Le bon Dieu n`avait pas tout prévu…

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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Le bon Dieu n'avait pas tout prévu…
20/09/12
Autrefois utilisée dans la lutte intégrée contre les pucerons, la coccinelle asiatique - Harmonia axyridis - est
désormais l'une des espèces les plus abondantes de nos régions. Et cela, jusqu'au cœur de nos habitations.
Mais la parade scientifique se met en place petit à petit. Gembloux Agro-Bio Tech vient de franchir un pas
décisif dans l'identification des… hydrocarbures intervenant dans la formation des agrégats hivernaux de
l'animal.
Qui aurait pu prévoir un tel scénario ? Les scientifiques, peut-être, s'ils avaient été consultés. Les horticulteurs
européens, sans doute, s'ils s'étaient intéressés d'un peu plus près aux problèmes rencontrés aux EtatsUnis quelques années auparavant. Lorsque les horticulteurs belges, français, néerlandais… introduisent la
coccinelle asiatique dans leurs cultures, dans le courant des années nonante, celle-ci est parée de toutes les
vertus. Réputée pour sa voracité, Harmonia axyridis ne fait en effet qu'une bouchée des nuées de pucerons
qui envahissent les serres. Facile à élever, elle ne coûte pas cher et représente un avantage indéniable sur
les insecticides: aucune toxicité pour le manipulateur ! Dans la foulée des professionnels, les particuliers s'en
fournissent également, ravis de pouvoir utiliser chez eux, dans les potagers et les jardins, cet auxiliaire parfait
de « lutte intégrée » contre les parasites des plantes. Ainsi, précédée de sa réputation de sympathique bête
à bon Dieu, la coccinelle asiatique multi-colorée - traduction littérale de son nom anglais ; elle peut en effet
être jaune, rouge, orange ou noire - devient, malgré elle, le porte-étendard symbolique de tous les insectes
« utiles », fidèles auxiliaires de l'homme, qu'il convient de protéger à tout prix.
© Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 15 November 2012
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Espèce invasive
Dès 2001, on commence à déchanter. Alors qu'on pensait l'animal incapable de résister aux hivers rigoureux,
on commence à le retrouver ici et là en Flandre, en pleine nature. Puis à Bruxelles… Ensuite en Wallonie…
En dix ans à peine, la coccinelle se répand à une vitesse extraordinaire et finit par envahir tout le pays, ce qui
lui vaut aujourd'hui son statut d'espèce invasive.
Un problème ? Oui, à triple titre. D'abord, parce que l'animal est un prédateur « intraguilde ». Cela signifie que,
loin de se contenter de dévorer les pucerons (des Hémiptères Aphidoidés) et d'autres petits insectes à corps
mou, la coccinelle asiatique n'hésite pas à s'en prendre aux prédateurs avides des mêmes proies qu'elle.
Elle entre en compétition directe avec d'autres espèces d'insectes, parmi lesquelles les coccinelles, indigènes
celles-là, dont elle dévore les larves. A ce titre, les derniers rapports scientifiques publiés en Belgique semblent
indiquer un déclin des coccinelles à deux et à dix points, des espèces dont nos écosystèmes ont bien besoin.
Deuxième problème : l'animal a la fâcheuse manie de se nourrir de fruits mûrs. Ce n'est pas qu'il entraîne
lui-même le dépérissement des fruits habituels des cultures (il intervient après un autre facteur l'ayant
endommagé), mais il semble s'intéresser plus particulièrement aux raisins bien mûrs, s'y rassemblant en
agrégats en fin de saison. Faute de pouvoir être aisément retiré du processus de fabrication, il se retrouve
alors dans le vin, dont il altère le goût. Au vu de l'engouement pour la création de vignobles en Belgique, voilà
qui pourrait donner du fil à retordre à nos (futurs) viticulteurs, à l'instar de leurs collègues français.
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Enfin, troisième problème. A l'arrivée de l'automne, Harmonia axyridis est saisie d'un irrésistible réflexe
de protection contre la chute des températures. Ne se contentant pas de trouver des abris naturels, elle
affectionne également l'intérieur des habitations, en ville comme à la campagne, et plus particulièrement à
proximité des surfaces boisées qu'elle a fréquentées pendant l'été. Inutile de colmater les anfractuosités : elle
parvient à s'insinuer dans les minuscules interstices des châssis, murs et parois. Par dizaines ou par centaines
(on a même observé des agrégats de plusieurs milliers d'individus !), les coccinelles asiatiques peuvent alors
hiverner tranquillement dans les replis des tentures ou derrière une cloison, leur métabolisme tournant au
ralenti durant toute la mauvaise saison.
Si la compagnie hivernale de quelques-uns de ces insectes peut paraître plaisante, il n'en va plus vraiment
de même lorsque des centaines d'animaux envahissent les lieux de vie ou de sommeil, maculant les supports
où ils sont regroupés d'un liquide jaunâtre nauséabond lorsqu'ils sont dérangés. Dans certains cas, les
substances qu'ils dégagent peuvent entraîner des réactions de type allergique : asthme, rhinite, conjonctivite…
La présence d'allergènes a été démontrée dans l'hémolymphe. Des travaux américains assez récents ont
abouti à la découverte d'allergies croisées entre la coccinelle asiatique et la blatte.
Techniques de piégeage
Pour toutes ces raisons, il faut limiter leurs populations. Tout en se gardant de la moindre naïveté : leur
présence est devenue inévitable et il est probablement impossible d'en venir totalement à bout. A l'Unité
d'entomologie fonctionnelle et évolutive de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège), on travaille de
longue date à une meilleure connaissance des mœurs d'Harmonia axyridis. L'un des principaux objectifs des
chercheurs consiste à mettre au point des techniques de piégeage respectueuses à la fois des écosystèmes
fréquentés par les animaux (pas question de menacer d'autres espèces d'insectes, et encore moins les autres
espèces de coccinelles) et de la sécurité des utilisateurs. Une étape importante vient d'être franchie avec les
travaux de Delphine Durieux, chercheuse au service d'entomologie du professeur Eric Haubruge, réalisés
en collaboration avec l'unité d'Analyse, qualité et risques (Laboratoire de chimie analytique). Ces recherches
ont été consacrées aux rôles des chaînes hydrocarbonées dans la formation des agrégats de coccinelles au
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sein des habitations. « On sait, via d'autres recherches, qu'Harmonia axyridis est attirée à l'automne par des
éléments proéminents dans le paysage, se détachant clairement sur l'horizon : montagnes, collines, bâtiments
imposants, maisons isolées, etc, explique la jeune chercheuse. Encore faut-il découvrir ce qui se passe après
le vol migratoire vers les édifices : comment et pourquoi les coccinelles asiatiques forment-elles ces agrégats ?
Comment ceux-ci se maintiennent-ils tout au long de la mauvaise saison ? »
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La chercheuse s'est penchée sur
les molécules non-volatiles présentes sur la cuticule des insectes. Celles-ci - pouvant jouer un rôle de
phéromones - sont déposées passivement sur les supports par simple contact avec les pattes ou l'abdomen.
Pour être reconnues par les insectes, ces molécules doivent avoir été goûtées par ceux-ci, probablement
par les pièces buccales (mais ceci reste à prouver). Après leur prélèvement chez des particuliers, une
vingtaine d'agrégats et leurs supports (châssis, parois, cloisons…) ont livré une partie de leurs secrets. « Par
chromatographie en phase gazeuse, nous avons identifié deux types de marquages, l'un lié aux alentours de
l'endroit d'agrégation, l'autre spécifique au lieu de rassemblement lui-même. Dans le premier cas, le marquage
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est destiné à guider les animaux vers le lieu d'agrégat. Dans le second, à maintenir la cohésion du groupe tout
au long de l'hivernage. Dans les deux cas, il s'agit des mêmes hydrocarbures, mais les analyses chimiques
ont révélé des différences de profils : la proportion d'hydrocarbures insaturés est plus importante dans le cas
du marquage périphérique à l'agrégat ».
Les recherches menées par l'Unité d'entomologie en collaboration avec le laboratoire de chimie analytique
ont également mis en évidence la persistance d'une partie des hydrocarbures sur les supports des agrégats,
et cela tout au long de l'année. «Leur concentration peut certes évoluer, explique Delphine Durieux. Mais les
marquages contiennent des molécules saturées, dont la stabilité explique qu'elles soient toujours présentes et goûtées - l'automne suivant, permettant l'orientation à courte distance des premiers migrants. Ces derniers
les rafraîchissent et les renforcent lors des allées et venues autour du site d'agrégat. La seule présence
de ces substances déposées l'année précédente ne suffit cependant pas à induire de nouveau l'agrégation
des coccinelles asiatiques en ces sites. En effet, si l'environnement du site sélectionné antérieurement a
été modifié et ne présente plus les caractéristiques favorables à l'agrégation, les coccinelles n'établissent
plus leur rassemblement dans ces lieux et affectionneront d'autres sites, jugés plus appropriés. Ceci suggère
l'importance particulière des éléments visuels dans la mise en place des amas ».
Est-ce à dire que la fabrication de pièges à coccinelles asiatiques peut débuter ? Pas encore. « Le rôle des
hydrocarbures insaturés doit encore être confirmé et affiné, explique la jeune chercheuse. Il faut identifier
précisément les molécules responsables des comportements observés. Il faut aussi s'intéresser aux molécules
volatiles, l'association de telles substances aux pièges étant essentielle pour attirer les insectes à distance.
De nombreuses expérimentations sont encore nécessaires… »
Les particuliers confrontés à ce genre d'invasions à leur domicile en sont donc réduits à patienter quelque peu.
Et, pour s'en débarrasser, à aspirer les agrégats et à les placer au congélateur pendant un temps suffisamment
long. En effet, relâchés vivants à l'extérieur, les animaux n'ont qu'un seul réflexe : retourner aussitôt vers
leur lieu d'hivernage. Or les meilleurs efforts de colmatage n'en viennent pas à bout. Seul inconvénient de
cette méthode quelque peu expéditive : risquer de détruire, dans le lot aspiré et « refroidi », des coccinelles à
deux points ou d'autres espèces indigènes qui, régulièrement, s'associent aux coccinelles asiatiques pendant
l'hiver. Celles-là même qui, pendant la saison plus chaude, dévoreront leurs larves…
Philippe Lamotte
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