CULTURE DES SOINS Photo: CIRIC Comprendre un handicap répandu La perte – momentanée ou dé- CENDRINE HIRT finitive – de la faculté de s’ex- AV O I R le mot sur le bout de la langue, dire pomme pour poire, lunettes pour pantoufles, ne plus être capable d’écrire son nom, ne plus pouvoir lire ne serait-ce que les titres des journaux – tel est le lot de milliers de personnes aphasiques en Suisse. Renseigner un passant dans la rue, répondre au téléphone, demander une information à un guichet, apposer sa signature, autant de situations qui peuvent devenir très embarrassantes pour l’aphasique et surtout très handicapantes dans sa vie sociale ou pour la reprise d’une activité professionnelle. Selon Fragile (Association suisse pour les traumatisés cranio-cérébraux) 3000 à 5000 traumatismes cranio-cérébraux surviennent chaque année en Suisse lors d’accidents (dont 60 % de la circulation primer verbalement touche un nombre important de patients ayant subi un traumatisme cranio-cérébral. Pour les soignants, la personne aphasique est déroutante, et il s’agit, lors des soins, de réinventer des manières de communiquer sur la base des connaissances à disposition. * cf. lexique en page 59. 54 KRANKENPFLEGE 4/2001 SOINS INFIRMIERS dans la tranche d’âge 18–30 ans) et 14 000 accidents vasculaires cérébraux. Une atteinte de l’hémisphère gauche L’aphasie peut être définie comme un trouble de la communication acquis suite à une lésion cérébrale, généralement située dans l’hémisphère gauche, chez une personne ayant déjà appris à parler (adultes, adolescents, voire même enfants ayant déjà acquis le langage). Elle entraîne une altération des activités langagières quotidiennes (parole, compréhension, lecture, écriture, calcul) avec une atteinte à des degrés divers. L’aphasie ne se limite pas à des troubles du langage oral et écrit (que ce soit en expression et/ou en compréhension). Elle est régulièrement accompagnée de troubles cognitifs (mémoire, gnosies), praxies, fonctions exécutives*, raisonnement, concentration, orientation), de troubles moteurs et/ou sensitifs, de modifications du caractère et présente toujours des conséquences psychologiques et émotionnelles. L’aphasie constitue donc une perturbation globale de la personne. Sur le plan étiologique, elle peut être causée par un accident vasculaire cérébral, une hémorragie cérébrale ou un processus tumoral. Les difficultés typiques Perturbations liées aux aphasies dites non fluentes • réduction de l’expression orale (mutisme dans les cas les plus graves, stéréotypies, pauvreté du vocabulaire) • troubles de l’articulation • élocution lente/syllabée avec effort articulatoire • dyprosodie, pseudo-accent • dissociation automatico-volontaire manque du mot • paraphasies sémantiques (existent aussi en lecture et en écriture sous les termes de paralexies et paragraphies) • néologismes • agraphies • agrammatisme • troubles de la compréhension orale/ écrite à différents niveaux (sons/lettres, mots, phrases, discours/textes) • troubles du calcul oral/écrit. Perturbations liées aux aphasies dites fluentes • débit abondant voire logorrhéique • manque du mot • conduites d’approche phonémiques • paraphasies phonémiques et sémantiques • dyssyntaxie • troubles de la compréhension orale/écrite • paralexies et paragraphies • troubles du calcul. Plusieurs formes d’aphasie peuvent être décrites selon la gravité et la nature des troubles (aphasies globales, de Wernicke, de Broca, de conduction, transcorticales sensorielles ou motrices ou encore anomiques, pour reprendre la nomenclature utilisée en Suisse romande. Ni sourd ni bègue L’aphasique n’est pas sourd, même si parfois il reste perplexe devant vos paroles; de graves troubles de la compréhension sont susceptibles de perturber considérablement la réception du message qui lui est adressé. L’aphasique n’est pas bègue même si parfois il trébuche sur des mots et tâtonne avant d’arriver à les produire; certains troubles de l’expression se caractérisent par de nombreuses conduites d’approche avant de parvenir à une émission correcte. L’aphasique ne souffre pas de maladie mentale même si parfois son discours se montre totalement incompréhensible et incohérent; les transformations de mots sont dans certains cas si nombreuses qu’elles entraînent un jargon peu interprétable pour l’interlocuteur. L’aphasie se différencie également des troubles du langage d’origine développementale (difficultés dans l’acquisition du langage), des troubles de la voix (dysphonies) liés à une atteinte des cordes vocales ou du système phonatoire ou encore des dysarthries (troubles de l’articulation essentiellement) observés dans le cadre de certaines atteintes neurologiques (accidents vasculaires cérébraux, Parkinson, sclérose en plaques, sclérose latérale amyotrophique, etc.) Des troubles d’importance variable L’aphasie consiste donc en troubles du langage tant en modalité orale qu’écrite et tant en production qu’en compréhension. Tant les aphasies dites non fluentes que fluentes sont caractérisées par un certain nombre de difficultés typiques (lire encadré). L’évolution des aphasies est variable et dépend de nombreux facteurs (localisation/étendue et étiologie de la lésion, sévérité initiale des troubles, présence de troubles associés, conscience des troubles, âge, facteurs individuels, etc.). Le personnel infirmier est susceptible de se trouver confronté à l’aphasie à différents stades de son évolution (aigu, rééducation/réadaptation, chronique) et de rencontrer des personnes aphasiques dans divers lieux d’hospitalisation et de vie (urgences, soins intensifs, services de soins aigus – médecine/neurologie/neurochirurgie – services de rééducation et de réhabilitation neurologique, soins à domicile par les centres médico-sociaux/ services de psychogériatrie). Si environ un tiers des patients présentent une récupération optimale même en conservant parfois une gêne ou un manque d’aisance dans certaines situations de communication stressantes ou émotionnelles, près de la moitié récupèrent seulement un langage propositionnel avec des séquelles ne compromettant pas la communication quotidienne mais empêchant la reprise de l’activité professionnelle antérieure à la maladie. Quant à la dernière catégorie de patients, il s’agit d’aphasiques dont les progrès sont malheureusement très réduits et souvent limités à un langage très automatique (mots/phrases de politesse ou de convenance sociale, persévérations, chant, etc.). La conscience des troubles est variable d’un patient à l’autre et dépend en partie de la nature de l’aphasie et de son stade d’évolution. Il est possible d’illustrer la palette des réactions face aux troubles comme un continuum s’étendant d’une anosognosie totale – pas ou peu de conscience des déficits avec une sorte d’indifférence à ce qui lui arrive sans que le paKRANKENPFLEGE 4/2001 SOINS INFIRMIERS 55 CULTURE DES SOINS tient soit confus ou dément – à une véritable réaction de catastrophe, la souffrance psychologique du patient s’exprimant alors sous la forme de pleurs incontrôlés, de colère, de dépression. Cendrine Hirt est logopédiste spécialisée en aphasie et neuropsychologie exerçant en libéral à Yverdon. Des pertes à tous les niveaux Les conséquences psychologiques et émotionnelles de l’aphasie sont nombreuses et très fréquentes, d’où l’importance de les connaître pour pouvoir les prendre en considération dans la démarche de soins et d’accompagnement. La solitude et l’isolement en est une conséquence majeure chez 90 % des patients, même un an après l’AVC, avec notamment près de 75 % des bien portants qui évitent le contact social avec la personne aphasique de leur entourage. L’agressivité, l’irritabilité, la honte, la culpabilité (pour l’entourage familial surtout), l’anxiété, la tristesse qui mène parfois à une dépression, sont des réactions fréquemment observées suite à la prise de conscience de la perte importante qu’est la privation de langage et de communication. L’état psychique et affectif du patient a une influence notable sur le succès de la rééducation mais aussi sur la qualité de vie et des relations. 56 KRANKENPFLEGE 4/2001 SOINS INFIRMIERS S’intéresser à la personne aphasique, et pas seulement à l’aphasie, c’est prendre en compte les modifications de la vie personnelle et relationnelle du patient suite à la lésion cérébrale, aux déficits qu’elle occasionne et aux conséquences de ceux-ci. Devenir aphasique, c’est perdre une partie de soi-même, perdre le contrôle de la réalité. L’aphasie n’entraîne pas uniquement une perte de la compréhension et de l’expression du langage et des capacités cognitives, elle engendre également une diminution de l’estime de soi, une perte du prestige (revenu, statut social), une perte de l’identité et des rôles familiaux (modification de la relation de couple, inversion des rôles entre conjoints), une perte des activités culturelles/sociales/sportives ainsi qu’un abandon des projets d’avenir. Eviter la rupture relationnelle Dans l’établissement et le maintien de relations avec le patient aphasique, il est essentiel de tenir compte de l’atteinte langagière et cognitive mais également de ses aspects psychologiques, affectifs et sociaux. L’aphasie doit être considérée comme un ensemble de symptômes à l’origine de certaines attitudes et réactions de la part du patient lui-même et de son entourage. En effet, l’aphasie est non seulement une rupture de la communication mais aussi des relations à plusieurs niveaux: personnel, conjugal, familial, social et environnemental. L’aphasie a une influence sur toutes les relations, y compris celles établies entre le patient et ses soignants. Une connaissance élémentaire de l’aphasie est indispensable au personnel infirmier pour parvenir à mettre en place des stratégies de facilitation de la communication accessibles et adaptées aux capacités résiduelles et aux difficultés de chaque patient. Des précautions de base sont à prendre en considération (lunettes, appareils auditifs, prothèses dentaires, pas de bruits parasites, etc.) pour s’assurer que les conditions de communication sont optimales. Un certain nombre d’attitudes sont à favoriser, ou au contraire, à éviter pour faciliter les échanges verbaux et non verbaux avec une personne aphasique. Et à tout moment de la prise en charge de ces patients, il est essentiel de garder en mémoire que l’aphasique est un être transformé. «Et même lorsque l’aphasie disparaît, l’aphasique demeure» (Ponzio, 1991). ■ Pour en savoir plus sur l’aphasie Ouvrages facilement accessibles Bauby, J.D. Le scaphandre et le papillon. Laffont. Paris, 1997. Chartier, M. Rendez-moi mes mots. L’Ortho-Edition, Paris, 1998. Lutz, L. Comprendre le silence. Soins infirmiers 2/94, pp. 8–13. Mataux, J.M., Brun, V., Pelissier, J. Aphasie 2000. Rééducation et réadaptation des aphasies vasculaires. Ed. Masson, 2000. Ponzio, J., Lafond, D., Degiovani, R., Joanette, Y. L’aphasique. Edisem, Québec, Maloine, Paris, 1991. Brochures et documents d’information Communauté suisse de travail pour l’aphasie (CSA), Zähringerstrasse 19, 6003 Lucerne, tél. 041 240 05 83, fax 041 240 07 54. www.aphasie.org. Vidéos «Les mots perdus», film de Marcel Simard, joué par des aphasiques, 87 min, 1993. A commander auprès de l’Association genevoise des aphasiques, p.a. Dany Hersperger, rte de Gy 169a, 1205 Genève. «Soudain quelque chose me manque dans la tête: vivre après une lésion cérébrale, 6 portraits». 43 min, 1993. A commander auprès de «Point de vue», audiovisuelle Produktionen, Flughafenstrasse 20, 4056 Bâle. «Voyage à travers le jardin aux fleurs noires», série de films. A commander auprès de Fragile Suisse, Beckenhofstrasse 70, 8006 Zurich. Comment communiquer avec une personne aphasique? Communiquer avec un patient aphasique demande de la patience et de la sensibilité, mais également des connaissances approfondies des troubles en présence. Le respect de certaines règles simples permet de faciliter la communication. CENDRINE HIRT L’ A P H A S I E , en raison des troubles de l’expression et de la compréhension parfois sévères qu’elle occasionne, est à l’origine de difficultés de communication souvent très importantes. Les échanges verbaux, mais également non verbaux dans certains cas, de l’aphasique avec son entourage (limité à la famille, aux soignants et aux thérapeutes dans un premier temps) sont généralement considérablement perturbés. Afin d’améliorer les échanges, tant sur le plan de l’expression que de la compréhension, certaines attitudes sont à favoriser alors que d’autres seraient à éviter. Nous reprenons ci-après certaines des habitudes à encourager ou à déconseiller en vue de donner quelques pistes de réflexion aux infirmières et infirmiers en pratique auprès de patients aphasiques. Facilitation de la compréhension En respectant un certain nombre de consignes simples, on permettra à la personne aphasique une meilleure compréhension des messages: • veiller au port de lunettes (s’assurer que le patient possède ou non des lunettes, en particulier en cas de difficultés de lecture ou de reconnaissance visuelle) • obtenir l’attention du patient avant de s’adresser à lui • accorder du temps, c’est-à-dire donner un délai supplémentaire pour compren- dre et répondre (les difficultés de compréhension et le manque d’incitation à l’action liés à la lésion cérébrale engendrant souvent des temps de latence importants) • être clair en cas d’incompréhension, le dire au patient, ne pas faire semblant d’avoir compris • contrôler son débit (ne pas parler trop vite, ralentir si nécessaire, faire des pauses entre les phrases) • répéter la phrase en cas d’incompréhension, au mieux, la reformuler • confirmer votre interprétation quand le patient répond à une question, poser ensuite la question opposée; si la réponse ne change pas, des difficultés de communication risquent de diminuer la fiabilité des réponses du patient • utiliser des phrases simples et courtes (éviter à tout prix de tomber dans le piège du parler «bébé» ou «petit nègre»), utiliser des mots redondants (ex.: «Avezvous faim pour manger le dîner?») • ne pas changer de sujet trop rapidement, ne pas «sauter du coq à l’âne», évoquer une seule idée à la fois • conserver une intensité de voix normale (ne pas parler plus fort car l’aphasique n’est pas sourd) • privilégier des situations de dialogue à deux (éviter de parler plusieurs à la fois, réduire le nombre d’interlocuteurs) • favoriser une situation de face-à-face pour permettre la lecture sur les lèvres et la perception des mimiques faciales auxquelles les patients sont très attentifs • utiliser des supports visuels (images, dessins, objets, écrits) pour illustrer vos propos ou vos questions • accompagner le discours de gestes et de mimiques • veiller à conserver une intonation adaptée, ne pas parler sur un ton de voix monotone car la prosodie permet souvent au patient de comprendre le contexte (question ou affirmation) et de découvrir dans quel état émotionnel se trouve son interlocuteur (triste, énervé, content, etc.). Facilitation des échanges verbaux Là aussi, le respect de certaines règles pratiques s’avère très efficace: • vérifier que le port et le maintien de prothèses dentaires est satisfaisant (en cas de difficultés d’articulation notamment) • conserver une communication de base même avec un patient mutique ou peu présent (échange de convenances sociales: bonjour, présentations, verbalisations des actes quotidiens tels que toilette, habillage, repas, etc.) • insérer la personne aphasique dans les conversations quotidiennes et dans les activités de tous les jours dans le but de lui rendre une place de partenaire dans la communication • maintenir le désir de dialoguer et encourager la moindre tentative de communication, même non verbale, pour diminuer au maximum les frustrations • laisser un temps de réponse suffisant, attendre et ne pas anticiper les réponses • utiliser de préférence des questions fermées (avec réponse oui/non), éviter les questions trop ouvertes (ex.: «Voulezvous manger des frites ce soir?» plutôt que «Qu’est-ce que vous voulez manger ce soir?») • être conscient que le patient peut utiliKRANKENPFLEGE 4/2001 SOINS INFIRMIERS 57 CULTURE DES SOINS Photo: Janine Jousson Les soignants doivent apprendre à ne pas se décourager devant les échecs de la communication. Il faut du temps, de la patience, et d’incessantes répétitions: des efforts qui en valent la peine et qui permettent d’éviter l’isolement de la personne aphasique. ser un mot à la place d’un autre (ex.: café pour thé, lunettes pour pantoufles, etc.) • reformuler ce que vous pensez avoir compris • ne pas être choqué par l’utilisation du tutoiement ou la production de jurons qui sont liés à un manque de contrôle et sortent de manière automatique • en cas de difficultés à produire un chiffre, le replacer dans la série en comptant depuis 1 jusqu’au chiffre désiré (par exemple, pour dire l’heure) • aider le patient à trouver le mot si vous l’avez deviné. Utiliser des moyens de facilitation comme: – ébauche orale: donner le premier son du mot (ex.: «o» pour orange, etc.) – ébauche écrite:écrire la première lettre – ébauche motrice: montrer l’image labiale du mot sans le prononcer – ébauche contextuelle: placer le mot à la fin d’une phrase qui apporte le contexte (ex.: je frappe à la...) • en cas d’acharnement du patient sur un mot précis qu’il ne parvient pas à exprimer, l’inciter à trouver un syno- nyme ou à donner une définition (périphrase) • en cas d’incompréhension totale de ce que le patient cherche à dire, changer de sujet de conversation en lui précisant qu’on y reviendra plus tard • en cas de troubles de l’articulation sévères: – faire ralentir le début de la parole – demander au patient d’essayer d’augmenter l’intensité de la voix – trouver la position la plus favorable à l’émission vocale (buste droit en particulier pour permettre à la colonne d’air d’être expulsée facilement). Aménagement de l’environnement Afin d’offrir au patient aphasique des conditions optimales de communication, il est parfois nécessaire de procéder à certains aménagements: • supprimer les bruits de fond parasites (TV, radio, se mettre dans un endroit calme avec peu de monde) • réguler les visites (des visites trop fréquentes et trop nombreuses sont susceptibles d’augmenter la fatigabilité du patient) • carnet de visites (inscription des noms et des événements afin de laisser une trace de ce qui se passe dans la journée du patient, en particulier si celui-ci est incapable de s’exprimer seul spontanément ou s’il présente des difficultés mnésiques) * cf. lexique en page 59. 58 KRANKENPFLEGE 4/2001 SOINS INFIRMIERS • être attentif aux troubles associés (mo- teurs, sensoriels, sensitifs, cognitifs) tels que: – désorientation spatiale (placer des repères visuels écrits ou imagés sur la porte de la chambre du patient ou sur son lit, le rendre sensible à certains indices comme la couleur des couloirs, etc.) – désorientation temporelle (mettre à la disposition du patient un calendrier, une montre) – héminégligence*: en cas de stratégie de compensation, placer les objets importants du côté sain (table de nuit, canne, couverts et verre sur le plateau repas, personnes en visite, etc.) ou en cas de stratégie de stimulation de la fonction altérée, tout placer du côté négligé pour inciter le patient à explorer l’espace – troubles mnésiques (constituer un aide-mémoire ou un agenda avec les dates importantes, l’emploi du temps tels que les diverses thérapies, etc.). Stratégies de communication dans des situations particulières Problème de la confusion oui/non ou de l’absence d’un oui/non: Les conséquences de cette difficulté très fréquente chez les aphasiques sont des malentendus dans les échanges et surtout des réponses peu fiables à des questions dites fermées. Les attitudes conseillées dans ce cas sont tout d’abord de vérifier l’adéquation du oui/non dans d’autres modalités (mouvement de la tête, gestes de la main, indication sur ces deux mots écrits ou sur des visages symbolisés avec sourire/moue, voire tout autre code mis en place parfois par le patient et son entourage). Par la suite, il sera essentiel d’encourager l’utilisation du oui/non, qu’il soit verbal ou sur indication qui aura été observé pour permettre au patient de développer des capacités de communication de base. Il est recommandé de plus d’être attentif à la concordance entre le geste/mouvement esquissé par le patient et le mot qu’il oralise, car souvent des contradictions apparaissent; dans ce cas, le patient sera encouragé à n’utiliser que le moyen qui paraît le plus fonctionnel. En cas de doute, il est possible de s’assurer que la réponse du patient est adéquate en soumettant la question inverse ou en proposant d’autres options. Problème du jargon en expression orale et de la logorrhée qui y est souvent associée: Les conséquences majeures de ce type de trouble sont une attention difficile à canaliser, un discours peu voire non informatif, un discours trop abondant avec parfois le non-respect des règles de conversation (tours de parole, rôles émetteur/récepteur, etc.) et un discours parasitant les activités même non verbales. Le but des stratégies proposées ci-dessous est d’aider le patient à réapprendre à s’écouter et à écouter les autres, apprendre à contrôler la quantité de ses productions et l’inciter à parler moins mais de façon plus adaptée. Les attitudes conseillées sont par conséquent d’aider le patient à prendre conscience et à accepter qu’on ne le comprend pas; il est important de lui signifier clairement que l’on n’a pas compris son message pour éviter d’alimenter son jargon. Il est donc nécessaire de le rendre attentif au fait qu’il présente des productions jargonnées et souvent des digressions dans son discours qui ont un impact sur l’échange et le bon fonctionnement de la conversation. Canaliser l’attention et la logorrhée du patient permet de le rendre plus perceptif à son interlocuteur. Encourager le patient à garder le silence dans certaines situations et limiter son flot de paroles sont indispensables si l’on souhaite tenter de diminuer l’abondance des productions déviantes. Problème des troubles sévères de la compréhension orale: De nombreux aphasiques présentent d’importants troubles de la compréhension qui perturbent de façon majeure les échanges et limitent considérablement la communication; de plus, peu de réponses sont fiables dans ce cas même lorsqu’il s’agit de questions simples ou fermées. Les conseils de base pour ne pas accentuer ces troubles sont de poser essentiellement des questions dites fermées et d’utiliser des phrases simples sur le plan syntaxique, courtes et avec un vocabulaire redondant. En cas de dissociation en faveur du langage écrit, il est également possible de recourir au support écrit, ce qui permet par ailleurs d’offrir au patient une modalité supplémentaire. La stratégie de conversation par choix écrits qui propose au patient d’indiquer son choix parmi 3 à 5 mots écrits permet dans certaines situations d’obtenir des échanges de base (à titre d’exemple: que voulez-vous boire? Proposition de trois choix multiples écrits, à savoir thé, café, jus d’orange). Bien que ces diverses attitudes et stratégies soient destinées à faciliter la compréhension et les échanges verbaux, il est certain que malheureusement, dans beaucoup de situations, les troubles du langage oral et écrit sont tels que la communication s’en trouve extrêmement réduite et les échecs fréquents. C’est pourquoi, tant le personnel infirmier que le patient aphasique lui-même ou toute personne susceptible d’entrer en contact avec lui, doivent apprendre à effectuer les tentatives de communication qui, avec le temps et l’évolution, deviendront de plus en plus nombreuses et fructueuses. ■ Lexique concernant l’aphasie Gnosie: capacité de reconnaissance – visuelle, auditive, tactile, olfactive – en l’absence de troubles sensoriels. Praxie: capacité de reproduire des gestes – mimes, gestes d’utilisation d’objets, gestes conventionnels – ou des dessins. Fonctions exécutives: capacité de programmation, d’organisation, d’inhibition. Stéréotypies: dans les formes graves, un mot ou un son continuellement répété par le patient à chaque tentative de production orale et qu’il est très difficile d’inhiber. Pseudo-accent: perturbation de la prosodie – mélodie ou intonation de la parole, modification de l’accent habituel du patient en raison d’une altération de l’intonation (ex.: pseudo-accent germanique ou britannique). Dissociation automatico-volontaire: facilitation de la production dans des situations dites automatiques – énumération des jours/mois, comptage, chant, complétion des phrases lacunaires, prière, etc. Paraphasies sémantiques: substitution d’un mot par un autre (ex.: madame pour monsieur, etc.). Néologisme: production d’un mot qui n’existe pas dans la langue (ex.: palumelle, etc.). Agraphie: incapacité d’écrire. Agrammatisme: troubles de la construction des phrases avec tendance à omettre les mots-outils, à ne pas conjuguer les verbes. Logorrhée: flux de paroles très important avec difficultés à canaliser le discours. Approches phonémiques: tentatives de production de divers sons pour arriver à la production correcte (ex.: f..p..s..ch..cheval). Jargon sémantique ou phonétique: discours peu compréhensible en raison d’un nombre très important de transformations de mots/sons ou de mots inventés. Dyssyntaxie: troubles de la syntaxe avec notamment des erreurs dans l’utilisation des mots-outils (prépositions, déterminants, etc.), et dans l’usage des terminaisons verbales. Héminégligence: trouble dans le cadre duquel le patient omet l’espace visuel opposé à sa lésion (négligence de la moitié du corps, de la moitié du champ spatial, etc.); peut également apparaître en modalité auditive, motrice, sensitive et tactile. Keywords • Aphasie • Troubles de la communication • Traumatisme crânien KRANKENPFLEGE 4/2001 SOINS INFIRMIERS 59