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Comment la médecine japonaise
abandonna le modèle chinois
e brillant essai analyse la façon dont la médecine japonaise a rompu avec ses origines
chinoises pour adopter le modèle occidental. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le
splendide isolement du Japon fut bousculé par les puissances occidentales et leurs
intérêts commerciaux. Cette crise aboutit en 1868 à la restauration du pouvoir impérial
(début de l’ère Meiji) et à la prise de conscience de l’énorme retard du pays dans bien des
domaines. Pour le combler, le Japon envoya des missions en Europe et aux États-Unis chargées d’enquêter sur ce qui se faisait de mieux en matière politique, juridique, scientifique,
militaire… Les Japonais en tirèrent des enseignements immédiats dont les conséquences
spectaculaires créèrent les conditions d’apparition d’une modernité totalement originale.
Mais le débat concernant la médecine avait débuté bien avant, ce qui fit jouer à celui-ci un rôle
de premier plan dans ce processus de modernisation. La civilisation japonaise s’était construite sur le modèle chinois. Comme dans tous les domaines, les traités médicaux chinois
avaient structuré le savoir et les pratiques des médecins japonais. Ceux-ci furent d’abord des
moines, puis, avec l’affaiblissement du pouvoir impérial au profit des shoguns et de la caste
guerrière, le recrutement des médecins s’élargit. Des familles de médecins se transmettaient
secrètement depuis des générations des recettes thérapeutiques qui assuraient sans discontinuité le succès et la fortune de leur clan. Mais la médecine chinoise soumise aux influences
complexes du confucianisme, du bouddhisme et du taoïsme, ainsi qu’aux interprétations de
multiples commentateurs, commença à soulever, à partir du XVe siècle, chez certains Japonais,
quelques doutes sur sa valeur. Toutefois, à la différence de l’Europe occidentale, le Japon des
XVIIe et XVIIIe siècles qui s’était fermé comme une huître pour résister à toute pression extérieure ne connut pas de révolution scientifique ou de progrès déterminants en anatomie.
C
Médecins et médecine
dans l’histoire du Japon
Par Mieko Macé
(Avec une préface de Marcel Detienne)
Paris, Les Belles lettres, 2013,
310 pages, 25,50 €
Chute libre
Carnets du gouffre
Par Mademoiselle
Caroline
Editions Delcourt,
Paris, 2013,
Le coup d’éclat du Nouveau traité d’anatomie
Les seuls Occidentaux autorisés à commercer au Japon étaient les Hollandais cantonnés dans
une île face à Nagasaki, mais des livres circulaient que les savants japonais tentaient de
décrypter. En 1754, une première dissection humaine fut autorisée sur un condamné à mort.
Son auteur s’émerveilla de constater que ce qu’il observait correspondait au contenu des
quelques planches anatomiques occidentales alors disponibles. Surtout, en 1774, un groupe
de médecins publia, sous le titre de Nouveau traité d’anatomie, la première traduction
intégrale d’un ouvrage scientifique occidental : un livre d’anatomie hollandais. Leur chef,
Sugita Genpaku, expliquait dans la préface, qu’après avoir étudié longtemps la littérature
médicale chinoise, il s’était aperçu que ces ouvrages « donnaient des interprétations
forcées, éloignées de la vérité. Plus je voulais éclaircir les méthodes et les théories
mentionnées, plus elles devenaient obscures ; plus je voulais les corriger, plus elles
me paraissaient absurdes ». Cette traduction était un tour de force. Il avait fallu à ces
auteurs inventer des mots qui n’existaient pas dans la médecine sino-japonaise tels que nerfs
ou pancréas, donner un nouveau sens à des termes traditionnellement usités et tenter d’expliquer des concepts jusqu’alors inconnus au Japon, par exemple pour expliquer la vision. Pour
ce faire, ils utilisèrent la langue chinoise classique et, ironie de l’histoire, une partie des termes
créés ou redéfinis furent adoptés par la suite par les Chinois ! Mais cette école de médecins
occidentalistes resta minoritaire jusqu’à l’ère Meiji qui instaura rapidement un enseignement
officiel de la médecine et interdit progressivement l’exercice de la médecine traditionnelle,
ce qui ne fut pas une mince affaire, puisqu’elle était pratiquée par la majorité des médecins
japonais. Médecine traditionnelle qui, après une longue éclipse, connaît un regain d’intérêt
dans un pays que la technologie moderne, de Hiroshima à Fukushima, en passant par le drame
de l’intoxication mercurielle de Minamata, n’a pas épargné. •
J. D.
1182
160 pages, 17,95 €
Cette bande dessinée est vraiment
très belle. Son auteure, Mademoiselle
Caroline, raconte avec une extrême
sensibilité, beaucoup d’humour
et d’émotions comment elle a sombré
dans une dépression sévère
et rechuté plusieurs fois. En utilisant
parfois des dessins faits lorsqu’elle
était au plus mal, elle dit sa détresse,
son impression de se « liquéfier »
en réaction à certaines situations,
le soutien de ses proches, l’attitude
de ses thérapeutes successifs
et la diversité de leur empathie,
sa thérapie et surtout l’acceptation
lucide de sa fragilité, malgré
sa guérison. Une œuvre profonde,
mais aussi déculpabilisante,
dont la lecture pourrait faire du bien
à tous ceux qui sont victimes de cette
maladie.
LA REVUE DU PRATICIEN VOL. 63
Octobre 2013
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