Comment communiquer avec une personne aphasique

publicité
CULTURE DES SOINS
Photo: CIRIC
Comprendre un handicap répandu
La perte – momentanée ou dé-
CENDRINE HIRT
finitive – de la faculté de s’ex-
AV O I R le mot sur le bout de la langue,
dire pomme pour poire, lunettes pour
pantoufles, ne plus être capable d’écrire
son nom, ne plus pouvoir lire ne serait-ce
que les titres des journaux – tel est le lot
de milliers de personnes aphasiques en
Suisse. Renseigner un passant dans la
rue, répondre au téléphone, demander
une information à un guichet, apposer sa
signature, autant de situations qui peuvent devenir très embarrassantes pour
l’aphasique et surtout très handicapantes
dans sa vie sociale ou pour la reprise
d’une activité professionnelle.
Selon Fragile (Association suisse pour
les traumatisés cranio-cérébraux) 3000
à 5000 traumatismes cranio-cérébraux
surviennent chaque année en Suisse lors
d’accidents (dont 60 % de la circulation
primer verbalement touche un
nombre important de patients
ayant subi un traumatisme cranio-cérébral. Pour les soignants, la personne aphasique
est déroutante, et il s’agit, lors
des soins, de réinventer des
manières de communiquer sur
la base des connaissances
à disposition.
* cf. lexique en page 59.
54
KRANKENPFLEGE 4/2001
SOINS INFIRMIERS
dans la tranche d’âge 18–30 ans) et
14 000 accidents vasculaires cérébraux.
Une atteinte de l’hémisphère
gauche
L’aphasie peut être définie comme un
trouble de la communication acquis suite
à une lésion cérébrale, généralement située dans l’hémisphère gauche, chez une
personne ayant déjà appris à parler
(adultes, adolescents, voire même enfants ayant déjà acquis le langage). Elle
entraîne une altération des activités
langagières quotidiennes (parole, compréhension, lecture, écriture, calcul) avec
une atteinte à des degrés divers. L’aphasie ne se limite pas à des troubles du langage oral et écrit (que ce soit en expression et/ou en compréhension). Elle est
régulièrement accompagnée de troubles
cognitifs (mémoire, gnosies), praxies,
fonctions exécutives*, raisonnement,
concentration, orientation), de troubles
moteurs et/ou sensitifs, de modifications
du caractère et présente toujours des
conséquences psychologiques et émotionnelles. L’aphasie constitue donc une
perturbation globale de la personne.
Sur le plan étiologique, elle peut être
causée par un accident vasculaire
cérébral, une hémorragie cérébrale ou un
processus tumoral.
Les difficultés typiques
Perturbations liées aux aphasies dites
non fluentes
• réduction de l’expression orale (mutisme dans les cas les plus graves, stéréotypies, pauvreté du vocabulaire)
• troubles de l’articulation
• élocution lente/syllabée avec effort articulatoire
• dyprosodie, pseudo-accent
• dissociation automatico-volontaire
manque du mot
• paraphasies sémantiques (existent aussi en lecture et en écriture sous les termes de paralexies et paragraphies)
• néologismes
• agraphies
• agrammatisme
• troubles de la compréhension orale/
écrite à différents niveaux (sons/lettres,
mots, phrases, discours/textes)
• troubles du calcul oral/écrit.
Perturbations liées aux aphasies dites
fluentes
• débit abondant voire logorrhéique
• manque du mot
• conduites d’approche phonémiques
• paraphasies phonémiques et sémantiques
• dyssyntaxie
• troubles de la compréhension
orale/écrite
• paralexies et paragraphies
• troubles du calcul.
Plusieurs formes d’aphasie peuvent
être décrites selon la gravité et la nature
des troubles (aphasies globales, de Wernicke, de Broca, de conduction, transcorticales sensorielles ou motrices ou encore
anomiques, pour reprendre la nomenclature utilisée en Suisse romande.
Ni sourd ni bègue
L’aphasique n’est pas sourd, même si
parfois il reste perplexe devant vos paroles; de graves troubles de la compréhension sont susceptibles de perturber considérablement la réception du message qui
lui est adressé.
L’aphasique n’est pas bègue même si
parfois il trébuche sur des mots et tâtonne avant d’arriver à les produire; certains
troubles de l’expression se caractérisent
par de nombreuses conduites d’approche
avant de parvenir à une émission correcte.
L’aphasique ne souffre pas de maladie
mentale même si parfois son discours se
montre totalement incompréhensible et
incohérent; les transformations de mots
sont dans certains cas si nombreuses
qu’elles entraînent un jargon peu interprétable pour l’interlocuteur.
L’aphasie se différencie également des
troubles du langage d’origine développementale (difficultés dans l’acquisition du
langage), des troubles de la voix (dysphonies) liés à une atteinte des cordes vocales ou du système phonatoire ou encore
des dysarthries (troubles de l’articulation
essentiellement) observés dans le cadre
de certaines atteintes neurologiques (accidents vasculaires cérébraux, Parkinson, sclérose en plaques, sclérose latérale
amyotrophique, etc.)
Des troubles d’importance
variable
L’aphasie consiste donc en troubles du
langage tant en modalité orale qu’écrite
et tant en production qu’en compréhension. Tant les aphasies dites non fluentes
que fluentes sont caractérisées par un
certain nombre de difficultés typiques
(lire encadré).
L’évolution des aphasies est variable et
dépend de nombreux facteurs (localisation/étendue et étiologie de la lésion,
sévérité initiale des troubles, présence de
troubles associés, conscience des troubles, âge, facteurs individuels, etc.).
Le personnel infirmier est susceptible
de se trouver confronté à l’aphasie à différents stades de son évolution (aigu, rééducation/réadaptation, chronique) et de
rencontrer des personnes aphasiques
dans divers lieux d’hospitalisation et de
vie (urgences, soins intensifs, services de
soins aigus – médecine/neurologie/neurochirurgie – services de rééducation et
de réhabilitation neurologique, soins à
domicile par les centres médico-sociaux/
services de psychogériatrie).
Si environ un tiers des patients présentent une récupération optimale même en
conservant parfois une gêne ou un manque d’aisance dans certaines situations
de communication stressantes ou émotionnelles, près de la moitié récupèrent
seulement un langage propositionnel
avec des séquelles ne compromettant pas
la communication quotidienne mais
empêchant la reprise de l’activité professionnelle antérieure à la maladie. Quant à
la dernière catégorie de patients, il s’agit
d’aphasiques dont les progrès sont malheureusement très réduits et souvent
limités à un langage très automatique
(mots/phrases de politesse ou de convenance sociale, persévérations, chant,
etc.).
La conscience des troubles est variable
d’un patient à l’autre et dépend en partie
de la nature de l’aphasie et de son stade
d’évolution. Il est possible d’illustrer la
palette des réactions face aux troubles
comme un continuum s’étendant d’une
anosognosie totale – pas ou peu de conscience des déficits avec une sorte d’indifférence à ce qui lui arrive sans que le paKRANKENPFLEGE 4/2001
SOINS INFIRMIERS
55
CULTURE DES SOINS
tient soit confus ou dément –
à une véritable réaction de
catastrophe, la souffrance
psychologique du patient
s’exprimant alors sous la
forme de pleurs incontrôlés,
de colère, de dépression.
Cendrine Hirt est logopédiste spécialisée
en aphasie et neuropsychologie exerçant
en libéral à Yverdon.
Des pertes
à tous les niveaux
Les conséquences psychologiques et émotionnelles de
l’aphasie sont nombreuses et très fréquentes, d’où l’importance de les connaître pour pouvoir les prendre en considération dans la démarche de soins et
d’accompagnement.
La solitude et l’isolement en est une
conséquence majeure chez 90 % des patients, même un an après l’AVC, avec notamment près de 75 % des bien portants
qui évitent le contact social avec la personne aphasique de leur entourage.
L’agressivité, l’irritabilité, la honte, la
culpabilité (pour l’entourage familial surtout), l’anxiété, la tristesse qui mène parfois à une dépression, sont des réactions
fréquemment observées suite à la prise
de conscience de la perte importante
qu’est la privation de langage et de communication. L’état psychique et affectif du
patient a une influence notable sur le
succès de la rééducation mais aussi sur la
qualité de vie et des relations.
56
KRANKENPFLEGE 4/2001
SOINS INFIRMIERS
S’intéresser à la personne aphasique,
et pas seulement à l’aphasie, c’est prendre en compte les modifications de la vie
personnelle et relationnelle du patient
suite à la lésion cérébrale, aux déficits
qu’elle occasionne et aux conséquences
de ceux-ci.
Devenir aphasique, c’est perdre une
partie de soi-même, perdre le contrôle de
la réalité. L’aphasie n’entraîne pas uniquement une perte de la compréhension
et de l’expression du langage et des capacités cognitives, elle engendre également
une diminution de l’estime de soi, une
perte du prestige (revenu, statut social),
une perte de l’identité et des rôles familiaux (modification de la relation de couple, inversion des rôles entre conjoints),
une perte des activités culturelles/sociales/sportives ainsi qu’un abandon des
projets d’avenir.
Eviter la rupture relationnelle
Dans l’établissement et le maintien de
relations avec le patient aphasique, il est
essentiel de tenir compte de l’atteinte langagière et cognitive mais également de
ses aspects psychologiques, affectifs et
sociaux. L’aphasie doit être considérée
comme un ensemble de symptômes à
l’origine de certaines attitudes et réactions de la part du patient lui-même et de
son entourage.
En effet, l’aphasie est non seulement
une rupture de la communication mais
aussi des relations à plusieurs niveaux:
personnel, conjugal, familial, social et environnemental. L’aphasie a une influence
sur toutes les relations, y compris celles
établies entre le patient et ses soignants.
Une connaissance élémentaire de l’aphasie est indispensable au personnel infirmier pour parvenir à mettre en place des
stratégies de facilitation de la communication accessibles et adaptées aux capacités résiduelles et aux difficultés de chaque patient. Des précautions de base sont
à prendre en considération (lunettes, appareils auditifs, prothèses dentaires, pas
de bruits parasites, etc.) pour s’assurer
que les conditions de communication
sont optimales. Un certain nombre d’attitudes sont à favoriser, ou au contraire, à
éviter pour faciliter les échanges verbaux
et non verbaux avec une personne aphasique.
Et à tout moment de la prise en charge
de ces patients, il est essentiel de garder
en mémoire que l’aphasique est un être
transformé. «Et même lorsque l’aphasie
disparaît, l’aphasique demeure» (Ponzio,
1991).
■
Pour en savoir plus
sur l’aphasie
Ouvrages facilement accessibles
Bauby, J.D. Le scaphandre et le papillon.
Laffont. Paris, 1997.
Chartier, M. Rendez-moi mes mots. L’Ortho-Edition, Paris, 1998.
Lutz, L. Comprendre le silence. Soins infirmiers 2/94, pp. 8–13.
Mataux, J.M., Brun, V., Pelissier, J. Aphasie 2000. Rééducation et réadaptation
des aphasies vasculaires. Ed. Masson,
2000.
Ponzio, J., Lafond, D., Degiovani, R.,
Joanette, Y. L’aphasique. Edisem, Québec, Maloine, Paris, 1991.
Brochures et documents
d’information
Communauté suisse de travail pour l’aphasie (CSA), Zähringerstrasse 19, 6003
Lucerne, tél. 041 240 05 83, fax
041 240 07 54. www.aphasie.org.
Vidéos
«Les mots perdus», film de Marcel Simard,
joué par des aphasiques, 87 min, 1993.
A commander auprès de l’Association
genevoise des aphasiques, p.a. Dany
Hersperger, rte de Gy 169a, 1205
Genève.
«Soudain quelque chose me manque dans
la tête: vivre après une lésion cérébrale, 6 portraits». 43 min, 1993. A commander auprès de «Point de vue», audiovisuelle Produktionen, Flughafenstrasse 20, 4056 Bâle.
«Voyage à travers le jardin aux fleurs
noires», série de films. A commander
auprès de Fragile Suisse, Beckenhofstrasse 70, 8006 Zurich.
Comment communiquer avec une personne aphasique?
Communiquer avec un patient aphasique demande de la patience et de la sensibilité, mais également des connaissances
approfondies des troubles en présence. Le respect de certaines
règles simples permet de faciliter la communication.
CENDRINE HIRT
L’ A P H A S I E , en raison des troubles
de l’expression et de la compréhension
parfois sévères qu’elle occasionne, est à
l’origine de difficultés de communication
souvent très importantes. Les échanges
verbaux, mais également non verbaux
dans certains cas, de l’aphasique avec
son entourage (limité à la famille, aux
soignants et aux thérapeutes dans un
premier temps) sont généralement considérablement perturbés.
Afin d’améliorer les échanges, tant sur
le plan de l’expression que de la compréhension, certaines attitudes sont à favoriser alors que d’autres seraient à éviter. Nous reprenons ci-après certaines des
habitudes à encourager ou à déconseiller
en vue de donner quelques pistes de réflexion aux infirmières et infirmiers en
pratique auprès de patients aphasiques.
Facilitation de la compréhension
En respectant un certain nombre de
consignes simples, on permettra à la personne aphasique une meilleure compréhension des messages:
• veiller au port de lunettes (s’assurer que
le patient possède ou non des lunettes,
en particulier en cas de difficultés de
lecture ou de reconnaissance visuelle)
• obtenir l’attention du patient avant de
s’adresser à lui
• accorder du temps, c’est-à-dire donner
un délai supplémentaire pour compren-
dre et répondre (les difficultés de compréhension et le manque d’incitation à
l’action liés à la lésion cérébrale engendrant souvent des temps de latence importants)
• être clair en cas d’incompréhension, le
dire au patient, ne pas faire semblant
d’avoir compris
• contrôler son débit (ne pas parler trop
vite, ralentir si nécessaire, faire des
pauses entre les phrases)
• répéter la phrase en cas d’incompréhension, au mieux, la reformuler
• confirmer votre interprétation quand le
patient répond à une question, poser
ensuite la question opposée; si la réponse ne change pas, des difficultés de communication risquent de diminuer la fiabilité des réponses du patient
• utiliser des phrases simples et courtes
(éviter à tout prix de tomber dans le piège du parler «bébé» ou «petit nègre»),
utiliser des mots redondants (ex.: «Avezvous faim pour manger le dîner?»)
• ne pas changer de sujet trop rapidement, ne pas «sauter du coq à l’âne»,
évoquer une seule idée à la fois
• conserver une intensité de voix normale (ne pas parler plus fort car l’aphasique n’est pas sourd)
• privilégier des situations de dialogue à
deux (éviter de parler plusieurs à la fois,
réduire le nombre d’interlocuteurs)
• favoriser une situation de face-à-face
pour permettre la lecture sur les lèvres
et la perception des mimiques faciales
auxquelles les patients sont très attentifs
• utiliser des supports visuels (images,
dessins, objets, écrits) pour illustrer vos
propos ou vos questions
• accompagner le discours de gestes et de
mimiques
• veiller à conserver une intonation adaptée, ne pas parler sur un ton de voix monotone car la prosodie permet souvent
au patient de comprendre le contexte
(question ou affirmation) et de découvrir dans quel état émotionnel se trouve
son interlocuteur (triste, énervé, content, etc.).
Facilitation des échanges verbaux
Là aussi, le respect de certaines règles
pratiques s’avère très efficace:
• vérifier que le port et le maintien de prothèses dentaires est satisfaisant (en cas
de difficultés d’articulation notamment)
• conserver une communication de base
même avec un patient mutique ou peu
présent (échange de convenances sociales: bonjour, présentations, verbalisations des actes quotidiens tels que toilette, habillage, repas, etc.)
• insérer la personne aphasique dans les
conversations quotidiennes et dans les
activités de tous les jours dans le but de
lui rendre une place de partenaire dans
la communication
• maintenir le désir de dialoguer et encourager la moindre tentative de communication, même non verbale, pour
diminuer au maximum les frustrations
• laisser un temps de réponse suffisant,
attendre et ne pas anticiper les réponses
• utiliser de préférence des questions fermées (avec réponse oui/non), éviter les
questions trop ouvertes (ex.: «Voulezvous manger des frites ce soir?» plutôt
que «Qu’est-ce que vous voulez manger
ce soir?»)
• être conscient que le patient peut utiliKRANKENPFLEGE 4/2001
SOINS INFIRMIERS
57
CULTURE DES SOINS
Photo: Janine Jousson
Les soignants doivent apprendre à ne pas se décourager devant les échecs de
la communication. Il faut
du temps, de la patience, et
d’incessantes répétitions:
des efforts qui en valent
la peine et qui permettent
d’éviter l’isolement de
la personne aphasique.
ser un mot à la place d’un autre (ex.: café
pour thé, lunettes pour pantoufles, etc.)
• reformuler ce que vous pensez avoir
compris
• ne pas être choqué par l’utilisation du
tutoiement ou la production de jurons
qui sont liés à un manque de contrôle et
sortent de manière automatique
• en cas de difficultés à produire un chiffre, le replacer dans la série en comptant depuis 1 jusqu’au chiffre désiré
(par exemple, pour dire l’heure)
• aider le patient à trouver le mot si vous
l’avez deviné. Utiliser des moyens de
facilitation comme:
– ébauche orale: donner le premier son
du mot (ex.: «o» pour orange, etc.)
– ébauche écrite:écrire la première lettre
– ébauche motrice: montrer l’image
labiale du mot sans le prononcer
– ébauche contextuelle: placer le mot à
la fin d’une phrase qui apporte le contexte (ex.: je frappe à la...)
• en cas d’acharnement du patient sur
un mot précis qu’il ne parvient pas à
exprimer, l’inciter à trouver un syno-
nyme ou à donner une définition (périphrase)
• en cas d’incompréhension totale de ce
que le patient cherche à dire, changer
de sujet de conversation en lui précisant
qu’on y reviendra plus tard
• en cas de troubles de l’articulation sévères:
– faire ralentir le début de la parole
– demander au patient d’essayer d’augmenter l’intensité de la voix
– trouver la position la plus favorable à
l’émission vocale (buste droit en particulier pour permettre à la colonne
d’air d’être expulsée facilement).
Aménagement de l’environnement
Afin d’offrir au patient aphasique des
conditions optimales de communication,
il est parfois nécessaire de procéder à
certains aménagements:
• supprimer les bruits de fond parasites
(TV, radio, se mettre dans un endroit
calme avec peu de monde)
• réguler les visites (des visites trop fréquentes et trop nombreuses sont susceptibles d’augmenter la fatigabilité du
patient)
• carnet de visites (inscription des noms
et des événements afin de laisser une
trace de ce qui se passe dans la journée
du patient, en particulier si celui-ci est
incapable de s’exprimer seul spontanément ou s’il présente des difficultés
mnésiques)
* cf. lexique en page 59.
58
KRANKENPFLEGE 4/2001
SOINS INFIRMIERS
• être attentif aux troubles associés (mo-
teurs, sensoriels, sensitifs, cognitifs) tels
que:
– désorientation spatiale (placer des
repères visuels écrits ou imagés sur la
porte de la chambre du patient ou sur
son lit, le rendre sensible à certains
indices comme la couleur des couloirs, etc.)
– désorientation temporelle (mettre à la
disposition du patient un calendrier,
une montre)
– héminégligence*: en cas de stratégie
de compensation, placer les objets importants du côté sain (table de nuit,
canne, couverts et verre sur le plateau
repas, personnes en visite, etc.) ou en
cas de stratégie de stimulation de la
fonction altérée, tout placer du côté
négligé pour inciter le patient à explorer l’espace
– troubles mnésiques (constituer un
aide-mémoire ou un agenda avec les
dates importantes, l’emploi du temps
tels que les diverses thérapies, etc.).
Stratégies de communication
dans des situations particulières
Problème de la confusion oui/non ou de
l’absence d’un oui/non:
Les conséquences de cette difficulté
très fréquente chez les aphasiques sont
des malentendus dans les échanges et
surtout des réponses peu fiables à des
questions dites fermées. Les attitudes
conseillées dans ce cas sont tout d’abord
de vérifier l’adéquation du oui/non dans
d’autres modalités (mouvement de la
tête, gestes de la main, indication sur ces
deux mots écrits ou sur des visages symbolisés avec sourire/moue, voire tout
autre code mis en place parfois par le patient et son entourage). Par la suite, il sera
essentiel d’encourager l’utilisation du
oui/non, qu’il soit verbal ou sur indication
qui aura été observé pour permettre au
patient de développer des capacités de
communication de base. Il est recommandé de plus d’être attentif à la concordance entre le geste/mouvement esquissé
par le patient et le mot qu’il oralise, car
souvent des contradictions apparaissent;
dans ce cas, le patient sera encouragé à
n’utiliser que le moyen qui paraît le plus
fonctionnel. En cas de doute, il est possible de s’assurer que la réponse du patient
est adéquate en soumettant la question
inverse ou en proposant d’autres options.
Problème du jargon en expression
orale et de la logorrhée qui y est
souvent associée:
Les conséquences majeures de ce type
de trouble sont une attention difficile à
canaliser, un discours peu voire non informatif, un discours trop abondant avec
parfois le non-respect des règles de conversation (tours de parole, rôles émetteur/récepteur, etc.) et un discours parasitant les activités même non verbales.
Le but des stratégies proposées ci-dessous est d’aider le patient à réapprendre
à s’écouter et à écouter les autres, apprendre à contrôler la quantité de ses
productions et l’inciter à parler moins
mais de façon plus adaptée. Les attitudes
conseillées sont par conséquent d’aider le
patient à prendre conscience et à accepter qu’on ne le comprend pas; il est important de lui signifier clairement que
l’on n’a pas compris son message pour
éviter d’alimenter son jargon. Il est donc
nécessaire de le rendre attentif au fait
qu’il présente des productions jargonnées et souvent des digressions dans son
discours qui ont un impact sur l’échange
et le bon fonctionnement de la conversation. Canaliser l’attention et la logorrhée
du patient permet de le rendre plus perceptif à son interlocuteur. Encourager le
patient à garder le silence dans certaines
situations et limiter son flot de paroles
sont indispensables si l’on souhaite
tenter de diminuer l’abondance des productions déviantes.
Problème des troubles sévères de la
compréhension orale:
De nombreux aphasiques présentent
d’importants troubles de la compréhension qui perturbent de façon majeure les
échanges et limitent considérablement la
communication; de plus, peu de réponses sont fiables dans ce cas même lorsqu’il s’agit de questions simples ou fermées. Les conseils de base pour ne pas
accentuer ces troubles sont de poser
essentiellement des questions dites fermées et d’utiliser des phrases simples
sur le plan syntaxique, courtes et avec un
vocabulaire redondant. En cas de dissociation en faveur du langage écrit, il est
également possible de recourir au support écrit, ce qui permet par ailleurs
d’offrir au patient une modalité supplémentaire. La stratégie de conversation
par choix écrits qui propose au patient
d’indiquer son choix parmi 3 à 5 mots
écrits permet dans certaines situations
d’obtenir des échanges de base (à titre
d’exemple: que voulez-vous boire? Proposition de trois choix multiples écrits,
à savoir thé, café, jus d’orange).
Bien que ces diverses attitudes et
stratégies soient destinées à faciliter la
compréhension et les échanges verbaux,
il est certain que malheureusement, dans
beaucoup de situations, les troubles du
langage oral et écrit sont tels que la communication s’en trouve extrêmement réduite et les échecs fréquents. C’est pourquoi, tant le personnel infirmier que le
patient aphasique lui-même ou toute
personne susceptible d’entrer en contact
avec lui, doivent apprendre à effectuer
les tentatives de communication qui,
avec le temps et l’évolution, deviendront
de plus en plus nombreuses et fructueuses.
■
Lexique concernant l’aphasie
Gnosie: capacité de reconnaissance – visuelle,
auditive, tactile, olfactive – en l’absence de
troubles sensoriels.
Praxie: capacité de reproduire des gestes –
mimes, gestes d’utilisation d’objets, gestes
conventionnels – ou des dessins.
Fonctions exécutives: capacité de programmation, d’organisation, d’inhibition.
Stéréotypies: dans les formes graves, un mot
ou un son continuellement répété par le
patient à chaque tentative de production
orale et qu’il est très difficile d’inhiber.
Pseudo-accent: perturbation de la prosodie –
mélodie ou intonation de la parole, modification de l’accent habituel du patient en
raison d’une altération de l’intonation
(ex.: pseudo-accent germanique ou britannique).
Dissociation automatico-volontaire: facilitation de la production dans des situations
dites automatiques – énumération des
jours/mois, comptage, chant, complétion
des phrases lacunaires, prière, etc.
Paraphasies sémantiques: substitution d’un
mot par un autre (ex.: madame pour monsieur, etc.).
Néologisme: production d’un mot qui n’existe
pas dans la langue (ex.: palumelle, etc.).
Agraphie: incapacité d’écrire.
Agrammatisme: troubles de la construction
des phrases avec tendance à omettre les
mots-outils, à ne pas conjuguer les verbes.
Logorrhée: flux de paroles très important avec
difficultés à canaliser le discours.
Approches phonémiques: tentatives de production de divers sons pour arriver à la
production correcte (ex.: f..p..s..ch..cheval).
Jargon sémantique ou phonétique: discours
peu compréhensible en raison d’un nombre très important de transformations de
mots/sons ou de mots inventés.
Dyssyntaxie: troubles de la syntaxe avec notamment des erreurs dans l’utilisation des
mots-outils (prépositions, déterminants,
etc.), et dans l’usage des terminaisons verbales.
Héminégligence: trouble dans le cadre duquel
le patient omet l’espace visuel opposé à sa
lésion (négligence de la moitié du corps, de
la moitié du champ spatial, etc.); peut
également apparaître en modalité auditive, motrice, sensitive et tactile.
Keywords
• Aphasie
• Troubles de la communication
• Traumatisme crânien
KRANKENPFLEGE 4/2001
SOINS INFIRMIERS
59
Téléchargement