsorbé sur la surface
afin de construire un train de molécule-engrenages et
poursuivre le montage de machineries moléculaires
complexes.
Contact : [email protected]
Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 16
Les
nano-machines
Le nano-moteur
des bactéries à flagelles
Les bactéries ont développé au cours de l’évolution une nano-machine complexe
mais très efficace pour se déplacer : un moteur rotatif couplé à des flagelles
servant d’hélice. Aujourd’hui les chercheurs du LAAS décortiquent et
réassemblent cette machinerie à l’aide des outils de la nano-bio-technologie.
Les micro-organismes, comme les bactéries ont
développé des organes, appelés organelles, qui leur
permettent de remplir toutes sortes de fonctions liées
>>> Jérôme CHALMEAU, doctorant et Christophe VIEU,
Professeur à l’UPS, membres du groupe
nanobiosystèmes du LAAS
(unité propre CNRS, associée à l’UPS)
procéder à son assemblage à partir de ses
constituants élémentaires, les protéines. En effet, le
mécanisme de ce nano-moteur reste encore sujet à
à leur survie. Ces organelles représentent de
formidables assemblages moléculaires d’une
complexité encore inaccessible à l’homme. Le système
débat. Dans l’optique de comprendre son
assurant la mobilité des bactéries comporte un
moteur rotatif à la base du flagelle dont la
dimension est 2000 fois plus petite que le diamètre
d’un cheveu, et 45 fois plus petit que la bactérie
elle-même. Ce flagelle fonctionne comme l’hélice
d’un bateau, sa rotation rapide, de l’ordre de
10000 rotations par minute pour certaines espèces,
permet à cet organisme de se déplacer à grande
vitesse. La nature, au cours d’évolutions successives,
par pièce, ce moteur sur des dispositifs artificiels.
a donc réussi à faire émerger des architectures
moléculaires de nanomoteur rotatif.
arrangement des différentes parties du nano-moteur
fonctionnement, nous utilisons les outils offerts par
les nano-bio-technologies afin de réassembler, pièce
Assemblage du moteur biologique
Cette approche, où la compréhension passe par la
fabrication de l’objet soulève en corolaire une
question scientifique cruciale : est-il possible de
maîtriser l’assemblage de protéines sur des surfaces
et de reconstituer des nano-machines naturelles ? La
figure montre une image de synthèse d’un possible
(rotor, stator), ainsi qu’une image obtenue en
microscopie à force atomique (AFM) en milieu
Le projet de l’équipe est double : d’une part
liquide de l’un des anneaux de ce nanomoteur
comprendre son fonctionnement et d’autre part
(l’anneau M) reconstitué sur une surface mimétique
mettre en place une technique permettant de
obtenue par nanolithographie douce. Ces premiers
résultats ouvrent la voie pour la mise au point
d’outils et de technologies permettant de reconstruire
des nano-machines biologiques naturelles et de les
intégrer au sein de nanodispositifs artificiels
(biocapteurs, nanotransporteurs …). Le montage
artificiel de ce moteur biologique, bloc après bloc est
un défi technologique ambitieux qui couple
différentes techniques qui se situent au meilleur
niveau international : production et purification de
protéines, chimie de surface et auto-assemblage,
nano-lithographie et imagerie dynamique à l’échelle
moléculaire par AFM. Ce travail est fait en
collaboration avec le LISBP (INSA Toulouse) et l’IPBS
(unité mixte UPS/CNRS).
Contact : [email protected]
>>> A droite, image de synthèse de l’architecture du nanomoteur flagellaire des bactéries. Base du
flagelle et rotor en gris, Stator (en bleu sombre et en orange), anneau C (bleu clair) responsable du
changement du sens de rotation du moteur.
A gauche, image en microscopie à force atomique en milieu liquide de l’auto-assemblage en
anneau de protéines issues du nanomoteur flagellaire des bactéries (protéines FliG) sur une
surface mimétique préparée par nanolithographie douce sur une lame de verre.
page 11
Téléchargement