Stomatite et agueusie induites par candésartan C. Chen1, D. Chevrot2, C. Contamin3, T. Romanet1, B. Allenet1 et M. Mallaret2 1 Département pharmacie ; 2Centre régional de pharmaco-vigilance ; 3 Service de néphrologie-dialyse-transplantation, CHU de Grenoble Quelques cas de dysgueusie ou d’agueusie ont été rapportés chez des patients traités par antagonistes de l’angiotensine II, tels que le losartan (5 cas), le valsartan (1 cas), l’éprosartan (1 cas). Nous rapportons le premier cas d’agueusie sous candésartan, associée à une stomatite. Un traitement anti-hypertenseur par candésartan (antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II) est débuté à la posologie de 4 mg par jour, chez un homme transplanté rénal de 46 ans. Six mois après le début du traitement, le patient développe progressivement une agueusie, associée à des sensations de brûlures buccales. Il se plaint aussi d’aphtes récidivants, de stomatite, et de perlèche. Ce contexte induit une anorexie conduisant à un amaigrissement de 8 kg en treize mois. Le traitement par candésartan est arrêté treize mois après son introduction. En deux à trois semaines, tous les symptômes disparaissent. Le patient retrouve l’appétit, ainsi que des perceptions gustatives normales. La chronologie des événements incluant l’évolution favorable à l’arrêt du médicament suggère l’existence d’une relation causale entre candésartan et l’agueusie associée à une stomatite. Cases of dysgeusia or ageusia have been reported in patients treated with angiotensin II receptor antagonist such as losartan (5 cases), valsartan (1 case), eprosartan (1 case). This is the first case-report of ageusia following candesartan. A 46-year-oldmale patient, with a medical history of renal chronic reject allograft disease, started candesartan 4 mg once daily to treat high blood pressure. Six months later, a progressive ageusia occurred with a burning mouth syndrome. He also developed aphtous ulcers of the mouth, stomatitis and perleche, which led him to lose 8 kilos within 13 months. Thirteen months after the beginning of the treatment, candesartan was stopped. The symptoms and lesions required 2 to 3 weeks to disappear. Subsequently, appetite was found again as well as the sense of taste. The temporal sequence of events suggests a causal relationship between ageusia and candesartan. Mots-clés : Agueusie – Stomatite – Candésartan – Antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II. Key words : Ageusia – Stomatitis – Candesartan – Angiotensin II receptor antagonist. Quelques cas de dysgueusie ou d’agueusie ont été décrits avec les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II. Nous rapportons le premier cas d’agueusie survenant sous candésartan. phénolate mofétild 2 g/j, prednisonee 5 mg/j) ainsi qu’aténololf 100 mg/j, furosémide 40 mg/j,g allopurinolh 100 mg/j, et alfacalcidioli 25 µg 2 fois/semaine. Le patient développe six mois après le début de candésartan, une agueusie avec perte totale des perceptions gustatives (amer, sucré, salé), associée à une intolérance aux aliments acides, chauds et froids. Il se plaint de brûlures et de sécheresse buccales, mais pas de goût métallique. L’examen buccal révèle une glossite érosive, des lésions aphtoïdes inflammatoires sur les gencives, le palais, et les muqueuses jugales. Ces lésions entraînent des douleurs importantes, particulièrement lors des repas, obligeant le patient à se nourrir d’aliments mous (yaourt, compote, riz). Les ■ Présentation du cas Un traitement anti-hypertenseur par candésartan cilexetil,a antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II, est débuté à la posologie de 4 mg par jour chez un homme transplanté rénal de 46 ans, après l’arrêt d’amlodipineb responsable d’œdèmes des membres inférieurs. Le patient est porteur d’une néphropathie interstitielle. Le traitement habituel du patient se compose d’une trithérapie immunosuppressive antirejet (tacrolimusc 3 mg/j, myco- a b c Atacand® – Laboratoire Astra Zeneca. ® Amlor – Laboratoire Pfizer. ® Prograf – Laboratoire Fujisawa. Néphrologie Vol. 25 n° 3 2004, pp. 97-100 d Cellcept® – Laboratoire Roche. e Cortancyl® – Laboratoire Aventis. f Tenormine® – Laboratoire Astra Zeneca. g Lasilix® – Laboratoire Aventis. h Zyloric ® – Laboratoire GlaxoSmithKline. i Un Alpha® Laboratoire Léo. 97 articles originaux Résumé • Summary douleurs et l’anorexie secondaire le conduisent à un amaigrissement de 8 kg en treize mois. A l’examen clinique, il n’y a pas d’hypoesthésie sensitive linguale, pas d’anosmie, pas d’autre atteinte sensorielle, ni de neuropathie périphérique. En raison de lésions érosives muqueuses, il n’a pas été pratiqué de test de la gustation. Devant cette stomatite persistante, une connectivite et une maladie de Behçet sont écartées ; il est recherché, dix mois après l’introduction du candésartan, un virus herpès buccal dont la présence est confirmée. La posologie de tacrolimus est diminuée. Un traitement associant valaciclovir j 1 g/j et des bains de bouche (triclocarban ; k chlorhexidine-chlorbutanoll) est institué pendant 10 jours, sans amélioration clinique. Une supplémentation en zincm à 67,4 µg/jour est prescrite pour quinze jours sans résultat probant. Trois mois plus tard, aucune amélioration clinique n’est constatée : asthénie, anorexie, agueusie, aphtes, et perlèche. Ces derniers symptômes sont invalidants dans la vie quotidienne du patient. Le candésartan est arrêté définitivement après treize mois d’utilisation, en même temps qu’un arrêt transitoire du tabac chez ce patient fumeur de 20 cigarettes/jour depuis l’âge de 30 ans. En deux à trois semaines, tous les symptômes et les lésions disparaissent. Le patient retrouve l’appétit ainsi que des perceptions gustatives normales. Sa tension artérielle reste stable à 130/80 mmHg, malgré l’arrêt de l’anti-hypertenseur. Le sevrage tabagique est de courte durée (1 mois) : l’agueusie et la stomatite ne récidivent pas avec la reprise de tabac. de l’angiotensine II, médicaments plus récents, sont rarement mis en cause. Des cas de dysgueusie-agueusie ont été rapportés chez des patients traités par certains antagonistes de l’angiotensine II, tels que le losartan,1-5 et le valsartan.6 Un seul cas a été décrit sous éprosartan.7 A l’heure actuelle, aucun cas sous candésartan n’a été publié (tableau I). Le mécanisme de ces troubles du goût n’est pas élucidé. A la différence d’autres médicaments (IEC), il n’y a pas d’arguments en faveur d’une éventuelle carence associée en zinc. Certains auteurs ont rapporté l’effet bénéfique du zinc lors de dysgueusies induites par certains IEC :8-10 les IEC, par une action chélatrice pourraient favoriser une carence en zinc au niveau des récepteurs sensoriels gustatifs, zinc-dépendants, occasionnant ainsi des dysgueusies. Il n’y a pas actuellement d’étude sur les effets des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II sur le métabolisme du zinc. Dans le cas décrit, la supplémentation en zinc n’a apporté aucune amélioration clinique. Une interaction médicamenteuse pourrait être évoquée entre le candésartan et les immunosuppresseurs. En effet, de nombreuses interactions avec le tacrolimus ont été identifiées. Elles sont principalement liées à sa puissante action inhibitrice sur le cytochrome P450 3A4. Toutefois, le métabolisme hépatique du candésartan reste limité et est réalisé principalement par l’isoenzyme 2C911 et non par le 3A4. Une interaction médicamenteuse entre le candésartan et les immunosuppresseurs pris par ce patient, semble peu probable en regard des données disponibles sur le métabolisme de ces médicaments. Parmi tous les médicaments pris sans interruption par ce patient, le tacrolimus et le mycophénolate mofétil ont été décrits comme pouvant induire certains symptômes présentés par le patient. En effet, asthénie, perte de poids, anorexie et dysgueusie ont été rapportés avec le mycophénolate mofétil.11 Des modifications de poids et d’appétit ont été décrites sous tacrolimus.1 Dans notre cas, la posologie de tacrolimus a été réduite devant les prélèvements oraux positifs pour le virus de l’herpès, évocateurs d’une immunosuppression trop intense. Mais cette diminution de posologie ne s’est pas accompagnée d’une régression des effets indésirables. L’amélioration clinique, alors que les trois immunosuppresseurs n’ont pas été arrêtés, n’est pas en faveur du rôle de ces médicaments, dans la genèse des troubles. ■ Discussion Les stomatites et les agueusies peuvent avoir une origine médicamenteuse. Parmi les médicaments les plus souvent responsables, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) sont fréquemment cités. En revanche, les inhibiteurs des récepteurs j Zelitrex® – GlaxoSmithKline. k Septivon® – Chefaro-Ardeval. l Eludril® – Pierre Fabre Médicament. m Zinc Oligosol® – Laboratoire Labcatal. Tableau I : Points convergents et divergents des cas répertoriés sous antagonistes de l’angiotensine II. articles originaux Molécule Losartan Référence bibliographique Traitement antérieur par IEC Agueusie ou dysgueusie Délai d’apparition des troubles Goût métallique Sensation de brûlure buccale Ulcérations buccales Inflammation de la muqueuse buccale Délai de disparition des troubles* Réintroduction Goffin1 Lisinopril Dysgueusie 3 semaines ND Oui Oui Oui 2 semaines Non 2 Losartan Heeringa Enalapril Dysgueusie 1 semaine Oui ND ND ND ND ND Losartan Heeringa2 Perindopril Agueusie 3 mois ND Oui ND ND 1 semaine ND Captopril Dysgueusie Quelques jours Oui ND ND ND ND Oui : positive 3 Losartan Malnick Losartan Ohkoshi4 Non Agueusie 2-3 semaines ND ND Non ND Quelques jours ND Losartan Schlienger5 Non Agueusie 3-7 semaines ND Oui ND ND 2-3 semaines ND Valsartan Stroeder6 ND Dysgueusie ND ND ND ND ND ND ND Eprosartan Castells7 Non Dysgueusie 3 semaines Oui Oui Non ND 1 semaine Oui : positive Perindopril Agueusie 6 mois Non Oui Oui Oui 2-3 semaines Non Candésartan ND : Non documenté ; * après arrêt de traitement. 98 Néphrologie Vol. 25 n° 3 2004 L’infection locale par le virus de l’herpès a pu participer à la gingivostomatite,12 mais n’explique pas les troubles importants gustatifs chez ce patient. Les dysgueusies sont peu ou pas signalées lors d’infections herpétiques et le traitement antiviral n’a pas amélioré les symptômes. De surcroît, la chronologie des événements est plus en faveur du rôle du candésartan. Le tabagisme du patient a pu favoriser la survenue d’anorexie et de troubles du goût, mais n’induit pas de gingivostomatite. Le patient n’a pas eu d’affection buccale pendant les seize premières années de dépendance à la nicotine. La rechute tabagique pendant plus de six mois, n’a pas été suivie d’une récidive de l’agueusie. ■ Conclusion La méthode française d’imputabilité attribue au candésartan une imputabilité plausible dans l’apparition de ces différents troubles. En effet, le bilan étiologique réalisé s’est avéré négatif. De plus, la chronologie des événements est évocatrice d’une relation causale entre la prise de candésartan et la survenue des effets indésirables : l’arrêt du candésartan coïncide avec une disparition totale en deux à trois semaines et surtout définitive de l’agueusie et de la stomatite. Le patient a ainsi pu retrouver une vie normale. On ne peut cependant exclure la participation de facteurs associés tels que tacrolimus, mycophénolate mofétil, herpès virus, tabagisme dans la genèse des troubles. Les troubles du goût associés ou non à une stomatite sont très invalidants. Devant une dysgueusie et une stomatite ne régressant pas lors d’un traitement symptomatique, une étiologie médicamenteuse doit toujours être recherchée. Si l’arrêt du médicament est possible médicalement et s’il est suivi d’une guérison rapide, cette hypothèse diagnostique sera confirmée. i Références 1. Goffin E, Pochet JM, Lejuste P, De Plaen JF. Aphtous ulcers of the mouth associated with losartan. Clin Nephrol 1998 ; 50 : 197. 2. Heeringa M, Van Puijenbroek EP. Reversible dysgeusia attributed to losartan. Ann Intern Med 1998 ; 129 : 72. 3. Malnick SD, Becker S. Dysgeusia by losartan in a patient intolerant of captopril. Med Gen Med 1999 ; 4 : E33. 4. Ohkoshi N, Shoji S. Reversible ageusia induced by losartan : A case report. Eur J Neurol 2002 ; 9 : 315. 5. Schlienger RG, Saxer M, Haefeli WE. Reversible ageusia associated with losartan. Lancet 1996 ; 347 : 471-2. 6. Stroeder D, Zessig I, Health R. Angiotensin-II antagonist cGP 48933 (valsartan). Ergebnisse einer doppelblinden. Plazebo-kontrolierten Multicenter-studie. Nierren Hochdruckkrankheiten 1994 ; 23 : 217-20. 7. Castells X, Rodoreda I, Pedros C, Cereza G, Laporte JR. Dysgeusia and burning mouth syndrome by eprosartan. BMJ 2002 ; 325 : 1277. 8. Abu-Hamdan DK, Desai H, Sondheimer J, Felicetta J, Mahajan S, McDonald F. Taste acuity and zinc metabolism in captopril-treated hypertensive male patients. Am J Hypertens 1988 ; 1 : S303-S8. 9. Ackerman BH, Kasbekar N. Disturbances of taste and smell induced by drugs. Pharmacotherapy 1997 ; 17 : 482-96. 10. CNHIM. Mini dossier du CNHIM. Bulletin sur le médicament du Centre national hospitalier d’Information sur le médicament. Effets indésirables. Troubles du goût d’origine médicamenteuse. Consultation le 18 février 2003. http ://www.cnhim.org/b_md024.htm 11. Le dictionnaire Vidal, 79 e éd. Paris : Vidal®, 2003. 12. Berkow R. Manuel Merck de diagnostic et de thérapeutique. 2e éd. Paris : d’Après, 1994. Adresse de correspondance : Date de soumission : août 2003 Date d’acceptation : novembre 2003 articles originaux Mme Carole Chen Service pharmaceutique Hôpital neuro-cardiologique BP Lyon Montchat F-69394 Lyon Cedex 03 [email protected] Néphrologie Vol. 25 n° 3 2004 99