anonymat des dons de gamètes et d`embryons

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L’ANONYMAT DES DONS DE GAMÈTES ET
D’EMBRYONS AU QUÉBEC ET AU CANADA
ESSAI THÉORIQUE SUR L’INTERNORMATIVITÉ ENTRE
LE DROIT POSITIF ET L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE
DANS LA RÉSOLUTION DU CONFLIT
Julie Cousineau
Institut de droit comparé, Faculté de droit
Université McGill, Montréal
Juin 2011
A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the
requirements of the degree of Doctor in civil law
© Julie Cousineau, 2011
II
TABLE DES MATIÈRES
Résumé………………………………...…………………………………………….p. VIII
Summary……………………………………….……………………………………….p. X
Remerciements………………………………………..………………………………p. XII
Introduction……………………………………………………………….…………….p. 1
Chapitre préliminaire : Mise en contexte…………………………………...…………p. 13
Section 1 : Problématique de l‘anonymat de donneurs de gamètes et
d‘embryons…………………………………………………….......p. 13
Section 2 : Légitimité de l‘intervention étatique…………………………...….p. 21
Section 3 : Une norme de droit en internormativité avec l‘éthique……...…….p. 28
Chapitre 1 : L‘internormativité…un outil d‘importance dans la problématique
sur l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons………………..p. 42
Section 1 : Du pluralisme…………………………………………………...…p. 48
1- Éloignement de l‘aspect moniste du droit positif……………...……p. 53
2- Comprendre brièvement le pluralisme et ses différentes
manifestations………………………………………………………p. 56
2.1 Le pluralisme normatif au carrefour de la régulation
sociale et de la normativité…………………………….…..p. 57
2.2 Le pluralisme juridique et les critères de la juridicité….…..p. 64
3- Ordre juridique et ordre normatif………………………………..….p. 76
III
Section 2 : De l‘éthique de la sollicitude…………………………………..…..p. 80
1- Éthique et morale: les termes en présence…………………….……p. 91
2- L‘éthique de la sollicitude en tant que théorie morale :
Fondement de la théorie……………………………………………p. 96
3- L‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique……...……….p. 102
4- Les principes directeurs de la Commission royale sur les
nouvelles techniques de reproduction…………………...………..p. 114
Section 3 : Des phénomènes d‘internormativité………………………..…….p. 122
1- Changement de paradigme : de la pyramide au réseau…………....p. 126
2- Phénomènes d‘internormativité : vers l‘effacement des
frontières…………………………………………………………..p. 135
2.1 Vision juridique de l‘internormativité……………………p. 136
2.2 Vision sociologique de l‘internormativité…………….….p. 141
2.3 Modèle de construction de la règle de droit?.....................p. 144
Conclusion du chapitre 1………………………………………………..……p. 146
Chapitre 2 : Les intérêts en jeu dans le débat sur l‘anonymat des donneurs de
gamètes et d‘embryons……………………………………………...…..p. 150
Section 1 : Analyse de la relation parents – enfant quant au secret sur
la conception avec tiers donneur…………………………..……..p. 154
1- Autonomie de l‘individu : la privatisation de la famille…...…….p. 161
2- Égalité : le secret comme source de pouvoir………………………p. 166
3- Protection des personnes vulnérables : le meilleur intérêt et le
bien-être de l‘enfant…………………...…………………….…….p. 175
3.1 L‘interprétation générale du meilleur intérêt de
l‘enfant en droit………………………………………….p. 179
IV
a) Un principe primordial, mais non absolu
pouvant être subordonné à d‘autres intérêts……....p. 181
b) Un concept au contenu nécessairement variable
et évolutif………………………………………….p. 186
3.2 Révéler à l‘enfant la nature de sa conception, est-ce
dans son intérêt?.................................................................p. 192
a) Contre l‘obligation de révéler : des arguments
découlant d‘une perception externe à celle de
l‘enfant…………………………………………….p. 193
b) En faveur de la révélation : réintégrer l‘enfant
dans le processus réflectif…………………….……p. 201
4- Équilibre entre les intérêts individuels et collectifs……………….p. 209
Section 2 : Analyse de la relation donneur – enfant concernant l‘anonymat...p. 213
1- Autonomie de l‘individu……………………………………….….p. 215
1.1 Autonomie du donneur : un consentement en amont.……p. 217
1.2 Autonomie de l‘enfant : un consentement en aval…….…p. 226
2- Égalité : du donneur à l‘enfant et d‘enfants à enfants……….…….p. 230
3- Protection des personnes vulnérables : le meilleur intérêt et le
bien-être de l‘enfant…………………………………...……...……p. 235
3.1 Identité, parenté et filiation : mettre en contexte les
concepts liés à l‘anonymat……………………………….p. 237
3.2 Meilleur intérêt, bien-être de l‘enfant et connaissance de
l‘identité du géniteur……………………………...……...p. 244
a) L‘anonymat : des points de vue en sa faveur….......p. 245
b) Abolition de l‘anonymat : dans le meilleur
intérêt de l‘enfant…………………………………..p. 251
4- Équilibre entre les intérêts individuels et collectifs……………….p. 265
Conclusion du chapitre 2…………………………………………….……….p. 282
V
Chapitre 3 : Perspective de droit comparé de la politique juridique applicable
à l‘anonymat des dons………………………………………….……….p. 290
Section 1 : L‘anonymat à la sauce canadienne et québécoise……….……….p. 292
1- État du droit canadien : vers une reconnaissance du droit aux
origines ?.........................................................................................p. 295
1.1 Portrait du cadre législatif canadien : le double guichet…p. 295
1.2 Les diverses interprétations du droit aux origines dans
la loi fédérale………………………………………….…p. 302
1.3 Le jugement Pratten…………………………………...…p. 305
2- État du droit québécois : primat de la confidentialité des
données et de l‘anonymat……………………………………..…..p. 307
2.1 Le régime de confidentialité instauré en vertu du
Code civil du Québec…………………………..………...p. 308
2.2 Le silence de la Loi sur les activités cliniques et de
recherche en matière de procréation…………….………p. 314
3- Conflit d‘interprétation entre les deux juridictions sur la
question de l‘anonymat des dons?...................................................p. 321
4- Droit canadien, droit québécois, internormativité et éthique
de la sollicitude : critique…………………………………………p. 325
Section 2 : Un pays en pleine évolution, la France…………………………..p. 333
1- La distinction française : le critère médical comme condition
à la procréation assistée……………………………….…………..p. 334
2- État du droit en matière de don d‘engendrement :
le primat de l‘anonymat et du secret…………………….………..p. 335
3- Connexe et différent : l‘accouchement sous X……………………p. 349
4- Évolution législative : le réexamen des lois de bioéthique...……...p. 356
5- Droit français, internormativité et éthique de la sollicitude :
critique………………………………………………………….…p. 366
VI
5.1 Critique de l‘évolution législative française………….…..p. 367
5.2 Critique de l‘approche juridique française…………..……p. 377
Section 3 : Le virage du Royaume-Uni, Abolition de l‘anonymat………..….p. 382
1- La loi originale de 1990 : l‘anonymat en vigueur……………...….p. 383
2- L‘évolution législative de 2004 : l‘anonymat aboli..…………..….p. 387
3- Droit britannique, internormativité et éthique de la sollicitude:
critique……………………………………………………….…….p. 396
Conclusion du chapitre 3………………………………………...….………..p. 403
Conclusion de la thèse: L‘internormativité entre le droit positif et l‘éthique de la
sollicitude dans la résolution du conflit sur l‘anonymat
des dons d‘engendrement…………………………….…..…..p. 409
Annexe 1 : Le don de gamètes – Exemples de droit comparé……….……….……...p. 415
Sources documentaires………………………………………..……….……………..p. 416
Table de la législation…………………………………………….…………..p. 416
Textes normatifs internationaux………………………….…………..p. 416
Canada…………………………………………..…………..………..p. 416
Textes constitutionnels…………………..……………..……..p. 416
Fédéral………………………….………..…………..………..p. 416
Québec………………………….………..………….………..p. 417
Ontario………………………….………..………….………..p. 418
France…………….…………………….………..……………..……..p. 418
Royaume-Uni………………………….………..………..…….……..p. 421
VII
Politiques, Lignes directrices, Déclarations de principes……………….…....p. 421
Textes internationaux…………………………....……..……....……..p. 421
Royaume-Uni………………………….………..……….……..……..p. 422
Table des jugements………………………..….………..……………..……..p. 422
Cour européenne des Droits de l‘Homme…………….………..……..p. 422
Canada…………………………….….…..……..……….…….……..p. 422
France………………………………….…………...…………..……..p. 426
Royaume-Uni………………………….……….…..………..………..p. 426
Table bibliographique………………………….…………..………..………..p. 426
Monographies, Avis, Rapports…………………………..….………..p. 426
Recueils, Ouvrages collectifs…………………………..……………..p. 435
Articles…………………………………….…………...……………..p. 445
Pages internet……………………………….…….…………....……………..p. 460
VIII
RÉSUMÉ
S‘il existe un consensus sur la transmission de renseignements médicaux et génétiques
aux enfants issus d‘un don d‘engendrement, la divulgation d‘informations nominatives
continue de semer la controverse. Tant à l‘égard de l‘enfant en quête d‘un droit aux
origines, du donneur désirant le respect de son anonymat et de sa vie privée ou des
parents qui aspirent au secret entourant le mode de conception de leur enfant. La
problématique devient d‘actualité en raison, notamment, du fait que depuis près de vingt
ans de plus en plus de pays décident de mettre fin à l‘exigence de non divulgation de
l‘identité du géniteur. Les cadres législatifs canadien et québécois persistent quant à eux à
maintenir la philosophie de l‘anonymat du tiers donneur.
Le choix de favoriser soit l‘anonymat des donneurs, soit la quête de l‘enfant quant à ses
origines et l‘identité de son géniteur a des conséquences importantes pour tous les acteurs
du don de gamètes ou d‘embryons. En découle des affrontements de valeurs et des débats
où l‘incertitude liée au "bon choix législatif", dans l‘optique où nous pouvions considérer
l‘une ou l‘autre des positions comme étant la meilleure, requiert de s‘attarder aux
fondements du processus décisionnel. Cela implique nécessairement une réflexion allant
au-delà du seul législateur et engageant cette normativité qu‘est l‘éthique. Ainsi, en
contexte de pluralisme normatif, comment trouver un juste équilibre entre les droits et
intérêts des enfants issus de la procréation assistée, ceux des donneurs de matériel
reproductif ainsi que ceux du couple y ayant recours, et maximiser les avantages de la
procréation assistée tout en réduisant au minimum ses conséquences négatives?
Dans la lignée du cadre d‘analyse retenu par la Commission royale sur les nouvelles
technologies de la reproduction (Canada, 1993), nous proposons une étude des
phénomènes d‘internormativité entre la règle de droit positif que doit adopter l‘état (dont
la légitimité régulatrice est affirmée) et l‘éthique de la sollicitude. Cette internormativité
est l‘instrument théorique permettant des échanges et une inter influence entre les
différents types de norme.
Se basant sur l‘empathie et la responsabilité, l‘éthique de la sollicitude a d‘intéressant
qu‘elle définit la personne non pas uniquement en rapport à ses droits, mais dans sa
relation avec autrui. C‘est un élément vital de la problématique sous étude où les acteurs
demeurent inter reliés sous différents angles, que celui-ci soit affectif, sociologique ou
biologique. Au-delà des considérations morales, cela nous amène à considérer la
responsabilité de chacun selon un nouvel angle de réflexion tout en cherchant à démontrer
l‘impact de ce dernier sur la règle de droit positif.
Plutôt que de présenter une description individuelle des intérêts des acteurs concernés par
l‘anonymat selon un schéma pour ou contre, nous analysons donc la situation sous un
angle relationnel. L‘éthique de la sollicitude étant basée sur l‘interdépendance des
rapports entre individus, l‘enfant en étant ici le point de mire, nous en remarquons
l‘apparition à deux niveaux dans la problématique : en premier lieu dans le rapport
IX
parents – enfant quant au secret sur le mode de conception puis, dans le lien donneur –
enfant relativement à l‘obtention d‘informations nominatives.
Enfin, partant de l‘hypothèse que l‘éthique de la sollicitude peut être un instrument
pertinent pour guider le législateur, nous effectuons une étude comparatiste des lois
canadienne et québécoise avec celles de la France et du Royaume-Uni. S‘interroger sur
une modification potentielle de la loi implique de regarder des législations qui l‘ont fait
en abolissant l‘anonymat ou qui y songent. De longue date, la France et le Royaume-Uni
furent des précurseurs dans l‘encadrement juridique de la procréation assistée. L‘un des
objectifs du recours au droit comparé est donc d‘analyser comment éthique et droit
interagissent dans le cadre du conflit, se manifestant dans diverses approches législatives.
Cela nous permet ultimement de mieux comprendre, commenter et critiquer les positions
adoptées par le Canada et le Québec.
X
SUMMARY
While there may be a consensus regarding the provision of medical and genetic
information to the offspring of gametes donation, the disclosure of nominative
information continues to be a source of controversy—as much for a child who is looking
to find out his origins, the donor who wants to maintain his anonymity and privacy, or for
parents seeking information about how their child was conceived. This issue has been
making the news lately as an increasing number of countries have, over the past 20 years,
decided to end donor anonymity. The laws of Quebec and Canada continue to maintain
the principle of donor anonymity.
The choice of whether to favour donor anonymity or the child‘s attempts to learn about
his origins and the identity of his progenitor has significant consequences for everyone
involved in gametes and embryos donation. The clash of values and debates that have led
to uncertainty about making the ―right legislative choice‖ and our ability to consider any
of these positions to be the best requires thinking about the basis of the decision-making
process. This means looking beyond legislation and taking ethics into consideration. In a
context of normative pluralism, how does one strike a balance between the rights and
interests of the offspring of assisted reproduction, the gamete donors and the couple that
made use of assisted reproduction to conceive a child, while maximizing the benefits of
assisted reproduction and minimizing negative consequences?
Based on the analysis made by the Royal Commission on New Reproductive
Technologies (Canada, 1993), we are proposing a study on internormative phenomena
between the substantive rule that must be adopted by the state (whose regulatory
legitimacy is affirmed) and the ethics of solicitude. This internormativity is the theoretical
instrument that allows exchanges and inter influence among various types of norms.
Based on empathy and responsibility, the ethics of care is of interest as it defines the
person not only in terms of rights, but in terms of his relationships with others. This is a
key element of the issues being examined where stakeholders maintain interrelations in a
variety of areas—affective, sociological or biological. Apart from the moral
considerations, this leads us to consider each party‘s responsibility from a different angle
while seeking to demonstrate the latter‘s impact on substantive rule.
Rather than describe the interests of anonymity stakeholders one by one in a pro/con
table, we will by analyzing the situation from a relational angle. The ethics of care being
based on the interdependancy of relationships between individuals, with the child at the
centre, we notice it comes up at two levels: first in the parent–child relationship regarding
secrecy of the method of conception then, in a donor–child relationship with respect to
obtaining personal information.
Lastly, based on the assumption that the ethics of care can be a relevant instrument for
guiding lawmakers, we will compare Canadian and Quebec legislation with that of France
and the United Kingdom. Investigating potential changes to the law requires an
XI
examination of legislation that has already done away with anonymity or contemplates
doing so. France and the United Kingdom have long led the way in providing a legal
framework for assisted reproduction. One of the objectives of the comparative law study
is to analyze how ethics and law interact in the conflict and manifest themselves in
various legislative approaches. This will ultimately enable us to better understand,
comment and critique the positions adopted by Canada and Quebec.
XII
REMERCIEMENTS
Je remercie en premier lieu le cadre institutionnel et académique qui m‘a soutenue tout au
long de mes études universitaires. Aussi, je souhaite offrir ma gratitude à la Faculté de
droit de l‘Université McGill et à l‘Institut de droit comparé auquel je suis rattachée, mais
plus particulièrement au Professeure Angela Campbell, ma directrice de recherche. Elle a
su m‘écouter et me rassurer dans les moments de doutes, m‘a sans cesse poussée à me
dépasser et m‘a apporté l‘encadrement nécessaire à la réussite de ce projet doctoral. Ce
sont là les qualités d‘une formidable directrice de thèse qui a su comprendre l‘étudiante
que j‘étais. Sa confiance en moi m‘aura permis de m‘épanouir pleinement en tant que
chercheure en droit.
Deux autres institutions furent majeures pour moi. Tout d‘abord, le Centre de recherche
en droit public à la Faculté de droit de l‘Université de Montréal où je collabore depuis
2003 et qui m‘offre depuis un environnement de travail d‘une grande richesse. Merci au
Docteure Thérèse Leroux qui me suit, m‘épaule et me guide dans l‘univers de la
recherche juridique depuis que j‘ai fait mes études de maîtrise avec elle. Ensuite, le
Centre de recherche en droit des sciences et des techniques à la Faculté de droit de
l‘Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Mon stage de recherche doctoral dans cette
institution prestigieuse m‘a apporté un regard dont la thèse n‘a pu qu‘être enrichie. Merci
à toute l‘équipe de ce centre qui, pendant quelques mois à l‘automne 2009, m‘a accueillie
avec tant de gentillesse et de bienveillance.
Sans oublier ma famille pour leurs encouragements continuels dans la réalisation de cette
thèse ainsi que pour leur compréhension dans les moments difficiles. À mon père dont
l‘expérience et les conseils me furent précieux. À ma mère et à ma sœur dont l‘écoute, le
support et la confiance n‘ont jamais failli. Cette aventure du doctorat et cinq années de
travail trouvent ici leur conclusion, et cela n‘aurait pas été possible sans eux. Ils m‘ont
laissé toute la liberté de réaliser mon rêve. Une pensée également pour mes amis dont
l‘affection et la présence sont si précieuses.
Je dois enfin souligner que l‘accomplissement de cette thèse n‘aurait pas été possible sans
le soutien financier de plusieurs organismes. Mes remerciements à la Faculté de droit de
l‘Université McGill pour le John Dobson Foundation Fellowship (2006) et le McGill
Graduate Studies Fellowship (2007). Merci également au Fonds québécois de la
recherche sur la société et la culture (FQRSC) qui m‘a octroyé à l‘automne 2007 une
bourse majeure de doctorat de trois ans. En collaboration avec le Regroupement Droit et
Changements, qui est dirigé par le Centre de recherche en droit public, le FQRSC est
finalement l‘organisme qui m‘a permis de faire mon séjour en France au moyen d‘une
Bourse pour stage international. Je ne les remercierai jamais assez de m‘avoir donné les
moyens de mener à terme mes études doctorales.
L’ANONYMAT DES DONS DE GAMÈTES ET
D’EMBRYONS AU QUÉBEC ET AU CANADA
ESSAI THÉORIQUE SUR L’INTERNORMATIVITÉ ENTRE
LE DROIT POSITIF ET L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE
DANS LA RÉSOLUTION DU CONFLIT
« Il était une fois un roi et une reine.
Chaque jour ils se disaient :
- Ah! Si seulement nous avions un enfant.
Mais d'enfant, point.
Un jour que la reine était au bain, une grenouille bondit hors de l'eau et lui dit:
- Ton vœu sera exaucé.
Avant qu'une année ne soit passée, tu mettras une fillette au monde.
Ce que la grenouille avait prédit arriva.
La reine donna le jour à une fille.
Elle était si belle que le roi ne se tenait plus de joie. »
Wilhelm et Jacob Grimm, La Belle au bois dormant1
Ce conte, normalement destiné à la littérature enfantine, nous introduit dès notre
plus jeune âge à un problème qui préoccupe l‘humanité depuis longtemps. Depuis des
siècles, le livre de La Genèse ordonne: « Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la
terre »2. Pourtant, dans cette mise en scène de La Belle au bois dormant, telle que
dépeinte par les frères Grimm au 19e siècle, sont illustrés la hantise de l‘infertilité et le
1
Wilhelm Grimm et Jacob Grimm « La Belle au bois dormant », dans Contes de Grimm, Traduits par
Pierre Durand, Illustrés par Jiřί Trnka, 14 édition, Paris, Gründ, 1983, 7 à la p. 7.
2
La Genèse 1, 28.
2
désir d‘enfants qui s‘avère parfois plus fort que tout3. Aussi, la reproduction humaine
fascine. Grâce à elle, nous entrons dans le cycle de la vie et répondons à cet appel de la
nature qu‘est le souhait de fonder une famille. C‘est à partir de l‘enfant, seule réalité
pérenne, que la famille se définirait aujourd‘hui4, alors qu‘autrefois le couple était le
fondement de la famille par les liens du mariage5. Certains iront plus loin et diront qu‘il
s‘agit d‘un besoin biologique de transmettre notre patrimoine génétique aux générations
futures. Cela peut dès lors apparaître comme une perpétuation de l‘être dans le temps et
l‘espace et contribue à une "biologisation" du lien de filiation.
Avoir des enfants n‘est par contre pas toujours chose aisée. La vie, parfois semée
d‘embûches, fait en sorte que des problèmes d‘infertilité peuvent survenir et requièrent un
coup de pouce afin que la nouvelle vie tant attendue voit le jour. Le détachement de la
famille de la sacramentelle institution du mariage ouvre de plus les portes de la
procréation aux femmes seules et aux couples homosexuels qui, selon l‘ordre naturel des
choses, ne peuvent concevoir sans aide extérieure. Dans un tel contexte, quelles solutions
s‘offrent aux souverains de la Belle au bois dormant afin d‘apaiser leur souffrance? Dans
la version initiale du conte, attribuée à Charles Perrault et qui est parue en 1697, il est
écrit qu‘ils « allèrent à toutes les eaux du monde : vœux, pèlerinages, tout fut mis en
œuvre, et rien n'y faisait. Enfin, pourtant, la reine devint grosse, et accoucha d‘une
3
Catherine Philippe, « Assistance médicale à la procréation : des pratiques encouragées? », (2005) 17
Revue générale de droit médical 263 à la p. 263.
4
D. Le Gall, « Filiations volontaires et biologique. La pluriparentalité dans les sociétés contemporaines »,
(2003) 51 Neuropsychiatrie de l‘enfance et de l‘adolescence 118 à la p. 118.
5
Hélène Belleau, «Être parent aujourd‘hui : la construction du lien de filiation dans l‘univers symbolique
de la parenté », (2004) 1 Enfances, Familles, Générations au par. 9, En ligne :
<http://www.erudit.org/revue/efg/2004/v/n1/008891ar.html> (Date d‘accès: 14 novembre 2009).
3
fille »6. À chaque époque ses solutions. Avec le temps, des techniques d‘assistance à la
procréation permettant de pallier à ces troubles de fertilité ou limites biologiques se sont
développées.
Certaines permettent justement le maintien d‘un lien biologique/génétique avec
l‘un des deux parents. Pensons par exemple à l‘insémination thérapeutique avec le sperme
d‘un tiers donneur qui fut introduite dans la pratique médicale dans les années trente et
qui s‘est développée furtivement sur près de quatre décennies7. Avec des applications
remontant à environ deux siècles, en 1791 en Angleterre grâce à John Hunter et en 1804
en France grâce à Michel-Augustin Thouret, l‘insémination artificielle est en fait la plus
ancienne technique de procréation assistée. C‘est d‘autre part à partir de 1963 que les
premières banques de sperme sont apparues aux États-Unis8.
Le don s‘étend à présent aux ovules9, par exemple lorsque la femme n‘a pas
d‘ovaires ou est trop âgée pour utiliser ses propres gamètes, et même aux embryons. Il est
alors question d‘embryons surnuméraires provenant de couples ayant procédé à des
traitements de fécondation in vitro, mais qui les ont donnés. L‘expression "accueil
d‘embryons" est la formule retenue pour parler de cette adoption précoce. Elle ne procure
6
Charles Perrault, « La Belle au Bois dormant», dans Les Contes de Perrault suivis des Aventures du Baron
de Münchhausen, Illustrés par Gustave Doré, Paris, SACELP, 1980, 34 à la p. 34.
7
A. McWhinnie, « Gamete donation and anonymity – Should offspring from donated gametes continue to
be denied knowledge of their origins and antecedents? » (2001) 16:5 Human Reproduction 807 à la p. 807.
8
« Assistance médicale à la procréation », dans Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologie,
Mise à jour 55 (Date d‘arrêt des textes : 1er avril 2009), Paris, Éditions Législatives, 2009, 109 à la p. 112
[« Assistance médicale à la procréation »].
9
Celui-ci étant beaucoup plus compliqué que le don de sperme étant donné les interventions requises sur la
femme et le nombre limité d‘ovocytes. À ce sujet, voir : Commission de l‘éthique de la science et de la
technologie, Éthique et procréation assistée : des orientations pour le don de gamètes et d’embryons, la
gestation pour autrui et le diagnostic préimplantatoire, Québec, 2009, aux pp. 32-34, En ligne : voir
<http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_docman&Itemid=109> (Date d‘accès : 31 octobre
2009) [Commission de l‘éthique de la science et dela technologie, « Procréation assistée »].
4
aucuns liens génétiques entre les parents et l‘enfant, mais donne un regard plus naturel à
la procréation en permettant à la femme d‘accoucher du bébé. L‘intérêt du don
d‘embryon, contrairement à l‘adoption d‘enfants déjà nés, est l‘apparence d‘un lien
biologique10.
Bien que demeurant exceptionnelles et, dans la majorité des cas, d‘une complexité
médicale évidente comportant des risques pour la mère et/ou l‘enfant, certaines de ces
techniques sont aujourd‘hui chose courante au regard de leur acceptation au sein de la
société11. Cela est au point qu‘elles sont souvent perçues comme des procédures de
routine, sécuritaires et efficaces12. La fécondation in vitro en est peut-être un des
meilleurs témoins. Par ailleurs :
« [f]ruit d‘une relation interpersonnelle qui se lovait jusqu‘alors dans le
secret des alcôves, l‘acte d‘engendrement s‘est aujourd‘hui technicisé.
L‘avancée des connaissances dans les domaines de la médecine et de la
biologie qui, dans un premier temps, a permis de dissocier reproduction et
sexualité, autorise aujourd‘hui à scinder fécondation et gestation. La
reproduction humaine, dans sa dimension spatiale comme dans sa
dimension temporelle, apparaît ainsi comme un processus éclaté, auquel
participe une pluralité d‘acteurs […] »13.
10
Ibid. à la p. 45.
« Aujourd‘hui, l‘assistance médicale à la procréation s‘appuie sur un arsenal impressionnant de
techniques permettant de pallier les causes les plus diverses de la stérilité. Et la société paraît bien s‘être
accommodée de leur utilisation en vue de satisfaire, en marge de l‘adoption, le besoin de descendance de
ceux qui ne peuvent procréer autrement. Il est vrai que les chercheurs et les praticiens n‘ont pas hésité, ces
dernières années, à placer le corps social devant le fait accompli. Et les médias ont généralement présenté
les résultats obtenus comme autant d‘exploits scientifiques.
L‘évolution des mentalités, le déclin de la morale et une certaine forme d‘individualisme ont fait le reste. À
l‘évidence, l‘assistance médicale à la procréation n‘est plus couverte de l‘opprobre dont l‘insémination
artificielle fut jadis l‘objet. L‘évolution des pratiques et des techniques d‘assistance médicale à la
procréation montre que celle-ci n‘est plus perçue comme un sujet tabou, mais plutôt comme un phénomène
de société. » « Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 112.
12
Commission de l’éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p.
10.
13
Édith Deleury, « Droit de la filiation et progrès scientifiques », dans Service de la formation permanente
du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la santé (1991), Cowansville, Éditions Yvon
Blais, 1991, 173 à la p. 173 [Deleury, « Filiation»].
11
5
Ce phénomène est manifeste au regard de l‘évolution de la notion de famille ces dernières
années. Elle a vu apparaître des termes tels que parent génétique, sociologique ou
juridique. Le couple hétérosexuel, à l‘origine de la famille nucléaire traditionnelle, n‘est
plus le seul à bénéficier d‘un apport extérieur de forces génétiques. Le processus de la
procréation assistée est dorénavant accessible, dans les limites de la loi, aux femmes
seules et aux couples homosexuels manifestant un désir de parenté14. En découlent des
représentations plurielles de la famille15. « Désormais, il est donc possible de considérer
que la […] [procréation assistée] constitue un mode d‘établissement de la filiation, à part
entière et autonome »16.
Lorsqu‘un ménage ou un individu fait appel à un don hétérologue ou exogène
provenant de personnes externes au projet parental, c‘est-à-dire celui dans le cadre duquel
est exprimé un consentement au processus de procréation assistée afin de concevoir un
enfant, il peut d‘une part recourir à la procréation médicalement assistée en clinique de
fertilité17, privée ou en institution médicale publique, avec donneur anonyme ou non. Les
techniques qui y sont pratiquées varient en fonction du type de don utilisé. Pour un don de
sperme, il peut par exemple s‘agir d‘une insémination thérapeutique ou encore d‘une
fécondation in vitro suivie d‘un transfert in utero. Ces deux derniers sont nécessaires lors
d‘un don d‘ovules. Le don d‘embryons n‘implique quant à lui qu‘un transfert in utero
suite à une fécondation in vitro ayant déjà eu lieu pour un autre couple. Dans tous les cas,
14
Ce concept se distingue de celui de la parentalité qui est l‘exercice de la fonction parentale. Si, en droit, le
titulaire de l‘autorité parentale est souvent le parent, il y a des situations où ces deux réalités ne concordent
pas. Pour les fins de cette thèse, nous présumons que le parent bénéficiaire de la procréation assistée exerce
sa parentalité.
15
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 aux pp.
20-21.
16
Ibid. à la p. 20.
17
Distinction notamment retenue dans P. (F.) c. C. (P.), EYB 2005-86199 (C.S.), par. 14.
6
l‘anonymat du donneur dépend du régime juridique applicable ou, en l‘absence d‘un tel
cadre, de la politique clinique pratiquée par les autorités médicales.
Il est néanmoins certain que lorsque de futurs parents demandent à une
connaissance, comme un ami ou un membre de la famille, d‘agir à titre de donneur avant
de se rendre avec eux en clinique, si cette pratique est autorisée, ils auront connaissance
de l‘identité du géniteur. Quant à l‘enfant, il demeure soumis au régime juridique établi
en matière d‘assistance à la procréation ou à la pratique clinique en vigueur. Si la règle
d‘or est celle de l‘anonymat ou que le donneur refuse que son identité lui soit
communiquée, lorsqu‘il dispose de cette option, l‘enfant dépend de l‘ouverture de ses
parents.
Il est d‘autre part possible de procéder à une procréation "privément" assistée. Est
alors exclue toute dimension médicale de l‘acte d‘engendrement. Le donneur et son
identité y sont personnellement connus des receveurs. La procréation est dite
"amicalement" assistée lorsqu‘une relation sexuelle intervient18 ou "artisanalement"
assistée lorsque, par exemple, l‘on procède à l‘injection du sperme chez la femme au
18
Ibid.; L‘expression procréation "amicalement assistée" a été utilisée à l‘occasion des travaux de la
Commission parlementaire lors de la réforme du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64) en 2002 (Loi
instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6). Benoît Moore, « Les
enfants du nouveau siècle : libres propos sur la réforme de la filiation », dans Service de la formation
permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit familial (2002), vol. 176, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2002, 75 à la page 88 [Moore, « Enfants du nouveau siècle »]; Au Québec, cette
situation de "procréation amicale" est prévue à l‘article 538.2 al. 2 C.c.Q. qui dicte que « lorsque l'apport de
forces génétiques se fait par relation sexuelle, un lien de filiation peut être établi, dans l'année qui suit la
naissance, entre l'auteur de l'apport et l'enfant. Pendant cette période, le conjoint de la femme qui a donné
naissance à l'enfant ne peut, pour s'opposer à cette demande, invoquer une possession d'état conforme au
titre. » Code civil du Québec, ibid., art. 538.2 al. 2.
7
moyen d‘une seringue19. Dans ces deux cas de figure, la loi n‘intervient pas dans les
relations privées entre les parties, à moins qu‘il n‘y ait un conflit entre elles. L‘enfant en
quête de ses origines est totalement soumis à la volonté de ses parents de briser le secret
entourant sa conception, c‘est-à-dire le recours à l‘insémination en tant que tel, et par la
suite de lui donner le nom de son géniteur, parent biologique, génétique.
En l‘espèce, c‘est l‘hypothèse du don dépersonnalisé ayant lieu en clinique, où le
donneur est originairement inconnu des receveurs, qui retient notre attention. Dans le
cadre de cette thèse, il s‘agit tout d‘abord d‘observer dans quelle mesure des rapports
d‘influence avec l‘éthique de la sollicitude orientent le législateur dans sa prise de
décision quant à l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. L‘éthique de la
sollicitude est, à ce titre, un point central de notre approche théorique. Elle concerne
l’interdépendance des individus puisque cette éthique a pour objet les relations humaines
et la contextualisation des besoins de chacun. La sollicitude vise à identifier une source
d’obligations dans les sentiments d’empathie pour autrui et la responsabilité qui devrait
corrélativement en découler. La personne est donc définie non pas uniquement en rapport
à ses droits, mais dans sa relation avec autrui. Dans ce contexte, l‘internormativité devient
le mode d‘expression de la dialectique établie entre l‘éthique de la sollicitude et la norme
de droit. Notre cadre théorique, dont nous exposons notre position au chapitre 1 en nous
appuyant sur la doctrine pertinente, nous permet ultimement de mieux comprendre,
19
Distinction notamment retenue dans P. (F.) c. C. (P.), supra note 17 au par. 14; Il semble que l‘hypothèse
de l‘insémination réalisée privément, « dans un contexte intimiste, sans que les protagonistes n‘aient eu
recours aux services d‘une clinique ou d‘une autre institution médicale » ne soit pas couverte par l‘article
538.2 al. 2. Alain Roy, « Le nouveau cadre juridique de la procréation assistée en droit québécois ou
l‘œuvre d‘un législateur trop pressé », (2005) 23 L‘Observatoire de la génétique, En ligne :
<http://hdl.handle.net/1866/1414> (date d‘accès: 22 avril 2009); De l‘avis de Benoît Moore, la procréation
"privément assistée" doit inclure « tout type d‘assistance prodigué dans un contexte intimiste ». Moore,
« Enfants du nouveau siècle » supra note 18 à la page 90.
8
commenter et critiquer la position adoptée par le Canada et le Québec. Devrait-on
préserver l‘anonymat ou suivre la nouvelle tendance vers la transparence quant à
l‘identité des donneurs? Comment l‘éthique de la sollicitude soutient-elle l‘une ou l‘autre
de ces conclusions? Quelle influence a-t-elle avoir sur le législateur?
Le deuxième chapitre constitue une analyse structurelle du problème de
l‘anonymat et une critique au regard de notre cadre théorique. Pour ce faire, nous
procédons à une revue de littérature, dans une approche multidisciplinaire, où sont
exposés les intérêts en jeu dans le débat sur l‘anonymat des donneurs. Au terme de notre
réflexion, nous en venons à distinguer, dans la problématique à l‘étude, le fait d‘informer
l‘enfant des circonstances de sa naissance et son droit aux origines, c‘est-à-dire le droit
d‘obtenir les renseignements nominatifs et identifiants concernant le géniteur. Non
seulement ces notions sont analysées distinctement selon une approche relationnelle, mais
nos conclusions ne les lient pas en droit. Informer l‘enfant de l‘utilisation d‘un tiers
donneur dans le cadre du processus reproductif instaure ainsi un privilège de réserve des
parents et qui découle d‘une non-imposition de divulgation à même le texte de loi.
L‘importance d‘informer est plutôt une obligation morale qui doit être renforcée par la
mise en place d‘un processus de responsabilisation des parents. Celui-ci prend la forme
d‘une intervention préalable du milieu médical afin qu‘il informe les parents de ce
qu‘implique le fait de ne rien dire à l‘enfant. Quant au droit aux origines, il a une
existence propre et indépendante. Ce droit ne peut certes être exercé si l‘enfant ignore
comment il a été conçu, mais l‘éthique de la sollicitude exige qu‘une fois ce pas franchi
par le couple, l‘enfant doit avoir la possibilité de décider s‘il veut en savoir plus sur son
9
donneur. Ce sont ces positions que nous défendons au chapitre 2 tout en faisant les
nuances nécessaires.
La possibilité de procéder à une étude de terrain a été délibérément exclue de notre
méthodologie. Un certain nombre d‘enquêtes ont déjà été consacrées aux donneurs et aux
parents. Nous n‘en ferons pas une recension, par exemple de toutes celles ayant été
publiées dans Medline ou Pubmed entre telle année et telle année. D‘autres l‘ont déjà
fait20 et notre objectif est davantage de présenter les différentes positions sur l‘anonymat
en fonction de notre grille d‘analyse et ce, en cherchant le plus possible à nuancer notre
propos. Concernant les enfants issus d‘un don d‘engendrement, il faut savoir que :
« [p]eu d‘études sur le devenir […] [des enfants] permettent de jeter un
éclairage sur les liens qu‘ils entretiennent [avec leurs parents et le
donneur]. En effet, les premières études sur les enfants nés de la […]
[procréation assistée (PA)] ont été menées essentiellement dans une
perspective épidémiologique. Si des données commencent à paraître sur le
plan somatique, peu d‘analyses portent sur le lien psychique et sur les
interactions parents-enfants. Cela s‘explique du fait que les cliniques ne
voient que les futurs parents, qu‘elles perdent de vue dès la naissance, si
ce n‘est dès la conception de l‘enfant. Il est extrêmement difficile de
constituer des cohortes suffisantes et statistiquement valides. Si les études
qui ont été publiées jusqu‘à présent permettent de conclure que les enfants
nés de la PA présentent un développement considéré comme normal et
que leur développement psychomoteur n‘est pas influencé par leur mode
de procréation, il faut souligner qu‘elles présentent certaines lacunes sur le
plan méthodologique et ne nous renseignent pas suffisamment sur le
développement psychologique de ces enfants à l‘âge de l‘adolescence ni à
l‘âge adulte.
20
Par exemple: Anne Brewaeys, « Review: Parent-child relationships and child development in donor
insemination families », (2001) 7 :1 Human Reproduction Update 38 [Brewaeys, « Parent-child
relationships »].
10
À ce titre, les aspects qui semblent soulever le plus d‘inquiétudes et qui
suscitent aussi des débats sont l‘accès pour l‘enfant à la connaissance de
ses origines et la construction de son « roman » familial. »21
Cela ne nous pose pas de problèmes majeurs car, en plus des analyses appuyées de
pourcentages, ce qui retient notre attention, ce sont les témoignages directs que rapportent
certains auteurs. Ils sont peu nombreux, mais percutants par la sensibilité humaine qui
s‘en dégage. Il nous faut préciser que cette thèse se tient dans les limites académiques de
son auteur dont la formation est entièrement juridique. À défaut d‘un projet de recherche
plus étendu impliquant psychanalystes, psychologues et autres spécialistes de l‘enfance,
nous ne pouvons que nous référer à leurs écrits selon notre meilleure compréhension.
Enfin, nous nous intéressons au processus décisionnel menant à l‘adoption d‘une
règle de droit conciliatrice des conflits en présence. Partant de l‘hypothèse que l‘éthique
de la sollicitude peut être un instrument pertinent pour guider le législateur, nous
effectuons au chapitre 3 une étude comparatiste des lois canadienne et québécoise avec
celles de la France et du Royaume-Uni. S‘interroger sur une modification potentielle de la
loi implique de regarder des législations qui l‘ont fait en abolissant l‘anonymat ou qui y
songent. De longue date, la France et le Royaume-Uni furent des précurseurs dans
l‘encadrement juridique de la procréation assistée. Nous avons par ailleurs déjà démontré
que la Loi sur la procréation assistée22, adoptée par le législateur fédéral en 2004,
s‘inspire des modèles législatifs adoptés par ces deux pays23.
21
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p.
42.
22
Loi concernant les techniques de procréation assistée et la recherche connexe, L.C. 2004, ch. 2 [Loi sur
la procréation assistée].
23
Voir : Julie Cousineau, « L‘autonomie reproductive : un enjeu éthique et légal pour le diagnostic
préimplantatoire », (2008) 86 :3 R. du B. can. 421 à la p. 462 [Cousineau, « Autonomie reproductive »].
11
Une majeure partie de la loi canadienne a été déclarée inconstitutionnelle par la
Cour suprême le 22 décembre 201024. La partie de la thèse qui concerne le droit canadien
demeure néanmoins pertinente. De fait, indépendamment du statut ultra vires des
dispositions concernant l‘anonymat et les renseignements sur le donneur, l‘étude de droit
comparé où l‘internormativité fait entrer en ligne de compte l‘éthique de la sollicitude
conserve sa valeur théorique. L‘analyse du contexte législatif canadien constitue un
modèle que nous ne pouvons pas ignorer puisque non seulement il fut inspiré de la France
et du Royaume-Uni, mais il a été jusqu‘à tout récemment en étroite concurrence avec le
droit provincial québécois qui demeure en vigueur.
Nous considérons donc l‘évolution de la politique juridique de la procréation
assistée, et plus spécifiquement de la question de l‘anonymat des donneurs en accordant
une attention particulière aux portes d‘entrée possibles d‘un examen fait sous l‘angle de la
sollicitude. C‘est donc de l‘intérieur même des systèmes juridiques étudiés que nous
tirons nos enseignements et cherchons à comprendre, dans leur structure et logique
législative, quelle place doit ou devrait être accordée à l‘approche relationnelle. L‘un des
objectifs du recours au droit comparé est donc d’analyser comment éthique et droit
interagissent dans le cadre du conflit, se manifestant dans diverses approches législatives.
Nous procédons notamment en faisant un état du droit et en analysant de plus près le
discours interprétatif de la doctrine.
24
Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61 (CanLII), En ligne :
http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2010/2010csc61/2010csc61.html (Date d‘accès: 27 décembre 2010).
12
Nous en arrivons alors à la conclusion que l‘adoption d‘approches législatives
particulières, pour lesquelles nous cherchons les portes d‘entrée de l‘internormativité afin
qu‘un dialogue s‘installe entre la règle de droit et l‘éthique de la sollicitude, ne constitue
pas a priori un obstacle à la mise en place de ces passerelles internormatives. En fait, ces
approches législatives, dites prudente ou libérale, ne sont pas hermétiques ou composées
de caractéristiques dont la présence est obligatoire. Cette plasticité ou flexibilité
législative constitue en somme le garant de l‘introduction en droit d‘une internormativité
avec l‘éthique de la sollicitude avec plus ou moins de facilité, à des degrés variables.
Avant d‘entrer le corps d‘analyse de la thèse, nous proposons au lecteur un
chapitre préliminaire dont le but est de le guider dans notre cheminement analytique.
Nous y établissons les fondements de la thèse en démontrant la pertinence de la
problématique ainsi que le choix de l‘approche théorique à travers laquelle la question de
l‘anonymat est réfléchie.
13
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
MISE EN CONTEXTE
La mise en contexte est dans un premier temps constituée des détails de la
problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. Puis, nous
expliquons pourquoi nous croyons en la légitimité de l‘intervention étatique dans ce
contexte. Enfin, nous constatons que la norme de droit doit être développée en
internormativité avec l‘éthique. Cette dernière est la discipline qui impose tant les
responsabilités et les obligations que les individus ont les uns envers les autres que les
caractéristiques et les attitudes que les personnes ou groupes de personnes devraient
adopter afin de bien vivre ensemble25.
SECTION 1 : PROBLÉMATIQUE DE L’ANONYMAT DE DONNEURS DE
GAMÈTES ET D’EMBRYONS
Nous avons retenu cet angle particulier de la procréation assistée avec tiers
donneur pour sa contemporanéité et le défi normatif qu‘il représente. S‘il existe un
consensus sur la transmission de renseignements médicaux et génétiques non nominatifs
aux enfants issus d‘un don de gamètes ou d‘embryons, la divulgation d‘informations
nominatives continue de semer la controverse26. Tant à l‘égard de l‘enfant en quête d‘un
25
Elizabeth Heitman, « The Roots of Honor and Integrity in Science », dans Ruth Ellen Bulger, Elizabeth
Heitman et Stanley Joel Reiser, dir., The Ethical Dimension of the Biological and Health Sciences, Seconde
Édition, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 21 à la p. 22.
26
Katherine Van Heugten et Judy Hunter, « Procréation assistée », dans Gouvernement du Canada, Le
meilleur des Mondes : Au carrefour de la biotechnologie et des droits de la personne, 2005 à la p. 2-19, En
ligne : <http://www.biostrategie.gc.ca/HumanRights/HumanRightsF/Biotech_CH2_fr.pdf> (Date d‘accès:
14 avril 2009).
14
droit aux origines, lui reconnaissant le droit d‘obtenir des informations nominatives et
identifiantes sur son géniteur, du donneur désirant le respect de son anonymat et de sa vie
privée ou des parents qui aspirent au secret entourant le mode de conception de leur
enfant. Nous nous concentrons ici exclusivement sur la question de la transmission
d‘informations nominatives et potentiellement identifiantes. Une partie du problème de
l‘anonymat est liée à l‘absence ou à la destruction des dossiers contenant les
renseignements sur le donneur. L‘anonymat est alors complet et le tiers donneur peut
disparaître dans la nature sans jamais laisser de traces. Nous croyons néanmoins que des
dossiers ou des registres doivent être tenus afin de permettre la communication de
données sur la santé du parent biologique27. Cela se justifie aisément pour des motifs
médicaux. Un suivi pourrait même être nécessaire si la santé de l‘enfant est en jeu.
L‘anonymat auquel nous nous intéressons est donc celui qui s‘étend au-delà des frontières
de ces dossiers.
La question de l‘anonymat est un enjeu lié à l‘essence même de l‘individu. Pour la
personne issue d‘un don d‘engendrement et ne connaissant pas le nom de son géniteur, la
quête des origines découlerait d‘un vide émotif lié à son identité et à son lien avec ses
antécédents
biologiques28.
L‘utilisation
de
l‘expression
"parent
fantôme"
est
corrélativement lourde de sens et évoque bien les motifs à la source de la démarche29.
Certains soulignent que :
27
Sur le sujet, voir par exemple: Stephen L. Corson et Andrea Mechanick-Braverman, « Why we believe
there should be a gamete registry », (1998) 69 :5 Fertility and Sterility 809; Mark V. Sauer, « Gamete
registry? A Trojan horse from those seeking regulation », (1998) 69 :5 Fertility and Sterility 812.
28
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-19.
29
Katheryn D. Katz, « Gamete registry? A Trojan horse and the legacy of the past », (1993-1994) 57 Alb.
L. Rev. 733.
15
« [d]‘une manière générale, la question de l‘origine ou des origines fait
partie des questions essentielles que tout enfant aborde au cours de son
développement psychique, avec la découverte de son identité sexuée, sa
progression vers l‘autonomie et la prise de conscience de la relation
familiale dans laquelle il s‘inscrit. Il va interroger les adultes et exprimer
plus ou moins ses questions pour pouvoir construire son histoire. »30
D‘autres ajoutent qu‘il ne s‘agit pas pour cet enfant d‘établir des relations avec son ou ses
géniteurs, mais de se situer dans une généalogie afin de mieux comprendre sa différence
et mieux s‘assumer31. Robert Leckey illustre avec originalité l‘enjeu de l‘anonymat pour
les enfants issus d‘un don. L‘auteur écrit que la quête de l‘identité, dérivant de l‘absence
d‘un parent, apparaît notamment dans la littérature, de la mythologie grecque à l‘œuvre
de Shakespeare ou chez Harry Potter. À tous les coups, ce qui en ressort c‘est
l‘importance pour tout être humain de la connaissance de soi et d‘une localisation dans le
temps32. Sont alors interpellés sous plus d‘un angle les notions d‘identité, de parenté et de
filiation dans un contexte social qui favorise de plus en plus l‘épanouissement personnel
de l‘individu et où la biologie ne peut à elle seule y répondre.
Est par contre opposé à la recherche des origines l‘anonymat du donneur. Y est
corrélativement ajouté le secret œuvrant au sein de la famille quant au mode de
conception et le recours à ce tiers. On vient clairement distinguer l‘anonymat du secret
pour lequel c‘est toute la question de la privatisation de la famille qui entre en ligne de
compte. Il s‘agit du cadre résolument privé à l‘intérieur duquel un projet parental ou
familial, qui est la décision de concevoir des enfants, peut se développer et se concrétiser.
Comité consultatif national d‘éthique français (CCNE), Avis n 90 : Accès aux origines, anonymat et
secret de la filiation, France, 24 novembre 2005 à la p. 21, En ligne : <http://www.ccneethique.fr/docs/fr/avis090.pdf > (Date d‘accès : 11 septembre 2010) [CCNE, « Avis 90 »].
31
Deleury, « Filiation», supra note 13 à la p. 184.
32
Robert Leckey, « Where the parents are of the same sex‘: Quebec‘s reforms to filiation », (2009) 23 Int‘l
J.L. Pol‘y & Fam .62 à la p. 77.
30
16
L‘État s‘en remet alors au désir des individus. La filiation devient une affaire de volontés
individuelles33. Ce n‘est là qu‘un bref aperçu des intérêts entrant en ligne de compte pour
chacun des acteurs, mais ce portrait nous permet de cerner, dès le départ et dans toute sa
complexité, l‘aspect humain de la problématique de l‘anonymat des donneurs.
La sensibilité de cette dernière se remarque notamment dans les médias québécois.
À titre illustratif, le 17 janvier 2007, l‘émission Enjeux diffusée sur les ondes de RadioCanada a présenté un reportage intitulé Orphelins génétiques34 dans le cadre duquel
étaient exposés les tenants et les aboutissants de la problématique de l‘anonymat des
donneurs. À lui seul, le titre frappant, pour ne pas dire sensationnaliste, du reportage
exprime bien l‘émotivité du sujet. Plus récemment, un article du Devoir, dont le titre est
également évocateur des enjeux du débat sur l‘anonymisation, détaillait une entrevue
donnée par Margaret Somerville où elle se prononçait ouvertement en faveur du droit des
enfants de connaître leurs origines biologiques35. En matière d‘adoption, Somerville croit
d‘autre part que la biologie doit jouer un rôle dans la définition de la famille de l‘enfant36.
33
Alain Roy, « Évolution des normes juridiques et nouvelles formes de régulation de la famille : regards
croisés sur le couple et l‘enfant », (2006) 5 Revue Internationale Enfances, Familles, Générations au para.
20, En ligne : <http://www.erudit.org/revue/efg/2006/v/n5/015777ar.html> (date d‘accès: 30 janvier 2008)
[Roy, « Évolution des normes juridiques »].
34
Voir le site de l‘émission : Radio-Canada, Enjeux : Orphelins génétiques, En ligne : <http://www.radiocanada.ca/actualite/v2/enjeux/niveau2_13054.shtml> (Date d‘accès: 14 avril 2009).
35
Pauline Gravel, « L‘entrevue – Le sens du sois », Le Devoir (7 janvier 2008) A1 et A8.
36
Voir le débat entre Margaret Somerville et Robert Leckey : Robert Leckey, « Adoptive parents aren't
second
best
»,
The
Globe
and
Mail
(8
octobre
2009),
En
ligne :
<http://www.theglobeandmail.com/news/opinions/adoptive-parents-arent-second-best/article1317521/>
(Date d‘accès : 22 août 2010); Margaret Somerville, «Web-exclusive commentary : A simple answer to
Quebec's simple adoption question », The Globe and Mail (13 octobre 2009), En ligne :
<http://www.theglobeandmail.com/news/opinions/a-simple-answer-to-quebecs-simple-adoptionquestion/article1322352/> (Date d‘accès : 22 août 2010).
17
Un peu partout à travers le monde émergent également nombre d‘associations
consacrées au sujet. Localement, pensons par exemple à la Canadian Donor Conception
Coalition37. Elle a entre autres été fondée par Olivia Pratten, une journaliste originaire de
la Colombie-Britannique née d‘un don anonyme et qui milite depuis des années dans le
paysage canadien, en particulier dans sa province natale, en faveur de l‘abolition de la
pratique d‘opacité. C‘est d‘ailleurs cette jeune femme qui a initié, en octobre 2008 en
Colombie-Britannique, le premier recours collectif canadien contre l‘anonymat des
donneurs38. L‘association française Procréation Médicalement Anonyme39 qui bouillonne
de témoignages et de références sur le sujet est une autre organisation consacrée à cette
question. Ses membres se battent plus spécifiquement pour la levée de l‘anonymat des
donneurs de gamètes et l‘abolition de la pratique même du don d‘embryons. Des registres
en ligne voient finalement le jour. Le Donor Sibling Registry40 aux États-Unis n‘en est
qu‘une illustration.
Bien que les cadres législatifs canadien et québécois adoptent la philosophie
générale de l‘anonymat du tiers donneur41, la problématique reste d‘actualité car, depuis
37
Voir :
Canadian
Donor
Offspring,
Canadian
Donor
Offspring,
En
ligne :
<http://www.canadiandonoroffspring.ca/index.html> (Date d‘accès : 31 janvier 2009).
38
Les documents introductifs d‘instance sont disponibles sur Arvay Finlay Barristers, First ever class
action lawsuit filed by sperm donor offspring in Canada, 28 octobre 2008, En ligne:
<http://www.arvayfinlay.com/news/news-oct28-2008.html> (Date d‘accès: 5 janvier 2009); Pratten v.
British
Columbia
(Attorney
General),
2010
BCSC
1444
(CanLII),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2010/2010bcsc1444/2010bcsc1444.html>
(Date
d‘accès :
6
novembre 2010); Pratten v. British Columbia (Attorney General), 2011 BCSC 656 (CanLII), En ligne :
<http://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2011/2011bcsc656/2011bcsc656.html> (Date d‘accès: 13 juin 2011)
[Ci après « Affaire Pratten »].
39
Voir : Procréation Médicalement Anonyme, La Charte de l’association PMA, En ligne :
<http://www.pmanonyme.asso.fr/charte.php> (Date d‘accès : 15 juillet 2009).
40
Voir : The Donor Sibling Registry, The Donor Sibling Registry, En ligne:
<http://www.donorsiblingregistry.com/> (Date d‘accès : 15 juillet 2009).
41
Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 15 (4) et 18 (3); Code civil du Québec, supra note 18,
art. 542.
18
près de vingt ans, de plus en plus de pays décident de mettre fin à l‘exigence de non
divulgation des renseignements nominatifs42. C‘est en particulier le cas de la Suède
depuis 1984 concernant les dons de sperme43 ou encore du Royaume-Uni depuis 200444.
Dans ce dernier cas, les enfants de plus de 18 ans et conçus grâce à un fait à partir du 1er
avril 2005 pourront, dès 2023, demander l‘accès à l‘information nominative et
identifiante de leur(s) géniteur(s): nom, dernière adresse connue, etc.45 L‘État confère
donc une légitimité juridique à la recherche des origines. Certains auteurs appuyaient
cette position et recommandaient que la loi canadienne soit modifiée46 afin de donner
préséance au droit aux origines génétiques sur le droit à la vie privée des donneurs, en
faveur des enfants47. À cet égard, notons à nouveau que le premier recours collectif
canadien contre l‘anonymat des donneurs fut déposé en octobre 2008 en Colombie-
42
Voir : Eric Blyth et Lucy Frith, « Donor-Conceived people‘s biographical history : an analysis of
provisions in different jurisdiction permitting disclosure of donor identity », (2009) 23 Int‘l J.L. Pol‘y &
Fam 174; Lucy Frith, « Gamete donation and anonymity : The ethical and legal debate », (2001) 16 :5
Human Reproduction 818 [Frith, « Debate »]; J. Guibert et E. Azria, « Anonymat du don de gamètes :
protection d‘un modèle social ou atteinte aux droits de l‘homme? », (2007) 36 Journal de Gynécologie
Obstétrique et Biologie de la Reproduction 360 aux pp. 362-363; Jean-Marie Kunstman, « CHAPITRE 1 :
L‘assistance médicale à la procréation avec tiers donneur : remise en cause de l‘anonymat », dans Brigitte
Feuillet-Liger, dir., Procréation médicalement assistée et anonymat :Panorama international, Bruxelles,
Bruylant, 2008, 1 aux pp. 23 et suivantes, [Kunstman, « Remise en cause »]; Sénat, Les documents de
travail du Sénat, Série Législation comparée: L’anonymat du don de gamètes, France, Septembre 2008, En
ligne : <http://www.senat.fr/lc/lc186/lc186.pdf> (Date d‘accès : 14 avril 2009); Pour des exemples de droit
comparé, voir ANNEXE 1.
43
Frith, « Debate », supra note 42 aux pp. 818-819.
44
The Human Fertilisation and Embryology Authority (Disclosure of Donor Information) Regulations
2004,
Statutory
Instrument
2004,
no.
1511,
En
ligne:
<http://www.legislation.gov.uk/uksi/2004/1511/made/data.pdf> (Date d‘accès: 28 novembre 2010).
45
Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), What you can find out about your donor or
genetic siblings, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/112.html> (Date d‘accès: 20 avril 2009).
46
Considérons que les dispositions sur la transmission de renseignements concernant le donneur, à savoir
les articles 15 et 18, sont depuis le 22 décembre 2010 déclarées inconstitutionnelless par la Cour suprême
du Canada. Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24.
47
Josephine Johnston, « Mum‘s the Word: Donor Anonymity in Assisted Reproduction », (2002) 11:1
Health L.R. 51 à la p. 54; Lisa Shields, « Consistency and Privacy: Do these Legal Principles Mandate
Donor Anonymity », (2003) 12:1 Health L.R. 39 à la p. 43.
19
Britannique48. Le Barreau du Québec s‘est également prononcé, en juin 2009, en faveur
d‘un débat sur le sujet49.
Nous touchons ici à la raison d‘être de cette thèse. Son bien-fondé eu égard aux
enjeux sociaux de la problématique de l‘anonymat des dons ne fait pas de doute. Il existe
déjà une littérature abondante qui en fait état. Ce qui nous préoccupe c‘est plutôt la
divergence continuelle entre ces enjeux et la relation qu‘ils entretiennent avec l‘univers
juridique. Notre interrogation première est de savoir si le droit québécois et canadien doit
être modifié ou s‘il constitue un juste équilibre entre les droits et les intérêts de chacun. Il
s‘agit néanmoins d‘une question piège car la polémique sur l‘anonymat des donneurs,
parfois qualifiée de boîte de Pandore50, nous oblige à prendre des décisions dans un
domaine où l‘émotion est parfois vive pour les acteurs impliqués. En définitive, comme le
souligne Sonia Le Bris, « [p]ermettre ou refuser l‘accès aux informations nominatives
contenues dans les dossiers relève […] de choix politiques, selon que l‘on s‘entend à faire
prévaloir le secret et la vie privée des bénéficiaires de la procréation assistée et des
donneurs ou le droit de l‘enfant à ses origines »51. Ce sont des choix non seulement très
difficiles à faire puisqu‘ils impliquent obligatoirement de privilégier une partie plutôt
qu‘une autre, mais aussi sensibles pour qui doit les faire.
48
Les documents introductifs d‘instance sont disponibles sur Arvay Finlay Barristers, supra note 38;
Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2010); Pratten v. British Columbia
(Attorney General), supra note 38 (2011).
49
Barreau du Québec, Position du Barreau - Projet de loi 26 – Loi sur les activités cliniques et de
recherche
en
matière
de
procréation
assistée,
15
juin
2009,
<http://www.barreau.qc.ca/pdf/medias/positions/2009/20090615-pl-26.pdf> (Date d‘accès 15 août 2009)
[Barreau du Québec, « Position »].
50
Samantha Besson, « Enforcing the child‘s right to know her origins: contrasting approaches under the
Convention on the rights of the child and the European convention on human rights », (2007) 21 Int‘l J.L.
Pol‘y & Fam. 137 à la p. 138.
51
Sonia Le Bris, « Procréation médicalement assistée et parentalité à l‘aube du 21 ième siècle », (1994) 1 C.P.
du N. 133 à la p. 144.
20
Qui plus est, la complexité de la problématique de l‘anonymat est telle que c‘est la
légitimité même du don de gamètes et d‘embryons qui se trouve remise en question52.
Sommes-nous à tous les coups dans l‘impasse? Afin de souligner la délicatesse de la
problématique, un article publié récemment pose la question à même son titre : peut-on se
prononcer pour ou contre la levée de l‘anonymat dans le don de gamètes 53? Son auteur
avance qu‘afin de répondre à cette interrogation « il s‘agirait de définir ce qui est
favorable ou délétère à l‘épanouissement de l‘enfant conçu dans le cadre du don. Si l‘on
va au-delà de cette question, il s‘agirait alors de s‘interroger à nouveau sur la légitimité de
l‘AMP avec tiers donneur »54. C‘est notamment la voie adoptée par l‘Italie qui interdit le
don de gamète55. Bien qu‘il s‘agisse d‘un choix culturel et politique que nous respectons,
cela nous semble quelque peu extrême. Nous croyons au bien-fondé du don de gamètes et
d‘embryons qui, lorsque fait de façon altruiste (à ne pas confondre avec l‘indemnisation
pour le déplacement et les inconvénients subis par la procédure) et selon certaines bonnes
pratiques, sert bien la finalité de l‘assistance à la procréation. Nous ne remettons donc pas
en cause la légitimité du don, mais nous nous interrogeons sur la pertinence du maintien
de l‘anonymat dans les lois canadienne et québécoise.
52
Catherine Labrusse-Riou, « Biomédecine, bioéthique, biodroit? L‘état du droit français », dans
Bioéthique : de l’éthique au droit, du droit à l’éthique, Colloque international, Lausanne, 17-18 octobre
1996, Zürich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1997, 9 à la p. 33; De l‘avis de l‘auteur, « ni l‘anonymat,
ni sa possible levée à la demande par exemple de l‘enfant à compter d‘un certain âge, ne paraissent justifiés
au regard du droit de la filiation et de l‘intérêt de l‘enfant. L‘anonymat du donneur (comme le secret
souvent maintenu sur les conditions de la procréation), constitue un mensonge légal fondé sur le seul intérêt
apparent du couple bénéficiaire et du donneur lui-même, à l‘exclusion de l‘intérêt de l‘enfant ici totalement
occulté. Mais à l‘inverse, l‘absence d‘anonymat aurait pour effet de valoriser de façon tout à fait anormale
et inhumaine un lien purement biologique de parenté ou de créer, sur cette base, une parent de fait sans
effets civils personnels ou patrimoniaux. Le caractère a-humain d‘une procréation sans relation entre
l‘homme et la femme qui sont la cause de l‘enfant apparaît alors, il semble bien que ce soit cela que
l‘anonymat du donneur vise à nier. Pas suite, c‘est la légitimité même du don de gamète qui se trouve
remise en question. » Ibid. aux pp. 32-33.
53
N. Rives, « Peut-on se prononcer pour ou contre la levée de l‘anonymat dans le don de gamètes? »,
(2007) 35 Gynécologie Obstétrique & Fertilité 695.
54
Ibid. à la p. 695.
55
Voir: Sénat, supra note 42.
21
Cependant, l‘important n‘est pas tant de répondre à la question de l‘anonymat des
dons de gamètes et d‘embryons que la réflexion menant à la conclusion retenue.
Comment trouver un juste équilibre entre les droits et intérêts des enfants issus de la
procréation assistée, ceux des donneurs de matériel reproductif ainsi que ceux du couple y
ayant recours56, et maximiser les avantages de la procréation assistée tout en réduisant au
minimum ses conséquences négatives57? Il est de la responsabilité du législateur de
trancher la question en tenant compte d‘une approche nécessairement internormative, qui
fasse sa place aux dimensions éthiques.
SECTION 2 : LÉGITIMITÉ DE L’INTERVENTION ÉTATIQUE
Le point de départ de notre démarche théorique est la controverse entourant les
modes de régulation de la procréation assistée. Il importe effectivement de déterminer dès
le départ qui a le pouvoir d‘intervenir et d‘établir des limites. Déjà en 1999, la professeure
Bartha Maria Knoppers proposait quatre modèles d‘encadrement des technologies
impliquant la génétique humaine que nous pouvons transposer aux techniques de
reproduction : le modèle des droits de la personne, le modèle législatif, le modèle
administratif et le modèle du marché58. Nous affirmons néanmoins la légitimité de
56
Tracy Hampton, « Anonymity of Gamete Donations Debated », (2005) 294 :21 Journal of American
Medical Association 2681 à la p. 2682 : « Governments must find ways to balance the many complex
concerns of gamete donors, recipients, and offspring. ».
57
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-29.
58
Bartha Maria Knoppers et al., « Commercialization of Genetic Research and Public Policy », (1999)
286:5448 Science 2277; Voir également Bartha Maria Knoppers, « Quatre modèles pour la génétique
humaine : Entre la complexité et la beauté de l‘être humain », dans Michel Venne, dir., La révolution
génétique, Sainte-Foy, Les Presses de l‘Université Laval, 2001, 133 [Knoppers, « Quatres modèles »];
Bartha Maria Knoppers et Rosario Isasi, « Regulatory approaches to reproductive genetic testing », (2004)
19 :12 Human Reproduction 2695 à la p. 2700; Élodie Petit, « Éléments de réflexion sur le choix d‘un
modèle de réglementation pour l‘embryon et les cellules souches embryonnaires », (2004) 45 C. de D. 371;
Commission de réforme du droit du Canada, La procréation médicalement assistée – Document de travail
22
l‘intervention du législateur, de l‘État, dans ce domaine du droit et de la science
caractérisé par la complexité et l‘évolution des pratiques ainsi que des perceptions au sein
de la communauté scientifique et dans la population. De manière générale, dans le
domaine de la procréation assistée, la norme de droit doit donc prédominer comme outil
de gouvernance. Les raisons de cette conviction sont multiples, mais se résument pour
l‘essentiel aux implications de la procréation assistée non seulement pour les personnes
concernées, mais aussi pour l‘ensemble de la société.
De l‘avis d‘Alain Chouraqui, un contexte d‘incertitude rend difficile la définition
et la gestion de certaines normativités comme l‘éthique, dont le rôle est pourtant essentiel
dans l‘encadrement de la procréation assistée. Le danger est d‘assister à un recul du rôle
régulateur de l‘État désormais considéré comme inadapté. Cette situation a entraîné une
désarticulation de l‘unité apparente du système juridique et une multiplication des
contacts entre une régulation juridique diversifiée et le social non juridique, c‘est-à-dire
celui où la normativité se distingue du juridique. Elle a donc rendu encore plus
nécessaires et plus délicates les questions liées à la définition de chaque mode de
régulation, de la place de la régulation juridique dans le social, et de l‘articulation des
régulations juridiques et sociales59.
no 65, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1992 aux pp. 111-130; Marsha
Garrison, « Law making for baby making : an interpretative approach to the determination of legal
parentage », (2000) 113 :4 Harv. L. Rev. 835.
59
Alain Chouraqui, « Normes sociales et règles juridiques : quelques observations sur des régulations
désarticulées », (1989) 13 Droit et Société 415 à la p. 422; Alain Chouraqui, « Quelques difficultés
d‘articulation du juridique et du social », dans François Chazel et Jacques Commaille, dir., Normes
juridiques et régulation sociale, Paris, L.G.D.J., 1991, 285 à la p. 293.
23
Le recul du rôle régulateur de l‘État jugé inadapté, ne trouve pas pleinement sa
place dans le domaine des nouvelles technologies de la reproduction. Le législateur est
l‘acteur devant intervenir dans l‘encadrement des pratiques de procréation assistée. La
Cour suprême du Canada le souligne d‘ailleurs dans son jugement de décembre 2010 sur
la procréation assistée60. En dépit du fait que la grossesse et la naissance soient des
événements biologiques, la reproduction est davantage un processus social et politique61.
En plus des modifications profondes apportées au modèle familial depuis quelques
années, la procréation assistée implique des enjeux de société, où se trouvent souvent des
droits et des intérêts contradictoires qui ne peuvent pas être réglés qu‘au cas par cas. La
problématique en cause en est un exemple flagrant. Qu‘arrive-t-il entre les droits du
donneur au respect de sa vie privée et le droit de l‘enfant d‘accéder aux informations
nominatives et identifiantes concernant son géniteur lorsqu‘il en ressent le besoin?
D‘ailleurs, même si nous concluons au chapitre 2 qu‘une règle de droit n‘est pas
l‘outil approprié afin de s‘assurer du fait que les enfants soient informés des
circonstances de leur conception, cela ne veut pas dire que le législateur se retire
complètement du processus analytique. Notre conclusion ne reconnaît pas l‘existence
d‘un droit au secret, mais d‘un privilège de réserve visant à respecter la privatisation de la
famille et qui découle du contexte de la loi en matière de procréation assistée. Il relève
néanmoins d‘un choix du législateur que d‘adopter éventuellement cette position. Tel est
60
Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24: « Bien que l‘acceptabilité éthique des
techniques soit évidemment discutable […] on ne peut sérieusement mettre en doute la faculté du Parlement
de les interdire ou de les réglementer. ».
61
Mary Jane Mossman, Families and the Law in Canada: Cases and Commentary, Toronto, EmondMontgomery, 2004 à la p. 190; Suzan A. McDaniels, « Women‘s Role, Reproduction, and the New
Reproductive Technologies », dans Nancy Mandell et Anne Duffy, dir., Reconstructing the Canadian
Family : Feminist Perspectives, Toronto, Butterworth, 1988, 175 aux pp. 176-177.
24
le cas de la France qui consacre un véritable droit au secret dans sa loi62. Ce privilège
peut également être encadré par le législateur dans sa mise en œuvre puisqu‘en vertu de
l‘éthique de la sollicitude, il doit s‘accompagner d‘une information adéquate des
conséquences qui concerne les conséquences de son exercice.
Bref, les enjeux liés à la procréation assistée concernent nombre de facettes de la
sphère publique, du social, de l‘éthique, du juridique, du médical et de l‘économique pour
ne nommer que ceux-là, et requièrent un encadrement uniformisé afin d‘aborder les
questions et de résoudre les problèmes d‘une façon globale. L‘objectif étant de réguler
efficacement les conditions et les conséquences de la maîtrise scientifique de la
reproduction humaine63. De plus, si le droit ne prétend pas être le modèle exclusif de
régulation des comportements des personnes, il présente le mode de régulation sociale
accepté et acceptable dans le cadre d‘une société libre et démocratique64.
Dans un article sur l‘introduction de la morale en droit, Maureen A. McTeer
adopte une démarche semblable et s‘interroge sur la pertinence de l‘intervention
législative afin d‘encadrer les activités scientifiques et médicales. Analysant le débat entre
Devlin et Hart, elle conclut que pour en arriver à une réponse concrète, il importe de
déterminer quels intérêts de société sont suffisamment importants au point de nécessiter
62
Art. 311-20 al. 1 Code civil.
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Un virage à prendre en douceur :
Rapport final de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Vol. 1, Ottawa,
Ministère de Services gouvernementaux Canada, 1993 aux pp. 17-18 [Commission royale sur les nouvelles
techniques de reproduction, « Virage volume 1 »]; Catherine Labrusse-Riou, « La filiation et la médecine
moderne », (1986) 2 R.I.D.C. 419 à la p. 421 [Labrusse-Riou, « Médecine moderne »].
64
Georges A. Legault, « Droit et bioéthique : l‘inscription du sens », dans Marie-Hélène Parizeau, dir.,
Bioéthique : méthodes et fondements, Montréal, Association canadienne-française pour l‘avancement des
sciences, 1989, 97 à la page 98.
63
25
une intervention de l‘État. Elle spécifie par la suite que, parmi les intérêts publiques
pouvant répondre à cette exigence, se trouvent l‘intégrité de l‘individu, le respect de toute
vie humaine, l‘autonomie et le droit à la vie privée des individus « which includes the
right to know and to protect one‘s genetic heritage »65.
Lors de la publication du rapport final de la Commission Royale sur les nouvelles
techniques de reproduction en 1993, il y fut recommandé que « [c]‘est aux
gouvernements, les défenseurs de l‘intérêt public, qu‘il appartient de veiller à ce que la
mauvaise utilisation des techniques de reproduction ne porte pas préjudice ni aux
particuliers ni à la société dans son ensemble »66. Cette position favorisant le législateur
est d‘importance puisque la Commission royale est l‘organe qui fut créé en 1989 par le
gouvernement fédéral en réaction aux préoccupations grandissantes au sein de la société
canadienne relativement au développement des technologies liées à la procréation
assistée67. Le Barreau du Québec adopta une position similaire dans les années quatrevingt68.
Roxanne Mykitiuk et Albert Wallrap renchérissent et affirment de leur côté
qu‘une intervention législative peut assurer le respect des valeurs fondamentales de la
société canadienne, protéger le public contre des risques à sa santé et sa sécurité et fournir
65
Maureen A. McTeer, « A Role for Law in Matters of Morality », (1995) 40 McGill L.J. 893 à la p. 898.
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Un virage à prendre en douceur :
Rapport final de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Vol. 2, Ottawa,
Ministère de Services gouvernementaux Canada, 1993 à la p. 1156.
67
Pour une description du mandat de la Commission royale, voir : Commission royale sur les nouvelles
techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à la p. 2.
68
Barreau du Québec – Comité sur les nouvelles technologies de reproduction, « Rapport du comité sur les
nouvelles technologies de reproduction », (1988) 48 :2 Suppl. R. du B. 1 aux pp. 35-36 [Barreau du
Québec, « Rapport »].
66
26
des principes de droit clairs grâce auxquels des disputes potentielles pourraient être
résolues69. Nous avons fait état du conflit entourant l‘anonymat des donneurs, objet de
notre réflexion, mais cette problématique issue des technologies de la reproduction n‘est
certes pas la seule à générer des positions divergentes pouvant être source d‘atteintes aux
personnes impliquées dans le processus. Le diagnostic préimplantatoire en est une autre70.
Un danger demeure finalement qu‘une loi ayant pour objectif de réguler la
procréation assistée soit limitée aux enjeux actuels et tende à clore le débat public71. Cela
découle du format trop hermétique des textes législatifs qui n‘évoluent pas aussi vite que
les avancées de la science et des interrogations qu‘elles suscitent. Le mouvement actuel
visant l‘abolition de l‘anonymat peut en être un bon exemple. Cet argument motive
certainement la position de Michèle Rivet pour qui le droit joue sûrement un rôle
important dans le contexte des nouvelles technologies de reproduction, mais celui-ci ne
doit pas cristalliser dans des textes de loi des questions pour lesquelles le débat éthique
n‘est pas concluant ou des pratiques qui sont réglées adéquatement par d‘autres instances
69
Roxanne Mykitiuk et Albert Wallrap, « Regulating Reproductive Technologies in Canada », dans Jocelyn
Downie et al., dir., Canadian Health Law and Policy, 2e Édition, Markham/Vancouver, Butterworths,
2002, 367 à la p. 430.
70
Sur le sujet, voir notre analyse dans: Julie Cousineau, Enjeux éthiques et légaux des applications du
diagnostic préimplantatoire au Canada, Mémoire de maîtrise, Montréal: Faculté de droit, Université de
Montréal, 2006, En ligne : <http://hdl.handle.net/1866/2459> (Date d’accès: 5 décembre 2010) [Cousineau,
« Enjeux éthiques et légaux »]; Julie Cousineau, « En quête d’un cadre juridique pour le diagnostic
préimplantatoire au Canada…», dans Association mondiale de droit médical, Actes du 16e Congrès
mondial de droit médical (CD-Rom), 7 au 11 août 2006, Toulouse (France), Les Études Hospitalières, p.
409 (texte no 96) [Cousineau, « En quête d’un cadre juridique »]; Cousineau, « Autonomie reproductive »,
supra note 23; Julie Cousineau, « Le passé eugénique canadien et ses leçons au regard des nouvelles
technologies génétiques », (2008) 13 :2 Lex Electronica, En ligne : <http://www.lexelectronica.org/docs/articles_2.pdf> [Cousineau, « Passé eugénique canadien »]; Julie Cousineau et Arnaud
Decroix, « Diagnostic préimplantatoire et eugénisme : l‘argument de la pente glissante », Article soumis au
R.D.U.S., 2011 [Cousineau et Decroix, « Argument de la pente glissante »]; Michelle Stanton-Jean et Julie
Cousineau, « Le diagnostic préimplantatoire : une position internationale (UNESCO) et régionale
(Commission de l‘éthique de la science et de la technologie), à paraître dans un ouvrage collectif chez
Dalloz, 2011.
71
Knoppers, « Quatres modèles », supra note 58 à la p. 136.
27
que le droit positif étatique72. Pour les questions qui concernent la vie en générale, son
contrôle et sa manipulation, il a par exemple été proposé de confier le mandat de fixer des
balises aux comités d‘éthique. Ils représentent un lieu de réflexion et de discussion propre
à établir des normes appropriées aux enjeux soulevés73. Nous croyons néanmoins cette
approche inappropriée puisque non propice à l‘uniformisation des pratiques tel que cela
devrait être le cas dans un domaine aussi sensible qui interpelle la finalité de la vie
humaine. D‘autant plus dans la problématique sur l‘anonymat des donneurs de gamètes et
d‘embryons.
Au-delà de la sphère légitime d‘intervention du droit et de sa fonction protectrice,
une auteure met en doute sa vocation à régler le conflit de l‘anonymat. Sa levée est
généralement invoquée dans un but d‘ordre psychologique et le droit n‘a rien à dire sur la
manière d‘assurer l‘équilibre psychologique, voir le bonheur, des individus74. Il nous
semble par contre que le caractère fondamental de la problématique requiert un
encadrement standardisé par le législateur. L‘intérêt de notre démarche est justement de
s‘interroger sur la meilleure façon de s‘adapter, sur le plan juridique, aux particularités de
l‘anonymat.
72
Michèle Rivet, « Les nouvelles technologies de reproduction : les limites de la loi », dans Gérald-A.
Beaudoin, dir., Vues canadiennes et européennes des droits et libertés : Actes des JOURNÉES
STRASBOURGEOISES 1988, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, 443 à la page 468 [Rivet,
« Limites »]; Voir également : Jacqueline Rubellin-Devichi, « Les procréations assistées : état des
questions ». (1987) 86 :3 Rev. Trim. Civ. 457 aux pp. 457-459.
73
Édith Deleury, « Éthique, médecine et droit : des rapports qui reposent sur une confusion entre les rôles »,
dans Cahiers de recherche en éthique : 16- Vers de nouveaux rapports entre l’éthique et le droit, Québec,
Éditions Fides, 1991, 103 à la p. 109 [Deleury, « Rapports »]; D‘ailleurs, au regard de l‘internormativité,
cette avenue du comité d‘éthique est considérée comme un mode de régulation intermédiaire entre la loi et
la norme morale individuelle. Ibid.
74
Dominique Thouvenin, « Le droit a aussi ses limites », dans Jacques Testart, dir., Le magasin des enfants,
Paris, Éditions François Bourrin, 1990, 219 aux pp. 234-235 [Thouvenin, « Limites »].
28
À cette étape de notre réflexion, ayant établi la légitimité de l‘action publique,
nous nous demandons comment celle-ci peut opérer par le biais de sa législation. Avant
de présenter notre approche théorique au chapitre 1, il nous semble opportun de revisiter
certaines des options qui étaient à notre disposition.
SECTION 3 : UNE NORME DE DROIT EN INTERNORMATIVITÉ AVEC
L’ÉTHIQUE
Le Comité consultatif national d‘éthique français (CCNE) nous met avant tout en
garde contre les raisonnements partant de la pluralité d‘intérêts en présence. C‘est ce que
par réflexe nous sommes tentés de faire, mais nous reconnaissons en partie la justesse des
arguments exposés par le comité national d‘éthique français. D‘une part :
« [l]a perspective du respect des personnes comme fondement du lien
social peut conduire à hiérarchiser ces intérêts. […] [D‘autre part,]
comparer les intérêts en présence risque de placer d‘emblée la réflexion
éthique dans une perspective conflictuelle, là où la parenté et la filiation
humaine devrait être le lieu par excellence de l‘alliance entre les êtres »75.
Cette alliance fut d‘ailleurs un premier indice nous guidant vers l‘approche relationnelle
entre les acteurs du don d‘engendre. De l‘avis du CCNE, dans la question spécifique de
l‘accès aux origines, la parenté et la filiation doivent être évaluées au regard de l‘égale
dignité des personnes humaines76. Toutefois, cette affirmation ne permet pas vraiment de
clarifier la situation. En effet, la reconnaissance de l‘égale dignité des personnes a-t-elle
75
76
CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 21.
Ibid.
29
pour corollaire la reconnaissance de droits égaux? À titre de principe fondateur77, car il ne
s‘agirait pas en l‘espèce que de la dignité comme "droit fondamental", plusieurs droits
fondamentaux sont alors en concurrence. La reconnaissance d‘un droit aux origines peutil porter atteinte au droit à la vie privée? Ainsi, la reconnaissance de l‘égale dignité des
personnes ne présume pas de la solution à retenir dans l‘éventualité d‘un conflit de
normes. Hisser ces droits au rang de principes fondamentaux permet leur protection
accrue, mais ne résout nullement la question de la hiérarchie des normes. Si ces personnes
se voient reconnaître une égale dignité, qu‘en est-il de leurs droits dans l‘hypothèse où il
serait nécessaire de trancher entre des revendications antagonistes?
Le processus de production législative interpelle inévitablement un examen des
intérêts abstraits et des droits des personnes concernées afin de parvenir à un juste
équilibre dans la norme. Selon Cyril Chabert, si « le principe d‘une conciliation des
intérêts de chaque partie à un rapport familial [car c‘est bien ce dont il s‘agit en l‘espèce]
ne fait guère de doute, sa pratique constitue tout l‘art du législateur »78. Cet art, comment
doit-il ou peut-il être exercé dans le cadre de la problématique de l‘anonymat des
donneurs de gamètes et d‘embryons ? Chabert ajoute quant à lui que la finalité de la
77
À ce titre, « toute personne possède une dignité inhérente que le droit doit reconnaître, respecter et
préserver ». Christian Brunelle, «Volume 13 : Justice, société et personnes vulnérables – Titre 1 :
Personnes, justice et personnes vulnérables – Chapitre 2 : La dignité, ce concept juridique » dans Barreau
du Québec, Collection de droit 2009-2010, École du Barreau du Québec, 2009, 21 à la p. 25, <En ligne :
http://www.caij.qc.ca/doctrine/collection_de_droit/2009/13/i/1674/index.html>
(Date
d‘accès :
19
septembre 2010); La Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12) précise dans son
préambule que « tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection
de la loi ». Cela ne laisse toutefois pas présumer de la reconnaissance de droits égaux, mais affirme que tous
ont droit à une égale protection de la loi.
78
Cyril Chabert, L'intérêt de l'enfant et les conflits de lois, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d'AixMarseille, 2001 à la p. 73.
30
norme obligeant son auteur à peser ces intérêts79, l‘art du législateur dans la quête d‘un
équilibre se traduit par la recherche d‘un juste équilibre entre les intérêts abstraits de tous
les membres de la famille (en l‘espèce, l‘enfant et ses parents bénéficiaires d‘une aide
extérieure pour procréer) ou des participants au rapport de droit (ici l‘enfant, ses parents
et le ou les donneurs) et non par leur hiérarchisation80. En cela, il rejoint la position du
CCNE. Pour une, Samantha Besson, si la balance ne règlera jamais totalement le conflit,
cela ne veut par contre par dire qu‘elle ne peut être faite avec légitimité et efficience 81.
Néanmoins, encore là, si les propos de Chabert offrent un guide intéressant en incitant à
l‘équilibre plutôt qu‘à la hiérarchisation des intérêts et des droits entrant en ligne de
compte, nous faisons toujours face à un manque de substance ne nous donnant pas tous
les outils permettant de procéder à une analyse effective offrant le moyen de trancher
entre les revendications antagonistes des enfants issus d‘un don, des parents y ayant eu
recours et des donneurs de forces génétiques. Comment atteindre cet équilibre?
Il n‘y a pas de solution législative unique qui puisse nous permettre de satisfaire
tous les intérêts en jeu dans un contexte particulier. Le système légal le plus approprié est
néanmoins celui qui, de l‘avis de certains, tient compte des inquiétudes de toutes les
parties intéressées. Il existe alors deux façons de faire disent-ils. Tout d‘abord, lorsqu‘il y
a un conflit entre des intérêts et des droits en compétition, la meilleure loi sera celle qui
accorde la plus grande protection aux besoins les plus importants. Nous pourrions dans un
79
Ibid. à la p. 74; L‘auteur fait d‘ailleurs état de la doctrine supportant son propos et lui permettant de
conclure qu‘en « définitive chacun s‘accorde sur le fait que sujet indissociable de sa famille, l‘enfant voit
son intérêt abstrait intégré dans la norme par un jeu de pesée. Renforçons ce docte postulat d‘un examen
parlementaire. » Ibid. à la p. 75.
80
Ibid. aux pp. 77-78.
81
Besson, supra note 50 à la p. 147.
31
deuxième temps considérer quels sont les intérêts et les droits les plus fondamentaux et
leur accorder le plus de protection82.
La seconde option correspond grandement à l‘approche des droits fondamentaux
adoptée par Michelle Giroux. L‘auteure affirme qu‘il ne faut pas se questionner sur le
pour ou le contre de la levée de l‘anonymat, mais analyser la situation sous l‘angle des
droits de l‘enfant en se demandant s‘il existe un droit fondamental de connaître ses
origines. « Si oui on n‘a plus qu‘à s‘assurer que les normes juridiques s‘y conforment. À
défaut, les tribunaux pourront utiliser leur pouvoir d‘invalider une loi qui ne respecterait
pas ce droit »83. L‘auteure en illustre d‘une part l‘existence en droit international. Puis,
son exposé s‘attarde à démontrer qu‘il s‘agit d‘un droit fondamental indirectement
protégé par les chartes canadienne84 et québécoise85 par les dispositions en matière de
liberté, sécurité, vie privée et égalité86. Elle conclut en spécifiant que si la question se
retrouvait devant les tribunaux, ils posséderaient tous les outils pour assurer la
reconnaissance du droit fondamental aux origines87.
82
Shields, supra note 47 à la p. 42.
Michelle Giroux, « Le droit fondamental de connaître ses origines », dans Tarra Collins et al., dir., Droit
de l’enfant : Actes de la conférence internationales / Ottawa 2007, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, 353
aux pp. 357-358 [Giroux, « Droit fondamental »].
84
Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 constituant l‘annexe
B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
85
Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77.
86
Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 384.
87
Ibid. à la p. 389; Voir les pages suivantes pour le détail de sa réflexion. L‘auteure a récemment poussé
son analyse afin d‘identifier les fondements du droit aux origines et la responsabilité du Canada en vertu de
la Convention internationale sur les droits de l’enfant (Rés. A/RES/44/25, Doc. Off. AGNU, c. 3, 44e
session). Michelle Giroux et Mariana DeLorenzi, « Putting the child first: A necessary step in the
recognition of the right to identity in Canadian Law », dans Juliet Guichon, Michelle Giroux et Ian
Mitchell, dir., Who Am I? Best Interests and Rights of Children of Assisted Reproduction (titre provisoire),
texte accepté pour publication dans un ouvrage collectif en préparation qui sera soumis aux presses
Queen's/McGill; Voir également l‘analyse faite dans : Van Heugten et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-24
et suivantes.
83
32
Un premier pas en ce sens a été franchi en mai 2011 en Colombie-Britannique
dans l‘affaire Pratten. Madame la juge Adair de la Cour suprême de la ColombieBritannique en vient à la conclusion que les droits des enfants nés d‘un don anonyme sont
violés. Elle se base sur le droit à l‘égalité reconnu à l‘article 15 (1) de la Charte
canadienne des droits et libertés88 vu la différence de traitement avec les enfants adoptés
– qui peuvent connaître l’identité de leur parent génétique à certaines conditions – et
conclut que l’atteinte ne remplit pas les conditions de l’article 189. Dans les circonstances
de l’espèce, la juge refuse toutefois de conclure à une atteinte aux droits à liberté et à la
sécurité de madame Olivia Pratten en vertu de l’article 7, et donc de reconnaître qu’il
existe une protection constitutionnelle du droit aux origines biologiques : « In summary, I
decline to adopt Madam Justice Arbour’s analysis of s. 7 in Gosselin90, leading to the
conclusion that Ms. Pratten has positive rights to liberty and security of the person, and a
constitutionally protected right to know her biological origins. I conclude further that
there is insufficient state action to support Ms. Pratten’s claim under s. 7. »91
Bien que certaines personnes puissent se demander si la recherche des origines
constitue un véritable droit de la personne92, tenter de dénouer la problématique de
88
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) aux para.268 et 325.
90
Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, 2002 CSC 84, En ligne :
<http://csc.lexum.org/fr/2002/2002csc84/2002csc84.html> (Date d‘accès: 13 juin 2011).
91
Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para. 316.
92
Jacques Beaulne, « Réflexions sur quelques aspects de la procréation médicalement assistée en droit des
personnes et de la famille », (1995) 26 :2 R.G.D. 235 à la p. 261; Plus vindicativement, Marie Pratte a
même statué qu‘il « est heureux que le législateur [québécois] n‘ait pas cédé aux pressions des divers
groupes qui, au nom d‘un supposé droit à la vérité ou aux origines, plaidaient en faveur de la levée de
l‘anonymat. » Marie Pratte, « Le nouveau Code civil du Québec : quelques retouches en matière de
filiation », dans Ernest Caparros, dir., Mélanges Germain Brière, la collection Bleue, Montréal, Éditions
Wilson & Lafleur, 1993, 283 aux pp. 298-299 [Pratte, « Nouveau Code »].
89
33
l‘anonymat des dons d‘engendrement sous l‘angle des droits fondamentaux93 présente une
haute légitimité juridique en leur conférant une protection accrue. Ces droits
fondamentaux peuvent d‘ailleurs être consacrés selon une approche formelle en les
faisant figurer au rang supérieur dans la hiérarchie des normes grâce à une protection
constitutionnelle94. Outre la réticence de la Cour suprême de la Colombie-Britannique
dans son analyse de l‘article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés95 et
requérant de porter un regard nouveau sur la problématique, ce qui pose problème, c‘est
qu‘au droit de savoir de l‘enfant s‘opposent des droits tout aussi fondamentaux qui, de
surcroît, peuvent être similaires. Nous en revenons donc à la critique que nous faisons de
la proposition du CCNE d‘évaluer les intérêts en présence en fonction de l‘égale dignité
des personnes humaines. Pensons au droit à la vie privée ou au droit à l‘autonomie des
parents ou des donneurs qui sont tout aussi fondamentaux que le droit à la connaissance
des circonstances de la conception et le droit aux origines, pour autant que nous puissions
affirmer que ces derniers existent96. Qui plus est, l‘autonomie de l‘enfant est de premier
ordre dans la reconnaissance éventuelle de ces droits. En quoi se distingue-t-elle de celle
des parents ou des donneurs? Comment procéder alors ?
93
Sophie Monnier nous invite à ne pas confondre droits fondamentaux et droits de l‘homme. « Les droits de
l‘homme en raison de leur caractère inaliénable et sacré sont fondés sur le droit naturel, droit qui découle de
la condition humaine et qui préexiste à la société. Droits génériques, ils s‘adressent à l‘homme abstrait
universel, alors que les droits fondamentaux comprennent des droits catégoriels, et qu‘ils reconnaissent en
tant que dépositaires des droits à la fois des entités, ou au contraire, l‘individu appréhendé non plus de
manière abstraite et égalitaire mais de manière concrète et identitaire. Sophie Monnier, Les comités
d’éthique et le droit : Éléments d'analyse sur le système normatif de la bioéthique, Paris, L‘Harmattan,
2006 à la p. 298.
94
Ibid. à la p. 300; Une autre façon de reconnaître les droits fondamentaux est par l‘approche substantielle
en vertu de laquelle c‘est de la fondamentalité du droit, de sa valeur intrinsèque, et non de sa consécration
en droit positif ou dans la hiérarchie des normes que dérive la qualification. Ibid. à la p. 302.
95
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
96
Besson, supra note 50 à la p. 148.
34
Il importe avant tout de retenir que le droit s‘inscrit dans le social. Il en est un
construit97 ou, encore, une partie permanente de son processus98. Celui qui est appliqué au
don de gamètes et d‘embryons reflète fondamentalement les valeurs dominantes de la
société qui le produit et une diversité de réponses peuvent être offertes par les juristes99.
« [L]es solutions juridiques ponctuelles varient [de plus] […] selon l‘époque considérée.
La chose est parfaitement normale et même souhaitable. La règle juridique est
essentiellement un produit de la société; elle évolue donc avec elle et ne peut rester
figée »100. Une loi, nous dit Michèle Rivet, n‘est pas la réponse finale à une question
donnée. Elle est temporaire et souvent ponctuelle afin de répondre à un conflit à un
moment particulier de son développement. La loi en suivra l‘évolution à travers
l‘interprétation qui en est faite tout comme elle peut contribuer au développement de ce
même conflit101. En outre, la question de l‘accès aux origines touche à la vérité de la
procréation humaine dans sa double dimension biologique et sociale102. Dans ce contexte,
s‘il ne s‘agit pas d‘entrer dans des considérations liées à la tyrannie de la majorité qui
cherche à imposer ses valeurs morales au détriment de celles d‘autrui, la loi ne peut
demeurer statique face à l‘évolution du débat dans la société et doit s‘ouvrir à la
dimension éthique de la problématique.
97
Karim Benyekhlef, Une possible histoire de la norme : Les normativités émergentes de la
mondialisation, Montréal, Éditions Thémis, 2008 à la p. 27.
98
Rivet, « Limites », supra note 72 à la page 460.
99
Jean-Louis Baudouin, « Aspects juridiques », dans Marcel J. Melançon, dir., L’insémination artificielle
thérapeutique : Aspects cliniques, psychologiques, juridiques, éthiques et philosophiques, Québec, Les
Presses de l‘Université Laval, 1983, 113 à la p. 113.
100
Ibid.
101
Rivet, « Limites », supra note 72 à la page 459.
102
CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 21.
35
En référant aux travaux de Jean Carbonnier et de Pierre Noreau, Marie-France
Bureau souligne le doute qui existe sur la capacité d‘adaptation du droit, en tant que
phénomène social d‘objectivation de la réalité, afin qu‘il colle parfaitement aux réalités
sociales ou à une quelconque vérité103. C‘est donc à cette étape de notre réflexion que
nous assistons à un certain recul du rôle du législateur et à son entrée dans la sociologie
du droit de Guy Rocher qui a pour objet l‘approfondissement de la connaissance de la
société en prenant en considération la place qu'y occupe le droit, les fonctions qu'il
remplit, les rapports qu'il entretient avec les autres institutions de la société 104. Ces
dernières peuvent êtres d‘autres formes de normativité. Auquel cas, c‘est lorsque
l‘internormativité intervient que des rapports sont possibles entre elles.
Partant du postulat qu‘il existe une "normativité sociale", concept que nous
empruntons à Guy Rocher pour l‘aspect englobant de son propos face aux différentes
dimensions normatives de la régulation sociale, constatons qu‘autant l‘éthique que le droit
visent le contrôle des comportements sociétaux. Cela se réalise grâce à « [un] ensemble
de […] normes, règles, principes, valeurs qui servent de guides, de balises ou de
contraintes aux membres d‘une société, dans leurs conduites personnelles et
collectives »105. Nous pouvons par conséquent affirmer que l‘éthique et le droit sont tous
deux producteurs et récepteurs de normes.
103
Marie-France Bureau, Le droit de la filiation entre ciel et terre : étude du discours juridique québécois,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009 à la p. 80.
104
Guy Rocher, Études de sociologie du droit et de l’éthique, Montréal, Thémis, 1996 à la p. XII [Rocher,
« Études »]; Elle se distingue de la sociologie pour le droit qui « a surtout voulu être au service du droit et
des juristes en cherchant soit à mieux éclairer le contenu du droit par le contexte social auquel il se rapporte,
soit à analyser le fonctionnement des institutions juridiques pour en corriger les défauts. » Ibid.
105
Guy Rocher, « La bioéthique comme processus de régulation sociale : le point de vue de la sociologie »,
dans Parizeau, supra note 64, 49 à la p. 49 [Rocher, « Régulation sociale »].
36
Pour les mêmes raisons, nous adoptons corrélativement la définition selon laquelle
une « norme est un discours (plus ou moins explicite) ou un comportement, descriptif ou
prescriptif, dans la mesure où cette description ou prescription permet d‘évaluer ou de
mesurer (et à la limite sanctionner) la conformité de son sujet à son objet »106. Ses formes
sont multiples. Cela va du commandement au référent non obligatoire. En analysant les
rapports du droit et des nouvelles technologies, quatre grandes sphères de
création/application de normes peuvent être identifiées : les normes juridiques, les normes
technoscientifiques, les normes éthiques et les normes socioculturelles peuvent être
identifiées107. La définition retenue constitue par contre une parmi d‘autres et l‘ambiguïté
sémantique originelle du terme peut faire en sorte qu‘il est difficile de le comprendre108. Il
est notamment possible de noter que la norme « relève du sollen lorsqu‘elle désigne un
modèle à reproduire et du sein lorsqu‘elle désigne un état habituel, conforme à la
moyenne »109. Dans le contexte dans laquelle on la pose, la norme renvoie à un processus
de socialisation110. Nous constatons alors qu‘elle est l‘aboutissement d‘une réflexion où
les enjeux entrant en ligne de compte, au regard des acteurs concernés, mènent à
l‘établissement de lignes directrices ou de modèles nécessaires au savoir vivre en
commun, en société. Ceux-ci s‘appliquent tant aux conduites individuelles que collectives
puisque dans toutes ces dimensions l‘individu appartient à un ensemble requérant une
cohésion sociale. En retenant la définition reproduite en début de paragraphe, nous
tendons vers la dimension sollen du corpus normatif qui permet d‘y inclure la
106
René Côté et Guy Rocher, en collaboration avec Andrée Lajoie et al., « Introduction », dans René Côté
et Guy Rocher, dir., Entre droit et technique : enjeux normatifs et sociaux, Montréal, Éditions Thémis,
1994, 3 à la p. 8.
107
Ibid. à la p. 9.
108
Monnier, supra note 93 à la p. 21.
109
Ibid.
110
M.T. et D.L., « Norme », dans André-Jean Arnaud et al., dir., Dictionnaire encyclopédique de théorie et
de sociologie du droit, 2e éd., Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1993, 399 à la p. 400.
37
recommandation qui oriente les comportements111. Cette vision des choses sert bien la
démarche pluraliste que nous développons dans le cadre théorique.
Les nouvelles technologies de la reproduction suscitent ainsi des enjeux qui
interpellent ces deux domaines normatifs que sont l‘éthique et le droit. Ceux-ci
interagissent grâce à l‘internormativité et se traduisent en l‘espèce par une norme de droit
en évolution. Sûrement :
« [l]e contrôle de la procréation artificielle ne s‘impose pas seulement pour
des raisons économiques, sociales ou techniques, mais aussi pour rendre en
pratique effectifs les interdits de nature éthique que le droit devrait
formuler afin de limiter les risques psychosociaux pour l‘enfant comme
pour la société, d‘un développement et d‘une banalisation sans
encadrement normatif des procréations artificielles. »112
Cet extrait est évocateur de l‘enjeu relatif aux relations devant intervenir entre l‘éthique et
le droit en tant qu‘instruments de régulation social dans le présent contexte. De fait, si le
contrôle étatique de la procréation assistée par l‘entremise du législateur s‘impose afin de
rendre effectifs les interdits de nature éthique que le droit devrait formuler, dans quelle
mesure ce dernier doit-il le faire? Ou encore, est-il légitimé de le faire? Par le biais de
quel intermédiaire, comment et en vertu de quels fondements113? Comment interagissent
éthique et droit en pareilles circonstances?
111
Monnier, supra note 93 à la p. 22.
Jean-Louis Baudouin et Catherine Labrusse-Riou, Produire l’homme : de quel droit? Étude juridique et
éthique des procréations artificielles, Paris, Presses Universitaires de France, 1987 aux pp. 263-264.
113
« Que ce soit dans le but d‘élaborer des politiques en la matière ou d‘éliminer les ambiguïtés juridiques,
la société doit s‘interroger sur les choix à faire face aux conflits existants et à la remise en question de
certaines valeurs fondamentales et de certains principes de droit. » Commission de réforme du droit du
Canada, supra note 58 à la p. 1.
112
38
René Côté et Guy Rocher soulignent qu‘au regard des phénomènes d‘incertitude
croissante occasionnée par les développements technologiques, l‘importance des rapports
dits d‘internormativité entre l‘éthique et le droit s‘accroît114. D‘ailleurs :
« [s]i le rôle traditionnel du juriste est d‘élaborer la règle, d‘énoncer les
principes et de mettre en œuvre les moyens par lesquels la société contrôle
les comportements humains, il faut admettre que la tâche est de plus en
plus complexe. En effet, déconcerté par le pluralisme idéologique et le
développement sans précédent de la technoscience, le droit s‘avère
aujourd‘hui impuissant à répondre aux nombreuses interrogations qu‘on
lui soumet. Dans ce contexte, fonder les valeurs sur lesquelles doivent
reposer nos actions et nos choix sociaux n‘est plus l‘apanage exclusif du
droit, et l‘émergence de nouvelles normativités passe désormais aussi par
l‘éthique. »115
Ceci est particulièrement vrai en procréation assistée. La sensibilité des enjeux et des
choix sociaux qui en découlent ne peut être l’apanage exclusif de la loi selon une
approche formelle et pragmatique. Cela requiert une approche nécessairement
internormative, qui fasse sa place aux dimensions éthiques.
La problématique à l‘étude en est un exemple flagrant. En effet, la décision de
favoriser soit l‘anonymat des donneurs, soit la quête de l‘enfant quant à ses origines et
l‘identité de son géniteur a des conséquences importantes pour toutes les parties en
rapport. En découlent des affrontements de valeurs et des débats où l‘incertitude liée au
"bon choix législatif"116, dans l‘optique où nous pouvions considérer l‘une ou l‘autre des
positions comme étant la meilleure, requiert une réflexion allant au-delà du seul
114
Côté et Rocher, en collaboration avec Lajoie et al., supra note 106 à la p. 27.
Carmen Lavallée, « Éthique et droit en matière d‘adoption », dans Françoise-Romaine Ouellette, Renée
Joyal et Roch Hurtubise, dir., Familles en mouvance: quels enjeux éthiques?, Saint-Nicolas/Sainte-Foy, Les
Presses de l‘Université Laval, 2005, 209 à la p. 209.
116
Michèle Rivet souligne en ce sens que le comment d‘une intervention législative nous amène à
considérer le principe de "la bonne loi". Rivet, « Limites », supra note 72 à la page 459.
115
39
législateur et impliquant cette normativité qu‘est l‘éthique. Cela est tout aussi vrai quand
nous considérons le choix des parents d‘informer ou non leur enfant des circonstances de
sa naissance. S‘en dégage un pluralisme normatif offrant divers modes de régulation de la
vie en société117 et pouvant s‘influencer mutuellement au moyen de l‘internormativité. À
l‘instar d‘Yves Boisvert, citons Michel Crozier pour qui il ne faut pas moins d‘État, mais
mieux d‘État118, tout en tenant compte de l‘univers éthique lié à l‘anonymat des dons de
gamètes et d‘embryons. Un adage classique tiré du latin dit que le droit est l‘art du juste et
du bien, Jus est ars boni et aequi119. Alors que ce même droit évolue d‘une préoccupation
d‘identification des personnes vers un souci de protection du sentiment d‘identité de
l‘individu, celui-ci étant aiguisé par le possible déchiffrement de la vérité des origines120,
c‘est tout là le défi auquel doit faire face le législateur dans son art du bien et du juste.
Notamment dans la problématique de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons
où sont confrontés des intérêts forcément divergents.
Pour ce faire, nous proposons une étude des phénomènes d‘internormativité entre
l‘éthique et le droit dans le cadre desquels ce dernier, toujours rattaché à l‘appareil
étatique et à ses organes, se diffuse dans un univers normatif pluriel où se côtoient des
normes de natures diverses qui interagissent et s‘influencent. Le regard éthique que nous
117
Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 2004 à la p. 315
[Carbonnier, « Sociologie »].
118
Yves Boisvert, « L‘éthique comme suppléance politique : une approche postmoderniste », dans Guy
Giroux, dir., La pratique sociale de l’éthique, Bellarmin, 1997, 49 à la p. 73 [Giroux, « Pratique sociale »].
119
Définition du droit donnée par le Digeste. Le petit Larousse illustré 1991, Paris, Librairie Larousse, 1990
à la p. 1046
120
L. Brunet, « Le principe de l‘anonymat du donneur de gamètes à l‘épreuve de son contexte. Analyse des
conceptions juridiques de l‘identité », (2010) 20 :1 Andrologie 92 à la p. 99; L‘auteure spécifie également
que « les débats actuels autour du principe de l‘anonymat du donneur ne doivent pas être abordés sur le seul
terrain de la bioéthique mais dans le prolongement de la réflexion ancienne et évolutive que le droit mène
sur les modes de construction juridique de l‘identité personnelle et familiale. » Ibid.
40
adoptons est plus précisément celui de la sollicitude qui est l'approche qui fut retenue par
la Commission royale sur les nouvelles technologies de la reproduction121. Se basant sur
l‘empathie et la responsabilité, l‘éthique de la sollicitude a d‘intéressant qu‘elle définit la
personne non pas uniquement en rapport à ses droits, mais dans sa relation avec autrui122.
C‘est un élément vital de la problématique de l‘anonymat des donneurs où les acteurs
demeurent inter reliés sous différents angles, que celui-ci soit affectif, biologique,
sociologique ou juridique. L‘évolution historique du positionnement du corps médical
face à la procréation assistée et ses exégètes montre notamment un élargissement des
horizons dans l‘analyse qui en est faite. Dans les premiers balbutiements de la médecine
reproductive, la priorité des cliniciens était le bien-être des couples infertiles. Depuis les
années 1980, on se questionne davantage sur les effets à long terme de ces technologies
sur le bien-être des enfants nés de ces traitements123. Cela inclut la question de
l‘anonymat des donneurs. Or, cette ouverture doit se refléter sur le droit. Nous retrouvons
finalement dans l‘éthique de la sollicitude cet élément prôné par Chabert qu‘est la quête
de la conciliation plutôt que la simple hiérarchisation des intérêts opposés et ce, en
trouvant des moyens novateurs de les éliminés ou de les atténuer 124. La priorisation des
intérêts de l‘enfant, des parents ou des donneurs devient alors un effet du processus
réflectif qui impose un passage obligé par une réconciliation des intérêts que nous
121
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à
la p. 58.
122
Bartha Maria Knoppers dans Comité international de bioéthique (UNESCO), Actes : quatrième session,
vol.
II,
Paris,
France,
3-4
octobre
1996,
83
à
la
p.
86,
En
ligne :
<http://portal.unesco.org/shs/fr/files/2312/105965925914VolumeII.pdf/4VolumeII.pdf> (Date d‘accès : 25
juillet 2009).
123
Anne Brewaeys, « How to care for the children? The need for large scale follow-up study », (1998) 13:9
Human Reproduction 2347 à la p. 2348; Voir également: Geneviève Delaisi de Parseval, « Secret des
origines / inceste / procréation médicalement assistée avec des gamètes anonymes : "ne pas l‘épouser" »,
(2009) 33 :1 Anthropologie et Sociétés 157 à la p. 160 [Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser »].
124
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à
la p. 60.
41
voulons équilibrée. L‘impact de l‘éthique de la sollicitude dans la production législative
canadienne et québécoise ayant été peu abordé dans la littérature, bien que cette éthique
fut critiquée au regard des nouvelles technologies de la reproduction 125, nous en testerons
l‘efficience dans le contexte particulier de l‘anonymat des donneurs de gamètes et
d‘embryons.
Nous présentons dans ce chapitre préliminaire les trois principaux éléments au
cœur de la thèse. Tout d‘abord, la contemporanéité de la problématique de l‘anonymat
des donneurs de gamètes et d‘embryons. Puis, nous questionnant sur la balance des
intérêts en présence eu égard à la pertinence de l‘anonymat, nous établissons qu‘il s‘agit
d‘une responsabilité du législateur selon une approche pluraliste qui a recours à
l‘internormativité en vue d‘instaurer un dialogue entre la règle de droit positif et l‘éthique
de la sollicitude. Cette dernière apporte un nouvel angle de réflexion, en s‘intéressant à
aux relations interpersonnelles et à l‘interdépendance entre les individus, dont le potentiel
est intéressant dans le contexte de l‘anonymat. Le chapitre 1 expose la position théorique
que nous adoptons.
125
Le recours à l‘éthique de la sollicitude comme cadre d‘analyse a par exemple été critiqué par Carol
Bacchi et Chris Beasley, « Reproductive Technology and the Political Limits of Care », dans Margrit
Shildrick et Roxanne Mykitiuk, dir., Ethics of the Body: Postconventional Challenges, Cambridge, The
MIT Press, 2005, 175 aux pp. 175-177.
42
CHAPITRE 1
L’INTERNORMATIVITÉ…UN OUTIL D’IMPORTANCE DANS
LA PROBLÉMATIQUE SUR L’ANONYMAT DES DONNEURS
DE GAMÈTES ET D’EMBRYONS
Nous établissons au chapitre préliminaire que dans le contexte des nouvelles
technologies de reproduction, et plus spécifiquement de la problématique de l‘anonymat
des donneurs, il est de la responsabilité du législateur d‘intervenir. S‘en trouve introduite
la quête du "bon choix législatif". C‘est une perception fort importante car en France, où
le secret et l‘anonymat sont la règle d‘or, cela était présenté jusqu‘à ce jour comme un
choix de politique législative n‘étant pas la meilleure solution, mais la moins mauvaise126.
« Faute de mieux » comme le souligne Laurence Brunet127. C‘est une nuance subtile
porteuse de conséquences car on adhère ou non à cette solution selon sa propre éthique
nous dit Frédérique Granet128. Aussi, la quête du "bon choix législatif" requiert une
réflexion allant au-delà du seul législateur et impliquant cette normativité qu‘est
l‘éthique129.
126
Certains parlent même d‘une « loi du moindre mal ». Geneviève Delaisi et Pierre Verdier, Enfant de
personne, Paris, Éditions Odile Jacob, 1994 à la p. 249.
127
Brunet, supra note 120 à la p. 93.
128
Frédérique Granet, « Secret des origines et promesse de filiation (Procréation médicalement assistée,
filiation et connaissance des origines) », dans Jean-Louis Baudouin, J. L. assisté par Sonia Lebris, dir.,
Actes des JOURNÉES STRASBOURGEOISES de l’Institut canadien d’études juridiques supérieures 1996 :
DROITS DE LA PERSONNE : «Les bio-droits». Aspects nord-américains et européens, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 1997, 31 à la p. 42.
129
Christian Atias le suggère ainsi : « Et si le droit, sans prétendre maîtriser les sciences et les techniques au
nom d‘une vérité morale, d‘un savoir qui dispense de penser, réapprenait à les interroger au nom de
l‘éthique, à les inquiéter au nom d‘une expérience éthique. Il le pourrait, s‘il cessait d‘être conçu comme
pourvoyeur de réponses toutes prêtes, pour redevenir ce maître à poser les questions, que par nature il est. »
Christian Atias, « Rapport entre éthique et droit », dans Bioéthique : de l’éthique au droit, du droit à
l’éthique, supra note 52, 217 à la p. 230.
43
D‘ailleurs, le droit est de plus en plus mis à contribution pour solutionner des
conflits liés à des questions de morale publique et d‘éthique130. Dans ce contexte, les
tribunaux estiment qu‘il appartient au législateur de trancher dans les débats
philosophiques131 et émettent des décisions judiciaires adoptant une approche
minimaliste. En vertu de cette dernière, « les juges évitent de se prononcer sur les aspects
plus fondamentaux, philosophiques ou éthiques, que soulèvent les litiges soumis à leur
pouvoir décisionnel »132. Selon une stratégie de réduction de la complexité des
problématiques portées à leur attention, ils tranchent en laissant irrésolues les questions
sous-jacentes les plus fondamentales133. À cet égard, Daniel Weinstock nous met en garde
contre la moralisation du système judiciaire; phénomène par lequel il existe de plus en
plus une tendance à confondre le type de jugement que rendent les tribunaux, surtout ceux
de la Cour Suprême, avec des jugements moraux134.
Si le législateur a la responsabilité de décider des questions éthiquement
litigieuses, en particulier dans le cas des technologies de la reproduction, il ne peut le
faire en évacuant totalement l‘éthique. Dans ce contexte, l‘internormativité est
130
André Lacroix et al., « Les transformations sociales et la théorie normative du droit », (2002-2003) 33
R.D.U.S. 3 à la p. 4.
131
Telle fut l‘opinion de la Cour suprême du Canada dans l‘affaire Tremblay c. Daigle où la haute instance
de justice a spécifié que « [l]a Cour n'est pas tenue d'intervenir dans les débats philosophiques et
théologiques quant à savoir si le f{oe}tus est une personne; sa tâche est plutôt de répondre à une question
juridique, à savoir si le législateur québécois a attribué au f{oe}tus le statut de personne. […] Les décisions
fondées sur des choix sociaux, politiques, moraux et économiques au sens large, doivent plutôt être confiés
au législateur. » Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, 1989 CanLII 33 (C.S.C.),
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1989/1989canlii33/1989canlii33.html>, (Date d’accès : 1er octobre
2010).
132
Stéphane Bernatchez, « La fonction paradoxale de la morale et de l‘éthique dans le discours judiciaire »,
(2006) 85 R. du B. can. 221 à la p. 230.
133
Ibid. à la p. 223
134
Daniel Weinstock, « Le droit n‘est pas l‘éthique, et l‘éthique n‘est pas le droit : contre la confusion des
genres », dans Pierre Noreau, Le droit à tout faire : exploration des fonctions contemporaines du droit,
2008, Montréal, Les Éditions Thémis, 185 à la p. 187.
44
l‘instrument permettant l‘instauration d‘un véritable échange entre les deux types de
normativité. Cela représente d‘une part tout un défi. Jean-Louis Baudouin nous rappelle
en effet que « [l]a loi n‘est qu‘un mécanisme régulateur des conflits sociaux et peut-être
même le plus imparfait. En outre, la loi n‘a jamais réglé les problèmes sociaux dont les
enjeux sont éthiques. L‘intervention du législateur ne peut donc en la matière faire
disparaître les controverses et trancher les conflits comme par un coup de baguette
magique »135. Par là même, l‘auteur pose un bémol important visant à éviter l‘idéalisation
du rôle et des pouvoirs du législateur. De fait, si une réponse législative est apportée,
celle-ci étant même nécessaire dans le cas de l‘anonymat des dons de gamètes et
d‘embryons, cela ne signifie pas pour autant que l‘enjeu éthique soit définitivement réglé.
Ainsi, en dépit du cadre juridique actuel, rien n‘empêche que le débat sur l‘anonymat
continue de semer la controverse et que le législateur soit amené à changer la loi. Outre
notre objet d‘étude, les exemples sont nombreux. Dans un tout autre domaine, l‘aide au
suicide, bien qu‘illégale136, soulève des questions et des doutes tels qu‘une Commission
parlementaire spéciale sur la question de mourir dans la dignité a été mise sur pied par
l‘Assemblée Nationale du Québec en décembre 2009137.
135
Jean-Louis Baudouin, « Rapport de synthèse », dans Bioéthique : de l’éthique au droit, du droit à
l’éthique, supra note 52, 205 aux pp. 214-215.
136
Code criminel, L.R. 1985, ch. C-46, art. 241 b).
137
Voir : Québec – Assemblée Nationale, Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité –
Compétences
actuelles,
Québec,
En
ligne :
<http://www.assnat.qc.ca/fr/travauxparlementaires/commissions/csmd-39-1/index.html> (Date d‘accès : 4 septembre 2010) et Québec –
Assemblée Nationale, Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité – Consultation
générale et auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité, En ligne :
<http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CSMD/consultations/consultation-9720100525.html> (Date d‘accès : 4 septembre 2010); Le Barreau du Québec y a soumis son mémoire le 30
septembre 2010 : Barreau du Québec, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes : Le Barreau
du Québec réclame un meilleur accès aux soins palliatifs et prend position pour le droit de mourir avec une
assistance médicale, Montréal, 30 septembre 2010, En ligne : <http://www.barreau.qc.ca/actualitesmedias/communiques/2010/20100930-soins-fin-vie.html> (Date d‘accès : 1er octobre 2010); Voir le rapport
de la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie : Commission de l‘éthique de la science et
45
Dans le contexte contemporain de transformation du droit vers une analyse
postmoderne de la norme138, certains iront jusqu‘à dire que le droit, ne semblant plus
pouvoir être en mesure de gérer à lui seul tout le débat public relatif à la nouvelle
demande d‘éthique, est en crise139. Pour un, André Lacroix, cette sollicitation correspond
à la réflexion sur la norme et les valeurs sous-jacentes ainsi qu‘à la formulation d‘un
choix rationalisé lorsque la réalisation d‘une action soulève des apories quant à l‘agir140.
Un autre précise que la "crise du droit" et la demande sociale d‘éthique tirent en premier
lieu leur source du déclin de l‘État Providence face à un discours de "responsabilisation"
de la société civile. En vertu de ce dernier, les individus, les groupes et les organisations
qui profitaient du support de l‘État depuis une époque florissante de l‘économie doivent
apprendre de plus en plus à s‘en passer. En second lieu, la "crise du droit" peut être
interprétée comme une incapacité des mécanismes juridiques à réguler tous les domaines
de la société, faisant apparaître un problème de régulation. Le rôle de l‘éthique serait alors
d‘équilibrer ou de compléter la régulation que le droit ne parviendrait pas à établir par lui
seul141. Certains iront ainsi jusqu‘à parler de changement de paradigme142.
Effectivement :
de la technologie, Document de réflexion : mourir dans la dignité – Des précisions sur les termes et
quelques enjeux éthiques, Québec, 2010.
138
À ce propos, voir l‘excellent ouvrage de Benyekhlef, supra note 97.
139
André Lacroix, « L‘éthique et les limites du droit », (2002-2003) 33 R.D.U.S. 195 à la p. 204; JeanClaude Rocher, Fondements éthiques du droit 1. Phénoménologie, Paris, FAC éditions, 1993 à la page 69;
Voir également : Pauline Maisani et Florence Wiener, « Réflexions autour de la vision post-moderne du
droit », (1994) 27 Droit & Société 443 à la p. 445 : De l‘avis des auteurs, la crise est triple. « L‘État connaît
des difficultés dans l‘exercice de sa fonction de régulation et partant dans la production des règles
juridiques; la règle de droit elle-même est confrontée à une crise de rationalité suscitée par son incapacité
croissante à rendre compte du réel et à le façonner; enfin l‘outil juridique voit de ce fait sa légitimité
contestée comme source de régulation sociale. ».
140
Lacroix, supra note 139 aux pp. 200-201.
141
Guy Giroux, « La demande sociale d‘éthique », dans Giroux, « Pratique sociale », supra note 118, 27 à
la p. 39 [Giroux, « Demande sociale »].
142
François Ost et Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du
droit, Bruxelles, Publications de Facultés universitaires Saint-Louis, 2000 aux pp. 13 et suivantes.
46
« [c]omme toute production sociale, le droit se transforme au gré des
changements technologiques, économiques, culturels et sociaux. Or, à
l‘aube du XXIe siècle, cette transformation s‘avère toute particulière en ce
qu‘elle semble révéler les limites du droit comme mode privilégié et
monolithique de régulation de nos sociétés. De fait, alors que le droit
semblait pouvoir faire l‘économie des autres formes de normativité
sociales et reléguer aux oubliettes les théories normatives morales du droit
par l‘adhésion à la théorie positiviste, l‘éthique et la morale reviennent
poser nombre d‘interrogations au droit et à sa transformation. »143
En raison de sa popularité grandissante, plus rien n‘échapperait à l‘éthique. Au point de la
transformer en pratique sociale. Ainsi, plutôt que d‘être réservée à la conscience de
chaque individu, l‘éthique imprègne, aux dires de Guy Giroux, le climat contemporain,
« comme si elle allait maintenant représenter un passage obligatoire à emprunter pour la
conduite de notre vie collective »144. La demande d‘éthique n‘est certes pas étrangère aux
progrès considérables de la technologie et de la science, notamment en matière de
procréation assistée, et peut apparaître comme une nécessité collective face aux craintes
et incertitudes qu‘ils engendrent145.
Cet état de fait force tout d‘abord à constater un éloignement de l‘approche
traditionnelle de la théorie du droit qui a beaucoup contribué à distinguer le droit
étatique146 de toutes les autres formes de normativité147. Cela nous mène par la suite à une
143
Lacroix et al., supra note 130 à la p. 3; Édith Deleury souligne quant à elle que le syndrome ou
l‘indicateur de cette crise que traverserait le droit serait son incapacité à répondre aux multiples
interrogations soulève la médecine scientifique. Deleury, « Rapports », supra note 73 aux pp. 103-104.
144
Guy Giroux, « L‘éthique : une perspective de changement ou de statu quo social ? », dans Giroux,
« Pratique sociale », supra note 113, 15 à la p. 15 [Giroux, « Changement ou statut quo »].
145
Notre réflexion sur la pente glissante dans le contexte du diagnostic préimplantatoire en est un exemple.
Voir : Cousineau et Decroix, « Argument de la pente glissante », supra note 70.
146
C‘est-à-dire la théorie positiviste du droit dont Kelsen est le principal représentant. Voir : Hans Kelsen,
Théorie pure du droit, Paris, LGDJ, 1999.
147
Pierre Noreau, « La norme, le commandement et la loi: le droit comme objet d‘analyse
interdisciplinaire », (2000) 19 :2-3 Politique et Société 153 à la p. 160; « Cette ambition visait d‘abord à
différencier le droit et la morale. Or cette distinction est au cœur des désaccords qui subsistent entre le droit
et la sociologie. » Ibid.
47
réflexion sur la place de l‘éthique dans le développement de la loi. Le droit que nous
avons identifié comme instrument de régulation de comportement sociétaux, au même
titre que l‘éthique, s‘inscrit dès lors dans un social où l‘on cherche l‘effondrement des
barrières entre les divers systèmes normatifs, afin de voir émerger une internormativité.
Cette dernière constitue en somme l‘outil permettant l‘établissement d‘échanges entre ces
systèmes.
Or, la quête d‘internormativité suppose avant tout l‘adoption de la thèse pluraliste
selon laquelle plusieurs systèmes juridiques et normatifs coexistent au même moment148
dans un même espace, ceux-ci entrant par la suite en interaction. Compte tenu de toutes
les subtilités liées à la compréhension du pluralisme, nous consacrons donc la première
section
du
présent
chapitre
à
l‘exposé
de
ses
principales
caractéristiques.
Subséquemment, nous nous attardons à l‘éthique de la sollicitude et, finalement, aux
manifestations définissant les phénomènes d‘internormativité.
Avant de poursuivre notre réflexion, nous devons faire une mise en garde au
lecteur. Tels que le soulignaient si judicieusement certains auteurs, la question de la
relation entre le droit et l‘éthique n‘est pas définitivement résolue et ne le sera sans doute
jamais. Les théories portant sur ces relations sont vouées à être remises en question au fur
et à mesure que de nouvelles questions surgissent et que la société évolue149. Aussi,
l‘approche que nous proposons est développée en fonction de notre propre vision de
148
Ainsi le pluralisme juridique est-il pour Ost et van de Kerchove « le simple fait que plusieurs systèmes
juridiques coexistent au même moment. » Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 186.
149
David J. Roy et al., La bioéthique : ses fondements et ses controverses, Saint-Laurent, Éditions du
Renouveau Pédagogique, 1995 à la p. 91.
48
l‘internormativité et pour le cadre particulier des nouvelles technologies de la
reproduction, plus spécifiquement celui concernant l‘anonymat des dons d‘engendrement.
SECTION 1 : DU PLURALISME
Il est difficile de s‘y retrouver dans ce paradigme qu‘est le pluralisme. Il s‘agit
d‘un concept polysémique, voir polymorphe, où les auteurs et les courants définitionnels
sont aussi multiples que variables. À effet miroir, nous croyons d‘ailleurs qu‘il n‘y a pas
qu‘une seule vision juste, mais un ensemble d‘approches étant le reflet de la personne
travaillant sur le sujet. Autant juristes, sociologues, politicologues qu‘anthropologues y
ajoutent leur grain de sel et, parfois même, avec un regard pluri, inter ou
transdisciplinaire. Nous pouvons aller jusqu‘à parler des pluralismes dans leur dimension
la plus étendue allant du juridique au normatif. Jean-Guy Belley souligne d‘ailleurs que
les juristes, les historiens, les sociologues, les anthropologues ou les géographes du droit
ne sont pas pluralistes de naissance; ils ou elles le deviennent par choix conscient150.
Notre propre parcours académique étant juridiquement classique en droit civil et
peut-être même par insécurité juridique, il nous est ardu de se détacher de la vision
conservatrice et purement positiviste de ce qu‘est le droit. C‘est-à-dire comme étant
composé « 1º de l‘ensemble des règles, normes et principes; 2º que l‘on trouve dans les
textes qui émanent; 3º soit d‘organismes publics ou étatiques habilités à dire le droit; 4º
soit de personnes, de groupes de personnes, d‘organismes privés qui agissent ou passent
150
Jean-Guy Belley, « Le droit comme terra incognita : Conquérir et construire le pluralisme juridique »,
(1997) 1 Can. J.L. & Soc. 1 à la p. 8 [Belley, « Terra incognita »].
49
des ententes en vertu de pouvoirs reconnus par l‘état ou le droit de l‘État »151. Nous
apprécions cette définition pour son caractère large englobant l‘ensemble des sources du
droit liées aux autorités publiques. Celui-ci recouvre tant les lois émanant du législateur
reconnu (codes ou lois), les règlements passés par le pouvoir exécutif ou des organismes
habilités à cet effet, les jugements des tribunaux que les actes (e.g. testaments) ou
ententes (e.g. contrats) par lesquels des personnes ou des groupes, des organismes
(publics ou privés) créent des droits subjectifs et des obligations pour eux-mêmes ou pour
d‘autres152.
Alors que nous prétendons que c‘est au législateur qu‘incombe la responsabilité
principale de réguler le domaine de la procréation assistée, nous croyons néanmoins que
le droit participe aux phénomènes d‘internormativité avec l‘éthique. Nous avons en
largement expliqué l‘importance au regard des nouvelles technologies de la reproduction.
Puisque « [l]‘internormativité postule le pluralisme »153 et que nous étendons au
maximum les frontières de la norme, dans son sens le plus large tel que nous l‘avons
défini au chapitre préliminaire, en y reconnaissant un discours ou un comportement
descriptif ou prescriptif qui existe au sein de la normativité sociale, nous en venons à
l‘équation selon laquelle la "normativité = normes juridiques + normes non juridiques".
Ainsi, « le droit est chargé de la conception et de la mise en œuvre d‘une action normative
mais il n‘en a pas le monopole. La "stratégie légale" se confronte avec d‘autres "stratégies
151
Rocher, « Études », supra note 104 aux pp. 123-124.
Ibid.
153
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 796.
152
50
sociales" qui visent, au même titre que le droit, à imposer des règles de comportement,
des modèles de conduite et à influencer sur eux »154.
Par défaut professionnel peut-être, puisque appartenant à la famille des avocats
civilistes ayant globalement un regard de praticien, nous demeurons donc attachés au fait
que le droit soit issu de l‘État et de ses organes. Nous ne pouvons par contre pas
l‘enfermer dans une tour d‘ivoire ou un carcan hermétique à l‘abri de toute influence
extérieure où seule la divine entité étatique dispose de légitimité réflective nécessaire à
son élaboration, ni le considérer comme l‘élément unique du corpus juridique. Nous nous
retrouvons alors en face d‘une sorte de paradoxe. Nous opérons tout à la fois une
inclusion et une exclusion entre l‘univers juridique et l‘État. Ce dernier est à la source du
droit, mais il n‘a pas l‘exclusivité du phénomène juridique dans sa totalité. Certains
auteurs font également cette distinction155. André-Jean Arnaud présente par exemple le
droit comme étant un des systèmes juridiques; celui qui est posé et imposé par un auteur
investi du pouvoir de dire le droit en un temps et un lieu précis pour un groupe déterminé.
Lorsque l‘on y fait référence, on parlera du système de droit156. La particularité du droit
ne provient pas d‘un caractère formel de par sa forme écrite, mais de l‘autorité qui le
développe et d‘une légitimation découlant de son interaction avec les autres formes de
normativité dans la recherche d‘un consensus, la participation des personnes intéressées à
son élaboration et une efficacité de son contenu157.
154
Jacques Commaille et Jean-François Perrin, « Le modèle de Janus de la sociologie du droit », (1985) 1
Droit & Société 117 à la p. 127.
155
M.A. et N.O.A, « Juridicité », dans Arnaud et al., supra note 110, 323 à la p. 324.
156
André-Jean Arnaud, Critique de la raison juridique 1. Où va la sociologie du droit, Introduction, En
ligne :
<http://www.reds.msh-paris.fr/publications/collvir/crj-html/1-introduction.htm#_Toc100025294>
(Date d‘accès : 6 avril 2010) [Arnaud, « Critique »].
157
Monnier, supra note 93 à la p. 26.
51
Les normes juridiques incluent en conséquence le droit et un ensemble plus large
de normes qui sont distinguées du social non juridique par des critères se basant par
exemple sur la contraignabilité que leur reconnaissent les membres du groupe visé. Ainsi,
les normes sociales peuvent avoir une contraignabilité et cela constitue l‘un des critères
déterminant de leur appartenance à un ordre juridique ou à un ordre normatif158. Cette
contraignabilité ne doit pas être confondue avec la sanction ou la punition. La définition
de la norme est quant à elle l‘ultime frontière du non juridique qui compose en partie le
pluralisme normatif. Celui-ci est effectivement inclusif des autres formes de normativité.
Nous pouvons imager cela sous la forme d‘une cible dont la ligne extérieure est celle du
pluralisme normatif. Le premier cercle intérieur distingue les normes juridiques du social
non juridique. Le point central étant finalement le droit tel que défini dans le
positivisme159. Néanmoins, toutes frontières, quelles qu‘elles soient dans cet ensemble,
ont une porosité où l‘internormativité intervient selon des mouvements continus d‘inter
influence. Les normes peuvent tout autant s‘influencer au sein d‘un même ordre
qu‘opérer des passages d‘un ordre à l‘autre.
158
Nous exposons les critères qui distinguent un ordre juridique d‘un ordre normatif au sous-point 3 de la
présente section.
159
Nous référons ici à la définition que nous avons adoptée en début de section.
52
PHÉNOMÈNES D’INTERNORMATIVITÉ
Ordre normatif
Ordre juridique
Droit
positif
Dans la présente section, nous nous attardons à démontrer que notre position à
l‘égard de la réglementation des nouvelles technologies de la reproduction implique
forcément un éloignement du monisme du droit positif. Puis, cela nous mène à explorer
les différentes dimensions du pluralisme que nous qualifions tantôt de normatif, tantôt de
juridique. En dernier lieu, nous présentons les critères qui nous permettent de les
distinguer.
53
1- ELOIGNEMENT DE L’ASPECT MONISTE DU DROIT POSITIF
Notre réflexion concerne l‘impact de l‘éthique de la sollicitude ou la place que
celle-ci occupe dans la production législative des normes applicables à la problématique
de l‘anonymat des donneurs. Or, de manière générale nous percevons la production
législative comme un processus dynamique allant de l‘adoption des lois par le législateur
à leur évolution continuelle dans le temps. Il s‘agit d‘une démarche importante au regard
de la légitimité du droit étatique. Celle-ci est perçue comme se fondant, entre autres, sur
sa prééminence sur les autres sources de normativité160 qui, elles-mêmes, contribuent à
l‘élaboration de la règle de droit en mutation grâce aux phénomènes d‘internormativité.
Le graphique ci-dessus schématise ce processus.
Normes éthiques
Adoption
de la règle
de droit
Règle de droit en évolution
dans le cadre de phénomènes
d’internormativité
Règle de
droit
mutée
VIE DE LA
RÈGLE DE
DROIT –
ÉVOLUTION
DYNAMIQUE
DANS LE
TEMPS
Normes éthiques
160
Pierre Noreau, « La scolarité, la socialisation et la conception du droit : un point de vue sociologique »,
(1997) 38 :4 C. de D. 741 à la p. 741.
54
Jusqu‘à un certain degré nous adhérons à cette vision de la légitimité du droit en
fonction de sa prééminence puisque nous continuons de l‘identifier à l‘État, lui conférant
par le fait même un statut supérieur. La teneur de notre conviction se trouve par contre
affaiblie et en quête de conciliation puisque nous adoptons également la position selon
laquelle le droit participe « à une réalité plus large, à un ordre normatif étendu. […] [Il]
n‘exerce pas de véritable monopole sur la définition des normes qui régissent chaque
société à un moment précis de son développement. Il doit composer avec les normes
venant d‘autres sources normatives »161. Jean-Guy Belley l‘illustre bien en ayant recours
à l‘allégorie du droit soluble en vertu de laquelle la normativité juridique devient une
molécule chimique se diluant dans la solution de la régulation sociale globale162. Cela
participe au dynamisme évolutif de la loi qui, dès lors, doit tenir compte et interagir avec
l‘environnement dans lequel elle s‘insère et s‘applique.
S‘ensuit un éloignement obligé du monisme qui est la conviction qu‘il n‘y a qu‘un
seul ordre juridique correspondant à un espace géographique163. Notre regard se tourne
donc vers une approche sociologique devant faire éclater cette idéologie pour qui le fait
du pluralisme est évacué et occulté164. Il faut briser la thèse selon laquelle le droit est un,
c‘est-à-dire un tout homogène, un bloc sans fissures, parce qu‘il se confond avec l‘État et
161
Ibid. à la p. 743.
Jean-Guy Belley, « Une métaphore chimique pour le droit », dans Jean-Guy Belley, dir., Le droit
soluble : Contributions québécoises à l’étude de l’internormativité, Paris, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence, 1996, 7 aux pp. 7 et suivantes [Belley, « Métaphore » / Belley « Droit soluble »]; Cette
interprétation de Belley est tirée de Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 15.
163
Roderick A. Macdonald, « L‘hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques
avancées », (2002-2003) 33 R.D.U.S. 133 à la p. 135 [Macdonald, « Hypothèse »].
164
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 127.
162
55
que dans un milieu social donné un seul État peut logiquement trouver sa place165. La
logique positiviste classique exclut du corpus juridique, donc du droit, toute règle
n‘émanant pas de l‘État ou d‘un de ses organes. Dans ce contexte, la loi est omnipotente
et « [l]es ordres normatifs concurrents potentiels de l‘État sont absorbés par ce dernier
qui, seul, peut décréter ce qui constitue du droit. En les absorbant, l‘État les transforme et
ceux-ci perdent toute originalité pour se confondre avec le droit étatique. »166. Pourtant,
même si l‘État est à l‘origine du droit, et donc d‘une partie de l‘univers juridique, cet
environnement juridique peut également contenir des normes qui ne sont pas des règles
de droit positif telles qu‘édictées par l‘État ou ses représentants. Nous exposons ce
phénomène dans les deux sous-sections qui suivent où nous étudions le pluralisme et ses
différentes manifestations ainsi que la distinction entre ordre normatif et ordre juridique.
Dans le dernier cas, et nous expliquons alors pourquoi, les normes éthiques dont se dote
un comité d‘éthique à la recherche sont un bon exemple de normes juridiques non
étatiques. Elles ne sont donc pas du droit.
Qui plus est, cette absorption par le droit étatique ne devrait pas avoir lieu sans au
préalable avoir établi un rapport dialectique avec l‘ordre normatif de départ, que celui-ci
soit juridique ou non. Il importe ainsi de considérer que cet ordre de départ conserve son
originalité et son identité propre, mais que suite à une interaction avec l‘œuvre du
législateur il peut en résulter un droit nouveau. Ainsi, lorsqu‘un phénomène
d‘internormativité se produit, il ne nous apparaît pas pour autant que toute trace de l‘ordre
de départ est amalgamée au droit. Comme nous le constatons en troisième section, la
165
Jean Carbonnier, Flexible droit : Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris, Librairie
Générale de Droit et de Jurisprudence, 2001 à la p. 18 [Carbonnier, « Flexible droit »].
166
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 44.
56
notion d‘absorption réfère à l‘une des manifestations de l‘internormativité, mais il ne
s‘agit pas du seul type d‘interaction possible. Dans le cas présent, lorsqu‘il s‘agit du droit,
peut-être pourrions-nous au minimum parler d‘un "positivisme transcendé"167 dont les
frontières croisent des ordres normatifs et juridiques concurrents pouvant avoir sur lui une
influence formelle.
2-
COMPRENDRE BRIÈVEMENT LE
DIFFÉRENTES MANIFESTATIONS
PLURALISME
ET
SES
La thèse du pluralisme est complexe et est le fruit de différents courants dans
l‘histoire168. Nous ne prétendons pas ici en représenter toutes les nuances, mais nous
cherchons plutôt à établir les bases de notre propre conception. Celle-ci se fonde sur les
préceptes que nous avons retenus au chapitre préliminaire. À savoir, que le droit s‘inscrit
dans le social au point d‘en constituer un construit169. Corrélativement, au regard des
différentes dimensions normatives de la régulation sociale, il existe une "normativité
sociale" faisant en sorte qu‘autant l‘éthique que le droit visent la régulation des
comportements sociaux170. Ils sont tout à la fois producteurs et récepteurs de normes. En
conséquence, la vision pluraliste et l‘éloignement de l‘aspect moniste du droit positif,
nous mène à opérer une distinction entre le pluralisme normatif et le pluralisme juridique
167
Jean Carbonnier, Droit civil – Introduction : Les personnes – La famille, l’enfant, le couple, Paris,
Presses Universitaires de France, 2004 au no 41, p. 76 [Carbonnier, « Droit civil »]: « Comme s‘il éprouvait
une nostalgie du droit naturel à toujours demeurer au ras des normes ou des phénomènes, le positivisme se
laisse parfois emporter par un mouvement de sublimation, de transcendance. ».
168
Voir à ce propos Jean-Guy Belley, « L‘État et la régulation juridique des sociétés globales. Pour une
problématique du pluralisme juridique », (1986) 18 :1 Sociologie et Sociétés 11 [Belley, « Sociétés
globales »].
169
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 27.
170
Rocher, « Régulation sociale », supra note 105 à la p. 49.
57
en tant que parties intégrantes de la régulation sociale. D‘ailleurs, le pluralisme juridique
est également un objet de nature multiple constitué du droit et du social juridique.
2.1 Le pluralisme normatif au carrefour de la régulation sociale et de la normativité
Le pluralisme a minima normatif se conçoit par le fait que le droit ne constitue pas
la seule façon de réguler la vie de l‘homme en société171. Il s‘intéresse à la place que le
droit occupe dans l‘économie normative générale, celle-ci étant caractérisée par des zones
de recouvrements entre le juridique et le social172. C‘est parce que nous sommes, pour
reprendre les propos de Jean Carbonnier, enserrés dans une pluralité de systèmes de
normes, ou polysystémie173, qu‘il importe de comprendre l‘interaction entre ceux-ci174.
Ces interactions ou zones de recouvrement relèvent justement de l‘internormativité que
nous promouvons dans la présente réflexion sur l‘anonymat des dons de gamètes et
d‘embryons.
L‘hypothèse du pluralisme normatif est parfois qualifiée de "faux pluralisme"175.
Notamment par Sébastien Lebel-Grenier dans sa thèse de doctorat où il explique que le
"faux pluralisme" n‘est en fait composé que d‘une pluralité de normativités alternatives
171
Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 315.
Jacques Commaille, « Normes juridiques et régulation sociales. Retour à la sociologie générale », dans
Chazel et Commaille, supra note 59, 13 à la p. 15 [Commaille, « Normes juridiques »].
173
Nous empruntons le terme à Arnaud, « Critique », supra note 156; Il existe un débat quant à la
distinction en ordre et système, mais pour les besoins de cette thèse nous effectuons entre eux une
synonymie. Sur la distinction, voir par exemple: David Sindres, La distinction des ordres et des systèmes
juridiques dans les conflits de lois, Paris, LGDG, 2008.
174
Il s‘agit de l‘hypothèse du pluralisme normatif présentée par l‘auteur. Carbonnier, « Flexible droit »,
supra note 165 à la p. 96.
175
Lauréline Fontaine, « Le pluralisme comme théorie des normes », dans Lauréline Fontaine, dir., Droit et
pluralisme, Bruxelles, Bruylant et Némésis, 2007, 125 à la page 139 (note 10).
172
58
subordonnées au droit étatique ou marginalisées pour leur importance176. Comme si les
normes ne relevant pas du juridique n‘avaient pas une existence propre ou étaient sans
valeur puisque trop en marge du phénomène de la régulation étatique. Nous croyons
néanmoins que le pluralisme normatif dispose d‘une légitimité réelle dans l‘univers
auquel participe le droit. Celui-ci, malgré ses imperfections, demeure peut-être
l‘expression la plus achevée de l‘idéal démocratique177, au risque de devenir porteur de
vérité et discours de pouvoir178, mais la norme étatique ne dispose pas du monopole de la
régulation sociale globale. Cette dernière incorpore dans son habitus tant des phénomènes
juridiques pluriels que non juridiques. Cela nous ramène à notre équation initiale selon
laquelle la "normativité = normes juridiques + normes non juridiques". Renvoyer à la
normativité c‘est d‘ailleurs faire référence aux différents modes de régulation sociale dans
lesquels s‘inscrivent différentes catégories de normes179.
Un retour sur le systémisme, ou théorie des systèmes, permet de bien concrétiser
l‘ensemble de ces phénomènes. La régulation en constitue en effet un élément-clé180 :
176
Sébastien Lebel-Grenier, Pour un pluralisme juridique radical, D.C.L., Université McGill, Montréal,
2002 à la p. 56; Lauréline Fontaine souligne qu‘un auteur a proposé une autre distinction entre "droit
pluraliste" (« Lorsque l‘État admet qu‘il y a sous sa tutelle d‘autres organes qui créent un droit qu‘il consent
à reconnaître et à intégrer »), mettant en lumière un "pluralisme sociologique", et "pluralisme juridique"
(« Existence, dans les cadres de l‘État, d‘organes qui sécrètent un droit dont la force obligatoire est la même
que celle du droit étatique, que cette équivalence soit reconnue et admise par l‘État ou qu‘elle lui soit
imposée »). Léon Ingber, « Le pluralisme juridique dans l‘œuvre des philosophes du droit », dans John
Gilissen, dir., Le pluralisme juridique, Bruxelles, Éditions de l‘Université de Bruxelles, 1972, 57 à la p. 83
tiré de Fontaine, supra note 175 à la page 139 (note 10).
177
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 835.
178
Deleury, « Rapports », supra note 73 à la p. 104; L‘auteure ajoute que nous demandons aujourd‘hui au
droit d‘être en quelque sorte notre directeur de conscience et de délimiter pour nous un ordre de valeurs.
Ibid.
179
Luc Bégin, « La normativité dans les comités d‘éthique clinique », dans Marie-Hélène Parizeau, dir.,
Hôpital et éthique. Rôles et défis des comités d'éthique clinique, Québec, Presses de l‘Université Laval,
1995, 32 aux pp. 33-34.
180
Jacques Chevallier, « La régulation juridique en question », (2001) 49 Droit & Société 827 à la p. 828
[Chevalier, « Question »].
59
« tout système organisé, formé d‘un ensemble d‘éléments interdépendants
et interagissant, serait en effet en permanence confronté aux facteurs de
déséquilibre et d‘instabilité provenant de son environnement; la régulation
recouvre l‘ensemble des processus par lesquels les systèmes cherchent à
maintenir leur « état stationnaire », en annulant l‘effet des perturbations
extérieures. »181
Talkot Parson fut le premier à proposer une théorie du "système social" (la société et ses
composantes pouvant être analysées comme des systèmes sociaux), mais c‘est à Niklas
Luhmann qu‘on en doit le plus haut niveau d‘abstraction182. Ce dernier a établi que tout
ordre juridique peut être analysé comme un système social183. Le droit devenant un soussystème du système qu‘est la société184. Cela l‘amena à le concevoir comme étant
paradoxalement tout à la fois fermé sur lui-même et ouvert sur son environnement.
Fermé, car le droit est doté d‘une logique et d‘une rationalité propre en définissant
l‘identité et la spécificité. Ouvert, parce qu‘il subit sans arrêt, à ses frontières, des irritants
le confrontant à des situations, des contraintes de la part des autres systèmes sociaux,
économiques, politiques, culturels. Tout à la fois un système juridique ou normatif en
subit les influences en choisissant de les absorber et de les intégrer, mais il peut aussi
décider de repousser ces éléments étrangers et les maintenir à l‘extérieur de ses
frontières185.
181
Ibid.; Raymond Gassin définit un système comme « un ensemble d‘éléments en interaction, les uns avec
les autres, c‘est-à-dire entretenant entre eux des relations spécifiques ». R. Gassin, « Système et droit »,
(1981) 3 R.R.J. 353 à la p. 356.
182
Guy Rocher, Le «regard oblique» du sociologue sur le droit, Cycle de conférences conjoint
CRDP/Faculté de droit : Dans le regard de l'autre... In the Eye of the Beholder..., 23 novembre 2004 à la p.
8, En ligne : <http://www.crdp.umontreal.ca/fr/activites/evenements/041123GR_texte.pdf> (Date d‘accès :
17 août 2009) [Rocher, « Regard oblique »]; Talcot Parson, The Social System, Glencoe, Ill., Free Press,
1951; Niklas Luhmann, Law as a Social System, trad. par Klaus A. Ziegert, Oxford, Toronto, Oxford
University Press, 2004
183
Rocher, « Regard oblique », supra note 182 à la p. 8.
184
Niklas Luhmann, « Le droit comme système social », (1994) 11/12 Droit & Société 53 à la p. 55.
185
Rocher, « Regard oblique », supra note 182 aux pp. 8-9.
60
Certains nous mettent en garde contre l‘utilisation du vocable "régulation"186,
victime de son succès, qui est devenu un de ces mots passe-partout, omnibus187, au point
que ses frontières sont de plus en plus poreuses et son contenu imprécis188. C‘est un
avertissement qui dans un autre contexte pourrait peut-être s‘avérer prudent, mais que
nous choisissons d‘ignorer dans le cadre de notre problématique. En démontrant dans le
chapitre préliminaire que les nouvelles technologies de reproduction, et plus
spécifiquement la question de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons,
requièrent une réflexion allant au-delà du seul législateur et impliquant cette normativité
qu‘est l‘éthique, nous avons au contraire mis en place les fondations de sa pertinence
conceptuelle au regard le pluralisme normatif. D‘ailleurs, la notion de régulation présente
un intérêt afin de comprendre et d‘expliquer la demande d‘éthique à laquelle fait face la
"crise du droit". Alors que les mécanismes juridiques semblent incapables de réguler tous
les domaines de la société, l‘éthique arriverait en renfort afin d‘équilibrer ou de compléter
ce processus189. Citant deux autre auteurs, Guy Giroux ajoute que :
« [s]’il y a plusieurs façons d’appréhender la demande sociale d’éthique à
notre époque, une piste féconde pour y arriver est celle de la régulation,
comme nous l’avons suggéré. À ce sujet, Rouban dira par exemple, que
« la demande d’éthique est liée à la crise du droit comme système de
régulation entre l’individu et la collectivité ». Cohen-Tanugi dira, pour sa
part, que : « La revalorisation du droit participe […] du retour du sujet et
de l’éthique comme dimension essentielle des rapports sociaux. »190
186
Pour une brève analyse du terme, voir : Monnier, supra note 93 aux pp. 39-42.
Jacques Chevallier, « De quelques usages du concept de régulation », dans M. Maille, dir., La régulation
entre droit et politique, Paris, L‘Harmattan, 1995, 71 à la p. 95.
188
Thibaut Duvillier, « Crise de société et complexification sociétale. Crise du droit et régulation
juridique », 2000 45 R.I.E.J. 27 à la p. 39.
189
Giroux, « Demande sociale », supra note 141 aux pp. 28 et 39.
190
Ibid.; Luc Rouban, « Pour une réflexion politique en matière d‘éthique », dans Procréations humaines et
société techno-scientifique. Le Supplément. Revue d’éthique et théologie morale, Paris, Éditions du Cerf,
1990, 143; Laurent Cohen-Tanugi, La métaphore de la démocratie, Paris, Éditions Odile Jacob, 1989 à lap.
28.
187
61
En tant que mécanisme de contrôle des comportements sociétaux, l‘éthique est une forme
de régulation que nous ne pouvons pas ignorer. Davantage, elle participe à la régulation
sociale et interagit avec la règle de droit. Lorsque nous référons à la norme éthique, celleci ne remplit pas toujours les exigences du juridique afin de se qualifier comme tel191. Il
n‘en demeure pas moins que l‘éthique, hors du domaine juridique, continue de
correspondre à la définition de la normativité. Les normes qui s‘en dégagent, incluant la
recommandation qui oriente les comportements, sont-elles moins régulatrices ? Nous ne
le croyons pas.
La notion plus précise de "régulation sociale"192 présente également pour nous une
double vertu. Elle est d‘une part « approprié[e] pour qualifier ces phénomènes
d‘interactions multiples entre social, institutions et acteurs dans le processus de
production et de gestion des normes, celles-ci étant de moins en moins instituées
unilatéralement et de plus en plus soumises à des appropriations multiples »193. Cela
découle du fait que les sociétés industrialisées avancées constituent des systèmes sociaux
complexes qui le deviennent toujours davantage. Ces systèmes sociaux ont des
mécanismes de contrôle, parmi lesquels se trouve le droit, non seulement en quête
d‘équilibre, mais devant également faire face à des tensions, des ruptures, des
contradictions causées par la multiplicité des instances et des acteurs sociaux impliqués,
et par la pluralité des stratégies sociales à l‘œuvre194. L‘éthique en est une. D‘ailleurs, les
191
Nous établissons les critères distinctifs du juridique et du normatif au point 3.
Pour un historique de l‘évolution du concept de régulation sociale, voir : Commaille, « Normes
juridiques », supra note 172 à la p. 21; Bernard-Pierre Lecuyer, « Régulation sociale, contrainte sociale et
"social control" », (1986) 8 :1 Revue française de sociologie 78.
193
Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 21.
194
Jacques Commaille, « Régulation sociale », dans Arnaud et al., supra note 110, 523 aux pp. 523-524
[Commaille, « Régulation »].
192
62
tenants du paradigme postmoderne prônent un abandon de l‘univocité du système
normatif pour adopter le parti de la complexité195.
Nous pouvons faire un lien avec la métamorphose subie par l‘acte
d‘engendrement et auquel participe désormais une pluralité d‘acteurs. À ce stade, même
la famille se voit octroyé le statut de postmoderne196. En ce qui concerne la question
même du recours aux forces génétique d‘un tiers donneur et la quête des origines, la
complexification des rapports humains qui interviennent alors, ceux-ci constituant le
point d‘ancrage de notre analyse sous l‘angle de la sollicitude, et la nécessaire
intervention du législateur démontrent le besoin d‘une interaction multiple entre le social,
les institutions et les acteurs. Le niveau d‘intervention du droit s‘incarne inévitablement
dans le social et s‘en trouve analysé selon une perspective pluraliste où plus d‘une
approche analytique (juridique et non juridique) normalisent les comportements sociaux
et doivent interagir.
La perspective pluraliste et interactive constitue ainsi le second avantage du
concept de régulation sociale qui inscrit le juridique dans un ensemble plus large197. Le
phénomène peut prendre différentes formes et paraît s‘inscrire à trois niveaux : lors de la
production du droit lui-même (il est également un processus éminemment politique),
dans la coexistence d‘orientations juridiques différentes (par un éloignement du monisme
législatif vers le pluralisme juridique) et, finalement, au niveau du rapport du droit avec
195
Maisani et Wiener, supra note 139 à la p. 448.
Geneviève Delaisi de Parseval, Famille à tout prix, Paris, Éditions du Seuil, 2008 à la p. 27 [Delaisi de
Parseval, « Famille »].
197
Commaille, « Régulation », supra note 194 aux pp. 523-524.
196
63
les autres logiques normatives (il s‘agit ici de l‘internormativité proprement dite)198.
Nous reconnaissons ici les composantes d‘un dynamisme législatif au cœur duquel notre
attention est portée sur les zones de recouvrement existant entre l‘éthique de la
sollicitude et le droit.
Si, pour reprendre les propos de Sophie Monnier, d‘aucuns s‘accordent à
reconnaître que l‘univers juridique n‘épuise pas la régulation sociale et que la normativité
forme un ensemble au sein duquel la normativité juridique n‘est qu‘une espèce199, reste à
déterminer quels sont les critères de la normativité et, plus particulièrement, sur quelle
base en distinguer la normativité juridique200. Avant d‘aborder plus en détails, au point 3,
ce qui différencie un ordre juridique d‘un ordre normatif, nous nous intéressons ci-après à
la question même du pluralisme juridique. De fait, la thèse du pluralisme juridique est
souvent la seule reconnue dans la doctrine. N‘avons-nous pas souligné que le pluralisme
normatif est parfois qualifié de "faux pluralisme"201. Il s‘agit pourtant de celui qui
contient les normes du social non juridique. Nous ne nions par contre pas l‘existence du
pluralisme juridique. Celui-ci constitue plutôt à nos yeux une des manifestations du
pluralisme, mais à l‘intérieur de l‘univers normatif pluriel.
198
Commaille et Perrin, supra note 154 aux pp. 125-127.
Monnier, supra note 93 à la p. 20.
200
Ibid. à la p. 21; Voir également : André-Jean Arnaud, « Droit et Société : Un carrefour
interdisciplinaire », (1988) 21 R.I.E.J. 7 à la p. 18.
201
Fontaine, supra note 175 à la page 139 (note 10); Lebel-Grenier, supra note 176 à la p. 56.
199
64
2.2 Le pluralisme juridique et les critères de la juridicité
S‘il n‘est pas considéré comme faux par les auteurs, le pluralisme juridique n‘est
pas toujours vu comme une véritable théorie des normes; c‘est-à-dire « comme un
ensemble de propositions, éventuellement ordonnées et cohérentes, propres à expliciter la
notion de norme juridique et les liens entre les normes »202. C‘est pourtant en tant que tel
que Lauréline Fontaine tente de le poser203. Dans le même ordre d‘idées, Jean-Guy Belley
montre le pluralisme juridique comme doctrine de la science du droit 204. Dans la présente
section, nous constatons que, malgré la difficulté à cerner les concepts de norme juridique
et de droit selon un tout cohérent, il s‘agit d‘une approche au contenu certes variable,
mais qui, avec le pluralisme normatif, est apte à servir l‘intérêt d‘une internormativité
entre l‘éthique et le droit dans son format le plus large. Les rapports dialectiques entre ces
deux normativités pouvant effectivement se situer dans l‘une ou l‘autre de ces catégories
du pluralisme.
Lorsque nous lui attribuons la qualité "juridique", le pluralisme renvoie à la
multitude des lieux de production et de gestion des normes juridiques205. Il part du
postulat que le droit est essentiellement multiple et hétérogène206. Encore là, il existe pour
202
Fontaine, supra note 175 aux pp. 130-131.
Ibid.; Pour ce faire, il s‘agit de l‘avis de l‘auteure de montrer selon quelles modalités le positivisme ne
parvient pas à intégrer le pluralisme. Ibid. à la p. 133.
204
Jean-Guy Belley, « Le pluralisme juridique comme doctrine de la science du droit », dans Jean
Kellerhals, Dominique Manaï et Robert Roth, dir., Pour un droit pluriel : Études offertes au professeur
Jean-François Perrin / Faculté de droit de Genève, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2002, 135 [Belley,
« Doctrine »].
205
Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 15.
206
Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 356.
203
65
reprendre les propos de Jean Carbonnier des phénomènes de pluralisme juridique207.
Notre objectif n‘est pas d‘en faire l‘inventaire détaillé, mais à tout le moins nous devons
retenir qu‘il existe différents sens à la définition et que les classifications changent d‘un
auteur à l‘autre. Celle de Jean-Guy Belley a le très grand avantage d‘être claire et simple,
et de permettre une compréhension facile des différentes facettes du pluralisme. Cela
inclut une distinction entre le pluralisme intra ou extra étatique se rattachant à la vision
que nous avons du droit, c‘est-à-dire celui qui est issu de l‘État et de ses organes sans
avoir pour autant détenir l‘exclusivité du juridique.
D‘un point de vue strictement juridique, le pluralisme juridique constitue : « a)
[l‘e]xistence simultanée, au sein d‘un même ordre juridique, de règles de droit différentes
s‘appliquant à des situations identiques; b) [la c]oexistence d‘une pluralité d‘ordres
juridiques distincts qui établissent ou non entre eux des rapports de droit »208. La forme
"a)" renvoie à l‘affirmation du caractère pluraliste du droit étatique209 qui s‘exprime par
des mécanismes juridiques différents210. Ainsi existe-t-il un droit de la famille, un droit de
l‘enfant, etc. Dans ce pluralisme intra-étatique, « c‘est toujours le droit de l‘État qui
s‘applique, mais son application est différenciée selon les circonstances ou les groupe
visé par son action »211. Plusieurs règles de droit viseront une même situation. Plus
largement, dans la forme "b)", ou extra-étatique212, il ne s‘agit plus simplement de
prendre en compte la diversité des règles d‘un ordre juridique intra-étatique, mais de
207
Ibid. à la p. 358.
Jean-Guy Belley, « Pluralisme juridique », dans Arnaud et al., supra note 110, 446 à la p. 446 [Belley,
« Pluralisme »].
209
Ibid.
210
Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 185.
211
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 44.
212
Ibid. à la p. 45
208
66
reconnaître qu‘il existe simultanément au moins deux ordres juridiques distincts (étatique
et non étatique) et, parallèlement, analyser les rapports de droit entre eux 213. Cela suppose
que l‘État n‘est plus le seul à produire la norme juridique et qu‘il existe des ordres
juridiques qui lui sont distincts214. Cela rejoint les approches de François Ost et Michel
van de Kerchove215 ainsi que de Jean Carbonnier216. Ajoutons que lorsqu‘il est question
de plusieurs centres de production de la norme juridique, en plus de celui de l‘État,
certains auteurs, dont André-Jean Arnaud, réfèrent au concept de polycentricité217. En
sociologie du droit, le pluralisme juridique est finalement la « coexistence d‘une pluralité
de cadres ou systèmes de droit au sein d‘une unité d‘analyse sociologique donnée (société
locale, nationale, mondiale) »218.
Cette vision plurielle nous mène à une interrogation sur la définition même du
droit. Si nous l‘associons à l‘État, sans pour autant y limiter le social juridique, notre
vision tendant alors vers un pluralisme extra-étatique, la littérature sur le pluralisme
juridique n‘est pas aussi équivoque, voir tranchante. Identifier ce qui constitue l‘essence
du droit s‘y avère une entreprise hasardeuse qui fut même comparée à la quête du SaintGraal219. Cette question, la plus escamotée qui soit dans notre univers juridique de l‘avis
213
Belley, « Pluralisme », supra note 208 à la p. 447.
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 45.
215
Ils font référence à la coexistence de plusieurs systèmes juridiques au même moment, ceux-ci pouvant
ou non être de même nature. Ost et van de Kerchove, supra note 142 aux pp. 186-187.
216
De son avis, au même moment dans un même espace spatial, coexistent plusieurs systèmes juridiques,
dont celui de l‘État, mais également d‘autres qui lui sont indépendants et pouvant le concurrencer.
Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 356.
217
André-Jean Arnaud, « Présentation du dossier sur la production de la norme juridique : Le droit comme
produit », (1994) 27 Droit & Société 293 à la p. 295.
218
Belley, « Pluralisme », supra note 208 à la p. 446.
219
Edward Adamson Hoebel, The law of primitive man: a study in comparative legal dynamics, Cambridge,
Harvard University Press, 2006 à la p. 18.
214
67
d‘Andrée Lajoie220, ne cesse de faire de couler de l‘encre. La revue Droits : revue
française de théorie juridique a par exemple consacré deux numéros entiers à cette
recherche d‘une définition du droit et en a présenté près d‘une cinquantaine d‘articles
dévoilant des interprétations aussi différentes les unes des autres221. Ou encore, pensons à
l‘ouvrage de Denys de Béchillon Qu’est-ce qu’une règle de droit?222, explicite par son
titre, qui fait plus de 300 pages. François Ost et Michel van de Kerchove se prêtent
également à l‘exercice dans De la pyramide au réseau? Pour une théorie dialectique du
droit223 tout en intitulant le chapitre concerné La définition du droit : une question sans
réponse?224 Encore là, l‘en-tête du chapitre démontre par sa seule formulation le défi
définitionnel tel qu‘il apparaît dans la littérature.
Il est possible de faire reculer les frontières du droit au point que sa définition, en
termes de contenu, est plus large que la conception que nous en avons. Jean-Guy Belley
distingue par exemple la régulation juridique des autres régulations sociales en précisant
qu‘une:
« définition à la fois générique et opératoire du droit devrait englober
toutes les pratiques de régulation sociale qui se révèlent d‘une part de type
politique en ce sens qu‘elles traduisent l‘intervention des détenteurs de
pouvoir ou de l‘autorité dans la dynamique de l‘action sociale, d‘autre part
de type rationnel en ce qu‘elles prétendent s‘exercer en obéissant aux
exigences de modèles d‘intervention institutionnalisés ou préétablis. Par sa
dimension politique, la régulation juridique se distingue des autres
régulations sociales qui s‘exercent sans l‘intervention des détenteurs du
pouvoir. La dimension générique du droit exclut en cela toute régulation
220
Andrée Lajoie, « Contributions à une théorie de l‘émergence du droit 1. Le droit, l‘État, la société civile,
public, le privé : de quelques définitions interreliées », (1991) 25 R.J.T. 103 à la p. 105.
221
« Définir le droit 1 », (1989) 10 Droits : revue française de théorie juridique; « Définir le droit 2 »,
(1990) 11 Droits : revue française de théorie juridique.
222
Denis de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit?, Paris, Odile Jacob, 1997.
223
Ost et van de Kerchove, supra note 142.
224
Ibid. aux pp. 267 et suivantes.
68
que les acteurs sociaux exercent entre eux de façon autonome et toute
régulation fondée sur le pouvoir social diffus exercé par une collectivité
sur ses membres sans intervention directe ou distincte des détenteurs du
pouvoir. La manifestation du droit serait ainsi liée à l‘émergence d‘une
structure de pouvoir ou d‘autorité minimalement autonomisée par rapport
à la collectivité dont elle relève. Par sa dimension rationnelle, la régulation
juridique se réfère à une entreprise normative qui prétend s‘exercer de
façon réfléchie plutôt que spontanée, généralisée et non ad hoc, selon un
processus défini de façon préalable plutôt qu‘a posteriori, selon une
régularité vérifiable plutôt que de manière imprévisible et arbitraire. La
manifestation du droit suppose en ce sens une intervention minimalement
institutionnalisée des détenteurs du pouvoir dans la coordination des
conduites et le règlement des conflits. »225
C‘est une définition qui part du postulat que toute régulation juridique n‘est pas étatique.
Elle peut être fort séduisante pour qui ne limite pas la réalité du droit au seul domaine
couvert par l‘État tout en l‘associant au pouvoir politique, c‘est-à-dire à l‘autorité qui
s‘est vue reconnaître comme étant légitime afin d‘établir des normes par la collectivité
visée qui s‘y soumet. Ce n‘est pas totalement notre cas car si le juridique dans son
ensemble est uni au pouvoir politique d‘un groupe, seul le droit provient de l‘État. La
définition de Belley est pour nous davantage un corollaire du pluralisme juridique en tant
que tel, plutôt que d‘être exclusivement axée sur le droit qui n‘en constitue en fait qu‘une
composante.
Roderick A. Macdonald pousse encore plus loin l‘hypothèse en adoptant celle du
pluralisme juridique critique. Il fusionne l‘ensemble de la normativité en spécifiant que
tout se conçoit comme étant issu de la vie en société et tous les rapports existants sont des
rapports sociaux226. Autant le social, le politique et l‘économique sont des moyens
225
Belley, « Sociétés globales », supra note 168 à la p. 27.
Roderick A. Macdonald, « Les Vieilles Gardes. Hypothèses sur l‘émergence des normes,
l‘internormativité et le désordre à travers une typologie des institutions normatives », dans Belley, « Droit
226
69
concurrents d‘appréhender les actions sociales227. Selon un point de vue radical qui remet
en cause toutes les composantes du droit moderne, il avance que le sujet de droit est celui
qui fait le droit. Il est celui qui rend possible le fonctionnement de toutes les institutions
juridiques, qu‘elles soient étatiques ou autres, en leur accordant leur légitimité228. C‘est le
rapport identitaire du sujet avec le social ainsi que son interprétation des connaissances
qui crée l‘ordre juridique, même s‘il est étatique. Ainsi, « son appartenance à un ordre
juridique quelconque s‘établit en fonction du critère identitaire du jour »229. Cela l‘amène
à la conclusion que le droit vit dans l‘âme de tous les membres de la société
hétérogène230. Les sujets légaux sont des sujets créatifs du droit et non pas simplement
des sujets dominés par le droit. Or, il faut prendre conscience de la pluralité de ces mêmes
sujets légaux afin de réaliser toute la complexité de la relation entre le droit et le soi231. La
typologie des normes de Macdonald met l‘accent sur leur caractère sociologique et
s‘éloigne de la théorie des sources du droit qui considère d‘abord la forme et l‘origine des
normes232.
Nous sommes totalement en accord avec le postulat de départ de Belley, tout
comme nous corroborons Macdonald lorsqu‘il dit que l‘hypothèse du pluralisme relativise
l‘ordre juridique étatique en nous invitant à voir la multiplicité d‘ordres juridiques
soluble », supra note 162, 233 aux pp. 258-259 [Macdonald, « Veilles gardes »]; Voir également : MarthaMarie Kleinhans et Roderick A. Macdonald, « What is a Critical Legal Pluralism », (1997) 12 Can. J. L. &
Soc. 25.
227
Macdonald, « Veilles gardes », supra note 226 à la p. 261.
228
Macdonald, « Hypothèse », supra note 163 à la p. 135.
229
Ibid. à la p. 142.
230
Ibid. à la p. 151.
231
Voir: Kleinhans et Macdonald, supra note 226.
232
Roderick A. Macdonald, « Pour la reconnaissance d‘une normativité juridique implicite et
"référentielle" », (1986) 18 :1 Sociologie et sociétés 47 à la p. 53; Il distingue d‘une part, selon un axe
vertical, celles qui sont implicites ou explicites (i.e. exposées avec plus ou moins d‘autorité) et, d‘autre part,
selon un axe horizontal, celles qui sont codifiées (i.e exactes, canoniques et formulées) ou inférées (i.e.
approximatives, et métaphoriques). Ibid. à la p. 52.
70
concurrents233. Bref, toute régulation juridique n‘est pas étatique. Lorsque ce choix
normatif est adopté, il est garant de la démocratie dans laquelle nous évoluons. Il
démontre que le droit formel n‘est pas l‘unique instrument de régulation pourvu d‘une
légitimité juridique dont les critères sont précisés au point 3. L‘émergence de plus en plus
marquée de phénomènes d‘autoréglementation dans le domaine des nouvelles
technologies de la vie, de la santé ou de l‘information auxquels on attribue le statut
d‘ordre juridique en est le témoin silencieux234. Pensons par exemple aux codes de
déontologie dont se dotent certains comités d‘éthique. Il s‘agit d‘un des modèles proposés
dans l‘encadrement des nouvelles technologies de la reproduction. Nous l‘avons toutefois
rejeté au profit d‘une intervention législative qui nous semble beaucoup plus appropriée
compte tenu de la sensibilité des enjeux découlant de ces techniques et ce, notamment au
regard de la question de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons. Nous
démontrons également en section 3 que l‘éthique de la sollicitude relève du pluralisme
normatif. Cela souligne l‘intérêt de la distinction d‘avec le pluralisme juridique.
La définition de Macdonald est par contre à notre avis trop inclusive car, selon
l‘auteur, il y a du droit dans toutes les dimensions sociales où les sujets interviennent.
Quant à Belley, s‘il nous rejoint davantage, il intègre dans le droit les deux dimensions du
pluralisme juridique, à savoir le droit même et l‘ensemble des autres normes juridiques.
Nous demeurons juriste plus ou moins conservateur dans notre démarche et ne les
confondons pas. Encore là, il s‘agit d‘un choix que nous ne croyons pas pour autant
erroné. Les conceptions du droit sont multiples et variables. La pertinence de celle que
233
234
Macdonald, « Hypothèse », supra note 163 à la p. 140.
Côté et Rocher, en collaboration avec Lajoie et al., supra note 106 aux pp. 25-26.
71
nous adoptons découle du fait qu‘elle répond aux besoins de l‘analyse internormative que
nous appliquons à l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons.
Lorsque nous étudions la juridicité, concept au cœur d‘une analyse sur l‘essence
du droit, nous pouvons d‘ailleurs constater qu‘il en existe diverses abstractions allant de
la ligne de partage entre le droit et le social juridique au substantif correspondant à
l‘adjectif juridique235. De l‘avis de certains, « [l]‘hypothèse du pluralisme juridique est
précisément liée à un certain emploi de l‘expression «juridicité» pour se référer à une
réalité plus ample que celle qui est délimitée par le droit au sens strict ou droit positif »236.
Qu‘est-ce que cela implique plus exactement afin de nous aider à cerner les limites du
pluralisme juridique? La juridicité provient-elle du simple caractère législatif de la norme
selon une approche positiviste ou du fait qu‘elle contient un élément de sanction ou de
contrainte237? Faisant un court inventaire des démarches possibles, André-Jean Arnaud se
demande d‘ailleurs « [s]i l‘on souhaite donner au mot Droit une signification qui le
spécifie, le fera-t-on par la désignation de critères a priori, par une recherche de sa nature
ou de son essence, ou par la détermination des «frontières» qui le séparent de…ce qui
n‘est pas du droit »238?
Puisque nous nous intéressons à l‘impact de l‘éthique de la sollicitude sur la loi
applicable à l‘anonymat des donneurs, il est pertinent de remarquer que la distinction
traditionnelle entre ce qui est du droit et ce qui l‘en sépare, sur la différenciation
235
André-Jean Arnaud « Juridicité », dans Arnaud et al., supra note 110, 322 à la p. 323.
M.A. et N.O.A, supra note 155 à la p. 324.
237
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 46.
238
André-Jean Arnaud, « Essai d‘une définition stipulative du droit », (1989) 10 Droits : revue française de
théorie juridique 11 à la p. 11.
236
72
spécifique d‘avec la morale (celle-ci étant identifiée comme convergente à l‘éthique239),
se base sur deux principaux courants de pensée :
« [l]a première tendance – positiviste – tend à calquer la loi sur les […]
[comportements sociaux] et l‘opinion publique : la loi ne devrait être que
la codification de […] [ceux-ci] et évoluer au même rythme. Le droit serait
indépendant, voir même opposé à la morale. L‘autre tendance – naturaliste
– rattache davantage le droit à la morale, parfois jusqu‘à les identifier. Le
droit ayant un rôle normatif, il devrait découler d‘une réflexion rationnelle
sur les valeurs. Les tenants de cette école disent souvent : le droit positif
est un prolongement, un ajustement, une application de la morale ou du
« droit naturel ». Il y a une quasi identité entre les deux. »240
Ces deux écoles, cohabitant dans une sempiternelle dualité241, présentent des
inconvénients qui rendent le droit inadapté à la porosité grandissante de ses frontières
imposant inévitablement un dialogue avec les autres normativités. De fait :
« [s]i l’école naturaliste s’impose assez facilement dans une société
homogène, elle devient vite inadéquate dans une société pluraliste et se
voit accusée de totalitarisme. Par ailleurs, l’école positiviste qui se
présente sous la bannière du progrès scientifique, qui s’affirme comme le
défenseur des libertés individuelles, se ramène à un pragmatisme simpliste
qui cache souvent les jeux de pression, les luttes de pouvoir et la loi du
plus fort. »242
239
Dans le Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit il est spécifié que, sur le sens à
donner au terme morale en philosophie, quant à la recherche par l‘individu de la perfection intérieure de son
être, « on parle souvent de morale théorique ou d‘éthique ». P.D. « Morale », dans Arnaud et al., supra note
110, 383 à la p. 383.
240
Guy Durand, « Du rapport entre le droit et l‘éthique », (1986) 20 R.J.T. 281 à la p. 283 [Durand,
« Rapport »]; Guy Durand, « Droit et régulation alternative », dans Parizeau, supra note 64, 87 à la p. 88
[Durand, « Régulation alternative »]; Guy Durand, « Histoire de la philosophie du droit. Lignes de crête »,
dans Cahiers de recherche en éthique : 16- Vers de nouveaux rapports entre l’éthique et le droit, supra note
73, 29 à la p. 42 [Durand, « Philosophie »].
241
H.L.A. Hart et Lon L. Fuller en sont de fidèles représentants. Voir H.L.A. Hart, « Positivism and the
Separation of Law and Moral », (1957) 71 Harv. L. Rev. 593; Lon L. Fuller, « Positivism and Fidelity to
Law – A Reply to Professor Hart », (1957) 71 Harv. L. Rev. 630.
242
Voir : Durand, « Rapport », supra note 240 aux pp. 283-284; Durand, « Régulation alternative », supra
note 240 à la p. 88; Voir également l‘excellente étude de Carmen Lavallée dans laquelle elle décrit les
raisons du déclin du droit naturel et les critiques faites au positivisme. Carmen Lavallée, « À la frontière de
l‘éthique et du droit », (1993) 24 R.D.U.S. 1 aux pp. 8 à 15 [Lavallée, « Frontière »].
73
La solution ne résiderait pas tant dans l‘opposition de ces écoles, mais plutôt dans leur
conjonction243; menant à l‘adoption d‘une approche dite humaniste qui n‘oppose pas ces
réalités, mais qui, après les avoir distinguées, les unit dans un rapport dialectique244.
C‘est-à-dire dans ce qui constitue, à notre sens, l‘internormativité. Celle-ci ne peut
néanmoins échapper à la distinction entre le droit et le social juridique qui peut parfois
être désigné d‘infrajuridique245.
L‘effondrement des barrières entre l‘éthique et le droit est nécessaire dans le
domaine des nouvelles technologies de la reproduction afin de rendre possible cette
internormativité où le droit, obligatoirement dynamique et continuellement évolutif dans
le temps, s‘ouvre à l‘évolution du débat dans la société et à la dimension éthique de la
problématique de l‘anonymat. Cela rend d‘autant plus difficile l‘établissement de critères
d‘une juridicité aux frontières étanches alors même que nous assistons au phénomène
inverse dans la société. Le droit dure du juriste246 devient flexible, souple,247 caméléon248
voir même flou249. Il a « la propriété de se laisser courber par les forces du changement
social, capable d‘emprunter des formes adaptées au contexte sans perdre sa
substance »250. Mou, ce "droit de régulation", selon l‘expression employée par Jacques
243
Attention, une conjonction ne veut pas dire que nous opérons une fusion. Car s‘il doit y avoir
convergence entre ces deux concepts, ils demeurent distincts l‘un de l‘autre. Lavallée, « Frontière », supra
note 242 à la p. 69.
244
Durand, « Rapport », supra note 240 à la p. 284; Durand, « Régulation alternative », supra note 240 à la
p. 88; Durand, « Philosophie », supra note 240 à la p. 42; Lavallée, « Frontière », supra note 242 aux pp.
15-16.
245
Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165 à la p. 26.
246
Jean-Guy Belley, parle de droit solide. Belley, « Métaphore », supra note 162 à la p. 12; En plus du
monisme constaté au point 1, nous constaterons en section 3 d‘autres caractéristiques de l‘approche
positiviste classique adoptant le modèle de la pyramide kelsénienne.
247
Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165.
248
Belley, « Métaphore », supra note 162 à la p. 12.
249
Mireille Delmas-Marty., Le flou du droit, Paris, Presses Universitaires de France, 1986.
250
Belley, « Métaphore », supra note 162 à la p. 9.
74
Chevallier, est négocié, réflectif251. En cela, le droit obtient-il son caractère
polycentrique252. Dans une fort élégante formulation, un auteur souligne à cet égard que
ce à quoi se trouvent confrontés les juristes d‘aujourd‘hui, c‘est à produire une théorie du
flou dans le droit, non à l‘évacuer253. À l‘ère du post-modernisme, nous assistons à une
évolution des formes d‘intervention de l‘État dans le social qui associe les acteurs à ses
démarches d‘élaboration, de normation et d‘application254. Non seulement le droit n‘est-il
plus dicté par un souverain paternaliste, faisant place à la négociation dans son
élaboration, mais il délaisse par moment ses aspects de commandements et de contrainte
afin de devenir suggestif et non contraignant255. Alors que pour beaucoup la contrainte
fonde le particularisme du droit256, Jean Carbonnier réfute le caractère contraignant de la
règle en spécifiant qu‘il n‘est pas essentiel au point d‘être le signe de la juridicité257. D‘un
autre point de vue, certains parleront de justiciabilité comme signe distinctif du droit.
C‘est-à-dire la propriété d‘une règle à servir de fondement normatif et être appliquée par
un juge dans un cas concret258. Dans ce contexte, « [c]est donc la "forme justiciable" et
non pas la "forme contraignante" qui est de l‘essence du droit »259.
251
Chevalier, « Question », supra note 180 à la p. 834; Ce « droit de régulation » se présente comme
l‘expression d‘un « droit post-moderne », marqué par le pragmatisme et la flexibilité. » Ibid.
252
Duvillier, supra note 188 à la p. 35.
253
Michel Maille, « Désordre, droit et science », dans Paul Amselek, dir., Théorie du droit et science, Paris,
Presses Universitaires de France, 1994, 87 à la page 103.
254
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 29; Voir également : Boisvert, supra note 118 aux pp. 70-71.
255
Benyekhlef, supra note 97 aux pp. 30-31.
256
Monnier, supra note 93 à la p. 23.
257
Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 319.
258
H. Cousy, « Le rôle des normes non-juridiques dans le droit », dans Centre interuniversitaire de droit
comparé, dir., Rapports belges au XIe Congrès de l'Académie internationale de droit comparé, Caracas, 29
août - 5 septembre 1982, Bruxelles, Établissements Emile Bruylant, 1982, 131 à la p. 132.
259
Charles Leben, « Chaïm Perelman ou les valeurs fragiles », (1985) 2 Droits : revue française de théorie
juridique 107 à la p. 114; Sur la théorie de la justiciabilité, voir également : Carbonnier, « Sociologie »,
supra note 117 aux pp. 320 et suivantes.
75
En fait, peu importe le critère adopté, nous croyons que lorsque la notion de droit
est séparée de celle de l‘État, « elle perd son noyau de signification claire pour se situer
dans la zone de pénombre »260. La distinction semble à première vue simple. Pourtant, si
Rocher nous dit mots pour mots que ce qui fait qu‘un ensemble de règles appartiennent au
droit c‘est qu‘elles s‘intègrent à un ordre juridique261, il reconnaît que le droit de l‘État
occupe une place et un statut prépondérant dans les sociétés modernes. « On peut
reconnaître en lui l‘archétype de tout ordre juridique. Le droit de l‘État est sans doute
l‘ordre juridique le plus élaboré, poussé à sa mesure (ou démesure) extrême. »262 Il
précise également qu‘il est normal, voir même nécessaire, que le juriste continue de ne
considérer comme juridique que ce qui est reconnu comme tel par les appareils de l‘État.
En ce sens, il demeure essentiel, nous dit l‘auteur, de distinguer l‘ordre juridique étatique
des ordres juridiques non étatiques. Tous deux appartiennent à la même classe et se
distinguent263. Afin d‘éviter une trop grande dissolution de la normativité juridique, un
certain maintien de la différenciation entre les normes étatiques et celles qui ne présentent
pas cette qualité est requis264. Il est de la sorte justifié de consacrer la norme juridique
étatique au titre de droit et ce, d‘autant plus en l‘identifiant comme l‘outil de gouvernance
prédominant de la question de l‘anonymat des dons d‘engendrement. Cela confirme
indéniablement le fait que le droit occupe une place et un statut prépondérant. Demeurant
un construit social, il se diffuse par la suite parmi d‘autres types de normativité, par
exemple juridiques, et interagit avec elles sans perdre son unicité intrinsèque liée à l‘État.
Nous nous permettons donc de reprendre au point 3 les critères distinctifs de Rocher sur
260
M.A. et N.O.A, supra note 155 à la p. 324.
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 136.
262
Ibid. à la p. 138
263
Ibid. aux pp. 142-143.
264
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 834.
261
76
l‘ordre juridique en les appliquant dans le cadre général du pluralisme normatif, mais en
préservant la spécificité étatique du droit. En tenant compte de l‘effondrement des
barrières, ce droit est finalement posé et imposé à la suite d‘un processus de négociation,
de réflexion. En l‘espèce, nous le faisons avec l‘éthique de la sollicitude.
Ainsi, si nous conservons certains aspects de la modernité dans notre vision du
droit, parce qu‘il est attaché à l‘État politique (centralisme), ce dernier conservant par le
fait même une certaine souveraineté, et parce qu‘il est le produit d‘une activité explicite
d‘institutions telles que la législature (positivisme), nous admettons volontiers un
éloignement significatif du monisme (il n‘y a pas qu‘un seul ordre juridique
correspondant à un espace géographique)265. Ce choix, quant au regard que nous portons
sur le droit, est particulier au contexte faisant l‘objet de notre recherche, celui des
nouvelles technologies de la reproduction et de la procréation assistée avec tiers donneur,
mais nous ne le posons pas en tant que vérité absolue.
3- ORDRE JURIDIQUE ET ORDRE NORMATIF
Les propositions visant à déterminer les critères d‘identité d‘un système juridique
varient d‘un auteur à l‘autre. François Ost et Michel van de Kerchove se basent par
exemple sur son autonomie, celle-ci pouvant être, selon les interprétations, sociale,
organique ou organisationnelle266. Plutôt que d‘en choisir une en particulier, ils optent
265
266
Macdonald, « Hypothèse », supra note 163 à la p. 135.
Ost et van de Kerchove, supra note 142 aux pp. 188 et suivantes.
77
pour la relativité de l‘autonomie selon que divers critères se trouvent ou non réunis267.
Cela porte à confusion.
La proposition de Guy Rocher présente une ligne de démarcation des frontières de
l‘ordre juridique, duquel nous excluons le droit lié à l‘appareil étatique, qui est claire.
S‘inspirant des théories de Max Weber268, de Santi Romano269 et de Jacques
Chevallier270, l‘auteur avance que dans l'ensemble du tissu social, un ordre juridique se
reconnaît à cinq critères cumulatifs, concomitants, dont nous faisons état plus bas. Dans
l‘approche pluraliste que nous avons développée, ces critères doivent nous permettre de
distinguer les normes juridiques non étatiques de celles relevant du social non juridique et
n‘appartenant qu‘au pluralisme normatif. Cet ordre normatif est beaucoup plus large,
mais peut constituer un discours normatif efficace. L‘efficacité d‘une règle ou le fait
qu‘elle soit plus ou moins coercitive ne la rendra par contre pas juridique pour autant271.
Pour obtenir ce statut particulier, elle doit s‘intégrer dans un ordre juridique et être dotée
d‘un pouvoir qui lui vient de l‘appareil qui légitimise et actualise leur potentiel normatif
(ledit appareil doit être reconnu à l‘intérieur d‘une unité sociale donnée)272. C‘est une
réflexion qui nous permet un éloignement du "panjurisme"273 qui accorde au droit la
capacité
267
d‘emplir
tout
l‘univers
social,
dans
chaque
relation
sociale
ou
Ibid. à la p. 188.
Max Weber, Économie et société, trad. fr. de Julien Freud et al., sous la direction de Jacques Chavy et
Éric de Dampierre, Paris, Plon, 1971.
269
Santi Romano, L’ordre juridique, traduction français Lucien François et Pierre Gothot, Paris, Dalloz,
1975.
270
Jacques Chevallier, « L‘ordre juridique », dans Le droit en procès, ouvrage collectif du Centre
universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (C.I.R.A.P.P.), Paris, Presses
Universitaires de France, 1983, 7.
271
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 135.
272
Ibid. à la p. 136.
273
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 48.
268
78
interindividuelle274. Ainsi, il existe un social normatif non juridique275. Trouve en partie
écho dans cette affirmation l‘hypothèse du non-droit de Jean Carbonnier276.
Le premier critère est la nécessité d‘un ensemble de règles auquel les membres
d‘une unité sociale particulière (une nation, une société, une organisation, un groupe, etc.)
reconnaît au minimum une contraignabilité théorique277. Nous devons alors nous
retrouver face à une unité identifiable pour qui l‘obligation de suivre un comportement
donné n‘est pas forcément due à une coercition. La contraignablité peut aussi découler
d‘un acte de volonté des membres qui choisissent volontairement de se soumettre et
d‘associer à la norme une prescriptibilité. Malgré cela, il importe, en vertu du second
critère, que des agents ou des appareils soient reconnus dans l‘unité sociale comme étant
spécialisés pour élaborer ou modifier les règles, les interpréter et les appliquer ou les faire
respecter. Ces trois fonctions peuvent être remplies par des agents ou des appareils
différents ou par les mêmes, mais ce qu‘il importe dans un troisième temps c‘est qu‘elles
le soient toutes afin qu‘un contrôle complet soit exercé. L‘intervention de ces acteurs doit
quatrièmement être fondée sur une légitimité. Cela provient en fait de la reconnaissance
qu‘a l‘unité sociale des pouvoirs exercés par les agents ou les appareils relativement aux
règles. Dans tous les cas, tant les règles que les agents ou appareils doivent faire preuve
d‘une certaine stabilité278. Si les normes peuvent et doivent évoluer, elles doivent
démontrer une certaine continuité dans le temps. Quant aux agents ou appareils, le
cinquième critère exige que, s‘ils peuvent changer, nous devons remarquer une continuité
274
Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165 à la p. 24.
Belley, « Doctrine », supra note 204 à la 159; Rocher, « Études », supra note 104 aux pp. 142-143.
276
Carbonnier, « Flexible droit », supra note 165 aux pp. 25-26; Carbonnier, « Droit civil », supra note 167
aux pages 102 et 107-108.
277
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 134.
278
Ibid. à la p. 135
275
79
dans la composition, par exemple, des postes occupés. Ces critères viennent en somme
préciser le champ d‘action de la définition de la norme que nous avons retenue.
Dans le domaine de l‘éthique, seule une approche répondant à ces exigences peut
être reconnue comme juridique. Un bon exemple est certainement celui des normes dont
se dote un comité dans l‘évaluation de protocoles de recherche. Les cinq critères se
trouvent dans ce cas remplis. Les membres d‘une unité sociale particulière et identifiable,
c‘est-à-dire ceux de la communauté scientifique, reconnaissent et octroient à ces normes
une contraignabilité. À défaut de les respecter la recherche ne peut avoir lieu. Des agents
sont de plus identifiés pour élaborer, interpréter et appliquer ces règles. Provenant de
différentes disciplines (éthiciens, juristes, médecins, etc), mais avec un domaine commun
d‘application des connaissances, les agents composent le comité d‘éthique. Leur
intervention est légitime puisque la communauté scientifique leur donne les pouvoirs
nécessaires à l‘exercice de leurs fonctions. Celles-ci font l‘objet d‘une stabilité certaine
car la composition des comités, si elle peut varier dépendamment de la nature des projets
soumis et de l‘échéance du mandat de ses membres, demeure la même dans le temps.
Exception faite des réformes structurelles et évaluatrices qui ne surviennent qu‘après un
long processus de réflexion. Il en est de même des codes d‘éthique lorsqu‘ils sont appelés
à évoluer afin de, par exemple, s‘adapter aux avancées scientifiques. L‘intérêt de la
distinction entre ordre normatif et ordre juridique, lorsque appliquée à l‘éthique, est donc
de savoir dans quelle sphère de la normativité se trouve la sollicitude et dans quelle
mesure nous y sommes liés dans le cadre de l‘élaboration de la loi applicable à la
problématique de l‘anonymat.
80
En fait, lorsqu‘on procède à une analyse sociologique visant l‘approfondissement
de la connaissance de la société en prenant en considération la place qu'y occupe le droit,
les fonctions qu'il remplit, les rapports qu'il entretient avec les autres institutions de la
société279, la question n‘est pas tant de connaître les critères de la juridicité, mais de
savoir ce que le terme "norme juridique" « implique de processus d‘intervention, de
gestion du social, de procédure d‘action, de production normative, de représentations
sociales, spécifiques, et ce qui lie de façon spécifique ces opérations au social »280. Ainsi,
lorsque la sociologie s‘intéresse au discours du droit positif, ce n‘est pas que pour prendre
connaissance de ce qu‘il permet ou prohibe, mais aussi pour « comprendre quels en sont
les processus de production, les modalités d‘applications, les effets sociaux »281. Aussi
est-il important de comprendre quelle est la nature du jeu internormatif entre le droit et
l‘éthique. Nous abordons cette question en section 3, mais avant il importe de caractériser
l‘éthique de la sollicitude au regard du pluralisme.
SECTION 2 : DE L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE
Dans le choix du cadre théorique, notre attention fut très tôt portée sur l‘éthique de
la sollicitude ou "ethics of care" attendu que c‘est l‘approche qui fut retenue par la
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction dans son rapport final282.
Ce n‘est certes pas là notre seule justification, mais bien ce qui a initié notre intérêt pour
cette théorie.
279
Ibid. à la p. XII
Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 20.
281
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 125.
282
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à
la p. 58.
280
81
D‘un autre point de vue, certains auteurs penchent plutôt pour une analyse éthique
utilitariste qui est caractérisée par une évaluation de l‘utilité de l‘acte en fonction de
l‘ensemble de ses conséquences283. Cela se fait plus exactement en ayant recours au
principe de non nuisance, ou "harm principle", découlant des travaux de John Stuart
Mill284.
« Ce principe veut que les hommes ne soient autorisés, individuellement
ou collectivement, à entraver la liberté d'action de quiconque que pour
assurer leur propre protection. La seule raison légitime que puisse avoir
une communauté pour user de la force contre un de ses membres est de
l‘empêcher de nuire aux autres »285.
Le critère d‘analyse prend son assise dans l‘engagement à ne pas causer de tort à autrui.
Cette avenue aurait été un choix pertinent dans la problématique de l‘anonymat des
donneurs de gamètes et d‘embryons286. De fait, le principe de non nuisance se retrouve
souvent dans les débats sur l‘autonomie reproductive et y est associée une grande
importance au meilleur intérêt de l‘enfant. Ces deux concepts servent à fonder ou non
l‘adoption d‘un système de dons anonymes. Nous le remarquons dans l‘analyse du
chapitre 2.
283
Michel Métayer, La philosophie éthique : Enjeux et débats actuels, 2e édition, Saint-Laurent, Éditions du
Renouveau Pédagogique, 2002 à la p. 84.
284
Par exemple: McTeer, supra note 65; Kristen Walker, « Should There Be Limits On Who May Access
Assisted Reproductive Services? A Legal Perspective », dans Jennifer Gunning et Helen Szoke, dir., The
Regulation Of Assisted Reproductive Technology, Aldershot (England), Ashgate Publishing Limited, 2003,
123; Philip G. Peters, « Harming future persons: obligations to the children of reproductive technology »,
(1999) 8 Southern California Interdisciplinary Law Journal 375.
285
John Stuart Mill, De la liberté, trad. Laurence Lenglet à partir de la traduction Dupont White, Gallimard,
coll. Folio Essais, 1990, p. 74.
286
Pour une étude semblable, voir: Julie Wallbank, « The role of rights and utility in instituting a child‘s
rights to know her genetic history », (2004) 13 :2 Social & Legal Studies 245.
82
S‘intéresser à l‘utilité de l‘anonymat en fonction de l‘ensemble de ses
conséquences est loin d‘être inintéressant pour les fins de notre analyse puisque chaque
acteur au processus d‘un don de gamètes ou d‘embryons en ressent les effets. Ils ne sont
pas anodins et ne devraient pas nuire aux parents, aux enfants ou aux donneurs, ou selon
un équilibre tenant compte des intérêts de tous. L‘éthique de la sollicitude est néanmoins
plus à même d‘apporter des pistes de réponse adaptées à la polémique entourant cette
question particulière des dons d‘engendrement et d‘aider les autorités publiques dans leur
processus de prise de décision quant à l‘évolution de la norme de droit.
L‘unique engagement à ne pas causer de tort à autrui est un peu limitatif compte
tenu de la nature des rapports humains qui sont en jeu dans le contexte de l‘anonymat. Si
nous sommes en quête d‘un équilibre entre les intérêts des enfants, des parents et des
donneurs, il faut pousser plus loin afin de se recentrer sur les liens et les relations
interpersonnelles et interdépendantes existant entre ces personnes. En fait, une étude
concernant les enfants et la famille doit apprécier l‘importance de l‘interdépendance entre
les différents acteurs qui composent ce "groupe" particulier d‘individus. Une éthique
générale de la procréation, qui inclut les procréations assistées, doit plus précisément se
comprendre dans le cadre d‘une éthique plus globale basée sur la justice dans les rapports
humains287.
L‘interdépendance dans les rapports entre individus, qui fonde l‘éthique de la
sollicitude dans l‘établissement d‘un sentiment d‘empathie et de responsabilité à l‘égard
d‘autrui, est non seulement manifeste mais nécessaire dans le cas de l‘anonymat des
287
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 286.
83
donneurs de gamètes et d‘embryons. C‘est d‘ailleurs l‘enfant qui constitue le cœur des
relations d‘interdépendance à titre de personne en position de vulnérabilité. Il est certain
qu‘il existe un lien particulier entre le donneur et les parents, autrement la conception ne
serait pas possible, mais il n‘a pas d‘influence immédiate sur la reconnaissance potentielle
d‘un droit fondamental aux origines de l‘enfant ou sur la question de la révélation à
l‘enfant des circonstances de sa conception. Nous constatons effectivement au chapitre 2
que, contrairement à ce qui est souvent avancé, la préservation de l‘anonymat du don
n‘encourage pas les couples à maintenir le secret sur les circonstances de la conception de
l‘enfant. Bien au contraire, son abolition diminue la tendance à soulever le voile288. Or,
lorsque nous soupesons d‘un point de vue d‘ensemble nos conclusions liées au secret et à
l‘anonymat, cet élément nous permet, entre autres choses, de considérer que le privilège
de réserve des parents contrebalance l‘abolition de l‘anonymat. Par contre, lorsque nous
étudions ces deux éléments indépendamment l‘un de l‘autre selon un regard de
sollicitude, nous constatons que l‘enfant est le principal acteur déterminant la ligne
médiane des relations étudiées.
L‘analyse relationnelle se situe donc à deux principaux niveaux. En premier lieu
dans le rapport parents – enfant quant au secret sur le mode de conception. Il s‘agit alors
de déterminer si les parents doivent répondre à une éventuelle revendication identitaire de
l‘enfant qui ne sait rien. Sur quel fondement peut-on alors établir une responsabilité des
parents à reconnaître le recours aux forces génétiques d‘un tiers? Cette reconnaissance est
288
P. Jouannet et al., « La majorité des couples procréant par don de sperme envisagent d‘informer l‘enfant
de son mode de conception, mais la plupart souhaitent le maintien de l‘anonymat du donneur », (2010)
20 :1 Andrologie 29 [Jouannet et al., « Informer l‘enfant »]; T. Freeman et al., « Gamete donation: parents‘
experiences of searching for their child‘s donor siblings and donor », (2009) 24:3 Human Reproduction 505
aux pp. 505-506.
84
parfois difficile car, comme nous le constatons au chapitre 2, les parents sont souvent de
fervents partisans du secret. Ils considèrent celui-ci comme partie prenante de leur
intimité et, par conséquent, ils répugnent fréquemment à ce que le recours à un tiers
donneur soit connu, notamment de leur enfant. La recherche des origines se manifeste en
second lieu dans le lien géniteur – enfant. Du fait de son acte d‘assistance à
l‘engendrement, le donneur a-t-il obligatoirement la responsabilité de répondre à la
demande de l‘enfant désirant connaître son identité? Ce même enfant a-t-il également des
responsabilités? Cela nous amène à nous questionner sur l‘articulation du débat autrement
que selon une simple position pour ou contre comme c‘est généralement le cas dans la
littérature.
Nous cherchons à déterminer s‘il est nécessaire que les normes du législateur
évoluent afin de reconnaître à l‘enfant non seulement un droit de savoir qu‘il est né grâce
à un don d‘engendrement, mais aussi un droit à obtenir de l‘information nominative et
identifiante concernant son géniteur. L‘érection de ces droits de savoir et aux origines en
de véritables droits fondamentaux, conformément à l‘approche retenue par Michèle
Giroux, présente toutefois certaines limites. C‘est une réflexion qui ne rend pas compte de
toute la complexité des rapports émergeant en matière d‘anonymat et dont on doit tenir
compte dans la recherche d‘un équilibre entre les intérêts et les besoins des acteurs en
présence. Le recours à l‘éthique de la sollicitude devrait alors être d‘une grande utilité. En
effet, elle permet de mieux protéger les intérêts d‘un groupe d‘individus, comme les
enfants issus d‘un don d‘engendrement, en situation de possible faiblesse. Le recours à la
dimension relationnelle des droits vise précisément à rééquilibrer les rapports entre les
85
acteurs impliqués dans le processus législatif. La Professeure Angela Campbell explique
cette idée en spécifiant que :
« [t]he challenge that arises most frequently, and is perhaps the easiest to
address, relates to the historic association of rights with individualism.'
The conventional understanding of rights presents the "rights-owner" as
independent, self-sufficient, and unconnected to the world that surrounds
her. This portrayal fails to capture the realities of most individuals,
particularly women, who historically lacked the social and legal
independence required to bear rights within this framework.' To overcome
this difficulty, several scholars have developed an alternative
understanding of rights that underscores an individual's relationships to
other persons and institutions. These works contribute to rescuing the
rights-based discourse from its traditional focus on individualism. »289
L‘auteure applique sa réflexion aux enfants mineurs en tant que sujets ayant besoin de
protection. Pourtant, les enfants du don constituent également une population particulière
en état d‘interdépendance à l‘égard de son donneur et de ses parents. Les problématiques
concernant ces acteurs, notamment en matière d‘anonymat, se situent dans la sphère des
liens familiaux et affectent leur santé et leur bien-être. Aussi, l‘éthique de la sollicitude
est l‘approche théorique qui convient afin d‘examiner l‘impact de l‘éthique sur
l‘évolution de la règle de droit.
Comparée à une réflexion reposant sur les droits fondamentaux, qui s‘inscrit dans
une perspective individualiste plutôt que collective290, l‘éthique de la sollicitude porte
avant tout sur les relations humaines et la contextualisation des besoins de chacun, ce qui
inclut de s‘intéresser aux conséquences et à la nécessité de ne pas nuire à autrui, et non
289
Angela Campbell, « Stretching the limits of "rights talk": securing health care entitlements for children,
(2003) 27 Vt. L. Rev. 399 à la p. 403.
290
Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 64.
86
pas en prenant les individus isolés les uns des autres291. Comme nous le constatons cihaut, cet aspect relationnel importe au plus haut point en procréation assistée292 et, plus
particulièrement, dans le contexte de l‘anonymat des dons où les acteurs sont souvent tous
intimement liés les aux autres biologiquement, socialement ou affectivement.
Jennifer Nedelsky expose corrélativement la conception traditionnelle des droits
selon laquelle ils constituent, de nature, des barrières qui protègent leurs titulaires contre
une intrusion d‘autrui, incluant l‘État. Ils définissent des frontières et ce sont ces limites,
entérinées dans la loi, qui assurent l‘autonomie et la liberté individuelle. L‘auteure adopte
quant à elle la thèse de l‘approche relationnelle des droits qu‘elle expose à l‘aide du
concept même d‘autonomie. Traditionnellement, l‘essence de cette dernière est
l‘indépendance des personnes, requérant par le fait même une protection contre les
intrusions. De l‘avis de Nedelsky, l‘autonomie ne se réalise toutefois pleinement que si
elle est considérée dans un contexte relationnel. Dès lors, la dépendance des individus
n‘est plus l‘antithèse de l‘autonomie, mais une condition préalable au maintien et à
l‘établissement de relations, par exemple entre parents et enfants, qui répondent aux
besoins des autres. L‘interdépendance devient un point central de la vie politique en
291
Jonathan Herring, Medical Law and Ethics, 2e édition, Oxford, Oxford University Press, 2008 à la p. 27
[Herring, « Medical Law »]; Ruth E. Groenhout, Connected lives: human nature and an ethics of care,
Oxford, Rowman & Littlefield, 2004 aux pp. 161-162.
292
« Considérer le droit d‘abord comme un moyen de revendication tout en donnant une interprétation
individualiste des droits de la personne constitue un danger potentiel pour les sociétés démocratiques. Le
premier aspect de ce danger est « la transmutation opérée entre le droit-responsabilité et le droit-désir » Une
pression de plus en plus forte pousse les juristes à élever des désirs, parfois légitimes, au rang de droit. […]
[Par exemple, du] désir d‘enfant, nous sommes passés au droit à l‘enfant, en empruntant la voie des droits et
libertés fondamentales. On invoque le droit à l‘enfant comme s‘il s‘agissait d‘un droit fondamental plutôt
que d‘une faculté naturelle. » Lavallée, « Frontière », supra note 242 aux pp. 64-65 citant également JeanLouis Baudouin, « Réflexion sur les rapports de la bioéthique et des droits fondamentaux », dans G.
Lafrance, dir., Éthique et droits fondamentaux, Ottawa, Les Presses de l‘Université d‘Ottawa, 147 à la p.
150.
87
reconnaissant les différentes interactions ayant cours dans la société et le droit vient
structurer ces rapports293.
Cette vision de Nedelsky se transpose à la problématique de l‘anonymat où il nous
semble malvenu de concevoir indépendamment l‘autonomie de chacun des acteurs,
surtout lorsqu‘il s‘agit de l‘enfant. Nous ne nions pas que les circonstances du don
d‘engendrement font en sorte que cet enfant naît de la manifestation de l‘autonomie des
parents qui ont décidé d‘utiliser un tiers donneur et, pour ce dernier, d‘avoir choisi de
faire un don. Pourtant, où est la protection de l‘autonomie de l‘enfant lorsqu‘il se voit
imposer la décision des parents de ne rien dire, ce qui n‘est pas problématique à tous les
coups nous en convenons, ainsi que lorsque le donneur refuse de se faire connaître et que
l‘enfant veut en savoir plus? Dans ces circonstances, même l‘autonomie des parents et du
donneur ne prend véritablement un sens que si elle est envisagée dans sa dimension
interactive avec celle de l‘enfant.
D‘ailleurs, en droit de la famille, en ayant recours à l‘éthique de la sollicitude, la
loi ne se fonde pas sur des présupposés biologiques, mais sur des relations
interpersonnelles où empathie et responsabilité sont des leitmotivs. Les enfants sont
protégés non pas seulement en raison de leur statut de personnes vulnérables, mais à
cause de l‘interdépendance inhérente à l‘existence humaine à l‘intérieur de la cellule
familiale. C‘est un ethos qui affecte comment le droit est fait et nous inspire en matière de
293
Jennifer Nedelsky, « Reconceiving rights as relationships », (1993) 1 :1 Revue d‘études
constitutionnelles 1 aux pp. 7-8.
88
procréation assistée et d‘anonymat des dons d‘engendrement294. C‘est là que
l‘internormativité entre en ligne de compte. Cela nous mène à considérer, au chapitre 3,
comment les différentes législations favorisant ou non l‘anonymat gèrent cette situation?
Y retrouvons-nous une manifestation des principes directeurs issus de l‘éthique de la
sollicitude?
Accordent-elles
une
priorité
aux
relations
interpersonnelles
et
d‘interdépendance? Dans la négative, quelle influence cela aurait-il sur l‘état du droit?
Qu‘est-ce qui est nécessaire afin que telle priorité soit accordée?
Dans l‘étude qu‘il présenta à la Commission royale sur les nouvelles techniques de
reproduction, Will Kymlicka souligne qu‘il est peu souhaitable que la Commission adopte
une doctrine morale déterminée telle l‘éthique de la sollicitude et ce, pour trois raisons. Il
existe tout d‘abord des désaccords profonds quant à l‘utilité relative des différentes
approches théoriques afin de solutionner les problèmes liés à la procréation assistée et
ceux-ci peuvent être difficilement réglés ou caractérisés. Le choix d‘une approche
particulière fait courir le risque de mécontenter une large part de la population. En second
lieu, nous dit l‘auteur, la route est longue entre l‘adoption d‘une théorie globale et la
formulation de recommandations pratiques à l‘égard des questions précises soulevées par
les nouvelles technologies de la reproduction. Les théories ne sont pas des formules
préfabriquées offrant une réponse claire à des questions difficiles. Elles requièrent une
interprétation et ce seul processus est tout autant source de difficultés et de controverses
que l‘adoption de la théorie en soi. Les problèmes auxquels fait face une commission sur
les techniques de reproductions ne peuvent qu‘empirer en raison du difficile consensus
294
Fiona Kelly, « Conceptualising the child through an ‗ethic of care‘: lessons for family law », (2005) 1:4
International Journal of Law in Context 375 à la p. 389.
89
issu de l‘outil destiné à analyser la situation. L‘auteur remarque finalement qu‘à cause des
difficultés posées par l‘interprétation et l‘application rigoureuse des théories morales, qui
sont basées sur des concepts fondamentaux, leur sont souvent préféré une argumentation
moins rigidement structurée faisant appel à des principes intermédiaires. Ceux-ci font
essentiellement appel aux points communs existant entre les différentes théories morales;
à savoir l‘autonomie individuelle, l‘utilisation judicieuse des ressources, la non
commercialisation de la reproduction, l‘égalité, le respect de la vie humaine, la protection
des personnes vulnérables et l‘obligation de rendre des comptes295.
Le choix d‘une théorie morale particulière comme l‘éthique de la sollicitude ou le
principe de non nuisance ne résout peut-être pas à lui seul tous les enjeux délicats liés aux
nouvelles technologies de la reproduction, et en l‘occurrence ceux issus de l‘anonymat
des dons de gamètes et d‘embryons, mais il fournit un cadre d‘analyse possible grâce
auquel nous pouvons apporter des pistes de solution et des éléments de réponse non
négligeables. En outre, au risque de nous répéter, l‘éthique de la sollicitude nous apparaît
comme un regard théorique opportun compte tenu des relations humaines
interdépendantes de la problématique et du fait qu‘il encourage le souci du bien-être
mutuel. Cet aspect particulier confère à la sollicitude une orientation éthique plus
générale et englobante d‘autres approches qui lui attribue par le fait même davantage de
légitimité.
295
Will Kymlicka, « Positions de principe à l‘égard des questions éthiques soulevées par le mandat de la
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction », dans Commission royale sur les
nouvelles techniques de reproduction, Les nouvelles techniques de reproduction : Questions d’ordre
éthique, Volume 1 des volumes de recherche, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services
Canada, 1993, 1 aux pp. 18-21 [Kymlicka, « Positions de principe »]; Les principes directeurs énumérés par
Kymlicka sont détaillés aux pages 21-29; Voir également : Will Kymlicka, « Moral philosophie and public
policy : the case of NRT‘s », (1993) 7 :1 Bioethics 1.
90
Qui plus est, quand bien même l‘éthique de la sollicitude forme une approche
théorique précise, nous constatons ci-après qu‘elle possède une dimension politique
permettant son entrée dans l‘internormativité et que la Commission royale se dota de
principes directeurs afin de guider sa réflexion. Or, l‘approche basée sur des principes
directeurs est celle préconisée par Kymlicka. Il précise que des désaccords peuvent
intervenir dans leur application, interprétation, mais que cela n‘invalide pas l‘utilité de la
démarche pour autant. Ces désaccords peuvent notamment contribuer à éclairer et même
enrichir le débat public sur les conséquences éthiques de nouvelles technologies de la
reproduction296. L‘auteur ajoute qu‘il ne s‘agit pas d‘adhérer à une théorie éthique pour
être sûrs de nos principes directeurs, mais bien l‘inverse. Nous serons d‘autant plus
certains de la valeur d‘une doctrine particulière si nous pouvons en tirer des principes
intermédiaires auxquels nous adhérons déjà fortement297. En s‘inspirant de la théorie
morale en général et de l‘éthique biomédicale en particulier afin d‘adopter les siens, c‘est
exactement ce que fit la Commission298. Elle note d‘ailleurs l‘expression d‘un consensus
à l‘égard de ces principes directeurs lors des consultations qui furent effectuées auprès de
spécialistes et de citoyens299.
Si l‘éthique de la sollicitude ne fait pas toujours l‘unanimité dans la littérature,
tout d‘abord en faisant l‘objet de critiques sur sa nature intrinsèque en tant que théorie
morale et, ensuite, quant à son utilisation au regard de la procréation assistée, nous
venons d‘expliquer pourquoi il s‘agit d‘une approche théorique pertinente dans la
296
Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295 aux pp. 32 et ss.
Ibid. à la p. 38.
298
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à
la p. 61.
299
Ibid. à la p. 67.
297
91
discussion sur l‘anonymat des dons d‘engendrement. Son impact réel dans la production
législative canadienne et québécoise ayant été peu abordé dans la littérature, il est selon
nous approprié de reprendre le cadre analytique retenu par la Commission royale sur les
nouvelles techniques de reproduction et de le tester à la problématique qui nous
préoccupe.
Dans la présente section nous faisons en premier lieu une étude des termes en
présence : éthique et morale. Cela nous permet de bien situer notre cadre théorique global
puis, nous conduit à une analyse plus détaillée de l‘éthique de la sollicitude. Nous
constatons qu‘elle se présente à la fois comme une philosophie morale et comme une
théorie politique. C‘est cette dernière dimension qui retient notre attention car elle établit
les fondements de l‘introduction de l‘éthique de la sollicitude dans l‘internormativité que
nous abordons plus spécifiquement en section 3. Finalement, nous faisons état des
principes directeurs de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction
et nous analysons dans quelle mesure nous les appliquons à la question de l‘anonymat.
1- ÉTHIQUE ET MORALE: LES TERMES EN PRÉSENCE
Dans les sciences de la vie, nous dit Sophie Monnier, la référence à l‘éthique est
apparue sous le néologisme "bioéthique", synonyme d‘éthique biomédicale300. D‘ailleurs,
ce champ particulier de la philosophie s‘introduit en droit dans les questions touchant
l‘assistance à la procréation et dans toutes les interrogations éthiques liées à l‘amont de la
300
Monnier, supra note 93 à la p. 15.
92
naissance301. L‘appellation des lois dites de bioéthique en France en témoigne. Nous
pourrions certes revendiquer faire de la bioéthique, mais pour des raisons liées à
l‘approche que nous avons choisie, celle de la sollicitude, nous nous cantonnons dans les
limites de l‘éthique tout simplement. Nous y recourons tout au long de cette thèse de
façon interchangeable avec la morale.
Les mots "morale" et "éthique" sont effectivement utilisés çà et là dans la
littérature sur les liens entre l‘éthique et le droit. Ce sont des concepts qui peuvent être
employés comme des synonymes par les auteurs ou encore distingués l‘un de l‘autre en
renvoyant à des réalités distinctes302. La polysémie des termes et la pluralité des points de
vue ne contribuent qu‘à complexifier notre tâche dans l‘étude de l‘internormativité entre
l‘éthique et le droit303.
L‘"éthique" provient de deux homonymes grecs : êthos et éthos. Le premier
évoque notamment le caractère d‘un individu, le trait distinctif par lequel on le reconnaît
dans sa manière d‘agir, alors que second signifie coutume, mœurs, habitude.
« Initialement donc, l‘éthique renvoie non à des principes abstraits, mais au caractère
produit de l‘habitude d‘une personne. Elle s‘interroge sur la manière dont un être humain
s‘y prend pour acquérir ses habitudes et sur la valeur de celle-ci. »304. La "morale"
provient quant à elle du latin mos (moris). Cela renvoie essentiellement à une manière de
se comporter, cela étant déterminé non pas par la loi, mais par l‘usage. Mais la morale
301
Ibid. à la p. 18.
Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 23.
303
Simone Goyard-Fabre, « Les rapports du droit et de la morale aujourd‘hui », dans François Dermange et
Laurence Fachon, dir., Éthique et droit, Genève, Labord et Fides, 2002, 19 à la p. 19.
304
Christian Byk, Le droit international des sciences de la vie : bioéthique, biotechnologies et droit,
Bordeaux, Les Études Hospitalières, 1999 à la p. 12.
302
93
veut également dire mode de vie, règles, préceptes émanant d‘un groupe en particulier ou
d‘un individu. « Un être moral, c‘est donc un être qui agit selon des règles qu‘il se donne
et qui lui dictent ce qu‘il faut faire de sorte que ses habitudes de conduites soient celles
qui conviennent le mieux à son caractère »305.
"Morale" et "éthique" peuvent en définitive se rapprocher au point que la morale
déborde des frontières l‘éthique, faisant de cette dernière la science de la morale306. En
adoptant ce regard des choses, la morale est tournée vers la pratique alors que l‘éthique
est d‘ordre théorique. Mais l‘inverse peut aussi être soutenu en considérant la morale
comme une abstraction et l‘éthique en tant que réalité concrète qui recherche les
fondements de l‘action307. En fait, les critères qui visent à distinguer ces deux concepts
sont
nombreux
et
proposent
de
multiples
interprétations :
concret/abstrait,
théorie/pratique, individuel/collectif, système fermé/ouvert ou dogmatique, réflexif et
impératif/descriptif, appréciation du bien ou du mal/du bon ou du mauvais308. Des débats
entre les auteurs sur la synonymie des termes se dégageraient deux grandes tendances. La
première est française et préfère l‘utilisation du mot "morale" alors que la seconde est
anglo-saxonne et renvoie au terme "éthique"309. D‘autres constatent tout simplement que
suite à l‘évolution philosophique de ces deux notions, l‘utilisation du terme "éthique" a
fini par remplacer celui de "morale" chez la plupart des auteurs310.
305
Ibid. à la p. 12.
Ibid.
307
Monnier, supra note 93 à la p. 249.
308
Ibid.
309
Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 24.
310
Ibid. à la p. 33.
306
94
Dans le cadre de sa Stratégie nationale sur la biotechnologie, le gouvernement
fédéral finança en 1994 un Groupe de travail interministériel sur l‘éthique en vue de
l‘éclairer sur ses décisions en matière de biotechnologie. Une partie de la réflexion
s‘intéressa à ce qu‘il faut comprendre lorsqu‘on dit qu‘une action, une pratique ou une
politique doit être éthiquement acceptable311. Les auteurs retiennent une interprétation
fort intéressante puisqu‘ils tentent de présenter la définition la plus large possible de
l‘éthique au point qu‘il s‘agit de la mise en application des valeurs morale :
« l‘éthique est l‘activité qui consiste à réfléchir et à se prononcer sur ce
que devraient être le comportement des personnes entre elles ou la
structure des institutions et des activités humaines. C‘est donc l‘étude de
situations réelles à la lumière de valeurs morales en vue de savoir quel
comportement nous devrions adopter dans ces situations. Il s‘agit donc de
déterminer comment nous pouvons faire les bons choix, avec toutes les
complications que cela peut entraîner. »312
Nous ne nous prétendons pas philosophe. Aussi, afin d‘éviter les confusions inutiles, nous
utilisons également les termes "morale" et "éthique" de façon interchangeable en les
renvoyant à la réflexion quant à l‘agir humain.
Si pour les fins de cette thèse nous en restons à une définition simple confondant
les deux termes, cela n‘exclut pas de considérer que si :
« les valeurs éthiques tirent d’abord leur origine de la conscience
individuelle, cela ne change rien au fait que la conjugaison, même
passagère, de certaines valeurs, par l‘entremise de compromis ou de
consensus que les citoyens et des segments de la population établissent
311
Ted Schrecker et Margaret A. Somerville, « Prendre des décisions éthiquement acceptables en matière
de politiques : Les défis qui attendent le gouvernement fédéral », dans Groupe de travail interministériel sur
l‘éthique en biotechnologie, Renouvellement de la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie –
Consultations en tables rondes, Ottawa, Hiver 1998, 80 à la p. 87, En ligne :
http://strategis.gc.ca/pics/bhf/makingf.pdf> (Date d‘accès : 20 juillet 2009).
312
Ibid. à la p. 89
95
entre eux, par moments, contribue à les faire se transposer au niveau
social »313.
D‘une part, en constituant une expression collective puis, en implantant des interactions
avec le droit. Rappelons-nous qu‘en raison de sa popularité grandissante eu égard à la
"crise du droit" et aux incertitudes engendrées par les nouvelles technologies, plus rien
n‘échapperait à l‘éthique au point de la transformer en pratique sociale 314. Elle se
manifeste donc tant dans ses dimensions "micro" que "macro", celles-ci constituant les
diverses perspectives constituant l‘univers éthique global315. En tous les cas, l‘éthique
prend source dans l‘adhésion volontaire en représentant un contrôle de la société par ellemême, d‘abord au niveau des individus qui la composent, puis au niveau de leurs unités
d‘appartenance, communautaires ou organisationnels316.
Nous remarquons aux prochains points que l‘éthique de la sollicitude peut elle
aussi prendre différentes formes. Elle est dans un premier temps une théorie morale, mais
également une idée politique entrant dans la sphère des relations interpersonnelles. En
référant aux différentes critiques qui ont été faites à ces deux manifestations de l‘éthique
de la sollicitude, nous dégageons les fondements du cadre analytique que nous utilisons
dans notre analyse de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons. Nous constatons
alors que la vision politique de l‘éthique de la sollicitude est celle qui permet d‘édifier des
313
Guy Giroux, « L‘éthique et le droit : convergences et divergences en démocratie libérale », dans Cahiers
de recherche en éthique : 16- Vers de nouveaux rapports entre l’éthique et le droit, supra note 73, 27 à la p.
34.
314
Giroux, « Changement ou statut quo », supra note 144 à la p. 15.
315
Guy Durand, « Coordonnées de base de l‘éthique », (1994) 50 :3 Laval théologique et philosophique 467
à la p. 478.
316
Giroux, « Demande sociale », supra note 141 à la p. 36.
96
liens internormatifs avec l‘élaboration d‘une loi concernant un groupe de personne. La
théorie morale se concentre, quant à elle, principalement sur un individu unique.
2- L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE EN TANT QUE THÉORIE
MORALE : FONDEMENTS DE LA THÉORIE
L‘éthique de la sollicitude, que certains appellent également éthique du souci
d‘autrui317 ou de l‘autre318, a émergé au début des années 1980 dans la philosophie anglosaxonne sous l‘appellation "ethics of care". Une auteure remarque d‘ailleurs que
« [l]‘anglais n‘a qu‘un seul mot – care – là où le français les multiplie »319.
Sémantiquement, le verbe anglais "care" signifie « se sentir concerné par » ou « se
soucier de ». La traduction française de "sollicitude" exprime bien cette idée. Ainsi,
l‘éthique de la sollicitude se situe dans le prolongement de l‘éthique du sentiment de
David Hume320. D‘autres disent qu‘il s‘agit d‘une forme d‘éthique de la vertu321.
Cette éthique tire principalement son origine d‘écrits d‘auteures féministes. Parmi
ses plus grands promoteurs se trouve Carol Gilligan dont le livre In a Different Voice322
constitue une pierre angulaire dans ce domaine. L‘auteure se posa comme une fervente
317
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à
la p. 58; La Commission fait état d‘autres expressions comme éthique du respect d‘autrui, éthique de la
solidarité ou éthique de la convivialité. Ibid.
318
Bernard Hanson, « L‘éthique du soin de l‘autre », dans Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa, dir., Nouvelle
encyclopédie de bioéthique: médecine, environnement, biotechnologie, Bruxelles, De Boeck Université,
2001, 398 à la p. 398.
319
Patricia Paperman, « Perspectives féministes sur la justice », (2004) 54 :2 L‘Année sociologique 413 aux
pp. 413-414 à la note 1.
320
Métayer, supra note 283 à la p. 40.
321
Hanson, supra note 318 à la p. 398.
322
Carol Gilligan, In a Different Voice, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1982.
97
antagoniste à l‘idée soutenue par Lawrence Kohlberg323 selon laquelle « le degré le plus
élevé de raisonnement moral met en œuvre des principes de justice abstraits et
impartiaux »324. Elle identifia deux modes relationnels qui constituent deux façons de
penser en morale : une éthique de la sollicitude ainsi qu‘une éthique des droits et de la
justice. Sans prétendre que ces approches sont strictement corrélatives au genre de
l‘individu ou que tout homme et toute femme tient le même discours, elle soutint que les
hommes tendent à embrasser une éthique des droits qui utilise une terminologie à
consonance légale et des principes impartiaux. Le tout est intégré dans un processus de
balance et de résolution des conflits où les sentiments n‘ont pas leur place. Les femmes
tendent quant à elles à affirmer une éthique de la sollicitude se concentrant sur l‘attention
à autrui dans un réseau de besoins reliés entre eux et où l‘on cherche à prévenir les
atteintes325.
Le concept de sollicitude implique un engament de l‘individu envers les personnes
pour lesquelles il se fait du souci. Il ne s‘agit pas seulement de renvoyer à l‘aptitude liée à
la sympathie, c‘est-à-dire la capacité de percevoir ce que l‘autre ressent et en éprouver par
la suite de la compassion, mais de faire en sorte que cette dernière suscite un sentiment de
323
Lawrence Kohlberg, Essays on Moral Development, vol. 1: The Philosophy of Moral Development, New
York, Harper & Row, 1981; Lawrence Kohlberg, Essays on Moral Development, vol. 2: The Psychology of
Moral Development, New York, Harper & Row, 1984.
324
Paperman, supra note 319 à la p. 417.
325
D‘après l‘interprétation de Tom Beauchamp et James F. Childress, Principles of biomedical ethics, 5e
éd., New York, Oxford University Press, 2001 à la p. 371; En somme, dans la thèse de Gilligan, trois
caractéristiques fondamentales différencient l‘éthique de la sollicitude de l‘éthique de la justice
« Premièrement, l‘éthique du care s‘articule autour de concepts moraux différents de ceux de l‘éthique de la
justice de Kohlberg, à savoir la responsabilité et les liens humains plutôt que les droits et les règles.
Deuxièmement, cette forme de morale est liée à des circonstances concrètes et n‘est pas formelle et
abstraite. Troisièmement, cette forme de morale est mieux exprimée, non pas comme un ensemble de
principes, mais comme une activité, «l‘activité du soin». » Joan C. Tronto, « Au-delà d‘une différence de
genre : vers une théorie du care », dans Patricia Paperman et Sandra Laugier, Le souci des autres : Éthique
et politique du care, dir., Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005, 25 à la p. 28.
98
responsabilité et insuffle une motivation forte à intervenir parce que la personne se sent
concernée par ce qui arrive à l‘autre. L‘agent moral ne doit pas demeurer qu‘un simple
observateur, c‘est-à-dire un agent passif compatissant au sort d‘autrui, mais atteindre un
rôle actif d‘intervenant à l‘égard de ce tiers326. Cela s‘accompagne d‘une injonction de ne
pas blesser l‘autre327. Nous pouvons ici retrouver l‘idée générale qui se trouve au cœur du
principe de non nuisance. « L‘éthique du souci de l‘autre se pose comme un but de
devenir "soignant" au fond de soi, et non de se comporter en soignant »328. Le problème
moral surgit de responsabilités conflictuelles et non de droits concurrents en tant que
tel329.
Bref, deux principaux thèmes sont au centre de l‘éthique de la sollicitude.
L‘interdépendance mutuelle dans les relations et un rôle pour les émotions. Le premier
renvoie au fait que beaucoup de rapports humains impliquent des personnes vulnérables,
dépendantes, malades et/ou fragiles, et que la réponse morale souhaitée fasse écho à leurs
besoins sans se détacher du respect des droits. Le second signifie que le jugement ou le
raisonnement moral n‘est pas que l‘affaire de la raison en trouvant des règles destinées à
arbitrer des intérêts conflictuels. Les sentiments visés sont ceux de l‘agent moral dans
l‘expression de ses motivations ainsi que ceux qu‘il ressent en se mettant à la place de
l‘autre. Cela contribue à la mise en contexte qu‘il doit opérer afin de mettre un terme ou
de réduire le conflit entre les intérêts divergents plutôt que de simplement opérer un ordre
326
Métayer, supra note 283 à la p. 41.
Hanson, supra note 318 à la p. 398.
328
Ibid.
329
Paperman, supra note 319 à la p. 421.
327
99
de priorité entre eux330. Toute intervention doit ultimement éviter de nuire aux relations
humaines331. Ainsi, à la base, l‘éthique de la sollicitude ne s‘applique pas à ce qui est
commun et généralisable, mais est en réponse à un autre être humain, unique par
définition332.
Les partisans de l‘éthique de la sollicitude tancent corrélativement le courant
rationaliste de ne s‘intéresser en grande partie qu‘aux problématiques qui concernent la
sphère publique comme les questions de droit de la personne et de justice sociale. Les
adeptes d‘une éthique des droits accordent peu d‘importance aux relations
interpersonnelles où s‘expriment les valeurs associées à la sollicitude (entraide,
compassion, fidélité, engagement, responsabilité). Ils recherchent plutôt des normes
universelles, valables pour tous et reconnues par tous. Or, une bonne prise de décision,
disent les éthiciens de la sollicitude, doit aller au-delà du souci d‘impartialité et de
cohérence qui, parfois, peut nous rendre aveugle aux besoins d‘autrui. Il s‘agit certes
d‘une grande vertu, mais qui a ses limites. La déshumanisation des soins médicaux dans
les hôpitaux suite à l‘application aveugle de règlements et sans tenir compte de situations
particulières en est un bon exemple. Une attitude de détachement et de recul ne donne pas
forcément accès aux informations nécessaires à la prise en considération du contexte
particulier des personnes concernées en tenant compte de leurs besoins. Nous constatons
d‘ailleurs au point 3 que cela peut s‘avérer tout aussi pertinent dans la sphère politique
des relations interpersonnelles et des questions de justice. En fait, tant que les principes
330
Beauchamp et Childress, supra note 325 à la p. 373; Robert G. Lee et Derek Morgan, Human
Fertilisation & Embryology: Regulating the Reproductive Revolution, Londres, Blackstone Press Limited,
2001 à la p. 38.
331
Lee et Morgan, supra note 330 à la p. 38.
332
Hanson, supra note 318 à la p. 398; Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295 à la p. 11.
100
universels laissent de la place au jugement discrétionnaire et contextuel, l‘éthique de la
sollicitude ne s‘y oppose pas333. Il ne s‘agit donc pas de se passer de la justice334.
Pourtant, l‘éthique de la sollicitude n‘est pas sans risques aux dires de certains. Le
premier reproche lui étant fait est que la femme s‘en trouve maintenue sous domination
masculine car influencée par une volonté à faire le bien associée à un altruisme et une
auto-sous-estimation335. Cet argument provient du mouvement féministe même. Il se
fonde sur le fait que c‘est le rôle traditionnel des femmes, en tant que personnes
soucieuses et dépendantes, qui cause leur oppression et leur subordination336. Les appuis à
l‘éthique de la sollicitude rétorquent qu‘il ne s‘agit pas d‘une philosophie proposée
uniquement aux femmes, mais « qu‘elle vise aussi à développer «la part féminine» des
hommes »337. Ainsi, il n‘est pas question pour les femmes de vivre leur vie en tant
qu‘êtres indépendants, autonomes et sans obligations comme les hommes semblent le
faire, mais de promouvoir les valeurs du soin et de la dépendance338. Le fait que ces
critiques soient articulées par les féministes n‘est pas pertinent quant à la nature profonde
de la théorie de l‘éthique du "care" parce que des auteurs prônent littéralement un
abandon de la présentation de la sollicitude comme une éthique féminine339. Ce qu‘il nous
semble important de retenir est la caractéristique humaine de l‘éthique de la sollicitude.
333
Métayer, supra note 283 aux pp. 42-43; Beauchamp et Childress, supra note 325 aux pp. 371-372, 375.
Paperman, supra note 319 à la p. 429.
335
Hanson, supra note 318 à la p. 399; Voir également : Beauchamp et Childress, supra note 325 à la p.
375.
336
Herring, « Medical Law », supra note 291 à la p. 28.
337
Hanson, supra note 318 à la p. 399.
338
Herring, « Medical Law », supra note 291 à la p. 28.
339
C‘est notamment ce qu‘elle cherche à démontrer dans Joan C. Tronto, Moral Bounderies : A Political
Agument for an Ethic of Care, New York, Routledge, 1993 [Tronto, « Moral bounderies »].
334
101
Si l‘éthique de la sollicitude peut être désapprouvée vu une trop grande
interdépendance relationnelle, voir une ingérence excessive de la part de l‘agent moral,
débouchant à un étouffement de l‘autonomie de la personne en bénéficiant340, la seconde
réprimande majeure concerne corrélativement le caractère vague de la notion de souci. Il
peut en effet être avancé que ce ne sont pas toutes les relations de sollicitude qui sont
bonnes. Elles peuvent entraîner de la manipulation et de l‘oppression. Sans une
clarification de ce qu‘est une bonne attention de l‘autre cela peut difficilement constituer
la base d‘une approche éthique crédible341. La sympathie que l‘on cherche à susciter chez
l‘agent moral peut en effet être affectée de certaines carences pouvant provoquer l‘effet
inverse de celui désiré. Étant trop sensible, l‘agent peut préférer s‘éloigner pour ne pas
souffrir lui-même. Quant à la compassion, elle est susceptible de générer chez lui de la
pitié qui est problématique sur le plan moral car elle peut créer une position de supériorité
et cela peut entraîner un sentiment d‘humiliation chez la personne en étant l‘objet. D‘où
l‘utilisation du terme sollicitude puisque, en plus de la sympathie et de la compassion, elle
a vocation à provoquer un sentiment de responsabilité342. Même à cela, pour les
protagonistes, il s‘agit d‘une approche qui généralement faillit à fournir des règles légales
claires343.
Attendu que « the ethics of care needs one or more central concepts and a set of
bridging concepts to link it to the legitimate concerns of traditional theory »344, nous
remarquons au point 4 que, dans le domaine des nouvelles technologies de la
340
Hanson, supra note 318 à la p. 399.
Herring, « Medical Law », supra note 291 à la p. 28.
342
Métayer, supra note 283 aux pp. 41-42.
343
Garrison, supra note 58 à la p. 869.
344
Beauchamp et Childress, supra note 325 à la p. 374.
341
102
reproduction, la Commission royale traduisit l‘éthique de la sollicitude en huit principes
directeurs qui tentent de pallier à ces défauts. Nous ne pouvons pas prendre pour acquis
que l‘application qu‘en fit la Commission à chaque cas d‘espèce est juste, mais la forme
de sa réflexion s‘appuyant sur des principes directeurs a l‘avantage de faciliter la
compréhension de la notion de sollicitude en lui attribuant un contenu déterminé plus à
même de fournir des balises normatives claires. Avant de les analyser plus en profondeur,
établissons les bases de l‘éthique de la sollicitude au-delà des frontières relationnelles
individuelles.
3- L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE EN TANT QU’IDÉE POLITIQUE
L‘éthique de la sollicitude se présente avant tout comme un concept moral, mais
sa pratique constitue également une idée politique. Tel que requis par la nature des
rapports entre l‘enfant et la famille, cette conception de l‘éthique de la sollicitude repose
sur une analyse qui apprécie l‘importance de l‘interdépendance entre les différents acteurs
qui composent ce "groupe" particulier d‘individus.
Pour ce faire, il ne s‘agit pas que d‘importer un concept moral dans l‘ordre
politique. Significativement, y appliquer l‘éthique du "care" défie comment nous
concevons la justice sociale dans la prise de décision publique. La justice sociale est
basée sur l‘idée que tous les membres de la société ont un accès égal aux différents
bénéfices et opportunités que cette dernière offre et ce, peu importe leur position
103
sociale345. Nous pourrions considérer que le programme québécois de gratuité en matière
de procréation assistée346 répond à cette définition. Ceci étant, dans la sphère publique et
politique, nous devons également considérer les individus pour ce qu‘ils sont, c‘est-à-dire
des personnes distinctes et particulières, et non comme des êtres relationnels abstraits. Les
liens entre ces personnes doivent être moralement évalués et, lorsque cela s‘avère
approprié, une attention particulière et soucieuse doit être portée aux besoins de
chacun347. En l‘occurrence, nous pouvons présumer que des enfants sont indifférents à la
révélation du don d‘engendrement qui a permis leur naissance et ne pas souhaiter en
savoir plus sur leur géniteur, mais ce n‘est pas le cas de tous. Aussi, les acteurs du don
d‘engendrement sont intimement liés les uns aux autres biologiquement, socialement ou
affectivement. La conception politique de l‘éthique de la sollicitude défendue par Joan C.
Tronto permet ainsi de concrétiser dans la sphère politique des relations interpersonnelles
et des questions de justice les liens internormatifs entre l‘éthique de la sollicitude et le
droit en les appliquant à une plus grande échelle de la population en même temps348.
Certains affirment que la meilleure façon de balancer les intérêts en compétition
dans la problématique de l‘anonymat est de procéder à une analyse au cas par cas349.
345
Olena Hankivsky, Social Policy and the Ethic of Care, Vancouver/Toronto, UBC Press, 2004 à la p. 30.
Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée, L.R.Q. c. A-5.01;
Règlement modifiant le Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie, D. 645-2010, 7 juillet
2010, G.O.Q.2010.II.3283.
347
Virginia Held, The ethics of care: Personal, Political, and Global, Oxford, Oxford University Press,
2006 à la p. 130
348
Christian Hervé mentionne parallèlement que dans « le système en place, la dimension éthique à intégrer
dans l‘approche des problèmes de santé, associée à la gestion, est de l‘ordre du politique. La vision
adéquate est celle qui renforcera le plus le lien social, qui interpellera le plus nos conceptions de la
responsabilité, individuelle et collective, dans le respect des normes juridiques et sociales qui font l‘état de
droit, mais aussi des exigences humanitaires, éthiques. Christian Hervé, Éthique, politique et santé, Paris,
Presses Universitaires de France, 2000 à la p, 47.
349
Julie L. Sauer, « Competiting Interests and Gamete Donation: The Case for Anonymity », (2009) 39
Seton Hall L. Rev. 919 à la p. 945.
346
104
Cette façon de faire, si elle possède aussi une dimension relationnelle, puisque renvoyant
à la vision de l‘éthique de la sollicitude en tant que théorie morale, est à notre avis erronée
et incompatible avec une intervention du législateur en matière de procréation assistée et,
plus spécifiquement, pour encadrer l‘accès aux informations nominatives et identifiantes
concernant le donneur. Nous insistons sur ce point dans le chapitre préliminaire où nous
justifions la légitimité de l‘intervention étatique. Nous y spécifions qu‘en dépit du fait que
la grossesse et la naissance soient des événements biologiques, la reproduction est
davantage un processus social et politique350. En plus des modifications profondes
apportées au modèle familial depuis quelques années, la procréation assistée implique des
enjeux de société, où se trouvent souvent des droits et des intérêts contradictoires qui ne
peuvent pas être réglés qu‘au cas par cas. En l‘occurrence, qu‘arrive-t-il entre les droits
du donneur au respect de sa vie privée et le droit de l‘enfant d‘accéder à ses origines
lorsqu‘il en ressent le besoin? Quel équilibre trouver entre le libre choix du couple de ne
pas révéler son recours à un tiers donneur et l‘autonomie de l‘enfant qui s‘avère absente
puisqu‘il ne peut consentir à la situation? Les enjeux liés à la procréation assistée
concernent nombre de facettes de la sphère publique, le social, l‘éthique, le juridique, le
médical et l‘économique pour ne nommer que ceux-là, et requièrent un encadrement
uniformisé afin d‘aborder les questions et de résoudre les problèmes d‘une façon globale.
Ceci devant se faire sous l‘angle des relations interpersonnelles et interdépendantes.
Tronto suggère en ce sens que l‘éthique de la sollicitude possède les qualités
nécessaires afin de permettre aux citoyens en démocratie de vivre ensemble dans une
société pluraliste et que, corrélativement, ce n‘est que dans une société juste, pluraliste et
350
Mossman, supra note 61 à la p. 190; McDaniels, supra note 61 aux pp. 176-177.
105
démocratique que la sollicitude peut s‘épanouir. À cette fin, plusieurs conditions doivent
être réunies. Dans un premier temps, nous devons modifier notre vision de la nature
humaine au regard de l‘individu même et de ses relations avec autrui. Le simple fait que
la sollicitude soit un aspect fondamental de la vie humaine a de profondes implications
sur la prise de décisions politiques. Cela signifie que tous les êtres humains ne sont pas
pleinement autonomes et qu‘ils vivent en interdépendance. Puisque les individus sont
parfois autonomes, parfois dépendants et parfois en train de répondre aux besoins
d‘autrui, nous pouvons les qualifiés d‘interdépendants. Dans la lignée du raisonnement de
Jennifer Nedelsky351, ce qu‘il importe de retenir c‘est que la dépendance ne constitue pas
un obstacle à l‘autonomie de l‘individu. Il s‘agit plutôt de reconnaître que cela fait partie
de la nature humaine. Un des objectifs de l‘éthique de la sollicitude est justement de
mettre fin à cette dépendance et non d‘en faire un état permanent. En s‘intéressant à
l‘aspect interpersonnel et interdépendant des rapports humains, nous pouvons reconnaître
les intérêts et besoins de tous afin d‘y répondre et qu‘un épanouissement de la personne
soit possible. Partir de l‘hypothèse que nous sommes interdépendants implique de se
demander comment nous pouvons résoudre des problèmes d‘atteinte à l‘autonomie. Cette
interdépendance va de pair avec la reconnaissance qu‘il n‘y a pas que des intérêts qui sont
en jeu, mais également des besoins. C‘est une approche qui implique une dimension
interactive menant à un engagement moral des individus formant la communauté. Enfin,
cette réflexion nous conduit à la seconde condition, à savoir que certaines préoccupations
ne doivent pas demeurer que la responsabilité individuelle d‘individus, mais sont des
enjeux de société352.
351
352
Voir Nedelsky, supra note 293.
Tronto, « Moral bounderies », supra note 339 aux pp. 161-166.
106
Subséquemment, l‘éthique de la sollicitude se distingue des théories politiques
libérales qui influencent majoritairement notre vision contemporaine de la justice de par
leurs prémisses constitutives. Les théories libérales de la justice se fondent principalement
sur l‘autonomie et l‘égalité des êtres humains. Dans leur forme la plus classique, elles
débutent en imaginant un nombre d‘individus égaux et autonomes se rassemblant pour
former une société politique adhérant à un contrat social. Les principes de justice émanent
parallèlement du fait que tous les individus agréent raisonnablement à ce contrat social et
assument pleinement et volontairement les obligations qui en découlent. L‘éthique de la
sollicitude prend quant à elle ses assises dans l‘idée que des individus existent déjà dans
cette société et qu‘ils sont dépendants les uns des autres pour leur survie, leur
développement et leur fonctionnement social. Du fait de leur interdépendance, ils doivent
tous faire face à des obligations qu‘ils n‘ont pas choisies. En résulte, pour tous les
individus capables, un engagement de sollicitude à l‘égard de ceux ayant des besoins. Les
théories libérales intègrent une dimension relationnelle de sollicitude, mais la différence
majeure est que cette dernière demeure limitée à la responsabilité individuelle sans
intervention extérieure, notamment de l‘État, alors que l‘éthique du souci d‘autrui
s‘attarde à en faire une question visant toutes les personnes. Cela se remarque par
exemple dans les enjeux touchant l‘éducation, les soins de santé, les personnes âgées où
une intervention collective apparaît nécessaire353. Cette vision des choses rejoint celle de
Jennifer Nedelsky qui prône un changement de regard sur l‘autonomie. De l‘avis de
353
Daniel Engster, The heart of justice : care ethics and political theory, Oxford, Oxford University Press,
2007 aux pp. 7-9.
107
l‘auteure, cette dernière ne se réalise pleinement que si elle est considérée dans un
contexte relationnel354.
D‘ailleurs, comme nous l‘introduisons en début de section, c‘est le concept même
d‘autonomie qui permet d‘établir la nature des relations entrant en ligne de compte dans
la problématique sur l‘anonymat et auxquelles nous appliquons l‘éthique de la sollicitude.
C‘est dans cette perspective relationnelle que l‘autonomie prend un sens dans le contexte
de l‘anonymat. En effet, nous constatons au chapitre 2 que l‘autonomie de l‘enfant est
fréquemment invoquée en faveur de la reconnaissance d‘un droit aux origines. L‘enfant,
n‘ayant pas choisi de naître des suites d‘un don de gamètes ou d‘embryons, en lui
imposant l‘anonymat, peut en effet se voir contraint par des barrières dans le
développement de son identité dont le géniteur serait une part intégrante. Cela porte ainsi
atteinte à son autonomie personnelle dans le développement de son identité355.
Pourtant, cette autonomie de l‘enfant se distingue à deux niveaux. En premier lieu
dans le rapport parents – enfant puis dans le lien géniteur – enfant. Une distinction est de
ce fait requise entre le secret quant au mode de conception et l‘anonymat des donneurs.
Certains se demandent même s‘il ne s‘agit pas des deux composantes d‘un même droit
puisqu‘il y aurait une incohérence entre la reconnaissance d‘un droit de l‘enfant d‘obtenir
des renseignements nominatifs ou identifiants sur son géniteur et l‘absence préalable d‘un
354
Nedelsky, supra note 293 aux pp. 7-8.
Glenn McGee, Sarah Vaughann Brakman et Andrea D. Gurmankin, « Gamete donation and anonymity :
disclosure to children conceived with donor gametes should not be optional », (2001) 16 :10 Human
Reproduction 2033 à la p. 2035.
355
108
droit de savoir son mode de conception356. Dans ces circonstances, y a-t-il une atteinte à
l‘autonomie de l‘enfant dans la mesure où l‘enfant ne connaît même pas la situation? A
priori oui. Comment peut-on exercer un droit, aussi potentiel soit-il, si on ne nous en
donne pas l‘opportunité? Ces sont des questions nous permettant d‘illustrer que l‘enfant
constitue le centre de gravité des relations intervenant entre les acteurs du don
d‘engendrement lorsqu‘il s‘agit de la question de l‘anonymat.
Tronto considère ultimement qu‘il y a une fausse dichotomie entre la sollicitude et
la justice. Cette dichotomie part de la présomption que la sollicitude est particulière et la
justice universelle. Malgré cela, toute théorie de la justice est incomplète si elle n‘intègre
pas une part de sollicitude. La relation existant entre ces deux notions doit en être une de
compatibilité et non d‘hostilité. Les qualités à la base de la sollicitude, l‘attention
(reconnaissance des besoins des autres), la responsabilité (faire pour les autres ce qu‘ils
feraient pour nous), la compétence (qualité du travail dans l‘exécution de la sollicitude) et
la capacité de répondre à une situation (tenter de comprendre la position de l‘autre telle
qu‘elle est exprimée), doivent conséquemment servir de guides à notre comportement en
tant que citoyens. Elles nous dirigent vers une politique au cœur de laquelle il y a une
discussion publique des besoins et une appréciation honnête de l‘intersection de ces
derniers avec les intérêts des individus357. Corrélativement, la quête d‘objectivité qui
caractérise l‘éthique des droits vient limiter une trop grande ingérence du sentiment dont
356
Lucy Frith, « Beneath the rhetoric: The role of rights in the practice of non anonymous gamete
donation », (2001) 15: 5/6 Bioethics 473 aux pp. 476-477 [Frith, « Rhetoric »].
357
Tronto, « Moral bounderies », supra note 339 aux pp. 166-172; Dans le même sens, voir : Hankivsky,
supra note 345; Ainsi, « Just as an effective legal system and well-functioning democratic institutions seem
to rest on the social connectedness that civil society can provide it can be argued that respect for human
rights and for principles of justice presume some degree of caring relation between persons. » Held, supra
note 347 à la p. 132.
109
est faite l‘éthique de la sollicitude. Cela est en définitive rendu possible par notre recours
à l‘internormativité qui met en place les conditions nécessaires à un dialogue entre la
règle de droit positif et l‘éthique de la sollicitude.
Certains affirment au contraire que l‘éthique de la sollicitude présente des limites
politiques empêchant qu‘elle soit utilisée dans le contexte des technologies de la
reproduction. C‘est ce que cherchent à démontrer Carol Bacchi et Chris Beasley en
appuyant leur position sur trois principaux arguments. Les auteurs avancent tout d‘abord
que la concentration première de l‘éthique de la sollicitude sur la moralité
interpersonnelle (dans une dimension interactive un à un) et le développement moral
individuel de ses partisans met en place une limite à son utilité politique. Les auteurs
ajoutent qu‘ils trouvent la distinction entre le caractère moral individuel et interpersonnel,
et la création de règles inutile car des normes morales continuent d‘être crées dans la loi
et différentes législations. Les développements en biotechnologie ont mené à une
prolifération des règles émanant soit de comités d‘éthique institutionnels ou autres, de
commissions royales, etc. Établir une barrière entre une vision morale d‘un côté et des
procédures ou des règles d‘un autre côté ne laisse que peu d‘espace à la réflexion sur les
conditions que pourraient produire des décisions politiques éthiques dans ce domaine. Le
deuxième argument est lié à la nature même de l‘éthique de la sollicitude. Il semble en
effet difficile, de l‘avis de Carol Bacchi et de Chris Beasley, de passer d‘un souci et d‘un
sentiment de responsabilité pour une personne en particulier à leur extension pour des
étrangers. Croire que cela est possible suggère que toutes formes de connexion sont
concevables et transférables, ce qui peut être difficile à défendre. Enfin, la confiance
répétée à des sentiments tels que la sympathie et la compassion donne à l‘éthique de la
110
sollicitude un caractère normatif trop étroit. Ce qui est problématique vu l‘imprécision du
terme "sollicitude". La conséquence de la conjonction entre le caractère prescriptif de la
morale et le sens vague de la sollicitude est parfois des résultats politiques douteux. En
définitive, la quête d‘un contenu normatif dans le paradigme de la sollicitude est en
conflit avec la prétention selon laquelle cette éthique insiste sur l‘importance du contexte
dans le cadre d‘une prise de décision éthique358.
Nous ne sommes pas d‘accord avec cette position. Nous avons largement
démontré dans notre chapitre préliminaire que les nouvelles technologies de la
reproduction en général, et plus spécifiquement l‘anonymat des dons de gamètes et
d‘embryons, constituent des enjeux de société requérant l‘intervention du législateur. Son
rôle est de déterminer les pourtours du don d‘engendrement, que cela mène ou non à une
règle de droit. Dans le dernier cas, en découle un libre choix des individus. Néanmoins,
cela ne peut demeurer que dans la sphère privée des individus et doit au préalable passer
par une évaluation faite par le législateur. Dans ce contexte, l‘essence de l‘éthique de la
sollicitude consiste en la maximisation du sentiment de responsabilité suscité à l‘égard
d‘autrui; ce sentiment ne se situant pas qu‘au niveau du processus décisionnel personnel,
mais également à celui des autorités publiques359. En instaurant l‘éthique de la sollicitude
en idée politique, nous ne créons pas une barrière face à la règle de droit. Nous cherchons
au contraire à l‘abattre en étudiant les phénomènes d‘internormativité existant ces deux
types de norme. Certains pourraient argumenter que cet autrui à l‘égard duquel on se fait
du souci, dans le cas de l‘anonymat des dons d‘engendrement, ne peut pas faire l‘objet
358
Bacchi et Beasley, supra note 125 aux pp. 175-177.
Patrick Healy, « Statutory Prohibitions and the Regulation of Reproductive Technologies under Federal
Law in Canada », (1994-1995) 40 R.D. McGill 905 à la p. 911.
359
111
d‘une généralisation. Chaque enfant né d‘un don vit différemment sa quête d‘origine.
Tout comme nous pouvons nous demander si le fait de donner accès aux informations
identifiantes est obligatoirement dans le meilleur intérêt de l‘enfant. Il s‘agit d‘un critère
difficile à évaluer qui est ordinairement appliqué au cas par cas. Une généralisation
minimale est néanmoins nécessaire à l‘intervention du législateur et cela n‘empêche pas
de s‘intéresser au contexte particulier d‘un certain groupe de personnes visées par la règle
de droit et présentant des caractéristiques communes. Il s‘agit en l‘espèce de la quête
d‘identité et des origines et ce, même si ce besoin peut être ressenti à des niveaux
variables au sein du groupe.
Un auteur remarque que la Commission royale sur les nouvelles techniques de
reproduction a reconnu que, lorsque décrite en des termes généraux, l‘éthique de la
sollicitude n‘est que de peu de secours prescriptif afin de prendre des décisions pratiques
sur des enjeux spécifiques360. Aussi, afin d‘atteindre son but, c‘est-à-dire faciliter
l‘épanouissement des rapports humains en cherchant à favoriser la dignité humaine et le
bien-être de la collectivité361, la Commission royale se dota de huit principes directeurs
devant guider les actions prise au nom de l‘éthique de la sollicitude362. Nous en voyons
l‘utilité au point 2 et soulignons en introduction de la présente section que dans le cadre
d‘une théorique politique pareille démarche a été soutenue dans la littérature 363. Il est ici
intéressant de constater que la dignité des personnes, rejetée au chapitre préliminaire
comme seul critère d‘analyse face aux intérêts divergents des individus en matière
360
Ibid.
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à
la p. 60.
362
Voir : Ibid. aux pp. 52-65.
363
Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295 aux pp. 32 et ss.
361
112
d‘anonymat, fonde l‘éthique de la sollicitude. Plus encore, nous notons au point 4 qu‘elle
est l‘un des principes directeurs de la Commission royale.
Sans s‘intéresser spécifiquement à l‘approche développée par la Commission
royale, une autre auteure souligne en ce sens que des principes sont importants à toute
philosophie fondée sur l‘éthique de la sollicitude. Ils sont nécessaires au développement
d‘une éthique qui soit publiquement défendable. Ce qui retient notre attention c‘est
qu‘elle opère un parallèle avec l‘éthique de la justice :
« I am not proposing that we simply fit the care ethic into pre-existing
principles of justice; rather, I am suggesting that, if we take the care ethic
seriously, then its values have the potential to transform our understanding
and approach to principles. Principles do not necessarily have to be seen
as impersonal, abstract and rigid rules. And they are not necessarily
synonymous with a justice orientation. Properly conceived, principles
have the capacity to explicitly encompass the aims and objectives of a care
ethic. […] [They] can inform a different, more flexible framework for
social policy. »364
De sa réflexion découlent trois grands principes. Tout d‘abord, la sensibilité contextuelle
qui implique de tenir compte de l‘être en entier et de l‘influence du contexte dans son
développement personnel. Nous retrouvons ici la difficulté de la généralisation du
sentiment de sollicitude pour qu‘il soit applicable en matière de politique sociale. À ce
propos, l‘auteure spécifie que cela ne devrait pas nous empêcher d‘appliquer une
sensibilité contextuelle à un groupe de personnes auquel l‘individu appartient ou auquel il
s‘identifie. Nous nous retrouvons alors en face d‘une pluralité d‘identités, mais dans
l‘espace politique, identité et statut sont souvent directement connectés à l‘appartenance à
un groupe ayant des déterminants sociaux et des expériences de vie semblables. Le but de
364
Hankivsky, supra note 345 à la p. 32.
113
la démarche est de nous permettre de nous demander les besoins de qui sont examinés,
dans quelles circonstances et par qui. Cela doit, en second lieu, être combiné avec une
capacité d‘écoute et de réponse aux besoins de l‘autre. Ce critère, déjà énoncé par
Toronto, renvoie à un engagement mutuel dans le cadre duquel les participants peuvent
décider quelle partie de leur vie fera partie de la discussion. Au-delà de la généralisation
des expériences par les décideurs, il s‘agit de comprendre les personnes vulnérables
affectées par le processus de prise de décision avec leurs propres termes. Ces dernières
sont directement intégrées dans la réflexion afin de comprendre pourquoi elles expriment
ces besoins. Finalement, il faut avoir un souci des conséquences liées à nos choix
normatifs. Cela vise notamment à éviter les inégalités365.
Il s‘agit en définitive d‘une démarche appropriée dans la problématique de
l‘anonymat où au moins trois groupes entrent en interaction : les parents, les donneurs et
les enfants. Tous ressentent et vivent différemment le processus, mais ils ont des
caractéristiques fondamentales communes qui concernent leur expérience; les donneurs
d‘avoir fait un don, les parents d‘y avoir eu recours et les enfants de possiblement
chercher à savoir. Dans ces circonstances, l‘éthique de la sollicitude a le très grand
avantage d‘amener dans la balance la prise en considération des particularités de chacun.
La généralisation n‘apparaît qu‘à la conclusion, mais tout au long de la réflexion les
points de vue des donneurs, des parents et des enfants sont tous considérés. Les principes
directeurs, constituant la base analytique de l‘éthique de la sollicitude, nous fournissent
alors des points cardinaux grâce auxquels nous pouvons équilibrer les besoins et les
intérêts de tous.
365
Ibid. aux pp. 32-39.
114
Qu‘en est-il des principes directeurs issus de la Commission royale qui concernent
directement l‘application de l‘éthique de la sollicitude aux nouvelles techniques de
reproduction? Dans quelle mesure constituent-ils une base d‘analyse dans le cadre de la
problématique sur l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons?
4- LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA COMMISSION ROYALE SUR
LES NOUVELLES TECHNIQUES DE REPRODUCTION
Ces préceptes furent repris et expliqués par le Groupe de travail interministériel
sur l‘éthique en biotechnologie dans son document Renouvellement de la Stratégie
canadienne en matière de biotechnologie – Consultations en tables rondes366. Nous les
reproduisons tels quels dans le tableau ci-dessous :
HUIT PRINCIPES DIRECTEURS S’APPLIQUANT AUX POLITIQUES
SUR LES NOUVELLES TECHNIQUES DE REPRODUCTION367
PRINCIPES
DIRECTEURS
DESCRIPTION
1. Autonomie de
l’individu
Toute personne est libre de choisir son mode de vie, surtout en ce qui touche à son
corps et à ses choix fondamentaux portant, par exemple, sur sa santé, sa famille, sa
sexualité et son travail. Ce principe exige que tous les membres de la société soient
en mesure de prendre des décisions éclairées et donc qu‘ils soient informés des
résultats, des risques et des avantages pouvant découler de leurs choix.
2. Égalité
Tous les membres de la communauté ont droit à la même considération et au même
respect. Ce principe exclut toute pratique sociale qui reflète ou perpétue l‘idée selon
laquelle la vie de certaines personnes vaut moins que celle d‘autres personnes; il
exige qu‘on tienne compte des intérêts et des points de vue des Canadiens et des
Canadiennes dans toute leur diversité, ce qui implique (par exemple) qu‘on accorde
366
Ted Schrecker et al., « Biotechnologie, Éthique et Gouvernement : Rapport au Groupe de travail
interministériel sur l‘éthique », dans Groupe de travail interministériel sur l‘éthique en biotechnologie,
Renouvellement de la Stratégie canadienne en matière de biotechnologie – Consultations en tables rondes,
Ottawa, Hiver 1998, 159, En ligne : <http://strategis.ic.gc.ca/pics/bhf/biotechf.pdf> (Date d‘accès : 20
juillet 2009).
367
Ibid. à la p. 252; Inspiré par les auteurs de Commission royale sur les nouvelles techniques de
reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 aux pp. 62-66.
115
une attention toute particulière à l‘impact des nouvelles techniques de reproduction
sur les femmes, les minorités raciales et ethniques, les Autochtones, les handicapés et
les lesbiennes. L‘accès équitable aux services publics comme les soins de santé et
l‘éducation découle de ce principe.
3. Respect de la
vie et de la dignité
humaine
Toutes les formes de vie humaine (et les tissus humains en général) doivent être
traités avec sensibilité et respect et non avec cynisme ou indifférence. Cela inclut les
zygotes, les embryons et les fœtus; bien que la loi ne les considère pas comme des
personnes, ils sont liés à la communauté par leurs origines et leur devenir potentiel.
4. Protection des
personnes
vulnérables
La vulnérabilité est liée aux inégalités de pouvoir; on doit accorder une attention
particulière au bien-être des personnes qui sont moins en mesure de subvenir à leurs
propres besoins ou qui sont exposées à l‘exploitation pour diverses raisons.
L‘exemple le plus commun est le bien-être des enfants. La société a la responsabilité
de faire en sorte que cette vulnérabilité soit réduite lorsque c‘est possible et que les
personnes vulnérables ne soient pas manipulées ou contrôlées par ceux qui sont en
position de pouvoir ou d‘autorité.
5. Noncommercialisation
de la
reproduction
La commercialisation est l‘échange d‘argent ou de biens dans le but de créer un profit
ou un bénéfice. La réification est le fait de traiter des êtres humains ou des substances
organiques et des tissus comme des marchandises, c‘est-à-dire comme des moyens
permettant d‘arriver à un but, et non comme des buts en soi. La commercialisation
implique donc nécessairement une réification, mais pas l‘inverse.
Les décisions relatives à la reproduction humaine ne doivent pas découler de
motivations commerciales ; la réification d‘êtres humains ou de leur corps à des fins
commerciales est inacceptable. Cependant, on peut penser que les intérêts
commerciaux peuvent jouer un rôle légitime dans certains domaines des soins de
santé relatifs à la reproduction dans les contextes où toute réification abusive des
tissus humains est impossible.
6. Utilisation
appropriée des
ressources
Comme les besoins sont multiples et les ressources limitées, celles-ci doivent être
utilisées de façon avisée et efficace; en effet, toute forme d‘utilisation des ressources
visant à apporter des avantages à certaines personnes fait qu‘elles ne peuvent plus
être utiles à d‘autres personnes d‘une autre façon. La société doit établir ses priorités
en matière de soins de santé, par exemple, et s‘efforcer de les maintenir même dans
des périodes politiquement ou économiquement difficiles.
7. Imputabilité
Ceux qui sont en possession d‘un pouvoir, qu‘il s‘agisse du gouvernement, de la
médecine, de la technologie ou d‘autres domaines d‘activité, sont responsables de
l‘usage qu‘ils font de ce pouvoir. Une profession médicale auto réglementée, même si
elle doit agir dans le sens de l‘intérêt public, n‘est pas nécessairement la mieux placée
pour évaluer les implications sociales, éthiques et économiques des nouvelles
techniques de reproduction et pourrait ne pas être suffisamment imputable face aux
personnes qu‘elle doit desservir.
8. Équilibre entre
les intérêts
individuels et
collectifs
Il est souhaitable de protéger à la fois les droits individuels et collectifs; les droits
individuels ne doivent pas automatiquement l‘emporter sur les intérêts collectifs, ni
l‘inverse. Il faut évaluer les intérêts individuels des femmes ou des couples qui
souhaitent recourir à des services de conception médicalement assistée ou de
diagnostic prénatal (par exemple) par opposition aux intérêts collectifs de la société
dans son ensemble et de groupes identifiables à l‘intérieur de la société comme par
exemple les femmes, les enfants, les handicapés et les membres de minorités raciales
ou ethniques. [Ce principe est explicitement reconnu à l‘article 1 de la Charte des
droits et libertés.]
116
Quant à l‘élaboration de ces principes, l‘application de l‘éthique de la sollicitude
étant floue au-delà de son objectif, la Commission royale sur les nouvelles techniques de
reproduction précise qu‘ils furent définis selon un rapport particulier avec son mandat et
permettant de prendre des décisions qui incarnent l‘idéal du souci d‘autrui. Ils
proviennent de la théorie morale en générale et de l‘éthique biomédicale en particulier en
se distinguant de ceux issus de la bioéthique qui s‘intéressent d‘abord à la relation
médecin/patient. Puisque chacun correspond à une préoccupation légitime que peuvent
avoir les personnes ou les groupes qui sont touchés par l‘emploi des nouvelles techniques
de reproduction, pour les appliquer nous devons établir leur identité et voir en détail les
conséquences que chaque décision ou recommandation. Les principes directeurs peuvent
se recouper entre eux, mais nulle hiérarchie n‘est effectuée. Leur application, faite dans
un esprit d‘interdépendance des intérêts opposés, est unique à chaque problématique issue
de la procréation assistée368.
L‘approche de la Commission royale fit elle aussi l‘objet de critiques. Des travaux
importants portant sur la littérature féministe sur la reproduction et les technologies de la
reproduction furent ignorés par les rédacteurs du rapport final369. Ou encore, des
considérations provenant des féministes présentant certaines réserves à l‘égard des
technologies de la reproduction y sont diluées par l‘emploi de termes tels que « certaines
368
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63
aux pp. 61 et 68.
369
Annette Burfoot, « In appropriation – A critique of Proceed with care Final report of the Royal
Commission on new Reproductive Technologies », (1995) 18:4 Women’s Studies International Forum 499
à la p. 500; Par exemple: Rita Arditti, Renate Duelli Klein et Shelley Minden, dir., Test-tube women,
London, Pandora, 1984; Gena Corea, The mother machine, London, Women‘s Press, 1988; Renate Klein,
dir., Infertility. London, Pandora, 1989; Janice Raymond, Women’s wombs, San Francisco, Harper, 1993;
Patricia Spallone et Deborah Steinberg, dir., Made to order, London, Pergamon, 1987.
117
femmes croient ou pensent »370. Ces avis, s‘ils ne doivent pas être totalement ignorés,
n‘occupent pas une place si importante puisque l‘éthique de la sollicitude ne doit pas être
catégorisée comme une éthique féminine. C‘est plutôt une façon de penser axée sur l‘être
humain et où les principes de justice doivent tenir compte des besoins et de la situation de
chacun.
Les reproches les plus importants concernent l‘interprétation et l‘application qu‘a
faite la Commission royale de l‘éthique de la sollicitude. Les principes directeurs qu‘elle
a retenus sont grandement inspirés du rapport que lui remis Will Kymlicka371. Suite à la
remarque que nous avons faite en introduction de la présente section, relativement au fait
que les principes intermédiaires proposés par l‘auteur découlent des points communs qu‘il
a établis entre les doctrines morales majoritaires, nous pourrions être portés à croire que
l‘interprétation de la Commission ne découle pas purement de l‘éthique de la sollicitude.
Dans le même sens, il fut littéralement souligné que la façon dont la Commission royale a
construit et appliqué l‘éthique du souci d‘autrui en réduit le concept à celui de la
bienfaisance en bioéthique372. « The Commission‘s ethic of care is not oriented to
listening […] ‗others‘ and their own expression of their need and desires. Its emphasis on
care, without seeking to know the definition of ‗good‘ espoused by the ‗other‘, is
beneficent, but highly paternalistic »373. Elle fut chapitrée de ne pas avoir expliqué le
développement de ses principes directeurs pas plus que leur relation avec l‘éthique de la
370
Burfoot, supra note 369 à la p. 500.
Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295.
372
Rachel Ariss, « The Ethic of Care in the Final Report of the Royal Commission on New Reproductive
Technologies », (1996-1997) 22 Queen‘s L.J. 1 aux pp. 3, 18 et 21; Sur le sujet, voir : B.M. Dickens, « Un
cadre pour l‘analyse éthique en reproduction. Rapports avec les systèmes légaux », dans Claude Sureau et
Françoise Shenfield, Aspects éthiques de la reproduction humaine, Paris, John Libbey Eurotext, 1995, 33 à
la p. 41.
373
Ariss, supra note 372 à la p. 48.
371
118
sollicitude. Ils n‘ont pas d‘ordre d‘importance et pointent fréquemment dans des
directions différentes nous dit une auteure374. Ces principes furent tous considérés
simultanément et classés sous la rubrique sollicitude de sorte que le groupe d‘experts
n‘eut pas à admettre sa préférence pour certains d‘entre eux plutôt que pour d‘autres375.
Nous ne croyons pas que cela invalide pour autant la théorie de la sollicitude
développée par la Commission royale. À la lecture des principes directeurs qu‘elle a
définis, nous constatons effectivement que chacun reflète une préoccupation que peuvent
avoir les personnes ou les groupes qui sont touchés par l‘emploi des nouvelles techniques
de reproduction. Patrick Healy reprocha à la Commission de ne pas avoir abordé certains
enjeux de la procréation assistée, comme l‘eugénisme ou les limites de l‘autonomie
reproductive376. Nous nous permettons néanmoins de nous demander si cette faiblesse
découle vraiment de la validité de l‘approche retenue ou si cela est dû à un manque de la
part de la Commission royale dans l‘étendue de son champ de réflexion. C‘est-à-dire en
n‘analysant tout simplement pas certaines problématiques. Nous pouvons retrouver un
écho de ces enjeux dans les principes directeurs qu‘elle a adoptés. Le vice provient plutôt
de l‘absence de prise de position quant à ces problématiques. Ainsi, ce à quoi il faut
porter attention c‘est à la façon d‘appliquer les principes directeurs dans la quête de
solutions afin de concilier des intérêts en présence. Entrent alors en ligne de compte les
trois lignes directrices d‘une approche politique de l‘éthique de la sollicitude : la
sensibilité contextuelle en identifiant les personnes ou groupes de personnes concernés
par la problématique, une écoute des besoins exprimés et un souci des conséquences d‘un
374
Garrison, supra note 58 à la p. 869; Voir également: Ariss, supra note 372 aux pp. 8 et 21.
Ariss, supra note 372 à la p. 8.
376
Healy, supra note 359 aux pp. 912-913.
375
119
choix normatif. En l‘occurrence, l‘analyse du chapitre 2 présente une analyse structurelle
de la problématique des donneurs permettant d‘identifier ces éléments.
D‘ailleurs, la Commission royale elle-même admit que l‘éthique de la sollicitude
ne peut résoudre tous les conflits en obtenant un consensus unanime de tous les
intervenants. Cette approche implique forcément la préférence de certains principes et la
subordination ou l‘exclusion de d‘autres. Certains argumentent corrélativement que
l‘adoption de huit principes directeurs ne résout en rien l‘ambivalence de l‘éthique de la
sollicitude afin de justifier les décisions prises par la Commission. En fait, nous dit
Patrick Healy, l‘ambiguïté de l‘éthique de la sollicitude est telle que certaines
recommandations de la Commission ne peuvent être justifiées de manière satisfaisante
par renvoi direct à cette dernière. Dans le rapport, il est par exemple préconisé que les
gamètes et les embryons ne soient pas l‘objet du commerce, mais il n‘est pas précisé que
la création d‘embryons uniquement à des fins de recherche devrait être interdite. Ou
encore, certaines conclusions de la Commission pourraient tout aussi bien être contredites
en vertu de l‘éthique de la sollicitude377. C‘est une position que défend également
Kymlicka lorsqu‘il précise que l‘éthique du souci d‘autrui existe en plusieurs versions :
« [p]ar exemple, certains adepte de cette morale soutiennent que si l‘on
privilégie les relations aux dépends des droits concurrents, les pouvoirs
publics doivent alors considérer la femme enceinte et le fœtus comme ne
faisant qu‘un et ne pas limiter des droits de la femme au nom du fœtus. En
revanche, d‘autres affirment qu‘à cause de l‘accent mis sur les relations et
les responsabilités, il faudrait que la loi impose à la femme enceinte le
« devoir » de protéger le fœtus. »378
377
378
Ibid. aux pp. 911-914.
Kymlicka, « Positions de principe », supra note 295 à la p. 11.
120
Pouvons-nous en dire autant dans le cas de l‘anonymat? Non. L‘analyse que nous faisons
de la problématique au chapitre 2, en application des principes directeurs adoptés par la
Commission, nous permet d‘en arriver à une conclusion équilibrée où les intérêts des
parties sont jaugés à leur juste valeur. Les principes retenus à cette fin sont étudiés sous
plus d‘un angle, allant parfois dans des directions opposées, mais c‘est dans la recherche
d‘un équilibre que la balance trouve pleinement son sens.
Notre objectif n‘est pas d‘analyser le travail de la Commission royale sur les
nouvelles techniques de reproduction ou l‘usage qu‘elle fit de l‘éthique de la sollicitude
dans l‘établissement de ses recommandations. Nous désirons plutôt nous en inspirer pour
l‘intégrer dans notre démarche où le droit vit dans un pluralisme normatif certain et où les
phénomènes d‘internormativité permettent la mise en place de ponts entre les différentes
normativités. Les principes directeurs détaillés ci haut demeurent à notre avis une bonne
base pour analyser les rapports entre individus puisqu‘ils décrivent de façon détaillée les
différents points sensibles intervenant au carrefour des relations entre les acteurs d‘un don
de gamètes ou d‘embryons. Notre défi est donc d‘en constater l‘articulation et la
manifestation dans la problématique de l‘anonymat des donneurs ainsi que dans les lois
lui étant applicables. Parmi ceux-ci l‘autonomie de l‘individu, l‘égalité, la protection des
personnes vulnérables et l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs sont ceux
qui nous semblent pertinents compte tenu de la nature des arguments invoqués afin de
soutenir le secret ou la révélation du mode de conception dans la relation parents – enfant
ou pour ou contre l‘anonymat au cœur du lien donneur – enfant.
121
En conclusion, à la lumière des cinq critères de la juridicité retenus par Guy
Rocher, dont nous avons fait l‘inventaire en section 1 dans la distinction entre un ordre
juridique et un ordre normatif, l‘éthique de la sollicitude constitue un ordre normatif. De
fait, dans l‘hypothèse d‘une éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique avec des
principes directeurs spécifiques aux techniques de reproduction, nous pouvons peut-être
affirmer qu‘il s‘agit là d‘un ensemble de règles auquel les membres d‘une unité sociale
particulière, en l‘occurrence les professionnels et personnes ayant recours à la procréation
assistée, reconnaissent au minimum une contraignabilité théorique. Néanmoins, s‘il est
possible d‘identifier des agents ou des appareils reconnus dans l‘unité sociale comme
étant spécialisés pour élaborer ou modifier, interpréter et appliquer ou faire respecter des
règles plus précises qui permettront d‘exercer un contrôle sur les activités de la
procréation assistée (e.g. les membres de l‘Agence canadienne de contrôle de la
procréation assistée), les principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude s‘en
distinguent. Ils sont prédéterminés et doivent plutôt guider l‘adoption de règles plus
précises par des agents ou appareils afin qu‘un contrôle soit exercé.
D‘autre part, si nous analysons le cadre théorique éthique choisi en fonction de la
définition de la norme que nous avons retenue, il relève davantage de la méthode
réflective. Cela signifie que l‘éthique de la sollicitude est effectivement normative.
Toutefois ses principes directeurs, ceux-ci ayant été proposés par la Commission Royale
afin d‘encadrer les nouvelles technologies de la reproduction, prennent ultimement la
forme d‘un discours, certes explicite, mais qui est descriptif et qui permet d‘évaluer ou de
mesurer la conformité des actes relevant de la procréation assistée à ces mêmes principes.
122
Le référent non obligatoire des conclusions faites à la lumières de la sollicitude confère à
cette dernière son caractère réflectif.
La section 2 démontre pourquoi l‘éthique de la sollicitude est une approche
théorique pertinente à l‘analyse de l‘influence éthique dans l‘évolution de la règle de droit
applicable à l‘anonymat des dons d‘engendrement. Ainsi, ayant établi que cette approche
constitue un ordre normatif existant dans l‘univers pluriel de la normativité, nous
postulons consécutivement qu‘elle est en relation d‘internormativité avec le droit.
SECTION 3 : DES PHÉNOMÈNES D’INTERNORMATIVITÉ
L‘internormativité est l‘instrument théorique approprié pour le sujet traité dans
cette thèse. Il crée un pont entre les deux normativités et nous permet d‘étudier l‘impact
de l‘éthique de la sollicitude sur l‘évolution de la règle de droit. De manière générale, il
s‘agit dès lors « de saisir, par une appréhension du jeu des logiques juridiques avec le
social, les processus d‘interaction qui s‘établissent entre logiques juridiques et logiques
politiques, économiques, sociales, technologiques »379. Si des contradictions et des
incohérences existent entre ces logiques normatives, elles participent avec le droit au
système de régulations sociales380 et apparaissent dans un étroit rapport de concurrence ou
de complémentarité381.
379
Commaille et Perrin, supra note 154 à la p. 127.
Ibid. aux pp. 127-128; Voir également : Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 317; Belley,
« Métaphore », supra note 162 à la p. 16.
381
Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 315.
380
123
Nous affirmons plus précisément que, dans le contexte de la procréation assistée et
de l‘anonymat des dons d‘engendrement, c‘est le législateur qui doit déterminer l‘étendue
du cadre normatif applicable, utilisant la règle de droit comme outil de gouvernance
lorsque nécessaire. Celui-ci ne peut néanmoins faire fi de la dimension éthique de la
problématique. En l‘occurrence, sous l‘angle de la sollicitude qui constitue une méthode
réflective avec ses principes directeurs devant guider et potentiellement influencer le
législateur dans son processus de décision quant à l‘évolution de la norme de droit. Cela
nous amène à nous interroger sur la nature exacte des mécanismes internormatifs
s‘articulant autour de ces deux normativités.
Une rupture avec la théorie dogmatique du droit, découlant de la "crise du droit" et
cherchant à briser cette entité monolithique et cohérente en une infinité d‘atomes aux
combinaisons aléatoires, nous force d‘abord à constater que ce sont des rapports
internormatifs complexes qu‘entretiennent globalement l‘éthique et le droit382. Nous
pouvons a priori dire qu‘ils sont en réciprocité. L‘éthique appréhendant le droit et le droit
appréhendant l‘éthique383 à la différence que la règle de droit est capable de s‘approprier
n‘importe qu‘elle autre règle sociale, mais que l‘inverse n‘est point vrai384. Cela
découlerait de la neutralité ou plasticité du droit385.
Alors que nous défendons la primauté de la règle de droit dans le cas d‘espèce
lorsque requise, il ne s‘agit pas seulement pour elle de s‘approprier les normes issues de
382
Ibid. à la p. 331; Cette image employée par Carbonnier n‘est pas sans rappeler celle du droit soluble de
Belley. Belley, « Métaphore », supra note 162 aux pp. 7 et suivantes.
383
Monnier, supra note 93 à la p. 485.
384
Jean Carbonnier, « Les phénomènes d‘inter-normativité », (1977) European Year-book in Law and
Sociology 42 à la p. 45.
385
Ibid. à la p. 49; Carbonnier, « Sociologie », supra note 117 à la p. 318.
124
l‘éthique de la sollicitude qui sont constituées de principes directeurs. Nous notons un peu
plus bas que l‘absorption pure et simple d‘un ordre par un autre peut constituer une des
manifestations de l‘internormativité, mais ce n‘est pas ce que nous proposons. D‘ailleurs,
un auteur pose la limite selon laquelle il serait illégitime de simplement faire respecter les
principes et les règles de la moralité par la coercition étatique. C‘est que les lois, dit-il,
par opposition à la moralité représentent des conclusions de délibérations entreprises dans
des institutions démocratiques représentatives386.
« La moralité […] est [quant à elle] un champ d‘éternelles contestations et
controverses, tant pour ce qui est de ses fondements qu‘en ce qui a trait
aux règles qui la constituent et aux jugements pratiques qu‘elle implique.
Se servir du droit pour faire respecter la moralité, cela reviendrait
forcément à ce que l‘État prenne parti dans des débats moraux irrésolus et
sans solution »387.
De plus, même si elle est source de normes, l‘éthique apparaît généralement comme un
lieu de débat où principes et normes servent à alimenter la discussion. Il n‘est pas de sa
nature de donner lieu à des consensus388. Cela serait davantage la fonction du droit qui ne
représente par contre pas forcément l‘expression d‘un consensus éthique389.
Il apparaît que le droit ne fait pas que reprendre au minimum des valeurs qui font
consensus dans la société ou qui correspondent aux opinions de certains groupes de
pression ou, au maximum, essayer de protéger et de promouvoir les valeurs qui servent
386
Weinstock, supra note 134 à la p. 187.
Ibid. à la p. 191.
388
Ibid. à la p. p. 196
389
« Le processus juridique peut justement être vu comme le moyen de prendre des décisions légitimes là
où le consensus est impossible ». Ibid.
387
125
d‘assises à une culture390. Le rôle de l‘éthique est en premier lieu d‘aider le juriste à
cerner et à identifier les problèmes. Puis, d‘indiquer les méthodes de réflexion permettant
d‘aller au fond d‘un problème. Tout comme se servir du droit pour simplement faire
respecter la moralité reviendrait à faire en sorte que l‘État prenne parti dans des débats
moraux irrésolus et sans solution.
La loi est mal placée en tant qu‘elle-même pour résoudre les conflits d‘ordre
moral. C‘est grâce à l‘éthique, dont la nature est propre à la discussion, que le juriste peut
aller au fond d‘un problème afin de décider s‘il y a lieu d‘intervenir par le biais du droit
positif étatique391. En conséquence, l‘éthique demeure le lieu privilégié des débats et sert
consécutivement à alimenter la réflexion des juristes. Au regard de l‘évolution du droit,
c‘est-à-dire la mise en place et l‘interprétation de ses règles, l‘éthique vise finalement
l‘instauration d‘un juste équilibre entre différentes valeurs individuelles et sociales392.
Ce sont ces rapports que nous étudions dans la présente section et que nous
cherchons à appliquer à la problématique de l‘anonymat des donneurs. À cet égard, nous
observons en premier lieu le changement de paradigme accompagnant le pluralisme.
Celui-ci constitue en quelque sort une étape intermédiaire vers l‘instauration d‘une
dialectique entre l‘éthique de la sollicitude et le droit. Il est d‘une part la conséquence de
l‘éloignement de l‘aspect moniste du droit positif qui instaure le pluralisme comme
environnement normatif pluriel. Il est de plus, à son tour, à la source de l‘internormativité
390
Guy Durand, Introduction générale à la bioéthique : Histoire, concepts et outils, 2e éd., Fides, 2005 à la
p. 104.
391
Michèle Rivet, « Le rôle de l‘éthique dans la réflexion juridique », dans Parizeau, supra note 64, 105 aux
pp. 106-107.
392
Lavallée, « Frontière », supra note 242 à la p. 67.
126
comme instrument fondateur des liens qu‘établit le droit avec les autres normes qui
l‘entourent, que celles-ci soient juridiques ou non juridiques. Un vaste ensemble de
théories vise effectivement à montrer que la légitimité du droit, dont nous faisons notre
outil de régulation, n‘est plus liée à sa nature intrinsèque, mais qu‘elle découle de son
interaction avec son environnement et les autres normativités. Dans ce contexte, l‘éthique
remplit pleinement son rôle. Néanmoins, pour que cette légitimité soit complète, un
mécanisme d‘interaction entre les normes doit être mis en place et c‘est dans ce
changement de paradigme que prennent vie les phénomènes d‘internormativité
Nous analysons, en second lieu, les différentes formes ou manifestations que
peuvent prendre les rapports d‘internormativité pour constater que tant les visions
juridiques que sociologiques du phénomène ne nous sont pas pleinement applicables.
Notre réflexion conduit à un modèle de construction de la règle de droit où est
appréhendé l‘éthique. Ce modèle que nous présentons en dernier lieu a déjà été décrit
dans la littérature.
1- CHANGEMENT DE PARADIGME : DE LA PYRAMIDE AU RÉSEAU
La
pertinence
d‘une
approche
pluraliste,
utilisant
les
phénomènes
d‘internormativité face à la disparité des frontières entre les différents types de norme,
s‘explique plus largement par le fait qu‘ « [o]n sait que l‘étude de la fonction du droit ne
saurait plus être désormais entreprise conformément à une perspective politique, suivant
un modèle pyramidal où le droit de l‘État central s‘imposerait, se diffuserait « vers le
bas » à l‘ensemble des composantes du système social en vertu d‘un schéma de relation
127
unilatérale »393. Faisant parti de la grande structure sociale qu‘il entend régir, le droit ne
doit pas constituer un organe moniste s‘opposant aux autres dimensions de la réalité dans
laquelle il s‘insère. Il en résulte « l‘analyse d‘une normativité d‘une extrême complexité
touchant les multiples interactions entre le « haut » et le « bas »394.
LA RÉGULATION SELON JACQUES COMAILLE
Droit étatique
Phénomènes
d’internormativité
Normes juridiques
Normes non juridiques
Notre vision de l‘univers normatif pluriel où se produisent des phénomènes
d‘internormativité entre le droit et l‘éthique (ici, de la sollicitude qui appartient au
pluralisme normatif) colle bien à la description présentée ci haut par Jacques
Commaille395. D‘une part, le modèle pyramidal tel que décrit par les théoriciens du droit,
393
Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 15.
Ibid.
395
Voir dans le même sens : Giroux, « Demande sociale », supra note 141 à la p. 30 : « En d‘autres termes,
et pour résumer notre propos, nous dirons que l‘éthique s‘exprime sous la forme de modes d‘autorégulation
de la société à partir des individus qui la composent, sans suggérer pour autant que celle-ci soit la somme,
pure et simple, de ces dernier. Il s‘ensuit un mouvement de régulation de la base vers le sommet. D‘un autre
côté, le droit s‘exprime sous la forme de modes d‘hétérorégulation de la société à partir des appareils
législatifs et judiciaires en place. Il en découle alors un mouvement de régulation du sommet vers la
base. » ; « L‘éthique tire son origine de la base la plus large possible, qui est celle des individus, pour
requérir leur adhésion pleine et entière lorsqu‘ils participent à des collectifs ou à des organisations, de telle
394
128
normalement applicable dans le cadre d‘une vision positiviste classique, ne permet pas de
tenir compte de la dialectique devant intervenir la règle de droit et l‘éthique de la
sollicitude. De par ses caractéristiques essentielles396, la pyramide est une approche
beaucoup trop hermétique pour la complexité de la réalité pluraliste que nous prônons. En
vertu d‘une hiérarchie obligée, les normes y coexistent dans un rapport de supériorité ou
de subordination les unes par rapport aux autres. Qui plus est, il s‘agit d‘un rapport
linéaire supposant des relations à sens unique entre les différents niveaux de la pyramide
et « excluant toute forme d‘inversion ou de rétroaction entre eux »397. Et enfin, les
différents éléments de la pyramide arborescente s‘engendreraient par démultiplication
entre eux, « à partir d‘un foyer de création originel unique »398. Kelsen en a peut-être
dépeint la conception la plus radicale399. Selon sa vision, applicable au monisme positif,
une norme est toujours le fruit d‘une norme supérieure et toute norme inférieure doit être
conforme à la norme supérieure400. Le droit se trouve isolé (par le haut) des références
morales et (par le bas) de l‘influence des autres connaissances qu‘on peut tirer de
l‘observation empirique des comportements. De par la non-contradiction et la hiérarchie,
le droit se caractérise par son autoréférence et assure son étanchéité ainsi que son essence
distincte401.
sorte que son mouvement autorégulatoire, du bas vers le haut puis s‘y projeter et s‘y exprimer. Le droit,
pour sa part, […] obéit à un mouvement hétérorégulatoire, du haut vers le bas, puisqu‘il s‘applique
évidemment sans nécessiter l‘adhésion libre et volontaire de ceux qu‘il sert à contrôler, d‘où le recours à la
contrainte pour en assurer le respect. » Ibid. à la p. 47
396
Que nous tirons de Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 44.
397
Ibid.
398
Ibid.
399
Voir : Kelsen, supra note 146.
400
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 36.
401
Pierre Noreau, « Comment la législation est-elle possible? Objectivation et subjectivation du lien
social », (2001-2002) 47 McGill L.J. 195 à la p. 199.
129
PYRAMIDE SIMPLIFIÉE DE KELSEN SUR
LE DROIT ET LES RÉFÉRENCES MORALES
Droit
Références morales
Karim Benyekhlef précise que le paradigme dominant du droit, c‘est-à-dire celui
de la pyramide, disparaît au profit du réseau402. Dans ce contexte, le droit n‘est plus isolé
et participe aux rapports d‘influence multilatéraux entre les normativités. La "crise du
droit" qui semble ne plus pouvoir gérer à lui tout seul le débat public sur la nouvelle
demande d‘éthique, manifeste en procréation assistée, se présente alors comme une crise
du paradigme dominant403. Un auteur ira jusqu‘à dire que l‘« image de la pyramide
savamment organisée et hiérarchisée appartient plus au monde de la mythologie qu‘à
celui de la réalité »404 parce que, ajouterons-nous, l‘éthique permet d‘équilibrer ou de
compléter ce que le droit ne parviendrait plus à faire par lui seul dans la régulation des
différents domaines de la société. Le droit doit se transformer et évoluer. Afin que ce
processus soit au fait des changements technologiques, économiques, culturels et sociaux,
notamment dans la question de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons, il
402
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 717.
Lacroix, supra note 139 à la p. 208.
404
Maille, supra note 253 à la page 91.
403
130
doit interagir avec la normativité éthique qui dépasse la simple conscience individuelle.
Auquel cas, nous avons retenu l‘importance de l‘éthique de la sollicitude.
Pour François Ost et Michel van de Kerchove, le changement est donc en cours.
D‘ailleurs, la thèse fondamentale de leur ouvrage De la pyramide au réseau? Pour une
théorie dialectique du droit, essentielle dans le domaine, « est que de la crise du modèle
pyramidal émerge un paradigme concurrent, celui du réseau, sans que disparaissent pour
autant les résidus importants du premier, ce qui ne manque pas de complexifier encore la
situation »405. Nous devons nous-même reconnaître l‘influence résiduelle de la pyramide
en adoptant le postulat que la légitimité du droit étatique est perçue comme se fondant,
entre autres, sur sa prééminence sur les autres sources de normativité. Ce qui démontre la
disparition progressive de la pyramide est le fait que nous fondons également la légitimité
du droit sur le dynamisme évolutif de la loi devant tenir compte et interagir avec
l‘environnement dans lequel elle s‘insère et s‘applique. Malgré la radicalité de sa
position, en tentant de répondre à la question : « [d]ans un contexte où l‘hétérogénéité est
partout, est-il possible de poser un critère formel pour différencier la normativité
juridique de la normativité social, politique ou économique? », Roderick Macdonald vise
juste lorsqu‘il précise que de la poser en ces termes nous fait tomber dans la quête de la
hiérarchie et de juridiction406 que nous cherchons éviter au profit de la dialectique et ce,
même si le droit continu de bénéficier d‘un statut supérieur.
405
406
Ost et van de Kerchove, supra note 142 à la p. 14.
Macdonald, « Veilles gardes », supra note 226 aux pp. 261-262.
131
Du point de vue de l‘ordre juridique, le droit, ne se créant plus de haut en bas et de
façon monologique et unidirectionnelle, résulte donc d‘un processus complexe mettant à
mal la pyramide et dans lequel interagissent ici et là les paliers normatifs et les acteurs
impliqués407. Cela s‘imprègne dans la production législative qui se manifeste selon une
dynamique allant de l‘adoption des lois par le législateur à leur évolution continuelle dans
le temps. Il est par ailleurs possible de pousser l‘hypothèse au point d‘enlever, à l‘instar
de Jean-Guy Belley, tout sens directionnel à cette image du système de droit en réseau.
Ne s‘y trouvent ni verticalité ni horizontalité. Ceci peut tout autant être applicable au
pluralisme normatif qui devient un énorme échangeur d‘autoroute se révélant d‘une
extrême complexité et où se croisent les différents systèmes en émergence. Il s‘agit, de
l‘avis de l‘auteur, d‘un faisceau de communications juridiques, ou en l‘occurrence
normatives, circulant dans tous les sens sur un réseau alambiqué de voies d‘entrée et de
sortie408. Parallèlement, la vision de Mireille Delmas-Marty sur l‘internormativité
suppose des relations entre des ensembles normatifs non hiérarchisés entre eux, à quelque
niveau qu‘ils se trouvent dans l‘espace normatif409. Pourrions-nous alors assister à
possible anarchie due, non pas à l‘absence de normes, mais plutôt à leur prolifération
« dans la mesure où l'effacement des formes traditionnelles [de régulation des conflits]
aboutit à privilégier des formes nouvelles qui donnent un peu l'impression de s'empiler les
unes sur les autres, ou de s'accumuler les unes à côté des autres, sans critère précis de
répartition »410?
407
Antoine Bailleux, « À la recherche des formes du droit : de la pyramide au réseau! », (2005) 55 R.I.E.J.
91 à la p. 93.
408
Belley, « Doctrine », supra note 204 à la p. 151.
409
Mireille Delmas-Marty, Les forces imaginaires du droit (II) Le pluralisme ordonné, Paris, Éditions du
Seuil, 2006 à la p. 43 [Delmas-Marty, « Forces imaginaires »].
410
Mireille Delmas-Marty, Les nouveaux lieux et les nouvelles formes de régulation des conflits, En ligne :
<http://www.reds.msh-paris.fr/communication/textes/cplx01.htm#> (Date d‘accès : 3 août 2009).
132
C‘est ici qu‘entre enjeu la deuxième partie de la thèse du réseau de François Ost et
Michel van de Kerchove. Entre le chaos dû à l‘effacement des frontières et le désordre, ce
sont en fait les filets du réseau qui créent sa spécificité411. « Flexibles, mouvants,
éphémères, ils lui donnent une apparence désordonnée. Serrés, invisibles, innombrables,
ils lui confèrent une grande solidité »412. Au regard de la dilution et de la complexité de la
régulation juridique, Jacques Chevallier identifie également des problèmes d‘articulation
et d‘effectivité en raison de l‘existence de foyers multiples de régulation. Cela ne signifie
par contre pas la fin de tout ordre. Entre les différentes instances de régulation des
relations existent des champs d‘intervention qui se recoupent, même partiellement, et des
rapports s‘établissent selon une logique horizontale413.
De ces relations naît le "pluralisme ordonné" appliqué à l‘univers juridique, mais
que nous pourrions transposer à la normativité globale et qui fut proposé par Mireille
Delmas-Marty414. Les adeptes de cette hypothèse, prennent « le pari qu‘il est possible de
renoncer au pluralisme de séparation […] sans adhérer pour autant à l‘utopie de l‘unité
juridique du monde au nom d‘une sorte de pluralisme de fusion »415. La mise en
cohérence peut premièrement passer par un processus de coordination. De fait, si l‘apport
essentiel des processus d‘entrecroisement, nous explique l‘auteure, est de créer une
dynamique afin d‘éviter des conflits et aider à résoudre certaines contradictions, ils ne
peuvent être totalement dispensés de hiérarchie. L‘internormativité ne pourra constituer
411
Bailleux, supra note 407 aux pp. 103-104.
Ibid. à la p. 104.
413
Chevalier, « Question », supra note 180 à la p. 841.
414
Delmas-Marty, « Forces imaginaires », supra note 409.
415
Mireille Delmas-Marty, Le pluralisme ordonné et les interactions entre ensembles juridiques, p.1, En
ligne : <http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/article_Dalloz.pdf> (Date d‘accès: 5 août 2009) [DelmasMarty, « Pluralisme ordonné »].
412
133
une véritable mise en ordre que s‘il existe un principe d‘ordre qui réintroduit la hiérarchie
pourtant évacuée par la destruction de la pyramide. « Or, cette hiérarchie sera plus ou
moins stricte selon qu‘elle impose un droit identique (unification) ou se limite, assouplie
par la reconnaissance d‘une marge nationale d‘appréciation, à un rapprochement des
divers systèmes »416. D‘ailleurs, si le premier défi du réseau consiste à multiplier les
zones d‘interaction, le deuxième est l‘aménagement de barrages pour que le droit à tout le
moins ne perde pas toute forme et toute autorité417. La distinction théorique que nous
effectuons entre l‘univers juridique dans son ensemble et le droit issu de l‘État, qui en fait
néanmoins partie, semble ici trouver toute sa crédibilité. Le second processus entrant en
ligne de compte est celui de l‘harmonisation qui inclut une idée d‘intégration plutôt que
de composition ou recomposition. Cette dernière réinstaure une relation de type vertical
avec des hiérarchies enchevêtrées. Cela signifie que la relation sera tantôt ascendante,
tantôt descendante418. Enfin, le pluralisme ordonné pourra se faire par une unification;
soit par transplantation unilatérale d‘un système à l‘autre, soit par hybridation en
combinant différents systèmes en tenant compte de leur diversité419.
Si l‘analyse législative et la règle de droit se trouvent en quelque sorte au sommet
de la normativité sociale, c‘est-à-dire en demeurant l‘outil de régulation référentiel dans
le cas particulier qui nous intéresse, celui des technologies de la reproduction et de
l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons, elle apparaît dans un univers de
pluralisme normatif où elle se diffuse et occupe « une place de plus en plus relative dans
416
Ibid. à la p. 7.
Bailleux, supra note 407 à la p. 107.
418
Delmas-Marty, « Pluralisme ordonné », supra note 415 à la p. 8.
419
Ibid. à la p. 13.
417
134
l‘économie normative des sociétés marquées par l‘existence de zones de recouvrement de
plus en plus importantes entre le juridique et le social »420. L‘éthique de la sollicitude est
un de ces modèles sociaux pouvant servir de référant dans la gestion du conflit entre les
droits et intérêts en jeu.
Dans le contexte du pluralisme juridique, Étienne Leroy distingue le pluralisme
faible du pluralisme fort421. Le premier se manifeste « lorsque tout l‘avantage revient à
l‘État et au droit étatique, qui demeure hiérarchiquement supérieur »422 et le second
apparaît « lorsque le droit étatique perd son monopole comme source de règlement de
conflit. Le mode étatique de règlement de conflit est alors en concurrence avec les autres
modes de règlement de conflits qui existent du mondes »423. Il pourrait être facile
d‘opérer un parallèle et croire que nous effectuons ici un pluralisme de façade puisque le
droit et l‘État demeurent maîtres du jeu de la régulation de la procréation assistée. Cela
n‘est d‘ailleurs pas sans rappeler la critique faite au pluralisme normatif qui est
caractérisé de "faux". Nous croyons néanmoins demeurer dans une situation de
pluralisme fort car en vertu de celui-ci, si l‘État perd son monopole, il ne remet pas en
cause la place et le rôle de l‘État en sa fonction de responsable de l‘intérêt général 424. Or,
c‘est justement au nom de cet intérêt que nous mettons de l‘avant la responsabilité du
législateur dans la régulation des nouvelles technologies de reproduction. D‘ailleurs, le
pluralisme n‘exclut pas qu‘intervienne la régulation par l‘État. Ce qu‘il importe alors
420
Commaille, « Normes juridiques », supra note 172 à la p. 15.
Étienne Le Roy, « Oser le pluralisme juridiciaire », dans Agence de coopération culturelle et technique,
Rapport introductif à la conférence des Ministres francophones de la justice, Le Caire, 1995, à la p. 16 tiré
de Haoua Lamine, « Pour un pluralisme juridique plus effectif », dans Étienne Le Roy, dir., Cahiers
d’Anthropologie du droit 2003 : Les pluralismes juridiques, Paris, Karthala, 2004, 157 à la p. 165.
422
Lamine, supra note 421 à la p. 165.
423
Ibid. aux pp. 165-166.
424
Ibid. à la p. 165; Voir également : Belley, « Terra incognita », supra note 150 à la p. 10.
421
135
d‘analyser est quel ordre normatif non étatique jouit du crédit suffisant afin de disposer
d‘un pouvoir d‘influence sur le législateur et les acteurs, sujets de droit, avec lesquels il
collabore? Quel compromis ce dernier sera-t-il prêt à faire425?
Que l‘on parle d‘une pyramide de la normativité où il y a des interactions entre le
haut et le bas, d‘un réseau à l‘image verticale, d‘une horizontalité hétérarchique ou d‘une
structure complexe où s‘entremêlent la verticalité et l‘horizontalité426, l‘ensemble de ces
théories se réunissent en deux points communs : la fin de l‘image linéaire et les dialogues
constants entre les différents paliers de normativité qui attirent et retiennent notre
attention. Nous en venons à considérer que la légitimité de la norme juridique, mais plus
spécialement du droit, se conquiert. Elle n‘est plus ab initio, c‘est-à-dire liée aux attributs
intrinsèque du droit427. Il ne se suffit plus à lui-même en imposant sa loi si nous pouvons
nous exprimer ainsi. La légitimité dépend « de la recherche du consensus, de la
participation des intéressés à son élaboration, de son efficacité »428. Quelles formes cela
prend-t-il?
2- PHÉNOMÈNES D’INTERNORMATIVITÉ : VERS L’EFFACEMENT
DES FRONTIÈRES
Nous avons à plusieurs reprises fait référence aux rapports qui se nouent et se
dénouent entre les différentes logiques normatives, ordres ou systèmes de normes, en
425
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 148.
Jacques Chevallier, « Vers un droit post-moderne? Les transformations de la régulation juridique »,
(1998) 3 R.D.P. 659 à la p. 674 : L‘auteur nous parle de figures baroques qui se manifestent par des
hiérarchies discontinues ou enchevêtrées, alternatives ou inversées, formant des boucles étranges.
427
Ibid. à la p. 680.
428
Monnier, supra note 93 à la p. 26.
426
136
précisant qu‘elles participent, avec le droit, au système de régulations sociales et ce,
même si des contractions et des incohérences existent entre elles. Cela table tout à la fois
sur la subjectivité et l‘objectivité de la norme :
« sa subjectivité puisqu‘elle dépend bien sûr de son contexte
d‘élaboration, de symbolisation et d‘interprétation, mais aussi son
objectivité puisque nous considérons alors cette norme comme un donné
factuel. Le travail des sciences sociales aura alors pour principale tâche de
contextualiser les normes, de les discuter et de les classer afin de clarifier
la procédure d‘application et d‘interprétation, laissant au droit le soin de
théoriser ces procédures d‘interprétation, de hiérarchisation et de
classification des normes. »429
Quoiqu‘il soit une chose de constater sur le plan théorique la pluralité des ordres
juridiques et normatifs, s‘en est une autre d‘en explorer de manière systématique et
scientifique les rapports d‘influence430. Pour ce faire, nous intéresserons à la double
distinction dont les bases ont été jetées par Guy Rocher. L‘internormativité peut être
juridique ou sociologique.
2.1 Vision juridique de l’internormativité
La première signification de l‘internormativité « fait référence au transfert ou
passage d‘une norme ou d‘une règle d‘un système à un autre. L‘internormativité se
reconnaît alors à ce qu‘une règle qui a été produite ou formulée à l‘intérieur d‘un système
normatif donné se retrouve telle quelle, dans un autre ordre normatif »431. L‘exemple des
normes techniques (e.g. règles relatives à la construction d‘immeubles) reçues dans le
429
Lacroix, supra note 139 à la p. 208.
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 146.
431
Guy Rocher, « Les ―phénomènes d‘internormativité‖ : faits et obstacles », dans Belley, « Droit soluble »,
dir., supra note 162, 25 à la p. 27 [Rocher, « Phénomènes »].
430
137
corpus juridique et obtenant force de loi est récurrent dans la littérature 432. « Cette forme
d‘internormativité peut résulter soit du fait qu‘un ordre normatif s‘approprie ou accueille
une règle issue d‘un autre ordre, soit du fait qu‘une règle d‘un ordre normatif est imposée
à un autre ordre »433. Nous situant à l‘intérieur d‘un ordre normatif d‘accueil, ce premier
sens est un fait de contenu puisque nous retrouvons et analysons l‘internormativité dans
les textes normatifs, principalement juridiques434. Toutefois, rien ne s‘oppose à ce que les
phénomènes d‘internormativité s‘observent entre ordres normatifs non étatiques435.
En vertu cette perspective, nous dit André Lacroix, les spécialistes du droit
cherchent à le transformer de l‘intérieur en développant de nouveaux modes d‘interaction
qui prendraient en compte les différents niveaux de norme. Le droit y est considéré
comme une construction sociale, et non plus comme une simple donnée empirique,
devant continuellement être "réinterprétée" ou recréée en fonction des valeurs sociales du
moment. L‘approche demeure somme toute juridique puisque ces transformations sont
réfléchies à l‘intérieur du paradigme déjà existant. De plus, en tenant compte des
différents types de norme, le rapport dialectique ne déborde jamais du cadre juridique436.
Le regard adopté est celui du droit par rapport à la société. Ainsi, le pluralisme
d‘inspiration exclusivement juridique constate et analyse l‘influence formelle d‘autres
formes de régulation extérieures à l‘État, mais ce ne sont que des faits sociaux n‘ayant
432
Voir : Cousy, supra note 258 aux pp. 136 et suivantes.
Rocher, « Phénomènes », supra note 431 aux pp. 27-28.
434
Ibid. à la p. 28.
435
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 798.
436
Lacroix, supra note 139 à la p. 211.
433
138
rien à voir avec la nature de l‘institution juridique437. Il s‘agit d‘une vision qui consacre le
juridique à un domaine bien limité : « celui assigné à ces passages d‘un espace vers un
autre par la dogmatique juridique »438. C‘est un aller simple vers le droit étatique selon
des modalités balisées. Toute norme alternative n‘est pas considérée comme étant du droit
et dans ce cas, les passages d‘un espace normatif à un autre constitue tout au plus un
phénomène sociologique intéressant439.
De par l‘importance que nous attribuons à la relation État-droit et puisque nous
qualifions l‘éthique de la sollicitude de pluralisme normatif, il est fort tentant de
s‘identifier au sens premier de l‘internormativité et de ne voir en elle qu‘un fait social.
Hans Kelsen reconnaissait que « les normes juridiques ne sont pas les seules normes qui
règlent la conduite réciproque des hommes, c‘est-à-dire les seules normes sociale »440.
Son approche se bornait néanmoins à exclure du champ juridique toute autre norme que
le droit formel, les enfermant par ailleurs dans une pyramide enracinée dans sa verticalité,
alors que nous en élargissons les limites. La classification que nous effectuons quant à
l‘éthique de la sollicitude est le fruit de la distinction que nous opérons d‘avec le
pluralisme juridique. Si nous réservons le qualificatif "droit" à la norme étatique, rien
n‘empêche que d‘autres formes d‘éthique, telle que la déontologie ou les codes issus des
comités d‘éthique, puissent appartenir à un ordre juridique. Ceci étant, nous ne
prétendons guère appartenir à la famille des juristes pour qui la réflexion sur
437
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 150; Nous remercions ici Jean-Guy Belley qui a pris le temps
d‘échanger avec nous sur le thème de l‘internormativité et pour ses explications fort éclairantes.
438
Benyekhlef, supra note 97 aux pp. 830-831.
439
Ibid. à la p. 831.
440
Kelsen, supra note 146 à la p. 65.
139
l‘internormativité s‘arrête au simple examen des modalités de passage vers le droit441.
C‘est quelque peu le cas dans la problématique sous études, mais uniquement parce que
nous affirmons la légitimité de l‘intervention du législateur. Une loi en internormativité
avec l‘éthique de la sollicitude qui concerne la procréation assistée et l‘anonymat ne
constitue pas qu‘un ordre d‘accueil. L‘éthique de la sollicitude peut moduler la position
adoptée par le législateur, dans le regard analytique qu‘elle propose de la question de
l‘anonymat et de la réflexion qui en résulte, mais le contenu de ses principes directeurs ne
migre pas vers la loi. Ils ne sont pas repris copie conforme pas le législateur. Puisque
l‘éthique de la sollicitude relève de la méthode réflective, ses principes directeurs sont
d‘application variable en fonction de chaque problématique étudiée et ce ne sont que les
conclusions de leur application qui peuvent être retenus ou rejetés par le droit. Bien que
nous considérions l‘éthique de la sollicitude et ses principes directeurs comme des
normes, le législateur se laisse ou non influencer par ces conclusions.
Un autre indice nous met la puce à l‘oreille quant au fait que nous nous trouvons
peut-être dans l‘interprétation juridique de l‘internormativité. En affirmant que la
production législative des normes se révèle comme un processus dynamique allant de
l‘adoption des lois par le législateur à leur évolution continuelle dans le temps, nous
collons au fait que le droit doit être continuellement "réinterprété" ou recréé en fonction
des valeurs sociales du moment. Cela semble relever de la "fluctuation" des normes, des
institutions et des ordres normatifs qui sont en constante mutation et amalgamés les uns
par rapport aux autres442. La distance que nous prenons ici par rapport à Macdonald est
441
442
Benyekhlef, supra note 97 à la p.831.
Macdonald, « Veilles gardes », supra note 226 à la p. 263.
140
que, pour lui, ce qui résulte des interactions entre deux ou plusieurs ordres n‘est pas la
migration d‘une partie du phénomène normatif vers l‘autre, ou encore l‘absorption de
l‘un par l‘autre, mais leur influence et infiltration mutuelles qui aboutissent à la création
d‘un nouvel ordre juridique momentané. Le regard qu‘il porte sur ce concept rend inutile
l‘idée internormative443. Cette vision des choses est certainement influencée par la vision
de l‘auteur du pluralisme juridique critique où les sujets de droit sont créateurs du droit.
Ils n‘y sont pas que de simples sujets assujettis au droit444. Puisqu‘il y a une pluralité de
sujets, il ne peut exister qu‘une pluralité d‘ordres juridiques. De plus, la nature des
rapports d‘influence entre ces ordres est elle-même influencée par ceux qui en sont les
auteurs, à savoir des sujets de droit qui entrent en relation. Ces derniers sont tout à la fois
influencés par les ordres juridiques et à leur source. Si la vision de l‘émergence d‘un
nouvel ordre n‘est pas mauvaise, l‘évacuation de l‘internormativité n‘est pas juste
puisque c‘est ce concept qui vise les phénomènes d‘interaction. Le nouvel ordre n‘en
serait que le résultat.
Est-il possible en fin de compte d‘imaginer une internormativité juridique
élargie445? En accord avec les tenants du droit postmoderne, cette vision des choses
promeut « l‘élaboration d‘un cadre conceptuel renouvelé du droit, afin d‘assurer que
celui-ci soit en phase avec les réalités à réguler. Cette promotion s‘accompagne aussi
d‘une approche militante, qui voit dans le droit des rapports de domination et de
dominance qu‘il importe de corriger par une démocratisation accusée de la norme »446.
443
Ibid. aux pp. 262-263.
Voir : Kleinhans et Macdonald, supra note 226.
445
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 832.
446
Ibid. à la p. 834.
444
141
L‘objectif est par contre de contrer la dévalorisation de la règle de droit usuelle par la
prise en compte des autres espaces normatifs; c‘est-à-dire de préserver la spécificité de la
norme juridique étatique447. La proposition post-moderne a en effet des limites448 et un
pluralisme « tous azimuts » constitue un danger au regard de l‘évidente centralité
normative et de la qualité démocratique de la règle étatique449. Il faut en conséquence
développer des modalités de dialogues internormatifs entre les différents ordres en
présence et qui dépassent les mécanismes d‘absorption de la norme alternative par le
droit450. En faire une étude détaillée est un défi allant au-delà des limites de cette thèse.
Nous nous demandons néanmoins si l‘approche adoptée sur l‘articulation et la
manifestation des principes directeurs de la sollicitude dans la problématique de
l‘anonymat des donneurs ainsi que dans les lois lui étant applicable est un de ces
mécanismes. Est-ce là l‘origine d‘un positivisme transcendé? Il est difficile de l‘affirmer
avec certitude.
2.2 Vision sociologique de l’internormativité
La seconde signification de l‘internormativité, beaucoup plus étendue :
« fait référence à la dynamique des contacts entre systèmes normatifs, aux
rapports de pouvoir et aux modalités d‘interinfluence ou d‘interaction qui
peuvent être observés entre deux ou plusieurs systèmes normatifs. Entendue
dans cet autre sens, l‘internormativité ne suppose pas nécessairement le
passage d‘une règle d‘un ordre normatif vers un autre. »451
447
Ibid.
Maisani et Wiener, supra note 139 aux pp. 451 et suivantes.
449
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 836.
450
Ibid.
451
Rocher, « Phénomènes », supra note 431 à la p. 28.
448
142
Bien au contraire, il peut y avoir une résistance au passage et l‘interaction peut avoir lieu
sans emprunt de normes étrangères. Cette perspective, relavant de l‘analyse sociologique,
s‘intéresse à la dynamique des interfaces des systèmes normatifs, c‘est-à-dire aux
interactions
intervenant
à
leurs
frontières
respectives 452.
Dans
ce
contexte,
l‘internormativité « s‘attache notamment à déterminer les rapports de force entre les
acteurs des différents ordres normatifs afin de mieux comprendre le passage des normes
d‘un univers à un autre »453. Des passeurs de normes faciliteront les échanges et les
rapports afin d‘atténuer les résistances454.
Nous sommes dans le rapport de la société vis-à-vis le droit au point que la forme
de ce dernier n‘est plus un critère, on n‘en distingue plus les sources en tant que telles.
Dans le regard qu‘il porte sur l‘interaction internormative, le sociologue ne se fie pas aux
textes formels, mais spécialement aux acteurs455.
« La perspective sociologique […] étend [ainsi] la notion du juridique à
des formes de régulation qui n‘entrent pas dans le champ juridique du
juriste, à la fois pour mieux analyser des phénomènes sociaux dans cette
perspective et pour mieux mettre en lumière les rapports d‘interaction
entre les faits sociaux et le droit étatique. La notion d‘ordre juridique,
entendue dans ce sens, forme le pivot central de cette perspective étendue
du phénomène juridique. »456
En ce sens, l‘incapacité du droit à formuler une réponse possédant une quelconque
dimension éthique, aurait amené les spécialistes du droit à revoir la finalité même du
droit en se détachant de la finalité de l‘État afin d‘en faire, au regard de l‘éthique, non
452
Ibid.
Benyekhlef, supra note 97 à la p. 798.
454
Ibid.
455
Nous remercions à nouveau Jean-Guy Belley pour ses éclaircissements.
456
Rocher, « Études », supra note 104 à la p. 150.
453
143
pas une morale publique, mais une morale collective au service des droits individuels. Le
droit formel, étatique, a subséquemment pour principale fonction de contrôler la
production des normes défendues par le législateur, de réorganiser la fonction de juger
(ceux-ci interprétant cette morale publique) et de formaliser les modes de règlement457.
Dans ce contexte, il acquiert sa légitimité par la procédure.
En raison de notre vision des choses, nous ne nous situons pas totalement dans la
seconde approche non plus. La forme du droit est pour nous importante. De plus, si nous
concevons les acteurs comme part entière du processus dynamique de production des lois,
le droit étant l‘expression de la volonté collective et l‘espace public ne pouvant plus être
réduit au seul État458, nous concevons malgré tout ce droit dans son rapport à la société.
Nous percevons l‘État comme étant l‘autorité dominante, mais le droit qui en est issu se
dilue dans la normativité sociale globale dans laquelle s‘inscrit l‘éthique de la sollicitude
et la priorité des relations interpersonnelles et d‘interdépendance. Le fait que nous
croyons que l‘État n‘est pas le seul à disposer de la légitimité réflective et normative
devant mener, en bout ligne, à l‘adoption d‘une loi par le législateur ou encore à un choix
législatif de sa part d‘intervenir ou non en laissant certaines décisions au domaine privé
des individus, nous porte à croire que nous nous situons à mi-chemin entre les deux
approches de l‘internormativité. Il s‘agirait alors d‘une internomativité juridique élargie,
selon une sorte de "positivisme transcendé". D‘ailleurs, tel que l‘affirme Chaïm Perelman,
457
Lacroix, supra note 139 à la p. 211; « Plutôt que d‘incarner et de réfléchir l‘éthique, le droit devient le
lieu de contrôle et de sanction de cette éthique, ce qui le situe à l‘extérieur du cadre éthique, à l‘extérieur
d‘une éthique de société…à l‘extérieur de toute réflexion éthique. […] [Le juriste] ne questionne pas la
norme, ni son bien fondé, il en assure plutôt la formalisation et l‘interprétation selon une procédure dûment
précisée par le législateur et les spécialistes. Le droit incarne alors le lieu de régulation, non pas des
comportements, mais des normes. » Ibid.
458
Ibid., à la p. 216.
144
le « droit positif a pour corrélatif la notion de décision, si pas raisonnable, du moins
raisonnée »459.
Il n‘existe pas de références préétablies d‘un réseau entre le droit et l‘éthique de la
sollicitude. De toutes les recherches que nous avons effectuées, nous n‘avons pas
rencontré dans la littérature d‘analyses tentant d‘étudier une interaction internormative
entre ces deux notions. Cela est notamment dû au fait que l‘éthique de la sollicitude est
critiquée lorsqu‘on cherche à l‘appliquer à l‘analyse de la procréation assistée. De plus,
puisque la taxinomie internormative basée sur le juridique et le sociologique ne rend pas
compte de toutes les subtilités d‘élaboration de la loi et du cadre juridique applicable à la
procréation assistée en général, et à la question de l‘anonymat des donneurs, il peut être
intéressant de s‘en éloigner et d‘observer les efforts de conciliation qui ont déjà faits afin
de décrire le rôle de l‘internormativité dans la construction de la règle de droit.
2.3 Modèle de construction de la règle de droit?
Karim Benyekhlef fait une proposition en vertu de laquelle l‘amont, dans la
conception de la norme alternative par des acteurs aux intérêts souvent divergents, se
distingue de l‘aval, où cette même norme est appliquée et entre dans un jeu
internormatif460. Plutôt que de décrire un processus de construction de la règle de droit en
fonction de la manifestation temporelle de l‘internormativité, la classification de Sophie
Monnier simplifie et schématise les phénomènes internormatifs entre l‘éthique et le droit
459
460
Chaïm Perelman, Éthique et droit, Bruxelles, Éditions de l‘Université de Bruxelles, 1990 à la p. 448.
Benyekhlef, supra note 97 aux pp. 799 et suivantes.
145
en déterminant qui est l‘auteur de la norme et de quelle nature est cette dernière.
D‘ailleurs, cette vision des choses ne limite pas l‘apparition de l‘internormativité lors de
l‘application de la norme. Le phénomène a lieu tout au long du processus législatif.
Monnier s‘intéresse tout d‘abord à l‘appréhension du droit par l‘auteur de la
norme éthique461 puis, et c‘est ce qui retient notre attention, à l‘appréhension de l‘éthique
par l‘auteur de la norme juridique462. Celle-ci se fait en deux étapes. En premier lieu, par
la consultation éthique qui devient un prérequis à la formulation de la règle juridique.
L‘essor de la consultation éthique peut assurément en faire une condition à la légitimité
de la règle de droit. Cela est issu tant de l‘initiative des autorités politiques 463 que d‘un
juge464. La seconde étape est la réception matérielle des normes éthiques dans l‘ordre
juridique. Celle-ci, nous dit l‘auteure, se fera de façon plus ou moins transparente dans la
mesure où l‘incidence des systèmes normatifs parallèles est reconnue soit de manière
directe, soit de manière indirecte par l‘ordre étatique. Une distinction est faite entre les
normes éthiques et déontologiques. Nous nous concentrerons sur les premières. Lorsque
diffuse, l‘intégration des normes éthiques devient source d‘inspiration pour la décision du
juge ou des autorités politiques. Dans ce cas, nous percevons l‘influence par le
truchement
d‘informations
indirectes465.
Lorsqu‘explicite,
l‘intégration
provient
finalement d‘une référence expresse dans un jugement466 ou par la novation directe de la
461
Monnier, supra note 93 à la p. 484.
Ibid. à la p. 502.
463
Ibid. à la p. 503.
464
Ibid. à la p. 518.
465
Ibid. à la p. 525.
466
Ibid. à la p. 529.
462
146
règle éthique en règle juridique467. Cela fait écho à ce que Guy Rocher a appelé la vision
juridique de l‘internormativité.
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
Alors que nous prétendons que c‘est au législateur qu‘incombe la responsabilité de
réguler le domaine des technologies de la reproduction468, nous croyons néanmoins que le
droit participe aux phénomènes d‘internormativité avec l‘éthique. La nature du droit est
effectivement en mutation. Aujourd‘hui considéré selon une analyse postmoderne de la
norme, le droit connaît un changement de paradigme, ou une crise, qui découle de sa
difficulté à gérer la nouvelle demande d‘éthique. En vertu du pluralisme normatif, le droit
n‘est pas le seul à réguler la vie de l‘homme en société. Il ne peut donc plus ignorer les
autres formes de normativité, dont l‘éthique qui n‘est pas étrangère aux progrès
considérables de la technologie et de la science, inclusivement en procréation assistée, et
peut apparaître comme une nécessité collective face aux craintes et incertitudes qu‘ils
engendrent. Plusieurs systèmes juridiques et normatifs coexistent alors au même moment
dans un même espace, ceux-ci entrant par la suite en interaction, en internormativité.
Cette internormativité constitue donc l‘outil qui permet de théoriser les rapports
d‘influence entre les différents types de norme.
467
Ibid. à la p. 531.
« Il s‘agit de rappeler ici le fait que le droit est à la fois un instrument indispensable à la paix entre les
citoyens, et personne ne peut s‘en passer, et en même temps qu‘il ne peut garantir ni perfection morale ni,
moins encore, bonheur personnel ou collectif. Ceux et celles qui en seront constamment conscients seront
aussi en mesure de légiférer avec un optimisme sans illusions. » Alberto Bondolfi, « Éthique et droit : quel
rapport dans la gestion des nouvelles pratiques biomédicales », dans Bioéthique : de l’éthique au droit, du
droit à l’éthique, supra note 52, 245 à la p. 256.
468
147
Les normes juridiques incluent le droit et un ensemble plus large de normes qui
sont distinguées du social non juridique par des critères se basant par exemple sur la
contraignabilité que leur reconnaissent les membres du groupe visé. Cette dernière ne doit
pas être confondue avec la sanction ou la punition. La définition de la norme est quant à
elle l‘ultime frontière du non juridique qui compose en partie le pluralisme normatif.
Celui-ci étant inclusif des autres formes de normativité. Néanmoins, toutes frontières,
quelles qu‘elles soient dans cet ensemble, ont une porosité où l‘internormativié intervient.
Peut-être pourrions-nous au minimum parler d‘un "positivisme transcendé" dont les
frontières croisent des ordres normatifs et juridiques concurrents pouvant avoir sur lui une
influence formelle.
Nous appliquons corrélativement l‘éthique de la sollicitude à l‘analyse sur
l‘évolution de la norme de droit concernant l‘anonymat des dons d‘engendrement. Cette
approche, qui constitue un ordre normatif, se base sur une particularité fondamentale de la
problématique de l‘anonymat, à savoir l‘interdépendance mutuelle dans les relations
humaines. Elle renvoie à l‘aptitude liée à la sympathie, c‘est-à-dire la capacité de
percevoir ce que l‘autre ressent et en éprouver par la suite de la compassion, qui doit
susciter un sentiment de responsabilité et insuffler une motivation forte à intervenir parce
que la personne se sent concernée par ce qui arrive à l‘autre. La vision politique de
l‘éthique de la sollicitude est celle qui permet d‘utiliser l‘internormativité dans
l‘élaboration d‘une loi concernant un groupe de personnes alors que la théorie morale se
concentre principalement sur un individu unique. Cela nous conduit à une politique
publique au cœur de laquelle il y a une discussion publique des besoins et une
appréciation honnête de l‘intersection de ces derniers avec les intérêts des acteurs prenant
148
part au don. L‘application de l‘éthique de la sollicitude étant floue au-delà de son objectif,
nous cherchons à constater l‘articulation et la manifestation des principes directeurs de la
Commission royale dans la problématique de l‘anonymat des donneurs ainsi que dans les
lois lui étant applicables. Parmi ceux-ci l‘autonomie de l‘individu, l‘égalité, la protection
des personnes vulnérables et l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs sont
ceux qui nous semblent pertinents.
Du vaste ensemble de théories sur le changement de paradigme que vit le droit,
nous retenons finalement qu‘elles visent à montrer que la légitimité du droit n‘est plus
liée à sa nature intrinsèque, mais qu‘elle découle de son interaction avec son
environnement et les autres normativités. D‘autre part, nous croyons que notre
phénomène d‘internormativité ne se catégorise pas selon une vision strictement juridique
ou sociologique. Nous nous intéressons davantage à l‘existence d‘un modèle de
construction de la règle de droit selon une approche tenant du pluralisme normatif. En
lien avec le rôle de l‘éthique, qui est d‘aider le juriste à cerner et à identifier les problèmes
en vue d‘indiquer les méthodes de réflexion permettant d‘aller au fond d‘un problème et
d‘explorer les différentes solutions applicables, c‘est sur l‘appréhension de l‘éthique par
l‘auteur de la norme juridique que se concentre notre intérêt. Puisque l‘éthique de la
sollicitude relève davantage de la méthode réflective en tant qu‘ordre normatif, son
intégration dans le droit demeure diffuse. Il n‘y a pas de référence expresse dans un
jugement ou de novation directe de la règle éthique en règle juridique. En somme, si nous
utilisons l‘internormativité afin d‘explorer les rapports d‘influence entre l‘éthique et le
droit, c‘est l‘approche de la sollicitude qui nous indique de quelle manière procéder. Cela
149
nous précise de quelle manière la règle de droit, tout au long de son évolution dans le
temps, doit tenir compte des relations interpersonnelles et d‘interdépendance.
Ayant établi les fondements de notre cadre théorique, les deux chapitres qui
suivent sont consacrés à son application au regard des enjeux éthique et du droit comparé.
La seconde partie de la thèse que nous abordons ci-après se présente comme une analyse
structurale du problème, compte tenu des intérêts en jeu dans la problématique de
l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons, menant à une prise de position
critique qui est fonction de l‘approche théorique retenue.
150
CHAPITRE 2
LES INTÉRÊTS EN JEU DANS LE DÉBAT SUR L’ANONYMAT DES
DONNEURS DE GAMÈTES ET D’EMBRYONS
« Dis maman, comment ils naissent les bébés? » Une question toute simple,
naturelle et légitime que tous les enfants sont un jour amenés à poser. Malgré toutes les
métaphores employées par les parents afin d‘apporter à leur enfant une explication
plausible, petites graines et petites fleurs, comment peuvent-ils y ajouter que parfois de
l‘aide est nécessaire pour que le petit ange vienne au monde? Qu‘un autre monsieur ou
une autre madame est celui ou celle ayant été la source de vie? Doivent-ils le révéler à
l‘enfant? Ce dernier peut-il savoir qui est la personne inconnue à qui il doit la moitié de
son patrimoine génétique? Ou même totalement dans l‘hypothèse d‘un don d‘embryons?
D‘autres questions en apparence simples, mais qui posent tout un casse-tête à ceux qui
tentent d‘y répondre.
Dans le chapitre 2, nous proposons une analyse originale de l‘éthique de
l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons. Plutôt que de présenter une description
individuelle des intérêts des acteurs concernés par l‘anonymat selon un schéma pour ou
contre, il est plus intéressant d‘analyser la situation sous un angle relationnel. Après tout,
c‘est de reproduction collaborative469 dont il est question dans le don de gamètes et
d‘embryons. Aussi, l‘angle relationnel permet-il d‘appliquer pleinement la logique de la
sollicitude, dans le cadre d‘un environnement normatif pluriel, en vue d‘une réflexion
internormative. L‘éthique de la sollicitude étant basée sur les relations interpersonnelles et
469
Nous empruntons l‘expression à John A. Robertson, « Embryos, Families, and Procreative Liberty: The
Legal Structure of the New Reproduction », (1985-1986) 59 S. Cal. L. Rev. 939.
151
d‘interdépendance, au chapitre 1, nous en remarquons l‘apparition à deux niveaux dans la
problématique : en premier lieu dans le rapport parents – enfant quant au secret sur le
mode de conception puis, dans le lien donneur – enfant relativement à l‘obtention
d‘informations nominatives. Dans les deux cas, l‘enfant est le point de mire de
l‘interdépendance entre les individus.
La grille d‘analyse appliquée à ces rapports découle de l‘éthique de la sollicitude
telle que définie par la Commission Royale sur les techniques de reproduction et est
composée des principes directeurs suivants : l‘autonomie de l‘individu, l‘égalité, la
protection des personnes vulnérables et l‘équilibre entre les intérêts individuels et
collectifs. Ils sont retenus vu la nature des arguments invoqués afin de soutenir, d‘une
part, le secret ou la révélation du mode de conception dans la relation parents – enfants et,
d‘autre part, le pour ou le contre de l‘anonymat qui est au cœur du lien donneur – enfant.
Certains arguments concernent parfois l‘hétéroparenté, l‘homoparenté ou la monoparenté.
Nous faisons alors les distinctions nécessaires, mais notre réflexion ne s‘attarde pas à l‘un
ou l‘autre de ces cas spécifiques. L‘objectif n‘est pas d‘aborder la question de l‘accès à la
procréation assistée par les couples homosexuels ou les femmes seules. C‘est à
l‘anonymat sous toutes ses formes que nous nous intéressons. À noter que nous
n‘abordons pas la gestation pour autrui car, si cette problématique interpelle bien la
question de l‘anonymat, c‘est d‘abord la légitimité de la pratique qui est en cause. Les
contrats de mère porteuse sont par ailleurs sans effet en droit au Québec puisque nuls de
nullité absolue470. Ce n‘est finalement qu‘au terme de l‘étude globale, pour chaque
470
Code civil du Québec, supra note 18, art. 541; Attention à la jurisprudence dans les affaires Adoption —
07219,
2007
QCCQ
21504
(CanLII),
En
ligne :
152
relation impliquant l‘enfant, que nous en arrivons à une position éthique définitive au
Canada. À savoir, le maintien du secret pour les parents, dont à révélation à l‘enfant
relève davantage de l‘obligation morale s‘imposant dans le cadre d‘un privilège de
réserve, mais une abolition juridique de l‘anonymat des donneurs.
Ce chapitre constitue une critique spécifique à l‘éthique de la sollicitude. Il est fort
probable qu‘une autre approche éthique conduise à des conclusions différentes. Les
références à notre cadre théorique ne sont toutefois pas autonomiques. Elles se retrouvent
davantage dans la structure de notre pensée en vue d‘en arriver à la conclusion ci-haut
énoncée. Pour ce faire, du point de vue méthodologique, nous analysons la position de
chaque acteur et tâchons d‘exposer dans quelle mesure un sentiment de responsabilité doit
commander, compte tenu de la recherche d‘un équilibre entre les intérêts de chacun,
l‘instauration d‘un privilège de réserve et la reconnaissance du droit aux origines. Il est
assez paradoxal d‘évaluer de l‘extérieur le sentiment qu‘une personne devrait éprouver.
Aussi bien dire que nous lui dictons quoi ressentir afin qu‘elle intervienne, chose que l‘on
pourrait nous reprocher. Nous croyons toutefois en la justesse de notre approche
<http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2007/2007qccq21504/2007qccq21504.html> (Date d‘accès : 14 juin
2011);
Adoption
—
091,
2009
QCCQ
628
(CanLII),
En
ligne
:
<http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq628/2009qccq628.html> (Date d‘accès : 14 juin
2011);
Adoption
—
09184,
2009
QCCQ
9058
(CanLII),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq9058/2009qccq9058.html> (Date d‘accès : 18 janvier
2011);
Adoption
—
09185,
2009
QCCQ
8703
(CanLII),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq8703/2009qccq8703.html> (Date d‘accès : 18 janvier
2011);
Adoption
—
09367,
2009
QCCQ
16815
(CanLII),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq16815/2009qccq16815.html> (Date d‘accès : 18
janvier
2011);
Adoption
—
09558,
2009
QCCQ
20292
(CanLII),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2009/2009qccq20292/2009qccq20292.html> (Date d‘accès : 14 juin
2011);
Adoption
—
10329,
2010
QCCQ
18645
(CanLII),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2010/2010qccq18645/2010qccq18645.html> (Date d‘accès : 14 juin
2011);
Adoption
—
10330,
2010
QCCQ
17819
(CanLII).
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/qc/qccq/doc/2010/2010qccq17819/2010qccq17819.html> (Date d‘accès : 14 juin
2011).
153
théorique où l‘éthique du "care" est considérée dans sa dimension politique. À notre
défense, peut-être pouvons-nous simplement rappeler que, dans la sphère publique et
politique, nous devons également considérer les individus pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire
des personnes distinctes et particulières, et non comme des êtres relationnels abstraits. Les
rapports entre ces personnes doivent être moralement évalués et, lorsque cela s’avère
approprié, une attention particulière et soucieuse doit être portée aux besoins de
chacun471.
Il importe finalement de noter d‘entrée de jeu que la quête des origines de l‘enfant
issu d‘un don d‘engendrement ne concerne pas celui-ci uniquement qu‘en tant que
personne mineure. Par exemple, lorsqu‘un droit aux origines est reconnu dans la loi,
celui-ci sera généralement offert à l‘enfant ayant atteint sa majorité472. Nous pourrions
peut-être envisager la possibilité d‘un droit accordé au mineur âgé de plus de 14 ans,
comme dans le contexte des soins de santé requis par l‘état de santé 473, ou avec l‘accord
de l‘autorité parentale474. Le régime adopté au Québec en matière d‘adoption est dans
cette ligne de pensée. L‘article 583 du Code civil du Québec475 prévoit que :
« [l]'adopté majeur ou l'adopté mineur de 14 ans et plus a le droit d'obtenir
les renseignements lui permettant de retrouver ses parents, si ces derniers
y ont préalablement consenti. Il en va de même des parents d'un enfant
adopté, si ce dernier, devenu majeur, y a préalablement consenti.
L'adopté mineur de moins de 14 ans a également le droit d'obtenir les
renseignements lui permettant de retrouver ses parents, si ces derniers,
ainsi que ses parents adoptifs, y ont préalablement consenti.
471
Held, supra note 347 à la p. 130.
Shields, supra note 47 à la p. 39.
473
Code civil du Québec, supra note 18, art. 14; Pour les soins non requis par l‘état de santé du mineur de
14 ans et plus, voir l‘article 17.
474
McWhinnie, supra note 7 à la p. 815.
475
Supra note 18.
472
154
Ces consentements ne doivent faire l'objet d'aucune sollicitation; un
adopté mineur ne peut cependant être informé de la demande de
renseignements de son parent. »476
Néanmoins, de façon générale, l‘accès aux origines n‘est pas un droit exclusif de l‘enfant.
Ici, le terme "enfant" s‘applique en relation avec la quête même des origines. Le majeur,
en tant qu‘enfant issu d‘un don, voudra savoir qui est ou qui sont ses donneurs. Ken R.
Daniels se dit même contre l‘utilisation du terme "enfant" dans le présent contexte. Selon
lui nous devrions parler de personnes conçues avec les gamètes de tiers donneurs477.
SECTION 1 : ANALYSE DE LA RELATION PARENTS – ENFANT QUANT AU
SECRET SUR LA CONCEPTION AVEC TIERS DONNEUR
« Rien ne pèse tant qu'un secret:
Le porter loin est difficile aux Dames;
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d'hommes qui sont femmes. »
Jean de la Fontaine, Les femmes et le secret478
Cette fable écrite au 17e siècle par Jean de la Fontaine réfère à l‘indiscrétion des
femmes. Outre une certaine misogynie s‘en dégageant, elle nous rappelle joliment qu‘il
est parfois difficile de garder un secret. Surtout dans un contexte d‘infertilité où le couple,
476
Ibid.
Ken R. Daniels, « An examination of the ―best interests of children‖ in the field of assisted human
reproduction », (1999) 8 Eubios Journal of Asian and International Bioethics 146-148, En ligne:
<http://www.eubios.info/EJ85/ej85f.htm> (Date d‘accès: 31 janvier 2008) [Daniels, « Best interest »].
478
Source : Musée Jean de la Fontaine, Femmes et le secret – Recueil 2, Livre 8, Fable 6, En ligne :
<http://www.musee-jean-de-la-fontaine.fr/jean-de-la-fontaine-fable-115.html> (Date d‘accès: 10 novembre
2009).
477
155
en détresse émotionnelle et psychologique de ne pouvoir concevoir ou au prix d‘un long
processus de procréation assisté, ressent certainement le besoin de se confier à des
proches479.
Cela nous conduit directement au cœur de la relation parents – enfant, à savoir le
secret entourant le mode de conception et plus précisément le recours à un tiers donneur.
Dans la pratique, ce secret peut même être renforcé par l‘appariement effectué par la
clinique de fertilité s‘il est fait en fonction de la ressemblance physique entre le futur
parent et le donneur pressenti. Sont visés la couleur des cheveux et des yeux, la race, le
poids et parfois le groupe sanguin. L‘objectif est de rendre le donneur invisible et
d‘intégrer l‘enfant dans un modèle familial nucléaire480. Par conséquent, le recours au don
d‘engendrement peut parfois être accompagné d‘un interdit d‘accès à l‘égard des femmes
seules et des couples homosexuels481.
Les parents adoptent bel et bien une pratique du secret lorsqu‘il s‘agit de leur
utilisation des forces génétiques d‘un tiers afin de concevoir. Ils répugnent souvent que
cela se sache, notamment de leur enfant. Une auteure souligne qu‘à ce jour, d‘après les
estimations des Centres d'Études et de Conservation des Œufs et du Sperme (CECOS)
français, celles-ci étant confirmées par des études réalisées notamment dans les pays
479
Geneviève Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat dans l’assistance médicale à la procréation avec
donneurs de gamètes », (1998) 30 Med. & Droit 23 à la p. 25 [Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat »].
480
Guido Pennings, « The right to choose your donor: a step towards commercialization or a step towards
empowering the patient ? », (2000) 15: 3 Human Reproduction 508 à la p. 508; Kunstman, « Remise en
cause », supra note 42 à la p. 10.
481
Tel est le cas en France. Voir les articles L. 2141-2, L. 2141-6 et L. 2141-7 du Code de la santé
publique.
156
anglo-saxons, environ 70% des enfants conçus par suite d‘un don l‘ignorent482. Suite à
synthèse de 23 publications faites en 1980 et 1995, une autre auteure rapporte que la vaste
majorité des parents, 70 à 100% d‘entre eux, n‘avaient pas informé l‘enfant des
circonstances de sa conception et qu‘ils n‘avaient pas l‘intention de le faire dans le futur,
dans une proportion de 47 à 92%483. Une brève recension des études faites sur cette
question et présentée en 2001 confirme cette tendance484. Ces données générales doivent
considérées pour ce quelles sont, puisque n‘étant pas rattachées à des cohortes
suffisamment larges (parfois pas plus de dix enfants) permettant de tirer des conclusions
reflétant le vécu d‘un maximum ou d‘une majorité d‘enfants conçus grâce à un don
d‘engendrement, mais elles nous donnent le pouls de la situation, essentiellement en ce
qui concerne le don de sperme. Il existe également un gommage de la vérité en matière de
don d‘ovocytes485. Dans ce domaine, deux auteurs ont fait des constatations fort
intéressantes quant aux différents ratios existant entre la communication à l‘entourage et à
482
Dominique Mehl, Enfants du don – Procréation médicalement assistée : parents et enfants témoignent,
Paris, Éditions Robert Laffont, 2008 à la p. 247 [Mehl, « Enfants du don »].
483
Brewaeys, « Parent-child relationships », supra note 20 à la p. 43.
484
« In a study of assisted reproduction in Europe it was found that none of the donor insemination parents
had told their children the method of their conception (Cook et al., 1995). A Dutch study found that 94% of
DI parents planned not to tell the child how they were conceived (Brewaeys et al., 1997). SoderströmAnttila et al. (1998) reported that only 38% of couples who had received infertility treatment would tell
their children how they have been conceived (Soderström-Anttila et al., 1998). In the United States it was
found that a similar percentage of couples, 73%, would not tell their child (Klock et al., 1994). A Swedish
study found that, despite children being allowed identifying information about their donor when sufficiently
mature, 89% of parents had not informed their children of the circumstances of their conception (Gottlieb et
al., 2000). » Lucy Frith, « Gamete donation and anonymity », (2001) 16:5 Human Reproduction 818 à la p.
822 [Frith, « Donation »]; Références de ces études: R. Cook et al., « Disclosure of Donor Insemination:
Parental attitudes », (1995) 65 American Journal of Orthopsychiatric Association 549; A. Brewaeys, S.
Golombok et N. Naaktgeboren, « Donor insemination: Dutch parents‘ opinion about confidentiality and
donor anonymity and the emotional adjustment of their children », (1997) 12 Human Reproduction 1591;
V. Soderström-Abttila et al., « Health and development of children born after oocyte donation compared
with that of those born after in-vitro fertilisation, and parents‘ attitudes regarding secrecy », (1998) 13
Human Reproduction 2009; S. Klock, M. Jacob et D. Maier, « A prospective study of donor insemination
recipients: secrecy, privacy and disclosure », (1994) 62 Fertility & Sterility 477; C. Gottlieb, O. Lalos et F.
Lindblad, « Disclosure of donor insemination to the child: the impact of Swedish legislation on couples‘
attitudes », (2000) 15 Human Reproduction 2052.
485
Voir par exemple: Sandra Jane Hahn et Martha Craft-Rosenberg, « The Disclosure Decisions of Parents
Who Conceived Children Using Donor Eggs », (2002) 31 :3 Journal of Obstetric, Gynecologic, & Neonatal
Nursing 283.
157
l‘enfant en ce qui concerne le recours à un tiers donneur : sur un total de 262 couples (524
personnes), 81,7% femmes et 66,7% des hommes ont informé leur entourage. Si cela était
à refaire, 36,2% des femmes et 37,9% des hommes ne diraient rien autour d‘eux. Quant
aux enfants, seuls 11,5% des femmes et 7,9% des hommes leur avait dit leur mode de
conception. Une bonne proportion envisageait tout de même le faire486.
Un des arguments à l‘encontre de l‘anonymat est justement que les parents ne
disent souvent rien à l‘enfant sur les circonstances entourant sa conception. Cela se
déroule dans un contexte où une discrétion absolue peut être difficile et l‘enfant peut se
douter qu‘un secret le concernant pèse sur la famille487. Le recours à la procréation
assistée devient à un certain niveau un secret de polichinelle, connu de tous excepté de la
personne concernée. Il arrive corrélativement que l‘existence de secrets au sein de la
famille mène à l‘insécurité et à l‘instabilité et, conséquemment, nuise à la relation parents
– enfant. Bref, à la famille. Nous ne pouvons pas appliquer ce raisonnement à l‘ensemble
des familles où il y eu recours à un don d‘engendrement. Chaque personne et chaque
situation de famille sont différentes. Certains ne s‘en cachent pas et le disent ouvertement.
Dans la situation inverse, il est pertinent de garder à l‘esprit que les parents ayant parfois
ressenti le besoin de parler de leur démarche autour d‘eux peuvent, d‘une part, vivre dans
la peur que cela soit révélé à leur enfant. Par ailleurs, lorsque celui-ci apprend les
486
S.C. Klock et D.A. Greenfeld, « Parents‘ knowledge about the donors and their attitudes toward
disclosure in oocyte donation », (2004) 19 :7 Human Reproduction 1575; Voir également : Dorothy A.
Greenfeld et Susan Caruso Klock, « Disclosure decisions among known and anonymous oocyte donation
recipients », (2004) 81:4 Fertility and Sterility 1565: Cette étude est intéressante car elle souligne que le
processus de divulgation à l‘enfant de son mode de conception n‘était pas influencé par le recours à un
donneur connu ou anonyme.
487
H. K. Jørgensen et O. J. Hartling, « Anonymity in connection with sperm donation », (2007) 26 Med
Law 137 à la p. 138; Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 286; Sharon R. Cohen, « The
invisible man. Artificial insemination by donor and the legislation on donor anonymity: a review », (2004)
30:4 Journal of family Planning and Reproductive Health Care 270 à la p. 271.
158
circonstances entourant sa conception, il y a fort à parier qu‘il puisse être choqué et blessé
par la déception de ses parents488. Pareil secret semble finalement difficile, voire
impossible, à maintenir dans les contextes de la monoparenté et de l‘homoparenté.
Compte tenu de la réalité biologique, l‘enfant ne peut que se douter que son père ne fait
pas parti de son cercle familial immédiat. En l‘occurrence, nous ne référons qu‘au couple
lesbien car l‘unique possibilité d‘établir un lien biologique avec l‘enfant dans le cadre du
couple masculin est le recours à une mère porteuse, ce qui est interdit au Québec du point
de vue du contrat qui est nul de nullité absolue489. Si dans la réalité absolument rien
empêche un homme seul ou en situation de couple homosexuel d‘utiliser une mère
porteuse, son nom pourra apparaitre comme étant celui du père à l‘acte de naissance, dans
le dernier cas, le conjoint ne bénéficie d‘aucune protection lui accordant un statut parental
comme c‘est le cas à l‘article 538.2 alinéa 2 du code490.
Aussi, pour les opposants à l‘anonymat, ce principe est associé au secret afin
d‘épargner le narcissisme blessé des couples stériles et non en tenant compte de l‘intérêt
du futur enfant. Il ne s‘agit pas de renier l‘état de douleur que vivent les parents en
devenir. Elle est qualifiée par les tenants de la pleine transparence comme étant
probablement une des plus difficiles épreuves de l‘existence491. La logique du déni492
488
Emily Jackson, Regulating Reproduction: Law, Technology and Autonomy, Oxford/Portland, Hart
Publishing, 2001 à la p. 215; Johnston, supra note 47 à la p. 52; Laura Shanner, « Viewpoint: Legal
Challenges to Donor Anonymity », (2003) 11:3 Health L.R. 25 à la p. 25; Susan Golombok, « New
families, old values: considerations regarding the welfare of the child », (1998) 13:9 Human Reproduction
2342 aux pp. 2343-2344; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034.
489
Code civil du Québec, supra note 18.
490
Ibid.
491
Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat », supra note 479 à la p. 25; Delaisi et Verdier, supra note 126
aux pp. 258 et 262.
492
Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat », supra note 479 à la p. 25; Delaisi et Verdier, supra note 126
à la p. 262.
159
doit-elle pour autant supplanter l‘intérêt de l‘enfant dans la connaissance de ses origines?
Le fait de laisser aux parents le soin d‘annoncer à l‘enfant qu‘il est né grâce à un don
constitue-t-il une reconnaissance implicite de leur droit à la vie privée plutôt que du droit
de l‘enfant de savoir493?
Nous étudions ces questions du point de vue de la sollicitude. En l‘espèce, cette
forme d‘éthique requiert un engagement des parents envers l‘enfant pour lequel ils se font
du souci. Il ne s‘agit pas seulement d‘éprouver de la sympathie ou de la compassion à son
égard dans sa quête identitaire, mais de déterminer si les parents doivent en ressentir un
sentiment de responsabilité allant jusqu‘à exiger qu‘ils disent à l‘enfant la vérité sur les
circonstances de sa naissance. Or, notre analyse, dans la balance de intérêts de chacun,
nous conduit à la conclusion qu‘il s‘agit tout au plus d‘une obligation morale et que cette
décision, prenant la forme d‘un privilège de réserve, demeure dans la sphère privée
familiale et l‘autonomie des parents En aucun cas, cela ne se transforme en une obligation
juridique. Cela n‘exclut cependant pas toute intervention du législateur.
Afin d‘étayer notre position, la section 1 se divise en quatre sous sections
découlant d‘une application de notre grille d‘analyse basée sur les principes directeurs
identifiés par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. Dans un
premier temps, une réflexion sur l‘autonomie de l‘individu insiste sur la privatisation
actuelle de la famille. En appliquant, dans un deuxième temps, le principe d‘égalité à la
relation parents – enfant, nous identifions le secret comme une source importante de
pouvoir du parent sur l‘enfant. Le troisième sous point est certainement le plus important
493
Frith, « Rhetoric », supra note 356 à la p. 478.
160
et le plus complexe puisqu‘il s‘intéresse à la protection des personnes vulnérables grâce à
une meilleure compréhension et application des notions de bien-être et de meilleur intérêt
de l‘enfant. Quant au don de gamètes et d‘embryons, nous concluons que « si l‘intérêt de
l‘enfant ne commande pas toujours qu‘on lui révèle le secret de ses origines, il a aussi
droit qu‘on ne l‘interdise pas »494. Puisque l‘éthique de la sollicitude concerne
l‘interdépendance relationnelle des individus, nous terminons par un examen des intérêts
individuels et collectifs où nous cherchons un équilibre entre les intérêts et les besoins de
tous. C‘est à cette étape que nous procédons à une balance entre les prises de positions
spécifiques à chaque principe directeur et que nous finissons par considérer le bris du
secret par les parents comme un privilège de réserve et tout au plus une obligation morale.
En effet, cet élément fait partie intégrante de la vie privée du couple.
Tout au long de notre positionnement, nous revisitons les différents auteurs s‘étant
intéressés aux enjeux éthiques du secret de la conception. Nous référons également à
différentes études relevant des sciences sociales ou du milieu médical faisant part des
points de vue des différents acteurs et de leurs témoignages. D‘ailleurs, afin d‘atteindre
l‘équilibre que requiert l‘éthique de la sollicitude, la mise en œuvre et le respect de cette
obligation morale des parents nécessite la création, si ce n‘est déjà fait, d‘un service
d‘information afin qu‘ils aient une pleine connaissance de ce qu‘implique le don
d‘engendrement. Cela vient baliser l‘exercice du privilège de réserve qui ne constitue pas
un droit au silence. Nul droit au secret n‘est codifié dans la loi.
494
Deleury, « Filiation», supra note 13 à la p. 186.
161
1- AUTONOMIE DE L’INDIVIDU : LA PRIVATISATION DE LA
FAMILLE
Au chapitre 1, nous expliquons la nécessaire distinction entre le secret et
l‘anonymat en précisant qu‘il peut y avoir une atteinte à l‘autonomie de l‘enfant du don
dans la mesure où il ne peut exercer un potentiel droit aux origines si on ne lui en donne
pas l‘opportunité. Encore que, aucun des pays ayant adopté une politique de transparence
et de non anonymat en matière de dons n‘a formalisé de système visant à s‘assurer que
l‘enfant sache comment il a été conçu. La décision d‘informer l‘enfant de ces
circonstances particulières est laissée aux parents495.
Lors d‘une rencontre avec le Docteur Pierre Jouannet 496, praticien hospitalier
consultant en biologie de la reproduction à l‘hôpital Cochin de Paris, celui-ci nous
commentait néanmoins la situation des pays ayant aboli l‘anonymat, notamment en
Suède, et où peu d‘enfants peuvent en réalité exercer leur droit d‘obtenir le nom de leur
géniteur puisqu‘ils ne savent même pas qu‘ils sont issus d‘un don. Ce n‘est que lorsqu‘il y
a anonymat que les parents font preuve d‘ouverture à l‘égard de leur enfant497. Seuls 10 à
15% des parents concernés l‘ont informé des conditions de sa conception, alors que dans
bien des cas ils l‘ont dit à d‘autres498. La question n‘est pas tant de savoir si dans ces pays
495
Ibid. à la p. 477; Hampton, supra note 56 à la page 2683.
Novembre 2009.
497
Voir également : N. Kalampalikis, « Enjeux psychosociaux du don de sperme : le point de vue du
couple », (2010) 20 :1 Andrologie 37 aux pp. 42-43.
498
Ibid.; Dymphie van Berkel et al., « Differences in the attitudes of couples whose children were
conceived through artificial insemination by donor in 1980 and in 1996 », (1999) 71:2 Fertility and Sterility
226; Gottlieb, Lalos et Lindblad, supra note 484; Dans une étude récente sur la Suède, une large proportion
de parents se declarant en faveur de l‘honnêteté à l‘égard de l‘enfant. Néanmoins, i lest à deplorer qu‘elle ne
constaste pas combien d‘entre eux l‘ont véritablement fait. Voir S. Isaksson et al., « Two decades after
496
162
le droit aux origines est formellement reconnu par le droit. Par contre, si la possibilité
d‘obtenir le nom de son géniteur est offerte à l‘enfant et qu‘il ne peut entreprendre la
démarche, parce qu‘il ne sait pas les circonstances de sa naissance, cela révèle d‘une
réalité dont nous devons tenir compte. Très souvent, les parents ne révèlent le recours à
un don d‘engendrement que si une politique d‘anonymat leur donne le sentiment de
protéger leur lien avec l‘enfant.
Dans une étude sur le sujet, l‘équipe du Docteur Jouannet a plus précisément
constaté que la majorité des couples français procréant par don de sperme envisagent
informer l‘enfant de son mode de conception, mais la plupart souhaitent le maintien de
l‘anonymat du donneur. Cette enquête est fort intéressante car elle fut réalisée à grande
échelle en 2006 dans 14 Centre d‘études de conservation des œufs et du sperme (CECOS)
français auprès de trois groupes représentatifs du processus de procréation assistée avec
tiers donneur : le premier contenait 227 couples venant pour un premier entretien ou en
phase d‘attente du don, le second 188 couples en cours d‘AMP et finalement le troisième
119 couples ayant déjà obtenu au moins un enfant par don de sperme et à nouveau en
cours de prise en charge pour un nouvel enfant.
Les résultats démontrent d‘une part que les réponses des hommes et des femmes
aux différents stades de prise en charge de la procréation assistée avec donneur sont très
similaires. Une majorité informerait l‘enfant du fait qu‘il est issu d‘un don, mais la
proportion des couples n‘envisageant pas le faire augmente quand ils progressent dans
legislation on identifiable donors in Sweden: are recipient ready to be open about using gamete donation »,
(2011) 26:4 Human Reproduction 853.
163
leur démarche de procréation par don. Qui plus est, un quart d‘entre eux renoncerait à une
procréation par don de spermatozoïdes en cas de levée de l‘anonymat. Seuls 20% à 30%
des couples estimaient que des informations non identifiantes concernant le donneur
(principalement médicales) pourraient être données aux parents et aux enfants499.
L‘enquête de Jouannet établit que, contrairement à ce qui est souvent avancé, le maintien
de l‘anonymat du don de sperme n‘encourage pas les couples à maintenir le secret sur les
circonstances de la conception de l‘enfant. Bien au contraire, son abolition diminue la
tendance à soulever le voile et même, réduit la demande des couples receveurs500.
L‘anonymat donnerait la possibilité, à ceux qui veulent expliquer à leurs enfants les
raisons d‘un recours au don de sperme, de le faire sans que cela remette en question leur
rôle de père501.
Dans un article publié 2005, une auteure remarque, qu‘au Canada, le don anonyme
obtient la préférence des receveurs. Il y est fait mention d‘une étude de terrain menée
entre avril 2003 et mars 2005 dans tous les centres de fertilité associés au milieu
académique. Seulement 31% de 455 de celles qui ont utilisé un don de sperme ont choisi
un donneur dont l‘identité serait dévoilée à l‘enfant. Il est par contre remarqué que
l‘orientation sexuelle a une influence dans la mesure où 68% des couples lesbiens ont fait
ce choix. L‘étude illustre donc que, dans un contexte d‘hétérosexualité, la majorité des
femmes canadiennes choisissent des donneurs anonymes. Cela indique qu‘afin d‘inciter
499
P. Jouannet et al., Résultats d’une enquête de la Fédération des CECOS : La majorité des couples
procréant par don de sperme envisagent d’informer l’enfant de son mode de conception mais la plupart
souhaitent le maintien de l’anonymat du donneur, Poster. Ces données nous ont été communiquées par le
Docteur Jouannet.; Plus récemment, voir : Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288; Dans le
même sens : Kalampalikis, supra note 487; Freeman et al., supra note 288 aux pp. 505-506.
500
Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 aux pp. 33-34.
501
M. Marzano, « L‘anonymat dans l‘insémination avec don de sperme: un regard éthique », (2010) 20 :1
Andrologie 103 à la p. 106 [Marzano, « Regard éthique »].
164
les parents à parler, il faudrait un programme avec différents niveaux d‘anonymat afin de
répondre aux besoins de chaque famille502.
Les points de vue sur la corrélation entre l‘anonymat et le silence des parents
divergent. Pour les uns, l‘anonymat sert à renforcer ou à cautionner le secret quant au
désir de discrétion du couple et, pour les autres, non. En considérant les constats que nous
venons de faire, nous croyons pour notre part qu‘effectivement la mise en place d‘un
pouvoir discrétionnaire ne permet pas toujours à l‘enfant à qui est reconnu un droit aux
origines de l‘exercer. Pourtant, ce qui importe à ce stade de notre analyse est que c‘est
toute la question de la privatisation de la famille qui est en jeu dans cette partie du
processus du don d‘engendrement. Il s‘agit du cadre résolument privé à l‘intérieur duquel
un projet parental peut se développer et se concrétiser, et dans ce cas l‘État s‘en remet au
désir des individus. La filiation devient une affaire de volontés individuelles503. Cela est
lié à l‘évolution du statut de l‘individu dans la société et au primat de sa volonté dans la
création de la parenté qui est désormais au premier plan504. Cette vision des choses est en
accord avec le principe directeur de l‘autonomie en vertu duquel toute personne est libre
de choisir son mode de vie, surtout en ce qui a trait à son corps et à ses choix
fondamentaux portant sur sa santé, sa famille et sa sexualité. C‘est donc de
l‘autodétermination des parents quant à leur vie familiale dont il est question ou, plus
502
Étude rapportée dans: Hampton, supra note 56 à la page 2683.
Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 20.
504
Agnès Fine, « Pluriparentalités et système de filiation dans les sociétés occidentales », dans Didier Le
Gall et Yamina Bettahar, dir., La pluriparentalité, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, 69 à la p.
69 [Fine, « Pluriparentalitées et système »]; Attention, au Québec, « le consentement à la procréation
assistée est à lui seul insuffisant à fonder le lien de parenté; il doit être suivi, si les parents ne sont pas
mariés ou unis civilement au moment de la conception ou de la conception ou de la naissance, d‘une
«reconnaissance» officielle ou tacite : déclaration faite au directeur de l‘état civil ou gestes permettant de
constituer une possession d‘état constante. » Marie Pratte, « La filiation réinventée : l‘enfant menacé? »,
(2003) 33 R.G.D 541 à la p. 573 [Pratte, « Filiation réinventée »].
503
165
précisément, de leur autonomie reproductive comme partie intégrante de la vie privée des
personnes.
Le droit à la vie privée est d‘ailleurs reconnu au Canada. Il s‘agit d‘une protection
explicite dans les lois québécoises505. Quant aux lois canadiennes, « il ressort de la
jurisprudence […] portant sur l‘autonomie en matière de reproduction [, et découlant de
l‘article 7 de la Charte canadienne506,] que les individus ont droit d‘être à l‘abri de toute
intervention de l‘État en ce qui concerne les décisions personnelles fondamentales »507.
Puisque le droit à la vie privée inclut le droit de préserver son intimité, et donc sa vie
personnelle508, tel sera vraisemblablement le cas du choix de procréer et du moyen retenu
à cette fin509. Dans sa dimension individuelle, l‘autonomie reproductive renvoie donc à
l‘autodétermination dans le processus de prise de décision concernant les choix
reproductifs, ce qui est beaucoup plus large que la simple liberté qui implique l‘absence
d‘interférences ou la présence d‘alternatives510. La décision de recourir à un don relève en
505
Code civil du Québec, supra note 18, art. 3 al. 1 et 35 al. 2; Charte des droits et libertés de la personne,
supra note 77, art. 5.
506
Charte canadienne des droits et libertés, supra note 84; Rappelons que la Cour suprême du Canada a en
effet reconnu que l‘article 7 comprend à la fois le droit à la liberté physique et le droit de prendre des
décisions personnelles sans intervention de l‘État. R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, 1988 CanLII 90
(C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1988/1988canlii90/1988canlii90.html> (Date
d‘accès : 1er octobre 2010); Godbout c. Longueuil (Ville de), [1997] 3 R.C.S. 844, 1997 CanLII 335
(C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1997/1997canlii335/1997canlii335.html> (Date
d‘accès : 1er octobre 2010).
507
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-9.
508
Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 4e éd., Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2008 aux pp. 190-191.
509
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-9; Sur le sujet, voir également: Erin Lynne Nelson,
Reproductive autonomy and the regulation of reproduction : issues in law and policy, Ph.D., Columbia
University, 2007 aux pp. 148-163; Dana Hnatiuk, « Proceeding with insufficient care: A comment on the
susceptibility of the Assisted human reproduction act under section 7 of the Charter », (2007) 65:1 U.
Toronto Fac. L. Rev. 39.
510
Nelson, supra note 510 aux pp. 131-162.
166
conséquence de l‘autonomie des parents511. Cela inclurait le choix de le révéler ou non à
l‘enfant. Qui plus est, au Québec, l‘opinion de la doctrine est plutôt en faveur du secret512.
Il n‘est pas élevé au rang de droit, mais le secret bénéficie clairement d‘une
reconnaissance implicite en vertu de la protection de la vie privée en matière de
reproduction. Faire part de cette information à l‘enfant constituerait donc au maximum un
droit ou une obligation morale qui existe indépendamment de toute règle législative513.
Le caractère privé de la famille prend le pas sur l‘autonomie de l‘enfant dans cette
partie du processus procréatif. Nous constatons par ailleurs au point 3 que cela concorde
avec les objectifs de protection des parents quant à la perception qu‘ils ont d‘eux-mêmes
et de la famille. Cette position est par contre à la source d‘inégalités entre les parents et
leur enfant.
2- ÉGALITÉ : LE SECRET COMME SOURCE DE POUVOIR
La possibilité pour les parents monoparentaux ou de même sexe de passer sous
silence l‘utilisation des forces génétiques d‘un tiers est moindre. Dans les autres cas,
soutenir l‘existence d‘une égalité entre les parents et l‘enfant semble une position difficile
à défendre. De fait, la procréation assistée avec tiers donneur est le résultat d‘un processus
initié par les parents dans le cadre duquel l‘enfant, et adulte en devenir, n‘a pas
511
Robertson, supra note 469 aux pp. 1002-1003; Jennifer Foster et Barbara Slater, « Privacy and Assisted
Human Reproduction: A discussion Paper », (2002) 11:1 Health L.R. 56 aux pp. 56 et 58.
512
Beaulne, supra note 92 à la p. 260.
513
Frith, « Rhetoric », supra note 356 aux pp. 477-478; Eric Blyth, « Donor assisted conception and donor
offspring rights to genetic origins information », (1998) 6 Int‘l. J. Child. Rts. 237 à la p. 248 [Blyth,
« Offspring rights »].
167
consenti514. Il y a un fond de vérité dans l‘affirmation selon laquelle les individus ou les
couples ne font pas toujours un véritable libre choix d‘utiliser un don d‘engendrement,
compte tenu de leur détresse d‘avoir un enfant leur étant en partie génétiquement lié. Pour
eux, l‘adoption n‘est pas considérée comme une option. Par contre, à un niveau plus
fondamental, tant les parents que le donneur sont des participants volontaires. L‘enfant
n‘a quant à lui aucun contrôle sur les circonstances de sa conception ainsi que sur le
silence l‘entourant, incluant l‘identité de son géniteur515.
Comme solution au problème, pourrions-nous, par exemple, exiger que cette
information soit indiquée à même le certificat de naissance de l‘enfant 516 ou est-ce une
trop grande ingérence de l‘État dans la cellule familiale? La dernière position est celle
retenue par le CCNE à l‘égard de l‘obligation de révéler leur secret 517. Il serait possible
d‘inscrire au dossier médical de l‘enfant l‘information de santé concernant son donneur
afin d‘éviter toute nuisance découlant de décisions médicales basées sur un historique
génétique familial incorrect. Les parents n‘auraient alors pas à briser le secret. Cela
devient toutefois problématique à mesure que l‘enfant grandit car, une fois adulte, il
pourrait par exemple accéder à son dossier et constater qu‘il ne concorde pas avec
l‘histoire familiale518. D‘ailleurs, c‘est parfois pour éviter cette situation que des parents
informent leurs enfants du mode de conception. C‘est-à-dire, afin de mieux répondre au
médecin et faire face à des questionnements portant sur la transmission génétique de
514
Shields, supra note 47 à la p. 42.
Johnston, supra note 47 à la p. 52.
516
Frith, « Rhetoric », supra note 356 à la p. 481; Jackson, supra note 488 à la p. 216.
517
CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 22.
518
McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2035.
515
168
maladies ou de risques519. Il est manifestement difficile d‘en arriver à un compromis
pouvant satisfaire toutes les parties.
Puisque la vulnérabilité est liée aux inégalités de pouvoirs, dans le contexte de
l‘anonymat des dons, la personne vulnérable est incontestablement l‘enfant qui a été
conçu grâce à la procréation assistée. Il serait extrême de considérer que ce dernier est
susceptible d‘être manipulé, exploité ou contrôlé par ses parents qui sont en position
d‘autorité. Il est par contre évident qu‘il y a un rapport de forces inégales entre, d‘un côté,
l‘enfant en quête de vérité eu égard aux secrets de familles ou d‘éclaircissements sur les
circonstances de sa naissance et, d‘un autre côté, les personnes l‘empêchant de l‘établir et,
subséquemment, en vue d‘avoir accès à l‘information identifiante de son donneur520.
Le silence des parents constitue donc bel et bien un secret. Dans le présent
contexte, il s‘agit d‘une notion très chargée au niveau social. Pourtant, lorsque les parents
refusent que l‘enfant ait connaissance du recours au tiers donneur, cela correspond à ce
qui doit être tenu caché. Plus encore, leur silence réfère à ce qui est caché, voir intime.
Tant de conceptions qui renvoient au sens courant de ce qu‘est un secret. Relève-t-il du
mensonge? En fait, ce n‘est que lorsque que le secret a pour objet direct de tromper
quelqu‘un qu‘il devient illégitime.
« Mais la définition de termes comme «vérité», «mensonge» est l‘objet
depuis toujours de réflexions philosophiques et éthiques variées, sinon
parfois contradictoires, amplifiées de nos jours par toutes les
connaissances des sciences humaines. La discussion casuistique sur la
519
Gilles Séraphin, « L‘accès aux origines : les ressorts d‘un débat passionné », (2009) 5 Esprit 82 à la p.
96.
520
Johnston, supra note 47 à la p. 52.
169
véracité et la vérité dans les échanges humains est également
interminable. »521
Il n‘en demeure pas moins que nul aime être trompé. Le mensonge requiert donc
l‘élément intentionnel de la tromperie. Le secret entre dans cette catégorie si l‘on tait à
une personne une vérité importante qui lui est due. En matière de don d‘engendrement, la
question est de savoir quelle est la «vérité» et sous quelle forme elle est due. Un secret se
construit entre les membres du couple et concerne directement l‘enfant à qui on refuse
l‘identité de son géniteur522. S‘agit-il pour autant d‘un mensonge? Le silence des parents
est sans conteste un "non-dit" et donc un secret puisqu‘il « s‘accompagne de conduites
d‘évitement ou de comportements de fuite qui mettent les enfants sur la voie de ce qu‘on
leur cache »523. Puisque le tout se déroule dans le contexte médical, il faut d‘autre part
avoir conscience du fait que ce secret est partagé par l‘équipe soignante. Néanmoins, de là
à qualifier l‘attitude des parents de mensongère, cela requiert réflexion. Le mensonge
serait alors par omission, mais il nous semble délicat d‘affirmer de façon définitive que le
comportement des parents correspond à ces notions. En effet, si nous regardons de plus
près certaines des motivations des parents, celles-ci étant détaillées au point 3, il manque
l‘élément mal intentionné de la tromperie. Tromper c‘est abuser de la confiance d‘autrui.
Les parents le font-ils quand ils veulent protéger leur enfant et leur famille? Les raisons
justifiant le secret en fonction du meilleur intérêt de l‘enfant et de sa famille prennent
essentiellement la forme d‘arguments de protection. Il est cependant certain qu‘en tant
que savoir caché, cantonné à un nombre limité de personnes et protégé, le secret, qui jette
521
CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 18.
Ibid.
523
Ibid. à la p. 20.
522
170
un voile sur une vérité existante qui ne doit pas être révélée524, s‘inscrit donc dans une
relation de pouvoir sur les autres525.
Les travaux de Carol Smart sont très éclairants sur la place qu‘occupent les secrets
de famille dans la société actuelle. L‘auteure constate en ce sens que la notion de vérité
est devenue la pierre angulaire des relations modernes. La capacité à révéler ses
sentiments les plus intimes est perçue comme l‘élément définitionnel d‘une intimité
démocratique où l‘égalité s‘établit dans la relation entre les individus. Le fait de préserver
des secrets familiaux est au mieux considéré comme étant de l‘égoïsme et, au pire,
comme une source de nuisance. Le silence des parents en contexte de procréation assistée
est alors clairement cité en exemple. Smart évoque alors aux travaux de John Eekelaar526
pour qui le silence sur le mode de conception n‘est qu‘une façon pour les parents de
protéger leurs propres intérêts. Et cette protection n‘a pas une connotation positive car la
rétention de la vérité serait une manifestation du pouvoir "générationnel" grâce auquel des
personnes cherchent à contrôler et manipuler la génération suivante. L‘argument ne vise
même pas une évaluation du meilleur intérêt de l‘enfant. Cela devient littéralement une
question de justice. Smart met quant à elle en doute le fait que ces secrets ne se résument
qu‘à une simple question de pouvoir des parents sur leurs enfants. « For example, the
desire to keep paternity a secret may well be a way of protecting a child and not merely a
way of saving face for an adult. »527 L‘argument de l‘auteure part du constat que les
politiques et le droit en matière de famille ont une tendance grandissante à favoriser la
524
Ibid. à la p. 19
Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 217-219; Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la
p. 230; Marzano, « Regard éthique », supra note 501 à la p. 106.
526
J. Eekelaar, Family Law and Personal Life, Oxford, Oxford University Press, 2006.
527
Carol Smart, « Family Secrets : Law and Understanding of Openness in Everyday Relationships »,
(2009) 38 :4 Journal of Social Policy 551 à la p. 555 [Smart, « Family secrets »].
525
171
vérité génétique. Elle s‘oppose par contre à l‘imposition de cette vérité comme solution à
la fin d‘une supposée autorité tyrannique imposée par des parents pour leur seul bénéfice
puisqu‘à la base, les secrets de famille existent dans le cadre de relations complexes. Afin
de comprendre pourquoi, elle insiste sur la nécessité de situer les "secrets reproductifs"
dans leur contexte historique. « [T]his process may lead to an understanding that
openness and secrecy in families are not simply matters of individual integrity but also
social, legal and cultural context. Although personal morality is an issue here, it is
problematic to insist that those who keep secret are manipulative or disingenuous unless
one also has an understanding context. »528
Effectivement, le secret et l‘anonymat entourant le don de gamètes sont
historiquement le reflet de la perception de la procédure et du statut accordé aux enfants
qui en sont issus. L‘insémination thérapeutique a déjà été considérée comme un adultère
et les enfants du don, de petits bâtards à l‘extrême, en étaient le fruit529. Les images de la
pratique vétérinaire ou de l‘ouverture de la porte à l‘eugénisme ont également été
appliquées530. Tout cela découlait, tel que l‘explique Gilles David, pionnier français de
l‘insémination avec donneur, de la violation de la loi naturelle par l‘intervention du
médecin dans l‘acte de conception, du fait d‘assimiler à un adultère le recours à un
sperme étranger au couple et, enfin, du caractère vénal de l‘obtention du sperme531. Dans
un tel contexte, il est aisé de comprendre les motivations qui ont mené à la dissimulation
528
Ibid. à la p. 557.
Voir : Deborah Clapshaw, « Legal Aspects of Artificial Human Reproduction : Can the Law Afford to
Play Ostrich », (1980-1983) 4 Auckland U.L. Rev. 254; Au Canada, voir l‘affaire Orford v. Orford, (1921)
58 D.L.R. 251 (Ont. S.C.).
530
Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 à la p. 29.
531
G. David, « Don de sperme: le lien entre l‘anonymat et le bénévolat », (2010) 20 :1 Andrologie 63 à la p.
63.
529
172
de toute vérité. Il s‘agissait de protéger à la fois la mère et l‘enfant contre l‘opprobre532.
De même pour les donneurs parfois suspectés d‘être des psychopathes533. Afin de
maximiser leur anonymat, des praticiens ont même procédé à des mélanges de sperme534.
Néanmoins, tout comme Carol Smart, constatons que la notion même de famille
évolue. De nouvelles configurations familiales apparaissent (familles recomposées,
homoparentales), se transforment (ouverture à l‘adoption internationale, égalité du rôle
des hommes et des femmes) ou trouvent tout simplement une nouvelles légitimité sociale
(familles monoparentales)535. Le recours aux forces génétiques d‘un tiers est aujourd‘hui
bien reçu dans nombre de pays qui, d‘autre part, ne conservent plus la distinction entre les
enfants naturels et illégitimes536. Nous sommes passés d‘une philosophie de l‘adultère au
désir d‘enfant qui prend peu à peu la forme d‘une revendication en tant que droit537. Nous
n‘entrerons pas dans l‘épineux débat du droit à l‘enfant, mais nous noterons que le don
d‘engendrement sert bien la finalité de l‘assistance à la procréation lorsqu‘il respecte
certaines conditions. Peut-être pouvons-nous simplement souligner l‘ironie historique liée
à l‘apparition récente du concept de "désir d‘enfant" à l‘ère de la contraception. « Pour les
générations précédentes, le fait d‘avoir un enfant était naturel, on n‘avait pas besoin de le
déclarer publiquement. En général, nos ancêtres se plaignaient d‘en avoir trop, sans même
avoir le temps de les désirer. »538 Alors qu‘aujourd‘hui nous assistons à un total
532
Katheryn D. Katz, « Ghost mothers : human egg donation and the legacy of the past », (1993-1994) 57
Alb. L. Rev. 733 à la p. 768 [Katz, « Ghost mothers »].
533
Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 à la p. 29.
534
Katz, « Ghost mothers », supra note 532 à la p. 767; Johnston, supra note 47 à la p. 51.
535
Belleau, supra note 5 au par. 8.
536
Ibid.
537
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 aux pp.
12-13.
538
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 43.
173
renversement de vapeur dans l‘attitude des gens, dont certains clament haut et fort leur
droit à l‘enfant par tous les moyens possibles.
Il semble que le contexte historique ne puisse plus excuser à lui seul le secret et
l‘anonymat. Pourtant, si nous en revenons à la thèse de Carol Smart, ce même contexte
permet de mieux comprendre l‘importance de situer socialement la pratique du don
d‘engendrement, c‘est-à-dire à l‘intérieur de rapports familiaux complexes où des secrets
sont inévitables. « In families, secrets may be felt to be necessary for the preservation of
relationships, and the ‗truth‘ may be taken to be less important than establishing
fictions. »539 L‘introduction de la reproduction hétérologue dans le modèle de la filiation
charnelle, ou par le sang, est une de ces fictions. Le contexte historique du don
d‘engendrement a évolué. La demande des parents lorsqu‘ils souhaitent garder le silence
semble se fonder sur des motifs leur étant beaucoup plus personnels, quoi que les
revendications de protection des parents puissent être influencées par ce contexte
historique. Il n‘en demeure pas moins que nous remarquons qu‘à travers le temps
l‘affirmation de Smart a toujours trouvé application. En fait, « [t]he need for a certain
kind of secrecy at different times in different circumstances can be interpreted as a
response to social vulnerability »540. Cette vulnérabilité sociale peut tout aussi bien
prendre pied dans le contexte intimiste de la famille où les relations entre les individus
sont à la fois complexes et de premier ordre. La cellule familiale est certainement l‘un des
principaux lieux d‘interaction sociale d‘un individu.
539
540
Smart, « Family secrets », supra note 527 à la p. 563.
Ibid. à la p. 564.
174
Nous pouvons associer le raisonnement de Carol Smart à une logique basée sur
l‘éthique de la sollicitude en contextualisant le concept de secret à l‘intérieur de relations
humaines. Nous retrouvons donc ici un impact de l‘approche relationnelle. La réflexion
de l‘auteure a une valeur certaine lorsqu‘elle conclut que, malgré une association entre la
prise en importance de la vérité génétique dans la famille et la nécessité de faire preuve de
transparence, cela se manifeste dans le cadre de rapports où des membres de la famille
peuvent se trouver en situation de vulnérabilité541. Ceci est tout aussi vrai dans le don
d‘engendrement où le silence peut être perçu comme un moyen de protéger les parents,
leur enfant et la famille. Ce n‘est pas sans raisons que les parents font davantage preuve
d‘ouverture que lorsque l‘anonymat est en place. La prise en compte de cette perception
de la problématique contribue à l‘équilibre recherché en vertu de la sollicitude.
Notamment si l‘on tient compte de toute la place occupée par l‘autonomie des parents.
Néanmoins, si nous réfléchissons en termes d‘égalité entre cette autonomie et celle
de l‘enfant qui n‘a pas de contrôle sur les circonstances de sa conception et le secret
l‘entourant, il devient évident qu‘une relation de pouvoir apparaît. Aussi, cela nous guide
vers la conclusion que l‘obligation d‘informer l‘enfant de l‘existence d‘un géniteur
externe au couple constituerait plus qu‘une obligation morale. La relation de pouvoir doit
alors susciter un sentiment de responsabilité chez les parents à l‘égard de l‘enfant qu‘ils
font naître. En utilisant l‘internormativé, l‘éthique de la sollicitude imposerait alors au
législateur qu‘il oblige les parents à informer leur enfant des circonstances de sa
conception.
541
Ibid. aux pp. 557-558.
175
Si nous poursuivons l‘analyse des principes directeurs de l‘éthique de la
sollicitude, c‘est-à-dire en fonction du bien-être et du meilleur intérêt de l‘enfant, cette
conclusion se maintient-elle? Qui plus est, la vulnérabilité liée aux inégalités de pouvoir
requiert une protection des personnes vulnérable, dont l‘enfant.
3- PROTECTION DES PERSONNES VULNÉRABLES : LE MEILLEUR
INTÉRÊT ET LE BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT
Que signifient le "meilleur intérêt et le bien-être de l‘enfant" en procréation
assistée542 et quel impact ont-ils sur le débat en cause? Ces questions délicates sont parmi
les plus difficiles à déterminer. À l‘instar de Frédérique Lesaulnier, nous pourrions
postuler que la réponse ne nous appartient guère à nous juristes; celle-ci relevant sans
doute davantage des spécialistes de l‘enfance et notamment de la psychologie infantile543.
En assumant son rôle de régulateur dans le contexte des technologies de la reproduction,
l‘État se doit par contre de tenir compte de cette dimension essentielle liée à l‘enfant
lorsqu‘il adopte une règle de droit. Une appréciation de sa part est par conséquent
inévitable et, en vertu de l‘éthique de la sollicitude, nécessaire.
Lorsqu‘elle définit le principe directeur de la protection des personnes
vulnérables, la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction renvoie à
la notion de bien-être :
542
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-46.
Frédérique Lesaulnier, « L‘enfant né d‘une procréation médicalement assistée et le secret de l‘identité de
l‘auteur du don », (1998) 30 Médecine & Droit 16 à la p. 19; Voir également la critique dans : Michael
King et Catherine Kratz, « La notion d‘intérêt de l‘enfant en droit : vecteur de coopération ou
d‘interférence », (1992) 22 Droit et Société 607.
543
176
« des personnes qui sont moins en mesure de subvenir à leurs propres
besoins ou qui sont exposées à l‘exploitation pour diverses raisons.
L‘exemple le plus commun est le bien-être des enfants. La société a la
responsabilité de faire en sorte que cette vulnérabilité soit réduite lorsque
c‘est possible et que les personnes vulnérables ne soient pas manipulées
ou contrôlées par ceux qui sont en position de pouvoir ou d‘autorité. »544
Pourtant, cette description ne permet nullement de procéder à une évaluation effective du
"bien-être de l‘enfant". Elle ne fournit aucunes caractéristiques ou aucuns critères
permettant de guider la prise de décision.
Or, la doctrine juridique nous offre un concept similaire pouvant répondre à cette
exigence, celui du meilleur intérêt ou de l‘intérêt supérieur de l‘enfant. Tous ne seront pas
en accord avec l‘association que nous faisons et soutiendront que ce sont deux notions
complètement différentes. La première correspondrait davantage à l‘univers de la
réflexion en sciences sociales, par exemple en ce qui concerne l‘éthique de la procréation
assistée545, alors que la seconde constituerait une expression proprement juridique
renvoyant aux droits de l‘enfant546. La Cour suprême indique en ce que « [l]‘ «intérêt
544
Schrecker et al., supra note 366 à la p. 252.
Voir par ex : Darren Langdridge, « The welfare of the child: Problems of indeterminacy and
deontology », (2000) 15:3 Human Reproduction 502; Guido Pennings, « The welfare of the child –
Measuring the welfare of the child: in search of the appropriation evaluation principle », (1999) 14:5
Human Reproduction 1146; B. Solberg, « Getting beyond the welfare of the child in assisted
reproduction », (2009) 35 Journal of Medical Ethics 373; ESHRE Task Force on Ethics and Law including
G. Pennings et al., « ESHRE Task Force on Ethics and Law 13: the welfare of the child in medically
assisted reproduction », (2007) 22:10 Human Reproduction 2585: Dans cet article, les auteurs soulignent
que le bien-être de l‘enfant est une préoocupation morale relativement nouvelle. Ibid. à la p. 2585.
546
Cela est la terminologie utilisée au Québec dans Claire Bernard, Robin Ward et Bartha Maria Knoppers,
« ―Best interests of the child‖ exposed: A portrait of Quebec custody and protection law », (1992-1993) 11
Can. J. Fam. L. 57 à la p. 122
545
177
supérieur de l‘enfant» est un principe juridique établi en droit international et en droit
canadien »547.
L‘ampleur de la distinction conceptuelle nous semble toutefois plus ténue qu‘il
n‘y parait car, du point de vue définitionnel, le meilleur intérêt de l‘enfant et son bien-être
sont deux concepts inclusifs de l‘autre. Par exemple, en 1983, dans l‘affaire In re Goyette
c. Centre des services sociaux de Montréal548, la Cour supérieure du Québec a souligné
que l‘intérêt de la personne est la mesure de son bien-être et que celui-ci comprend quatre
aspects : le physique, l‘émotionnel, l‘intellectuel et le spirituel549. Plus récemment, dans
A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l'enfant et à la famille)550, la Cour suprême du
Canada notait que « [l]e critère de « l‘intérêt supérieur » de l‘enfant a pour objet général
d‘indiquer aux tribunaux les considérations qui doivent les guider lorsqu‘ils agissent au
nom de personnes vulnérables ». Est-ce à dire qu‘il s‘agit de la traduction juridique du
principe du bien-être de l‘enfant? De fait, les quatre éléments mentionnés ci-haut nous
apparaissent comme étant constitutifs de ce qu‘est le bien-être de l‘enfant. Cela nous
conduit corrélativement à l‘évaluation de ce dernier qui ne peut se faire qu‘en recherchant
le meilleur intérêt de l‘enfant qui, ontologiquement, ne doit pas être subordonné aux
intérêts des autres. Effectivement:
« it requires a decision made with respect to a child to be justified from the
point of view of a judgement avoutthe child‘s interests. Put another way :
it would be inconsistent with the welfare principle to make a decision that
547
Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S.
76, 2004 CSC 4 (CanLII), En ligne: <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2004/2004csc4/2004csc4.html>
(Date d‘accès: 23 novembre 2010).
548
[1983] R.J.Q. 429 (C.Q.).
549
Ibid. à la p. 434; Interprétation tirée de Barnard, Ward et Knoppers, supra note 546 à la p. 59.
550
2009 CSC 30, [2009] 2 RCS 181, 2009 CSC 30 (CanLII), En ligne :
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2009/2009csc30/2009csc30.html> (Date d‘accès : 18 juin 2011).
178
is overtly justified by reference to the way the outcome benefited some
other interest or interests. I have elsewhere suggested that the
development of the structures relating to the family reveals a movement
from an era when children were institutionally perceived as instruments
for the promotion of the interests of others (whether their parents, their
wider family of their social group, which I cal ‗instrumentalism‘), to one
where children‘s carers where expected to use their position further the
children‘s interests. »551
Chaque concept s‘appuie en définitive sur l‘autre et le résultat analytique est en bout de
ligne de même nature. D‘ailleurs, en droit britannique, le législateur réfère au "welfare
principle"552 dans la même perspective que le meilleur intérêt de l‘enfant en droit
québécois553. Les auteurs l‘interprétant et le confondant avec le "best interest standard"
sont, dans la même lignée, nombreux554. Parmi eux, John Eekelaar remarque que la
notion d‘intérêt est peut-être trop vague et que celle de bien-être, plus nuancée, permet
une meilleure compréhension du test à appliquer. Pourtant, l‘essence de la réflexion
demeure la même. Il ajoute en effet que « [t]he concept of well-being accord well with a
rights analysis for, if people have rights to anything, it must include their right that their
well-being should be respected »555. Aussi, puisque l‘internormativité se pose comme une
influence mutuelle du droit et de l‘éthique, il nous semble opportun de tirer de
551
John Eekelaar, « Beyond the welfare principle », (2002) 12 Child and Family Law Quaterly 237
[Eekelaar, « Welfare principle »].
552
Voir : Human Fertilisation and Embryology Act 1990, 1990 c. 37, art. 13 (5), En ligne:
<http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1990/37/data.pdf> (Date d‘accès: 28 novembre 2010); Human
Fertilisation and Embryology Act 2008, 2008 c. 22, art. 14 (2) (Article modifiant l‘article 13 (5) de la loi de
1990. En ligne: <http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2008/22/enacted/data.pdf> (Date d‘accès: 28
novembre 2010).
553
Voir par exemple : Children Act 1989, 1989 c. 41, art. 1, En ligne :
<http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1989/41/enacted/data.pdf> (Date d‘accès : 16 juin 2011).
554
Shazia Choudhry, « Best Interests in the MCA 2005 – What can Healthcare Law Learn for Family
Law », (2008) 16 Health care Analysis 240; Ken R. Daniels et al., « The Bests Interests of the Child in
Assisted Human Reproduction: The interplay between the State, Professionals, and Parents », dans Michael
Freeman, dir., Children, Medicine and the Law, Aldershot, Dartmouth Publishing Company/Ashgate
Publishing Limited, 2005, 35 [Daniels et al., « Best interests »]; John Harris, « The welfare of the child »,
(2000) 8 Health Care Analysis 27; Jonathan Herring, « Farewell Welfare », (2005) 27 :2 Journal of Social
Welfare and Family Law 159; Stephen Parker, « The best interests of the child – principles and problems »,
(1994) 8 Int‘l J.L. & Fam. 26.
555
Eekelaar, « Welfare principle », supra note 551.
179
l‘enseignement juridique les éléments constitutifs nécessaires à la compréhension du
bien-être de l‘enfant.
Afin de procéder à notre propre évaluation de l‘intérêt de l‘enfant et de son bienêtre, il importe dans un premier temps de dresser un portrait général du principe de
l‘intérêt supérieur afin d‘en comprendre le sens. Puis, nous procédons à une analyse à la
lumière du secret appliqué par les parents. Nous y expliquons pourquoi la révélation du
mode de conception à l‘enfant est dans son intérêt compte tenu de l‘approche théorique
que nous appliquons à la problématique et dans le cadre duquel nous positionnons le
concept du meilleur intérêt de l‘enfant. Un autre regard pourrait mener à une autre
conclusion.
3.1 L’interprétation générale du meilleur intérêt de l’enfant en droit
Il existe, en droit, deux niveaux d‘interprétation de l‘intérêt de l‘enfant et l‘un
d‘entre eux est en accord avec l‘utilisation que nous en faisons. Il s‘agit de l‘intérêt in
abstracto qui fonde la règle législative et peut être assimilé à l‘intérêt des enfants en
général. Ce dernier justifie la mise en place ou la modification de la règle de droit. De son
côté, l‘intérêt in concreto aménage un critère d‘interprétation de la loi dans le cas d‘un
enfant en particulier. Cela vise à choisir, parmi toutes les possibilités qui ont été élaborées
dans l‘intérêt abstrait des enfants en général, celle qui correspond le mieux à celui d‘un
enfant déterminé556. S‘agissant du fondement même de la règle de droit relative à
556
Carmen Lavallée et al., Pour une adoption québécoise à la mesure de chaque enfant : Rapport du
groupe de travail sur le régime québécois de l’adoption, 30 mars 2007 à la p. 23, En ligne :
180
l‘anonymat, ce qui l‘inspire557, et non de son interprétation une fois qu‘elle est adoptée,
c‘est à l‘intérêt abstrait que nous avons recours, à travers le regard de la sollicitude.
D‘ailleurs, nous établissons parallèlement, dans la section 2 du chapitre 1 consacrée
l‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique, que la réflexion peut être appliquée à
un groupe de personnes auquel l‘individu appartient ou auquel il s‘identifie. Il faut par
contre être prudent car l‘ « intérêt [de ce groupe de personnes] doit être évalué en fonction
du contexte social dans lequel […] évolue [l‘enfant né d‘un don d‘engendrement] et non
sur la base de conceptions sociales qui appartiennent à d‘autres cultures ou d‘autres
époques »558.
Il ne s‘agit pas, dans les limites de cette thèse, de considérer l‘application
législative de l‘intérêt de l‘enfant selon toutes les subtilités des différents domaines du
droit, en matière de famille, de santé, etc. Nous constatons plutôt dans les paragraphes qui
suivent que, même dans l‘univers juridique, la nature du meilleur intérêt de l‘enfant lui
confère un statut à part. Il est composé de deux principales caractéristiques n‘en faisant
pas un standard dont le contenu est déterminé d‘avance et applicable de manière uniforme
à tous les cas d‘espèce. De l‘interprétation qui en est faite, découle d‘une part un principe
primordial, mais non absolu pouvant être subordonné à d‘autres intérêts. Il s‘agit d‘autre
part d‘une notion au contenu nécessairement variable et évolutif.
<http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/pdf/adoption-rap.pdf> (Date d‘accès: 27
janvier 2008); Cette classification provient initialement du travail de Chabert, supra note 78 aux pp. 53 et
ss.
557
Chabert, supra note 78 à la p. 73.
558
Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 26.
181
a) Un principe primordial, mais non absolu pouvant être subordonné à
d’autres intérêts
À l‘échelle internationale, la Convention relative aux droits de l’enfant559 requiert
que « [d]ans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une
considération primordiale »560. Il s‘agit d‘un principe juridique561, mais plus
spécifiquement d‘un principe général d‘interprétation et d‘action562 qui consacre « le
critère du meilleur intérêt de l‘enfant comme étant celui devant présider aux décisions qui
le concerne »563. Néanmoins, puisque ce n‘est pas un principe de justice fondamentale564,
l‘article 3 de la Convention est d‘application nuancée. Il prévoit que l‘intérêt supérieur de
l‘enfant doit être une considération primordiale et non la considération primordiale dans
les décisions qui le concerne565. Cela signifie donc que les intérêts d‘autres personnes, à
savoir les parents et le donneur, peuvent être considérés comme égaux ou supérieurs à
ceux de l‘enfant566. Cela pourrait être le cas du respect de la vie privée des parents
comparativement à la nécessité de dire à l‘enfant comment il a été conçu.
559
Supra note 87 (Ci-après : « la Convention »).
Ibid., art. 3 al. 1; Pour une analyse intéressante de cet article, voir Philip Alston, « The best interests
principle: toward a reconciliation of cultures and human rights », (1994) 8 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 1.
561
Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), supra note 547.
562
Renée Joyal, « La notion d‘intérêt de l‘enfant, sa place dans la convention des Nations Unies sur les
droits de l‘enfant », (1991) 62 Rev. I.D..P. 785 à la p. 788.
563
Michel Tétrault, Droit de la famille, 3e éd., Cowansville (Qc.), Éditions Yvon Blais, 2005 à la p. 1233.
564
Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), supra note 547.
565
Tétrault, supra note 563 à la p. 221; Voir également : Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p.
239.
566
Claire Breen, « Poles apart? The best interests of the child and assisted reproduction in the antipodes and
Europe », (2001) 9 Int‘l J. Child. Rts. 157 à la p. 165; Daniels et al., « Best interests », supra note 554 à la
p. 35.
560
182
Bien que le Canada ait signé la Convention le 28 mai 1990 et l‘ait ratifiée le 11
décembre 1992567, elle n‘a aucune application directe au Canada. La Convention n‘a pas
été mise en vigueur par le Parlement568, c‘est-à-dire qu‘elle n‘a pas été explicitement
intégrée dans le droit interne par le biais d‘une loi spécifique569. Par conséquent, elle ne
peut donner ouverture à un droit d'action devant un tribunal canadien570. La Cour suprême
dans l‘arrêt Baker c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’Immigration)571 a par
contre statué qu‘il est légalement légitime d‘avoir recours aux dispositions contenues
dans de tels textes dans le processus d‘interprétation des lois et en matière de contrôle
judiciaire572. Nous pouvons toutefois déterminer si les dispositions législatives
canadiennes actuelles concernant le secret et l‘anonymat des donneurs sont conformes
aux valeurs et principes de la Convention. Nous pensons en particulier aux dispositions de
celle-ci qui protègent les droits de l‘enfant et son intérêt supérieur dans les décisions qui
ont une incidence sur son avenir573. Cette protection répond à des intérêts à court terme,
mais également aux effets à plus long terme de la procédure et de l‘anonymat sur le
développement de l‘enfant en tant que personne issue d‘une procréation assistée. Nous
sommes ici confrontés à une source d‘internormativité puisque le Canada est présumé
567
Deleury et Goubau, supra note 508 à la p. 523; L‘auteure spécifie également que le gouvernement du
Québec s‘est déclaré lié par la Convention le 9 décembre 1991. Ibid.
568
Baker c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII
699 (C.S.C.), En ligne : <http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1999/1999canlii699/1999canlii699.html>
(Date d‘accès: 16 janvier 2011).
569
Carmen Lavallée, « La Convention internationale relative aux droits de l‘enfant et son application au
Canada », (1996) 3 R.I.D.C. 605 à la p. 613 [Lavallée, « Convention »].
570
Jean-François Noël, La Convention relative aux droits de l'enfant, Ministère de la justice du Canada,
2009, En ligne : http://www.justice.gc.ca/fra/pi/fea-fcy/bib-lib/util-tool/theme-topic/conv2a.html (Date
d‘accès: 1er juillet 2010).
571
Supra note 568.
572
Ibid.; Interprétation du jugement dans : Jacques Chamberland, « L‘application de la Convention relative
aux droits de l’enfant par les tribunaux canadiens depuis l‘Arrêt Baker : erre d‘aller ou accélération »,
Conférence « Mise en œuvre des droit de l’enfant : perspectives nationales et internationales », Montréal,
18-20 novembre 2004 à la p. 4, En ligne : <http://www.canadiancrc.com/PDFs/Chamberland_fr.pdf> (Date
d‘accès: 11 janvier 2008); Lavallée, « Convention », supra note 569 aux pp. 627-629.
573
Baker c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’Immigration), supra note 568; Sur le sujet, voir :
Giroux et DeLorenzi, supra note 87.
183
vouloir se conformer à la Convention574. Celle-ci acquiert donc une légitimité certaine à
défaut d‘être légalement contraignante. Par ailleurs, le contenu de la Convention reçoit
déjà une application partiellement de la part du Canada qui a adopté plusieurs dispositions
afin de garantir les droits de l‘enfant575.
Au Canada, en matière de technologies de la reproduction, tout comme dans la
législation britannique, le législateur réfère au bien-être de l‘enfant et requiert sa
prévalence. La notion prend son assise dans les principes directeurs de la Loi sur la
procréation assistée576. En vertu de l‘article 2 a), « la santé et le bien-être des enfants
issus des techniques de procréation assistée doivent prévaloir dans les décisions
concernant l'usage de celles-ci ». Dans ces circonstances, le bien-être de l‘enfant s‘avère
un pilier majeur de la prise de décision du législateur puisqu‘il constitue un principe
éthique directeur devant guider l‘interprétation même du texte de loi. Nous retrouvons ici
la claire influence de la protection des personnes vulnérables telle qu‘établie par la
Commission Royale sur les nouvelles techniques de reproduction dans le cadre de son
éthique de la sollicitude. À cette occasion, nous pouvons clairement considérer que le
pluralisme normatif prend toute sa signification et que l‘internormativité a produit son
effet. Il nous semble par contre, qu‘encore là, si la santé et le bien-être des enfants issus
574
Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des
lois, 4e édition, Montréal, Les Éditions Thémis, 2009 à la p. 428 : La présomption de conformité au droit
intenational : « [L]e législateur est censé ne pas vouloir légiférer d‘une manière inconciliable avec des
obligations internationales de l‘État. Entre deux sens possibles d‘une disposition, il faut préférer celui qui
est conforme à ces engagements. »
575
Voir : Gouvernement du Canada, Troisième et quatrième rapports du Canada sur la Convention relative
aux droits de l'enfant - soumis aux Nations Unies le 20 novembre 2009, En ligne :
<http://www.pch.gc.ca/ddp-hrd/docs/pdf/canada3-4-crc-reports-nov2009-fra.pdf> (Date d‘accès : 14 juin
2011).
576
Supra note 22.
184
des techniques de procréation assistée doivent prévaloir, ils ne doivent pas constituer la
seule et unique préoccupation à entrer en ligne de compte.
Le législateur québécois a finalement édicté dans le Code civil du Québec577
divers principes généraux de protection parmi lesquels se trouve celui du meilleur intérêt
de l‘enfant. L‘article 33 prescrit que « [l]es décisions concernant l'enfant doivent être
prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. Sont pris en considération, outre les
besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son
caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation »578. L‘article 3 de la Loi
sur la protection de la jeunesse579 crée une exigence semblable. Ces articles de loi
s‘intègrent à une législation de protection580. Malgré la reconnaissance de l‘enfant à titre
de sujet de droit, au même titre que l‘adulte, et la prise en considération du meilleur
intérêt de l‘enfant, d‘autres garanties sont nécessaires. Il est un sujet particulier ayant
besoin de protection581. L‘article 33 n‘est pas créateur de droit pour l‘enfant582, mais cet
intérêt de l‘enfant « est devenu en droit civil québécois la pierre angulaire des décisions
prises à son endroit »583. C‘est la considération primordiale à laquelle toutes les autres
577
Supra note 18.
Ibid., art. 33.
579
L.R.Q. c. P-34.1; Il précise que « les décisions prises en vertu de la présente loi doivent l'être dans
l'intérêt de l'enfant et dans le respect de ses droits. Sont pris en considération, outre les besoins moraux,
intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les
autres aspects de sa situation. »
580
Bernard, Ward et Knoppers, supra note 546 à la p. 122.
581
Sur le sujet, voir : Deleury et Goubau, supra note 508 aux pp. 533-538.
582
Tétrault, supra note 563 à la p. 1235.
583
C.G.
c.
V.F.,
[1987]
2
R.C.S.
244,
1987
CanLII
20
(C.S.C.),
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1987/1987canlii20/1987canlii20.html> (Date d‘accès: 16 janvier
2011).
578
185
doivent rester subordonnées584, mais cela ne signifie pas que nous pouvons invoquer cette
notion pour n‘importe quoi, n‘importe comment. Les autres conditions de la loi doivent
être respectées. « [L]‘intérêt de l‘enfant, tout important qu‘il soit, n‘est pas
dictatorial »585. Encore une fois, puisque d‘autres intérêts ou considérations peuvent le
subordonner, l‘intérêt de l‘enfant ne peut être qualifié de principe de justice
fondamentale586.
Nous en avons d‘ailleurs eu une démonstration flagrante en matière de gestation
pour autrui. La Cour du Québec a établi, en janvier 2009, que la conjointe du père
biologique d‘un enfant ainsi conçu ne peut l‘adopter et ce, même si la mère légale, c‘està-dire celle ayant accouché, donne un consentement spécial à la procédure587. Ainsi, face
à l‘illégalité du projet, le juge a rejeté la demande d‘adoption en reconnaissant que cette
décision ne va pas obligatoirement dans le sens du meilleur intérêt de l‘enfant. L‘adoption
ne peut avoir lieu que dans l‘intérêt de l‘enfant et aux conditions prévues par la loi588.
Néanmoins, cet intérêt ne peut justifier la violation des autres conditions de la loi. Le juge
ne pouvait donc reconnaître ou donner des effets légaux à un contrat qui est illégal 589. La
mère biologique n‘apparaissant pas sur l‘acte de naissance et ayant renoncé à ses droits,
l‘enfant n‘a conséquemment pas de mère légale ayant le pouvoir d‘exercer l‘autorité
parentale. À la lumière de ce jugement, des questions fondamentales se posent. Devrait-
584
King
c.
Low,
[1985]
1
R.C.S.
87,
1985
CanLII
59
(C.S.C.),
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1985/1985canlii59/1985canlii59.html> (Date d‘accès: 16 janvier
2011).
585
A. Mayrand, « Égalité en droit familial québécois », (1985) 19 R.J.T. 249 à la p. 277 Extrait tiré de
Deleury et Goubau, supra note 508 à la p. 554.
586
Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), supra note 547.
587
Le mécanisme utilisé par les parents est celui de l‘article 555 du Code civil du Québec, supra note 18.
588
Ibid., art. 543 al. 1.
589
Adoption — 091, supra note 470.
186
on continuer d'interdire les contrats de gestation pour autrui? Dans l'affirmative, devraiton prévoir ce qu‘il adviendra des enfants issus de telles ententes? Une fois l'enfant né, le
fait de lui donner une filiation maternelle devrait-il l'emporter sur les autres
considérations? L‘enfant disposera-t-il d‘un droit aux origines?
Dans notre évaluation des liens parents – enfant et donneur – enfant en vertu de
l‘éthique de la sollicitude, le caractère subordonné ou subordonnant de l‘intérêt de
l‘enfant est d‘importance. De fait, malgré notre conclusion qu‘il est dans l‘intérêt de
l‘enfant et de son bien-être de lui révéler les circonstances de sa conception dans ce point
3 de la section 1, cela ne passe pas le test de la balance que nous effectuons au point 4
entre les intérêts individuels et collectifs. Il s‘agit d‘une claire influence internormative du
principe juridique sur l‘éthique de la sollicitude.
b) Un concept au contenu nécessairement variable et évolutif
Lorsque le législateur québécois a procédé à la réforme du droit de la famille en
1980 et qu‘il a adopté le critère du meilleur intérêt de l‘enfant590, il ne l‘a pas défini. Le
législateur s‘est contenté d‘énoncer à titre indicatif que ―l‘on peut prendre en
considération‖ certains besoins. « Autrement dit, l‘intérêt de l‘enfant est à la mesure de
son bien »591. Cela nécessite deux précisions. Les décisions dans l‘intérêt de l‘enfant sont
tout d‘abord celles où l‘on cherche à favoriser les conditions les plus propices à son
épanouissement et à son développement harmonieux dans la sécurité de son intégrité
590
591
Loi instituant le nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39.
In re Goyette c. Centre des services sociaux de Montréal, supra note 548 à la p. 434.
187
physique et psychologique592. À cet effet, il faut adopter une vision d‘ensemble et
analyser les besoins de l‘enfant sans en favoriser un au détriment des autres 593. De plus,
dans un concept aussi vaste que celui de l‘intérêt de l‘enfant, bien que certaines balises
dont la liste n‘est pas exhaustive viennent guider la prise décision, il faut être plus précis
quant à son contenu. Cela porte à confusion car il importe de définir plus avant la nature
des besoins de l‘enfant et, tout à la fois, considérer le fait que l‘intérêt de l‘enfant doit
demeurer une notion floue à contenu variable afin de s‘adapter aux situations où elle
trouve application.
Une commission parlementaire sur la protection de la jeunesse a proposé une
définition conceptuelle des différents besoins identifiés par le législateur québécois. Les
besoins d‘ordre physique sont « [l‘] alimentation, [le] repos, [la] santé [physique ainsi que
psychologique] et [la] croissance »594. De l‘ordre de l‘affectif, relèvent « [les] liens
d‘amour et d‘amitié, [le] sentiment d‘appartenance, [le] sentiment d‘identification et de
sécurité émotive »595. De leur côté, les besoins intellectuels peuvent en être un
« [d‘]apprentissage, [d‘]appartenance, [de] cognition, [de] scolarisation ou [de]
créativité »596. Finalement, les besoins sociaux peuvent se traduire par « [une]
appartenance au milieu familial, [une] ouverture au monde extérieur, [la] famille, [le]
développement de l‘aptitude à s‘insérer et à participer socialement ou [par une]
592
Protection de la jeunesse-1544, [1992] R.J.Q. 617, 637 (C.A.).
Deleury et Goubau, supra note 508 à la p. 540.
594
Commission parlementaire spéciale sur la protection de la jeunesse, Rapport de la Commission spéciale
sur la protection de la jeunesse, Québec, Ministre des Communications, 1982 à la p. 53. Étude citée dans
Ministère de la santé et des services sociaux, Manuel de référence sur la Loi sur la protection de la
jeunesse, Québec, Ministère de la Santé de et des Services sociaux, Direction des communications, 1989 à
la p.40.
595
Ibid.
596
Ibid.
593
188
intégration aux valeurs de la société »597. Nous soulignons les besoins pouvant
correspondre à la quête des origines. Bien que générales et non spécifiques à chaque cas
d‘espèce concernant l‘enfant, ces définitions demeurent assez complètes au regard des
différentes facettes de l‘être humain.
L‘intérêt de l‘enfant est donc une notion à contenu variable598. En droit, il s‘agit de
l‘aptitude de certaines notions de se mouvoir, de rester ouvertes face au changement; cette
ouverture étant voulue par le législateur dans le cadre d‘une technique de rédaction
juridique599. Au regard de l‘intérêt de l‘enfant, cela implique notamment de tenir compte
de « la fluidité d‘une situation qui évolue sans cesse avec l‘âge des enfants et à laquelle il
faut même intégrer la perspective de leur avenir adulte »600. Cette caractéristique est
nécessaire dans le cadre de la problématique en cause. En effet, « pour ce qui est de la
connaissance de ses origines, l‘intérêt supérieur de l‘enfant peut changer avec le temps,
plus particulièrement selon l‘âge »601. Non seulement il faut intégrer la perspective de
l‘avenir d‘adulte de l‘enfant, c‘est-à-dire en tenant compte de l‘impact de l‘anonymat
dans son développement personnel602, mais il ne faut pas prendre pour acquis que le non
anonymat soit forcément dans l‘intérêt de l‘enfant.
597
Ibid.
Jean Carbonnier, « Les notions a contenu variable dans le droit français de la famille », dans Chaïm
Perelman et Raymond Vander Elst, dir., Les notions à contenu variable en droit, Bruxelles, Établissements
Emile Bruylant, S.A., 1984, 99 aux pp. 104-105.
599
Ibid. aux pp. 99-100.
600
Ibid. à la p. 104.
601
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-21.
602
Dans l‘affaire Droit de la famille 143, (T.J., 1984-05-22), SOQUIJ AZ-84031143, J.E. 84-554, la Cour
a néanmoins considéré que « l‘intérêt de l‘enfant doit être évalué par rapport à l‘immédiat et à un avenir
raisonnablement prévisible ». Jean-Louis Baudouin et Yvon Renaud, Code civil du Québec annoté, Livre
premier : Des personnes, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005 à la p. 72.
598
189
Le recours à une notion à contenu variable pose par contre tout un défi lorsque les
décisions concernant l‘enfant mettent en cause des intérêts contradictoires comme c‘est le
cas dans la problématique de l‘anonymat des donneurs. Comment en arriver à un
consensus? Aucun guide sur la démarche n‘existe et le résultat varie d‘un enfant à
l‘autre603. C‘est d‘ailleurs là que l‘on retrouve le principal jugement au caractère flou du
meilleur
intérêt
de
l‘enfant
dont
l‘indétermination
expose
à
des
conflits
d‘interprétation604.
« À ce propos, il nous suffira de citer les innombrables mots d‘une
doctrine préoccupée, lui reconnaissant sans doute la vocation du ―principe
général de droit‖, mais le qualifiant de ―notion clef … (qui) ouvre sur un
terrain vague‖, de ―boîte où chacun met ce qu‘il souhaite trouver‖, de
―notion protéiforme… notion fonctionnelle et opératoire, tantôt instituante,
tantôt rebelle… notion subversive‖, de ―notion fluide‖, ―passe-partout‖ et
―attrape-tout‖, semblant ―totalement inutilisable en pratique‖. »605
En matière de procréation assistée, on lui reproche notamment d‘être vague et subjectif;
en résultant de possibles préjudices contraires au bien-être de l‘enfant606. Cela est
notamment dû au fait qu‘il est difficile de définir le meilleur intérêt d‘enfants qui
n‘existent pas encore ou qui n‘existeront peut-être jamais. Les défenseurs de l‘autonomie
reproductive y confrontent d‘ailleurs la notion de bien-être de l‘enfant en affirmant que
celui-ci est maximisé dans la mesure où la seule autre option pour l‘enfant née grâce à ces
techniques serait de ne pas exister du tout607. Pour d‘autres, tenter de prédire le futur bien-
603
Tétrault, supra note 563 à la p. 1235.
Chabert, supra note 78 à la p. 19.
605
Ibid.
606
Walker, supra note 284 à la p. 131.
607
Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 239; Daniels et al., « Best interests », supra note 554 à
la p. 37.
604
190
être d‘un enfant qui grandira devient un exercice ridicule compte tenu du nombre de
variables entrant en ligne de compte608.
Il n‘en demeure pas moins qu‘en droit canadien, la constitutionnalité du critère du
meilleur intérêt de l‘enfant, ou du moins sa conformité avec les principes de la Charte
canadienne609, fut confirmée en 1993 par la Cour suprême dans l‘arrêt Young c. Young610.
Dans cette affaire, l‘intimé attaquait la constitutionnalité du critère en alléguant son
imprécision et le pouvoir discrétionnaire conféré au juge dans son évaluation. Ces
arguments furent rejetés parce qu‘ « il est manifeste que l'existence d'un large pouvoir
discrétionnaire des juges est essentielle à la mise en œuvre adéquate de l'objectif de protéger
l'intérêt de l'enfant »611. La Cour ajouta que le critère de l'intérêt de l'enfant n‘est à ce point
incertain qu'il ne donne aucune indication susceptible d'éclairer l'examen des facteurs
pertinents aux fins de la prise d'une décision612. Cela est tout aussi vrai dans l‘évaluation que
fait le législateur en matière de secret des dons d‘engendrement. Nous faisons également
l‘exercice au point 3.2.
John Eekelaar, un spécialiste du droit de la famille britannique, souligne pour sa part
que le principe du meilleur intérêt ou du bien-être de l‘enfant est historiquement justifié alors
que l‘enfant est passé du statut d‘objet de droit, où il était instrumentalisé, à celui de sujet de
droit, où on le reconnaît comme étant une personne ayant besoin de protection. Face aux
608
Langdridge, supra note 545 aux pp. 502-503.
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
610
[1993]
4
R.C.S.
3,
1993
CanLII
34
(C.S.C.),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1993/1993canlii34/1993canlii34.html> (Date d‘accès : 5 décembre
2010).
611
Ibid.
612
Ibid.
609
191
critiques exprimées dans la littérature concernant le caractère vague et subjectif, l‘auteur
propose qu‘il ne faille pas uniquement justifier des décisions qu‘en vertu de ce point de vue.
Une décision juste, dit-il, devrait pouvoir être défendue de multiples points de vue613. Dans
cette optique, plusieurs principes directeurs d‘éthique de la sollicitude sont étudiés en
l‘espèce.
De l‘avis de certains auteurs, l‘intérêt de l‘enfant doit demeurer un concept flou.
René Côté et Guy Rocher soulignent que :
« l‘énoncé législatif d‘une règle de droit constitue toujours une forme de
compromis entre des tendances et des courants sociaux. La formulation
floue permet au législateur d‘édicter une norme dans laquelle le plus
grand nombre pourra lire dans le texte ce qu‘il y cherche. La norme floue
est utilisée comme un instrument de consensus social. »614
L‘intérêt de l‘enfant évolue d‘autre part en fonction des situations dans le cadre desquels
il est appliqué et du temps. Ce dernier point est important car nous n‘en avons pas la
même conception que nos grands-parents et il serait irréaliste de croire que notre vision
actuelle des besoins de l‘enfant n‘évoluera pas. Comme le spécifient si bien Édith
Deleury et Dominique Goubau, il ne serait pas bon d‘enfermer cette notion dans le carcan
d‘un texte législatif trop détaillé car sa raison est précisément de demeurer flexible. Cela
ne signifie par contre pas que des balises légales permettent une objectivisation et une
atténuation du caractère par trop discrétionnaire615. C‘est en ce sens que le Code civil du
Québec616 dresse, à l‘article 33, une liste de besoins visant à guider les décisions
613
Eekelaar, « Welfare principle », supra note 551.
Côté et Rocher, en collaboration avec Lajoie et al., supra note 106 à la p. 23.
615
Deleury et Goubau, supra note 508 à la p. 541.
616
Supra note 18, art. 33.
614
192
concernant un enfant (les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant)
et qu‘il identifie d‘autres critères laissant place à la particularité de chaque situation (l‘âge
de l’enfant, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa
situation). Le flou du concept est donc d‘à propos dans l‘évaluation de la protection des
personnes vulnérables en vertu de l‘éthique de la sollicitude. Cela nous permet d‘analyser
l‘intérêt de l‘enfant en fonction de toutes les circonstances propres à la problématique de
du secret et de l‘anonymat.
Ayant éclairci la notion de meilleur intérêt en vue d‘analyser le principe directeur
de protection des personnes vulnérables, voyons à présent comment cela se traduit au
regard du secret sur les circonstances de la naissance de l‘enfant.
3.2 Révéler à l’enfant la nature de sa conception, est-ce dans son intérêt?
Lorsque l‘on tente de répondre à cette question, les points de vue divergent. Dans
les deux sous sections qui suivent, nous les départageons en démontrant qu‘il est
finalement dans l‘intérêt de l‘enfant qu‘on lui annonce les circonstances de son
engendrement. En effet, seule l‘analyse visant l‘abolition du secret permet de respecter
pleinement une application du principe du meilleur intérêt de l‘enfant selon une logique
de sollicitude. Ce n‘est que dans ce contexte que l‘enfant est réintégré dans le processus
de réflexion et où il apparaît comme un acteur à part entière de la procréation assistée
avec tiers donneur.
193
Nous ne nions toutefois pas une part de subjectivité dans l‘analyse que nous
faisons du meilleur intérêt de l‘enfant. La subjectivité est en fait inhérente au test du
meilleur intérêt de l‘enfant. D‘ailleurs, si nous identifions les variables objectives de la
question du secret, et éventuellement de celle de l‘anonymat, nous en sommes
l‘interprète.
a) Contre l’obligation de révéler : des arguments découlant d’une perception
externe à celle de l’enfant
L‘effet recherché en n‘obligeant pas à révéler le recours à la procréation assistée et
au tiers donneur en est un de protection. Tout d‘abord des parents en ce qui concerne leur
autonomie, leur intimité conjugale617, donc leur vie privée, et la perception qu‘ils ont
d‘eux même618. Lorsque la procréation assistée a lieu dans un contexte d‘infertilité, il
s‘agit effectivement d‘une réalité vécue différemment selon qu‘il s‘agisse d‘un homme ou
d‘une femme. Pour le premier, cela peut s‘apparenter à une forme d‘impuissance619 alors
que, pour la seconde, la situation peut être vécue comme un malheur affectant son identité
de femme620. Cela peut s‘étendre à la vision que les autres ont d‘eux et être à l‘origine
d‘opprobre, surtout si la procréation avec donneur n‘est pas acceptée au sein de la
617
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 272.
Johnston, supra note 47 à la p. 51; Cohen, supra note 487 à la p. 271.
619
Sur les différents types de réaction dans le contexte de l‘infertilité masculine et le recours à
l‘insémination avec donneur, voir : Michela Marzano, « Une approche philosophique de l‘insémination
avec don de sperme », (2009) 5 Esprit 115 aux pp. 118 et ss.
620
Agnès Fine, « Qu‘est-ce qu‘un parent? Pluriparentalités, genre et système de filiation dans les sociétés
occidentales », (2002) 21 :1 Spirale 19 à la p. 25 [Fine, « Qu‘est-ce qu‘un parent? »]; L‘ouvrage de
Dominique Mehl fourmille de témoignages de cette nature. Mehl, « Enfants du don », supra note 482 aux
pp. 15 et ss.; Voir également les travaux de Carolyn McCleod et Julie Ponesse, « Infertility and moral luck :
The politics of women blaming themselves for infertility », (2008) 1 :1 The international journal of feminist
approaches to bioethics 126.
618
194
population621. Certains ajoutent même qu‘une des raisons possibles de l‘augmentation du
recours aux techniques procréatives pourrait provenir de l‘image véhiculée dans la
société, associant la fertilité à l‘incompétence sexuelle. Les parents voulant alors épuiser
toutes les options possibles avant de se tourner vers l‘adoption et ce, afin d‘avoir un
enfant bien à eux622. Comme la possibilité du secret et de l‘anonymat camoufle le tout,
l‘illusion peut être presque parfaite à leurs yeux.
Cela ne se fonde sur aucunes données scientifiques quantifiables, mais notre
sentiment est que cette vision des choses est de moins en moins vraie si nous observons
l‘intérêt que la procréation assistée soulève actuellement. Il n‘y a qu‘à constater la
popularité du programme québécois de gratuité de la procréation assistée623. Les gens
sont de plus en plus informés et peuvent faire la différence entre l‘infertilité et la qualité
d‘homme ou de femme. Cela n‘empêche par contre pas les que les débats liés à la
procréation assistée soulèvent des passions et qu‘aucun contrôle n‘est possible sur les
sentiments que ressentent les parents. C‘est là que le facteur humain entre en ligne de
compte car le deuil de l‘infertilité ne se fait pas automatiquement. À la naissance d‘un
enfant grâce à un don, le facteur médical est levé, mais ce n‘est pas nécessairement le
synonyme d‘une thérapeutique réussie. Si un autre enfant est désiré, un passage obligé par
621
Johnston, supra note 47 à la p. 51; Jennifer A. Baines, « Gamete donors and mistaken identities: the
importance of genetic awareness and proposals favouring donor identity disclosure for children born from
gamete donations in the United States », (2007) 45 :1 Fam. Ct Rev 116 à la p. 119.
622
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p.
47.
623
Voir par exemple : Jocelyne Richer, «Fécondation in vitro: les listes d'attente vont encore s'allonger»,
Cyberpresse (15 novembre 2010), En ligne : <http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebeccanada/sante/201011/15/01-4342955-fecondation-in-vitro-les-listes-dattente-vont-encore-sallonger.php>
(Date d‘accès: 27 novembre 2010).
195
la médecine est nécessaire. L‘enfant du don est ainsi tout à la fois la concrétisation d‘une
réussite et la traduction d‘un échec que doivent gérer les couples624.
Au second niveau, c‘est l‘unité et l‘équilibre de la famille qui sont protégées625.
Cela peut par exemple se justifier en fonction de motifs religieux ou culturels 626, mais en
général le secret est là dans le but de mettre à l‘abri la relation entre l‘enfant et le parent
avec lequel il n‘a pas de lien biologique627 afin d‘en faire un égal628. La peur du rejet et
d‘une concurrence affective ou éducative à l‘égard de l‘enfant semble forte lorsque le
secret est révélé, surtout si cette prise de connaissance entraîne une prise de contacts
réguliers avec le géniteur. Le rejet concerne le parent par l‘enfant lui-même629, mais
également de ce dernier par les autres membres de la famille630. Alors que les donneurs
doivent séparer la procréation biologique de la filiation, les receveurs doivent au contraire
réunir la procréation et la filiation à partir d‘un don reçu631. L‘entrée en parenté, selon
l‘expression de Dominique Mehl, n‘est pas toujours évidente. Surtout lorsque
l‘enfantement comporte une part d‘artifice. Cela requiert un véritable travail d‘élaboration
mentale. L‘auteure rapporte par exemple les propos d‘une femme pour qui l‘expérience
fut difficile. Elle ne se sentait pas la maman à part entière de l‘enfant et avait une peur
qu‘on le lui retire632. La mise à distance du biologique n‘a donc rien d‘évident et peut être
624
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 aux pp. 244-245.
Johnston, supra note 47 à la p. 51; Foster et Slater, supra note 511 à la p. 59; Séraphin, supra note 519 à
la p. 97.
626
Foster et Slater, supra note 511 à la p. 59.
627
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20.
628
McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034.
629
Séraphin, supra note 519 aux pp. 96-96 ; Voir les témoignages dans : Mehl, « Enfants du don », supra
note 482. Par exemple à la p. 280.
630
Baines, supra note 621 à la p. 119.
631
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 236.
632
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 143.
625
196
au prix d‘un effort de l‘esprit et d‘un travail sur soi. Cela explique notamment pourquoi
l‘appariement physique peut s‘avérer si important633. Il s‘agit d‘une réflexion que Mehl a
développée en lien avec l‘anonymat, mais qui est tout aussi pertinente en ce qui concerne
le secret. Au chapitre 3, nous constatons en ce sens, qu‘en France, la mise au placard du
donneur et le fait qu‘il soit complètement écarté de la vie de l‘enfant en étant exempt de
toute responsabilité crée un réel malaise puisque la philosophie juridique de ce pays fait
grandement reposer la filiation sur la vérité biologique.
Le secret peut tout autant s‘appuyer sur la conviction d‘ainsi offrir à l‘enfant la
possibilité d‘une vie normale634 ou du moins l‘imiter autant que possible635. Il s‘agit par
contre d‘un argument plus ardu, pour ne pas dire impossible, à défendre en contexte
d‘homoparenté ou de monoparenté. Le modèle familial n‘est alors certes pas traditionnel,
et le secret utopique au regard de l‘enfant qui constate bien qu‘un des personnages
nécessaires à sa venue au monde est absent de son roman familial. Autrement, le couple
hétérosexuel peut à l‘extrême s‘imaginer que leur enfant a été conçu naturellement 636.
Malgré leur reconnaissance et leur gratitude à la clinique et au donneur, les receveurs
tentent souvent d‘oublier le fait qu‘ils ont eu recours à des services de procréation assistée
633
Ibid. à la p. 145; Dans son avis, la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec
recommandait en ce sens que « les seuls critères admissibles pour la sélection des donneurs, outre les
critères médicaux, soient des critères physiques en vue de l‘appariement avec l‘un des parents intentionnels
dans le cas où le bien-être de l‘enfant semble le justifier. » Commission de l’éthique de la science et de la
technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 55.
634
Elizabeth Siberry Chestney, « The Right to Know One‘s Genetic Origin: Can, Should, or Must a State
Extends This Right to Adoptees Extend an Analogous Right to Children Conceived With Donor Gametes »,
(2001-2002) 80 Tex. L. Rev. 365 à la p. 366.
635
Baines, supra note 621 à la p. 120; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p.
2034.
636
E. Lycett et al., « School-aged children of donor insemination: a study of parents‘ disclosure patterns »,
(2005) 20:3 Human Reproduction 810 à la p. 817 [Lycett et al., « School-aged »]; Cohen, supra note 487 à
la p. 271.
197
« et ce, même si l‘équipe médicale, lors de la rencontre initiale, conseille aux futurs
parents de révéler très tôt à leur enfant son origine biologique »637.
Bien que cela demeure à prouver, certains soutiennent que la prétention, selon
laquelle tous les secrets sont dommageables, pourrait être mise en doute par la
psychanalyse et ce, tout particulièrement dans le contexte de la sexualité et de la
procréation638. Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste et fervente militante de la
transparence, l‘affirme explicitement: tout non-dit n‘est pas voué à devenir pathogène,
pas plus que le fait de vider les placards de leurs secrets de famille soit susceptible de
régler d‘un coup de baguette magique tous les problèmes. Le secret devient nocif lorsque
deux types de circonstance le verrouillent :
« si, en premier lieu, l‘enfant ou l‘adolescent ne peut comprendre ce qui
lui est caché parce qu‘il n‘a aucune piste ou – dans le cas où ses parents
lui diraient qu‘il a été conçu par un don de gamètes – parce que ce qu‘ils
transmettent se résume à peu de chose (comment par exemple fantasmer
sur une paillette de sperme congelé?). Et si, en second lieu, la souffrance
qu‘il perçoit chez l‘un ou l‘autre de ses parents le porte à fantasmer « à
côté de la plaque » : il peut par exemple imaginer qu‘il est né d‘un
adultère ou qu‘il a été adopté, ne pouvant évidemment pas deviner que ses
parents ont recouru à un don de gamètes! »639
Ces propos ne devraient-ils pas plutôt nous conduire à croire à la nocivité du
silence et du secret? À défaut d‘avoir des compétences en psychologie, en psychanalyse
ou autre domaine nécessaire à la compréhension profonde du psychisme humain, nous
nous permettons de souligner avec emphase le sérieux de la question. En effet, comme le
637
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p.
27.
638
F. Shenfield et S.J. Steele, « What are the effects of anonymity and secrecy on the welfare of the child in
gamete donation », (1997) 12:2 Human Reproduction 392 à la p. 394.
639
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 263.
198
souligne Catherine Labrusse-Riou, ce qui importe, c‘est moins l‘objet des secrets de
famille, partout présents, que leur fonction. S‘ils mènent à la disparition d‘un élément
fondateur ou structurel du lien familial, leurs effets pervers peuvent se transmettre de
génération en génération640. Ces propos demeurent certes hypothétiques car il n‘est pas
assuré que tous les enfants nés d‘un don vivent ces situations, mais la seule existence
d‘hypothèses pouvant nuire à l‘enfant et son développement doit nous alerter et nous
amener à légiférer avec précaution.
Grâce au secret, la famille se trouve d‘autre part protégée contre les intrusions
émotives ou juridiques du donneur, de la donneuse de gamètes ou du couple offrant ses
embryons in vitro641. « Pas de tierce personne dans le paysage procréatif, telle semble être
une préoccupation qui réunit les candidats au don. »642 L‘enfant ne sachant rien, il n‘y a
pas de risques de voir de "tiers parent" s‘incruster dans la famille et cela a pour effet de
rassurer les membres de la famille. Cet argument présente par contre une faiblesse réelle.
En réalité, pareille intrusion semble peu probable car de manière générale c‘est le donneur
qui a peur à d‘une immixtion dans sa vie privée; situation qui est souvent soutenue et
protégée par l‘existence de dispositions législatives niant l‘existence de liens de filiation
entre le géniteur et l‘enfant. Les motivations de son don sont multiples. Besoin de se
rassurer sur sa propre fertilité, fantasme du patriarche (c‘est-à-dire la volonté de "semer"
des enfants), besoin de réparation d‘une histoire personnelle (par exemple, face à
640
Catherine Labrusse-Riou, « L‘anonymat du donneur : étude critique du droit positif français », dans A.
Sériaux, dir., Le droit, la médecine et l’être humain : Propos hétérodoxes sur quelques enjeux vitaux du
XXIe siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires d‘Aix-Marseille, 1996, 81 à la p. 94 [Labrusse-Riou,
« Étude critique »].
641
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20; Foster et Slater, supra note 511 à la p. 59.
642
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 272.
199
l‘infertilité d‘un proche)643. Cela peut aussi être tout simplement monétaire lorsque la
compensation financière est permise. Aussi, nous admettons qu‘il n‘est pas totalement
impossible que le donneur tente de s‘immiscer dans la vie de l‘enfant. Pensons à l‘homme
ou à la femme en manque d‘enfants ayant déjà fait un ou des dons et reportant son espoir
sur cette autre descendance que nous pourrions qualifier de biologique vu l‘absence de
liens sociaux et affectifs. Il pourrait également s‘agir d‘une question de santé pour le
donneur en quête de sang ou de tissus compatibles pour un de ses enfants naturels644. Ceci
est un exemple du concept du bébé médicament645 que l‘on retrouve normalement dans le
contexte du diagnostic préimplantatoire.
C‘est en troisième lieu l‘enfant qui serait protégé par le secret entourant les
circonstances de sa naissance646. Une étude anglaise publiée en 1995 a par exemple
trouvé que 70% des mères d‘enfants nés par insémination, sur un total de 45 familles, ont
justifié leur décision de ne rien dire à ces derniers au motif que cela les protègerait. Bon
nombre d‘entre elles craignaient notamment qu‘il soit dévastateur pour l‘enfant
d‘apprendre que l‘homme qu‘il considère comme son père ne lui soit pas génétiquement
lié. La crainte que de la colère soit manifestée en l‘absence d‘informations sur l‘identité
643
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 aux pp. 120-121.
Foster et Slater, supra note 511 à la p. 60.
645
Il s‘agit de concevoir un enfant par fécondation in vitro et de sélectionner des embryons en raison de leur
immuno-compatibilité dans le but qu‘ils servent de donneur pour un frère ou une sœur malade. Nous
retrouvons cette application du DPI par exemple dans des cas de leucémie où un don de moelle osseuse peut
aider au traitement ou pour certaines maladies du sang pour lesquelles on peut utiliser des cellules de sang
de cordon. Dans ces circonstances, on cherchera également à s‘assurer que l‘embryon désiré est exempt de
la maladie dont est atteint le membre de la famille.
646
Johnston, supra note 47 à la p. 51; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p.
2034.
644
200
du donneur et la difficulté à aborder le sujet avec l‘enfant sont d‘autres motivations pour
ne rien dire647.
Sur ce point, nous devons souligner que le droit n‘est jamais parfait. On craint ici
la colère de l‘enfant qui apprend qu‘on lui a menti. Néanmoins, il y a dans le Code civil
du Québec648 une disposition qui peut tout autant affecter le père qui découvre que celui
qu‘il croyait être son enfant ne lui est pas génétiquement lié. L‘article 530 prévoit en effet
que les actions relatives à la filiation sont interdites si l‘enfant a une possession d‘état
conforme à son acte de naissance. En instaurant une présomption irréfragable, le
législateur québécois cherche à stabiliser la filiation et la situation familiale de l‘enfant,
peu importe ce qu‘en pense le parent qui découvre la vérité.
Concernant cet enfant que les parents prétendent protéger via le secret, nous
devons souligner que si ce que les parents croient être dans le meilleur intérêt de leur
enfant est important, cela ne veut pas dire que leur opinion représente véritablement
l‘intérêt actuel des enfants issus d‘un don, en particulier lorsqu‘ils sont devenus
adultes649. D‘un autre côté, il ne faut pas croire que chaque personne conçue par don en
percevra inévitablement les torts de la même façon ou au même degré. Certains
pourraient ne pas croire ou ressentir qu‘ils ont subi une atteinte du fait de ne pas avoir été
informés de leurs origines650. Même parmi ceux qui argumentent en faveur d‘une grande
ouverture dans la reconnaissance de la conception par procréation assistée, il en est qui
647
R. Cook et al., supra note 484 à la p. 553.
Supra note 18.
649
Johnston, supra note 47 à la p. 51.
650
Jacqueline A. Laing et David S. Oderberg, « Artificial reproduction, the ‗welfare principle‘, and the
common good », (2005) 13 :3 Med. L. Rev. 328 à la p. 343.
648
201
croient qu‘il n‘est pas certain que de savoir puisse causer des problèmes
psychologiques651. Si les arguments présentés ici sont convaincants et peuvent fonder une
position en faveur de l‘autonomie des parents et le maintien du secret, ils sont en somme
incomplets puisqu‘ils correspondent à des points de vue externes à celui des enfants issus
d‘un don. En éthique de la sollicitude cela est inacceptable et il faut tenter de se mettre à
leur place. Une telle perspective soutien davantage la révélation du mode de conception
que nous étudions ci-après.
b) En faveur de la révélation : réintégrer l’enfant dans le processus réflectif
Une des principales raisons pour la transparence des parents dans leur démarche
reproductive à l‘égard de l‘enfant est que cela est une part importante d‘une
communication ouverte et honnête avec lui. D‘un point de vue thérapeutique, en découle
une diminution des tensions au sein de la famille entre ceux qui savent et ceux qui
ignorent le recours au tiers donneur652. Dans le cas contraire, c‘est la confiance au sein de
la famille qui se trouve ébranlée653. Une étude britannique réalisée en 2005 montrait en ce
sens que parmi les raisons invoquées par les parents se trouvaient la peur que l‘enfant
apprenne accidentellement la véritable nature du secret ainsi qu‘un désir d‘être honnêtes
et ouverts. La découverte accidentelle était perçue comme semblant poser un plus grand
danger à la relation parents – enfant qu‘une réaction négative de la part de ce dernier
quant à la prise de connaissance même du don. Pour d‘autres, cela est même un droit de
651
Frith, « Debate », supra note 42 à la p. 821.
Johnston, supra note 47 à la p. 52; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p.
2034; Golombok, supra note 488 à la p. 2344.
653
Cohen, supra note 487 à la p. 271; Johnston, supra note 47 à la p. 53.
652
202
l‘enfant654. Perturbés ou touchés par les témoignages d‘enfants en quête de leurs origines,
comme ceux que nous présentons en section 2, les parents agissent aussi afin de devancer
les questionnements éventuels de leur enfant655.
Le secret à l‘égard du mode de conception n‘est-il pas en bout de ligne inadéquat?
Un homme a déjà témoigné :
« [c]‘est vrai que, au tout début, je préférais qu‘il y ait le moins de
personnes possibles au courant. Je ne voulais pas non plus y mêler la
famille. Ça ne me dérange pas que sa marraine, les amis proches soient au
courant. Mais, par rapport à la famille, je trouvais ça un peu malsain. Sans
savoir pourquoi exactement. Et puis, comme tous les secrets, tu dis à
quelqu‘un :"Je vais te dire quelque chose mais surtout ne le répète pas."
Et, de fil en aiguille, l‘information se propage, sous le sceau du secret bien
entendu. Finalement je me suis dit que c‘était assez ridicule de dire à un
tel que c‘était par FIV, à un autre que c‘était par IAD, et à un autre encore
que c‘était par voies naturelles. Donc, en fin de compte, je me suis dis :
"Autant que tout le monde soit au courant." »656
Nous ne pouvons ni présumer ni généraliser de la réalité familiale de tous les parents qui
ont eu recours à un don en se basant sur ce seul témoignage. Les raisons motivant la
transparence des parents peuvent aller d‘une hostilité de principe aux secrets de famille à
une obligation imposée par les circonstances657. Il demeure qu‘il doit être difficile de
vivre avec un secret, qui peut en devenir un de polichinelle, dans un contexte aussi
important que la naissance d‘un enfant. Surtout lorsque cela amène une pluralité de
mensonges. Qui plus est, lorsque la révélation du don est faite à l‘enfant, cela peut
résulter d‘un engrenage qui a conduit les parents à d‘abord rechercher du soutien autour
654
Lycett et al., « School-aged », supra note 636 à la p. 817.
Séraphin, supra note 519 à la p. 96.
656
Témoignage tiré de Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 254.
657
Ibid. à la p. 267.
655
203
d‘eux auprès de leur famille ou de leurs amis, car soulignons-le la procréation assistée est
un parcours du combattant, pour finalement se sentir obligés de le dire à l‘enfant par peur
d‘un intempestif retour de la rumeur658.
Sans émettre de jugement à l‘égard du souhait de discrétion des parents, désir qui
est d‘ailleurs parfaitement compréhensible659, le fait que l‘information puisse se propager
dans l‘entourage ne doit-il pas nous conduire à nous demander si cela ne constitue pas au
fond une forme de politique de l‘autruche à l‘égard de l‘enfant? Car un enfant a « des
antennes extraordinaires pour entendre le non-dit »660 et pour sentir que quelque chose le
concernant lui est délibérément caché, même s‘il ne peut identifier exactement ce que
c‘est661. Des "squelettes dans le placard" peuvent nuire à l‘enfant et à sa relation avec ses
parents par la création de zones d‘inconfort lorsque des questions, provenant d‘une
curiosité naturelle à propos de l‘histoire familiale, sont posées et restent sans réponses
satisfaisantes662. Il n‘est pas étonnant que l‘anonymat protège le confort psychologique
des couples. Cela n‘empêche par contre pas qu‘ils craignent que le non-dit devienne
préjudiciable à l‘équilibre de leurs enfants663. Des auteurs spécifient sur ce point que
« [l]es cures analytiques d‘enfants et d‘adultes montrent à quel point est mortifère le nondit qui touche la question des origines. Il porte atteinte en effet à la nature symbolique de
658
Ibid.
Nous devons même le plus grand respect aux couples en mal d‘enfants. Comme l‘exprime si bien
Dominique Mehl : « Personne ne peut savoir ce qui se niche au fond de l‘inconscient de ceux qui n‘ont
jamais rien révélé à personne de leurs difficultés procréatives et dont les enfants ignorent tout des
conditions de leur naissance. Vivent-ils sereinement une dissimulation qui leur permet d‘être au monde
comme tous les parents? Ou étouffent-ils, comme Phoenix, sous le poids du mensonge? Le mystère
demeure, à notre grand regret, puisque trois quarts des familles ayant procréé par don ont choisi de se taire,
rendant leurs vécus et leurs sentiments hors d‘accès. » Ibid. à la p. 285.
660
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 264.
661
Cohen, supra note 487 à la p. 271; Golombok, supra note 488 à la p. 2344.
662
McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra note 355 à la p. 2034; Golombok, supra note 488 aux
pp. 2343-2344.
663
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 aux pp. 287-288.
659
204
la transmission de la vie, du don de la vie. »664 Favoriser le secret n‘est-ce pas justement
donner trop d‘importance au recours à un tiers donneur et à la problématique de
l‘anonymat au point d‘en amplifier inutilement les effets665? Comme nous le soulignons
déjà au point précédent, dans l‘analyse contre la révélation du mode de conception, ces
questions restent du domaine de l‘hypothèse et doivent faire l‘objet d‘études plus
approfondies, mais ne serait-ce que de les énoncer doit, à notre avis, constituer un son de
cloche quant aux dangers du manque de transparence. Qui plus est, cette réflexion n‘est
applicable qu‘au contexte du couple hétérosexuel. Il faut se demander si la réalité du
secret diffère lorsque les familles sont constituées de parents de même sexe ou en
situation de monoparenté. Des contextes où l‘enfant peut aisément constater que sa
famille ne correspond pas au modèle biologique où sont présents un père et une mère.
En plus de ces observations, doit être considérée toute la question de la
consanguinité. Dans la pratique, des règles sont souvent instaurées afin de limiter le
nombre d‘enfants pouvant naître d‘un même donneur. La clinique québécoise OVO
spécifie par exemple qu‘un même donneur de sperme ne peut donneur naissance qu‘à 10
enfants maximum666. Néanmoins quand on lit dans les journaux des titres du genre :
« L'homme aux 120 enfants : Les donneurs de sperme engendrent sans le savoir des
664
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 264.
Merci à Chantal Collard, Anthropologue à l‘Université Concordia, pour cette réflexion lors d‘une
rencontre avec elle en janvier 2010.
666
Voir : OVO Fertilité, Nos services – Don de gamète, En ligne : <http://www.cliniqueovo.com/ovofertilite/index.asp?page=Don_de_gamete> (Date d‘accès : 5 avril 2010); Ces limites peuvent prendre deux
formes : nombre maximal d‘enfants qui peuvent naître d‘un même donneur ou le nombre maximal de
familles que ce dernier peut aider. L‘auteure spécifie toutefois que ces limites ne se fondent sur aucunes
études empiriques et qu‘il n‘en existe que très peu. Neroli Sawyer, « Sperm donor limits that control for the
‗relative‘ risk associated with the use of open-identity donors », (2010) 25 :5 Human Reproduction 1089 à
la p. 1090.
665
205
dizaines de rejetons »667, on ne peut que s‘inquiéter de la situation. Non seulement
l‘américain dont il est question dans cet article est qualifié de « version humaine du
prolifique taureau Starbuck », en faisant du même coup un super étalon humainement
dépersonnalisé, mais à la lecture du texte on se rend compte que ses enfants se trouvent
partout à travers le monde. Cette situation est exceptionnelle, mais réelle. Tout comme il
en est de ce cas britannique de jumeaux séparés à la naissance pour une adoption qui ont
fini par se retrouver et se marier sans avoir connaissance de leur situation fraternelle668.
La peur d‘une rencontre incestueuse entre frère et sœur est aussi une réalité dont nous
devons tenir compte669. Au Canada, la Loi sur la procréation assistée670 prévoit
notamment que :
« [s]ur demande écrite de deux personnes qui sont fondées à croire qu'au
moins l'une d'elles est issue d'une technique de procréation assistée au
moyen du matériel reproductif humain ou d'un embryon in vitro d'un
donneur, l'Agence [canadienne de contrôle de la procréation assistée] les
informe du fait qu'elle a ou non en sa possession des renseignements qui
indiquent qu'elles sont génétiquement parentes et, le cas échéant, de la
nature du lien de parenté. »671
L‘argument du grand nombre d‘enfants est parfois utilisé pour protéger le donneur et
favoriser son anonymat672, mais le plus important n‘est-il pas d‘éviter les unions
consanguines? Pour que cela soit possible, encore faut-il que l‘enfant sache qu‘il a été
667
Agence France-Presse, L'homme aux 120 enfants : Les donneurs de sperme engendrent sans le savoir
des dizaines de rejetons, 20 avril 2009, En ligne : <http://www.ledevoir.com/societe/sante/246593/lhomme-aux-120-enfants> (Date d‘accès : 5 avril 2010).
668
BBC News – UK, Parted-at-birth twins 'married', 11 janvier 2008, En ligne:
<http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/7182817.stm> (Date d’accès: 5 avril 2010).
669
Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 157; Séraphin, supra note 519 à la p. 87.
670
Supra note 22.
671
Ibid. art. 18 (4); Sur ce point, il est à déplorer que l‘article 18 ait été déclaré inconstitutionnel par la Cour
suprême (Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24) car le droit québécois ne prévoit
pas d‘équivalent.
672
Eric Blyth et al., « The implication of adoption for donor offspring following donor-assisted
conception », (2001) 6 Child and Family Social Work 295 à la p. 299.
206
conçu grâce à un don et ce, indépendamment de la question de l‘identité du géniteur. Et
même si les probabilités qu‘une telle rencontre se produise sont minimes673, la peur
qu‘elles engendrent ne justifieraient-elles pas qu‘on force le sceau du secret? Le droit est
là pour régler la vie en société. Au-delà de sa stricte fonction instituante, il s‘applique à
des individus rationnels certes, mais qui ont aussi leur part d‘irrationalité qui prend la
forme de craintes que le droit peut contribuer à atténuer.
Quant aux enfants en question, leur réaction face à la vérité sur leur conception est
variable. Dans l‘étude de Jean-Loup Clément, sont exprimés des sentiments allant de
l‘adultère à la fierté674. Les quelques enquêtes qui s‘intéressent à leur réaction face à la
vérité sur la conception montrent que les plus jeunes réagissent généralement avec
curiosité et un désir d‘en savoir plus675. Des auteurs soulignent corrélativement qu‘il est
possible de les informer d‘une manière sensible et à un âge approprié sans que cela nuise
673
En France, lors de la création des CÉCOS dans les années 70, le Professeur Georges David avait
demandé l‘avis de généticiens des populations d‘évaluer ce risque. À l‘époque, on estimait déjà qu‘à moins
de multiplier inconsciemment le nombre d‘enfants nés d‘un même donneur, le risque était inférieur à celui
lié aux naissances naturelles résultant de relations non maritales. Pierre Jouannet, « Procréer grâce à un don
de sperme : accueillir et transmettre sans gêne », (2009) 5 Esprit 102 à la p. 110.
674
J.-L. Clément, « L‘insémination artificielle avec donneur: les enfants donnent leur avis », (2010) 20 :1
Andrologie 45 à la p. 49 [Clément, « Insémination artificielle »]; Pour de plus amples détails, voir : JeanLoup Clément, Mon père, c’est mon père : l’histoire singulière des enfants conçus par insémination
artificielle avec donneur, Paris, L‘Harmattan, 2006.
675
Freeman et al., supra note 288 aux pp. 505-506. Les auteurs renvoient à : R. Snowden, « The family and
artificial reproduction », dans D.R. Bromham, M.E. Dalton et J.C. Jack, dir., Philosophical Ethics in
Reproductive Medicine, Manchester, Manchester University Press, 1990; A. Rumball et V. Adair, « Telling
the story: parents‘s scripts for donor offspring », (1999) 14:5 Human Reproduction 1392; F. Lindblad, F.
Gottlied et O. Lalos, « To tell or not to tell: what parents think about telling their children that they were
born following donor insemination », (2000) 21:4 Journal of Psychosomatic Obstetrics and Gynaecology
193; K. Vanfraussen, I. Ponjaert-Krisofferse et A. Bawaeys, « An attempt to reconstruct children‘s donor
concept: a comparison between children‘s and lesbian parent‘s attitudes towards donor anonymity », (2001)
16:9 Human Reproduction 2019 [Vanfraussen, Ponjaert-Krisofferse et Bawaeys, « Comparison »]; K.
Vanfraussen, I. Ponjaert-Krisofferse et A. Bawaeys, « Why do children want to know more about the
donor? The experiences of youngsters raised in lesbian families », (2003) 24:1 Journal of Psychosomatic
Obstetrics and Gynaecology 31; E. Lycett et al., « Offspring created as a result of donor insemination: a
study of family relationships, child adjustment, and disclosure », (2004) 82:1 Fertility & Sterility 172;
Lycett et al., « School-aged », supra note 636.
207
à l‘harmonie des relations familiales. Il appert par contre que plus cela est fait tard, plus
peuvent en découler des conséquences négatives676. Jean-Loup Clément précise que :
« [ l]a révélation du mode de conception induit obligatoirement un
bouleversement des données objectives de l‘histoire personnelle de
l‘enfant. Plus il a été informé tardivement, plus il est obligé de relire et de
reconstituer son histoire personnelle. Les éléments précis de son mode de
conception et la décision de ses parents d‘avoir utilisé ce procédé puis de
l‘avoir gardé secret jusqu‘à cet âge-là ont une dimension que l‘enfant à
des difficultés à concevoir. »677
D‘autres craignent néanmoins qu‘en bas âge, les enfants n‘aient pas la maturité et le
discernement nécessaires pour comprendre. Un processus qui devra donc être repris à
certains stades de développement de la personne678.
Il est en définitive impossible d‘affirmer avec certitude que le fait de ne pas
révéler le mode de conception à l‘enfant répond aux besoins de tous les enfants nés grâce
à un don d‘engendrement. Cela dépend de la situation de chaque enfant. En témoignage
devant une commission spéciale du Parlement français en décembre 2010, Christophe
Masle, le président de l‘Association des Enfants du Don basée à Lyon en France, spécifie
en ce sens que :
« [q]uel qu‘ait été notre mode de conception, nous devons tous nous y
adapter. On pense trop souvent, à tort, que les difficultés rencontrées par
les personnes issues d'un don proviennent de leur mode de conception. Or,
elles sont sensiblement les mêmes que celles des personnes conçues
naturellement. Que nous connaissions ou non nos géniteurs, nous avons
tous, à un moment donné, éprouvé des doutes quant à notre avenir,
676
Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 244; Sur comment aborder cette question avec
l‘enfant, voir par exemple: K.R. Daniels et P. Thorn, « Sharing information with donor insemination
offspring : A child-conception versus family building approach », (2001) 16 :9 Human Reproduction 1792.
677
Clément, « Insémination artificielle », supra note 674 à la p. 48.
678
Shenfield et Steele, supra note 638 à la p. 394.
208
rencontré des difficultés relationnelles avec nos parents, nos amis ou la
personne qui partage notre vie, pensé que notre vie aurait pu être
différente. La part d'inconnu qui nous est propre à nous, enfants issus de
don, peut se révéler une richesse. Nous poussant à nous interroger sur
nous-mêmes, elle peut nous amener à être au final davantage nous-mêmes
– le questionnement n'est pas nécessairement synonyme de difficultés.
Elle peut aussi être source de mystère, amenant à penser qu‘on ne
parviendra à se construire pleinement qu'une fois connue l‘identité de son
géniteur. »679
Il ressort de cet extrait que le questionnement sur le mode de conception n‘est pas unique
aux enfants conçus grâce à un don d‘engendrement et qu‘il n‘est pas nécessairement
source de difficultés.
Toutefois, puisque nous référons à l‘intérêt in abstracto et que nous le
positionnons dans le cadre de l‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique, une
certaine généralisation s‘impose. Aussi, s‘il n‘est pas garanti que tous les enfants
souffriront des non-dits instaurés au sein de la famille, le simple fait que cela puisse
constituer une possibilité nous force, du point de vue de l‘éthique relationnelle de la
sollicitude, à prôner la transparence et la levée du secret concernant le mode de
conception. D‘ailleurs, ce n‘est que dans le cadre d‘une analyse en faveur de la levée du
secret que l‘enfant est véritablement réintégré dans le processus réflectif et que nous
respecte l‘éthique de la sollicitude. Nous abondons donc dans le même sens qu‘Édith
Deleury lorsqu‘elle affirme que « si l‘intérêt de l‘enfant ne commande pas toujours qu‘on
lui révèle le secret de ses origines, il a aussi droit qu‘on ne l‘interdise pas »680.
679
Christophe Masle, président de l‘Association des Enfants du Don, Compte rendu – Commission spéciale
chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, Mercredi 15 décembre 2010 – Séance de 14
heures, Compte rendu n° 03, Présidence de M. Alain Claeys, Assemblée nationale, France, En ligne :
<http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-csbioethique/10-11/c1011003.asp> (Date d‘accès : 30 décembre
2010).
680
Deleury, « Filiation», supra note 13 à la p. 186.
209
Ce n‘est par contre pas la seule considération devant entrer en ligne de compte.
Seule une vision d‘ensemble permet d‘en arriver à une réponse définitive en ce qui
concerne la prérogative de réserve dont dispose les parents. C‘est alors que nous
déterminons la portée de la transparence dont doivent faire preuve les parents et la nature
normative de cette obligation.
4- ÉQUILIBRE ENTRE LES INTÉRÊTS INDIVIDUELS ET COLLECTIFS
La balance entre les intérêts individuels et collectifs nous convie à nous demander
dans quelle mesure la société, en tant que bénéficiaire et pourvoyeur des services de
procréation assistée avec tiers donneur, doit exiger des parents qu‘ils divulguent à l‘enfant
son mode de conception. L‘éthique de la sollicitude s‘intéresse à l‘engagement des
parents envers l‘enfant pour lequel ils se font du souci, mais également l‘engagement de
la société envers ces mêmes parents et le respect de leurs intérêts. En permettant l‘accès
aux services de procréation assistée, nous avons également pour responsabilité de
respecter les intérêts de toutes les parties en présence.
Les conclusions découlant des principes directeurs d‘égalité et de protection des
personnes vulnérables tendent vers la création d‘une obligation morale de faire part à
l‘enfant des circonstances de sa conception. Ceci étant, cette obligation ne doit pas pour
autant être de nature législative. Nous soutenons la position en faveur de l‘autonomie des
parents dans leur décision de dire ou non à l‘enfant qu‘il a été conçu grâce à un donneur.
Si pareille obligation vient à se retrouver dans un texte de loi, nous craignons une trop
grande ingérence de l‘État dans la sphère privée des individus en matière familiale. Nous
210
avons fait mention de la possibilité d‘indiquer le recours aux forces génétiques d‘un tiers
à même le certificat de naissance de l‘enfant. Néanmoins, cela dilue l‘autonomie des
parents en leur imposant une divulgation à l‘enfant sans qu‘ils aient leur mot à dire. Du
point de vue de l‘éthique de la sollicitude, l‘équilibre entre la nécessité d‘être transparent
à l‘égard de l‘enfant, relativement aux circonstances de sa naissance, et le respect de
l‘autonomie des parents passe davantage par une responsabilisation de ces derniers
concernant leur obligation morale envers leur enfant. L‘objectif est de les conscientiser à
l‘importance de la transparence à l‘intérieur de la famille et des dangers du secret
particulier qui concerne les questions d‘engendrement, notamment par la mise en place
d‘un "counseling" offert par le milieu médical. En 2006, l‘Association médicale mondiale
(AMM) recommandait en ce sens d‘encourager la famille à parler de la situation à
l‘enfant, indépendamment du fait de savoir si la loi du pays autorise ou non que ce dernier
soit informé sur le donneur. L‘argument de protection réapparaît lorsque l‘AMM ajoute
qu‘il « est difficile de garder des secrets dans les familles et l'enfant peut pâtir
d'informations sur l'origine de sa conception données maladroitement et sans soutien
approprié »681. Dès lors, en entourant le privilège de réserve des parents (qui n‘est pas un
droit au secret) d‘un "counseling" approprié, nous répondons aux objectifs de l‘éthique de
la sollicitude où l‘on cherche à harmoniser autant que possible les besoins et les intérêts
de tous.
681
Association Médicale Mondiale (AMM), Prise de Position de l'AMM sur les Technologies de
Procréation Assistée, Adoptée par l'Assemblée générale de l'AMM, Pilanesberg, Afrique du Sud, octobre
2006 au par. 13, En ligne : <http://www.wma.net/fr/30publications/10policies/r3/index.html> (Date
d‘accès : 11 mars 2010). Voir également la Recommandation 29.
211
D‘ailleurs, est-il bien réaliste de penser que la responsabilisation des parents passe
par l‘imposition d‘une règle de droit obligeant le bris du silence? Comment s‘assurer de
son respect? Comment sera-t-elle sanctionnée? Y aurait-il vraiment lieu d‘imposer une
sanction en pareil cas? Cela ne nous semble pas un mécanisme approprié. Non seulement
y aurait-il atteinte à l‘autonomie des parents, mais de simplement établir une norme
directive dans la loi ne garantirait pas, à notre avis, une mise en œuvre réelle, par ces
parents, d‘une transparence à l‘égard de leur enfant. Des chercheurs ont d‘autre part fait
quelques constatations qui soutiennent notre position. Leur étude, se déroulant en Suède,
visait à comprendre ce qui est dit lorsque des parents brisent le silence. Or, même s‘ils
informent l‘enfant des circonstances de sa naissance, souvent ils ne lui précisent pas qu‘il
a le droit d‘obtenir de l‘information sur l‘identité de son géniteur et ce, alors même que
c‘est prévu dans la loi. Aussi, de l‘avis des auteurs, il devient évident qu‘il y a une grande
différence entre les intentions de la loi et comment les parents agissent lorsque vient le
temps discuter des circonstances de la conception. Afin de pallier à cette situation, il est
suggéré de mettre en place un système d‘information et de support des parents ainsi que
de susciter une débat éthique chez les professionnels afin qu‘ils prennent conscience de la
situation682. Cela démontre en définitive qu‘une obligation positive dans la loi n‘est pas
toujours nécessairement la meilleure solution. Elle n‘est certes pas adaptée à la question
du secret sur le recours au don d‘engendrement car si les parents informent l‘enfant de
l‘utilisation d‘un tiers donneur, l‘information transmise peut demeurer incomplète quand
la loi permet la transmission d‘informations nominatives.
682
A. Lalos, C. Gottlied et O. Lalos, « Legislated right for donor-insmination children to know their genetic
origin: a study of parental thinking », (2007) 22:6 Human Reproduction 1759 aux pp. 1766-1767.
212
Afin d‘assurer pleinement la mise en place de ce "counseling", la Commission de
l‘éthique de la science et de la technologie recommande qu‘il ne relève plus de
l‘autorégulation et qu‘il soit offert de façon systématique. De leur avis, ce "counseling"
devrait s‘adresser tant aux donneurs de gamètes qu‘aux personnes qui feront appel à un
don de gamètes ou d‘embryons afin de les sensibiliser à l‘importance pour l‘enfant de
connaître ses origines et aux répercussions de la levée de l‘anonymat 683. C‘est à la base
une bonne recommandation qui permettrait une uniformité dans la pratique du milieu
médical ainsi qu‘une reconnaissance déontologique. Elle demeure néanmoins trop vague
car qu‘est-ce qui ne doit plus relever de l‘autoréglementation exactement? Le fait de
d‘exiger la mise en place d‘un cadre formel et législatif de "counseling" ne serait-il pas
trop strict? Il s‘agit effectivement d‘un domaine où des modifications peuvent être
requises et une loi n‘est alors pas une bonne formule. Est-ce simplement l‘exigence d‘un
"counseling" qui doit être consacrée par le législateur, auquel cas nous sommes pour, ou
également son cadre procédural? Dans le dernier cas, la loi peut prévoir quelles
informations importantes doivent être données aux futurs parents et même aux éventuels
donneurs, mais cela ne peut aller plus loin. La façon de faire doit demeurer du domaine de
l‘autoréglementation du milieu médical qui est certainement le mieux placer pour en
décider.
L‘équilibre auquel nous en venons ci-haut concerne le lien parents – enfant.
Néanmoins, la question du secret ne constitue qu‘une des facettes de la problématique de
l‘anonymat. L‘autonomie de l‘enfant, par son choix d‘en savoir plus sur le donneur, et la
683
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p.
50.
213
place accordée à son meilleur intérêt reviennent en force dans sa relation avec le donneur
où nous concluons à la nécessité de lever l‘anonymat. En section 2, nous expliquons
pourquoi nous en arrivons à cette conclusion qui se distingue clairement de cette retenue
en matière de secret quant au mode de conception. D‘ailleurs, rien n‘oblige à ce que notre
réflexion appliquant l‘éthique de la sollicitude mène à des conclusions de même nature
dans les deux cas. Les relations interpersonnelles et d‘interdépendance analysées sont
différentes et les enjeux étudiés, à savoir le secret et l‘accès à l‘identité du donneur, s‘ils
sont liés, ne sont pas les mêmes.
SECTION 2 : ANALYSE DE LA RELATION DONNEUR
CONCERNANT L’ANONYMAT
–
ENFANT
La connaissance des origines est un enjeu de taille dont il peut être laborieux de
saisir l‘importance. Pour la majorité des gens, nous qui connaissons nos parents, cela est
quelque chose d‘acquis. Ce n‘est pas le cas de tous684. La loi doit-elle pour autant exiger
que les informations nominatives et identifiantes concernant le donneur soient transmises
à l‘enfant né grâce à un don de gamètes ou d‘embryons? La France croit tellement en la
légitimité de l‘anonymat que des auteurs l‘ont qualifié de principe éthique. Notamment
car le législateur a transformé en norme de droit une pratique clinique qui étaient en
vigueur de longue date. Ailleurs, l‘anonymat n‘est pas un dogme, mais une notion
discutée et évolutive685. Une multitude d‘arguments sont invoqués afin de soutenir une
réponse que l‘on veut de plus en plus positive au sein de la population. Michelle Giroux
précise par exemple que le droit aux origines s‘exprime à travers l‘exigence du respect de
684
685
Besson, supra note 50 à la p. 138.
Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 250 et 253.
214
l‘identité (comme composante du droit à la vie privée et du droit au respect de la vie
familiale) ou encore, sous l‘angle de l‘intérêt de l‘enfant. Les concepts de dignité, de
liberté, d‘intégrité et d‘égalité sont également invoqués686.
Nous concluons en section 1 à la légitimité de l‘autorité parentale dans la décision
d‘informer ou non l‘enfant des circonstances de sa conception. L‘anonymat requiert
quant à lui un tout autre examen. Notre réflexion sous l‘angle de la sollicitude nous porte
d‘ailleurs à croire qu‘il doit être aboli. Afin d‘appuyer notre propos, nous appliquons la
même grille d‘analyse basée sur les principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude
pertinents à la problématique. Aussi, nous en venons à distinguer la nature de l‘autonomie
du donneur et de l‘enfant puis nous disséquons les différentes facettes de l‘égalité entre
ces acteurs. C‘est notamment à ce niveau que nous retrouvons le parallèle souvent fait
entre l‘adoption et la procréation assistée. En troisième point, certainement aussi
complexe que dans notre analyse du secret où nous en retrouvons les fondements
théoriques, notre attention est portée sur l‘analyse de l‘intérêt de l‘enfant. Cela nous
amène notamment à faire des distinctions importantes entre identité, parenté et filiation
tels qu‘ils existent en droit et dans l‘univers social externe à la normativité juridique.
Quant à son application à l‘anonymat en tant que tel, selon l‘angle relationnel, nous
constatons, à nouveau, que seule une conclusion réintégrant le discours des enfants du
don est valable. Le plus souvent, les arguments en faveur de l‘anonymat proviennent
effectivement de points de vue extérieurs à l‘enfant. Notre examen se conclut par la quête
d‘un équilibre entre les intérêts individuels et collectifs de l‘enfant et du donneur et où
686
Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 aux pp. 373-374.
215
nous constatons l‘impact de l‘éthique de la sollicitude sur les exigences légales qui
doivent être rattachées à l‘adoption du système de dons non anonymes.
1- AUTONOMIE DE L’INDIVIDU
Il s‘agit d‘analyser la teneur de l‘autonomie du donneur et de l‘enfant né grâce à
cet apport de forces génétiques. L‘autonomie des parents n‘entre alors pas en ligne de
compte. En introduction de thèse, nous limitons notre réflexion aux dons faits en milieu
médical. Nous avons par contre spécifié que l‘anonymat dépend du régime juridique
applicable s‘il en existe un. Autrement, nous devons en référer à la politique interne de la
clinique qui peut ou non favoriser la transmission d‘informations nominatives et
identifiantes sur le géniteur. Si le milieu médical pratique le don dépersonnalisé, il arrive
donc que le couple ait connaissance de l‘identité du donneur. En pareilles circonstances,
le privilège de réserve dont bénéficient les parents ne peut s‘étendre à la rétention de
l‘identité du donneur ou ce qui y est lié. Nous exposons effectivement dans la présente
section pourquoi l‘éthique de la sollicitude requiert une levée de l‘anonymat. Notre
conclusion de chapitre établit par ailleurs que dès que les parents ont brisé le sceau du
secret, l‘enfant doit pouvoir obtenir les renseignements dont il a besoin. Il en va du
respect de son autonomie. Ainsi, peu importe que cela découle de la loi ou d‘une politique
interne du milieu médical, dans la mesure où la pratique clinique doit être celle du don
non anonyme, si les parents ont informé l‘enfant de son mode de conception, rien ne doit
s‘opposer à l‘accès de ce dernier à ses origines. La clinique de fertilité a corrélativement
la responsabilité d‘avoir un système permettant pareil accès et les parents ne peuvent s‘y
opposer. Leur autonomie n‘est donc en jeu lorsqu‘il s‘agit du droit aux origines. Qui plus
216
est, lorsque nous introduisons l‘éthique de la sollicitude au chapitre 1 et que nous
justifions l‘approche relationnelle, nous soulignons déjà qu‘il existe un lien particulier
entre le donneur et les parents, mais que celui-ci n‘a pas d‘influence immédiate sur la
reconnaissance potentielle d‘un droit fondamental aux origines.
Cela apparaît également lorsqu‘un couple se présente avec son propre donneur.
Dans ce cas, si la pratique est autorisée, le don est dit "dirigé". Il est certain que dans cette
hypothèse le couple connaît l‘identité du donneur. Quant à l‘enfant, il demeure soumis au
régime juridique applicable s‘il en est un. Néanmoins, si la règle d‘or est celle de
l‘anonymat ou que le donneur refuse que son identité soit communiquée (il peut parfois
avoir le choix), mais que les parents savent qui est le géniteur, l‘enfant dépend alors de
l‘ouverture de ceux qui l‘ont mis au monde. Ce cas de figure est quelque peu différent du
premier. Nonobstant, s‘il n‘y a pas d‘anonymat en vigueur, ce qui doit être le cas en vertu
de l‘éthique de la sollicitude, nous appliquons le même raisonnement qu‘au paragraphe
précédent. Peu importe que le donneur soit une relation personnelle des parents. Tant que
les procédures ont lieu en milieu médical, les arguments sont les mêmes. Toutefois, force
est de constater qu‘il arrive que l‘anonymat soit favorisé par les autorités législatives ou
médicales en place. Rien n‘empêche que le géniteur, qui est une connaissance des parents,
accepte malgré tout de dire qui il est à l‘enfant. Dans le cas contraire, nous remarquons
encore une fois que l‘autonomie des parents n‘entre pas en ligne de compte et qu‘elle se
distingue de celle appliquée à la question du secret. Les parents doivent se soumettre à
l‘autonomie du donneur dans la mesure où ce dernier est la personne directement
concernée par les renseignements recherchés. Est autre chose l‘atteinte à l‘autonomie de
217
l‘enfant et à laquelle devrait être subordonnée celle du donneur. C‘est d‘ailleurs ce que
nous démontrons dans la présente section sous l‘angle de la sollicitude.
Il est difficile de trancher en faveur ou contre l‘anonymat dans cette seule et
unique sous-partie de l‘analyse du lien donneur – enfant. D‘ailleurs, comme nous le
constatons en section 1, les principes directeurs découlant de l‘éthique de la sollicitude
s‘entrecroisent et sont même interdépendants. Le point 1 sur l‘autonomie de l‘individu
jette plutôt les bases du lien en cause dans la question du droit aux origines en
positionnant l‘enfant et le géniteur par rapport au don ainsi que l‘un au regard de l‘autre.
Ces acteurs ne sont pas considérés selon une base individuelle, mais comme étant les
membres d‘un groupe ayant des points communs lorsqu‘il y a un don. Certes, le ressenti
des conséquences de l‘anonymat est vécu à des niveaux variables au sein du groupe, mais
nous faisons autant de distinctions que possible dans notre réflexion du lien donneur –
enfant. Globalement, en ce qui concerne la question de l‘autonomie, nous constatons alors
que le donneur est le seul à pouvoir exercer un quelconque consentement en amont de la
procédure. Celui de l‘enfant n‘apparaît qu‘en aval dans le choix d‘accéder ou non à des
informations nominatives et c‘est notamment pour cette raison qu‘une législation ou une
pratique clinique conforme à l‘éthique de la sollicitude implique la fin de l‘anonymat.
1.1 Autonomie du donneur : un consentement en amont
La nature de l‘autonomie du donneur de gamètes ou d‘embryons lorsqu‘il
participe à des programmes de procréation assistée dans une clinique de fertilité est
ombrageuse. Il semblerait tout d‘abord douteux qu‘il puisse prétendre à un quelconque
218
droit de propriété sur ces éléments biologiques. L‘objectif n‘est pas de trancher l‘épineuse
question de la qualification juridique des gamètes et des embryons, débat qui est souvent
fait au nom de l‘inviolabilité de la personne humaine et de son indisponibilité, mais en
raison de leur potentiel reproducteur et porteur de vie, nous n‘admettons pas qu‘ils soient
considérés comme de simples choses faisant en sorte que le donneur puisse exiger un
contrôle total sur leur devenir. Cela est en complète contradiction avec le principe de la
sollicitude exigeant le respect de la vie et de la dignité humaine687. Ce principe n‘est pas
dans les quatre que nous avons retenus pour analyser les relations parents – enfant et
donneur – enfant, mais il fait malgré tout partie de l‘approche théorique que nous avons
arrêtée. Nous ne pouvons totalement l‘écarter au seul motif qu‘il ne fait pas l‘objet d‘une
application étendue dans le cadre de la problématique de l‘anonymat. Plus largement, en
raison des personnes qui en sont issues, nous ne croyons pas que les gamètes et les
embryons soient assimilables aux autres éléments biologiques du corps humain comme le
sang ou les organes688. Ils s‘en détachent par leur caractère spécifiquement procréatif. Il
nous apparaît finalement qu‘une fois que le don est fait, il n‘appartient plus au donneur,
selon les limites de son consentement préalable, de décider de la direction des gamètes ou
des embryons. Son geste constitue en quelque sorte un abandon dont les fondements sont
renforcés par le caractère altruiste de l‘acte.
Au nom de cette autonomie, le donneur peut-il malgré tout exiger l‘anonymat?
Certains pensent que oui689. De fait, ce n‘est pas tant la direction des gamètes et des
687
Voir: Beaulne, supra note 92 à la p. 242.
Cette position est notamment observée en France. Irène Théry, « L‘anonymat des dons d‘engendrement
est-il vraiment «éthique»? », (2009) 5 Esprit 133 à la p. 140 [Théry, « Éthique »].
689
Robertson, supra note 469 à la p. 1018.
688
219
embryons dont il est question, mais d‘éléments parallèles, c‘est-à-dire des renseignements
nominatifs et identifiants les concernant. Ils relèvent de la vie privée690 et de
l‘autodétermination du géniteur. Il lui appartiendrait de décider dans quelles circonstances
il sera ou non connu de l‘enfant691. Les arguments à ce niveau sont nombreux, mais parmi
les plus importants notons qu‘il peut ne pas être prêt à entrer en contact avec l‘enfant et
ce, même si aucune relation n‘est créée entre eux à long terme. Cela peut également
causer des problèmes avec sa famille qui ne sait pas qu‘il a fait un ou des dons692.
À ce jour, il n‘y a pas de jurisprudence canadienne statuant directement sur le
droit à la vie privée des donneurs de matériel reproductif. La Cour suprême du Canada a
quant à elle reconnu que l‘article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés693
comprend à la fois le droit à la liberté physique et le droit de prendre des décisions
personnelles sans intervention de l‘État694. « Ce droit à la vie privée en ce qui concerne
les décisions personnelles ne fait [par contre] pas l‘objet d‘une définition large, et il se
limite aux décisions qui impliquent, par leur nature même, des choix fondamentaux
690
Sauer, supra note 349 à la p. 943; Guido Pennings, « The right to privacy and access to information
about one‘s genetic origins », (2001) 20 Med Law 1 à la p. 11 [Pennings, « Right to privacy »].
691
Naomi Cahn, « Children‘s Interests and Information Disclosure: Who Provided the Egg and Sperm? Or
Mommy, Where (and Whom) Do I Come From? », (2000-2001) 2 Geo. J. Gender & L. 1 à la p. 21; Collen
J. Goode et Sandra J. Hahn, « Oocyte Donation and In Vitro Fertilization: The Nurse‘s Role With Ethical
and Legal Issues », (1993) 22:2 Journal of Obstetric, Gynecologic, & Neonatal Nursing 106 à la p. 108.
692
Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 141; Mary Lyndon Shaley, « Collaboration and
Commodification in Assisted Procreation: Reflections on an Open Market and Anonymous Donation in
Human Sperm and Eggs », (2002) 36:2 Law & Soc‘y Rev. 257 à la p. 266.
693
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
694
R. c. Morgentaler, supra note 506; Godbout c. Longueuil (Ville de), supra note 506; L‘article 7 de la
Charte trouve, au Québec, son équivalent dans l‘article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne,
supra note 77. Aubry c. Éditions Vice-Versa Inc., [1998] 1 R.C.S. 591, 1998 CanLII 817 (C.S.C.),
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1998/1998canlii817/1998canlii817.html> (Date d‘accès : 1er octobre
2010).
220
participant de l‘essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de
l‘indépendance individuelles »695 Or, si nous nous référons à l‘arrêt R. c. Mills696 :
« [l]e droit de ne pas être importuné par l‘état comporte la capacité de
contrôler la diffusion de renseignements confidentiels. […]
Ces préoccupations en matière de vie privée sont à leur plus fort lorsque
des aspects de l’identité d’une personne sont en jeu, comme dans le cas
des renseignements «relatifs au mode de vie d’une personne, à ses
relations intimes ou à ses convictions politiques ou religieuses »697.
La décision du donneur de refuser de divulguer son identité peut clairement en être une
qui participe à la jouissance de l‘indépendance individuelle. Dans cette lignée, l‘article 7
de la Charte canadienne des droits et libertés698 fut appliqué par la Cour supérieure de
justice de l‘Ontario, en 2007, à l‘encontre d‘une loi qui ouvrait rétroactivement les
dossiers confidentiels d‘adoption afin de permettre l‘accès aux informations identifiantes
sans le consentement des personnes visées699. En plus de reconnaître le droit à la vie
privée des parents biologiques en matière d‘adoption, la Cour a clairement affirmé que le
droit aux origines n‘est pas :
695
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-28; Texte citant : Godbout c. Longueuil (Ville de), supra
note 506; Sur l‘interprétation du droit à la vie privée dans la jurisprudence québécoise, voir : The Gazette
(Division Southam inc.) c. Valiquette, [1997] R.J.Q. 30, 1996 CanLII 6064 (QC C.A.), En ligne :
<http://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/1996/1996canlii6064/1996canlii6064.html> (Date d‘accès : 1er
octobre 2010) : Ce droit inclut « le droit à l‘anonymat et à l‘intimité, le droit à l‘autonomie dans
l‘aménagement de sa vie personnelle et familiale ou encore le droit au secret et à la confidentialité. ».
696
[1999]
3
R.C.S.
688,
1999
CanLII
637
(C.S.C.),
En
ligne:
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1999/1999canlii637/1999canlii637.html> (Date d‘accès : 1er octobre
2010).
697
Ibid.
698
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
699
Cheskes v. Ontario (Attorney General), 2007 CanLII 38387 (ON S.C.), En ligne :
<http://www.canlii.org/en/on/onsc/doc/2007/2007canlii38387/2007canlii38387.html> (Date d‘accès : 13
juin 2010); Dans sa version actuelle, le Règlement de l’Ontario sur la divulgation de renseignements sur
l’adoption (Règl. de l‘Ont. 112/09) ne prévoit que la divulgation d‘informations non identificatoires sauf
consentement de la personne concernée.
221
« a constitutionally protected right under Canadian law. Claims by
adoptees seeking unqualified access to adoption records have been
repeatedly refused by Canadian courts and quasi-judicial bodies such the
Information and Privacy Commissioners. The right to access information
has always been subordinated to the right to maintain personal privacy.»700
Dans l‘affaire Pratten, en référant à cette jurisprudence, la juge Adair en vient à la
même conclusion. Néanmoins, son analyse vise plutôt à déterminer s‘il y a eu atteinte aux
droits à la liberté et à la sécurité d‘Olivia Pratten qui sont aussi codifiés à l‘article 7 de la
Charte canadienne des droits et libertés701,702. Elle souligne plus spécifiquement que
« [t]he potential implications of a free-standing constitutional right to know one‘s
biological origins are uncertain and may be enormous. In my view, they go far beyond
anything that might be required to address Ms. Pratten‘s complaints in this case. »703
L‘innovation du jugement Pratten se trouve principalement dans la reconnaissance d‘une
inégalité, sous l‘égide de l‘article 15 (1), entre les enfants adoptés et ceux nés d‘une
procréation assistée par donneur anonyme lorsque les premiers disposent d‘un régime
d‘accès à l‘identité de leur parent biologique à certaines conditions. La question du droit
à la vie privée des donneurs n‘est donc pas directement abordée dans le jugement.
Pourtant, nous ne pouvons pas conclure que la Cour suprême de Colombie-Britannique le
rejette puisqu‘elle s‘abstient de conclure que le droit aux origines jouit d‘une
reconnaissance et d‘une protection constitutionnelle dans les circonstances de l‘espèce.
700
Ibid. au para. 116; Voir également : Infant Number 10968 v. Ontario, 2006 CanLII 19946 (ON SC), En
ligne : <http://www.canlii.org/en/on/onsc/doc/2006/2006canlii19946/2006canlii19946.html> (Date d‘accès:
13 juin 2011); Infant Number 10968 v. Her Majesty the Queen in right of Ontario, 2007 ONCA 787
(CanLII), En ligne : <http://www.canlii.org/en/on/onca/doc/2007/2007onca787/2007onca787.html> (Date
d‘accès: 13 juin 2011).
701
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
702
Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para. 316.
703
Ibid. au para. 290.
222
Pour le moment, concernant le droit à la vie privée des donneurs de forces
génétiques, un statut quo semble demeurer. Néanmoins, il y a tout lieu de penser que la
question n‘en restera pas là et il faut se demander quel parallèle pourra véritablement être
opéré entre les affaires ontarienne et de la Colombie-Britannique. Quel sera l‘impact de
cette reconnaissance du droit à l‘égalité des enfants nés d‘une procréation assistée en
matière d‘anonymat sur l‘existence du droit fondamental aux origines ou la primauté du
droit à la vie privée des donneurs? Quelle influence ce jugement, très axé sur l‘intérêt de
l‘enfant, aura-t-il sur la jurisprudence portant sur le droit à la vie privée des parents en
matière d‘adoption? Et vice et versa. Si une porte a été ouverte dans l‘affaire Pratten, il
existe malgré tout entre ces affaires des différences d‘analyse et de contexte.
La peur d‘une chute significative du nombre de donneurs favorise également le
maintien d‘un système de dons anonymes. Cela part entre autres de l‘hypothèse que les
donneurs seront découragés s‘ils savent qu‘un jour un enfant puisse les contacter704. Il
faut néanmoins regarder les études suggérant semblable conclusion avec précaution.
Guido Pennings soulignait, en 2001, que des recherches indiquaient que le nombre de
donneurs diminuerait de 80% dans la plupart des pays occidentaux lorsqu‘ils aboliront
l‘anonymat. La plupart de ces enquêtes ont par contre été conduites dans le pool actuel de
donneurs, ceux-ci ayant été recrutés dans le contexte de l‘anonymat. De nouveaux
donneurs n‘auraient peut-être pas la même attitude. Il est également possible que d‘autres
groupes de donneurs, avec différentes caractéristiques et d‘autres motifs, seront attirés par
704
Cohen, supra note 487 à la p. 271.
223
un système de don incluant leur identification705. Par exemple, sur la question spécifique
des dons de sperme, une telle baisse a initialement été remarquée en Suède, mais le
nombre de donneurs a remonté. Le phénomène le plus intéressant est une modification de
leur profil. Ceux étant plus jeunes se font à présent moins nombreux et ceux étant mariés
et ayant plus de 30 ans ont augmentés706. Un fait semblable a actuellement lieu au
Royaume-Uni707. Afin d‘en arriver à un pareil résultat, il faut changer les stratégies de
recrutement des donneurs et, de l‘avis de certains, cela ne représente pas un obstacle
insurmontable708. Nous n‘entrons pas dans les détails techniques du recrutement709, mais
nous tenons à souligner que si le nombre d‘enfants pouvant naître d‘un même donneur est
limité et qu‘une protection législative ne faisant pas de ce dernier un parent légal est
instaurée, c‘est donc un argument qui peut être contré710. Enfin, s‘il est régulièrement
avancé que la levée de l‘anonymat pourrait diminuer le nombre de donneurs, cette mesure
aurait en fait pour conséquence de diminuer la demande des couples receveurs711.
705
Guido Pennings, « The Reduction of Sperm Donor Candidates Due to the Abolition of the Anonymity
Rule: Analysis of an Argument », (2001) 18:11 Journal of Assisted reproduction and Genetics 617 aux pp.
617-618; Guido Pennings, « Commentary on Craft and Thornhill: new ethical strategies to recruit gamete
donors », (2005) 10: 3 Reproductive Biomedicine Online 307 à la p. 307 [Pennings, « Commentary »].
706
Johnston, supra note 47 à la p. 51; Hampton, supra note 56 à la p. 2681; Blyth, « Offspring rights »,
supra note 513 à la p. 246; Cohen, supra note 487 à la p. 271.
707
Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Press release: Number of sperm donors up
following anonymity law changes, Londres, 3 mai 2007, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/465.html>
(Date d‘accès: 6 avril 2010) [HFEA, « Number of sperm donors »]; Micheal Day, « Number of sperm
donors rises in UK despite removal of anonymity », (2007) 334:971 British Medical Journal 334;
Concernant les dons d‘ovules, voir par contre: Sandra Brett et al., « Can we improve recruitment of oocyte
donors with loss of donor anonymity? A hospital-based survey », (2008) 11:2 Human Fertility 101; Ilke
Turkmendag, Robert Dingwall et Thérèse Murphy, « The removal of donor anonymity in the UK: The
silencing of claims by would be parents », (2008) 22 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 283 à la p. 297.
708
Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 246.
709
Un angle intéressant à analyser est celui du rapport compensation / anonymat. Voir par exemple: Ian
Craft et Alan Thornhill, « Would ‗all-inclusive‘ compensation attract more gamete donors to balance their
loss of anonymity », (2005) 10 :3 Reproductive Biomedicine Online 301; Pennings, « Commentary », supra
note 705; Ken Daniels, « Recruiting gamete donors: response to Craft and Thornhill », (2005) 10:4
Reproductive Biomedine Online 430.
710
Johnston, supra note 47 à la p. 51.
711
Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 à la p. 33.
224
Il existe une autre réalité que nous ne pouvons pas ignorer. Des auteures notaient
en 2002 que, suite aux tests nécessaires en vue de s‘assurer de la qualité du sperme selon
les lignes directrices de Santé Canada712, seulement 3 ou 4% des tous les dons étaient
acceptés en fonction de critères basés sur l‘âge, l‘histoire médicale ou la qualité713.
L‘étude de la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec
spécifie quant à elle que ce sont 10% des donneurs de sperme qui sont retenus714. Compte
tenu du faible taux de dons de sperme conservés dans les banques canadiennes, une
diminution si minime soit-elle pourrait être remarquée. Qui plus est, il était estimé en
2002 que plus de 80% du sperme utilisé dans les cliniques de fertilité ontariennes
provenaient de donneurs américains715. Cela soulève la question du respect d‘un droit aux
origines dans le cas où les gamètes proviennent de donneurs ou de banques étrangères. Il
n‘est pas certain que ces banques tiennent les dossiers requis. Et qu‘en est-il lorsque le
gamète est acheté sur Internet? Pareille pratique semble douteuse, mais ce n‘est pas
impossible. Encore là, un cadre normatif est requis.
L‘autonomie du donneur se situe avant toute chose dans sa décision de procéder
ou non à un don d‘engendrement716. Il demeure ainsi libre de choisir son mode de vie,
surtout en ce qui a trait à son corps et à ses choix fondamentaux portant sur sa santé, sa
famille et sa sexualité. Cette autonomie est pleinement respectée si le donneur est bien
informé des conséquences de son acte et même renforcée par l‘adoption de garanties
712
Voir également le Règlement sur le traitement et la distribution du sperme destiné à la reproduction,
(1996) 130 Gaz. Can. II, 1712 (no 11, 1996-05-07).
713
Foster et Slater, supra note 511 à la p. 60.
714
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p.
31.
715
Foster et Slater, supra note 511 à la p. 60.
716
Shields, supra note 47 à la p. 42.
225
législatives717. Dans ces conditions, nous avons des doutes à propos d‘une réelle violation
de l‘autonomie du donneur par la simple existence d‘un système de dons ouverts. Quant à
la qualifier de reproductive à 100%, encore là nous sommes sceptiques. La décision de
procéder à un don concerne certes des éléments reproducteurs du corps humain, mais en
aucun cas le donneur a l‘intention de se reproduire. Il procréé, mais ne s‘investit pas dans
une relation de parenté, c‘est-à-dire de filiation. Il serait finalement difficile de prétendre
à un droit à l‘anonymat per se. Dans un système fermé, il ne peut exister qu‘à partir du
moment où l‘individu accepte d‘y participer718.
C‘est un raisonnement qui apparaît applicable aux dons de sperme plutôt qu‘aux
dons d‘ovules et d‘embryons qui demeurent peu fréquents. Le nombre d‘enfants nés d‘un
don de sperme ces dix dernières années au Québec est estimé à 1600 719. Lors de son
enquête pour l‘avis qu‘elle a rendu à l‘automne 2009, la Commission de l‘éthique de la
science et de la technologie du Québec remarquait d‘un autre côté que :
« [s]ur les 22 cliniques privées et centres hospitaliers qui offrent des
services de PA au Québec, cinq proposent un programme de don d‘ovules.
Trois d‘entre elles tentent de recruter des donneuses anonymes mais,
comme des volontaires se présentent rarement, elles proposent aussi à
leurs clients de trouver eux-mêmes une donneuse, que ce soit dans leur
entourage, au moyen de petites annonces ou même grâce à Internet. »720
Afin de préserver l‘anonymat, deux cliniques offrent un programme de dons croisés en
vertu duquel une receveuse se présente avec une donneuse qu‘elle a elle-même recrutée et
717
Par exemple: Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2.
Shields, supra note 47 à la p. 42.
719
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p.
32.
720
Ibid. à la p. 34.
718
226
un jumelage est par la suite opéré avec une autre "paire"721. Il demeure, qu‘au Québec, la
grande majorité des donneuses d‘ovules sont recrutées par les demandeurs. À titre
illustratif, en 2007, uniquement cinq donneuses se sont présentées d‘elles-mêmes722.
Quant aux d‘embryons, il demeure rare au Canada puisqu‘il n‘existe qu‘un seul
programme offrant ce service et celui-ci n‘existe pas encore au Québec. D‘ailleurs, peu de
canadiens sont enclins à donner leurs embryons. L‘ouverture à un tel don se manifesterait
davantage une fois le projet d‘enfant réalisé723. Non spécifiquement au Québec, il serait
même plus facile de donner des embryons quand ils ont initialement été produits avec la
participation d‘un tiers. « Comme si un embryon porteur d‘une partie seulement du
capital génétique du couple était moins investi qu‘un embryon constitué à partir de leur
double hérédité. »724
1.2 Autonomie de l’enfant : un consentement en aval
Analyser l‘autonomie d‘un enfant à naître apparaît de prime abord comme une
contradiction puisqu‘il s‘agit d‘un concept qu‘aucun sujet humain déjà vivant n‘incarne.
Le respect de l‘autonomie de l‘enfant, implique globalement de ne lui infliger aucun
dommage, de préserver ses capacités ultérieures d‘agir et de ne rien faire qui puisse
contraindre son développement futur. Rien dans l‘avenir de cet enfant ne peut pourtant,
en principe, être déterminé par des décisions antérieures à sa naissance. S‘il peut sembler
721
Ibid. à la p. 35.
Ibid.
723
Ibid. aux pp. 38-39.
724
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 73.
722
227
paradoxal de parler de l‘autonomie d‘un enfant à naître, de l‘avis de certains auteurs, il
peut l‘être plus encore de limiter en son nom celle du parent. Aussi étrange cela soit-il, il
ne faudrait pas oublier que l‘autonomie et la liberté des enfants sont secondes dans l‘ordre
chronologique. Affirmer l‘autonomie de l‘enfant implique que les parents aient décidé
d‘en avoir un725.
Ce raisonnement n‘est par contre pas un motif suffisant pour faire primer
entièrement l‘autonomie du parent ou de toute autre personne impliquée dans la
procréation assistée car l‘autonomie de l‘enfant, malgré son paradoxe ontologique, existe
bel et bien tout au long du processus dans lequel nous la posons. Nous n‘analysons pas la
question de l‘anonymat des donneurs selon une perspective individuelle à des personnes
incarnées, mais en référant au groupe des personnes concernées, conformément à
l‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique. Nous pouvons présumer de leur
existence et de leur autonomie même si les individus ne sont pas nommément identifiés à
un moment précis à un endroit donné et que nous ne pouvons pas prendre pour acquis les
conséquences de l‘anonymat sur chacun. Une réflexion analogue est applicable à la
question du meilleur intérêt de l‘enfant. Il n‘est donc pas pertinent de se soucier de la
chronologie dans laquelle se manifeste l‘autonomie de l‘enfant et du donneur, mais plutôt
de se préoccuper de leur équilibre dans le contexte de l‘anonymat.
En conséquence, en ce qui concerne l‘enfant issu d‘un don, certains estiment
qu‘en vertu de son autonomie il devrait lui revenir de choisir quelles informations sur son
725
Monique Canto-Sperber et René Frydman, Naissance et liberté. La procréation. Quelles limites?,
Librairie Générale Française, 2009 aux pp. 51-52.
228
donneur sont importantes pour son développement et son identité726, si besoin est. C‘est là
une des principales revendications d‘Olivia Pratten dans le cadre de son recours collectif
en Colombie-Britannique727. Cela relève de sa vie privée728 car il s‘agit d‘un concept qui
ne concerne pas que la restriction de circulation de l‘information entre les individus, mais
aussi la sélection d‘informations données à une personne. Si un individu a le droit de
cacher certains éléments le concernant pour le maintien d‘une certaine image de soi, il a
aussi le droit d‘obtenir ceux qui lui permettront (du moins, ceux qu‘il considère
importants à cet effet) de se faire une représentation de son histoire lorsqu‘un problème
identitaire se fait ressentir. L‘identité est notamment construite en interaction avec les
autres qui détiennent certains renseignements729.
Aussi, si un sentiment prenant la forme d‘un manque identitaire apparaît, il peut
être frustrant de savoir que quelqu‘un ou une institution en sait plus que vous-même sur
votre intimité730. Lorsqu‘un lien familial se décuple, il devient de plus en plus subjectif.
Sa reconnaissance relève d‘un choix personnel et individuel. « De même que la
représentation du gamète s‘avère purement subjectif, de même l‘attente vis-à-vis des
divers acteurs de l‘enfantement résulte d‘une histoire et d‘un choix intime. Mais, pour que
726
Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 139; Cohen, supra note 487 à la p. 271; Shanner, supra note
488 aux pp. 52-53.
727
Voir : Olivia Pratten v. Attorney General of British Colombia and College of Physicians and Surgeons
of British Colombia, Writ of Sommons, Supreme Court of British Colombia, Vancouver registry : S087449,
October
24,
2008,
En
ligne :
<http://www.arvayfinlay.com/news/Writ%20of%20Summons%20and%20Statement%20of%20Claim.pdf>
(Date d‘accès : 10 décembre 2010).
728
Cahn, supra note 691 à la p. 21.
729
Pennings, « Right to privacy », supra note 690 aux pp. 5-6.
730
Geneviève Delaisi de Parseval, « Accès aux origines ou anonymat? », dans René Frydman et Muriel
Flis-Trèves, dir., Origines de la vie…Vertiges des origines, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, 7
à la p. 8 [Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat »]; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 273;
Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 162.
229
l‘élection soit possible, encore faut-il qu‘une partie du tableau ne soit pas interdite. »731
Selon une jolie formulation, Dominique Mehl spécifie donc qu‘il appartient à l‘enfant de
décider d‘insérer ou non son géniteur dans son "kaléidoscope familial" et, pour ce faire,
nous devons lui en donner les moyens732. Dire que la levée de l‘anonymat a des effets
négatifs en encourageant la rencontre avec le donneur, au risque de conséquences
négatives avec la famille733, est un argument fallacieux car l‘objectif de l‘ouverture est au
contraire de mettre l‘information à la disposition de l‘enfant qui pourra choisir ou non de
rencontrer son géniteur dans l‘hypothèse où il en ressent le besoin. Le secret entourant le
geste même du don et son utilisation par les parents demeure peut-être une affaire
personnelle, privée, en tant que choix parental qui s‘inscrit dans un espace de liberté.
L‘anonymat est par contre aux antipodes et s‘en distingue en ce qu‘il constitue également
un secret, mais détenu par une institution et protégé par la loi734. L‘autonomie de l‘enfant
est alors violée en l‘empêchant de décider s‘il désire ou non en savoir plus. Il lui est
impossible d‘exprimer le seul consentement dont il doit disposer dans le cadre de la
procédure.
Ayant mis en évidence les éléments constitutifs de l‘autonomie du donneur et de
l‘enfant, nous nous devons de les mettre en relation tel que l‘exige une approche de
sollicitude où les individus sont identifiés comme interdépendants. Notre première
constatation concerne les limites du principe d‘égalité.
731
Dominique Mehl, « Un lien subjectif », dans Frydman et Flis-Trèves, supra note 730, 13 à la p. 24
[Mehl, « Lien subjectif »].
732
Ibid.
733
Sauer, supra note 349 aux pp. 940-941.
734
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 286.
230
2- ÉGALITÉ : DU DONNEUR À L’ENFANT ET D’ENFANTS À ENFANTS
Nous pouvons affirmer que dans tous les cas, l‘enfant n‘a pas choisi d‘avoir un
donneur comme ascendant. L‘égalité devient une question de faits que nous pouvons
analyser objectivement. À l‘issue de la procréation assistée, si l‘enfant en constitue
indéniablement un acteur, il n‘a pas accepté d‘y prendre part comme le font les parents et
le donneur. Dans le lien donneur – enfant, dès lors qu‘un système de dons anonymes est
en vigueur, il y a lieu de mettre en doute l‘existence d‘une quelconque égalité entre ces
deux parties. Le géniteur a toujours la possibilité de ne pas participer au processus
reproductif de tiers. Nous ne pouvons pas en dire autant de l‘enfant qui ne dispose pas du
pouvoir de choisir quelle information sur son géniteur est importante pour son
développement et son identité. Du moins, lorsqu‘il s‘agit d‘un anonymat complet sans
possibilité de consentement du donneur de donner accès à ses informations nominatives et
identifiantes. Il est alors plus ardu de justifier que toutes les parties de la procréation
assistée ont eu droit à la même considération et au même respect. En fait, qu‘un système
de dons anonymes ou non soit en place, le donneur potentiel peut toujours refuser d‘y
prendre part. Ce qui n‘est pas le cas de l‘enfant qui se voit tout simplement imposer les
circonstances dans lesquelles il a été conçu. Il ne choisit pas de naître ou non.
L‘application du principe d‘égalité requiert conséquemment, à défaut d‘obtenir le
consentement des enfants à venir, que l‘on tienne compte de l‘opinion de ceux qui
essaient à présent de faire entendre leur voix sur le sujet et ce qu‘ils vivent. Envisager
qu‘il appartient au donneur de décider dans quelles circonstances il sera ou non connu de
l‘enfant institue en fin de compte un rapport de forces inégal.
231
Sous un autre angle, y a-t-il une inégalité entre les enfants adoptés et ceux issus de
la procréation assistée lorsqu‘un régime d‘anonymat complet est en vigueur? Tel semble
être l‘avis de la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec qui
recommandait, à l‘automne 2009, que « le gouvernement du Québec amende le Code civil
du Québec pour résoudre l‘inégalité de droit entre les enfants adoptés et les enfants issus
de dons quant à l‘accès à leurs origines en appliquant les mêmes pratiques qu‘en matière
d‘adoption »735. Tel qu‘exposé au chapitre 3, dans l‘état du droit québécois, le Code civil
du Québec736 est en effet beaucoup plus ouvert en matière d‘adoption en permettant
l‘obtention de renseignements visant à retrouver les parents si ces derniers y
consentent737. L‘enfant de la procréation assisté ne peut disposer d‘un pareil privilège,
sauf exception de santé et encore là, l‘information médicale n‘est donnée qu‘au
professionnel de la santé sans divulgation d‘informations nominatives738.
Afin d‘expliquer cette différence de traitement, plusieurs s‘entendent sur la
relativité du parallèle entre l‘adoption et les nouvelles technologies de la reproduction. De
par la réalité qui distingue ces deux pratiques, le secret est d‘une part plus exceptionnel en
matière d‘adoption739. Cette dernière « vise [d‘autre part] à pallier la carence d‘une
famille alors qu‘un enfant est déjà au monde […] [et, d‘un autre côté,] les PMA visent la
735
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p.
50; Le jugement Pratten de mai 2011 est dans le même sens. Pratten v. British Columbia (Attorney
General), supra note 38 (2011).
736
Supra note 18.
737
Ibid., art. 583; Attention, cette disposition législative est appelée à évoluer. Voir : Avant-projet de loi
modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives en matière d'adoption et d'autorité parentale,
39e législature, 1re session (13 janvier 2009), En ligne sur : <http://www.assnat.qc.ca/fr/travauxparlementaires/projets-loi/projets-loi-39-1.html?expiree=true#avant-projets-loi> (Date d‘accès : 19 mars
2010); Voir également les arguments présentés par Olivia Pratten dans le cadre de sa poursuite en
Colombie-Britannique : Olivia Pratten v. Attorney General of British Colombia and College of Physicians
and Surgeons of British Colombia, supra note 727.
738
Code civil du Québec, supra note 18, art. 542.
739
CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 19.
232
mise au monde d‘un enfant afin de fonder une famille »740. Est en ce sens distingué le
rapport à l‘abandon. L‘adoption apparaît comme une solution à la détresse du ou des
parents biologiques qui n‘avait pas prévu cette naissance. La procréation assistée avec
tiers donneur est quant à elle motivée par un puissant désir d‘enfant et est le résultat de la
démarche altruiste d‘une personne qui fait don de ses forces génétiques pour aider autrui.
Le géniteur n‘abandonne personne, puisque l‘enfant n‘est pas "donné" à d‘autres, et peut
être considéré comme n‘ayant à son actif qu‘un acte positif. La prise en compte du lien
découlant de la gestation entre la mère et l‘enfant contribue à la conception d‘un plus
grand sentiment d‘abandon chez l‘adopté. À l‘opposé, le facteur gestatif renforcit le lien
existant entre la mère et l‘enfant en procréation assistée quand il s‘agit d‘un don d‘ovules
ou d‘embryons741. Une auteure souligne même que la levée de l‘anonymat est beaucoup
moins difficile psychologiquement pour l‘enfant né d‘un don qu‘en matière d‘adoption742.
Les études sur comment les adoptés et les enfants issus d‘un don vivent leurs problèmes
identitaires sont souvent en conflit, mais elles indiquent à tout le moins que certains
enfants du don font l‘expérience d‘un sentiment de perte vu le manque d‘informations sur
le donneur. Par contre, l‘impression d‘abandon n‘est pas forcément le même et il est
possible que l‘enfant de la procréation assistée comprenne plus facilement la situation743.
740
Le Bris, supra note 51 à la p. 145; Voir également à la p. 146.
Baines, supra note 621 à la p. 118; Barreau du Québec, « Rapport », supra note 68 à la p. 26; Beaulne,
supra note 92 à la p. 262; Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat », supra note 479 à la p. 25; Delaisi et
Verdier, supra note 126 à la p. 258; Le Bris, supra note 51 aux pp. 145-146; Frith, « Donation », supra note
484 à la p. 821; Golombok, supra note 488 à la p. 2344; McGee, Vaughann Brakman et Gurmankin, supra
note 355 à la p. 2033; Benoît Moore, « Quelle famille pour le XXIe siècle? Perspectives québécoises »,
(2003-2004) 20 Can. J. Fam. L. 57 aux pp. 69-70 [Moore, « Perspectives québécoises »]; Siberry Chestney,
supra note 634 à la p. 382.
742
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258.
743
Cahn, supra note 691 à la p. 10.
741
233
En pareilles circonstances, certains invoquent l‘article 522 du Code civil du
Québec744 qui précise que « [t]ous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes
droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur
naissance »745. C‘est un argument possible, mais qui est confronté au fait que l‘accès aux
origines, au Canada et au Québec, n‘a pas été formellement élevé au niveau de droit
fondamental. Qui plus est, force est de reconnaître l‘existence de différences entre les
deux situations tant dans leurs objectifs que dans leurs conséquences. Rappelons
néanmoins que, de l‘avis de Michèle Giroux, l‘accès aux origines est un droit
fondamental indirectement protégé par les chartes canadienne746 et québécoise747 par les
dispositions en matière de liberté, sécurité, vie privée et égalité748. Si la question se
retrouvait devant les tribunaux, ils posséderaient tous les outils pour assurer la
reconnaissance de ce droit749. De plus, récemment, la Cour suprême de la ColombieBritannique a reconnu l‘égalité des enfants nés d‘un don anonyme et ceux qui sont
adoptés en vertu de l‘article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés750,751.
744
Supra note 18.
Ibid., art. 522; Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 365; En France, l‘article 310 Code
civil contient une disposition semblable : « Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits
et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun
d‘eux. ».
746
Charte canadienne des droits et libertés, supra note 84.
747
Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77.
748
Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 384.
749
Ibid. à la p. 389; Voir les pages suivantes pour le détail de son analyse.
750
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
751
« In other words, as compared with individuals who are adopted, Ms. Pratten and other donor offspring
are denied equal benefit of the law, based on the manner of their conception. They have neither the
opportunity nor the right to learn about their biological origins, and, as compared with adoptees, there is no
requirement either to collect as much information as possible about the medical and social history of the
donor offspring‘s biological family or to preserve that information for the child. » Pratten v. British
Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para. 224.
745
234
La proposition du législateur canadien étudiée au chapitre 3, qui est dans la lignée
du double guichet de Guido Pennings752, était plus proche du système d‘adoption en
permettant la divulgation de l‘identité du donneur s‘il y consent753. Le double guichet est
la possibilité pour le donneur de consentir ou non à la divulgation de son identité et, dans
le cas des parents, de choisir entre un donneur anonyme ou non. Quoique, comme rien
n‘est parfait, « [u]n des inconvénients inhérents à cette solution est que l‘on crée alors
deux types d‘enfants : ceux qui pourront connaître l‘identité de leur donneur biologique,
et ceux qui ne le pourront pas »754.
Nous pourrions ultimement référer à l‘inégalité existant entre les enfants conçus
grâce aux forces génétiques d‘un tiers demeurant anonyme et ceux dont les parents
sociologiques/psychologiques correspondent aux parents biologiques755. Concernant
l‘application de l‘article 522 du Code civil du Québec756, s‘il est possible entre l‘adoption
et la procréation assistée, dans ce cas cela nous semble exagéré. Même si une disposition
législative exclut tout lien de filiation entre l‘enfant né d‘un don d‘engendrement et son
géniteur, l‘enfant dispose généralement des mêmes droits et de la même protection que
celui né de façon naturelle, notamment en ce qui concerne l‘exercice de l‘autorité
parentale. Procéder à la comparaison de ces situations équivaut à remettre en cause le
recours même à la procréation assistée avec tiers donneur. Ce que nous rejetons en
soutenant la légitimité du don de gamètes et d‘embryons.
752
Guido Pennings, « The ‗double track‘ policy for donor anonymity », (1997) 12:12 Human Reproduction
2839.
753
Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 15 (4) et 18 (3).
754
Beaulne, supra note 92 à la p. 260; Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 248.
755
Besson, supra note 50 à la p. 140.
756
Supra note 18.
235
Les principes d‘autonomie et d‘égalité se rejoignent donc fortement dans la
relation donneur – enfant en démontrant, notamment, l‘inadéquation des consentements
de ces deux acteurs du processus reproductif. En outre, comparativement à l‘analyse que
nous effectuons au regard du secret du parent, il est ici difficile de mettre de l‘avant la
sphère privée du donneur afin qu‘elle prévale sur l‘autonomie de l‘enfant. Certes, le
couple pourrait également décider de ne pas recourir à un don de gamètes ou d‘embryons
afin de concevoir, et ainsi s‘éviter d‘être confronté à la question de la divulgation, mais
dans la mesure où nous considérons que cette procédure répond bien aux objectifs des
technologies de reproduction, il nous semble difficile d‘appliquer cet argument. Pour le
couple, la conséquence serait de ne pas avoir d‘enfants leur étant génétiquement liés ou
de ne pas pouvoir vivre la grossesse, alors que de son côté le donneur est là pour aider et
non pour se reproduire. C‘est un point de vue délicat puisque ouvrant la porte à la
question du droit à l‘enfant, mais c‘est une distinction qu‘il nous semble pertinente.
Aussi, une fois que l‘enfant est là et que les parents ont brisé le sceau du secret, comment
se traduit son meilleur intérêt quant à l‘anonymat de son donneur?
3- PROTECTION DES PERSONNES VULNÉRABLES : LE MEILLEUR
INTÉRÊT ET LE BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT
Tout comme dans le contexte du secret, la personne vulnérable touchée par la
problématique de l‘anonymat est l‘enfant. Les points 1 et 2, sur l‘autonomie et l‘égalité,
nous l‘ont démontré.
236
Néanmoins, avant de débuter notre analyse du meilleur intérêt de l‘enfant nous
devons faire deux constats. D‘une part, la connaissance des origines est-elle véritablement
dans le meilleur intérêt de l‘enfant757? Un auteur pose élégamment la question en lien
direct avec la fonction du droit au regard de l‘anonymat :
« [é]trangeté de notre époque qui met le droit en fer de lance partout et à
tout propos. Droit d’accès à son dossier médical, droit de connaître son
histoire, droit commun de l’humanité… Ce droit de savoir ne dérive-t-il
pas vers un droit pour nos enfants de juger leurs parents et sur ce qui a été
fait avant leur naissance? Cela concorde-t-il avec l’intérêt supérieur de
l’enfant? »758
Une appréciation du bien-être de l‘enfant peut à première vue soutenir l‘une ou l‘autre des
positions; à savoir anonymat ou non759. Cela peut en partie être dû au caractère flou du
principe760. D‘ailleurs, il n‘est pas dit que tous les enfants souffrent de l‘anonymat de leur
donneur. Ce n‘est pas un fait que nous pouvons prendre pour acquis. Par exemple, dans
une étude publiée en 2001 concernant 41 jeunes âgés de 7 à 17 ans et qui sont nés d‘un
don d‘engendrement dans le cadre de familles lesbiennes, des auteurs en sont venus à la
conclusion que les enfants d‘une même famille ont différents points de vue de la nécessité
d‘en savoir plus sur le donneur. Le besoin d‘informations diffère d‘un enfant à l‘autre.
Plus même, dans cette étude, il a été considéré que, parce que la majorité des enfants dans
les familles étudiées n‘étaient pas assez matures ou âgés, déterminer si l‘information
concernant le donneur est d‘une importance vitale à leur bien-être est difficile à
757
Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 141; Sauer, supra note 349 à la p. 940.
B. Chevallier, « Donner ses gamètes: savoir pourquoi sans savoir pour qui », (2010) 20 :1 Andrologie 72
à la p. 74.
759
Daniels, « Best interest », supra note 477.
760
Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 240.
758
237
déterminer761. À défaut d‘une spécification au cas par cas, nous croyons que l‘accès à
l‘identité du donneur est dans l‘intérêt général des enfants du don.
Afin d‘exposer plus en détails notre position pour cette partie précise de l‘analyse,
nous référons en premier lieu à des auteurs qui ont cherché à définir les notions clés
d‘identité, de parenté et de filiation. L‘objectif est de les distinguer afin de mieux
comprendre la portée véritable d‘une analyse portant sur le meilleur intérêt et le bien-être
de l‘enfant dans le contexte de l‘anonymat. En second lieu, tout en distinguant les
arguments en faveur ou contre l‘anonymat, nous renvoyons à la littérature qui s‘est
intéressée à ce que désirent et pensent les donneurs et les enfants.
3.1 Identité, parenté et filiation : mettre en contexte les concepts liés à l’anonymat
Certains auteurs classent la quête identitaire de chaque personne dans ses besoins
psychosociaux. Il s‘agit du processus par lequel l‘enfant prend conscience de qui il est, ce
qu‘il est ainsi qu‘à quelle société et culture il appartient. Ne pas savoir contribue parfois à
une certaine confusion généalogique762. De manière générale, l‘identité réfère donc à que
nous savons et ressentons. C‘est un cadre organisateur qui réunit en un seul et même
élément notre passé et notre présent jusqu‘à nous offrir un aperçu de notre futur.
L‘identité couvre toutes sortes d‘appartenance, notamment au biologique, mais également
761
Vanfraussen, Ponjaert-Krisofferse et Bawaeys, « Comparison », supra note 675 à la p. 2023.
Daniels et al., « Best interests », supra note 554 à la p. 38; Frith, « Donation », supra note 484 à la p.
821; Le concept de « genealogical bewilderment » a été créé par H.J. Sants, « Genealogical Bewilderment
in Children with Substitute Parents », (1964) 37 British Medical Journal of Medical Psychology 133.
762
238
à la famille, la société, la culture, la politique, etc763. Elle est toujours à construire. Pour
l‘enfant du don, lorsqu‘il ressent un vide identitaire, cela consiste à intégrer dans son
histoire les "liens du sang"764.
L‘identité demeure néanmoins un concept complexe qui n‘est pas défini dans la
loi et qui peut difficilement l‘être puisqu‘il fait l‘objet d‘approches variées 765. Même
l‘article 8 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant766 reste vague sur ce
point en se limitant à en énumérer qu‘un nombre limité d‘éléments. Il y est stipulé que :
« 1. Les États parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de
préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations
familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale.
2. Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son
identité ou de certains d'entre eux, les États parties doivent lui accorder
une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit
rétablie aussi rapidement que possible.
Sont compris dans l‘identité de la personne sa nationalité, son nom et ses relations
familiales. Si les deux premiers éléments sont facilement compréhensibles, le dernier
porte à confusion et est susceptible d‘interprétations diverses, notamment eu égard au
droit d‘obtenir de l‘information nominative et identifiante sur le donneur.
763
Besson, supra note 50 à la p. 141.
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 272.
765
En application à la problématique de l‘anonymat, voir par exemple: Sarah Wilson, « Identity, genealogy
and the social family : the case of donor insemination », (1997) 11 Int‘l J.L. Pol. & Fam. 270 aux pp. 280 et
ss.
766
Supra note 87 [Ci après « la Convention »].
764
239
Une interprétation étroite et historique de cette disposition de la Convention ne
peut servir de fondement normatif au droit aux origines767. Cet article a été conçu pour
réunifier les familles séparées. Il est issu d‘une proposition de l‘Argentine afin de contrer
les actions militaires visant à enlever des nouveau-nés à leurs parents pour les confier à
des couples qui appuyaient le régime militaire768. Les auteurs du Manuel d‘application de
l‘UNICEF indiquent par contre que l‘expression "relations familiales" signifie que
l‘identité d‘un enfant dépasse le cadre de sa famille immédiate et donc de ses parents
légaux769. Cela peut être une interprétation valable, mais puisque l‘article précise que cela
doit être tel que reconnu par la loi, il reste à déterminer quelle signification les États
accordent aux rapports familiaux et aux parents dans leur loi.
L‘utilisation du terme "parent" cause tout autant de problèmes dans la quête des
origines en tant que droit de la personne. C‘est une représentation renvoyant à des réalités
qui ne concordent pas toujours avec l‘univers juridique. La question de l‘anonymat se
retrouve souvent au chapitre de la filiation dans les textes législatifs et force est de
reconnaître qu‘un géniteur n‘est pas forcément un parent au sens de la loi. Au Québec, le
projet parental avec assistance à la procréation est par exemple formé dès lors qu'une
personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d'avoir un enfant, de recourir aux forces
génétiques d'une personne qui n'y est pas partie770. Sont considérés comme étant les
767
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-22.
J. Fortin, Children’s Rights and the Developing Law, London, Butterwoths, 1998 à la p. 314; Van
Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20; Besson, supra note 50 à la p. 143.
769
R. Hodgkin et P. Newel, Manuel d’application de la Convention relative aux droits de l’enfant, New
York, Fonds des Nations Unies pour l‘enfance, 2002 à la p. 125; Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la
p. 2-22; Besson, supra note 50 à la p. 143.
770
Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.
768
240
parents la femme qui a donné naissance à cet enfant771 et, le cas échéant, la personne qui a
formé, avec cette femme, le projet parental772. De plus, l‘évolution sociale de la famille a
amené à une désarticulation entre le projet conjugal et le projet parental. Le premier n‘est
plus un pré requis à la réalisation du second. « Devenir parent est désormais perçu comme
un choix personnel, une expérience existentielle marquante et ne requiert plus nécessaire
une union conjugale stable. »773 Nous retrouvons ici une explication supplémentaire à la
privatisation actuelle de la famille. Dans l‘organisation des rapports entre individus, afin
de veiller au bon fonctionnement de la société, selon un modèle organisé et cartésien
reflétant certaines valeurs de société, le droit instaure malgré tout les principes de la
filiation entre les parents et l‘enfant où coexistent des droits et des responsabilités774. Elle
est traditionnellement rattachée par les juristes à l‘état de la personne qui est le moyen de
l‘identifier et de la reconnaître de manière stable et certaine. Cela est indispensable au
bon fonctionnement de l‘institution étatique qui suppose que les individus puissent être
distingués les uns des autres, en les inscrivant dans un linéage, et d‘assurer la
transmission du patrimoine familial775. Dans ces circonstances, alors que la filiation
représente la reconnaissance publique d‘un lien existant entre un individu et un ou
plusieurs de ses ascendants776, le donneur n‘a pas sa place et il ne lui appartient guère de
771
La maxime Mater est quam gestation demonstrat serait par contre mise à l‘épreuve dans l‘hypothèse où
serait reconnue la validité légale des contrats de mères porteuses.
772
Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.1 al. 1; Pour une étude approfondie du statut de parent en
droit, voir : Angela Campbell, « Conceiving Parents Through Law », (2007) 21 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 242
[Campbell, « Conceiving »].
773
Belleau, supra note 5 au par. 10.
774
« Dans nos pays de tradition romaine et de droit écrit, la filiation, au contraire des systèmes de Common
law, est enserrée dans un réseau de normes juridiques qui traduisent de façon, en général assez cohérente,
les structures de la famille et de la parenté et qui s‘ordonnent en fonction d‘un certain nombre de valeurs
fondatrices ». Labrusse-Riou, « Médecine moderne », supra note 63 à la p. 424.
775
Brunet, supra note 120 à la p. 95.
776
Le Gall, supra note 4 à la p. 95.
241
pourvoir à l‘accomplissement de l‘autorité parentale. D‘ailleurs, tel n‘est pas le motif
pour lequel on a recours à ses services afin de concevoir.
C‘est un raisonnement que nous pourrions transposer à l‘interprétation de l‘article
7 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant 777 qui est fréquemment
identifié comme fondement du droit aux origines. Cette disposition prévoit que :
« 1. L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à
un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible,
le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.
2. Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à
leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les
instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans
les cas où faute de cela l'enfant se trouverait apatride. »
Certains invoquent ainsi le droit des enfants issus d‘un don de connaître leur géniteur qui
devient par le fait même leur parent au sens de la Convention. Le terme est interprété
largement afin d‘y inclure les parents génétiques, les parents biologiques et les parents
psychologiques qui ont pris soin de l‘enfant778. Il paraît néanmoins y avoir certains
troubles légaux dans le recours à l‘article 7.
Le libellé de cette disposition comporte d‘une part une limite rédactionnelle
importante selon laquelle le droit de connaître ses parents ne peut être revendiqué que
"dans la mesure du possible". Cela ouvre la porte à des exceptions d‘origine législative
777
Supra note 87 [Ci après « la Convention»].
Hodgkin et Newel, supra note 769 à la p. 117; Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-21;
Besson, supra note 50 à la p. 143.
778
242
faisant en sorte que le droit de connaître ses parents n‘est pas absolu, mais relatif779. Il
faut d‘ailleurs savoir qu‘au moment de l‘élaboration de la Convention, compte tenu des
pratiques condamnables dans certains pays, il s‘agissait avant tout de s‘opposer aux
enlèvements d‘enfants et de leur voir reconnaître le droit d‘avoir des parents780. De l‘avis
de certains, « dans la mesure du possible » ne signifie pas « dans la mesure du
souhaitable », « dans la mesure où ça ne nous dérange pas trop » ou « dans la mesure du
légalement possible », mais bien « dans la mesure du matériellement possible » ou « dans
la mesure où on le peut ». Ce n‘est qu‘à cette condition que la Convention trouve sa
portée781. Cette analyse, malgré son bien fondée, d‘autant plus sous un angle de
sollicitude, risque de se voir opposer l‘objectif initial de l‘article 7.
Et que dire de l‘utilisation même du terme "parent" dans la Convention qui se
trouve sans aucun doute mis à l‘épreuve782 faute de définition? Dans la procréation
assistée avec les forces génétiques d‘un tiers, celui-ci n‘est qu‘un géniteur et non un
parent. Cela demeure somme toute relatif et dépend de l‘interprétation que nous faisons
du terme parent afin de l‘identifier. Est-ce celui ou celle dont l‘enfant porte le nom? Celui
ou celle dont il hérite du bagage génétique? Celui ou celle qui en assume la charge au
quotidien? Est-ce le conjoint ou la conjointe de l‘autre parent?783 « Autant de
779
Le Bris, supra note 51 à la p. 187.
Hélène Gaumont-Prat, « Le principe de l‘anonymat dans l‘assistance médicale à la procréation et la
révision des lois de bioéthique », dans Droit de la famille – Éditions du Juris-Classeur, Janvier 2001, 11 à
la p. 15 [Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique »]; Breen, supra note 566 à la p. 164; Fortin,
supra note 768 à la p. 314; Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20.
781
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 130.
782
Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 240; Au Québec, cette position est également soutenue
par Giroux et DeLorenzi, supra note 87.
783
Belleau, supra note 5 au par. 2; Voir également Le Bris, supra note 51 à la p. 145.
780
243
composantes de la parentalité qui sont dissociées dans d‘autres sociétés, mais se
recouvraient jusqu‘à une date récente dans nos sociétés »784.
La filiation est un construit social785. Elle ne se limite pas à ce qu‘en dit le droit,
celui-ci privilégiant la logique substitutive à la logique additionnelle786, et à la certitude
qu‘il apporte quant au statut juridique des personnes entre elles. De fait :
« [l]a filiation juridique est un système normatif complexe construit autour
d‘un modèle qui combine nature et volonté. La procréation, fait
biologique, est la donnée première mais non exclusive, à laquelle se
combinent la volonté et la réalité affective et sociale. [Or, l]‘irruption de la
médecine dans le domaine de la reproduction humaine, dominée
jusqu‘alors par les lois de la nature, a permis de dissocier ce qui
jusqu‘alors paraissait ne pouvoir l‘être. »787
Le don de gamètes ou d‘embryons opère ainsi une distinction entre le parent
biologique/génétique788 et le parent social/juridique789. D‘autant plus dans le contexte de
l‘anonymat où un découplage a lieu entre la filiation juridique et la filiation biologique 790.
Sexualité, fécondation, gestation et parturition se dissocient en autant de séquences qui ne
s‘incarnent plus forcément par les mêmes personnes nous dit Dominique Mehl 791. La
problématique à l‘étude nous rappelle conséquemment que « même lorsque le droit
tranche clairement et sans ambiguïté, la tension entre le sang et la volonté est bien
784
Fine, « Qu‘est-ce qu‘un parent? », supra note 620 à la p. 33.
Belleau, supra note 5 au par. 5.
786
Le Gall, supra note 4 à la p. 121.
787
Marie-France Nicolas-Maguin, « Droit de la filiation et procréation médicalisée : une coexistence
difficile », (2006) 1 Dr. et Cult. 123 au para. 10, En ligne : <http://droitcultures.revues.org/861> (Date
d‗accès : 28 novembre 2010) [Nicolas-Maguin, « Droit de la filiation »].
788
Nous utilisons ces deux termes de façon synonyme.
789
Ibid. à la p. 126.
790
Ibid. à la p. 131.
791
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 292.
785
244
présente dans les faits »792. Compte tenu de la nature particulière du don, c‘est-àdire "d‘éléments de vie"793, un certain rattachement humain existe entre l‘enfant et son
géniteur. En fait :
« [l]‘importance des origines dans le développement de l‘identité prend
source dès l‘enfance de l‘individu, notamment dans le cadre de la filiation.
Elle « n‘est pas qu‘un mécanisme d‘autorité parentale, elle comporte
également une dimension identitaire »794.
Une perspective internormative du droit impose donc de s‘ouvrir aux différentes
dimensions de la filiation et, en l‘occurrence, sous un angle de la sollicitude en s‘écartant
des seuls individus juridiques pour s‘intéresser à la personne humaine 795, c‘est-à-dire
l‘enfant du don, et à ce qu‘elle ressent. Cette ouverture analytique concerne le processus
dynamique de production législative et la réflexion que cela requiert en s‘intéressant au
discours éthique. C‘est que nous tâchons de mettre en pratique ci-après.
3.2 Meilleur intérêt, bien-être de l’enfant et connaissance de l’identité du géniteur
Compte tenu de ce que souhaite l‘enfant du don en cherchant à connaître l‘identité
de son géniteur, lorsque ce désir se manifeste, il est raisonnable de conclure que
l‘adoption d‘un système non anonyme est davantage en mesure de répondre à ses
792
Fine, « Qu‘est-ce qu‘un parent? », supra note 620 à la p. 36.
Nous empruntons l‘expression Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat », supra note 479 à la p. 25.
794
Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 24; Daniel Gutman ajoute sur ce point
qu‘il « existe actuellement une véritable mutation des fonctions de l‘état civil. Alors que celui-ci n‘était
naguère envisagé que comme moyen de preuve de l‘identité civile, il occupe désormais un rôle reconnu
dans la constitution de l‘identité psychologique. » Daniel Gutman, Le sentiment d’identité : Étude de droit
des personnes et de la famille, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2000 à la p. 207
795
Nous empruntons l‘expression à Thouvenin, « Limites », supra note 74 à la p. 223.
793
245
besoins796. Afin de nuancer notre propos, nous faisons un retour sur les points de vue en
faveur de l‘anonymat, puis nous nous intéressons à l‘importance même du non anonymat
pour le bien-être de l‘enfant. Nous constatons alors que l‘anonymat serait d‘abord garant
de l‘intérêt de la famille et, conséquemment, dans l‘intérêt de l‘enfant. Cet argument n‘est
toutefois pas en harmonie avec l‘éthique de la sollicitude car il se fonde sur des points de
vue externes à l‘enfant. Celui-là même qui est au cœur de la relation donneur – enfant et
qui est la personne vulnérable à protéger. Le choix de l‘anonymat se base sur la position
des donneurs et des parents. Or, pouvons-nous véritablement prétendre à une réflexion
éthique qui prend ses assises dans les rapports interpersonnels et l‘interdépendance des
individus et ce, en en excluant le principal intéressé? La réponse ne peut être que
négative. Même si ce ne sont pas tous les enfants du don qui ressentent une crise
identitaire en l‘absence d‘informations nominatives et identifiantes sur leur géniteur,
l‘intérêt de l‘enfant doit remettre en perspective les points de vue de ce dernier et, par
conséquent, en vertu de l‘éthique de la sollicitude, nous mener à la conclusion que la
levée de l‘anonymat est la solution à retenir.
a) L’anonymat : des points de vue en sa faveur
L‘anonymat est de loin le choix de la majorité des donneurs de sperme. Dans une
étude française récente, pays où l‘anonymat est actuellement la règle, 79,3% des 193
donneurs interrogés déclarent être en accord avec la législation actuelle. Près de 70% ne
souhaitent pas de changement et 60,6% déclarent qu‘ils renonceraient à leur don en cas
796
C‘est également la conclusion à laquelle en vient la juge Adlair dans l‘affaire Pratten. Pratten v. British
Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011) au para, 247.
246
d‘une évolution de la loi vers une levée de l‘anonymat 797. Leur profil est intéressant. Ce
sont des hommes occupant des positions professionnelles relativement favorisées, qui
sont curieux des questions sociales et qui développent une argumentation réfléchie. La
nécessité d‘un geste altruiste dans ce pays exclut la motivation financière. Le plus
souvent, ils ont été sensibilisés par la stérilité de proches798. En ce qui concerne
l‘anonymat, ces donneurs ne souhaitent apparemment aucun engagement au-delà de leur
don et ne veulent assumer aucune responsabilité, chose qu‘ils font déjà avec leurs propres
enfants. L‘anonymat permet à chacun de rester autonome au-deçà du don. Pour le
donneur, une dépersonnalisation du produit biologique vers une limite au geste est ainsi
possible afin de permettre au futur père de s‘investir dans la fonction paternelle799. Il est
intéressant de constater que le discours en faveur de l‘anonymat est souvent soutenu par
les professionnels de la procréation assistée parce qu‘ils ont eux-mêmes été donneurs800.
Le don féminin est plus délicat car l‘engagement des femmes en vue de faire un
don de gamètes est sans commune mesure à celui des hommes, ne serait-ce sur le plan
médical. Aussi, pour certaines receveuses d‘ovules, il paraît inconcevable de ne pas
pouvoir mettre un visage, d‘être interdite de rencontre et d‘échange avec une personne qui
leur offre d‘elle-même. Ce besoin de transparence n‘implique cependant pas trop de
proximité. Si la donneuse est la mère biologique, les receveuses sont les mamans.
Distinction subtile, mais qui n‘est pas vide de sens sur le plan humain. Inversement,
797
J.-M. Kunstmann et al., « En France, la majorité des donneurs de spermatozoïdes souhaite le maintien de
leur anonymat », (2010) 20 :1 Andrologie 53 aux pp. 55-56.
798
Ibid. à la p. 4.
799
Ibid. à la p. 5.
800
Lori B. Andrews et Lisa Douglass, « Alternative Reproduction », (1991-1992) 65 S. Cal. L. Rev. 623 à
la p. 660; Ce n‘est par contre pas la seule raison. Sur le sujet, voir : E.V. Haimes, « Do clinicians benefit
from gamete donor anonymity? », (1993) 8 :9 Human Reproduction 1518.
247
d‘autres refusent d‘associer une quelconque histoire aux gènes801. D‘où un soutien à
l‘anonymat.
Pour les donneuses également, plus que pour les donneurs, il semble difficile de
n‘être réduites qu‘à un geste abstrait et désincarné. Demeure néanmoins que leur
perception de leur propre don est variable. Allant d‘une conception très neutre,
comparable à un don d‘organes, vers une potentialité bien plus importante de cette cellule
reproductrice qui s‘apparente à un don de vie ou d‘hérédité802. Une tendance se remarque
néanmoins chez elles à s‘appliquer à désigner le gamète comme une cellule neutre. Elles
ne donnent pas des bébés selon les termes souvent utilisés dans les témoignages rapportés
par Mehl en France en 2008803. L‘un d‘entre eux accroche particulièrement le sourire aux
lèvres par l‘innocence de sa comparaison : « Le psychiatre du CÉCOS m‘a demandé :
"Vous n‘avez pas l‘impression de donner des enfants?" Je lui ai dit : "Écoutez, quand
vous mangez une omelette, vous ne mangez pas des poussins. Donc, moi, je donne un
œuf, pas un enfant." »804
La peur d‘une intrusion s‘applique à l‘anonymat sous un autre angle, celui des
parents vis-à-vis du géniteur805. Cet argument concerne en premier lieu le secret puis,
s‘étend à la question de l‘anonymat en vue de préserver l‘unité familiale806 car une
801
Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 19; Voir les témoignages que l‘auteure présente sur ce
point dans : Mehl, « Enfants du don », supra note 482 aux pp. 133 et ss.
802
Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 19.
803
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 aux pp. 157 et ss.
804
Ibid. à la p. 163.
805
Van Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-20.
806
Cahn, supra note 691 à la p. 15; Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 18; Marzano, « Regard
éthique », supra note 501 aux pp. 107-108; Brigitte Feuillet, « La filiation de l‘enfant né d‘un assistance
médicale à la procréation », dans Pierre Jouannet et Catherine Paley-Vincent, dir., L’embryon, Le fœtus,
248
ingérence du géniteur (fantastiquement ou réellement) peut être source d‘un rejet du
parent, voir même à l‘origine d‘un conflit de loyauté chez l‘enfant. Une étude québécoise
a d‘ailleurs démontré que, dans le choix du type de procréation, de futures mères
lesbiennes préféraient un donneur anonyme pour éviter la formation d‘une famille triparentale807. Bien que dans ce contexte il soit ardu de cacher à l‘enfant les circonstances
entourant sa conception, le donneur anonyme est malgré tout perçu comme garant de la
sécurité des liens familiaux. Les auteurs précisent à cet égard qu‘il « peut être menaçant
pour les couples d‘élaborer un projet familial en l‘absence de certitude que le donneur ne
prétendra pas que l‘enfant a été conçu au terme d‘une relation sexuelle pour ainsi
réclamer ses droits parentaux au cours de la grossesse ou de la première année de vie de
l‘enfant »808. Ce n‘est néanmoins pas toujours vrai puisque dans la même étude des
couples ont expliqué avoir eu recours à un donneur connu en raison de leur souhait de
connaître l‘histoire de sa vie et sa personnalité, et même permettre à l‘enfant d‘avoir des
liens avec son père biologique. Selon des degrés divers, une implication du donneur dans
la vie de l‘enfant était souhaitée809. Cette étude ramène le lien donneur – parents alors que
nous ne considérons pas l‘autonomie des parents comme déterminante dans la
reconnaissance d‘un droit aux origines. La crainte de ces derniers ne peut par contre être
ignorée puisqu‘elle constitue l‘une des facettes du lien donneur – enfant.
L’enfant – Assistance Médicale à la Procréation (AMP) et lois de bioéthique : Une réflexion
transdisciplinaire médicale, juridique, éthique et patrimoniale, Paris, Éditions ESKA, 2009, 257 à la p. 261
[Feuillet, « Filiation »]; Pratte, « Nouveau Code », supra note 92 à la p. 299.
807
Annie Leblond de Brumath et al., « Facteurs décisionnels reliés au statut biologique et au mode de
procréation chez des futures mères lesbiennes », (2006) 5 Revue Internationale Enfances, Familles,
Générations aux par. 53-55, En ligne : <http://www.erudit.org/revue/efg/2006/v/n5/015780ar.html> (Date
d‘accès : 1er février 2010).
808
Ibid. au par. 70 ; Rappelons ici que « lorsque l'apport de forces génétiques se fait par relation sexuelle,
un lien de filiation peut être établi, dans l'année qui suit la naissance, entre l'auteur de l'apport et l'enfant.
Pendant cette période, le conjoint de la femme qui a donné naissance à l'enfant ne peut, pour s'opposer à
cette demande, invoquer une possession d'état conforme au titre. » Code civil du Québec, supra note 18, art.
538.2 al. 2.
809
Leblond de Brumath et al., supra note 807 aux par. 56-60.
249
Les parents ont peur d‘une intrusion du géniteur. Pourtant, lorsque la famille est
monoparentale ou homoparentale, situation où le secret est par ailleurs d‘avance
impossible, nous pourrions imaginer préserver un droit de l‘enfant à une filiation
paternelle en levant l‘anonymat du donneur et en permettant à l‘enfant de se faire établir
une relation à son égard810. Cela part d‘une bonne intention, mais est inconcevable en
droit. En termes d‘égalité entre les donneurs, nous ne pouvons pas en exempter de leurs
responsabilités dans le contexte hétérosexuel et non dans les autres cas. Reconnaître cela
imposerait de remettre en cause l‘entière institution du don de forces génétiques. De fait,
comme nous postulons que le donneur ne peut contrôler la destination de ses gamètes, il
ne peut davantage choisir que celles-ci n‘iront, par exemple, qu‘à des couples
hétérosexuels en vue d‘être épargné de toute implication à l‘égard de l‘enfant. Soit nous
admettons le don dans tous les types de parenté avec ce que cela implique, c‘est-à-dire
une inégalité admise en droit pour les enfants d‘être élevés par un père et une mère, soit
nous en limitons l‘accès qu‘à l‘hétérosexualité comme cela est le cas dans certains
pays811.
En plus d‘éviter une éventuelle implication du donneur dans la sphère familiale,
l‘anonymat est parfois préféré au don direct qui peut être source d‘inconfort pour les
donneurs et les parents. D‘une part, pour la relation existant entre eux et, d‘autre part, en
nuisant à la création du lien parents – enfant. Parmi les témoignages recueillis par
Dominique Mehl un a retenu notre attention. Il s‘agit du cas d‘une jeune femme qui avait
810
811
Labrusse-Riou, « Médecine moderne », supra note 63 à la p. 436.
Voir : Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 aux pp. 592 et ss.
250
besoin d‘un don d‘ovocytes et qui était au départ très hostile à l‘anonymat, mais qui a fini
par s‘y résoudre afin de mettre au monde son fils:
« [a]u départ, ce qui me chiffonnait beaucoup, c‘était l‘anonymat. Déjà à
l‘époque, je me disais : "Ce n‘est pas possible, on ne peut pas faire ça à un
enfant." Donc, j‘ai trouvé une donneuse pour aller en Belgique. C‘était une
amie très proche, une amie très proche. Elle a accepté parce que, au départ,
elle trouvait que c‘était presque normal, mais je crois qu‘au fil du temps il y
a quelque chose qui a dérapé. Elle a commencé à avoir peur pour sa propre
fertilité et aussi peur que les gens sachent qu‘elle était la mère génétique de
l‘enfant. Elle voulait le faire mais elle ne voulait pas que ça se sache. Et
moi, qu‘est-ce que je pouvais faire? Je lui disais : "Même si j‘essaie de me
plier à tes exigences, l‘enfant s‘il te ressemble, je fais quoi? Je lui mets un
masque de Mickey quand on reçoit des amis communs, je le cache, je le fais
garder, personne ne le verra jamais? Je le fais opérer?" Ça posait un vrai
problème. Parce que finalement, bien que le don soit direct, je rentrais dans
une notion de secret et ce n‘était pas compatible. Elle est venue avec moi en
Belgique, avec son mari. Mais elle n‘a pas fait de don. On est pas allés
jusqu‘au bout. »812
Ce cas est particulier en ce que la donneuse était une relation intime de la receveuse. Il est
peu probable que pareil scénario se reproduise lors d‘un don non anonyme fait en clinique
lorsque les gamètes appartiennent à un étranger. Cependant, compte tenu de la rareté des
ovules, même si l‘anonymat est en vigueur, c‘est une situation que nous ne pouvons pas
ignorer dans l‘hypothèse où une femme se présente en clinique avec sa propre donneuse.
Peut-être un anonymat complet est-il préférable ou encore, selon la formule du don
croisé. Cet extrait permet en fin de compte de remarquer que si l‘anonymat n‘est pas si
indiscutable, il apparaît parfois comme un choix par défaut 813. Dans d‘autres
circonstances, l‘apparition d‘un problème d‘infertilité amène même à un changement de
812
813
Témoignage tiré de Dominique Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 122.
Ibid. à la p. 124.
251
perspective idéologique. Alors que le ou les parents se croyaient pour sa levée, ils se
mettent à se poser des questions814.
Ces positions se placent encore d‘un point de vue externe à l‘enfant du don. Or,
nous constatons que lorsque nous regardons ses revendications, l‘analyse prend un tout
autre tournant. Seule la réintégration pleine et entière dans le processus analytique permet
de respecter l‘esprit de l‘éthique de la sollicitude et, dans cette perspective, l‘anonymat
doit être aboli.
b) Abolition de l’anonymat : dans le meilleur intérêt de l’enfant
Certains croient qu‘une trop grande importance est accordée à la génétique dans le
développement de l‘identité. Celle-ci est forgée par d‘autres éléments tout aussi
importants comme l‘histoire de l‘individu, sa famille et le contexte social dans lequel il
évolue815. Pierre Jouannet affirme même que son expérience auprès d‘hommes et de
femmes en mal d‘enfant lui a permis de constater qu‘il y a d‘autres façons d‘aborder
l‘origine des êtres humains et les liens intergénérationnels qui les unissent. Sans
minimiser le rôle essentiel joué par la dimension biologique de l‘engendrement et les
donneurs, l‘auteur spécifie que la procréation par don peut aussi résulter du désir ou du
choix d‘un homme et d‘une femme de marquer leur union en se perpétuant dans une
descendance malgré la stérilité. Le projet d‘enfant se trouve favorisé par rapport au
814
815
Ibid. à la p. 149.
Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 140; Sauer, supra note 349 à la p. 940.
252
simple support biologique. Le lien existant entre le parent et l‘enfant est l‘acte fondateur
de l‘existence de ce dernier et est irremplaçable816.
Il existerait par contre trois axes à la filiation qui nous recentrent sur la relation
entre le donneur et l‘enfant. Tout d‘abord, la filiation biologique qui est issue de la
procréation par intervention des produits du corps et de la continuité chromosomique.
Ensuite, la filiation instituée, ou juridique, qui est définie par la loi et qui fixe les
conditions juridiques de la parenté. C‘est elle qui va nommer les parents, père et mère de
l‘enfant, faisant de celui-ci le fils ou la fille. Un dépassement biologique grâce aux lois est
alors possible, le lien de filiation n‘exigeant aucunement un lien biologique voir
génétique pour être fondé. Enfin, la filiation narcissique qui, pour sa part, concerne l‘axe
psychique de la personne, relève de l‘ordre de l‘imaginaire et autour de laquelle se
construit notre identité. Cela se bâtit donc avec le temps puisque la filiation narcissique
n‘est jamais donnée. Elle découle des liens qui se forgent entre les individus d‘une même
famille817. Dans cette dernière acception, la filiation c‘est « l‘inscription de son histoire,
l‘enracinement dans son passé mais c‘est aussi la projection dans un avenir qui permet
seul de dépasser la mort »818. C‘est à ce niveau que se trouve l‘identité narrative,
découlant des travaux de Paul Ricœur819 et retenue par Irène Théry pour comprendre les
816
Jouannet, supra note 673 à la p. 107.
Janine Noël et Pierre Verdier dans Pierre Verdier et Michel Soulé, dir., Le secret sur les origines,
problèmes psychologiques, légaux, administratifs, Paris, éd. E.S.F., 1986 cités dans Deleury, « Filiation»,
supra note 13 aux pp. 183-184; Israël Nisand, « Vertige de l‘origine. Origine d‘un vertige », dans Frydman
et Flis-Trèves, supra note 730, 177 aux pp. 180-181; Bernard Golse, « L‘accès aux origines : des tests
génétiques à la levée de l‘anonymat », dans Jouannet et Paley-Vincent, supra note 806, 251 aux pp. 251252.
818
Noël et Verdier, supra note 817.
819
Paul Ricoeur, Soi-même comme une autre, Paris, Éditions du Seuil, 1990.
817
253
revendications à un droit aux origines, où chacun met en intrigue sa propre vie 820. Quoi
qu‘il en soit, il paraîtrait important de ne pas hiérarchiser ces trois types de filiation qui
sont en interaction constante821.
De manière générale, il a été rapporté que :
« les études publiées à ce jour permettent de conclure que les connaissances
relatives aux effets à long terme du don de gamètes sur le développement
des enfants demeurent incomplètes et que l‘absence de lien génétique entre
un parent et son enfant ne vient pas nécessairement compromettre le
développement d‘une relation positive entre eux. »822
Cela suggère qu‘un fort désire de parenté est plus important qu‘un lien génétique dans le
développement de liens familiaux positifs et que les enfants du don ne semblent pas
forcément souffrir d‘effets négatifs dans leur développement socio-émotionnel823.
Constater l‘existence de bonnes relations entre les parents et les enfants est une chose.
Importante certes, mais qui n‘évacue pas pour autant le besoin de savoir de certains
enfants824. Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste française très active dans le
mouvement pour l‘abolition de l‘anonymat, fonde quant à elle son opinion en se basant
sur son expertise clinique en affirmant qu‘on ne peut faire le deuil que du connu. C‘est-àdire, d‘un père disparu ou d‘une mère qui vous a abandonné bien que cela demeure
difficile. Il en va tout autrement lorsqu‘il s‘agit d‘un "rien", que cela soit d‘un dossier
820
I. Théry, « Anonymat des dons d‘engendrement : le grand malentendu du débat français », (2010) 20 :1
Andrologie 110 à la p. 115 [Théry, « Grand malentendu »].
821
Golse, supra note 817 à la p. 252.
822
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 la p.
44; Voir également : Golombok, supra note 488 à la p. 2344.
823
Golombok, supra note 488 à la p. 2344.
824
Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p. 162.
254
vide ou d‘une paillette de sperme congelé, du non-dit, du non-symbolisable825. « [U]n
travail de deuil ne peut se faire que grâce à un élaboration fondée sur des traces
réelles. »826. Qui plus est, de l‘avis de l‘auteure, un dispositif qui reconnaît le statut de
quelqu‘un pour, dans le même temps, l‘annuler, met en œuvre un mécanisme psychique
pathologique bien connu qui s‘appelle le déni. La conséquence d‘une pareille attitude est
un risque de retour du refoulé sous forme de questions ou de symptômes qu‘on ne peut
ignorer. C‘est donc l‘anonymat même qu‘on entretient sur l‘identité du donneur qui lui
donne une place considérable. Le géniteur peut alors être idéalisé et l‘anonymat devient
contre-productif827.
Les témoignages des enfants en quête de leur histoire sont percutants. S‘en est
même gênant et embarrassant de leur imposer l‘anonymat. Par exemple :
« Je ne ressemble à aucun de mes parents. Ni à mon père, et pour cause. Ni
non plus à ma mère, qui est petite avec des cheveux châtains alors que je
suis blonde aux yeux verts. Tous les jours quand je me regarde dans la
glace, j‘ai l‘impression d‘être un mystère. Ça arrive aussi dans les
conceptions naturelles mais, dans ce cas, on sait à quoi se raccrocher. Moi,
je ne sais pas. Je peins depuis que je suis toute petite. Je fais beaucoup
d‘autoportraits et, pour moi, l‘autoportrait ne va pas sans une grande part
d‘ombre.
Déjà l‘arbre généalogique qu‘on fait en primaire m‘a posé tout un tas de
problèmes. Je me suis fait gronder par la maîtresse par ce que je ne pouvais
pas remplir la case de mon père. »828
825
Geneviève Delaisi de Parseval, « Secret et anonymat dans l‘assistance médicale à la procréation avec
donneurs de gamètes, ou le dogme de l‘anonymat «à la française» », (2006) 51 :1 Droit et Cultures 197 à la
p. 199; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 254; Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note
123 à la p. 165.
826
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 255.
827
Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat », supra note 730 aux pp. 9-10; Delaisi de Parseval,
« Famille », supra note 190 à la p. 251.
828
Témoignage tiré de Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 241; D‘autres se trouvent sur le site
de l‘Association Procréation Médicalement Anonyme. Voir : Procréation Médicalement Anonyme,
Témoignages, En ligne : <http://www.pmanonyme.asso.fr/temoignages.php> (D‘accès : 31 mars 2010).
255
Ou encore :
« I feel intense grief and loss, for the fact that I do not know my genetic
father and his family. There is no closure for me, as I assume these people
are not dead. In addition there is no comfort for this, as there is little social
recognition of this significance or grief. I live with the uncertainty of a
reunion being possible, though unlikely, and of even unknowingly passing
my biological father or siblings in the street. I wonder if we would
recognise each other. I wonder if they think of me, and if they do how and
where there would communicate this. »829
S‘en suivent des termes tels que honte et bâtard. Une adhésion à l‘adage « pas de père,
pas de repère ». Une croyance en un vide du côté biologique, bien que l‘aspect
symbolique de la parenté soit riche et plein. Un inconfort avec le terme froid et médical
de géniteur830. Le plus aberrant est que certains de ces enfants ne savent même pas
pourquoi ils ressentent de la honte831.
Nous retrouvons le même genre de témoignages au Canada. À l‘occasion de
l‘adoption de la Loi sur la procréation assistée832, Olivia Pratten833 et Barry Stevens,
deux personnalités très actives contre l‘anonymat, ont témoigné de leur détresse devant le
Comité permanent de la santé. Madame Pratten dit notamment :
« Premièrement et surtout, l'anonymat nous prive de la dignité de pouvoir
décider par nous-même si nous voulons connaître la personne qui a
contribué à notre conception. Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-13
accorde au donneur le droit de choisir de s'identifier ou non, alors que le
829
Segment du témoignage de Joanna Rose dans : Rose & Anor v Secretary of State for Health Human
Fertilisation and Embryology Authority, [2002] EWHC 1593 (Admin) (26 July 2002), En ligne:
<http://www.bailii.org/ew/cases/EWHC/Admin/2002/1593.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010).
830
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 242.
831
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 252.
832
Supra note 22.
833
Les documents introductifs d‘instance sont disponibles sur Arvay Finlay Barristers, supra note 38;
Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2010); Pratten v. British Columbia
(Attorney General), supra note 38 (2011).
256
donneur est un adulte pleinement consentant. Ainsi, des décisions qui se
répercuteront sur notre vie à jamais sont prises avant même notre
naissance. Si un donneur refuse d'accorder plus d'importance aux
éventuels besoins d'un enfant qu'il contribuera à créer qu'à ses besoins
propres, il ne devrait jamais être considéré comme un candidat acceptable
pour faire un don de gamètes.
Quant à moi, je ne considère pas le donneur comme mon père, mais il a
néanmoins un lien biologique avec moi. Ce qu'il représente à mes yeux est
extrêmement personnel. Personne n'a le droit de décider à ma place de ce
que je devrais ou ne devrais pas ressentir à son égard. Depuis ma plus
tendre enfance, j'ai toujours voulu savoir qui il était. J'avais l'impression
d'être au centre d'un casse-tête dont il manquait certains morceaux. J'avais
besoin de ces morceaux pour comprendre l'ensemble du tableau.
J'ai du mal à imaginer comment certains peuvent prétendre qu'il est
anormal de vouloir connaître ses origines ou encore de dire que ceux
d'entre nous qui veulent des changements sont une minorité. Si personne
ne s'intéressait à ses origines, la généalogie n'existerait pas et les pratiques
relatives à l'adoption n'auraient jamais été modifiées. Les historiens disent
souvent qu'on ne peut pas savoir où l'on va à moins de savoir d'où l'on
vient.
Demandons quel message notre façon de procéder envoie aux personnes
conçues par un don de gamètes, lorsqu'on laisse les donneurs disparaître à
jamais dans la nature sans révéler leur identité. Est-ce que des personnes
issues de tels dons ne seront-elles pas portées à penser que leur père ou
leur mère biologique avait honte d'avoir fait un don et de l'être qu'il a
contribué à créer? Je me suis souvent demandé si mon père biologique
était un homme bien intentionné qui n'avait pas été pleinement renseigné
ou s'il s'agissait d'un irresponsable qui n'avait jamais pensé aux
conséquences de sa décision. Il n'est pas acceptable de traiter les dons de
gamètes comme des dons d'argent anonymes que l'on fait aux organismes
de charité à Noël.
[…]
Le sperme ne sauve pas le sperme; il crée la vie. Même si mon père
biologique n'avait pas de responsabilités financières ou juridiques envers
moi comme c'est le cas des parents, il avait le devoir moral et éthique de
répondre à mes questions. Seuls les donneurs qui sont prêts à être
identifiés lorsque l'enfant aura atteint l'âge de la majorité devraient être
acceptés. Des donneurs parfaitement consentants responsables et prêts à
rendre des comptes doivent devenir la norme de la communauté médicale
et du gouvernement qui devrait d'ailleurs les assujettir à des règlements.
257
Je suis choquée que la naissance d'enfants résultant d'une aventure, d'une
liaison extraconjugale, est la justification dont certains ont besoin pour
justifier le maintien d'un système de don de gamètes anonyme. Jusqu'où
ira-t-on pour excuser cet acte irresponsable?
Je prononce des discours à des conférences sur les donneurs depuis l'âge
de 15 ans et je puis vous dire que le nombre de gens qui apparaissent
comme par miracle croît non seulement au Canada, mais à l'échelle
mondiale. Je fais partie d'une organisation internationale de descendants
qui s'est donné pour mission de défendre les intérêts de la génération à
venir pour qu'elle ne soit pas dans la même situation que nous—sans
information et sans voix au chapitre.
On nous a souvent répété que, comme les enfants adoptés, nous devrions
être reconnaissants. Si tel est le cas, pourquoi me prive-t-on de la
possibilité de remercier le donneur pour ce don de vie? Mon père
biologique pourrait essentiellement être n'importe lequel des 30 millions
d'hommes de race blanche du groupe sanguin A positif qui habitent cette
planète. J'aime le père qui m'a élevé, mais cela n'efface pas en moi le
sentiment de n'être l'enfant de personne. En termes clairs, le fait de ne
jamais pouvoir voir le reflet de cette personne sans visage et sans nom
dans mes traits ou ceux de mes enfants est un boulet que je traînerai toute
ma vie. »834
Barry Stevens poursuit sur la même lancée835. Il nous semblait nécessaire de reprendre un
si long extrait de ce témoignage car il illustre très bien l‘essence des arguments invoqués
contre l‘anonymat tels qu‘exprimés par les enfants. Il en ressort également un concept
fondamental : la notion de dignité de la procréation et de la naissance836.
Il apparaît effectivement dans les propos d‘Olivia Pratten une volonté de rendre
toute sa noblesse au geste qu‘a fait le donneur. Que la société le reconnaisse, mais
834
Olivia Pratten, Témoignages, Comité permanent de la santé, 37e Législature, 2e Session, Lundi 2
décembre
2002,
En
ligne :
<http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=610545&Language=F&Mode=1&Par
l=37&Ses=2#Int-359651> (Date d‘accès : 31 mars 2010).
835
Celui-ci a même fait un téléfilm sur le sujet du nom de Offspring. Pour de plus amples informations,
voir :
Téléfilm
Canada,
Catalogue,
<http://www.telefilm.gc.ca/data/production/prod_740.asp?cat=TV&g=DOC&y=2002> (Date d‘accès : 31
mars 2010).
836
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 272.
258
également le donneur en tant que tel car son don fut source de vie. Il en découle
forcément un certain lien entre l‘enfant et celui qui a permis sa naissance. La jeune
femme se demande par exemple si son "père biologique" est un homme bien intentionné
ou encore un irresponsable inconscient des conséquences de sa décision. Tout autant, elle
ne comprend pas pourquoi on la prive de remercier son géniteur pour le don de vie qu‘il a
fait. Ces propos demeurent chargés d‘émotions, mais il en ressort un élément essentiel, à
savoir la nature particulière du don d‘engendrement qui est le point central du discours
d‘Olivia Pratten. Imposer l‘anonymat c‘est nier cela et ne pas respecter ce que Geneviève
Delaisi de Parseval et Pierre Verdier ont qualifié de dignité de la procréation et de la
naissance. Une dignité qui requiert tout autant de respect de l‘autonomie de l‘enfant.
Bien sûr, ce ne sont là que quelques exemples. Ils ne sont pas représentatifs de ce
que vivent, ressentent et pensent tous les enfants du don. En effet, si ces témoignages sont
frappants comparativement aux enfants qui ne cherchent pas à connaître leurs origines,
c‘est que ces derniers ne mènent pas un combat, ne se constituent pas en association et
évoquent peu le sujet. Leurs témoignages sont plus rares837. Même parmi ceux qui
militent pour une plus grande transparence, certains reconnaissent qu‘il n‘est pas certain
que de ne pas être informés des circonstances de la conception et de l‘identité du donneur
puisse causer des problèmes psychologiques. Cela est en partie dû au faible nombre
d‘études sur le sujet838. Le lien de causalité entre l‘intervention d‘un tiers donneur
anonyme et la souffrance de l‘enfant n‘est pas affirmé avec certitude. La douleur et la
revendication qui en résulte découleraient le plus souvent des mauvaises conditions dans
837
838
Séraphin, supra note 519 à la p. 90.
Frith, « Donation », supra note 484 à la p. 821.
259
lesquelles l‘individu a été informé des circonstances de sa naissance839. Rapportant deux
témoignages semblables à ceux que nous avons exposés, un auteur leur apporte une
nuance en spécifiant qu‘ils proviennent d‘une prise de connaissance du recours à un tiers
donneur dans de mauvaises conditions. Lorsque la chose pose problème à l‘enfant, c‘est
soit qu‘il l‘a appris au mauvais moment, soit qu‘il a toujours su mais sous le signe de
l‘interdit d‘en parler. La conclusion de l‘auteur est que nous devons pousser davantage
dans le sens de créer de bonnes conditions plutôt que de s‘aligner sur des cas
exceptionnels pour en tirer des règles générales. S‘il est dit que l‘exception confirme la
règle, il n‘est pas dit qu‘elle doive la définir. Le problème de ces jeunes, dit-il, est qu‘ils
ont du mal à reconnaître le lien de transmission humaine grâce auquel ils existent et ont
grandi, avec ses manques et ses jouissances. Devant cette difficulté, ils cherchent à
surplomber ce lien par un savoir fétiche qui leur évite l‘épreuve du manque et leur donne
l‘illusion qu‘avec ce savoir ils seront comblés. L‘ignorance du donneur devient tout
naturellement la cause de leur problème existentiel840.
Ce sont là des considérations complexes qui dépassent de loin les limites de notre
expertise en droit et en éthique. Il semble cependant important de retenir que le fort
retentissement des témoignages des enfants du don :
« n‘est pas dû seulement au dynamisme associatif des intéressés, à la
valorisation de leurs récits dans des travaux de sciences sociales et au
soutien médiatif friand d‘histoires à sensation. Leur effet sur les
gouvernants est certainement à proportion des doutes tus mais persistants
839
Thomas Dumortier, « L‘anonymat du don et l‘AMP : un enjeu institutionnel », dans Jouannet et PaleyVincent, supra note 806, 295 aux pp. 296-297.
840
C. Dudkiewicz-Sibony, « Don anonyme, secret du don et symbolique », (2010) 20 :1 Andrologie 68 aux
pp. 69-70.
260
qui ont dû accompagner la banalisation progressive des pratiques
d‘assistance médicale à la procréation. »841
Il existe d‘autre part une forte tendance dans la littérature à considérer l‘ouverture et
l‘honnêteté comme préférables842 et que « l‘accès aux origines contribue à inscrire
l‘individu dans une histoire et dans une transmission. C‘est déjà prendre en compte, d‘une
certaine manière, l‘appartenance à l‘espèce humaine »843. Sous un autre angle, c‘est
reconnaître que l‘enfant est né du désir de ses parents, mais aussi grâce à l‘action d‘une
autre personne844. Cela permet à l‘enfant de comprendre son histoire unique et spécifique
ainsi que sa place dans le monde, incluant ceux qui sont venus avant et ceux qui
suivront845. L‘objectif n‘est pas de perturber le géniteur, mais de permettre le
développement complet de l‘identité de l‘enfant lorsqu‘il ressent le besoin de savoir. Ce
ne sont pas tous les enfants qui voudront un accès à l‘information nominative concernant
leur donneur, mais beaucoup veulent savoir grâce à qui ils ont pu naître. De plus, s‘ils ne
souhaitent pas nécessairement une relation à long terme avec le donneur, ils sont
nombreux à ressentir de la curiosité846.
« L‘expression "père biologique", voir celle de "vrai père" souvent entendue, est
ici trompeuse; c‘est d‘ailleurs un lapsus qu‘on rencontre davantage chez les
professionnels (dans les congrès, ou chez les commentateurs) que chez les intéressés! »847
841
Brunet, supra note 120 aux pp. 93-94.
Frith, « Donation », supra note 484 à la p. 821.
843
Francis Kernaleguen, « Les principes fondamentaux des lois « bioéthique »», dans Brigitte Feuillet-Le
Mintier, dir., Les lois de «bioéthique» à l’épreuve des faits : réalités et perspectives – Actes du colloque
pluridisciplinaire des 12 et 13 novembre 1998, Paris, Presses Universitaires, 1999, 35 à la p. 41
844
Lyndon Shaley, supra note 692 à la p. 268.
845
Siberry Chestney, supra note 634 à la p. 375.
846
Cahn, supra note 691 à la p. 9.
847
Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat », supra note 730 à la p. 9.
842
261
On peut souvent lire que les enfants conçus grâce à un don sont loin de chercher un
nouveau parent chez le donneur lorsqu‘ils veulent le connaître. On ne peut pas généraliser
cette affirmation. L‘hypothèse du fantasme à l‘égard de ce "parent biologique" qu‘est le
donneur, par exemple en présence d‘un conflit familial entre les parents et l‘enfant, est
tout à fait probable. Certains auteurs soutiennent par contre que les enfants nés d‘un don
d‘engendrement sont surtout curieux de leur géniteur, désirant voir sa photo ou être
informés de ses motivations. Leur demande constitue, aux dires de Geneviève Delaisi de
Parseval, un moyen de se comprendre et d‘étayer leur sentiment d‘identité de façon plus
stable848. Contrairement à l‘image qui en est dépeinte par les adhérents à l‘anonymat, une
autre auteure avance en ce sens que les enfants du don ne sont pas des partisans du tout
génétique. Ils sont informés, suivent les progrès scientifiques et comprennent que
l‘identité n‘est ni forgée sur un terrain totalement neutre ni prisonnière d‘un carcan
prédéfini849. Le débat origines / anonymat se poserait en somme davantage en termes
d‘histoire que d‘origines850 car :
« [l]‘identité de tout sujet se construit par la capacité qu‘il peut avoir de
mettre en intrigue son passé, de traduire son histoire sous forme de récit;
encore faut-il que pour cela l‘histoire ait un début… Une saine éthique de la
reproduction suppose ainsi de pouvoir connaître l‘identité de ceux qui ont
participé à leur mise au monde »851.
Cela concerne donc la dimension existentielle de la venue au monde et lorsque le droit de
savoir est barré à double tour, c‘est enlever à l‘enfant la possibilité de se demander de qui
848
Ibid.; Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 254; Delaisi de Parseval, « Ne pas
l‘épouser », supra note 123 à la p. 160; Voir également : Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p.
322.
849
Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 16; Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 327.
850
Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat », supra note 730 à la p. 11; Delaisi de Parseval,
« Famille », supra note 190 à la p. 256; Delaisi de Parseval, « Ne pas l‘épouser », supra note 123 à la p.
165; Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 16.
851
Delaisi de Parseval, « Origines ou anonymat », supra note 730 à la p. 11.
262
il vient852. Un passé à saveur de gruyère et une généalogie pleine de trous ne remplissent
pas cet objectif. Bien au contraire, une loi faisant la promotion de l‘anonymat ferait, aux
dires de Geneviève Delaisi de Parseval et de Pierre Verdier, alliance à la fois avec le
mensonge et avec le déni853.
Les auteurs poursuivent en disant qu‘il est parfaitement arbitraire d‘affirmer que le
meilleur moyen de protéger les couples et leurs futurs enfants est de leur imposer
l‘anonymat. En fait, on ne peut rien dire de façon définitive car il est encore trop tôt pour
savoir ce qu‘il en est de ces enfants854. En attendant, une prudence et un respect des
valeurs et des choix de chacun s‘imposent855. Les témoignages des enfants militants ne
sont pas uniformes. Quoique, au-delà des différences entre le désir de voir le visage d‘un
donneur et la souffrance parfois exprimée d‘un rejet par le parent psychologique qui
n‘assume pas sa stérilité et sa paternité, se dessine un besoin de découvrir une partie de
son histoire. Se pose également le problème de savoir si la connaissance du nom des
donneurs permet réellement de mieux connaître ses origines et de répondre à la question
« qui suis-je? ». Les chercheurs sont eux-mêmes partagés sur cette question856.
852
Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 264-265.
Ibid. à la p. 264; Voir également l‘expertise du Dr. Diane Ehrensaft dans le jugement Pratten de la Cour
supreme de la Colombie-Britannique. Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011)
aux para. 90 et suivants.
854
Pour une étude récente, voir : Patricia P. Mahlstedt, Kathleen LaBounty et William Thomas Kennedy,
« The views of adult offspring of sperm donation: essential feedback for the development of ethical
guidelines within the practice of assisted reproductive technology in the United States », (2010) 93 :7
Fertility and Sterility 2237.
855
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 268; Voir également : Cohen, supra note 487 à la p. 271;
Jouannet, supra note 673 à la p. 108: L‘auteur souligne dans le même sens qu‘il est souvent affirmé que le
maintien de l‘anonymat serait extrêmement dommageable pour l‘épanouissement, le développement et la
construction de la personnalité de l‘enfant. Toutefois, on ne sait pas sur les résultats de quelles études
reposent ces affirmations. Dans ces circonstances, la prudence est à notre avis encore de mise.
856
Marzano, « Regard éthique », supra note 501 aux pp. 108-109.
853
263
Nous comprenons le message que certains enfants cherchent à transmettre
lorsqu‘ils disent qu‘ils sont privés d‘une partie de leur histoire lorsqu‘un système
d‘anonymat est en place. Cette référence à l‘histoire individuelle renvoie à la curiosité de
savoir d‘où ils viennent et de qui ils proviennent. Hannah Arendt dit en ce sens que de
« [r]épondre à la question qui, c‘est raconter une histoire »857. Un exemple connexe est la
fascination qu‘exerce la généalogie sur certaines personnes. Certes, il peut être tout à fait
possible pour un enfant né d‘un don de tracer les grandes lignes de son arbre
généalogique sans que des liens génétiques entrent en ligne de compte. Nous le
soulignons à plusieurs reprises dans la thèse, ce ne sont pas toutes les personnes issues
d‘un don d‘engendrement qui ressentent le besoin de coller un visage et un nom à ce
"parent biologique", voir même de le rencontrer. La suppression de l‘anonymat ne permet
que de transmettre des informations objectives, à savoir des informations nominatives et
identifiantes. Nous expliquons au point 4 pourquoi la responsabilité du donneur est
limitée à ces éléments et n‘implique pas une obligation de rencontrer l‘enfant ou de
répondre à ses questions. Il en va de l‘autonomie du donneur. Aussi, d‘affirmer que
l‘enfant cherche son "histoire" est à double tranchant. Le mot "histoire" est bien choisi car
l‘histoire d‘une personne est ce qui la rattache à son passé. Obtenir l‘identité du donneur
et d‘autres informations de nature identifiante pourrait permettre de combler ce vide dans
l‘arbre généalogique. Cela peut-il pourtant combler tout le vide identitaire d‘une
personne? Nous nous permettons d‘émettre des doutes et nous nous posons sérieusement
la question. Ce ne sont pas tous les enfants qui obtiendront satisfaction du seul fait d‘avoir
857
Citation tirée de : Mission d‘information sur la révision des lois de bioéthique, Président : M. Alain
Claeys, Rapporteur : Monsieur JeanLeonetti, Rapport d’information, Assemblée nationale (Document no
2235), France, 20 janvier 2010, En ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i2235-t1.pdf
(Date d‘accès: 14 novembre 2010).
264
accès aux données nominatives et identifiantes. De fait, il n‘est pas du tout certain que cet
accès fasse en sorte que l‘enfant ait en main l‘histoire de sa conception. Nécessairement,
s‘il en est à cette étape du processus, c‘est qu‘il est déjà informé des particularités
entourant sa venue au monde et possède des éléments de l‘histoire de sa conception. Cela
ne permet toutefois pas d‘être informé des motivations du donneur ou, plus encore, de sa
personnalité et de la conscience qu‘il a de la portée de son geste. La curiosité humaine
étant ce qu‘elle est, il n‘y a pas de frontières prédéfinies de ce qu‘est pour un enfant du
don le souhait de découvrir son "histoire". Ce qui constitue l‘histoire de la personne est
unique à chaque individu. D‘autre part, nous pouvons appliquer le même raisonnement au
concept "d‘origines". L‘origine est le commencement, le point de départ. Le terme est
plus précis car cela peut renvoyer plus distinctement à la provenance de quelqu‘un, à son
ascendance. Par contre, cette recherche n‘est pas pour autant terminée par le seul accès
aux données objectives. Cela demeure encore variable en fonction de chacun. En
définitive, si nous conservons les termes "histoire" et "origines", à chaque fois que nous y
faisons référence, nous devons garder leurs limites à l‘esprit, c‘est-à-dire qu‘il ne s‘agit
pas de référents uniformes applicables à toutes les personnes en quête de leur identité et
d‘une réponse automatique à la question "qui suis-je?".
À notre avis, le meilleur intérêt des enfants du don, d‘un point de vue
internormatif de la sollicitude, est en fin de compte de leur laisser le choix, si le secret est
levé, de décider s‘ils veulent ou non obtenir des informations nominatives. Fut une
époque où la détresse des enfants du don n‘émouvait personne car on considérait alors
265
qu‘un secret conforme à l‘intérêt des adultes était forcément bon pour l‘enfant858. Cela n‘a
toutefois plus lieu d‘être et, sous l‘angle de l‘éthique de la sollicitude où nous réintégrons
l‘enfant dans la réflexion, celui-ci doit aujourd‘hui disposer d‘un pouvoir décisionnel
d‘accéder ou non à l‘identité de son géniteur s‘il en ressent le besoin. Que l‘intérêt de
l‘adulte prédétermine celui de l‘enfant sans lui laisser de place est en contradiction avec
notre approche conceptuelle.
Nonobstant notre conclusion, qui concerne cette partie précise de l‘analyse, les
enjeux en cause vont plus loin que la satisfaction des demandes pourtant raisonnables de
l‘enfant lorsqu‘il ressent le besoin d‘en savoir plus que des renseignements de nature
médicale. L‘intérêt de l‘enfant, s‘il est primordial, n‘est pas la seule considération à entrer
en ligne de compte. Nous devons aussi nous intéresser aux intérêts du donneur859.
4- ÉQUILIBRE ENTRE LES INTÉRÊTS INDIVIDUELS ET COLLECTIFS
L‘analyse de l‘équilibre entre les intérêts individuels et collectifs s‘inscrit dans
notre démarche d‘éthique de la sollicitude. Mais de toute façon, les nouvelles
configurations familiales issues des évolutions sociales (familles recomposées ou
homoparentales) ou formatées par l‘assistance à la reproduction interpellent le corps
social tout entier. Nous avons constaté qu‘une réflexion sur ce qui fait une famille et ce
qui fait un parent est entreprise afin de réévaluer l‘ensemble des rapports sociaux
858
859
Théry, « Éthique », supra note 688 à la p. 156.
Baudoin et Labrusse-Riou, supra note 112 à la p. 53.
266
intrafamiliaux860. Dans le cas du don de gamètes ou d‘embryons et de l‘anonymat cela
s‘impose car la société considère à la base qu‘elle a un devoir d‘aider les couples et les
individus à concevoir, à tout le moins en contexte d‘infertilité861. En retour, elle se trouve
prise à témoin par les témoignages d‘enfants, poignants disons-le, qui réclament le droit
d‘avoir de l‘information nominative et identifiante sur leur géniteur au nom d‘un droit
aux origines.
Des auteurs considèrent que de donner des informations non nominatives constitue
déjà un compromis entre le meilleur intérêt de l‘enfant et celui du donneur862. Par ailleurs,
en adoptant l‘anonymat pour protéger la paix des familles, c‘est également l‘équilibre de
la société qui est visée863. D‘autres ajoutent que l‘affirmation du principe de l‘anonymat
dans la loi n‘est pas contradictoire avec l‘exigence de transparence. L‘enjeu ne serait pas
d‘entourer d‘une opacité une série d‘événements liés à la procréation assistée, mais
d‘organiser un secret autour d‘un élément tout à fait spécifique qui est l‘identité du
donneur. « Plutôt qu‘une négation de la transparence, il faut voir ici une possibilité de
modulation du secret. »864
C‘est une position qui se défend, mais lorsque nous abordons la question de
l‘anonymat sous l‘angle de l‘éthique de la sollicitude et de la priorité des relations entre
les acteurs du don, un autre point de vue s‘impose. Compte tenu de la nature de son geste,
860
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 295.
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 268.
862
Joan Bercovitch, « Civil Law Regulation of Reproductive Technologies: New Laws for the New
Biologiy? », (1985-1986) 1 Can. J. Women & L. 385 à la p. 394.
863
Claude Sureau, « Racines enfouis, racines révélées », dans Frydman et Flis-Trèves, supra note 730, 113
à la p. 113.
864
Marie-Hélène Mouneyrat, « Éthique du secret et secret médical », (2001/2) 97 Pouvoirs 47 à la p. 48.
861
267
la personne faisant un don de gamètes ou d‘embryons doit se faire du souci pour l‘enfant
qui naîtra de son don et pouvant ressentir un vide identitaire. Dans la mesure où le
géniteur peut choisir en aval de participer ou non au processus reproductif d‘un tiers, il en
résulte une responsabilité en vertu de laquelle il doit accepter de communiquer ses
informations nominatives et identifiantes. L‘équilibre entre les intérêts du donneur et ceux
de l‘enfant commande ainsi une abolition de l‘anonymat. Le donneur peut voir sa vie
privée respectée en décidant de ne pas donner. Il n‘en est pas de même de l‘enfant qui
n‘exprime aucun choix. Il doit disposer de celui de choisir d‘accéder ou non aux
informations nominatives du donneur. Après tout, « [l]e refus est un choix qui s‘inscrit
dans un processus actif »865. Il constitue également une décision qui contribue à la
construction de l‘identité.
Répétons-le, ce ne sont pas tous les enfants qui ont besoin de savoir l‘identité de
leur donneur afin de donner un sens à leur identité866. Leur position peut évoluer dans le
temps. Certains se montrent même en faveur de l‘anonymat, l‘opposition dans la réalité
d‘un nouveau parent étant par trop déstabilisante867. Cela peut s‘étendre aux familles
monoparentales et homoparentales. D‘ailleurs, les situations où l‘enfant ne connaît pas
ses origines biologiques ne se limitent pas au don de forces génétiques et, même dans ces
cas, il n‘est pas dit que l‘enfant en souffrira. Pensons au cas des enfants adultérins qui
sont élevés par le conjoint de la mère comme s‘ils étaient leur enfant. À l‘inverse, il y en a
même qui ne veulent pas savoir. Carol Smart fait en ce sens une étude très intéressante
sur la loi et la régulation des secrets de famille en Grande-Bretagne. À un moment de son
865
Séraphin, supra note 519 à la p. 91.
Blyth, « Offspring rights », supra note 513 à la p. 245.
867
Clément, « Insémination artificielle », supra note 674 à la p. 51.
866
268
analyse, elle réfère à une décision judiciaire868 où l‘on expose l‘histoire de ce garçon qui a
été élevé par celle qu‘il croyait être sa grand-mère. Vers l‘âge de 10 ans, un homme
prétendant être son véritable père biologique s‘est présenté. Ce dernier désirait faire un
test d‘ADN afin de prendre l‘enfant sous sa garde. Cela impliquait cependant pour
l‘enfant la perte de sa symbolique familiale présente. Il ne voulait pas savoir la vérité869.
Toutefois, si nous considérons l‘ensemble des conclusions qui découlent des
principes d‘autonomie, d‘égalité et de protection des personnes vulnérables, cela
n‘empêche pas qu‘une analyse de tous les intérêts en présence, en vertu des différents
principes de l‘éthique de la sollicitude, montre la nécessité d‘adopter un système de dons
non anonymes. Aussi, contrairement à ce qu‘affirmaient Jean-Louis Baudouin et
Catherine Labrusse-Riou dans les années 80, il n‘apparaît pas forcément contradictoire de
s‘efforcer d‘une part d‘intégrer l‘enfant dans la famille et de tout faire pour que le mari de
sa mère soit considéré en droit et en réalité comme son véritable père et, d‘autre part, de
mettre en place un système qui, en lui-même, permet la recherche de ce qui n‘a été qu‘un
simple géniteur870.
Pour que l‘accès aux origines soit possible, sans mettre à mal l‘édifice juridique de
la filiation existant, nous devons poser les bonnes questions. Tout d‘abord, quelle
responsabilité doit-on imputer au donneur eu égard au geste qu‘il a fait? Dans quelle
mesure doit-il répondre au besoin identitaire de l‘enfant qui en est issu sans que cela
868
Re D (Paternity), [2007] 2 F.L.R. 26.
Carol Smart, « Law and regulation of family secrets », (2010) 24 :3 Int‘l J.L. Pol‘y & Fam. 397 aux pp.
406-408.
870
Baudouin et Labrusse-Riou, supra note 112 à la p. 53; Dans le même que notre opinion, voir également :
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258; Feuillet, « Filiation », supra note 806 à la p. 270.
869
269
conduise aux obligations qui sont normalement échues au titulaire de l‘autorité parentale?
De plus, un statut particulier doit-il être accordé au géniteur dans la loi afin de reconnaître
cette "parenté additionnelle ou parallèle"871 à laquelle notre système de filiation bilatéral
occidental est peu enclin à donner droit de cité872?
Il ne peut être question que d‘une responsabilité limitée, concernant le partage des
informations de natures médicales et nominatives (ne s‘agissant en l‘espèce que
d‘éclaircir l‘identité des géniteurs873), car l‘objectif même du don d‘engendrement est de
permettre à autrui de concevoir. Un auteur spécifie même que la communication de
l‘identité fait partie d‘une conduite socialement responsable du donneur874. C‘est
judicieusement que des États s‘occupent d‘organiser dans la loi le lien de filiation existant
entre les receveurs et l‘enfant et ce, en spécifiant qu‘il n‘y en a pas avec le donneur875.
Afin d‘être en accord avec la logique appliquée dans le contexte du secret, où cette
question est considérée comme une partie du cadre résolument privé à l‘intérieur duquel
un projet parental peut se développer et se concrétiser, la filiation juridique doit éviter que
pareille lien s‘établisse entre le donneur et l‘enfant. Le projet parental se forme par
l‘union des consentements à la procréation assistée à laquelle ne participe pas le donneur
en dehors du cadre de son don. Le consentement du géniteur ne se résume qu‘à
l‘acceptation des implications limitées de son acte compte tenu de sa nature particulière.
La levée de l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons n‘équivaut pas à
871
Nous empruntons ces termes à Le Gall, supra note 4 à la p. 119.
Ibid.
873
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258.
874
K.R. Daniels, « The Social Responsibility of Gamete Providers », (1998) 8 Journal of Community &
Applied Social Psychology 261 à la p. 264; De l‘avis de l‘auteur, la responsabilité sociale est l‘emphase sur
les conséquences, les implications et l‘impact des actions sur ceux qui sont affectés par elles. Ibid. à la p.
262.
875
Par exemple : Code civil du Québec, supra note 18, art. 538-538.2.
872
270
reconnaître des droits parentaux et des responsabilités876. Il serait illogique de créer un
intérêt patrimonial de l‘enfant envers le géniteur.
Aussi, nous ne pourrions pas trouver en l‘espèce une application de la logique du
In loco parentis877, le donneur n‘agissant pas en lieu et place d‘un parent. En droit
canadien, ce concept s‘applique notamment en matière de pension alimentaire lorsqu‘il y
a un divorce. Cela permet de considérer les beaux-parents comme responsables d‘enfants
à charge à l‘égard desquels ils tiennent lieu de parents 878. C‘est dans Chartier c.
Chartier879 que la Cour suprême a considéré que le lien parental formé pendant le
mariage subsiste même si l‘époux, au moment de la rupture, cesse de tenir lieu de parent à
l‘égard de l‘enfant. La cour y détermine certains critères à respecter880. Au surplus,
comme cela heurte les principes du droit civil prévus aux articles 585 et 599 du Code
civil881 qui mettent le devoir d‘entretien et l‘obligation alimentaire à l‘égard d‘un enfant
qu‘à la charge de ses père et mère, on considère que le In loco parentis est une mesure
exceptionnelle qui doit être interprétée restrictivement. On ne saurait donc s‘en inspirer
afin de faire du donneur un parent.
876
Cahn, supra note 691 à la p. 5.
Réflexion initiée par Campbell, « Conceiving », supra note 772 aux pp. 257 et ss.
878
Loi sur le divorce, 1985, ch. 3 (2e suppl.), art. 2 (2).
879
[1999]
1
R.C.S.
242,
1999
CanLII
707
(C.S.C.),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1999/1999canlii707/1999canlii707.html> (Date d‘accès : 11 février
2011).
880
Ibid. : « L‘enfant participe-t-il à la vie de la famille élargie au même titre qu‘un enfant biologique? La
personne contribue-t-elle financièrement à l‘entretien de l‘enfant (selon ses moyens)? La personne se
charge-t-elle de la discipline de la même façon qu‘un parent le ferait? La personne se présente-t-elle aux
yeux de l‘enfant, de la famille et des tiers, de façon implicite ou explicite, comme étant responsable à titre
de parent de l‘enfant? L‘enfant a-t-il des rapports avec le parent biologique absent et de quelle nature
sont-ils? ».
881
L.Q., 1991, c. 64.
877
271
Par ailleurs, afin de respecter autant que possible l‘autonomie du donneur, un
accès aux informations nominatives ne doit pas impliquer une obligation de rencontrer
l‘enfant né des suites du don à moins qu‘il y consente882. Cette responsabilité limitée
implique corrélativement que le donneur ne dispose d‘aucun droit sur l‘enfant883. Il ne
peut savoir si des enfants ont été conçus avec son ou ses dons et, s‘il y en a, combien884.
C‘est un fait. La famille actuelle est en mutation. Les familles adoptives et
recomposées sont des exemples de situations où l‘enfant peut avoir plus de deux visages
parentaux significatifs. Le droit se trouve confronté à une multitude de réalités qui ont
mené à de grands changements dans les représentations de notre système de filiation885.
Au Québec, l‘une d‘entre elles est peut-être le concept de projet parental qui crée un
aparté à la possession constante d‘état qui ne s‘est jamais souciée de l‘état d‘esprit des
parties lors de la conception. Ainsi, en procréation assistée, lorsque la possession d‘état
est invoquée comme mode d‘établissement de la filiation, il faut désormais une preuve de
l‘intention des parties avant la conception886. Pourtant, cette introduction n‘a pas trahi
toute la logique à la base de notre système de filiation dont l‘ordre procréatif était basé sur
882
Besson, supra note 50 à la p. 146; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258; Sauer, supra note 349 à
la p. 943.
883
Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 258.
884
Sauer, supra note 349 à la p. 943.
885
Fine, « Pluriparentalitées et système », supra note 504 à la p. 72; Sur le sujet, voir : Roxanne Mykitiuk,
« Beyond conception : legal determinations of filiation in the context of assisted reproductive
technologies », (2001) 39 :4 Osgoode Hall L.J. 771.
886
Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.1; En matière de filiation par le sang, voir l‘article 524;
Marie Christine Kirouack, « Le projet parental et les nouvelles règles relatives à la filiation: une avancée ou
un recul quant à la stabilité de la filiation ? », dans Service de la formation permanente du Barreau du
Québec 2005, Volume 229, Développements récents en droit familial, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2005, 369 à la p. 438; Michelle Giroux, « FASCICULE 30 – Filiation de l‘enfant né d‘une procréation
assistée », dans Pierre-Claude Lafond et Alain Roy, dir., JurisClasseur Québec : Personnes et familles,
Montréal, Lexis Nexis, 2010, 30/1 à la p. 30/13.
272
la biparenté, l‘unicité de la maternité et de la paternité, et en limitant au père la possibilité
d‘instaurer une filiation en fonction de la volonté887.
Quant au statut du donneur en droit, il ne doit pas être considéré comme un parent
ni s‘insérer dans la filiation juridique de l‘enfant888. Le géniteur ne fait pas un don de
parenté889. C‘est notamment pour cette raison que la France exige de ses donneurs de
sperme qu‘ils soient déjà pères890. Ainsi, ils n‘ont pas de projet d‘enfant et aucune volonté
de devenir père dans l‘acte d‘aide à la procréation puisqu‘ils sont déjà pères. En ressortent
l‘aspect altruiste de l‘acte et la volonté d‘aider891.
L‘anonymat ne protège pas la parenté qui peut de toute façon être mise à mal par
la révélation du secret de la conception par don. La filiation n‘est pas plus à l‘abri grâce
au seul anonymat car il n‘y a que le droit qui puisse le faire en arrangeant l‘absence de
liens juridiques entre le donneur et l‘enfant892. Néanmoins, afin de garantir une stabilité
dans l‘exercice de l‘autorité parentale, le droit ne devrait procéder à un réaménagement
des rôles que dans des conditions bien précises. Même lors d‘un divorce, lorsque la loi
permet l‘octroi d‘une pension alimentaire ou l‘obtention d‘un droit d‘accès pour celui qui
tient lieu de parent en vertu du principe In loco parentis, le droit n‘instaure pas de lien de
filiation893. En l‘espèce, même s‘il ne s‘agissait que d‘une logique additive, sans y
attribuer des obligations liées à l‘exercice de l‘autorité parentale, nous entrevoyons
887
Bureau, supra note 103 à la p. 184.
Mehl, « Lien subjectif », supra note 731 à la p. 24.
889
Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la p. 91.
890
Art. L1244-2 al. 1 Code de la santé publique.
891
Kunstman, « Remise en cause », supra note 42 à la p. 8.
892
Guibert et Azria, supra note 42 aux pp. 364-365.
893
Voir : Loi sur le divorce, supra note 878; Marie Pratte souligne qu‘une réflexion est nécessaire sur ce
point au Québec : Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 602.
888
273
d‘avance les conflits que cela pourrait occasionner en vue de, par exemple, réclamer des
aliments. Une confusion légale des rôles entre le géniteur et les titulaires de l‘autorité
parentale serait alors envisageable au point que l‘enfant pourrait demander à ce que le
parent génétique assume la pleine responsabilité de son geste. Même si nombre d‘enfants
soulignent ne pas rechercher un nouveau père ou une nouvelle mère chez le donneur, le
cas de figure énoncé n‘est pas impossible894 et doit être évité en droit. La génétique ne
devrait conduire à la parenté légale que lorsque le ou les géniteurs assument les pleines
responsabilités pour le bien-être de l‘enfant895. Dans un contexte plus général, soulignons
la théorie de l‘attachement qui est pour beaucoup dans la reconnaissance législative d‘un
parent896. En vertu de cette théorie, « it is more parental responsiveness, rather than
biological relatedness, that is considered to be important for the development of secure
attachment relationships »897. Or, même dans un système de dons pleinement
transparents, une distinction demeure entre agir en tant que parent et contribuer à la
création d‘un enfant898.
Les définitions législatives de la parenté se basent sur les prémisses qu‘il s‘agit
d‘un statut exclusif et binaire, c‘est-à-dire que le droit ne reconnaît qu‘une seule paire de
parents à la fois899. Si la première affirmation nous semble juste, nous n‘affirmons pas
qu‘il doive y avoir une seule paire de parents dans tous les cas de figure relevant de la
filiation. Le projet de loi québécois sur l‘adoption sans rupture du lien de filiation
894
Pierre Jouannet souligne que lorsqu‘on écoute les enfants issus d‘un don de sperme « lors de leurs
entretiens approfondis, on peut se demander si leur demande n‘est pas de développer parfois des liens plus
étroits et plus continus au-delà des aspects juridiques. » Jouannet, supra note 673 à la p. 111.
895
Lyndon Shaley, supra note 692 à la p. 268.
896
Katz, « Ghost mothers », supra note 532 à la p. 756.
897
Golombok, supra note 488 à la p. 2343.
898
Cahn, supra note 691 à la p. 26.
899
Katz, « Ghost mothers », supra note 532 à la p. 754.
274
d’origine, ce qui correspond à l’adoption simple et ouverte, est un pas dans cette
direction900. Une auteure souligne néanmoins que si le droit doit s‘adapter pour suivre
l‘évolution de la société et des techniques, il ne peut se transformer que dans la mesure où
un certain ordre social demeure intact901. En ce qui concerne la reproduction avec les
forces génétiques d‘un tiers, la reconnaissance, en droit, du statut de parent au donneur est
inappropriée902 puisque contraire au rôle du parent nommé dans la loi, à l‘objectif même
de la procédure et à l‘encontre de l‘autonomie du donneur et des parents qui, nous le
remarquons ci-haut, favorisent souvent l‘anonymat. Le géniteur ne souhaite ni que
l‘enfant fasse irruption momentanément dans sa vie, ni se voir imposer une relation
quelconque avec lui, sauf s‘il y consent903. Il n‘est pas impossible d‘imaginer une
personne faisant des dons répétitifs dans le but de réaliser un fantasme reproductif904,
mais la majorité du temps il est logique de penser que le donneur n‘envisage pas devenir
parent par le fait de son geste. Cela concorde avec l‘éventail des motivations que le
donneur peut avoir. Chez les donneuses d‘ovules, cela va par exemple de l‘altruisme à
900
Voir : Avant-projet de loi modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives en matière
d'adoption et d'autorité parentale, supra note 737.
901
Bureau, supra note 103 à la p. 181.
902
Geneviève Delaisi de Parseval à fait une proposition contraire : « La particularité du montage de l‘AMP
avec dons pourrait cependant, avec peu de dommage, accorder aux enfants ainsi conçu une filiation
complète, filiation qui serait fondée sur le cumul des filiations et non sur la substitution de l‘une à l‘autre.
Geneviève Delaisi de Parseval, « La pluriparentalité occultée : psychodynamique de la parentalité dans les
cas d‘aide médicale à la procréation avec dons de gamètes », dans Le Gall et Bettahar, supra note 504, 113
à la p. 123.
903
Pour un exemple des craintes manifestées par les donneurs à ce niveau, voir : Lucy Frith, Eric Blyth et
Abigail Farrand, « UK gamete donors‘ reflections on the removal of anonymity: implications for
recruitment », (2007) 22 :6 Human Reproduction 1675 aux pp.1676-1677; Sur l‘expérience de donneurs
anonymes qui ont acceptés de révéler leur identité à l‘enfant : V. Jadva et al., « Sperm and oocyte donors‘
experiences of anonymous donation and subsequent contact with their donor offspring », (2010) Human
Reproduction
Advance
Access
published
December
21,
2010,
En
ligne :
http://humrep.oxfordjournals.org/content/early/2010/12/21/humrep.deq364.full (Date d‘accès: 23 janvier
2011).
904
Telle pourrait être la motivation de certains donneurs souhaitant un système de non anonymat. Jadva et
al., supra note 903.
275
aider les autres aux considérations financière ou encore les deux905. Du côté des donneurs
de spermes, ont déjà été identifiés le désir général d‘aider les autres, le désir spécifique
d‘aider autrui à devenir parent ou de connaître la joie d‘être parent, la transmission des
gènes906. En retour du fait qu‘il n‘est pas un parent en droit, le donneur ne peut exiger une
quelconque paternité ou maternité. Le don d‘engendrement est investi d‘une grande
valeur morale et sociale, mais n‘implique ni droit ni devoir à l‘égard de l‘enfant à
naître907. Quant aux parents, ils ne désirent pas plus voir ce tiers s‘imposer dans leur
famille sans y avoir été convié. La logique substitutive est donc toujours justifiée dans ce
cas et ce, même si nous nous trouvons en contexte d‘homo ou de monoparenté dont nous
ne remettrons pas en cause la légitimité dans le contexte de la présente thèse. Ainsi, la
personne ayant sollicité le don « s‘engage par avance à se déclarer le «parent» au sens de
la filiation, avec tous les droits, devoirs et interdits qui constituent cette relation juridique
idéalement indissoluble, et toutes les responsabilités concrètes que cela implique en
matière d‘exercice de l‘autorité parentale »908.
Un auteur spécifie qu‘« [a]ppréhender la parenté comme biologique c‘est donc
dénier le dispositif de parentalisation sociale que le droit s‘évertue à symboliser, mis en
place en préalable d‘un processus de parentalisation psychologique, né de la relation
parent-enfant sur lequel insistent les psychologues »909. Cela signifie que le droit cherche
905
Nancy J. Kenney et Michelle L. McGowan, « Looking back: egg donors‘ retrospective evaluations of
their motivations, expectations, and experiences during their first donation cycle », (2010) 93 :2 Fertility
and Sterility 455 à la p. 458.
906
K. Daniels et al., « Short Communication: Previous semen donors and their views regarding the sharing
of information with offspring », (2005) 20 :6 Human Reproduction 1670 à la p. 1672.
907
Théry, « Grand malentendu », supra note 820 à la p. 111; Théry, « Éthique », supra note 688 à la p. 142.
908
Ibid.
909
Gérard Neyrand, « Mutations sociales et renversement des perspectives sur la parentalité », dans Le Gall
et Bettahar, supra note 504, 21 aux pp. 22-23.
276
à introduire dans ses principes tout l‘aspect social de la parenté. Elle n‘est pas que
biologique et conceptualise, au-delà des liens du sang, l‘attachement qui se développe
dans la relation parent – enfant. Entre ainsi en ligne de compte la parenté psychologique.
L‘auteur ajoute par contre que la procréation assistée a exacerbé une contradiction
qui traverse le champ de la parenté. Celle-ci oppose, nous dit-il, l‘importance de plus en
plus grande accordée au biologique comme preuve de parenté, tant au niveau biomédical
(e.g. avec l‘empreinte génétique) que psychologique (e.g. discours sur l‘importance des
origines), à la légitimité de la définition socio-juridique (mariage, adoption) et éducative
(possession d‘état) de la parenté910.
« Dévolu à la gestion des contradictions, le droit en est conduit à produire
des énoncés divergents, qui réfèrent à des principes différents de
régulation juridique […], et voit d‘autant plus se brouiller ses repères que
les PMA viennent accentuer le besoin de référence à l‘expertise
psychologique et sociale sans que celui-ci apporte de réponse
satisfaisante. Le droit se retrouve alors tiraillé entre des références
divergentes : les nécessités sociales d‘institution de la filiation au regard
des attitudes et pratiques des acteurs, les normes sociales et traditions
morales qui lui sont attachées, les débats contradictoires entre les
producteurs de savoir quant aux conditions de l‘équilibre psychique de
l‘enfant, enfin la certitude nouvelle qu‘apporte la science en matière de
filiation. »911
Le fait de d‘attribuer aux enfants nés d‘un don de gamètes ou d‘embryons une filiation
selon le modèle charnel participerait à cet illogisme car elle appartiendrait à l‘ordre des
filiations volontaires auxquelles se rapporte l‘adoption. La solution proposée,
apparemment plus juste au plan du droit et au plan psychologique, serait celle de
l‘adoption par le conjoint stérile de l‘enfant de son conjoint qui naîtrait par procréation
910
911
Ibid. à la p. 39.
Ibid. aux pp. 39-40.
277
assistée912 ou même d‘une adoption par les deux parents dans le cas d‘un embryon. En
contexte québécois, il s‘agit là d‘une proposition superflue car la Code civil913 prévoit
déjà que le projet parental ou familial jette les bases de la filiation du couple ou de la
femme seule faisant une procréation assistée sans qu‘un tel lien juridique soit reconnu à
l‘égard du géniteur914. D‘ailleurs, il ne nous semble pas nécessaire de pousser jusque-là,
c‘est-à-dire l‘adoption, dans la mesure où le projet parental conserve le caractère
volontaire de l‘acte d‘engendrement. Après tout, l‘objectif de la procréation assistée
n‘est-elle pas d‘intégrer pleinement l‘enfant dans sa famille. Marie-France Bureau, dans
son ouvrage sur le droit de la filiation dans le discours juridique québécois, souligne en ce
sens que la celle dite par le sang est bien souvent établie en dehors de tout lien génétique.
Est prise à témoin la présomption de paternité915 qui a traditionnellement servi à l‘établir
sur la base d‘une vraisemblance et non pas sur la base d‘une vérité biologique, et sur une
communauté de sang. Le concept de possession d‘état916 constitue une autre limite réelle
à la confusion entre les liens biologiques et filiation dans le droit positif917. Ne serait-il
pas approprié d‘imaginer un système juridique de filiation hybride918 ne mettant pas à sac
tous les principes fondateurs du cadre actuel et où la notion d‘origine est isolée de celle de
la filiation919? Il nous semble que oui et cela est en accord avec l‘objectif du recours aux
forces génétiques d‘un tiers pour concevoir.
912
Delaisi et Verdier, supra note 126 aux pp. 90-91.
Supra note 18.
914
Ibid., art. 538-538.2.
915
Ibid., art. 525; Semblable présomption existe également en contexte de procréation assistée. Ibid., art.
538.3.
916
Ibid., art. 523-524.
917
Bureau, supra note 103 aux pp. 67-68.
918
Voir dans le même sens : Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 aux pp. 197-199; La doctrine
juridique québécoise témoigne également d‘une tendance à considérer ces filiations comme hybrides, mibiologique mi-volontaire. Bureau, supra note 103 à la p. 183.
919
Brunet, supra note 120 à la p. 97.
913
278
L‘important pour nous est de retenir que l‘objectif d‘un système de filiation n‘est
pas d‘asseoir la vérité biologique, mais d‘organiser la reproduction sociale920. Des liens
sociaux se créent entre les parents et l‘enfant et la filiation instaure le cadre des rapports
juridiques entre eux. Thérèse Callus souligne en ce sens que « la filiation comporte la
sécurité juridique. Elle assure non seulement une identité pour l‘enfant, mais aussi, du
moins à l‘égard de la filiation maternelle, l‘existence d‘un responsable légal pour lui»921.
Cette sécurité juridique s‘étend à la protection du lien parents – enfant et vient consolider
le donneur dans son rôle de fournisseur de forces génétiques. L‘objectif d‘aider autrui à
concevoir est ainsi pleinement atteint et le donneur protégé. Il devrait l‘être d‘autant plus
par une disposition législative confirmant l‘absence de liens juridiques entre l‘enfant et
lui. Bref, si la filiation « a la nature comme modèle, elle n‘en est pas toujours l‘exacte
reproduction »922 et cela se justifie pleinement.
Si l‘on en revient aux requêtes des enfants du don, l‘on ne peut pourtant
totalement évacuer les dimensions génétiques et biologiques, notamment en dehors du
contexte assisté de la reproduction humaine où un test d‘ADN peut servir à rétablir le
véritable état d‘un enfant. Cela se reflète également dans l‘évolution du débat sur
l‘anonymat où nous avons clairement un tiraillement entre différents pôles. Aussi, la
filiation narcissique, celle contribuant au développement identitaire de l‘individu conçu
grâce à un don qui veut savoir l‘identité de son géniteur, doit être reconnue dans la loi,
mais pas sous n‘importe quelle appellation. Un auteur ne nous dit-il pas que le juridique
920
Pierre Verdier, « Loi, vérité et filiation : le droit peut-il organiser le déni de l‘origine? », dans Le Gall et
Bettahar, supra note 504, 125 à la p. 125; Delaisi et Verdier, supra note 126 à la p. 95.
921
Thérèse Callus, « La «filiation» en droit anglais », (2010) 6 Recherches familiales 59 à la p. 59 [Callus,
« Filiation »].
922
Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 551.
279
ne fonde pas le sujet, il campe son fonctionnement923. Le juridique s‘adresse à l‘être
social de chaque personne, c‘est-à-dire à sa part visible qui forme des relations avec
d‘autres, en lui permettant de s‘intégrer à la société924. Distinguer dans l‘univers législatif
les différents types de filiation est inapproprié et y incorporer l‘expression "filiation
narcissique" pourrait donner lieu à des complications dues à une confusion juridique des
rôles dans un système de filiation déjà complexe. « Les donneurs procréent mais ne se
reproduisent pas. »925 En l‘espèce, ce qu‘il faut c‘est associer la personne sociale à son
sujet psychique, symbolique, qui est composé de l‘intimité de tous et chacun, là où se
forge l‘identité926. Afin d‘y donner un écho en droit, il ne s‘agit donc pas de nier le
biologique, dont le gène contient une vérité pour l‘enfant qui le porte, mais plutôt de ne
lui accorder que la partie qui lui revient en se rappelant que le biologique ne peut
recouvrir l‘ensemble927. Une auteure nous dit d‘ailleurs qu‘il n‘y a qu‘une filiation, celle
qu‘institue tel ou tel système de parenté, telle ou telle loi. « Il n‘y a de filiation que
sociale. »928 Tout comme l‘engendrement est un acte éminemment social et non un acte
simplement naturel929. Mais cela ne doit pas forcément mener à un gommage de
l‘ascendance génétique ou corporelle d‘une personne conçue par don 930. Une place peut
être accordée en droit au donneur. Il suffit d‘être clair sur son positionnement par rapport
923
Christian Flavigny, « Les «nouvelles parentalités»: de la procréation à la création-«pro» », (2004) 33
Champ Psychomatique 29 à la p. 33.
924
Nisand, supra note 817 à la p. 182.
925
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 199; L‘auteure s‘est inspirée de Monica Konrad,
« Ova donation and symbols of substance : Some variation in the theme of sex, gender and the partible
person », (1998) 4 Journal of the Royal Anthropological Institute 643.
926
Nisand, supra note 817 à la p. 182.
927
Anne Cadoret, « La filiation et l‘aide médicale à la procréation », (2006) 51 :1 Droit et culture 179 à la p.
184; Il est intéressant de souligner qu‘à l‘inverse, de l‘avis de Catherine Labrusse-Riou, « notre droit
semble avoir perdu l‘art d‘articuler les critères biologiques, affectifs et institutionnels de la filiation sans
que l‘on sache pour autant vers quels modèles nouveaux il s‘oriente et se reconstruit. » Labrusse-Riou,
« Étude critique », supra note 640 à la 99.
928
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 191.
929
Théry, « Grand malentendu », supra note 820 à la p. 114.
930
Delaisi de Parseval, « Famille », supra note 196 à la p. 191.
280
à l‘état de l‘enfant qui a des parents. À cet effet, il semble que la formulation actuelle de
"droit aux origines" soit habilement et finement formulée. Bien que les termes "droit à
l‘histoire"931 ou "droit à la connaissance de son histoire" soient également appropriés.
C‘est une position qui accorde de la valeur à l‘opinion selon laquelle l‘habileté à réclamer
un lignage ancestral paternel ou maternel ne signifie pas que ces derniers sont des
parents932, tout en reconnaissant la pluriparentalité selon un regard multidisciplinaire933.
La filiation juridique, la seule officiellement reconnue en vue d‘organiser les rapports
entre les personnes934, n‘empêche pas l‘existence d‘autres dimensions dans l‘univers
social. Cela constitue une claire manifestation de l‘internormativité.
Nous ne pouvons pas nier qu‘une homogénéisation de la terminologie parentale
soit utopiquement souhaitable. Ne serait-ce que du point de vue des justiciables à qui
s‘applique la loi. Si nul n‘est censé ignoré la loi, cela ne veut pas dire que tous en
comprennent les subtilités. Nous craignons néanmoins la confusion des rôles si le
donneur est considéré, en droit, comme un parent. Seul le couple ou la personne ayant
931
Ibid. à la p. 256.
Jennifer M. Calverley, New reproductive technology and the sociology of law: socio-legal issues
regarding determination of parenthood and rights of the children conceived, M.A., The University of
Western Ontario, 2000 à la p. 49.
933
Si nous n‘adoptons pas cette classification puisque pour les fins de cette thèse nous associons, en droit,
le statut de parent à l‘exercice des fonctions parentales (ceci découle de la filiation qui est le lien de droit
unissant l‘enfant à ses parents et dont découle des droits et obligations), il est pertinent de souligner
qu‘Anne Cadoret distingue la pluriparentalité de la pluriparenté. La première concerne les fonctions
parentales alors que la seconde renvoie au statut de parent. « Traditionnellement, un statut de parent
suppose l‘exercice de fonctions parentales; alors que le contraire – l‘exercice de fonctions parentales –
n‘entraîne pas un statut de parent, comme nous le voyons des beaux-parents des familles recomposées ou
les assistances maternelles. Cependant, se fait jour une revendication de la part de certaines personnes
exerçant des fonctions parentales à obtenir un statut de parent. Il me semble alors nécessaire de distinguer
ces termes et d‘employer «pluriparenté» et non «pluriparentalité», lorsqu‘un statut de parent est demandé. »
Anne Cadoret, « Constructions familiales et engagement », dans Ouellette, Joyal et Hurtubise, supra note
115, 89 à la p. 94 (note 17).
934
Dans son ouvrage Droit Civil paru aux Presses Universitaire de France, Jean Carbonnier souligne que la
filiation est avant tout le moyen de nommer ceux qui sont les plus aptes à assurer la socialisation de
l‘enfant, à le pousser en avant par l‘autorité parentale et l‘héritage. Renvoi fait par Feuillet, « Filiation »,
supra note 806 à la p. 259.
932
281
développé un projet de procréation assistée peut être reconnu comme tel. Ne pas opérer
une homogénéisation dans les autres disciplines peut également créer une confusion, mais
compte tenu de la finalité du don d‘engendrement, nous considérons comme valables les
distinctions multidisciplinaires du concept de filiation et constituant le reflet de la réalité
que vit un enfant. Rappelons qu‘elles sont au nombre de trois : la filiation biologique, la
filiation instituée qui seule produit des effets de droit et, enfin, la filiation narcissique.
Nous concluons sur cette citation d‘Irène Théry qui reprend bien l‘essence de
notre propos :
« mettre fin à l‘anonymat des dons, c‘est conforter juridiquement pour la
première fois les places respectives de chacun, en assumant l‘AMP avec
tiers donneur comme un acte social digne et responsable, qu‘il n‘y a pas à
dénier ou cacher. Le sens profond de cet acte est que le donneur ne saurait
prétendre être le parent de l‘enfant qu‘il a aidé à engendrer, car cette place
est par définition réservée à ceux qui ont sollicité et reçu le don
d‘engendrement. […]
Au lieu d‘être perçus plus ou moins explicitement comme des rivaux pour
une seule place […] donneurs et parents sont appréhendés comme des
individus jouant des rôles différents et occupant des places
complémentaires, se confortant mutuellement. »935
Cela permet d‘inclure pleinement en droit, par le biais de l‘internormativité, la
conception interpersonnelle et interdépendante des relations humaines telles qu‘elles
doivent apparaître en vertu d‘une éthique de la sollicitude. Chaque acteur a la place qui
lui revient et un équilibre est instauré entre les intérêts de tous. L‘enjeu à terme, nous
explique l‘auteure, est la quête sans issue du "vrai" parent au profit d‘une approche
différente de l‘identité où l‘on se concentre sur l‘histoire biographique. Une nouvelle
935
Théry, « Grand malentendu », supra note 820 à la p. 111.
282
perspective éthique des dons avec tiers donneurs nous amène ainsi à chercher des
réponses à des nouvelles questions : qu‘y a-t-il donc d‘immoral dans les actes de dons
pour qu‘on désire tant les cacher? Pourquoi a-t-on peur des donneurs? Pourquoi n‘a-t-on
de considération pour eux? Le tout se traduit par un refus des interrogations essentialistes
au profit d‘une conception des enjeux moraux centrée sur l‘action et les relations 936.
C‘est un regard de la situation qui tend vers une éthique de la sollicitude et dont
l‘influence, en droit, se remarque par la consécration légale de la notion d‘origine
personnelle qui représente l‘aboutissement de l‘évolution qui a mis la filiation au service
du sentiment d‘identité937. Au lieu de séparer le don, la procréation physique et
l‘inscription de l‘enfant dans une filiation en trois scènes indépendantes, elles sont
réunies au sein de l‘acte d‘engendrement qui représente une unique action complexe à
plusieurs partenaires938. +
CONCLUSION DU CHAPITRE 2
L‘analyse des intérêts en jeu dans le débat sur l‘anonymat des donneurs de
gamètes et d‘embryons en vertu d‘une éthique de la sollicitude, nous permet d‘en arriver
aux deux conclusions suivantes :
1- Dans le cadre de la relation parents – enfant, le privilège de réserve des parents quant
au secret doit être maintenu. Il ne s‘agit pas d‘un droit. D‘un autre côté, l‘importance
d‘informer l‘enfant du recours à un don constitue une obligation morale dont le respect
936
Théry, « Éthique », supra note 688 à aux pp. 145-146.
Brunet, supra note 120 à la p. 97.
938
Théry, « Éthique », supra note 688 à la p. 149.
937
283
passe par un encadrement du privilège au moyen d‘un important mécanisme
d‘information et de support des parents afin de les responsabiliser.
2- Dans le cadre de la relation donneur – enfant, un système de dons non anonymes doit
être adopté afin de permettre à l‘enfant d‘en savoir plus sur son géniteur lorsqu‘il est
informé des circonstances de sa naissance et qu‘il ressent un vide identitaire.
Les deux sections du chapitre 2 nous offrent une bonne compréhension des diverses
dimensions de la problématique, à savoir le secret et la communication de l‘identité. Ceci
étant, seule une analyse d‘ensemble des rapports intervenant entre les parents, le donneur
et l‘enfant respecte totalement l‘éthique de la sollicitude afin d‘en arriver à un juste
équilibre.
À noter que nous utilisons à plusieurs reprises des arguments à portée
psychanalytique, mais il importe de ne pas confondre l‘éthique de la sollicitude avec
l‘approche psychanalytique du droit. Anne-Marie Savard est l‘une des chercheures du
Québec à s‘être intéressée à cette théorie. Elle souligne que les juristes qui l‘adoptent :
« reprochent au droit sa méconnaissance de la dimension humaine et de
l‘inconscient dans les montages juridiques et s‘opposent également à la
conception objective et froide avec laquelle il est étudié. […] L‘approche
psychanalytique du droit constitue donc une critique du droit moderne,
mais elle est également une manière très originale de porter un regard
nouveau sur le champ de la normativité en situant l‘inconscient et le désir
au cœur des effets normatifs. »939
939
Anne-Marie Savard, « La filiation et la codification au Québec », (2005) 45 :1-2 C. de D. 411 à la p.
415; Soulignons également le travail de Marie-France Bureau qui s‘est interrogée sur l‘impact de la
psychanalyse sur la règle de droit et les juristes. Bureau, supra note 103 aux pp. 207 et ss.
284
L‘auteure s‘interroge corrélativement sur le caractère institutionnel de la filiation dans la
production du sujet. Elle est élaborée comme un lien de pouvoir dans un rapport avec
cette instance tierce qu‘est l‘État et est médiatisée par le relais du droit. Savard note par
contre que l‘évolution du droit québécois de la filiation a fait disparaître ce caractère
institutionnel en abolissant la filiation légalement établie au profit d‘une filiation qui ne
peut être que prouvée. Elle note finalement que la filiation devient une affaire de volonté
et de choix. Au regard de l‘approche psychanalytique du droit, cela la conduit à remettre
en question certaines des évolutions du législateur québécois dans ce domaine940.
Notamment le recul de l‘importance de la présomption de paternité et la
conséquence qu‘il n‘est plus qu‘un tierce moyen de preuve, l‘acte de naissance et la
possession d‘état bénéficiant d‘une plus grande reconnaissance juridique. Cette
présomption n‘a donc plus de valeur instituante dans le développement de l‘identité de la
personne. La présomption ne fonde plus la filiation et n‘est désormais qu‘une façon
secondaire de la prouver. L‘auteure critique également l‘article 130 alinéa 2 du Code civil
du Québec941 qui concerne les déclarations tardives à l‘acte de naissance. En outre, cela
n‘est permis que s‘il y a un consentement de l'enfant âgé de 14 ans ou plus, en l'absence
d'un lien de filiation établi en faveur d'une autre personne par un titre, une possession
constante d'état ou une présomption légale, et enfin, en l'absence d'objection de la mère.
Or, nous dit Anne-Marie Savard, le droit de la filiation permet par cette disposition que
l’état de l’enfant soit négocié entre les parties visées et il n’y a pas de fonction instituante.
L‘objectif de l‘auteure est d‘ouvrir l‘esprit des juristes qui conçoivent la filiation d‘un
940
941
Savard, supra note 939 (voir l‘intégralité du texte).
Supra note 18.
285
point de vue positiviste afin qu‘ils réalisent qu‘il ne s‘agit pas que d‘un ensemble de
règles techniques, mais qui participent à la construction de l‘individu942.
Il s‘agit d‘une analyse dont nous ne mettons pas en cause la pertinence et
l‘originalité, mais dont nous nous distinguons. En d‘autres termes, nous avons également
reproché au droit positif sa méconnaissance de la dimension humaine et de l‘inconscient
dans les montages juridiques ainsi que sa conception objective et froide. En aucun cas
toutefois nous n‘avons vu dans la psychanalyse une vérité ayant vocation à dire ou à faire
le droit943. Au contraire, nous avons à plusieurs reprises souligné le fait qu‘il n‘est pas
certain que tous les enfants ressentent une crise identitaire due à l‘anonymat. Ainsi donc,
à la différence d‘une approche de type psychanalytique qui est davantage centrée sur le
développement de l‘individu, l‘éthique de la sollicitude met également l‘accent sur
l‘interdépendance entre les individus concernés. On cherche à susciter un sentiment de
responsabilité chez qui se fait du souci tout en visant au maximum un équilibre des
besoins et des intérêts. L‘internormativité est de plus l‘instrument que nous utilisons en
vue d‘intégrer ces principes dans la norme de droit positif. C‘est au chapitre 3 que nous
en étudions les rapports d‘influence avec la norme de droit dont nous avons fait notre
instrument de régulation privilégié dans la question de l‘anonymat des dons
d‘engendrement.
Permettre le maintien du silence et du secret fait en définitive contrepoids à
l‘abolition de l‘anonymat et instaure un certain équilibre entre les intérêts des donneurs,
942
943
Savard, supra note 939 (voir l‘intégralité du texte).
Bureau, supra note 103 à la p. 208.
286
des parents et des enfants. Le phénomène grandissant de privatisation de la famille
soutient d‘une part la préservation de la prérogative des parents dans leur choix de dire ou
non à l‘enfant qu‘il est le fruit d‘un don de gamètes ou d‘embryons. Cela présente d‘un
autre côté un avantage certain pour le donneur alors qu‘il existe toujours une réelle
résistance au sein de la population et chez les donneurs, qui ont des perceptions variées de
leur geste, contre la levée de l‘anonymat. L‘autonomie du donneur s‘exerce dans sa
décision de faire ou non un don et ce, en toute connaissance de cause des implications de
son geste. Cette autonomie du donneur ne s‘étend pas à la décision de préserver
l‘anonymat car c‘est là qu‘elle empiète injustement sur celle de l‘enfant. Pourtant, la
réalité des parents est telle qu‘ils préfèrent se taire sur le fait du don et la conception de
leur enfant lorsqu‘aucun anonymat n‘existe944. Nous ne pouvons pas l‘ignorer. L‘identité
du donneur se trouve du même coup, jusqu‘à un certain niveau, protégée. Il est tout à fait
concevable qu‘avec le temps les parents cessent d‘avoir cette attitude. Néanmoins, en
attendant que cela se produise, que le débat avance et les craintes des donneurs
s‘amenuisent, notre vision des choses permet de maintenir un équilibre entre les intérêts
de tous. À ce niveau, la réaction des parents fait écho aux peurs des donneurs.
Quant aux enfants, comme le remarque Dominique Mehl, lorsque le voile est levé,
la question de l‘identité surgit immédiatement945. De l‘avis de certains, la levée du secret,
qui permet d‘accélérer le processus de deuil de l‘infertilité946, ne devrait pas susciter chez
944
Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 aux pp. 33-34; Freeman et al., supra note 288 aux
pp. 505-506.
945
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 253.
946
Chez les hommes, la pratique de l‘insémination avec donneur suscite paradoxalement chez l‘homme
stérile un blocage du deuil de sa stérilité. La mise en secret de la conception de l‘enfant en est le symptôme.
À ce sujet, voir : J.-C. Mazzone, « Le deuil de la fertilité dans l‘insémination avec sperme de donneur
(IAD) », (2010) 20 :1Andrologie 76.
287
l‘enfant cette quête de l‘origine génétique. L‘opprobre sur le mode de conception de ces
enfants "en mal-être", qui pensent avoir besoin, pour se construire, de l‘accès à l‘identité
du donneur à travers son histoire familiale et personnelle, serait davantage le reflet de
l‘errance de notre société dans la sacralisation du gène au détriment des vraies valeurs de
l‘amour et de la famille947. Il ne serait par contre pas légitime de légiférer en généralisant
une position établie à partir du fait vécu d‘un isolat d‘individus, qu‘il s‘agisse d‘un vécu
positif ou négatif948. Aussi, il nous semble plus juste de souligner que chaque enfant
réagira différemment selon son tempérament, sa vision de sa famille et sa relation avec
ses parents949. Sa position peut d‘autre part évoluer dans le temps. Une fois que la ligne
de transparence liée au secret est franchie, nous croyons que, en se fondant l‘approche de
sollicitude et des relations interpersonnelles et interdépendantes, l‘enfant doit disposer du
choix de savoir ou non qui est son donneur.
Par ailleurs :
« [m]ême si quelques études ont trouvé que l‘absence d‘information sur
les modalités de la conception n‘avaient pas forcément d‘effet négatif sur
la situation des familles ou sur le développement des enfants, il est de plus
en plus souvent recommandé aux parents de ne pas maintenir ce secret, ne
serait-ce parce qu‘une révélation tardive pourrait être très mal vécue par
l‘enfant. »950
Des auteurs ont en ce sens avancé l‘idée qu‘abolir l‘anonymat enverrait le message qu‘il
est inacceptable de ne rien dire à l‘enfant à propos de sa conception951 et, espérons-le,
947
L. Monteil et G. Bourrouillou, « Connaître ses «origines génétique» et…ne rien savoir! », (2010) 20 :1
Andrologie 83 à la p. 84.
948
Rives, supra note 53 à la p. 698.
949
Mehl, « Enfants du don », supra note 482 à la p. 253.
950
Jouannet et al., « Informer l‘enfant », supra note 288 à la p. 34.
951
Jørgensen et Hartling, supra note 487 à la p. 138.
288
aurait pour effet d‘entraînement de créer une philosophie d‘ouverture et de mettre
consécutivement un terme à la philosophie du secret952. Nous comprenons la plus grande
aisance des parents de briser le sceau du secret lorsque l‘anonymat existe et cela pouvant
aller jusqu‘à un renoncement au don en cas d‘abandon du secret et de l‘anonymat.
Quoiqu‘il soit peut-être préférable de l‘avis de certains qu‘il y ait moins d‘enfants nés par
don et que dans l‘intérêt ces derniers, ils aient accès à l‘identité de leur géniteur s‘ils en
ressentent le besoin953. En maintenant le privilège de réserve des parents, nous demeurons
en harmonie avec la privatisation de plus en plus grande de la famille et nous respectons
l‘autonomie des parents. Par contre, en instaurant une obligation morale, dont la mise en
œuvre passe par un processus d‘information et de responsabilisation, nous espérons que
s‘installera à long terme une philosophie d‘ouverture propre à répondre aux besoins et
intérêts des enfants dans leur quête des origines.
En définitive, la balance que nous effectuons entre le privilège de réserve des
parents et l‘abolition de l‘anonymat a certes pour effet de diluer l‘effet ou la portée de ce
dernier, mais cela n‘en fait pas pour autant des positions contradictoires. L‘éthique de la
sollicitude doit s‘analyser en prenant en compte l‘ensemble des rapports humains entrant
en ligne de compte, mais n‘oublions pas qu‘à la base le secret concerne le lien parents –
enfant et que l‘anonymat appartient à la relation donneur – enfant. Ce sont deux contextes
différents qui, bien qu‘interreliés, peuvent faire l‘objet d‘un cadre normatif qui n‘est pas
le même.
952
953
Frith, « Rhetoric », supra note 356 à la p. 483.
Robertson, supra note 469 à la p. 1018.
289
Nous avons d‘ailleurs déjà démontré qu‘au regard du secret, c‘est toute la question
de la privatisation de la famille qui est en jeu dans cette partie du processus du don
d‘engendrement. Il s‘agit du cadre résolument privé à l‘intérieur duquel un projet parental
peut se développer et se concrétiser, et dans ce cas l‘État s‘en remet au désir des
individus. La filiation devient une affaire de volontés individuelles954. Au demeurant, la
prérogative des parents de briser ou non le silence ne constitue qu‘un privilège. Ils n‘ont
pas un droit au secret codifié à même la loi. De fait, si du point de l‘éthique de la
sollicitude nous faisons de la révélation à l‘enfant des circonstances de sa conception une
obligation morale dont l‘objectif est de responsabiliser les parents dans l‘exercice de leur
privilège et ce, au moyen d‘un "counseling", instaurer un droit irait à l‘encontre de la
logique de notre approche théorique. L‘objectif est justement de tendre vers une attitude
d‘ouverture des parents et des donneurs afin que la quête des enfants et le respect de leurs
droits prennent un véritable sens. C‘est de reconnaître un droit au secret des parents d‘un
côté et un droit aux origines de l‘autre qui constitueraient des propositions antagonistes à
la lumière de l‘éthique de la sollicitude.
954
Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 20.
290
CHAPITRE 3
PERSPECTIVES DE DROIT COMPARÉ DE LA POLITIQUE
JURIDIQUE APPLICABLE À L’ANONYMAT DES DONS
Une analyse internormative de droit comparé sur les liens entre l‘éthique et le
droit n‘est pas chose aisée. Si une influence éthique est visible, le droit n‘est pas
automatiquement le reflet de la réflexion éthique qu‘on fait de la problématique.
Relativement au droit français, Dominique Thouvenin mentionnait, à l‘époque de
l‘adoption des lois de bioéthique, en 1994, que « si toute loi traduit les choix d‘une
société en termes de morale sociale, pour autant un texte de loi ne saurait être assimilé à
une règle morale. Il n‘a pas pour fonction de dire comment se conduire face à telle ou
telle situation, mais bien plus de fixer les conditions des relations entre individus. »955
Or, dans la façon de fixer les conditions de l‘anonymat entre les acteurs du don
d‘engendrement, nous estimons que le législateur doit accorder une priorité aux liens
interpersonnels et d‘interdépendance tel qu‘explicité en matière d‘éthique de la
sollicitude. Nous concluons en ce sens, au chapitre 2, que la révélation du secret constitue
une obligation morale balisant l‘exercice d‘un privilège de réserve et que l‘anonymat doit
être renversé.
L‘internormativité est l‘instrument permettant l‘émergence d‘un véritable échange
l‘éthique et le droit. Nos objectifs étant d‘observer dans quelle mesure des rapports
955
Dominique Thouvenin, « Les lois no 94-548 du 1er juillet 1994, no 94-653 et no 94-654 du 29 juillet
1994 ou comment construire un droit de la bioéthique », dans Recueil Dalloz, 1995 à la p. 149 (par. 19-20),
En ligne sur : <http://www.dalloz.fr/> (Date d‘accès : 6 novembre 2009) [Thouvenin, « Droit de la
bioéthique »].
291
d‘influence avec l‘éthique de la sollicitude peuvent orienter le législateur dans sa prise de
décision quant à l‘anonymat des donneurs de gamètes et d‘embryons et, ultimement, nous
permettre de comprendre, commenter et critiquer la position adoptée par le Canada et le
Québec, nous effectuons au chapitre 3 une étude comparatiste des lois canadienne et
québécoise avec celles de la France et du Royaume-Uni. S‘interroger sur une
modification potentielle de la loi implique de regarder des législations qui l‘ont fait en
abolissant l‘anonymat ou qui y songent. De longue date, la France et le Royaume-Uni
furent des précurseurs dans l‘encadrement juridique de la procréation assistée. Nous
avons par ailleurs déjà démontré que la Loi sur la procréation assistée956 s‘inspire des
modèles législatifs adoptés par ces deux pays957.
En l‘occurrence, nous considérons la culture juridique et donc l‘évolution de la
politique juridique de la procréation assistée, et plus spécifiquement de la question de
l‘anonymat des donneurs, en accordant une attention particulière aux portes d‘entrée
possibles d‘un examen fait sous l‘angle de la sollicitude. C‘est donc de l‘intérieur même
des systèmes juridiques étudiés que nous tirons nos enseignements et cherchons à
comprendre, dans leur structure et logique législative, quelle place doit ou devrait être
accordée à l‘approche relationnelle et dans quelle mesure une dialectique internormative
est possible. Nous procédons notamment en faisant un état du droit et en analysant de plus
près le discours interprétatif de la doctrine.
956
957
Supra note 22.
Voir : Cousineau, « Autonomie reproductive », supra note 23 à la p. 462.
292
Cela permet ultimement de constater qu‘effectivement, dans le cadre du conflit sur
l‘anonymat, éthique et droit se manifestent dans diverses approches législatives. Du reste,
il est surprenant de noter que ces modèles, prudent et libéral, ne sont pas appliqués
partout avec la même flexibilité. Plutôt que d‘être lié à la forme même de la loi, cela
découle davantage de la culture juridique présente dans chaque pays. Ainsi le droit civil
québécois a-t-il évolué différemment du droit civil français dont il tire son origine.
Dépendamment de l‘état du droit en vigueur, en ce qui concerne la question de
l‘anonymat et le cadre plus général de la procréation assistée, une approche est appliquée
par un législateur à des degrés divers. Le modèle prudent à la française est strictement
appliqué et rend plus difficile l‘ouverture internormative à l‘approche relationnelle. À
l‘opposé, le Royaume-Uni qui n‘a pourtant pas reçu de façon formelle l‘éthique de la
sollicitude, en diffuse grâce à l‘approche libérale certains principes directeurs et avec
beaucoup plus de facilité. Les législations canadienne et québécoise sont quant à elles au
centre du spectre et ne s‘opposeraient pas à l‘utilisation de l‘approche relationnelle afin
de suivre l‘évolution du débat sur l‘anonymat conformément à l‘éthique du "care",
SECTION 1 : L’ANONYMAT À LA SAUCE CANADIENNE ET QUÉBÉCOISE
La présente section de notre analyse est consacrée à un examen approfondi de la
question de l‘anonymat dans les paysages législatifs canadien et québécois. En
introduction de la thèse, nous mentionnons qu‘une majeure partie de la loi fédérale a été
déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême le 22 décembre 2010958. Il est propice de
958
Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24; Cela est la conclusion d‘un épisode
juridique initié par le Québec en décembre 2004 lorsque, de manière concomitante au Projet de loi no 89
293
rappeler que notre analyse du droit canadien demeure pertinente. De fait,
indépendamment du statut ultra vires des dispositions concernant l‘anonymat et les
renseignements sur le donneur, l‘étude de droit comparé où l‘internormativité fait entrer
en ligne de compte l‘éthique de la sollicitude conserve sa valeur théorique. L‘analyse du
contexte législatif canadien constitue un modèle que nous ne pouvons pas ignorer puisque
non seulement il fut inspiré de la France et du Royaume-Uni, mais il a été jusqu‘à tout
récemment en étroite concurrence avec le droit provincial qui demeure en vigueur. Il n‘y
(P.L. 89, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et modifiant
d’autres dispositions législatives, 1ere session, 37e lég., Québec), les autorités gouvernementales ont
annoncé leur intention de saisir la Cour d‘appel au moyen d‘un renvoi relativement à la constitutionnalité
des articles 8 à 12 de la Loi sur la procréation assistée (supra note 22; Renvoi à la Cour d’appel relatif à la
Loi sur la procréation assistée (L.C. 2004, ch. 2), D. 1177-2004, G.O.Q. 2004.II.62). Selon les autorités
québécoises, ces dispositions, qui entendent réglementer la procréation médicalement assistée impliquant
exclusivement du matériel reproductif humain, ne portent pas, dans leur nature véritable, sur le droit
criminel en vertu de l‘article 91 (27) de la Loi constitutionnelle de 1867 (30 & 31 Vict., R.-U., c. 3). Le
Québec invoque alors une compétence provinciale exclusive en matière d'établissement, d'entretien et
d'administration des hôpitaux; en matière de propriété et de droit civil; en matière de nature locale ou privée
et en matière d'éducation et de formation des intervenants en santé. Il se fonde sur les paragraphes 7, 13 et
16 de l'article 92 et sur l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 (ibid.) et souligne sa compétence
relative aux activités cliniques ou de recherche pour lutter contre l‘infertilité. Par ailleurs, il n‘est pas
contesté que les interdictions liées au clonage humain ou à la sélection du sexe pour des raisons non
médicales peuvent être reliées au droit criminel, permettant ainsi l‘exercice de la compétence fédérale en la
matière. Le partage de compétence entre le fédéral et le provincial repose essentiellement sur le
rattachement ou non de ces pratiques au champ du droit criminel. Ce rattachement permet alors de justifier
des prérogatives fédérales que tentent de limiter les autorités provinciales favorisant alors les aspects
médicaux de certains actes. Le renvoi fut modifié en février 2006 afin d‘élargir la portée de la contestation
de la validité constitutionnelle de la loi fédérale. La question soumise à examen visait dorénavant les
articles 8 à 19, 40 à 53, 60, 61 et 68 la Loi sur la procréation assistée (supra note 22; Modification au
décret n° 1177-2004 du 15 décembre 2004 concernant un renvoi à la Cour d’appel relatif à la Loi sur la
procréation assistée (L.C. 2004, ch. 2), D. 73-2006, G.O.Q. 2006.II.1290). Dans son arrêt déposé le 19 juin
2008, la Cour d‘appel a donné raison au gouvernement du Québec en affirmant que la Loi sur la
procréation assistée (supra note 22) excède la compétence du Parlement du Canada en matière de
procréation assistée selon la Loi constitutionnelle de 1867 (supra); Renvoi fait par le gouvernement du
Québec en vertu de la Loi sur les renvois à la Cour d'appel, L.R.Q., ch. R-23, relativement à la
constitutionnalité des articles 8 à 19, 40 à 53, 60, 61 et 68 de la Loi sur la procréation assistée, L.C. 2004,
ch.
2
(Dans
l'affaire
du),
2008
QCCA
1167
(CanLII),
En
ligne :
<http://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2008/2008qcca1167/2008qcca1167.html> (Date d‘accès : 13 février
2011). Par la suite, le procureur général du Canada a demandé la permission d‘en appeler à la Cour
suprême. La requête en formulation d‘une question constitutionnelle a été accordée en novembre 2008.
Après plus d‘une année et demie de délibération, dans un complexe jugement de près de 200 pages, la Cour
suprême départage ainsi la constitutionnalité des dispositions de la loi fédérale : les articles 8, 9, 12, 19 et
60 sont constitutionnels; les articles 10, 11, 13, 14 à 18, les par. 40(2), (3), (3.1), (4) et (5), et les par. 44(2)
et (3) excèdent la compétence législative du Parlement du Canada suivant la Loi constitutionnelle de 1867
(supra); les paragraphes 40(1), (6) et (7), les art. 41 à 43, les par. 44(1) et (4), les art. 45 à 53, 61 et 68 sont
constitutionnels dans la mesure où ils se rattachent à des dispositions constitutionnelles (Renvoi relatif à la
Loi sur la procréation assistée, supra note 24).
294
a toutefois pas lieu de s‘interroger sur l‘introduction de l‘éthique de la sollicitude dans le
jugement de la Cour suprême car il s‘agit d‘une question exclusivement juridique qui
relève du droit constitutionnel et où l‘éthique n‘a pas sa place.
Nous présentons dans un premier temps l‘état du droit canadien qui laisse place à
diverses interprétations sur la reconnaissance d‘un droit aux origines dans la loi. Pour
notre part, nous croyons que la Loi sur la procréation assistée959 reconnaît, jusqu‘à un
certain degré, tant le droit aux origines de l‘enfant et que celui à la vie privée du tiers
donneur. L‘objectif étant la recherche d‘un compromis960. Puis, nous nous intéressons à
l‘état du droit québécois qui accorde clairement la priorité à la confidentialité des données
et à l‘anonymat. Comme il s‘agit d‘une double juridiction et que le Québec est plus
restrictif que le législateur fédéral, dans l‘hypothèse où les dispositions de la loi
canadienne concernant les renseignements sur le donneur avaient été reconnues
constitutionnelles, il y aurait eu lieu de s‘interroger sur l‘existence d‘un conflit de normes
entre la législation fédérale et le Code civil du Québec961 qui est beaucoup plus restrictif.
Nous faisons dans un troisième temps cet examen. Ces réflexions nous mènent
ultimement à une critique de la situation législative où nous constatons qu‘il n‘est pas
accordé, au Canada et au Québec, la place que devrait occuper l‘éthique de la sollicitude
dans l‘élaboration et l‘évolution de la loi. Au niveau fédéral, cela est d‘autant plus
étonnant puisque l‘angle des relations interpersonnelles et d‘interdépendance est
959
Supra note 22.
Glenn Rivard et Judy Hunter, The Law of Assisted Human Reproduction, Markham, Lexis Nexis
Canada, 2005 aux pp. 62 et 71.
961
Supra note 18.
960
295
l‘approche qui fut retenue par la Commission royale sur les nouvelles techniques de
reproduction dans son rapport final962.
1- ÉTAT DU DROIT CANADIEN : VERS UNE RECONNAISSANCE DU
DROIT AUX ORIGINES ?
Dans l‘état du droit, nous présentons dans un premier temps le double guichet tel
que détaillé par les autorités canadiennes dans la Loi sur la procréation assistée963. Le
double guichet est la possibilité pour le donneur de consentir ou non à la divulgation de
son identité et, dans le cas des parents, de choisir entre un donneur anonyme ou non.
Nous constatons par la suite que la question des origines est interprétée différemment
dans la littérature s‘intéressant aux fondements et à la structure de la loi. Le système de
dons canadien est ainsi basé, dépendamment des auteurs, sur la reconnaissance du droit
aux origines ou sur le primat du droit à la vie privée du donneur.
1.1 Portrait du cadre législatif canadien : le double guichet
Dans la foulée des recommandations de la Commission Baird964, la Loi sur la
procréation assistée965 prévoit que les bénéficiaires d‘une procréation assistée avec tiers
donneur, l‘enfant qui en est issu et même ses descendants disposent de la possibilité
d‘obtenir des renseignements médicaux concernant le géniteur. Son identité ou les
962
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note 63 à
la p. 58.
963
Supra note 22.
964
Voir : Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, « Virage volume 1 », supra note
63 aux pp. 499-503, 1263-1269.
965
Supra note 22.
296
renseignements susceptibles de l‘identifier ne peuvent toutefois être communiqués que si
le donneur y a consenti par écrit966.
Sont identifiés comme des renseignements médicaux :
« a) l'identité, les caractéristiques personnelles, l'information génétique et
les antécédents médicaux des donneurs de matériel reproductif humain ou
d'embryons in vitro, ainsi que des personnes ayant eu recours à une
technique de procréation assistée ou qui sont issues d'une telle technique;
b) la garde du matériel reproductif humain ou de l'embryon in vitro donné
ainsi que l'utilisation qui en est faite. »967
Il faut prendre garde à la portée de cet article car il associe l‘identité d‘un donneur à un
renseignement médical. Cette disposition législative doit être lue dans un esprit de
globalité et de cohérence avec les autres articles de la loi, dont ceux exigeant l‘anonymat
du donneur, à moins qu‘il ait donné son consentement par écrit. Dans la négative, les
bénéficiaires de la procréation assistée, l‘enfant qui en est issu ou ses descendants peuvent
tout de même obtenir des renseignements personnels concernant le tiers donneur (e.g. ses
antécédents médicaux, sa taille, son poids, la couleur de ses yeux), mais ceux-ci ne
peuvent en aucun cas permettre de l‘identifier nominativement.
Quant au donneur, il est pertinent de noter qu‘une confusion est également
possible dans l‘utilisation que fait le législateur du concept. Les références croisées aux
termes "donneur" et "tiers" entre la loi et ses règlements sont troubles pour qui ne
966
Ibid., art. 15 (4) et 18 (3); Ces articles n‘étaient pas en vigueur lorsque la Cour suprême a rendu son
jugement le 22 décembre 2010. Sur l‘entrée en vigueur de la loi, voir : Loi concernant les techniques de
procréation assistée et la recherche connexe – Décret fixant au 22 avril la date d’entrée en vigueur de
certains articles de la loi, TR/2004-49, GAZ. C. 2004.II.478 : En vertu de ce décret, les dispositions de la
loi sont entrées en vigueur le 22 avril 2004, à l‘exception des articles 8, 12, 14 à 19, 21 à 59, 72, 74 à 77
967
Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 3.
297
s‘attarde pas attentivement à la compréhension des articles. De fait, le donneur est d‘une
part défini dans la loi comme : « a) [s]'agissant du matériel reproductif humain, s'entend
de la personne du corps de laquelle il a été obtenu, à titre onéreux ou gratuit; b) s'agissant
d'embryons in vitro, s'entend au sens des règlements »968. Ce n‘est pas très clair. Qui est
considéré comme un donneur dans le cadre du projet de procréation assistée de la
personne ou du couple faisant appel à ces techniques? Est-ce à dire que le couple peut
également être donneur du matériel reproductif auquel il a recours? Le don est alors
autologue ou endogène. La question est fort légitime puisque dans le contexte québécois,
la loi ne légifère que la procréation assistée avec don hétérologue ou exogène, c‘est-à-dire
avec les gamètes ou les embryons provenant de personnes externes au projet parental. Il
faut donc regarder plus avant la Loi sur la procréation assistée969.
En vertu de l‘article 8, il est interdit d'utiliser du matériel reproductif humain
(sperme ou ovule) dans le but de créer un embryon ou d'utiliser un embryon in vitro sans
le consentement écrit du donneur, fourni conformément aux règlements, à cette
utilisation970. Le règlement d‘application de l‘article 8, précise que le consentement à
l‘utilisation du matériel reproductif ou de l‘embryon vise, entre autres, les besoins
reproductifs du donneur lui-même (individu ou couple bénéficiaire de la procréation
968
Ibid.
Ibid.
970
Ibid., art. 8 (1) et (3); Sur l‘entrée en vigueur de la disposition sur le consentement : Loi sur la
procréation assistée – Décret fixant au 1er décembre 2007 la date d'entrée de l’article 8 en vigueur de la
Loi, TR/2007-67, GAZ. C. 2007.II.1699; Soulignons que l‘exigence du consentement s‘applique aux
manipulations faites au Canada peu importe où le matériel ou l'embryon in vitro a été obtenu au départ;
celui-ci pouvant avoir été importé de l‘étranger. Procréation assistée Canada, Foire aux questions – Qu’en
est-il du sperme, des ovules et des embryons in vitro importés d’un autre pays? Doivent-ils également
respecter les dispositions de l’article 8 de la Loi ?, En ligne : <http://www.ahrcpac.gc.ca/faq/index.php?qid=49&lang=fra> (Date d‘accès : 10 février 2009); En l‘espèce, le retrait du
consentement visant l‘annulation du don pourra être fait jusqu‘à ce que le tiers n'ait accepté par écrit le don
de sperme, d'ovules ou d'embryons. Règlement sur la procréation assistée (article 8 de la Loi),
DORS/2007-137, art. 5 (3) et 14 (2) b).
969
298
assistée) ou ceux d‘un tiers. L‘article 1 de ce même règlement nous permet de constater
que le tiers est en fait un bénéficiaire. Il est présenté comme :
a) S‘agissant de matériel reproductif humain : (i) une personne autre que le
donneur ou l‘époux ou le conjoint de fait du donneur, (ii) un couple dont
aucun des époux ou conjoints de fait n‘est le donneur; b) s‘agissant d‘un
embryon in vitro : (i) une personne autre que le donneur de l‘embryon in
vitro visé au paragraphe 10 (1), (ii) un couple qui n‘est pas le donneur de
l‘embryon in vitro visé au paragraphe 10 (1) »971.
Cet article 10 (1) identifie le donneur comme étant « a) la personne qui, au moment où
l‘embryon in vitro a été créé, quelle que soit la source du matériel reproductif humain
utilisé pour ce faire, n‘a pas d‘époux ni de conjoint de fait; b) […] les personnes qui
forment un couple d‘époux ou de conjoints de fait au moment où l‘embryon in vitro a été
créé, quelle que soit la source du matériel reproductif humain utilisé pour ce faire »972. Au
sens de la loi, dans le cadre du don d‘engendrement, le donneur est donc bel et bien la
personne de qui provient le matériel reproductif. Ce que les dispositions sur le
consentement nous permettent de comprendre c‘est que le couple lui-même et des tiers
sont des receveurs. Néanmoins, tous doivent consentir. La loi n‘utilise pas la terminologie
du receveur. Or, pour les fins de cette thèse, c‘est en tant que fournisseur de forces
génétiques que nous identifions que le tiers donneur anonyme. Il est tiers car externe au
projet parental et de procréation assistée ainsi que donneur car contribuant à la mise en
œuvre du désir d‘enfant.
Les renseignements médicaux concernant le tiers donneur anonyme doivent être
contenus dans un registre tenu par l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation
971
972
Règlement sur la procréation assistée (article 8 de la Loi), supra note 970, art. 1.
Ibid., art. 10 (1).
299
assistée973. Ceux-ci lui sont communiqués par les titulaires d‘une autorisation974 et dans la
mesure prévue par règlement975. Cela signifie qu‘un règlement doit déterminer quels
renseignements médicaux doivent être transmis à l‘Agence, combien de temps ils doivent
être conservés, etc976. Si la loi ne prévoit aucune obligation de suivi dans ses dispositions
internes, elle octroie au gouverneur en conseil le pouvoir de réglementer la tenue de
dossiers par le titulaire d‘une autorisation977. Une telle obligation pourrait ainsi se
retrouver dans un règlement.
973
Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 17. Cet article n‘était pas en vigueur lorsque la Cour
suprême a rendu son jugement le 22 décembre 2010.
974
La Loi sur la procréation assistée (ibid.) opte pour le modèle des actes interdits (ibid., art. 5 à 9) et des
activités réglementées (ibid., art. 11 à 13). Les premiers sont ceux « qui ne doivent pas être accomplis,
quelles que soient les circonstances » (Monique Hébert et al., Résumé législatif – Projet de loi C-6 : Loi
sur la procréation assistée, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, 17 février
2004 à la p. 3, En ligne : <http://www.parl.gc.ca/37/3/parlbus/chambus/house/bills/summaries/c6-f.pdf>
(Date d‘accès : 4 février 2009), parce que « considérés inacceptables au plan éthique ou [parce qu‘ils]
pourraient poser un risque important à la santé et à la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, ou les
deux » (Santé Canada, La santé et la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, En ligne :
<http://www.hc-sc.gc.ca/hl-vs/reprod/hc-sc/legislation/safety-securite-fra.php> (Date d‘accès : 4 février
2009). Les activités réglementées sont quant à elles celles « qui ne peuvent être exercées que conformément
à la Loi et au règlement » (Monique Hébert et al., supra). La conception d‘enfants grâce aux gamètes ou
aux embryons provenant de personnes externes au projet parental relève d‘ailleurs de la seconde catégorie
(Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 10). La Loi sur la procréation assistée (ibid.) prescrit en
ce sens la constitution de l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée qui, dans le cadre de sa
mission, est chargée de « protéger et promouvoir la santé et la sécurité ainsi la dignité humaine et les droits
de la personne au Canada » puis de « promouvoir l‘application de principes éthiques » (ibid., art. 22). C‘est
elle qui dispose du pouvoir de délivrer, à toute personne ayant les qualifications réglementaires, une
autorisation précisant les activités réglementées qu'elle est habilitée à exercer (ibid., art. art. 24 (1) a) et 40
(1). C‘est par contre le gouverneur en conseil qui détient le pouvoir pour désigner les catégories d‘activités
pouvant faire l‘objet d‘une autorisation ainsi que pour établir les modalités d‘exercice de toute activité
réglementée (ibid., art. 65), incluant le don de gamètes et d‘embryons. Concernant l‘entrée en vigueur des
dispositions relatives à l‘Agence, voir : Loi sur la procréation assistée – Décret fixant au 12 janvier 2006 la
date d'entrée en vigueur de certains articles de la Loi, TR/2005-42, GAZ. C. 2005.II.1033. En vertu de ce
décret, les articles 21 à 24, sauf les alinéas 24(1)a), e) et g), ainsi que les articles 25 à 39, 72, 74, 75 et 77,
sont entrés en vigueur le 12 janvier 2006.
975
Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 15 (2) a), 65 (1) n), o).
976
Voir à ce sujet : Santé Canada, Atelier sur l’autorisation et la réglementation des activités réglementées
en vertu de la Loi sur la procréation assistée et sur les obligations des titulaires d’autorisation en ce qui a
trait aux renseignements médicaux – Compte rendu de réunion, 2007, En ligne : <http://www.hcsc.gc.ca/hl-vs/alt_formats/hpb-dgps/pdf/reprod/2007-licensing-autorisation-obligations/2007-licensingautorisation-obligations-fra.pdf> (Date d‘accès: 7 avril 2009); Santé Canada, Atelier pour les
patients/clients – Rapport de réunion, 2006, En ligne : <http://www.hc-sc.gc.ca/hl-vs/alt_formats/hpbdgps/pdf/reprod/2006-patient-meeting-reunion-fra.pdf> (Date d‘accès: 7 avril 2009).
977
Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 65 (1) n).
300
Néanmoins, en vertu de l‘article 16 (1) de la Loi sur la procréation assistée978
toute personne dispose d‘un droit d‘accès aux renseignements la concernant. En effet, tout
individu doit avoir accès, sur demande, aux renseignements médicaux la concernant qui
relèvent du titulaire d‘une autorisation ou de toute autre personne ayant obtenu les
renseignements979. Ce droit concerne principalement les donneurs et les personnes ayant
recours à une procréation assistée. Il leur permet de demander la correction des
renseignements les concernant qui, selon eux, sont erronés ou incomplets; d'exiger, s'il y a
lieu, qu'il soit fait mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées;
d'exiger que les personnes ou organismes à qui les renseignements ont été communiqués
dans les deux ans précédant la demande de correction ou de mention soient avisés de la
correction ou de la mention. Cela ne constitue pas une porte d‘entrée pour l‘enfant afin
d‘obtenir des renseignements le concernant en ce qui a trait à ses origines.
Bien qu‘il n‘ait pas été en vigueur lorsque la Cour suprême a rendu son jugement
le 22 décembre 2010, il importe de noter que le registre instauré en vertu du régime
fédéral n‘a pas été conçu avec une portée rétroactive. En conséquence, il était prévu que
n‘y figurent pas les renseignements sur les personnes issues d‘un don avec tiers donneur
anonyme et qui a été fait avant sa création980. Dans cette situation, Procréation assistée
Canada suggèrent aux enfants désireux de connaître l‘identité de leur donneur de se
renseigner sur la politique de divulgation de la clinique où les parents sont allés ou de la
banque de gamètes à laquelle ils ont eu recours. S‘il est peu probable qu‘ils obtiennent
978
Ibid.
Ibid., art. 16 (1).
980
Procréation assistée Canada, Foire aux questions – J’ai été conçu grâce à un don de sperme anonyme.
J’aimerais connaître qui était le donneur; comment puis-je faire?, En ligne : <http://www.ahrcpac.gc.ca/faq/index.php?qid=70&lang=fra> (Date d‘accès : 12 février 2009).
979
301
des renseignements nominatifs, selon la politique de l‘établissement, ils pourront peutêtre avoir accès à d‘autres renseignements personnels981. Par ailleurs, lorsqu‘un donneur
est désormais ouvert de faire connaître son identité, cela lui est possible dépendamment
des circonstances dans lesquelles le don a été fait, même si celui-ci remonte déjà à
quelques années. Tel que spécifié par Procréation assistée Canada, s'il s'agissait d'une
clinique de fertilité ou d'une banque de sperme, le donneur peut demander à ce que son
dossier soit modifié pour inscrire son consentement à la divulgation de son identité si une
demande à cet effet est présentée les bénéficiaires ou l‘enfant du don. Autre possibilité, le
donneur peut afficher ses données dans un registre volontaire en ligne982.
Soulignons finalement que la position du législateur canadien de favoriser
l‘anonymat du donneur, sauf avec son consentement, a donné lieu à des débats. Par
exemple, dans le document Assistance à la procréation : bâtir la famille983, rapport
faisant suite aux premières ébauches législatives du gouvernement fédéral en matière de
procréation assistée, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes se
prononça ouvertement contre l‘adoption d‘un système de dons anonyme984. De plus,
« [o]n December 10, 2002, a 6-5 vote in the House Standing Committee on Health
narrowly defeated an amendment to Section 18 (3) of the Assisted Human Reproduction
Act that would allow the adult offspring of donor conception to have access to identifying
981
Ibid.
Procréation assistée Canada, Foire aux questions – J’ai donné du sperme il y a plusieurs années et je
songe maintenant à dévoiler mon identité à mes descendants éventuels. Est-ce possible?, En ligne :
<http://www.ahrc-pac.gc.ca/faq/index.php?qid=66&lang=fra> (Date d‘accès : 12 février 2009).
983
Comité permanent de la santé – Chambre des communes du Canada, Assistance à la procréation : bâtir
la
famille,
Décembre
2001,
p.
22,
En
ligne :
<http://www2.parl.gc.ca/content/hoc/Committee/371/HEAL/Reports/RP1032041/healrp02/healrp02-f.pdf>
(Date d‘accès : 6 avril 2009).
984
Ibid.
982
302
information about their genetic origins »985. À tout le moins peut-on noter que le
Gouvernement fédéral tint compte de l‘enjeu. Des personnes ayant eu peu ou pas
d‘informations à propos de leur donneur vinrent témoigner de leur détresse à diverses
étapes du processus ayant mené à l‘adoption de la loi986. Le problème est que peu d‘échos
furent reçus de la part des personnes ayant utilisé le matériel reproductif de donneurs987.
Non seulement la position du législateur canadien est controversée, mais tel que
nous le constatons ci-après, différentes interprétations en sont faites quant à l‘existence
d‘un droit aux origines.
1.2 Les diverses interprétations du droit aux origines dans la loi fédérale
Pour certains auteurs, dont Michelle Giroux, la loi fédérale repose sur le postulat
que le droit aux origines existe988 parce que des renseignements nominatifs seront
transmis avec le consentement du donneur. Avec plus de nuance, Alain Roy souligne que
le législateur semble maintenant plus sensible à la quête identitaire des personnes issues
du processus de procréation assistée avec tiers donneur, alors qu‘il n‘accordait autrefois
985
Shanner, supra note 488 à la p. 25
Par exemple : Témoignages, Comité permanent de la santé, 37e Législature, 2e Session, Lundi 2
décembre
2002,
En
ligne:
<http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=F&Mode=1&Parl=37&Ses=2&Do
cId=610545&File=0> (Date d‘accès : 31 mars 2010); Sénat du Canada, Délibérations du Comité sénatorial
permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie, Président: L’honorable Micheal Kirby,
mercredi 25 février 2004 et jeudi 26 février 2004, Fascicule no 2 : Troisième et quatrième réunions
concernant: Le projet de loi C-6, Loi concernant la procréation assistée et la recherche connexe, 37e
Législature, 3e Session, 2004, En ligne : <http://www.parl.gc.ca/37/3/parlbus/commbus/senate/com-e/socie/pdf/02issue.pdf> (Date d‘accès : 26 mai 2010).
987
Rivard et Hunter, supra note 960 à la p. 55.
988
Voir : Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 365; Dans une publication plus récente,
l‘auteure tempère toutefois son propos en spécifiant que le droit aux origines requiert une garantie explicite
dans les lois canadiennes. Voir : Giroux et DeLorenzi, supra note 87.
986
303
que très peu d‘importance à la connaissance des origines biologiques. Cela s‘explique par
le fait que :
« [c]onscient du besoin fondamental des personnes issues d‘une
procréation assistée de s‘approprier leur histoire génétique, le législateur
fédéral a créé en 2004 une agence gouvernementale (l‘Agence canadienne
de contrôle de la procréation assistée) dont l‘un des mandats sera de voir à
la tenue d‘un registre national où devront figurer les renseignements
relatifs aux donneurs de matériel reproductif humain. L'Agence devra
communiquer à l‘enfant issu de la procréation assistée l'identité du
donneur, dans la mesure où ce dernier y aura préalablement consenti. »989
Tout en mettant le lecteur en garde du danger que cela représente pour l‘enfant du don,
Lisa Shields est d‘un tout autre avis; selon elle, la facture actuelle de la loi a pour effet de
créer un droit légal à l‘anonymat, en faveur des donneurs990.
L‘interprétation d‘une reconnaissance du droit aux origines se trouve atténuée par
une autre disposition législative statuant que l‘Agence canadienne de contrôle de la
procréation assistée « peut communiquer l'identité d'un donneur à un médecin si elle
l'estime nécessaire pour contrer tout risque pour la santé ou la sécurité d'une personne
ayant eu recours à une technique de procréation assistée, d'une personne issue d'une telle
technique ou d'un descendant d'une telle personne. Le médecin ne peut […] [quant à lui]
communiquer cette identité. »991 En fait, le compromis recherché par le législateur repose,
notamment, sur la prémisse que « [c]omme le donneur sait avant le don que des
renseignements non nominatifs seront divulgués à ses enfants et que des renseignements
989
Roy, « Évolution des normes juridiques », supra note 33 au para. 10.
Shields, supra note 47 aux pp. 39-40 et 43.
991
Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 15 (7); Cela ressemble fortement à la position adoptée
par le Québec. Pourrions-nous toutefois autoriser le médecin à divulguer l‘identité du donneur si celui-ci y a
consenti dans le cadre des articles 15 (4) et 18 (3)?
990
304
nominatifs ne seront fournis qu‘avec son consentement, il risque peu de pouvoir alléguer
une violation de son droit à la vie privée »992. Une autre raison ayant motivé l‘approche
adoptée par le législateur canadien découle du fait qu‘un donneur pourrait être considéré
comme un parent, avec les obligations qui en découlent, en vertu du droit familial de
certaines provinces993.
Dans ce contexte, il semble que nous puissions avancer que la Loi sur la
procréation assistée994 reconnaît jusqu‘à un certain degré chacun des droits, tant à l‘égard
de l‘enfant que du tiers donneur; d‘où la recherche d‘un compromis995. Même s‘il ne
s‘agit pas d‘une reconnaissance explicite, c‘est à notre avis le sens véritable de la règle de
droit qui correspond le plus à l‘intention du législateur fédéral lors de son élaboration996.
Cette loi se fonde énormément sur la quête d‘un compromis entre les intérêts de tous
acteurs au processus de procréation assistée. S‘agit-il d‘une approche de sollicitude? Par
ailleurs, il faut prendre garde de bien distinguer l‘application de la règle, qui vise ici
clairement l‘impossibilité d‘obtenir l‘identité du donneur en l‘absence de son
consentement, de son interprétation, où l‘on se demande s‘il en découle un droit aux
origines. Il s‘agit d‘un des fondements de la théorie de l‘interprétation des lois997. Ainsi,
992
Van Heugten et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-27 – 2-28.
Rivard et Hunter, supra note 960 à la p. 57.
994
Supra note 22.
995
Rivard et Hunter, supra note 960 aux pp. 62 et 71.
996
Côté, avec la collaboration de Beaulac et Devinat, supra note 574 à la p. 9.
997
Ibid. aux pp. 9-10 : Concernant la distinction entre l‘application de la règle de droit et son interprétation,
l‘auteur souligne que la première consiste à tirer, de la survenance de faits concrets, les conséquences
prescrites par la règle. L‘interprétation est quant à elle l‘établissement du sens et de la portée de la règle que
le texte énonce. « Dans la théorie officielle, l‘activité d‘interprétation précède l‘application et détermine les
résultats de celle-ci. Par contre, les résultats ne l‘application ne doivent pas, en principe, influer sur
l‘interprétation, car l‘interprète, en portant un jugement de valeur sur les conséquences de l‘application, se
substituerait alors au législateur. Si le «sens véritable» d‘un texte, le sens voulu par le législateur conduit,
dans un cas donné, à des résultats anormaux, le remède consiste, selon la doctrine officielle, à d‘adresser au
législateur pour obtenir la modification du texte. »
993
305
entre la divulgation obligatoire des toutes les informations et la seule transmission des
informations non nominatives998, accorder le choix au donneur, au moment du don, soit
de rester anonyme, soit d‘accepter que son identité soit révélée quand l‘enfant aura 18 ans
constitue de l‘avis de certains un juste milieu. Néanmoins, comme nous le soulignons au
chapitre 2, « [u]n des inconvénients inhérents à cette solution est que l‘on crée alors deux
types d‘enfants : ceux qui pourront connaître l‘identité de leur donneur biologique, et
ceux qui ne le pourront pas »999.
Nous constatons au point 2 que le compromis adopté par le législateur québécois
favorise quant à lui la confidentialité des données de la procréation assistée. Auparavant,
quelques mots doivent être consacrés à l‘affaire Pratten qui est unique en son genre au
Canada.
1.3 Le jugement Pratten
Le 19 mai 2011, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu un
jugement historique au Canada en matière d‘anonymat des dons de gamètes et
d‘embryons1000. C‘est la première fois qu‘une cour de justice, sans reconnaître l‘existence
d‘un droit aux origines, atteste formellement d‘une inégalité entre les enfants nés d‘un
998
Les renseignements nominatifs étant tout de même au dossier, mais demeurant inaccessibles, sauf pour
des motifs exceptionnels.
999
Beaulne, supra note 92 à la p. 260 (note 129).
1000
Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011).
306
don anonyme et ceux qui sont adoptés et ce, en vertu de l‘article 15 (1) de la Charte
canadienne des droits et libertés1001.
Ceci étant, nous devons relativiser l‘importance de ce jugement dans le cadre de
notre analyse. D‘une part, aucun rattachement avec la loi fédérale, qui faisait partie des
contestations initiales d‘Olivia Pratten, n‘est désormais possible. De plus, cela concerne le
droit de la Colombie-Britannique auquel les tribunaux du Québec ne sont pas liés. Il est
plus que probable que le jugement servirait à établir le contexte interprétatif de la loi
advenant une contestation de l‘article 542 du Code civil du Québec1002 face aux
dispositions en matière d‘adoption1003 et à la lumière des dispositions de la Charte
canadienne des droits et libertés1004. Néanmoins, l‘influence sur les tribunaux du Québec
ne pourra formellement aller plus loin. Finalement, au-delà de ces considérations, notons
principalement que le jugement adopte l‘approche basée sur les droits fondamentaux de la
personne de l‘enfant en vertu des droits constitutionnels garantis. En soit, cela est tout à
fait logique car il n‘est pas de la responsabilité du tribunal de remettre en cause l‘état du
droit en se basant sur des principes éthiques. C‘est le rôle du législateur.
Ce qui demeure fort intéressant est que la juge fait du meilleur intérêt de l‘enfant
une des pierres angulaires de son raisonnement juridique. Une distinction apparaît
clairement d‘avec l‘approche relationnelle de la sollicitude, mais il est à prévoir, si les
fondements du jugement sont maintenus, que cela ait un impact dans la balance entre les
1001
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
Supra note 18.
1003
Ibid., art. 582-584.
1004
Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, supra note 84.
1002
307
intérêts de tous les acteurs du don d‘engendrement. Cela pourra influencer le législateur
dans la priorisation de l‘accès aux origines.
2-
ÉTAT
DU
DROIT
QUÉBÉCOIS :
PRIMAT
DE
CONFIDENTIALITÉ DES DONNÉES ET DE L’ANONYMAT
LA
Au Québec, le régime applicable aux renseignements des donneurs dans le
contexte d‘une procréation assistée se trouve au chapitre du Code civil1005 consacré à la
filiation par le sang1006, qui se distingue de la filiation par l‘adoption. Bien qu‘en
constituant sous chapitre distinct, c‘est une classification à première vue étrange car la loi,
lors du recours à un tiers donneur, organise une filiation copiée en grande partie sur le
modèle charnel, là où aucun lien de sang n‘existe1007. Depuis la réforme de 20021008, dans
le cadre de laquelle le législateur a notamment permis de forger des liens de filiation avec
des parents de même sexe et ce, par différents modes de procréation assistée, incluant la
relation sexuelle1009, nous assistons d‘ailleurs à une désexualisation de la filiation1010. En
fait, la recherche de la réalité biologique n‘a jamais été l‘objectif des règles entourant
1005
Code civil du Québec, supra note 18.
Malgré l‘appellation de filiation par le sang, il faut noter que dans le système de filiation romaniste,
dont s‘inspire le Québec, la filiation est fondée sur le principe de reconnaissance volontaire. On accorde
alors une place importante à la réalité psychosociale que vit l‘enfant et la possession constante d‘état peut
supplanter la vérité biologique. À l‘opposé, le système germanique est basé sur le principe de la
descendance. Dans cette perspective, le lien de sang joue un rôle primordial dans la détermination judiciaire
du lien de filiation. Alexandra Obadia, « L‘incidence des tests d‘ADN sur le droit québécois de la
filiation », (2000) 45 R.D. McGill 483 à la p. 496.
1007
Sur ce sujet, voir : Bureau, supra note 103 aux pp. 67et ss. et 187 et ss.
1008
Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, supra note 18; Cette loi est
venu modifier des dispositions importantes du Code civil du Québec (supra note 18) en matière de filiation,
incluant la procréation assistée.
1009
Voir Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2 al. 2 et 539.1; À ce moment, fut retirée du cadre
juridique québécois l‘appellation de « procréation médicalement assistée » pour référer dans tous les cas à
la « procréation assistée ».
1010
Tétrault, supra note 563 aux pp. 1093-1094; Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 554;
Moore, « Enfants du nouveau siècle » supra note 18 à la page 78.
1006
308
l‘établissement de la filiation au Québec1011, mais plutôt d‘inclure ces filiations issues
d‘actes de volonté dans la tradition de l‘engendrement charnel.
Dans la présente section nous dressons tout d‘abord un tableau des règles édictées
dans le Code civil1012. De plus, comme le Québec a contesté la constitutionnalité de la loi
fédérale depuis 20041013, il importe de s‘intéresser à la Loi sur les activités cliniques et de
recherche en matière de procréation1014 que le gouvernement a adoptée afin de la
remplacer sur le territoire de la province.
2.1 Le régime de confidentialité instauré en vertu du Code civil du Québec1015
Plus restrictivement que dans la loi canadienne, l‘article 542 du Code civil du
Québec1016 prévoit que :
« les renseignements personnels relatifs à la procréation assistée d‘un
enfant sont confidentiels.
Toutefois, lorsqu‘un préjudice grave risque d‘être causé à la santé d‘une
personne ainsi procréée ou de ses descendants si elle est privée des
renseignements qu‘elle requiert, le tribunal peut permettre leur
transmission, confidentiellement aux autorités médicales concernées. L'un
des descendants de cette personne peut également se prévaloir de ce droit
si le fait d'être privé des renseignements qu'il requiert risque de causer un
préjudice grave à sa santé ou à celle de l'un de ses proches. »
1011
Kirouack, supra note 886 à la p. 377.
Code civil du Québec, supra note 18.
1013
Voir : D. 1177-2004, supra note 958; D. 73-2006, supra note 958; Renvoi fait par le gouvernement du
Québec en vertu de la Loi sur les renvois à la Cour d'appel, L.R.Q., ch. R-23, relativement à la
constitutionnalité des articles 8 à 19, 40 à 53, 60, 61 et 68 de la Loi sur la procréation assistée, supra note
958; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24.
1014
Supra note 346.
1015
Supra note 18.
1016
Ibid.
1012
309
Cet interdit, applicable à la procréation ayant lieu dans un contexte médical 1017, vise la
transmission de toute information concernant le donneur qui permet de l‘identifier1018.
Dans ses commentaires, le Ministre de la justice du Québec spécifie notamment qu‘avec
l‘article 542, le législateur, en déclarant confidentiels les renseignements nominatifs1019
relatifs à la procréation assistée, « respecte le droit à la vie privée des parents et enfants
concernés, sauf une « exception de santé » bien circonscrite »1020. C‘est également la
position adoptée par Monique Ouellette lorsqu‘elle affirme que l‘article 542 constitue une
application du droit au respect de la réputation et de la vie privée tel que reconnu aux
articles 3 et 35 du Code civil du Québec1021
1022
. L‘absence de distinction entre
renseignements personnels et médicaux laisse toutefois penser qu‘il demeure impossible
de transmettre, en dehors du contexte d‘exception, des informations concernant par
exemple le profil génétique du donneur. D‘ailleurs, de l‘avis de certains, il est établi que
1017
Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 593; Tétrault, supra note 563 à la p. 1175; « Dans
les autres cas (assistance privée, sous quelque forme que ce soit), il n‘y aura pas de confidentialité légale
quant au donneur. Cela ni signifie pas, toutefois, qu‘une filiation pourra être établie à son égard, quand bien
même pourrait être prouvé avec une certitude absolue le lien de procréation : tout dépendra alors de la
forme sous laquelle aura été réalisée la contribution. » Mireille D.-Castelli et Dominique Goubau, Le droit
de la famille au Québec, 5e édition, Québec, Les Presses de l‘Université Laval, 2005 à la p. 239.
1018
Ceci réfère à la définition de « renseignements personnels » contenue dans la Loi sur la protection des
renseignements personnels dans le secteur privé, L.R.Q., c. P-39.1, art. 2.
1019
La notion de renseignements nominatifs a été modifiée en 2006 pour une application du concept de
renseignements personnels. Loi modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la
protection des renseignements personnels et d’autres dispositions législatives, L.Q., 2006, c. 22, art. 177.
1020
Baudouin et Renaud, supra note 602 à la p. 182.
1021
Supra note 18, art. 3 al. 1 : « Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la
vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie
privée; art. 35 al. 2 : « Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d‘une personne sans que celle-ci ou
ses héritiers y consentent ou sans que la loi l‘autorise. »; Le droit à la vie privée est également expressément
reconnu à l‘article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77 : « Toute personne a
droit au respect de sa vie privée. »
1022
Monique Ouellette, « Le Code civil du Québec et les nouvelles techniques de reproduction », dans
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, Les aspects juridiques liés aux nouvelles
techniques de reproduction, vol. 3, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1993,
693 à la p. 706 [Ouellette, « Nouvelles techniques »]; Voir également : Beaulne, supra note 92 à la p. 259.
310
la communication d‘informations nominatives et non nominatives concernant le donneur
est interdite1023.
Sonia Lebris souligne que le « Code civil du Québec, qui tend en général à
favoriser la parenté sociologique, sans pour autant avoir donné une définition de la
parenté, a opté en faveur de la confidentialité des renseignements nominatifs relatifs à la
[…] [procréation assistée], et a même entouré cette confidentialité de garanties
supplémentaires »1024. De plus, pour Marie Pratte, « [p]rotéger la confidentialité des
renseignements nominatifs relatifs à la procréation médicalement assistée est une position
réaliste, qui respecte la volonté et la vie privée de chacun des participants, et assure
l‘intimité et la paix familiale »1025. Quant à Monique Ouellette, entre, d‘une part,
l‘opinion de ceux prônant l‘oubli du passé et l‘ignorance des liens génétiques (la véritable
famille de l‘enfant étant sa famille sociale et juridique) et, d‘autre part, les opposants au
secret, le législateur a finalement opté pour le compromis; les deux thèses étant appuyées
par le meilleur intérêt de l‘enfant1026. Analysant les possibilités qu‘offre la procréation
assistée, Benoît Moore constate que si le législateur québécois semble axer son régime sur
l‘intérêt de l‘enfant, il reconnaît maintenant aux parents une marge de liberté en acceptant
une certaine "privatisation" de la filiation1027. Cela recoupe leur appréciation dans la
divulgation du mode de conception.
1023
Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 363.
Le Bris, supra note 51 à la p. 146.
1025
Pratte, « Nouveau Code », supra note 92 à la p. 299.
1026
Ouellette, « Nouvelles techniques », supra note 1022 à la p. 706.
1027
Moore, « Perspectives québécoises », supra note 741 à la p. 75.
1024
311
En 1988, dans son rapport sur les nouvelles techniques de reproduction, le Barreau
du Québec a recommandé le maintien de la règle générale de l‘anonymat et du secret des
origines afin de respecter la confidentialité du recours aux technologies de reproduction
(le secret professionnel étant d‘ailleurs protégé par le droit québécois 1028) ainsi que la vie
privée de toutes les parties. Ce dernier élément inclut le secret à l‘intérieur de la famille
qui fait de la possibilité ou de l‘opportunité de révéler à l‘enfant les origines de sa
naissance une décision personnelle. Le Barreau a néanmoins reconnu que des exceptions
s‘appliquent lorsque la recherche des origines est nécessaire pour sauver une vie humaine
ou lorsque l‘impossibilité de retrouver ses géniteurs entraîne pour l‘enfant des troubles
psychologiques majeurs. Dans les deux cas, la recommandation du Barreau était
conditionnelle à l‘obtention d‘une autorisation d‘un juge de la Cour supérieure et sans que
des retrouvailles soient obligatoires. Celles-ci ne pourraient avoir lieu que dans les cas les
plus graves, si le donneur y consent et selon les modalités les moins perturbantes
possibles1029.
Selon la position en définitive adoptée par le législateur québécois, le régime
introduit par l‘article 5421030 diffère de celui retenu en matière d‘adoption, « notamment
en ne donnant pas ouverture à la recherche des parents génétiques, en ne permettant pas
aux proches de la personne ainsi procréée d‘invoquer un préjudice grave à leur santé et en
ne levant la confidentialité que par l‘intermédiaire des autorités médicales
1028
Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77, art. 9; Code des professions, L.R.Q. c. C-26,
art. 87(3); Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q. c. S-4.2, art. 19.
1029
Barreau du Québec, « Rapport », supra note 68 aux pp. 26-27, 28-29 (recommandations 14 à 16).
1030
Code civil du Québec, supra note 18, art. 542.
312
concernées »1031. Ainsi, les données transmises ne seront qu‘à caractère médical, que si
leur ignorance risque de causer un préjudice grave à la santé et suivant l‘intervention du
tribunal et d‘un tiers1032. Ce dernier élément rend d‘une part le compromis recherché par
le législateur beaucoup plus restrictif que dans la loi fédérale. Il restreint d‘autre part
l‘hypothèse d‘interprétation du terme "santé" à la lumière de la jurisprudence sur l‘article
5841033 en matière d‘adoption pour y inclure la santé psychologique1034. En effet, selon
Monique Ouellette, « si l‘obsession qui cause le trouble est provoquée justement par la
nécessité de connaître le ou les parents biologiques, donneurs de gamètes, […]
l‘information ne peut être communiquée parce qu‘elle est nominative et que la
transmission doit être faite aux autorités médicales et non à la personne elle-même »1035.
Qui plus est, si le second alinéa de l‘article 5421036 utilise le terme "droit" dans cette
procédure d‘exception, il ne s‘agit que d‘un droit relatif et non d‘un droit absolu aux
origines1037. Les informations obtenues concernant le donneur sont davantage la
conséquence d‘un droit d‘obtenir des informations essentielles à la santé que d‘un droit à
l‘identité1038.
Il est finalement intéressant de noter que le Code civil du Québec1039 protège
explicitement les intérêts du donneur en tant que tierce partie au processus reproductif.
1031
Commentaires du ministre dans Baudouin et Renaud, supra note 602 à la p. 182; Sur le caractère
confidentiel des dossiers d‘adoption, voir le Code civil du Québec, supra note 18, art. 582-584.
1032
Ouellette, « Nouvelles techniques », supra note 1022 à la p. 707.
1033
Code civil du Québec, supra note 18, art. 584.
1034
Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 364.
1035
Monique Ouellette, Droit de la famille, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1995 à la p. 90; Nous
analyserons plus en détail cet aspect de la problématique dans les sections ci-dessous.
1036
Code civil du Québec, supra note 18, art. 542.
1037
Ouellette, « Nouvelles techniques », supra note 1022 à la p. 707.
1038
Giroux et DeLorenzi, supra note 87.
1039
Supra note 18.
313
Confirmant que le géniteur n‘assume aucun statut parental, l‘article 538.2 alinéa 1
spécifie que la contribution au projet parental d‘autrui par un apport de forces génétiques
à la procréation médicalement assistée ne permet de fonder aucun lien de filiation entre
l‘auteur de la contribution et l‘enfant issu de cette procréation1040. « Le Code civil, par
cette disposition, opte donc pour une filiation sociale ou volontaire plutôt que pour une
filiation génétique. »1041 De fait, si la filiation par le sang ouvre la porte l‘établissement de
la vérité biologique, comme en témoigne l‘article 535.1 du Code civil du Québec1042 en
tant que mode de preuve par analyses génétiques lorsqu‘une filiation fait l‘objet d‘une
action en justice, ses fondements reposent principalement sur la vérité sociale et affective
de l‘enfant1043. Cela va jusqu‘à l‘occultation de la filiation biologique réelle lors du
recours aux forces génétiques d‘un tiers1044. Un auteur en conclu qu‘il s‘agit de la
1040
Au Canada, en plus du Québec, seuls l‘Alberta, Terre-Neuve, le Labrador et le Yukon disposent de
dispositions législatives semblables. Giroux et DeLorenzi, supra note 87.
1041
Moore, « Perspectives québécoises », supra note 741 à la p. 67.
1042
Supra note 18, art. 535.1 : « Le tribunal saisi d'une action relative à la filiation peut, à la demande d'un
intéressé, ordonner qu'il soit procédé à une analyse permettant, par prélèvement d'une substance corporelle,
d'établir l'empreinte génétique d'une personne visée par l'action.
Toutefois, lorsque l'action vise à établir la filiation, le tribunal ne peut rendre une telle ordonnance que s'il y
a commencement de preuve de la filiation établi par le demandeur ou si les présomptions ou indices
résultant de faits déjà clairement établis par celui-ci sont assez graves pour justifier l'ordonnance.
Le tribunal fixe les conditions du prélèvement et de l'analyse, de manière qu'elles portent le moins possible
atteinte à l'intégrité de la personne qui y est soumise ou au respect de son corps. Ces conditions ont trait,
notamment, à la nature et aux dates et lieu du prélèvement, à l'identité de l'expert chargé d'y procéder et d'en
faire l'analyse, à l'utilisation des échantillons prélevés et à la confidentialité des résultats de l'analyse.
Le tribunal peut tirer une présomption négative du refus injustifié de se soumettre à l'analyse visée par
l'ordonnance. » Si l‘article 535.1 du Code civil du Québec (ibid.) prévoit explicitement la possibilité que le
tribunal ordonne les prélèvements nécessaires aux fins d‘analyses d‘ADN nécessaires à la preuve de la
filiation (lors d‘une contestation ou d‘un établissement), le texte de loi ne dit rien sur l‘existence potentielle
d‘un droit aux origines. Cet article est applicable si l‘identité du géniteur est connue afin que l‘enfant puisse
invoquer son droit à l‘établissement de sa filiation. A.P. c. L.D., [2001] R.J.Q. 16. Aucun article n‘impose
cependant aux parents de révéler l‘identité du donneur et ce, même s‘ils ont brisé le secret quant au mode de
procréation de l‘enfant.
1043
Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 356; Obadia, supra note 1006 aux pp. 520-521.
1044
« La possibilité de procréation assistée avec apport extérieur au couple a toujours été rendue possible
par l‘occultation légalement acceptée de la véritable filiation biologique et par son remplacement par une
filiation fictive, remplacement non vérifié judiciairement, par opposition à l‘adoption, et liée, dans le cas de
la procréation médicalement assistée, à un secret des origines sans failles. » D.-Castelli et Goubau, supra
note 1017 à la p. 238; Voir également : Pratte, « Nouveau Code », supra note 92 à la p. 292.
314
nouvelle approche à la filiation, soit celle de la « parentalité » ou du « parent
d‘intention »1045.
2.2 Le silence de la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de
procréation1046
Tout en reconnaissant la nécessité de prévenir l‘infertilité et de promouvoir la
santé reproductive, cette loi « vise à protéger la santé des personnes et plus
particulièrement celle des femmes ayant recours à des activités de procréation assistée qui
peuvent être médicalement requises et celle des enfants qui en sont issus, dont la filiation
est alors établie en vertu des dispositions du Code civil »1047. À cette fin, elle prétend
encadrer les « activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée de
manière à assurer une pratique de qualité, sécuritaire et conforme à l‘éthique. Elle vise
aussi à favoriser l‘amélioration continue des services en cette matière. »1048 En outre, par
activités de procréation assistée, le texte réfère à :
« tout soutien apporté à la reproduction humaine par des techniques
médicales ou pharmaceutiques ou par des manipulations de laboratoire,
que ce soit dans le domaine clinique en visant la création d‘un embryon
humain ou dans le domaine de la recherche en permettant d‘améliorer les
procédés cliniques ou d‘acquérir de nouvelles connaissances.
1045
Beaulne, supra note 92 à la p. 254.
Supra note 346; Sanctionnée le 19 juin 2009, la loi est partiellement en vigueur depuis le 5 août 2010.
Voir : Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée (2009, c. 30) —
Entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi, D. 643-2010, 7 juillet 2010, G.O.Q.2010.II.3229. Le
règlement correspondant est également entré en vigueur : Règlement sur les activités cliniques en matière
de procréation assistée, D. 644-2010, 7 juillet 2010, G.O.Q.2010.II.3278; Quant à la gratuité des services
de procréation assistée, nous en retrouvons les détails dans : Règlement modifiant le Règlement
d’application de la Loi sur l’assurance maladie, supra note 346.
1047
Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, supra note 346, art. 1 al. 1.
1048
Ibid., art. 1 al. 2.
1046
315
Sont notamment visées les activités suivantes : l‘utilisation de procédés
pharmaceutiques pour la stimulation ovarienne; le prélèvement, le
traitement, la manipulation in vitro et la conservation des gamètes
humains; l‘insémination artificielle avec le sperme du conjoint ou le
sperme d‘un donneur; le diagnostic génétique préimplantatoire; la
conservation d‘embryons; le transfert d‘embryons chez une femme.
Toutefois, les procédés chirurgicaux qui visent à rétablir les fonctions
reproductrices normales d‘une femme ou d‘un homme ne sont pas
visés »1049
Dans sa première version, le projet de loi1050 n‘ajoutait rien sur la question des
origines, ni même sur le traitement des informations de santé du donneur. Lors des
consultations particulières et auditions publiques à la Commission permanente des
affaires sociales en mars 2006, Édith Deleury, professeure émérite à la Faculté de droit de
l‘Université Laval et présidente de la Commission de l‘éthique de la science et de la
technologie du Québec, souleva pourtant la question du droit aux origines en soulignant
que l‘on devrait remettre aussi en question les dispositions du Code civil du Québec1051
afin de s‘accorder avec le régime existant en matière d‘adoption1052. À l‘opposé, le Dr.
François Bissonnette, obstétricien gynécologue à la clinique OVO de Montréal, s‘est
ouvertement prononcé en faveur de la confidentialité1053. Dans le mémoire qu‘elle déposa
1049
Ibid, art. 2 (1).
Voir : P.L. 89, supra note 958.
1051
Supra note 18, art. 542.
1052
Voir : Québec – Assemblée nationale, Commission permanente des affaires sociales, « Consultations
particulières sur le projet de loi n° 89 ― Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de
procréation assistée et modifiant d'autres dispositions législatives », dans Journal des débats de la
Commission permanente des affaires sociales, vol. 39, no 6, (30 mars 2006), En ligne :
<http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cas-37-2/journal-debats/CAS060330.html> (Date d‘accès: 2 juillet 2010); C‘est également la recommandation de la Commission de
l‘éthique de la science et de la technologie que dirige Professeure Deleury. Commission de l‘éthique de la
science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9 à la p. 50.
1053
Québec – Assemblée nationale, Commission permanente des affaires sociales, « Consultations
particulières sur le projet de loi n° 89 ― Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de
procréation assistée et modifiant d'autres dispositions législatives », dans Journal des débats de la
Commission permanente des affaires sociales, vol. 39, no 4, (28 mars 2006), En ligne :
1050
316
au même moment, la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN)
qualifia quant à elle ce silence de faiblesse et suggéra la création d‘un mécanisme des
donneurs de gamètes permettant aux enfants nés de ces dons de connaître leur identité
tant humaine que génétique ou médicale1054.
Légèrement remanié, le projet de loi fut représenté en décembre 2007 1055, puis en
avril 20091056, en incluant cette fois un chapitre destiné à l‘encadrement des
renseignements relatifs aux activités de procréation assistée. Si le régime applicable au
cas d‘espèce demeure celui institué en vertu du Code civil du Québec1057, nous pouvons
remarquer que la confidentialité des données demeure la philosophie dominante dans
l‘esprit du législateur québécois. Tout d‘abord, en vertu de l‘article 42 :
« Sous réserve du chapitre IV [(c'est-à-dire à des fin d‘inspection et de
surveillance)], les renseignements contenus dans les formulaires,
documents, rapports ou avis fournis au ministre en vertu de la présente loi
ne doivent pas permettre d‘identifier une personne ayant eu recours à des
activités de procréation assistée ou un enfant qui en est issu.
Le ministre peut transmettre ces renseignements à toute personne ou à tout
organisme à des fins d‘étude, de recherche ou de statistiques dans la
mesure où ces renseignements ne permettent pas d‘identifier un centre de
procréation assistée. »1058
<http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cas-37-2/journal-debats/CAS060328.html> (Date d‘accès: 2 juillet 2010).
1054
Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), Mémoire de la Fédération du Québec
pour le planning des naissances présenté à la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale
dans le cadre des consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi no 89, Loi sur les
activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et modifiant d'autres dispositions
législatives,
2006
à
la
p.
10,
En
ligne :
voir
http://www.assnat.qc.ca/fr/travauxparlementaires/commissions/CAS/mandats/Mandat-3717/memoires-deposes.html (Date d‘accès: 2 juillet
2010).
1055
P.L. 23, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, 1ere session, 38e lég.,
Québec, 2007.
1056
P.L. 26, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, 1ere session, 39e lég.,
Québec, 2009.
1057
Supra note 18, art. 542.
1058
Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, supra note 346, art. 42.
317
Ensuite, selon l‘article 44 :
« À des fin de surveillance continue de l‘état de santé des personnes ayant
recours à des activités de procréation assistée ainsi que des enfants qui sont
est issus, le ministre recueille des renseignements personnels ou non,
conformément à la Loi sur la santé publique (L.R.Q., chapitre S-2.2).
Parmi les renseignements recueillis, ceux qui permettent d‘identifier une
personne ayant eu recours à des activités de procréation assistée ou un
enfant qui en est issu ne peuvent être communiqués, même avec le
consentement de la personne concernée, qu‘aux fins de la Loi sur la santé
publique. »1059
Ainsi, nuls renseignements personnels concernant le donneur ne peuvent être transmis
directement au couple bénéficiaire du don ou à l‘enfant qui en est issu1060. La seule
possibilité demeure celle créée en vertu du Code civil du Québec1061 concernant
l‘exception de santé advenant un préjudice grave et ne levant la confidentialité que par
l‘intermédiaire des autorités médicales concernées1062. Une situation qui a d‘ailleurs
soulevé des inquiétudes au Barreau du Québec en juin 20091063, marquant ainsi une
évolution importante dans la position de l‘ordre professionnel des avocats depuis 20 ans.
À cet égard, les autorités québécoises se sont récemment intéressées à l‘impact de
la procréation assistée. À l‘automne 2007, le ministre de la Santé et des Services sociaux
du Québec a donné à la Commission de l'éthique de l‘éthique de la science et de la
technologie le mandat de susciter auprès d‘experts et de membres du public une
1059
Ibid., art. 44
Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée, supra note 1046, art. 15 (2).
1061
Supra note 18.
1062
Ibid., art. 542 al. 2.
1063
Voir : Barreau du Québec, « Position », supra note 49.
1060
318
discussion ouverte et pluraliste sur les enjeux éthiques de la procréation assistée1064. Cette
discussion devait ultimement mener à la présentation de recommandations. Il fut décidé
de se concentrer sur le don de gamètes (sperme et ovules) et le don d'embryons, la
gestation pour autrui (mère porteuse) et le diagnostic préimplantatoire (DPI). Dans le
cadre de son évaluation éthique, dont le rapport a été rendu public à l‘automne 2009, la
Commission a ainsi procédé, entre le 3 septembre et le 3 octobre 2008, à une consultation
publique électronique. Des consultations d‘experts eurent également lieu. En plus d‘un
appel de mémoires auprès d‘une vingtaine d‘organismes, des audiences se tinrent à
Montréal les 25 et 26 septembre 2008 ainsi qu‘à Québec le 3 octobre de la même année.
À cette occasion, 15 experts provenant de diverses disciplines ont exposé leurs
préoccupations et leurs positions relativement aux principaux enjeux éthiques de la
procréation assistée1065.
Dans le questionnaire destiné à la consultation publique, il fut notamment
demandé de donner une priorité à la question de l‘anonymat 1066. Un total de 1066
questionnaires ont été remplis en ligne. Les répondants sont majoritairement des femmes
1064
Québec – Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, Les travaux : Procréation
assistée,
En
ligne :
<http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=12&Itemid=23>
(Date
d‘accès : 2 juillet 2010).
1065
Ibid.
1066
« Question 25. L'anonymat des donneurs et le droit de connaître ses origines : L'État peut assurer
l'anonymat des donneurs d'ovule et de sperme afin de protéger leur vie privée et permettre qu'il y ait peutêtre un plus grand nombre de dons pour répondre aux demandes des parents. Mais, ce faisant, il va à
l'encontre du droit de l'enfant issu de la procréation médicalement assistée de retracer ses parents
biologiques ou, éventuellement, de connaître la femme qui l'a porté. L'État, en tant que gardien de l'intérêt
général, devrait-il plutôt privilégier le droit de tout enfant de connaître ses origines, comme c'est déjà le cas
pour l'enfant adopté ? » Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, Questionnaire utilisé
lors de la consultation publique électronique sur la procréation assistée Tenue du 3 septembre au 3 octobre
2008,
Québec,
2009,
En
ligne :
voir
<http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_docman&Itemid=109> (Date d‘accès : 31 octobre
2009).
319
(82%) qui ont entre 30 et 44 ans (43%) et entre 18 et 29 ans (28%). Si près de la moitié
(45%) des personnes ayant participé disent avoir eu au moins un enfant à la suite d‘une
conception naturelle et que 20% ont eu recours à une technique de procréation assistée, il
semble que les enfants issus de dons d‘engendrement aient été les grands absents de cette
consultation. Les catégories identitaires les plus fortement représentées sont : les
personnes hétérosexuelles dans un couple sans problème de fertilité (46 %); les personnes
hétérosexuelles dans un couple infertile (28 %); les personnes hétérosexuelles célibataires
sans problème de fertilité (12 %); les professionnels de la santé (11 %); les personnes
homosexuelles désirant au moins un enfant (7 %); les personnes ayant parmi leurs
proches une personne vivant avec une maladie génétique grave (5 %)1067.
Les réponses furent partagées au sein de la population. Sur une échelle de 1 à 5,
dont le niveau d‘importance va selon l‘ordre croissant des chiffres, nous remarquons un
partage dans l‘intérêt que suscite la question de l‘anonymat et de la recherche des
origines. Le pourcentage de répondants selon le degré d‘importance fut le suivant : 1
(importance la plus faible) : 11%; 2 : 10%; 3 : 25%; 4 : 23%; 5 (importance la plus
élevée): 27%; abstention : 4%. La Commission souligne qu‘en découlent des
commentaires contradictoires. Ainsi, la connaissance des origines serait justifiée pour être
informé des antécédents médicaux, de l‘identité du donneur dans l‘intérêt psychologique
des enfants ou pour éviter des problèmes de consanguinité, ou encore, afin que le géniteur
1067
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, Consultation publique électronique sur la
procréation assistée : Rapport adressé à la Commission de l’éthique de la science et de la technologie –
Synthèse d’une étude réalisée par Florence Piron et Julie Dussault, Département d’information et de
communication, Groupe de recherche-action sur la participation et la consultation publique, Université
Laval,
Québec,
2009
à
la
p.
5,
En
ligne :
voir
<http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_docman&Itemid=109> (Date d‘accès : 31 octobre
2009).
320
assume certaines responsabilités. À l‘inverse, l‘anonymat est priorisé par d‘autres
répondants dans le but de ne pas créer de lien de filiation entre les donneurs et les enfants
issus d‘un don d‘engendrement, éviter les poursuites légales contre le donneur ou parce
qu‘il s‘agit d‘une question de nature personnelle1068. Il est donc évident qu‘il existe une
confusion entre l‘accès à l‘identité du donneur et le concept de filiation. Nous retrouvons
ici l‘exemple parfait de l‘embrouillement que nous cherchons à éviter au chapitre 2 par la
reconnaissance, en droit, du statut parent au donneur alors qu‘anonymat et filiation
juridique n‘ont rien à voir l‘un avec l‘autre. Qui plus est, nous constatons que les
répondants favorisant un droit aux origines en donnent une définition beaucoup plus large
que la conception que nous en avons. De fait, dans le cadre de cette thèse, nous en
limitons l‘application à l‘accès aux renseignements nominatifs et identifiants. Nous ne
remettons pas en cause le fait que l‘enfant doit pouvoir accéder aux informations de
nature médicale concernant le donneur. Nous soutenons même cette position qui ne fait
pas partie de la quête des origines de l‘individu.
En comparant l‘ensemble des priorités accordées aux questions de procréation
assistée, les auteurs remarquent finalement qu‘avec l‘anonymat des donneurs et le droit
de connaître ses origines, les enjeux ayant reçu les cotes les plus faibles sont ceux relatifs
à l‘égalité des personnes seules et des homosexuels, et finalement, les enjeux relatifs au
choix des caractéristiques du donneur. Par conséquent, ces questions apparaissaient
comme moins importantes aux yeux des participants1069. Cela confirme la position
québécoise sur le sujet et la décision du législateur de favoriser la vie privée du donneur.
1068
1069
Ibid. à la p. 20.
Ibid. à la p. 23.
321
L‘exception de santé constitue un pas dans la direction des intérêts de l‘enfant, mais cette
information est de nature médicale et n‘est transmise qu‘au personnel médical.
Ayant présenté l‘état du droit quant à l‘anonymat des donneurs dans les paysages
canadien et québécois, force est de constater les différences existant entre les deux
régimes. Le Code civil du Québec1070 étant plus restrictif que la Loi sur la procréation
assistée1071 existe-t-il un conflit d‘interprétation ou de normes entre les deux juridictions?
Le jugement de la Cour suprême du Canada qui rend ultra vires les articles 15 (4) et 18
(3) de la Loi sur la procréation assistée1072 rend cette question théorique1073. Par contre,
compte tenu de l‘importance du sujet et de la différence entre les positions canadienne et
québécoise, quelle aurait été la réponse si la constitutionnalité du régime fédéral en
matière de renseignement sur les donneurs avait été maintenue?
3- CONFLIT D’INTERPRÉTATION ENTRE LES DEUX JURIDICTIONS
SUR LA QUESTION DE L’ANONYMAT DES DONS?
Les différences entre les régimes québécois et canadien ne vont pas sans créer des
conflits d‘interprétation souligne Michelle Giroux1074. De l‘avis de l‘auteure, sous l‘angle
de la présomption de validité des lois et, par conséquent, de l‘incompatibilité entre le
Code civil du Québec1075 et la Loi sur la procréation assistée1076, « le C.c.Q. semble
1070
Supra note 18.
Supra note 22.
1072
Ibid.
1073
Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24.
1074
Michelle Giroux, « Le droit fondamental de connaître ses origines biologiques : impact des droits
fondamentaux sur le droit de la filiation », (2006) R. du B. / Numéro thématique hors série 257 aux pp. 266267 [Giroux, « Impact des droits fondamentaux »].
1075
Supra note 18.
1071
322
incompatible avec la loi fédérale puisqu‘il va à l‘encontre de son objet ou esprit. En effet,
le premier part du principe de la confidentialité des données, et la seconde a comme
fondement le droit d‘accéder aux informations sur les origines. Alors, en cas de litige, la
loi fédérale devra prévaloir. »1077
Afin de bien comprendre la nature de cet argument, il importe de revisiter
quelques préceptes de droit constitutionnel et d‘interprétation des lois. Ainsi, en vertu du
principe de la prépondérance fédérale utilisé en droit constitutionnel, il est établi que la
législation qu‘adopte validement l‘autorité centrale est prépondérante et prime sur toute
législation provinciale également valide, les rendant incompatibles1078. Il s‘agit d‘un
principe de droit non écrit puisqu‘il n‘est pas inscrit dans la Constitution. La
jurisprudence l‘a néanmoins appliqué de façon constante1079. Cette primauté des lois
fédérales ne rend pas automatiquement inopérante toute législation provinciale dans le
même domaine; en l‘occurrence, en ce qui concerne la question de l‘anonymat des
donneurs.
Pour que cela survienne, encore faut-il qu‘il y ait un conflit de normes entre ces
deux lois. Cela n‘est envisageable que si le degré d‘incompatibilité fait en sorte que le
conflit est irréductible, tel que l‘application concomitante ou complémentaire
1076
Supra note 22.
Giroux, « Impact des droits fondamentaux », supra note 1074 à la p. 293; Rappelons que dans une
publication plus récente, l‘auteure tempère toutefois son propos en spécifiant que le droit aux origines
requiert une garantie explicite dans les lois canadiennes. Voir : Giroux et DeLorenzi, supra note 87.
1078
Henri Brun et Guy Tremblay, Droit constitutionnel, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002 à la
p. 457.
1079
Ibid.; Les auteurs renvoient aux exemples suivants : Affaire des cessions volontaires, [1894] A.C. 189
aux pp. 200-201; A.-G. Canada c. A.-G. British Columbia, [1930] A.C. 111 à la p. 118; A.-G. British
Columbia c. Smith, [1967] R.C.S. 702; P.G. Canada et Dupond c. Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770 à
la p. 794.
1077
323
impossible1080. Le fait que la loi provinciale comporte des exigences plus sévères que la
loi fédérale, ou des exigences additionnelles, n‘entraîne pas automatiquement
d‘incompatibilité opérationnelle1081. Il en va par contre autrement lorsque l‘observance
des deux législations entraîne des obligations contradictoires. Il faut donc que
l‘observance d‘une loi entraîne l‘inobservance de l‘autre. La conséquence du conflit de
lois n‘est pas un vice radical qui rendrait la loi provinciale nulle comme l‘est une loi
invalide. Elle n‘est qu‘inopérante et privée d‘effet1082.
En matière d‘interprétation des lois, la présomption de validité établit également
que, lorsqu‘une loi provinciale est inconciliable avec une loi fédérale, elle n‘est pas
invalidée, mais rendue inopérante et privée d‘effets en droit. L‘expression abrogation
tacite, parfois utilisée pour décrire le phénomène, n‘est donc pas appropriée. PierreAndré Côté précise toutefois que le « principe de l‘effet utile voudrait que l‘on prête au
législateur l‘intention non seulement de ne pas adopter des lois invalides, mais qui de plus
ne soient pas sans effet en raison d‘un conflit avec une loi fédérale »1083. La présomption
de « validité opérationnelle » des lois provinciales, telle que nommée par l‘auteur1084,
n‘aurait toutefois pas été applicable en l‘espèce.
1080
Brun et Tremblay, supra note 1078 aux pp. 457-458; Le degré d‘incompatibilité a été établi
dans Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161 à la p. 191.
1081
Brun et Tremblay, supra note 1078 à la p. 458; C‘est une exigence qui découle notamment de Irwin Toy
Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 aux pp. 963-964.
1082
Brun et Tremblay, supra note 1078 à la p. 461.
1083
Côté, avec la collaboration de Beaulac et Devinat, supra note 574 à la p. 438.
1084
Ibid.
324
Il nous apparaît effectivement difficile d‘affirmer l‘existence d‘un conflit de lois
entre le Code civil du Québec1085 et la Loi sur la procréation assistée1086 en matière
d‘anonymat1087. Le code est certes plus restrictif, mais cela ne semble pas suffisant pour
défendre l‘existence d‘un conflit opérationnel évident à la face même de ces deux
législations. Aussi, pouvons-nous affirmer que l'application de la loi provinciale aurait eu
pour effet de déjouer l'intention du Parlement fédéral1088 ou de contrecarrer son objectif1089?
Nous croyons que la Loi sur la procréation assistée1090 reconnaît, jusqu‘à un certain
degré, tant le droit aux origines de l‘enfant et que celui à la vie privée du tiers donneur.
L‘objectif étant la recherche d‘un compromis1091. Le législateur canadien permet la
communication de l‘identité du donneur si ce dernier y consent et le législateur québécois
n‘autorise que la transmission d‘information de nature médicale dans le cadre de son
exception de santé. En étant plus restrictif, le Code civil du Québec1092 n‘aurait pas
contrecarré ou n‘aurait pas forcément déjoué l‘intention du législateur fédéral puisqu‘il
permet la divulgation d‘une certaine information. Nous conclurons en nous demandant si
loi provinciale ne comporte pas simplement que des exigences plus sévères que dans la
Loi sur la procréation assistée1093.
1085
Supra note 18.
Supra note 22.
1087
Toutefois, si nous appliquons le raisonnement de Michelle Giroux quant à l‘existence d‘un droit
fondamental aux origines indirectement reconnu par les textes constitutionnels canadien et québécois, nous
pourrions toutefois conclure que le droit québécois pourrait être légitimement contesté pour cause
d‘incompatibilité avec le droit aux origines. Voir : Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 384.
1088
Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, 1990 CanLII 157 (C.S.C.), En ligne :
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/1990/1990canlii157/1990canlii157.html> (Date d‘accès: 4 novembre
2010).
1089
Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67 (CanLII), En ligne :
<http://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2001/2001csc67/2001csc67.html> (Date d‘accès : 4 novembre 2010).
1090
Supra note 22.
1091
Rivard et Hunter, supra note 960 aux pp. 62 et 71.
1092
Supra note 18.
1093
Supra note 22.
1086
325
Les points 1 à 3 dressent un tableau détaillé de l‘état du droit canadien et
québécois. Nous y constatons que la loi fédérale reconnaît, jusqu‘à un certain degré, tant
le droit aux origines de l‘enfant et que celui à la vie privée du tiers donneur. Quant à la loi
québécoise, elle se concentre irrémédiablement sur le droit à la vie privée du donneur en
interdisant la transmission d‘informations relatives à la procréation assistée, sauf
exception de santé. Qui plus est, il n‘existe pas, selon notre interprétation des textes
juridiques, de conflit d‘interprétation entre eux. Nous concluons notre analyse par une
critique de la place accordée à l‘éthique de la sollicitude dans l‘évolution du cadre
législatif canadien et québécois.
4- DROIT CANADIEN, DROIT QUÉBÉCOIS, INTERNORMATIVITÉ ET
ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE : CRITIQUE
Nous constatons, en premier lieu, que nulle part dans la doctrine canadienne et
québécoise analysant la question juridique de l‘anonymat des dons d‘engendrement il
n‘est fait de référence à la terminologie de notre cadre théorique. Ni l‘internormativité ni
l‘éthique de la sollicitude n‘y apparaissent explicitement. Certes, quelques phénomènes
d‘internormativité sont observables à l‘échelle nationale. La Loi sur la procréation
assistée1094 contient à son article 2 des principes qui démontrent une influence directe de
l‘éthique et qui doivent guider l‘interprétation du texte législatif. Le plus évident est le
fait que la santé et le bien-être des enfants issus des techniques de procréation assistée
doivent prévaloir dans les décisions concernant l'usage de celles-ci. C‘est d‘ailleurs là une
application du principe directeur de "protection des personnes vulnérables" que nous
1094
Ibid.
326
utilisons dans notre grille d‘analyse de l‘éthique de la sollicitude en matière de
procréation assistée. Néanmoins, malgré cette absence terminologique, les législateurs
canadien et québécois ont-ils adopté une dimension relationnelle tenant compte de
l‘interdépendance entre les individus? Y ont-ils accordé une priorité dans le processus
législatif?
En consacrant au rang de règle de droit l‘anonymat des donneurs, sauf exception,
il nous apparaît évident que les législateurs canadien et québécois n‘ont pas accordé à
l‘approche relationnelle toute la place qu‘elle devrait occuper. Dans le lien parents –
enfant, relation qui au Québec est reconnue et renforcée par des dispositions assurant la
filiation de l‘enfant et des parents et, excluant définitivement tout doute à ce sujet
concernant le donneur1095, tous s‘entendent sur le maintien du secret du mode de
conception. Un auteur fait en ce sens référence à la "privatisation" de la filiation et à
l‘autonomie des parents, mais de manière générale cela ne fait même pas l‘objet d‘un
débat. Qu‘il n‘y ait pas de renvoi direct à l‘éthique de la sollicitude dans ce contexte
importe peu car le résultat est de toute façon le même. Le secret des parents est favorisé et
prend la forme d‘un privilège de réserve balisé par une obligation morale et un
"counseling". Procréation assistée Canada consacre d‘ailleurs une partie de son site
Internet à ce point afin de conscientiser et de responsabiliser le donneur quant aux
conséquences du don1096. Bref, le privilège de réserve des parents n‘a pas à être codifié
dans la loi. En n‘imposant pas la divulgation du mode de conception, nous ne pouvons
1095
Code civil du Québec, supra note 18, art. 538 à 539.
Procréation assistée Canada, Donneurs : Counseling des donneurs, En ligne: <http://www.ahrcpac.gc.ca/v2/donors-donneurs/counselling-counseling-fra.php> (Date d‘accès 4 novembre 2010).
1096
327
que présumer qu‘il est dans l‘intention du législateur de laisser cela à la discrétion des
parents.
C‘est davantage au lien donneur – enfant que nous devons nous intéresser car c‘est
là que se trouve l‘intervention du législateur afin de faire évoluer la règle de droit. Nous
concluons au chapitre 2 que l‘équilibre entre les intérêts des donneurs et ceux des enfants
issus d‘un don d‘engendrement commande la suppression de l‘anonymat. Or, où
positionner l‘approche du législateur en matière de dons de gamètes et de renseignements
nominatifs? Dans quelle mesure est-elle en harmonie avec l‘éthique de la sollicitude? De
fait, ci haut, nous émettons l‘opinion selon laquelle la Loi sur la procréation assistée1097
reconnaît jusqu‘à un certain degré chacun des droits, tant à l‘égard de l‘enfant et ses
origines que du tiers donneur et sa vie privée. C‘est justement ce "à un certain degré" qui
retient notre attention. À première vue, cela donne l‘impression qu‘un équilibre est atteint
entre les intérêts de tous les acteurs en présence. D‘ailleurs, la formule du double guichet
laisse aux parents l‘autonomie de choisir entre un donneur anonyme ou non. Ce dernier a
également son mot à dire en acceptant ou non que son identité soit dévoilée. Ce n‘est
toutefois pas respectueux de l‘éthique de la sollicitude qui a pour objet l‘interdépendance
des individus et donc, les relations humaines et la contextualisation des besoins de
chacun. La sollicitude consiste à identifier une source d‘obligation dans les sentiments
d‘empathie pour autrui et la responsabilité qui devrait corrélativement en découler. La
personne est donc définie non pas uniquement en rapport à ses droits, mais dans sa
relation avec autrui. Si nous analysons de plus près les intérêts et les besoins de chaque
acteur, nous constatons que le double guichet, principalement dans le lien donneur –
1097
Supra note 22.
328
enfant, ne respecte pas cette logique puisque la prise en compte de l‘enfant en tant
qu‘acteur interdépendant n‘est pas pleine et entière. Force est de conclure que, malgré
l‘existence d‘un phénomène d‘internormativité, le législateur fédéral n‘accorde pas une si
grande priorité à l‘approche relationnelle dans l‘élaboration de sa règle de droit. Nous ne
pouvons donc pas affirmer que la loi canadienne utilise une approche internormative avec
l‘éthique de la sollicitude. Si elle le faisait, cela mènerait à une abolition du double
guichet.
Le droit québécois est encore plus strict et la relation donneur – enfant, outre son
respect de la logique filiale excluant tout lien de filiation juridique entre eux 1098, n‘y
reçoit aucun écho en ce qui concerne un droit aux origines qui se fonde sur l‘éthique de la
sollicitude. Dans la doctrine, les opinions sont variées sur les raisons ayant motivé le
législateur. Cela va du respect de la vie privée du donneur, au respect de la famille, en
passant par l‘intérêt de l‘enfant. Néanmoins, cela se ramène toujours à la protection de
l‘identité du donneur qui est totale. L‘exception de santé ne permet de lever la
confidentialité que par l‘intermédiaire des autorités médicales qui ne pourront rien
divulguer à l‘enfant. Telle que décrite par le législateur québécois, cette exception est à ce
point restrictive, stricte et non soucieuse des relations interpersonnelles qu‘elle ne permet
pas d‘interpréter la condition du préjudice grave à la santé pour y inclure la santé
psychologique puisque de toute façon on restreint la divulgation aux autorités médicales.
1098
Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2.
329
Quant à l‘avis rendu par la Commission de l‘éthique de la science et de la
technologie du Québec1099, s‘il a été sollicité par les autorités gouvernementales, il ne
correspond en rien à un souhait du législateur de prioriser les relations d‘interdépendance
entre les acteurs du don d‘engendrement. Comme ce fut le cas au niveau fédéral avec la
Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, nous considérons
toutefois que l‘avis de la Commission québécoise de l‘éthique de la science et de la
technologie fait partie de la première étape du modèle de construction de la règle de droit,
tel que décrit en section 3 du chapitre 1, lorsque l‘éthique est appréhendée par l‘auteur de
la norme juridique. Cela concorde d‘ailleurs avec la mission de la Commission
québécoise qui est d‘être « un lieu d‘élaboration et d‘expression des choix collectifs […]
[qui] agit également comme un organe d‘information et de sensibilisation auprès du grand
public, du gouvernement et des milieux spécialisés »1100. Elle « conseille le gouvernement
et les organismes concernés relativement aux besoins de formation en éthique de la
science et de la technologie »1101. Par contre, pour ce qui est de l‘éthique de la sollicitude,
la seconde étape du modèle de construction de la règle de droit est, nous semble-t-il,
inexistante. En effet, non seulement l‘avis de la Commission ne réfère nullement à
l‘éthique de la sollicitude, mais nous ne constatons pas d‘intégration dite "diffuse" de ses
principes directeurs dans la loi afin qu‘il y en ait une réception matérielle.
1099
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9.
Québec – Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, La CEST – LA MISSION :
Réfléchir
/Animer
/Baliser,
En
ligne :
http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=3&Itemid=8
(Date
d‘accès : 4 novembre 2010).
1101
Ibid.
1100
330
La question du droit aux origines n‘est pourtant pas complètement absente du
discours juridique québécois. Dans l‘affaire A.P. c. L.D.1102, le tribunal a tenu pour acquis
que dans les circonstances de l‘espèce, c‘est-à-dire le refus de se soumettre à un test
d‘ADN en matière de paternité, qu‘il était l‘intérêt de l‘enfant de connaître ses parents
biologiques et il a affirmé « le droit fondamental à connaître ses parents »1103. Il est par
contre impératif de faire une distinction entre les faits de l‘affaire et le don
d‘engendrement. La Cour a spécifié que dans le contexte des faits de A.P. c. L.D.1104 et,
de façon générale, il est dans l‘intérêt d‘un enfant de voir sa filiation reconnue1105. C‘est
pour cette raison que le juge a ordonné, en présence d‘une action concernant l‘état de
l‘enfant, que le père potentiel ou "affirmé" se soumette à une analyse permettant, par
prélèvement de substance corporelle, d‘établir l‘empreinte génétique de ces personnes.
Le raisonnement développé dans A.P. c. L.D.1106 ne peut être appliqué au contexte
du don de forces génétiques concernant l‘aspect spécifique de l‘anonymat. La filiation de
l‘enfant n‘est alors nullement remise en cause et, relativement au donneur, il ne s‘agit pas
de faire reconnaître un parent légal. Bien que les deux concepts soient souvent confondus,
la question de l‘anonymat se distingue de celle de la filiation puisque le géniteur n‘est pas
un parent au sens de la loi1107. Ce dernier est un ancêtre directe alors que le parent agit en
tant que père ou mère en assumant les responsabilités de gardien de l‘enfant. La majorité
du temps, ces deux rôles s‘incarnent en une seule et même personne, mais pas
1102
A.P. c. L.D., supra note 1042.
Ibid. au par. 42.
1104
Ibid.
1105
Michelle Giroux, « Test d‘ADN et filiation à la lumière des développements récents : dilemmes et
paradoxes », (2002) 32 R.G.D. 865 à la p. 882.
1106
Supra note 1042.
1107
Quoique la question de la procréation amicalement assistée, prévue au paragraphe 2 de l‘article 538.2
du Code civil du Québec (supra note 18) puisse soulever des questions sur ce point.
1103
331
toujours1108. Il ne serait pas dans la logique du don d‘engendrement et de la loi elle-même
d‘accorder au géniteur le statut de parent.
Il est néanmoins pertinent de souligner que dans A.P. c. L.D.1109, le juge accorde,
dans son raisonnement, une place primordiale à l‘intérêt de l‘enfant et met au second rang
l‘inviolabilité du parent à subir un test génétique1110. Sans prétendre qu‘il en découle une
réflexion de type sollicitude basée sur les relations interpersonnelles et interdépendantes,
cela pourrait avoir une influence certaine sur la primauté d‘un droit fondamental aux
origines en matière de dons d‘engendrement et d‘anonymat. Dans cette affaire, le juge
cherche la solution la plus juste et la plus équitable en cas de conflits entre deux droits
fondamentaux en se fondant sur l‘article 1 de la Charte canadienne1111 et l‘article 9.1 de
la Charte québécoise1112, 1113. Il est donc possible que, dans la balance entre les intérêts de
tous les acteurs participant à la problématique de l‘anonymat, une priorité soit accordée à
l‘accès aux origines plutôt qu‘au droit à la vie privée du donneur. La question demeurant
somme toute doctrinale et à constater le refus de la juge dans l‘affaire Pratten de
reconnaître une protection constitutionnelle du droit aux origines1114, une analyse basée
sur l‘internormativité et l‘éthique de la sollicitude viendrait en définitive soutenir
l‘approche des droits fondamentaux de la personne de l‘enfant telle qu‘initiée dans A.P. c.
1108
Giroux et DeLorenzi, supra note 87.
Supra note 1042.
1110
Ibid. au para. 39.
1111
Charte canadienne des droits et libertés, supra note 84.
1112
Charte des droits et libertés de la personne, supra note 77.
1113
A.P. c. L.D., supra note 1042 au para. 40.
1114
Voir Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011); Ce jugement se base
également sur le meilleur intérêt de l‘enfant.
1109
332
L.D.1115 et qu‘adoptent déjà d‘autres auteurs en se fondant sur les textes
constitutionnels1116.
En reconnaissant dans la loi un droit aux origines, l‘enfant se situe au bout du
compte dans son arbre généalogique s‘il en ressent le besoin. Un trait est également tiré
sur ces visions du droit qui organisent le mensonge dans l‘organisation filiale de l‘enfant
lorsque le don d‘engendrement se trouve classifié dans le système de filiation charnelle.
Marie Pratte dit par exemple du système juridique québécois que le législateur masque la
vérité biologique et respecte la volonté du couple stérile et du donneur en permettant la
constitution d‘une filiation paternelle mensongère. Le montage serait sans faille et
l‘illusion parfaite : le droit reconnaît la paternité du conjoint infertile et nie celle du
géniteur1117. Pourtant, en permettant l‘accès à l‘identité du géniteur et en faisant une
distinction avec le statut de parent, le législateur n‘a pas à bouleverser toutes les règles en
matière de filiation, respecte l‘objectif du don et la nécessité de mettre l‘information
nominative et identifiante sur le géniteur à la disposition de l‘enfant si celui-ci en
constate la nécessité.
En introduction de cette thèse, nous mentionnons que de s‘interroger sur une
modification potentielle de la loi implique de regarder des législations qui l‘ont fait en
abolissant l‘anonymat ou qui y songent. De longue date, la France et le Royaume-Uni
furent des précurseurs dans l‘encadrement juridique de la procréation assistée. Nous
1115
Supra note 1004.
Voir : Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 aux pp. 384 et ss.; Van Heugten et Hunter, supra
note 26 aux pp. 2-24 à 2-29.
1117
Pratte, « Filiation réinventée », supra note 504 à la p. 551.
1116
333
avons par ailleurs déjà démontré que la Loi sur la procréation assistée1118 s‘inspire des
modèles législatifs adoptés par ces deux pays1119. Aussi, dans les deux sections qui
suivent, nous procédons à l‘analyse internormative de ces pays afin de mieux commenter
et critiquer la position adoptée par le Canada et le Québec.
SECTION 2 : UN PAYS EN PLEINE ÉVOLUTION, LA FRANCE
L‘éthique de la sollicitude impose l‘abolition de l‘anonymat. Quoiqu‘en pleine
évolution législative, la France ne répond pas à cette condition. Afin de démontrer
clairement notre propos, nous exposons dans un premier temps l‘état du droit détaillé
applicable à la question de l‘anonymat des dons d‘engendrement en France. Nous
remarquons notamment que la procréation assistée avec tiers donneur ne peut que
constituer un remède médical à l‘infertilité. La loi encadre des activités médicales et, en
aucun cas, le don de gamètes ne constitue une option de procréation selon le libre choix
des couples. Nous découvrons, dans un deuxième temps, une institution tout à la fois
connexe et différente en ce qui concerne les débuts de la vie et l‘anonymat des
ascendants : l‘accouchement sous X. Cela a un impact direct sur la question des origines.
Finalement, avant de procéder à l‘analyse critique au regard de l‘éthique de la sollicitude
par le biais de l‘internormativité, nous faisons état du contexte actuel d‘évolution du droit
puisque la France est en pleine révision de sa loi en matière de bioéthique.
1118
1119
Supra note 22.
Voir : Cousineau, « Autonomie reproductive », supra note 23 à la p. 462.
334
1- LA DISTINCTION FRANÇAISE : LE CRITÈRE MÉDICAL COMME
CONDITION D’ACCÈS À LA PROCRÉATION ASSISTÉE
La législation française en matière de bioéthique se différencie avant tout par la
distinction qu‘elle opère entre l‘assistance médicale à la procréation (AMP) et la
procréation médicalement assistée (PMA). La première intervient en amont du processus
reproductif et réfère aux techniques d‘aide à la procréation1120, et la seconde se manifeste
lorsque l‘enfant est conçu1121. La ligne de temps influence l‘appellation juridique
utilisée1122, mais celle-ci traduit, dans les deux cas, les moyens mis en œuvre et la finalité
des techniques visant à soutenir les couples dans leur démarche parentale.
Les conditions d‘accès à l‘AMP à la française sont très strictes. Seuls les couples
hétérosexuels ayant un projet parental peuvent y avoir recours et les actes effectués afin
de les aider à avoir des enfants sont, en vertu de la loi, médicaux1123. C‘est également
pour cette raison que le législateur distingue l‘AMP et de la PMA, c‘est-à-dire afin de
souligner que la loi régit des activités médicales et non la procréation elle-même1124.
Concernant les gamètes, les donneurs doivent entre autres avoir déjà procréé (s‘ils sont en
couple, le consentement du conjoint est également recueillis)1125 et le don dirigé est
1120
Elle est définie à l‘article L. 2141-1 al. 1 du Code de la santé publique : « L'assistance médicale à la
procréation s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert
d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que toute technique d'effet équivalent permettant la
procréation en dehors du processus naturel, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé,
après avis de l'Agence de la biomédecine. ».
1121
La procréation médicalement assistée est identifiée à l‘article 311-19 du Code civil qui fait référence à
l‘absence de lien de filiation en cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur.
1122
« Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 112.
1123
Voir les articles l‘art. L. 2141-2, L. 2141-6 et L. 2141-7 du Code de la santé publique.
1124
« Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 112.
1125
Art. L. 1244-2 Code de la santé publique.
335
interdit1126. Dans ce dernier cas, l‘objectif du législateur est d‘affirmer l‘impossibilité
pour le couple receveur de désigner nominativement la personne dont il souhaite recevoir
les gamètes. Cela vise notamment le don intra familial1127.
Les conditions d‘accès à l‘assistance médicale à la procréation mettent la table à la
sévérité du régime adopté en matière de don d‘engendrement où l‘anonymat est, en l‘état
actuel du droit, maître mot.
2- ÉTAT DU DROIT EN MATIÈRE DE DON D’ENGENDREMENT : LE
PRIMAT DE L’ANONYMAT ET DU SECRET
En France, les dons de gamètes et d‘embryons sont soumis à la règle de
l‘anonymat au même titre que l‘ensemble des dons d‘organes ou des produits du corps
humain1128. Certains soulignent pourtant que les gamètes, s‘ils sont sans doute des objets,
conservent une fonction corporelle spécifique ne permettant pas de les assimiler au sang
ou aux autres organes. Leur vocation naturelle est d‘être à l‘origine d‘un autre être
humain et à la source d‘informations (e.g. génétiques) sur les êtres humains, donneurs,
enfants et receveurs, etc.1129 Il n‘y a pas que deux personnes d‘impliquées, mais au
minimum trois : le donneur, le receveur et l‘enfant1130. L‘anonymat est donc déterminé en
1126
Art. L. 1211-3 (principe général) et L. 1244-7 al. 1 Code de la santé publique.
« Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 130-7.
1128
Valérie Depadt-Sebag, « Le don de gamètes ou d‘embryons dans les procréations médicalement
assistée : d‘un anonymat imposé à une transparence autorisée », dans Recueil Dalloz, 2004 à la p. 891, En
ligne sur : <http://www.dalloz.fr/> (Date d‘accès : 6 novembre 2009).
1129
Catherine Labrusse-Riou, « L‘échange de gamètes humains : de la pratique au droit », (1995)
LAENNEC 16 à la p. 16 [Labrusse-Riou, « Échange »].
1130
Théry, « Grand malentendu », supra note 820 à la p. 111.
1127
336
vertu de la règle générale des articles 16-8 du Code civil1131 et de L. 1211-5 du Code de la
santé publique1132. Le cas particulier du don d‘embryons est couvert par l‘article L. 21416 du Code de la santé publique1133.
Ces dispositions législatives précisent que l‘unique dérogation à l‘anonymat est
l‘exception de santé où seul le médecin a accès aux renseignements requis. Les règles
générales du don et de l‘utilisation des produits du corps humain prévoient ainsi, qu‘en
cas de nécessité thérapeutique, exclusivement les médecins peuvent se voir transmettre de
l‘information permettant d‘identifier le donneur. Les normes spécifiques au don
d‘engendrement opèrent par contre un resserrement en stipulant qu‘un médecin visé par
l‘exception de santé ne peut accéder qu‘aux données non identifiantes et ce, s‘il en va de
la santé d‘un enfant conçu à partir de gamètes issus de don 1134. Une disposition semblable
existe pour les dons d‘embryons1135.
L‘interprétation de l‘exception de santé suscite des doutes dans la doctrine. Le
concept de nécessité thérapeutique serait plus restreint que celui de nécessité médicale,
mais une interrogation demeure quant à savoir si une nécessité thérapeutique englobe
1131
Art. 18-6 Code civil : « Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un
élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut
connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur.
En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux
informations permettant l'identification de ceux-ci. ».
1132
Art. L. 1211-5 Code de la santé publique : « Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le
receveur celle du donneur. Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un
élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée.
Il ne peut être dérogé à ce principe d'anonymat qu'en cas de nécessité thérapeutique. ».
1133
Art. L. 2141-6 al. 3-4 Code de la santé publique : « Le couple accueillant l'embryon et celui y ayant
renoncé ne peuvent connaître leurs identités respectives.
Toutefois, en cas de nécessité thérapeutique, un médecin pourra accéder aux informations médicales non
identifiantes concernant le couple ayant renoncé à l'embryon. ».
1134
Art. L. 1244-6 Code de la santé publique.
1135
Art. L. 2141-6 al. 4 Code de la santé publique.
337
celle d‘ordre psychologique1136. Pareille interprétation, où l‘enfant est malade des suites
du secret, ne pourrait pourtant donner lieu, en vertu de la loi, qu‘à une communication
d‘informations non identifiantes puisque « [l]‘identité du donneur (ou du couple dans
l‘accueil d‘embryon) n‘est connue que de l‘équipe médicale et conservée sous forme
codée dans le dossier »1137. Les dossiers de procréation médicalement assistée sont
complètement séparés de l‘ensemble des dossiers médicaux de l‘hôpital et sont conservés
dans les Centres d'Études et de Conservation des Œufs et du Sperme (CECOS) qui sont
les seuls à pouvoir opérer le décodage1138. Cela fait d‘ailleurs souvent dire que
l‘anonymat n‘est que partiel parce que dirigé vers certains individus alors que d‘autres
1136
Marie-France Nicolas-Maguin, « L‘enfant et les sortilèges : réflexions à propos du sort que réservent les
lois sur la bioéthique au droit de connaître ses origines », dans Recueil Dalloz, 1995 à la p. 75, En ligne sur :
<http://www.dalloz.fr/> (Date d‘accès : 6 novembre 2009).
1137
F. Dreifuss-Netter, « La connaissance des origines en droit français », (2002) 9 : Suppl 2a Archives
Pédiatriques 277 à la p. 278s [Dreifuss-Netter, « Connaissance »].
1138
Voir art. R. 1244-5 Code de la santé publique : « Pour remplir les obligations prévues à l'article L.
1244-6, les organismes et établissements de santé autorisés pour les activités mentionnées au d du 1° et au c
et d du 2° de l'article R. 2142-1 conservent des informations sur le donneur.
Le dossier du donneur contient, sous forme rendue anonyme :
1° Les antécédents médicaux personnels et familiaux nécessaires à la mise en oeuvre de l'assistance
médicale à la procréation avec tiers donneur ;
2° Les résultats des tests de dépistage sanitaire prévus aux articles R. 1211-25 et R. 1211-26 ;
3° Le nombre d'enfants issus du don ;
4° S'il s'agit d'un don de sperme, la date des dons, le nombre de paillettes conservées, la date des mises à
disposition et le nombre de paillettes mises à disposition ;
5° S'il s'agit d'un don d'ovocyte, la date de la ponction et le nombre d'ovocytes donnés ;
6° Le consentement écrit du donneur et, s'il fait partie d'un couple, celui de l'autre membre du couple ;
Les praticiens agréés pour les activités mentionnées au premier alinéa, conformément à l'article L. 2142-11, sont responsables de la bonne tenue du dossier et de l'exactitude des informations qui y sont consignées.
Ce dossier est conservé pour une durée minimale de quarante ans et quel que soit son support sous forme
anonyme. L'archivage est effectué dans des conditions garantissant la confidentialité.
Le donneur doit, avant le recueil ou le prélèvement des gamètes, donner expressément son consentement à
la conservation de ce dossier.
Les informations touchant à l'identité des donneurs, à l'identification des enfants nés et aux liens
biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement
leur confidentialité. Seuls les praticiens agréés pour les activités mentionnées au premier alinéa ont accès à
ces informations. »; Voir également : art. R. 1244-6 Code de la santé publique : « En vue de se conformer
aux prescriptions de l'article L. 1244-4 et pour permettre l'accès aux informations médicales dans les
conditions prévues à la deuxième phrase de l'article L. 1244-6, l'établissement ou l'organisme conserve
toute information relative à l'évolution des grossesses induites par un don de gamètes, y compris leur
éventuelle interruption, la date de naissance et l'état de santé des nouveau-nés et des enfants. ».
338
possèdent l‘information identifiante1139. « Ce détenteur du secret est donc placé en
situation de puissance, de toute puissance même, du fait de ses obligations légales et ce
vis-à-vis des principaux intéressés que sont donneurs et receveurs. »1140
Qui plus est, le caractère fondamental du principe d‘anonymat en matière d‘AMP
est renforcé par l‘adoption d‘une disposition dans le Code pénal français en vertu de
laquelle « [l]e fait de divulguer une information permettant à la fois d'identifier une
personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple qui les a reçus est puni de
deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende »1141.
Le droit québécois ne fait pas de mention explicite de la protection du secret des
parents, mais l‘état du droit français permet de bien constater une opacité distinctive entre
le mode de conception et la question de l‘anonymat. De fait, « [l]es époux ou les
concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant
l'intervention d'un tiers donneur, doivent préalablement donner, dans des conditions
garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire, qui les informe des
conséquences de leur acte au regard de la filiation »1142 (Nous soulignons). Les parents
1139
« Il ne s‘agit d‘un anonymat absolu qu‘entre donneur et receveur et d‘un anonymat relatif à l‘égard de
l‘institution médicale, tiers instruit. » Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique », supra note 780 à
la p. 14.
1140
Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la p. 83.
1141
Art. 511-10 Code pénal. Le législateur français réglemente beaucoup par renvoi. Aussi, cet article de loi
est repris à l‘article L. 1273-3 Code de la santé publique. Il faut noter qu‘en France il n‘y a pas de partage
des compétences comme au Canada. Aussi, il n‘y a pas lieu de se demander si le législateur est intervenu
dans le domaine de la procréation assistée en vertu d‘une compétence en matière de droit pénal (la France
ne distingue pas le droit pénal du droit criminel) ou civil.
1142
Art. 311-20 al. 1 Code civil; Voir également art. 1157-2 Code de procédure civile : « Les époux ou
concubins qui recourent à une assistance médicale à la procréation nécessitant l'intervention d'un tiers
donneur, prévue à l'article 311-20 du code civil, y consentent par déclaration conjointe devant le président
du tribunal de grande instance de leur choix ou son délégué, ou devant notaire.
La déclaration est recueillie par acte authentique hors la présence de tiers.
339
n‘ont donc aucune obligation légale de dévoiler à l‘enfant son mode de conception qui
demeure entièrement lié à la sphère privée du couple. Bien au contraire, cela leur est
certifié dans la loi. L‘encadrement législatif de l‘anonymat des dons dans trois codes
différents ainsi que cette garantie législative d‘un droit au secret quant au mode de
conception confirment en somme le caractère essentiel de ces deux principes en France
pour en arriver à un gommage total de l‘acte d‘engendrement afin de l‘insérer dans le
processus naturel de la vie1143.
L‘entérinement par le législateur du principe d‘anonymat s‘inscrit dans la
continuité d‘une longue tradition découlant de la pratique médicale en matière de
procréation assistée1144. Dès le milieu du 19e siècle et jusque dans les années 70, en
France, les dons de sperme étaient pratiqués de manière clandestine du fait des réactions
d‘ordre moral qu‘ils suscitaient. La création des CECOS eut pour objectif de répondre à
une triple finalité : faciliter, encadrer l‘insémination artificielle avec donneur et
développer les recherches sur la procréation humaine1145. En 1973, lors de la mise en
place de ces organismes par Georges David, leur charte prévoyait déjà l‘anonymat. En
l‘absence d‘une loi spécifique, le secret absolu de l‘identité des donneurs s‘était élevé au
statut de règle de conduite chez les praticiens. L‘anonymat faisait l‘objet d‘un large
Expédition ou copie de l'acte ne peut être délivrée qu'à ceux dont le consentement a été recueilli. ».
1143
Marcela Iacub, « La construction juridique de la nature dans la reproduction hors-nature : les
fécondations artificielles dans les lois de bioéthiques », dans F. Ronsin, H. Le Bras et E. Zucker-Rouvillois,
dir., Démographie et politique, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 1997, 161 aux pp. 166-167 :
L‘auteure ajoute que l‘assistance médicale à la procréation n‘a pas pour fonction d‘imiter la nature mais de
se substituer totalement à celle-ci jusqu‘à constituer un crime parfait. « L‘AMP suppose que le monde des
faits ne pose plus d‘interdits aux manipulations du droit et ce qui plus important encore : la puissance de la
loi est si absolue, ses moyens d‘action sont si sournois qu‘elle arrive à cacher ses propres mécanismes en les
attribuant à une instance tierce, la nature, qui n‘est autre chose que la loi elle-même. » Ibid. à la p. 169.
1144
« Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 130-8; Kunstman, « Remise en cause »,
supra note 42 à la p. 2.
1145
Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique », supra note 780 à la p. 13.
340
consensus tant parmi les spécialistes de la procréation assistée que dans l‘opinion public.
Ce qui fait dire à certains que c‘est en fait un principe déontologique qui été entériné par
les lois de 19941146. D‘autres conservent l‘appellation de principe éthique1147 ou
bioéthique de la loi française1148.
En réalité, il ne s‘agit pas que de la codification de la pratique médicale dans le
domaine de la procréation assistée. Le principe d‘anonymat n‘est pas né des lois de
bioéthique car il existait depuis longtemps en matière de don de sang, don de sperme,
d‘accouchement sous X ainsi qu‘en ce qui concerne la propriété littéraire et artistique1149.
Dans l‘esprit du législateur de l‘époque, deux principaux fondements soutirent l‘adoption
du précepte de l‘anonymat. Il s‘agissait tout d‘abord de renforcer la règle de la gratuité du
don des éléments et produits du corps humain1150, en coupant toute relation entre
donneurs et receveurs. En découle un corollaire indispensable de la convention de non
patrimonialité1151 pour tout don d‘élément ou produit du corps humain. L‘anonymat en
constituerait même un rempart indispensable. Le second principe à protéger était
l‘oblativité du don, c‘est-à-dire l‘abandon désintéressé à autrui sans risque de retour. Cela
vise à empêcher la constitution d‘un lien personnel entre l‘enfant et le donneur, qui ne
saurait être considéré comme un parent. Il s‘agit également de protéger le projet parental
1146
Mouneyrat, supra note 864 à la p. 50; À cette époque, le don de sperme était anonyme et le don
d‘ovocyte pratiqué avec des donneuses amenées par le couple. Dreifuss-Netter, « Connaissance », supra
note 1137 à la p. 278s; Pour une description des principes éthiques établis par les CECOS, voir : Derek J.
Jones, « Artificial Procreation, Societal Reconceptions : Legal Insight from France », (1988) 36 Am. J.
Comp. L. 525 aux pp. 533-537.
1147
Rives, supra note 53 à la p. 696.
1148
Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la p. 81.
1149
Gaumont-Prat, « Révision des lois de bioéthique », supra note 780 à la p. 11.
1150
Principe consacré aux articles 16-6 Code civil et L. 1211-4 Code de la santé publique.
1151
Celui-ci est codifié à l‘article 16-1 Code civil.
341
familial1152. En France, de manière générale, en ce qui concerne les éléments ou les
produits du corps humain, « alors que le don passe par le transfert à autrui de biens de
valeur symbolique qui témoignent des liens qui unissent les personnes, la loi empêche la
création d‘une telle relation »1153. Il n‘est donc pas étonnant qu‘en plus d‘imposer
l‘anonymat soit interdit le don dirigé. L‘absence de liens est ainsi soulignée par
l‘ignorance des destinataires du don et de l‘origine de celui-ci1154.
Qui plus est, suite à l‘adoption des lois de bioéthique, le Conseil constitutionnel
considéra, en 1994, qu‘aucun motif d‘inconstitutionnalité n‘affectait le principe
d‘anonymat en matière de don d‘engendrement1155. Il fut jugé que « l‘interdiction de
donner les moyens aux enfants de connaître l‘identité des donneurs ne portait pas atteinte
à la protection de la santé garantie par le préambule de la Constitution de 1946 et que les
dispositions prises en matière de filiation ne portaient pas atteinte à aucun principe à
valeur constitutionnelle »1156.
Concernant les conséquences juridiques pour le tiers donneur, qu‘il s‘agisse de
sperme ou d‘ovules1157, une protection à son égard est prévue en vertu du droit français
grâce à une exclusion de tout lien de filiation entre l‘auteur d‘un don et l‘enfant qui en est
1152
Dreifuss-Netter, « Connaissance », supra note 1137 à la p. 279s; Gaumont-Prat, « Révision des lois de
bioéthique », supra note 780 à la p. 13; Guibert et Azria, supra note 42 aux pp. 363-364; Granet, supra note
128 à la p. 37.
1153
Thouvenin, « Droit de la bioéthique », supra note 955 à la p. 149 (par. 109).
1154
Ibid.; Kernaleguen, supra note 843 à la p. 40.
1155
Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, En ligne : <http://www.conseilconstitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-par-date/1994/94343/344-dc/decision-n-94-343-344-dc-du-27-juillet-1994.10566.html> (Date d‘accès : 4 novembre 2009).
1156
« Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 130-7.
1157
« Filiation et procréation médicalement assistée », dans Dictionnaire Permanent Bioéthique et
Biotechnologie, supra note 8 à la p. 986 [« Filiation et procréation »].
342
issu. Aucune action en responsabilité ne peut être intentée contre le donneur 1158. À ce
niveau, l‘état du droit est presque le même qu‘au Québec, mais la position de certains
auteurs français sur les fondements de cet article est fort intéressante car elle laisse
entendre qu‘il y a un manque de cohérence dans le droit de la filiation en France.
Caroline Bris note par exemple qu‘en excluant tout lien entre l‘enfant et le
donneur, toute l‘importance de ce dernier, dont l‘acte va permettre de conférer la vie et de
procréer, est niée par le législateur. De son avis, la terminologie employée pour nommer
le "père biologique" n‘en fait qu‘un géniteur à qui on enlève tout droit et qui se trouve par
là même déchargé de toute responsabilité. Cela va jusqu‘à effacer son intervention.
L‘élément sensible concerne le statut à octroyer à ce donneur qui, en bout de ligne, a
permis de procréer. Ce "tiers" semble être un individu quelque peu gênant au regard du
schéma familial traditionnel français. Le fait que le législateur ait du mal à lui laisser une
place et le relègue à une simple fonction utilitaire dérange car, compte tenu des
fondements du système de filiation, que nous voyons ci-après, il devrait en principe être
un parent. L‘auteure ajoute qu‘en combinant l‘article 311-19 du Code civil à l‘article 16-8
qui prévoit l‘anonymat, « le législateur fait disparaître de la vie de l‘enfant celui qui a
permis sa naissance. Ainsi, il évoque l‘existence du père biologique, le relègue au rang de
tiers donneur et fait comme si le père désigné par le droit, le père "socio-affectif" était le
père biologique »1159. Le parent non lié génétiquement à l‘enfant, et reconnu par la loi,
est-il alors également de trop?
1158
Art. 311-19 Code civil.
Caroline Bris, « L‘assistance médicale à la procréation : quelle incidence sur le droit de la filiation? »,
(2006) 21 Revue générale de droit médical 133 aux pp. 138-139; Un entretien en octobre 2009 avec
Catherine Labrusse-Riou nous a mené à un constat semblable.
1159
343
Cet appel à l‘incohérence du droit de la filiation français découle du fait que,
depuis 1972, année de la grande loi applicable au domaine filial, le législateur tend, règle
générale, à établir la filiation juridique à partir de la biologie et que les filiations ne
correspondant pas à la "vérité" ont vocation à être contestées en justice. Cela se base sur
le postulat qu‘il n‘est pas dans l‘intérêt de l‘enfant de maintenir une filiation légale qui ne
correspond ni à la vérité biologique, ni à la vérité sociologique1160. Or, dans le contexte
des dons de gamètes et d‘embryons, il y a dissociation du corps et de la personne dans ses
facultés reproductrices, et cela vient ébranler le droit français qui se fonde d‘abord sur la
matérialité des actes et non sur les intentions qui les motivent1161.
Même la grande réforme de 20051162 contribue au maintien de cette philosophie en
supprimant les derniers filtres par lesquels devaient passer les actions en recherche de
paternité et de maternité. Désormais, si une action relative à la filiation est déjà
engagée1163, cette dernière « se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la
recevabilité de l‘action »1164. L‘importance de la vérité biologique, en termes d‘expertise
génétique, est affirmée en matière de filiation en rendant celle-ci de plein droit, sauf s‘il
existe un motif légitime de ne pas l‘ordonner1165. D‘autre part :
« [e]ncore faut-il se trouver dans le cadre d‘un procès : à la différence
d‘autres législations, la loi française affirme que l‘identification d‘une
personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que sur
décision du juge saisi d‘une action tendant à l‘établissement ou à la
1160
Françoise Dekeuwer-Défossez, « La filiation en cas d‘assistance médicale à la procréation », dans
Feuillet-Le Mintier, supra note 843, 209 aux pp. 210 et 217.
1161
Labrusse-Riou, « Échange », supra note 1129 à la p. 17.
1162
Ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, JORF n°156 du 6 juillet 2005
page 11159, texte n° 19.
1163
Art. 318-337 Code civil.
1164
Art. 310-3 Code civil.
1165
Cass. 1re civ., 28 mars 2000; « Filiation et procréation », supra note 1157 à la p. 981.
344
contestation d‘un lien de filiation (art. 16-11 issu de la loi du 29 juillet
1994). Les expertises «privées» sont donc prohibées […]. »1166
De manière générale, Laurence Brunet remarque que rien ne s‘oppose à ce que le
contentieux de la filiation soit au service de la manifestation de la vérité biologique1167.
Outre l'exigence d'un cadre judiciaire, il existe néanmoins des limites à la vérité
biologique et, parmi celles-ci, se trouve l‘absence de lien de filiation entre un tiers
donneur et l‘enfant issu d‘une procréation médicalement assistée1168. Dans ce contexte, le
recours à l‘analyse génétique est impossible.
Il nous est particulièrement ardu de saisir l‘ampleur de l‘ambiguïté que suscite la
législation française en matière de don d‘engendrement et de filiation, surtout quand nous
concevons que, lorsque le législateur colle la filiation des enfants nés d‘un don sur le
modèle de la filiation charnelle, ou parle sang, celui-ci tend à faire correspondre l‘objectif
de la procréation assistée de l‘enfant avec sa réalité sociale. Le système québécois de
filiation est construit sur un modèle en apparence semblable lorsqu‘il s‘agit de la
procréation assistée. Certains auteurs soulignent pourtant que, en France, un droit spécial,
en marge du droit commun, est créé1169. Le Titre VII – De la filiation, concernant la
filiation charnelle1170 et qui est inclus dans le Livre 1 – Des personnes du Code civil
français, consacre en ce sens une section particulière à la procréation médicalement
assistée dans son chapitre sur les dispositions générales applicable à la filiation. Ce titre
1166
Hugues Fulchiron, « Égalité, vérité, stabilité dans le nouveau droit français de la filiation », (2006) 146
Droit & Patrimoine 44 à la p. 50.
1167
Brunet, supra note 120 à la p. 95.
1168
Fulchiron, supra note 1166 aux pp. 50 et suivantes; Sur l‘importance accrue de la vérité affective dans
le droit de la filiation : Florence Millet, « La vérité affective ou le nouveau dogme de la filiation », (2006) 7
La semaine juridique – Édition générale 303.
1169
Bris, supra note 1159 à la p. 136.
1170
Expression équivalente de « filiation par le sang ».
345
se distingue explicitement de l‘adoption qui se trouve au Titre VIII. De plus, nulle
mention n‘est faite des procréations assistées faites dans un contexte endogène. Auquel
cas, le législateur, « voile totalement l‘existence d‘actes scientifiques nécessaires à la
conception et assimile [totalement] la filiation de ces enfants à la catégorie de filiation
dite «charnelle» »1171. Cette assimilation aurait ainsi pour conséquence de superposer au
droit commun de la filiation un droit spécial applicable aux enfants issus d‘une
procréation assistée exogène1172.
Il en est de même au Québec. La filiation de la procréation assistée, qui ne
concerne pas la procréation autologue, se trouve au chapitre du Code civil1173 consacré à
la filiation par le sang, qui se distingue de la filiation par l‘adoption. Bien qu‘en
constituant sous chapitre distinct, c‘est une classification à première vue étrange car la loi,
lors du recours à un tiers donneur, construit une filiation copiée en grande partie sur le
modèle charnel, là où aucun lien de sang n‘existe. Tel que noté en section 1, la recherche
de la réalité biologique n‘a par contre jamais été l‘objectif des règles entourant
l‘agencement de la filiation au Québec1174, mais plutôt d‘inclure ces filiations issues
d‘actes de volonté dans la tradition de l‘engendrement charnel.
Peut-être est-ce là la distinction qui nous échappe. Ce n‘est pas tant la forme du
modèle de filiation que ses fondements qui sont source de malaise en France puisque la
vérité biologique y occupe, en droit, une plus grande place qu‘au Québec. Si nous
1171
Bris, supra note 1159 à la p. 139.
Ibid. à la p. 137.
1173
Code civil du Québec, supra note 18.
1174
Kirouack, supra note 886 à la p. 377.
1172
346
poursuivons la comparaison entre les deux systèmes législatifs, qui se ressemblent du
point de vue de la forme et du contenu, la contradiction apparaît plus clairement pour qui
n‘est pas familié avec la nature du droit français de la filiation. Ainsi, même si l‘article
310-19 du Code civil et l‘article 538.2 alinéa 1 du Code civil du Québec1175 prévoient tous
deux une exclusion de responsabilité du donneur, qui n‘est pas considéré comme un
parent aux yeux de la loi, puisque la France donne la priorité à la biologie dans la
constitution de son système de filiation, il est possible d‘y voir de l‘incohérence. Le
recours à l‘anonymat participe à ce mouvement en visant l‘origine de l‘enfant et le
donneur lui-même1176. Contrairement à ce qu‘il se passe au Québec, le fait que le
législateur français s‘attache à pourvoir cette négation totale de lien avec le géniteur
d‘une super filiation avec les titulaires du projet parental1177,1178 est somme toute de
moindre importance. De plus, que la procréation réalisée grâce à un donneur cherche à
fonder la filiation qui en résultera sur la volonté du ou des bénéficiaires du don pose
problème1179. En France, on considère que la volonté ne devrait pas se confondre avec le
biologique. Elle ne peut donc servir de fondement à un lien de filiation. Au Québec, la
1175
Supra note 18.
« [S]i l‘on se tourne vers le droit de la filiation charnelle (ce que demeure l‘assistance médicale à la
procréation), force est de constater que ce dispositif, fondé sur l‘anonymat du donneur et l‘irrecevabilité de
la filiation, contredit ouvertement un droit commun où la vérité biologique prévaut, sans pour autant bâtir le
système des fictions institutionnelles puisque tout repose sur la seule volonté parentale et médicale ».
Labrusse-Riou, « Étude critique », supra note 640 à la p. 97.
1177
Voir l‘article 311-20 al. 2 et 4 Code civil qui dictent que « [l]e consentement donné à une procréation
médicalement assistée interdit toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation à moins
qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le
consentement a été privé d'effet. […] [De plus, c]elui qui, après avoir consenti à l'assistance médicale à la
procréation, ne reconnaît pas l'enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers
l'enfant. »; Au Québec, pour l‘équivalent, voir l‘article 539 du Code civil du Québec, supra note 18 : « Nul
ne peut contester la filiation de l'enfant pour la seule raison qu'il est issu d'un projet parental avec assistance
à la procréation. Toutefois, la personne mariée ou unie civilement à la femme qui a donné naissance à
l'enfant peut, s'il n'y a pas eu formation d'un projet parental commun ou sur preuve que l'enfant n'est pas
issu de la procréation assistée, contester la filiation et désavouer l'enfant.
Les règles relatives aux actions en matière de filiation par le sang s'appliquent, avec les adaptations
nécessaires, aux contestations d'une filiation établie par application du présent chapitre. ».
1178
Granet, supra note 128 à la p. 43.
1179
Labrusse-Riou, « Médecine moderne », supra note 63 à la p. 429.
1176
347
volonté des parents, par le biais de leur projet parental1180, est au contraire une condition
préalable à l‘établissement de la filiation d‘un enfant né d‘une procréation assistée. Il n‘y
a pas cette dichotomie de cohérence entre vérité biologique, vérité affective ou sociale et
projet parental comme fondements du système de filiation. En conclusion du chapitre 2,
nous allons même jusqu‘à contester la nécessité de l‘anonymat comme garant de la
parenté des receveurs et ce, dans la mesure où nous ne considérons pas le donneur comme
un parent1181.
Peut-être même que la condition d‘accès française à la procréation assistée, c‘està-dire la visée thérapeutique, contribue à cette vision des choses. De fait, il existe des
différences entre nos deux régimes puisque le Québec conçoit l‘hypothèse de la
procréation amicalement assistée1182, qui n‘existe tout simplement pas en France. En
effet, dans ce pays, si une insémination est privément assistée, réalisée hors du cadre légal
et avec un donneur connu, rien ne s‘oppose à la confirmation d‘un lien de filiation à
l‘égard du donneur et à la solution du conflit de filiation applicable en vertu du droit
commun1183. C‘est une position qui, bien que nous ne soyons pas en accord avec elle
puisque cela correspond avec une réalité qu‘on ne peut pas ignorer (même en France la
procréation amicalement assistée est pratiquée dans l‘intimité des individus), découle
directement des conditions françaises d‘accès à l‘assistance à la procréation qui doit se
1180
Voir l‘article 538 du Code civil du Québec, supra note 18 : « Le projet parental avec assistance à la
procréation existe dès lors qu'une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d'avoir un enfant, de
recourir aux forces génétiques d'une personne qui n'est pas partie au projet parental. ».
1181
« Imposer la filiation au donneur aurait pour conséquence d‘éliminer tout fondement relationnel et
volontariste de la filiation au profit du seul fait biologique, alors que les anthropologues nous montrent qu‘à
elle seule la biologie n‘est jamais suffisante à fonder le lien social ». Labrusse-Riou, « Médecine
moderne », supra note 63 à la p. 436.
1182
Code civil du Québec, supra note 18, art. 538.2 al. 2.
1183
Catherine Labrusse-Riou, « Filiation », dans Répertoire de droit civil Dalloz, 1995 à la p. 55.
348
faire pour des motifs médicaux. Cette particularité fait dire à certains auteurs que
l‘assistance médicale à la procréation est une forme médicalisée d‘infidélité1184. Pis
encore, le critère thérapeutique est même considéré par des auteurs comme une
incohérence en soi car dans le cas d‘une procréation hétérologue, le don n‘est pas fait
dans une perspective médicale, puisqu‘il ne traite pas la cause de la stérilité. Cela ne fait
que proposer au couple une autre forme de procréation plutôt que de guérir l‘homme ou la
femme souffrant d‘une déficience physique l‘empêchant de procréer1185. Il ressort par
contre clairement de l‘état du droit que le législateur hésite à fonder l‘intervention
médicale sur la seule volonté du couple demandeur1186.
En dehors de son cadre légal en matière d‘assistance médicale à la procréation, il
existe en France une autre institution qui a un impact direct sur la question des origines. Il
s‘agit de l‘accouchement sous X.
3- CONNEXE ET DIFFÉRENT : L’ACCOUCHEMENT SOUS X
L‘institution de l‘anonymat est de longue date en France. Depuis 1941, il est
possible pour les femmes d‘accoucher sans que leur identité soit déclinée. L‘actuel article
326 du Code civil prévoit en effet que « [l]ors de l'accouchement, la mère peut demander
que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». Originairement,
l‘accouchement sous X fut mis en place afin d‘assurer la seule prise en charge caritative
1184
Frédérique Dreifuss-Netter, « La filiation de l‘enfant issus de l‘un des partenaires du couple et d‘un
tiers », (1996) RDT Civ. 1, En ligne sur : <http://www.dalloz.fr/> (Date d‘accès : 5 novembre 2009).
1185
Depadt-Sebag, supra note 1128 à la p. 891.
1186
Nicolas-Maguin, « Droit de la filiation », supra note 787 au para. 54.
349
d‘enfants nouveau-nés abandonnés aux fins d‘éviter, entre autre chose, l‘infanticide. Cette
tradition d‘assistance s‘est par la suite doublée d‘une protection de la maternité secrète à
travers divers textes1187.
Distinctivement de la procréation médicalement assistée, l‘accouchement sous X a
connu une modification de son régime juridique avec l‘adoption de la Loi n° 2002-93 du
22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de
l'État1188. Dans cette dernière, « [l]e législateur a tenté d‘améliorer la procédure de
recherche des origines personnelles, sans, pour autant, souhaiter remettre en cause le droit
de l‘accouchement sous X. Ainsi, il ne confère pas à une personne «le droit» de connaître
ses origines »1189. Il permet simplement la réversibilité du secret de l‘identité en
reconnaissant l‘importance pour toute personne de connaître ses origines 1190. Afin
d‘encadrer la procédure, est ainsi mis en place le Conseil National pour l‘Accès aux
Origines Personnelles (CNAOP)1191.
En laissant les conditions de la levée du secret au consentement de la mère, la loi
édicte notamment que :
1187
CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 9.
JORF du 23 janvier 2002, page 1519, texte n° 2.
1189
Laurence Azoux Bacrie, « Accès à la connaissance des origines personnelles et médiation », dans
Gérard Teboul, dir., Procréation et droits de l’enfant – Actes de Rencontres internationales organisées les
16, 17 et 18 septembre 2003 par l’Observatoire international du droit de la bioéthique et de la médecine,
Bruxelles, Bruylant/Nemesis, 2004, 95 à la p. 98.
1190
Ibid. à la p. 99.
1191
Voir : France – Ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville,
Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles, En ligne : <http://www.cnaop.gouv.fr/> (Date
d‘accès : 15 septembre 2009); Le CNAOP est régi par les dispositions L. 147-1 à L. 147-11 du Code de
l’action sociale et des familles.
1188
350
« [l]e Conseil national pour l'accès aux origines personnelles reçoit :
1° La demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant formulée:
- s'il est majeur, par celui-ci ;
- s'il est mineur, et qu'il a atteint l'âge de discernement, par celui-ci avec
l'accord de ses représentants légaux ;
- s'il et majeur placé sous tutelle, par son tuteur ;
- s'il est décédé, par ses descendants en ligne directe majeurs;
2° La déclaration de la mère ou, le cas échéant, du père de naissance par
laquelle chacun d'entre eux autorise la levée du secret de sa propre
identité;
3° Les déclarations d'identité formulées par leurs ascendants, leurs
descendants et leurs collatéraux privilégiés;
4° La demande du père ou de la mère de naissance s'enquérant de leur
recherche éventuelle par l'enfant. »1192
Il demeure par contre que « [l] 'accès d'une personne à ses origines est sans effet sur l'état
civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que
ce soit »1193. La femme qui demande la préservation du secret de son identité lors de son
accouchement doit malgré tout être informée des conséquences juridiques de sa requête et
de l‘importance, pour toute personne, de connaître ses origines et son histoire1194.
1192
Art. L. 147-2 Code de l’action sociale et des familles; Le concept d‘enfant ayant atteint l‘âge de
discernement fut introduit dans le droit par la Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de
l'enfance, JORF n°55 du 6 mars 2007, page 4215, texte n° 7, art. 11; Sur ce point, voir l‘enquête
commandée par le CNAOP et publiée au printemps 2010 : Conseil National pour l‘Accès aux Origines
Personnes – Groupe de travail sur les personnes mineures et l‘âge de discernement, Les demandes d’accès
aux origines personnelles émanant de personnes mineures : l’âge de discernement, France, Mars 2010, En
ligne : <http://www.cnaop.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-mineurs-2010-def.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre
2010).
1193
Art. L. 147-7 Code de l’action sociale et des familles; Attention, depuis la Loi n° 2009-61 du 16 janvier
2009 ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou
abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation (JORF n°0015 du 18 janvier 2009, page 1062,
texte n° 1), « l‘enfant qui aurait retrouvé l‘identité de sa génitrice pourra agir en justice pour établir sa
maternité légale, si le délai pour agir n‘est pas expiré (dix ans à compter de sa majorité) et si, surtout, il est
dépourvu de tout lien de filiation ». Brunet, supra note 120 à la p. 97.
1194
Art. L. 222-6 al. 1 Code de l’action sociale et des familles; « Elle est donc invitée à laisser, si elle
l'accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la
naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout
moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les
351
Le rapport annuel 2008 du CNAOP fait état de quelques statistiques intéressantes
concernant l‘accouchement sous X. Entre le 12 septembre 2002 et le 31 janvier 2009, 3
892 demandes d‘accès aux origines personnelles ont été enregistrées (3 471 au
31/12/2007) et 2 932 dossiers ont fait l‘objet d‘une clôture, soit 75,3 % (2288 au
31/12/2007, soit 65,9%) Deux types de clôture sont présentés. D‘abord, les clôtures
provisoires au nombre 1 818, dont 1 394 pour identification impossible et 419 pour refus
de communication de l‘identité. Puis, les clôtures définitives au nombre de 1 119, dont 1
018 suite à une communication d‘identité et 101 suite à des désistements 1195. Les résultats
partiels d‘une enquête sur le profil des mères, ceux-ci concernant une période allant du 1er
juillet 2007 et le 30 juin 2008, montrent quant à eux que seulement une petite partie de
ces femmes ont laissé leur identité dans le dossier de l‘enfant1196.
En 2003, la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l‘Homme s‘est
penchée sur la validité de l‘accouchement anonyme dans l‘affaire Odièvre c. France1197.
Se basant sur les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et
conditions prévues à l'article L. 147-6. Elle est également informée qu'elle peut à tout moment donner son
identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu'elle a donnés au moment de la naissance. Les
prénoms donnés à l'enfant et, le cas échéant, mention du fait qu'ils l'ont été par la mère, ainsi que le sexe de
l'enfant et la date, le lieu et l'heure de sa naissance sont mentionnés à l'extérieur de ce pli. » Ibid.
1195
Ministère du Travail, des Relations Sociales, de la Famille et de la Solidarité, Conseil National pour
l’Accès aux Origines Personnes – Rapport d’activité 2007-2008, France, 2008 aux pp. 4-5, En ligne :
<http://www.cnaop.gouv.fr/IMG/pdf/CNAOP_Rapport_d_activite_2007_08_V2.pdf> (Date d‘accès : 12
septembre 2010).
1196
Voir : Catherine Villeneuve–Gokalp (Institut national d‘études démographiques), Étude sur les mères
de naissance qui demandent le secret de leur identité lors de leur accouchement – Enquête CNAOP-INED
Rapport
d’étape
:
résultats
partiels,
France,
Mars
2010,
En
ligne :
<http://www.cnaop.gouv.fr/IMG/pdf/Bilan_mars.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre 2010).
1197
Requête
no
42326/98,
Arrêt,
Strasbourg,
13
février
2003,
En
ligne :
<http://www.coe.int/T/F/affaires_juridiques/Coop%E9ration_juridique/Droit_de_la_famille_et_droits_des_
enfants/Arr%EAts/odi%E8vre%20-%2042326jnv.gc%2013022003f.asp> (Date d‘accès : 12 septembre
2010). [Ci après « affaire Odièvre »].
352
des libertés fondamentales1198, Pascale Odièvre, née sous X et cherchant à obtenir toutes
les informations concernant sa venue au monde en plus des données non identifiantes déjà
en sa possession, demande l'obtention de renseignements sur des aspects éminemment
personnels de son histoire et de son enfance. Tel que rapporté dans le jugement, elle
affirme que la recherche de son identité fondamentale fait partie intégrante de sa « vie
privée », mais également de sa « vie familiale », c‘est-à-dire celle de sa famille naturelle
avec qui elle pourrait établir des liens affectifs si la loi française ne l'en empêchait pas 1199.
La requête fut pourtant rejetée par la majorité et le dispositif français de
l‘accouchement sous X validé. Si le droit de connaître ses origines relève bel et bien du
droit à la vie privée édicté à l‘article 8, les juges concluent qu‘il n‘a pas été violé par la
France puisque l‘enfant né sous X en France peut avoir accès aux informations
identifiantes de la mère si elle y consent et ce, par l‘intermédiaire d‘un organisme
indépendant. La Cour a notamment estimé que les États parties à la Convention
européenne disposaient d‘une marge d‘appréciation importante pour concilier le droit aux
origines avec les intérêts légitimes pouvant justifier l‘anonymat. En l‘espèce, il a été jugé
qu‘il y a un juste équilibre des intérêts en cause : celui de la mère au secret et celui de
1198
Rome, 4.XI.1950, art. 8 et 14, En ligne : <http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFran%C3%A7ais.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre 2010) [Ci-après
la « Convention européenne »] : « Article 8 Droit au respect de la vie privée et familiale : 1. Toute personne
a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est
nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de
l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la
protection des droits et libertés d'autrui.
Article 14 Interdiction de discrimination : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente
Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la
langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale,
l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
1199
Odièvre c. France, supra note 1197 par. 9-14 et 25-27.
353
l‘enfant à la connaissance de ses origines1200. Les arguments du droit au respect de la vie
familiale et de la discrimination sont quant à eux rejetés par la Cour.
Ce raisonnement est-il applicable à l‘anonymat en vigueur dans le cadre de la
procréation assistée? Y a-t-il lieu de modifier le régime juridique applicable aux dons
d‘engendrement afin qu‘il rejoigne celui de l‘accouchement sous X, à défaut d‘avoir une
abolition complète de l‘anonymat du tiers donneur? Les réponses sont variables. Certains
considérèrent que l‘enfant né sous X et l‘enfant adopté ont été abandonnés par leurs
parents d‘origine alors que celui né suite à un don de gamètes ou d‘embryon existe grâce
au désir de ceux qui voulaient être ses parents et qui sont désignés comme tels par la loi.
Pour d‘autres, l‘opposition entre l‘accouchement anonyme et les techniques de
procréation assistée n‘est pas aussi tranchée qu‘il n‘y paraît d‘abord. Pour cette raison,
une extension du modèle du CNAOP serait indiquée1201. La distinction entre abandon et
désir d‘enfant revient donc en force dans la différence des régimes appliqués à la
procréation assistée.
Dans son rapport de 2009 sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d‘État
transpose la logique développée par la Cour européenne des droits de l‘homme dans
l‘affaire Odièvre au contexte du don d‘engendrement. Il souligne que :
« [d]ans le cas de l‘assistance médicale à la procréation avec donneur, la
question de la protection de la vie privée ne se pose pas, et celle de la
sauvegarde des intérêts matériels du donneur pas davantage puisque la loi
1200
Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 à la p. 375; Conseil d‘État, Les études du Conseil d’État :
La révision des lois de bioéthique, Paris, La documentation Française, 2009 à la p. 54.
1201
Hélène Gaumont-Prat, « Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation» Commentaire de l‘avis
no 90 du CCNE du 26 janvier 2006 », (2006) Médecine & Droit 88 à la p. 89.
354
garantit expressément le donneur contre toute revendication d‘ordre civil
(art. 311-19 du code civil). Les seuls intérêts qui puissent contrebalancer
le droit à la connaissance des origines sont la préservation de la vie
familiale au sein de la famille légale, l‘intérêt moral et familial du donneur
et, accessoirement, l‘impact positif de l‘anonymat sur le nombre de dons.
Il n‘est pas certain que dans la logique de la Cour, ces éléments soient
proportionnés à l‘atteinte que porte l‘anonymat au droit à la connaissance
des origines. »1202
Dans cette réflexion, le Conseil d‘État opère nettement une différenciation entre les
circonstances de l‘accouchement sous X et le recours à un tiers donneur. Cela est en lien
avec la distinction que nous constatons déjà au chapitre 2 entre la procréation assistée et
l‘adoption. D‘ailleurs, le Conseil d‘État, considère qu‘en contexte de don de gamètes ou
d‘embryons il y a lieu d‘être plus exigent et d‘abolir l‘anonymat. Il n‘y a pas qu‘une
simple extension du modèle du CNAOP.
Pour notre part, nous croyons que cette distinction n‘a en définitive que peu
d‘importance car la réflexion présentée par la Grande Chambre de la Cour européenne
des Droits de l‘Homme, telle que transposée par le Conseil d‘État, ne relève pas de
l‘approche relationnelle définie au chapitre 1. Notre conclusion est certes la même que
celle à laquelle en arrive Conseil d‘État, à savoir la levée de l‘anonymat, mais ce qui
importe en l‘espèce c‘est le processus réflectif utilisé. Or, le rapport de proportionnalité
que nous appliquons à la question des origines est différent puisque se basant sur une
approche internormative où la personne est considérée non pas uniquement en rapport à
ses droits, mais dans sa relation avec autrui considérant son interdépendance et le
sentiment de responsabilité que cela doit engendrer. D‘ailleurs, si nous analysons de près
la réflexion du Conseil d‘État, nous pouvons clairement constater que les relations parents
1202
Conseil d‘État, supra note 1200 à la p. 54.
355
– enfant et donnneur – enfant sont soupesées dans une même balance de proportionnalité.
Nous soulevons aussi la question de l‘égalité entre les enfants abandonnés et ceux nés
d‘un don, mais à la différence que cela concerne tout particulièrement l‘anonymat. Or ici,
des éléments concernant surtout le lien parents – enfant quant au secret sont mis dans une
même quête d‘équilibre avec l‘anonymat. Bref, est absente cette distinction analytique
préalable qui devrait être faite entre le secret (lien parents – enfant) et l‘anonymat (lien
donneur – enfant). C‘est comme si cette étape avait tout simplement été sautée si l‘on
prétend apporter à la problématique un regard d‘éthique de sollicitude.
À l‘heure du réexamen des lois de bioéthique, la question de l‘anonymat des dons
revient sur toutes les lèvres. Ce n‘est d‘ailleurs pas la première fois. En 2006, un projet de
loi présenté par Valérie Pécresse proposait notamment l‘instauration d‘un doubleguichet1203. Il ne s‘agit toutefois pas d‘une reconnaissance à proprement parler d‘un droit
à la levée de l‘anonymat et à la connaissance de l‘identité du donneur 1204. En 2007, un
autre projet de loi allait encore plus loin et affirmait l‘accès à l‘identité des père et mère
de naissance en tant que droit1205. Enfin, le 20 octobre 2010, Roselyne Bachelot-Narquin,
Ministre française de la Santé et des Sports, a présenté aux Conseil des ministres le projet
de loi sur la bioéthique1206. C‘est ce dernier que nous analysons ci-après.
1203
Proposition
de
loi
AN
no
3225,
2006,
En
ligne :
<http://www.assembleenationale.fr/12/pdf/propositions/pion3225.pdf> (Date d‘accès: 29 octobre 2010); Sur ce projet de loi : G.
David, « À propos de la proposition de loi (juin 2006) relative à la possibilité de lever l‘anonymat des
donneurs de gamètes », (2007) 35 Gynécologie Obstétrique & Fertilité 486.
1204
« Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 130-7.
1205
Proposition
AN
no
3790,
2007,
<En
ligne :
http://www.assembleenationale.fr/12/pdf/propositions/pion3790.pdf> (Date d‘accès: 29 octobre 2010).
1206
Proposition
AN
no
2911,
2010,
En
ligne :
<http://www.assembleenationale.fr/13/pdf/projets/pl2911.pdf> (Date d‘accès : 29 octobre 2010); France – Conseil des ministres
(extraits), La bioéthique, 20 octobre 2010, En ligne : <http://www.gouvernement.fr/gouvernement/labioethique> (Date d‘accès: 21 octobre 2010).
356
4- ÉVOLUTION LÉGISLATIVE : LE RÉEXAMEN DES LOIS DE
BIOÉTHIQUE
Tel qu‘initialement présenté en octobre 2010, le projet de loi français sur la
bioéthique1207 opère un virage important en vue de se distancer du sacro-saint principe
éthique de l‘anonymat. L‘article 14 présente dans un premier temps les principes
généraux applicables en matière de procréation assistée avec tiers donneur. L‘anonymat
est maintenu avec pour tempérament l‘exception de la nécessité thérapeutique où
l‘identité du donneur peut être transmise au corps médical et donc, uniquement aux
médecins. Le projet de loi autorise néanmoins la transmission d‘informations non
identifiantes, cela n‘étant pas incompatible avec l‘anonymat, et tend à diminuer la portée
de ce dernier en permettant aux enfants majeurs de connaître l‘identité de leur donneur si
ce dernier y consent. Il ne s‘agit pas d‘un double guichet car les couples ne pourront pas
choisir de recourir ou non à un donneur anonyme. L‘article 15 impose conséquemment
d‘informer les donneurs et les receveurs de la possibilité qu‘une demande d‘accès à son
identité soit faite. Le tiers en question est défini à l‘article 16 comme « toute personne,
autre que les parents de l‘enfant, dont les gamètes ont permis la conception de celui-ci
dans le cadre d‘une assistance médicale à la procréation ». Il consentira expressément, par
écrit, à la demande d‘accès à son identité d‘un enfant après en avoir été informé. Cette
demande lui sera transmise par une Commission d‘accès aux données non identifiantes et
à l‘identité du donneur de gamètes qui sera mise en place auprès du ministre chargé de la
santé. Il est intéressant de constater que le consentement n‘est pas donné au moment du
1207
Ibid.; Suite à sa présentation devant le Conseil des ministres, une Commission spéciale chargée
d‘examiner le projet de loi a été créée par l‘Assemblée nationale française. Sur l‘évolution du projet de loi,
voir : France – Assemblée Nationale, Société : bioéthique – Travaux préparatoires, En ligne :
<http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/bioethique.asp> (Date d‘accès : 30 décembre 2010).
357
don, mais postérieurement à la demande d‘accès. Cela montre la réticence française à
l‘égard de la levée de l‘anonymat qui demeure la règle applicable. En vue d‘harmoniser
l‘ensemble de la législation française, les articles 17 et 18 prévoient finalement des
modifications législatives dans le Code civil et le Code pénal.
Dans l‘étude d‘impact, les rédacteurs du projet de loi font un survol de l‘ensemble
des options à leur disposition. Tout en distinguant formellement les deux situations1208, ils
soulignent d‘une part la tendance déjà prise en France en matière d‘accouchement sous X
avec la création du CNAOP. Ils précisent d‘autre part que « la réflexion éthique sur
l‘assistance médicale à la procréation semble être aujourd‘hui parvenue à un point de
maturité où il apparaît que les « gamètes » ne sauraient être soumises à un régime
juridique identique à celui des autres éléments et produits du corps humains, dans la
mesure où elles transmettent l‘hérédité biologique »1209. Comme eux, il n‘est pas faux de
considérer qu‘au total, le juriste est ramené à une question classique de conflit d‘intérêts.
« Le souci du désir des parents ne doit-il pas être contrebalancé par le souci des enfants,
jusqu‘ici peut-être trop méconnu, conformément à l‘idée que l‘intérêt de l‘enfant doit être
l‘élément déterminant pour aménager les conséquences de l‘assistance médicale à la
procréation ? »1210
Quant à l‘analyse même des options, le double guichet est rejeté. Est notamment
tenu compte de l‘opinion de l‘avis 90 du Comité consultatif national d‘éthique français
(CCNE) qui recommande de respecter l‘anonymat des donneurs et des receveurs tout en
1208
Proposition AN no 2911, supra note 1206 aux pp. 64-65 de l‘étude d‘impact.
Ibid à la p. 63 de l‘étude d‘impact.
1210
Ibid.
1209
358
favorisant, ou encourageant, la levée du secret du mode de conception et en permettant
l‘accès de l‘enfant à des informations non identifiantes. La pratique du double guichet
pourrait paraître une voie permettant le libre choix. Néanmoins, le fait de soumettre les
enfants au choix des parents est, de l‘avis du CCNE, source de discrimination entre les
enfants informés et ceux qui ne le sont pas1211. C‘est clairement au détriment de l‘intérêt
de l‘enfant en faisant primer celui des adultes. Il n‘y a là rien de nouveau. Nous l‘avons
déjà souligné au chapitre 2 dans l‘analyse de la relation donneur – enfant.
L‘accès aux données non identifiantes est présenté dans l‘étude d‘impact du projet
de loi comme un socle minimal. Quant à l‘accès optionnel à l‘identité du donneur cela a,
de l‘avis des auteurs, l‘avantage de s‘adapter à la demande des enfants sans faire prévaloir
l‘intérêt des adultes. « Elle permet aux demandeurs, même dans l‘éventualité où le
donneur ne consentirait pas à révéler son identité, de se confronter à la réalité d‘un
consentement ou d‘un refus, après avoir entamé une démarche dont l‘issue n‘est pas
abstraitement déterminée par la loi. »1212
En ce qui concerne le secret, l‘étude d‘impact signale que cela ne peut être
encadré par le législateur et doit demeurer dans les secrets de famille, même si cela peut
être préjudiciable à l‘enfant. Ce secret peut néanmoins s‘inscrire dans la procédure
d‘accompagnement de l‘assistance médicale à la procréation1213.
1211
CCNE, « Avis 90 », supra note 30 à la p. 24.
Proposition AN no 2911, supra note 1206 à la p. 64 de l‘étude d‘impact.
1213
Ibid à la p. 58 de l‘étude d‘impact.
1212
359
En somme, la position adoptée dans le projet de loi français constituerait, selon ses
auteurs, une évolution plus ou moins conséquente souhaitée par les instances qui se sont
exprimées dans le cadre des travaux préparatoires au réexamen de la loi de bioéthique de
20041214. Afin d‘appuyer leurs propos, les auteurs du projet de loi de bioéthique réfèrent
dans un premier temps au rapport de l‘Office parlementaire d‘évaluation des choix
scientifiques et techniques (OPECST). Les rapporteurs y soulignent que :
« La levée de l‘anonymat sur les dons de gamètes demandée par les
enfants issus d‘IAD est une revendication légitime au regard du droit à
connaître ses origines. […]
La solution du double guichet pour intéressante qu‘elle soit car elle repose
sur la volonté des personnes n‘est pas satisfaisante au regard des droits de
l‘enfant qui se verrait exclu de toutes possibilité de connaître ses origines
biologiques, si les parents et le donneur ou la donneuse ont opté pour
l‘anonymat, pour autant les rapporteurs n‘excluent pas totalement cette
option.
Il conviendrait :
- soit de s‘inspirer de la loi espagnole qui permet un accès aux motivations
et données non identifiantes sur le donneur, à la majorité, si l‘enfant le
demande,
- soit de s‘inspirer de la législation britannique qui autorise la levée totale
de l‘anonymat à la majorité si l‘enfant le demande, et qui permet à ceux
qui ont fait un don avant l‘application de la loi de s‘inscrire, s‘ils le
souhaitent, sur un registre pour que leur identité puisse être révélée, si
l‘enfant en fait la demande à sa majorité,
- de prévoir que l‘identification du donneur ou de la donneuse ne peut en
aucun cas avoir une incidence sur la filiation de l‘enfant issu du don,
même si l‘enfant ne dispose pas de filiation paternelle ou maternelle. »1215
1214
Ibid. à la p. 60 de l‘étude d‘impact.
Rapport n° 1325 de l‘Office parlementaire d‘évaluation des choix scientifiques et technologiques :
Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialette, Rapporteurs, L’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800
du 6 août 2004 relative à la bioéthique, Tome 1 (Rapport), France, 17 décembre 2008 aux pp. 137-138, En
ligne: <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-off/i1325-tI.pdf> (Date d‘accès : 29 octobre 2010).
1215
360
S‘il ressort de ce rapport une volonté claire de remettre à l‘ordre du jour les droits de
l‘enfant et la protection de ses intérêts, ce que l‘état du droit français actuel ne fait pas
compte tenu de son caractère très strict, peu d‘indices nous sont laissés sur le
raisonnement à adopter. À cet égard, le rapport de l‘OPECST ne renvoie d‘aucune façon à
une priorisation des relations interpersonnelles et d‘interdépendance.
Dans la perspective des États généraux de la bioéthique de 2009, auxquels il est
également fait référence dans l‘étude d‘impact du projet de loi, trois instances ont été
saisies afin de présenter un rapport sur le bilan, les lacunes et les besoins de la réforme
qui avait été entreprise lors du réexamen de 2004. Tout d‘abord, le Conseil d‘État à qui
fut demandée une réflexion globale sur la loi, ensuite l‘Agence de biomédecine pour une
étude juridique de droit comparé et, enfin, le CCNE qui fut invité à soumettre un mémoire
identifiant les questions, les problèmes philosophiques et les interrogations éthiques qui
pourraient conduire à une évolution législative1216.
Avant d‘aborder les rapports rendus par ces organismes, il est pertinent de préciser
que la formule des États généraux, basés sur des "forums citoyens"1217 formés
préalablement aux questions de bioéthique, fut critiquée. Ces forums étaient censés
garantir une discussion libre, instruite et contradictoire. Par contre, l‘utilisation de débats
publics avec des citoyens "formés" par avance en vue d‘éclairer le législateur est, de
1216
« Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 114.
Il y en a eu trois au total. À Marseille le 9 juin 2009 sur le thème de la recherche sur l‘embryon humain
et les cellules souches embryonnaire, le diagnostic prénatal et préimplantatoire. Le second à Rennes le 11
juin 2009 concernant l‘assistance médicale à la procréation. Finalement à Strasbourg le 16 juin 2009 quant
aux prélèvements et greffes d‘organes, de tissus, de cellules, ainsi que sur la médecine prédictive et
l‘examen des caractéristiques génétiques. France – États généraux de la bioéthique, Présentation générale
des forums citoyens, En ligne : <http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/les-forums-citoyens.html>
(Date d‘accès : 21 octobre 2010).
1217
361
l‘avis
de
certain,
discutable.
Les
parlementaires
sont
censés
représenter
démocratiquement la Nation et ils sont supposés être déjà compétents pour légiférer. Ils
disposent de nombreux travaux de réflexion ou de recherche, rapports officiels ou avis
émanant d‘institutions diverses1218.
C‘est un point qui peut se défendre. Il nous semble par contre que ces États
généraux s‘intègrent, sur une plus grande échelle mais dans le même sens que l‘avis
rendu par la Commission de l‘éthique de la science et de la technologie du Québec1219,
dans la première étape du modèle de construction de la règle de droit lorsque l‘éthique est
appréhendée par l‘auteur de la norme juridique. Ils ont mis en place un dialogue visant à
aiguiller le législateur français. En introduction du rapport final, les auteurs précisent
que :
« La volonté générale que doit exprimer la loi n‘est pas la somme, la
juxtaposition abstraite de volontés ou de désirs particuliers parfois
antagonistes. Résultant d‘un échange, elle doit pouvoir trouver l‘occasion
de se façonner par le débat et par l‘effet d‘une réflexion collective, invitant
chacun à s‘accorder avec tout autre sur des principes qui transcendent son
intérêt immédiat.
Ces principes que le droit incorpore et qui fondent la loi relative à la
bioéthique (consentement, anonymat et gratuité, indisponibilité du corps
humain…), il ne suffit pas de les invoquer. Leur institution n‘implique pas
leur légitimité, parce que ces principes ne s‘imposent pas comme s‘impose
un argument d‘autorité. Ces principes valent d‘abord par l‘assentiment
réfléchi qu‘ils suscitent. »1220
1218
« Assistance médicale à la procréation », supra note 8 à la p. 114.
Commission de l‘éthique de la science et de la technologie, « Procréation assistée », supra note 9.
1220
États généraux de la bioéthique : Alain Graf, Rapporteur, Rapport final, 1er juillet 2009 à la p. 5, En
ligne : <http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/uploads/rapport_final.pdf> (Date d‘accès: 30 octobre
2010).
1219
362
En vue d‘établir une démocratie participative organisée1221, les États généraux ont ainsi
été l‘occasion de permettre à tous et chacun de se forger une opinion sur les thèmes en
débat. En remettant en cause et en suscitant une réflexion sur les principes fondateurs de
la loi, le législateur français a instauré un pont entre l‘éthique et le droit. L‘élargissement
du débat au-delà du cercle des spécialistes a été, selon les rédacteurs du rapport,
l‘occasion d‘élever les points de vue afin de s‘accorder sur les principes que le droit a
mission de traduire1222.
Dominique Thouvenin s‘est quant à elle questionnée sur la nécessité d‘organiser
des États généraux de la bioéthique alors que le CCNE dispose déjà d‘une mission de
délibération publique en termes éthiques sur des problèmes de société générés par les
progrès issus de la recherche et susceptibles de nécessiter l‘adoption de nouvelles
règles1223. Il rend des avis parmi lesquels nous avons déjà fait mention de celui
concernant l‘anonymat des donneurs. Or, ces avis concernent tant les aspects éthiques
soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé
que les questions de société soulevées par les progrès de la connaissance. Le deuxième
volet analytique inscrit dans la mission du CCNE et ajouté en 1994, ne concerne plus que
la pertinence de telle ou telle technique, mais aussi ses usages sociaux. L‘évolution
progressive du CCNE a fait en sorte qu‘il intervient de plus en plus fréquemment dans le
processus législatif lui-même et non plus en tant que source d‘inspiration des règles
légales futures. Les États généraux étaient donc nécessaires afin de permettre à tous les
1221
Brunet, supra note 120 à la p. 94.
États généraux de la bioéthique : Alain Graf, Rapporteur, supra note 1120 à la p. 10.
1223
Dominique Thouvenin, «Les institutions nationales de la bioéthique : fonctionnement et
compétences », (2009) 1050 Revue politique et parlementaire (Bioéthique : entre loi, morale et progrès) 167
à la p. 169.
1222
363
citoyens de s‘exprimer, notamment sur la question de l‘anonymat, et que le débat ne soit
pas confisqué par les experts1224.
C‘est dans le cadre du forum de Rennes que fut soulevée la question de
l‘anonymat des dons d‘engendrement. La position citoyenne a été en faveur d‘un libre
accès aux informations non identifiantes, mais sans la levée de l‘anonymat. Le refus du
tout génétique et le fait que l‘enfant doive se référer à un seul couple dans "son histoire"
motivent cette position. Les donneurs ne sauraient être assimilés à des parents. À l‘issue
des États généraux, ce qu‘il importe surtout c‘est la responsabilisation du don en
informant les donneurs des conséquences de leur geste et les couples de ce qu‘implique le
secret1225. C‘est exact, le donneur n‘est pas un parent. Le dernier point ne pose pas de
problèmes non plus puisque nous observons un souci relationnel minimal avec l‘emphase
sur la responsabilisation des donneurs. Toutefois, la position générale d‘accès aux seules
informations non identifiantes sans levée de l‘anonymat ne concorde pas avec l‘aspect
interdépendant mis en lumière en éthique de la sollicitude.
Le Conseil d‘État commence quant à lui par affirmer, quelle que soit la solution
retenue, qu‘il n‘est pas concevable d‘imposer une filiation entre l‘enfant et le donneur. En
cela, il n‘y a rien de nouveau par rapport au droit français qui protège déjà cet élément.
Constatant que l‘anonymat absolu ne peut plus rester en vigueur, la transmission
d‘informations non nominatives est un socle minimal afin de répondre aux besoins et
demandes des enfants ainsi que des associations concernées par la question des origines.
1224
1225
Ibid. aux pp. 173-175.
États généraux de la bioéthique : Alain Graf, Rapporteur, supra note 1120 aux pp. 44-45.
364
L‘option retenue est néanmoins celle d‘un régime combinant un accès de tout enfant
majeur le sollicitant à certaines catégories d‘informations non identifiantes et la
possibilité d‘une levée de l‘anonymat si l‘enfant le demande, et si le donneur y consent.
Cela est présenté comme ayant l‘avantage de s‘adapter à la demande des enfants sans
faire prévaloir l‘intérêt des adultes. S‘il est envisageable que le donneur refuse, il apparaît
impossible au Conseil d‘État de lui imposer de révéler son identité1226. C‘est certes une
position discutable lorsque nous cherchons véritablement à prioriser les relations
interpersonnelles et d‘interdépendance conformément à l‘éthique de la sollicitude telle
qu‘analysée au chapitre 2.
Le conseil d‘orientation de l‘Agence de biomédecine prend note et n‘ignore pas la
sensibilité de la quête des origines. En raison de la complexité de l‘enjeu et du fait que de
nombreuses questions n‘ont pas de réponses si aisées qu‘on voudrait le croire, il préfère
toutefois rester prudent1227. Il ne s‘agit pas d‘une position formelle en faveur du maintien
de l‘anonymat, mais la prudence suggère nettement ce choix.
De son côté, l‘avis rendu par le CCNE dans le cadre des États généraux de la
bioéthique ne constitue qu‘un compte rendu des enjeux soumis à l‘attention de la
population dans le cadre du processus de consultation. Le comité national d‘éthique ne
1226
Conseil d‘État, supra note 1200 aux pp. 54-55.
Contribution du Conseil d‘orientation de l‘Agence de la biomédecine au débat préparatoire à la révision
de la loi de bioéthique, Leçons d’expérience (2005-2008) et questionnement, 20 juin 2008 à la p. 49, En
ligne : <http://www.agence-biomedecine.fr/uploads/document/Rapport2008-CO-bioethique.pdf> (Date
d‘accès: 13 novembre 2010).
1227
365
fait aucune prise de position1228. Sa position est plutôt détaillée dans son avis no 901229
que nous voyons ci haut et auquel renvoie l‘étude d‘impact du projet de loi français.
Un dernier document retient finalement notre attention. Il s‘agit du rapport de la
mission d‘information parlementaire rendu en janvier 2010. Il y est considéré que la levée
de l‘anonymat fragiliserait la procédure d‘accouchement sous X et s‘inscrit dans une
vision biologique de la famille. C‘est pourquoi la majorité des membres de la mission ont
préconisé le maintien du dispositif actuel1230.
Ayant fait état de l‘évolution législative proposée en France, de l‘anonymat absolu
vers la transmission de renseignements non nominatifs et l‘identité du géniteur si y
consent, nous pouvons désormais procéder à l‘analyse critique, au moyen de
l‘internormativité, en fonction de l‘éthique de la sollicitude.
Comité consultatif national d‘éthique français (CCNE), Avis n 105 : Questionnement pour les États
généraux de la bioéthique, Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation, France, 9 octobre 2008,
En ligne : < http://www.ccne-ethique.fr/docs/avis_105_CCNE.pdf> (Date d‘accès : 14 novembre 2010).
1229
CCNE, « Avis 90 », supra note 30.
1230
Mission d‘information sur la révision des lois de bioéthique, Président : Monsieur Alain Claeys,
Rapporteur : M. Jean Leonetti, supra note 857 à la p. 110.
1228
366
5- DROIT FRANÇAIS, INTERNORMATIVITÉ ET ÉTHIQUE DE LA
SOLLICITUDE : CRITIQUE1231
L‘éthique de la sollicitude fut au départ proposée comme cadre d‘analyse dans le
contexte canadien par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction.
L‘objectif, en transposant l‘analyse de la sollicitude en droit comparé au moyen de
l‘internormativité, est de déterminer comment nous en arriverions à des résultats
différents si on priorisait l‘approche relationnelle. De fait, en l‘état actuel du droit, tout
comme au Canada et au Québec, il est évident que cette approche n‘est pas mise de
l‘avant car l‘anonymat est posé en principe presque absolu. La France est toutefois un
terrain propice à cette exploration car il s‘agit d‘un pays en pleine évolution législative
sur la question de l‘anonymat des dons d‘engendrement. Cela nous conduit à une double
réflexion. En premier lieu, en ce qui concerne l‘évolution législative actuelle par un
examen des documents présentés à l‘Assemblée Nationale et au Sénat puis, relativement à
l‘impact qu‘a l‘approche juridique française sur l‘éventualité d‘inclure dans ce processus
une internormativé avec l‘éthique de la sollicitude.
1231
En avril 2010, l‘éthique de la sollicitude est entrée dans le débat public français suite à une entrevue
donnée par Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste, dans le cadre de laquelle elle explique
que nous devons être une société du care qui prend soin de chacun. Cela n‘est pas sans remous et la
polémique est actuellement lancée. Un député affirme par exemple que cette conception « qui s'enracine
dans une conception féministe -différentialiste américaine réclamant un État plus attentif aux minorités n'est en rien adaptée à la société française d'aujourd'hui dont le modèle de l'État providence est à bout de
souffle ». Voir : «La gauche que veut Martine Aubry», Médiapart, 15 avril 2010, En ligne :
http://www.mediapart.fr/journal/france/020410/la-gauche-que-veut-martine-aubry (Date d‘accès: 23
octobre 2010); Samuel Laurent, « La "société du care" de Martine Aubry fait débat », Le Monde, 14 mai
2010, En ligne : <http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/05/14/la-societe-du-care-de-martine-aubryfait-debat_1351784_823448.html> (Date d‘accès: 23 octobre 2010); « Manuel Valls rejette une société du
"care"
prônée
par
Martine
Aubry
»,
AFP,
14
mai
2010,
En
ligne :
<http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5h6BS3krpQnWk_mgmnWgdXuZ7C3Pw> (Date
d‘accès: 23 octobre 2010). Nous nous détachons de ce débat puisque notre modèle de l‘éthique de la
sollicitude et de l‘internormativité n‘est appliqué qu‘au contexte particulier des technologies de la
reproduction. Nous ne prétendons aucunement que l‘éthique de la sollicitude en tant qu‘idée politique doit
être reprise par les autorités gouvernementales dans l‘ensemble de ses décisions.
367
5.1 Critique de l’évolution législative française
Le projet de loi sur la bioéthique1232 présenté en octobre 2010 est une avancée
certaine, mais demeure restrictif en ne permettant aux enfants issus d‘un don d‘obtenir le
nom de leur géniteur que si celui-ci y consent au moment de la demande. Il ne s‘agit pas
d‘un double guichet, mais la discrimination entre les enfants qui auront accès à l‘identité
de leur donneur et ceux qui ne pourront en disposer existe également dans cette hypothèse
non respectueuse de l‘éthique de la sollicitude. L‘un des principaux arguments invoqués
par les promoteurs du projet de loi est que l‘accès optionnel à l‘identité du donneur a
l‘avantage de s‘adapter à la demande des enfants sans faire prévaloir l‘intérêt des
adultes1233. Nous ne pouvons pas être en accord avec cette affirmation, car si
effectivement cela est plus complaisant à l‘égard de l‘intérêt de l‘enfant, celui de l‘adulte,
en l‘occurrence celui du donneur, continue de prévaloir en imposant son choix à l‘enfant.
Les considérations d‘autonomie et d‘égalité dans le lien donneur – enfant ne sont pas
respectées.
Par surcroît, constatons les allers et retours continuels des autorités françaises dans
l‘étude de leur projet de loi. Tout d‘abord, un recul total en revenant à la position
actuellement en vigueur dans la loi. De fait, de novembre 2010 à février 2011, dans le
cadre des travaux préparatoires de l‘Assemblée Nationale, le projet de loi a été soumis à
une première lecture à la Commission spéciale chargée d‘examiner le projet de loi relatif
1232
1233
Proposition AN no 2911, supra note 1206.
Ibid. à la p. 64 de l‘étude d‘impact.
368
à la bioéthique présidée par monsieur Alain Claeys1234. Suite à l‘audition d‘experts ainsi
que de divers témoins et des discussions du texte même, un rapport a été déposé le 26
janvier 2011. La position de l‘auteur, monsieur Jean Leonetti, sur la question globale de
l‘anonymat est de privilégier une approche qu‘il qualifie de pragmatique et éthique. Au
terme de sa réflexion, l‘amendement proposé est tout bonnement l‘abrogation des
nouvelles dispositions du projet de loi1235.
Parmi les arguments soulevés, la crainte que la levée de l‘anonymat présente le
risque majeur de remettre en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif
de la filiation revient en force1236. Cette crainte peut pourtant être apaisée par l‘adoption
d‘une terminologie appropriée dans la loi, car effectivement le donneur n‘est pas un
parent au sens juridique du terme, et des dispositions excluant tout lien de filiation entre
le géniteur et l‘enfant. Ces dernières sont d‘ailleurs déjà prévues par le législateur
français1237 qui prévoit en plus une super filiation1238.
1234
France – Assemblée Nationale, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la
bioéthique,
En
ligne :
<http://www.assembleenationale.fr/qui/xml/organe.asp?id_organe=/13/tribun/xml/xml/organes/425550.xml> (Date d‘accès : 13
février 2011).
1235
France – Assemblée Nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique (Première lecture) : Texte de la
Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique, Annexe au rapport (no 3111), 13e
législature, 26 janvier 2011, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta-commission/r3111a0.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); Ces modifications ont été retenues par l‘Assemblée Nationale et
transmises au Sénat pour étude: France – Assemblée Nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique adopté
par l’Assemblée Nationale en première lecture (Texte adopté no 606), 13e législature, 15 février 2011, En
ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0606.pdf> (Date d‘accès : Date d‘accès : 25 juin
2011).
1236
Jean Leonetti, Rapport fait au nom de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi
relatif à la bioéthique (no 2911), Tome 1 : Exposé général – Travaux de la Commission, Assemblée
Nationale, France, 13e législature, 26 janvier 2011 à la p. 42, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/13/pdf/rapports/r3111-tI.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011) [Leonetti, « Document no 2911»].
1237
Art. 311-19 Code civil.
1238
Art. 311-20 Code civil.
369
Jean Leonetti n‘a pas tort sur un point : l‘argument du droit aux origines peut
aisément être retourné car la levée de l‘anonymat aurait pour effet de développer le secret
de famille1239. Un secret qui, nous le constatons au chapitre 2, vise la révélation à l‘enfant
des circonstances de sa conception. C‘est ce qu‘il ressort des études de Pierre Jouannet,
que nous examinons également ci haut et dont l‘auteur est allé témoigner devant la
Commission spéciale. Notre analyse théorique en conclusion du chapitre 2 ne considère
pourtant pas l‘existence du privilège de réserve des parents comme étant antagoniste à la
proposition de reconnaître le droit aux origines et ce, tant que la nécessité d‘informer
l‘enfant apparaît comme une obligation morale renforcée d‘un "counseling" offert par le
milieu médical auprès des parents. La France n‘envisage par contre nullement de modifier
la teneur du droit au secret qui est codifié à l‘article 311-20 al. 1 du Code civil afin de le
faire correspondre à notre proposition où le privilège de réserve fait contrepoids au droit
aux origines. D‘ailleurs, du point de vue de la sollicitude, la reconnaissance du droit aux
origines confronte le droit au secret tel qu‘actuellement codifié en France. Une réforme
complète du système français, afin qu‘il reflète la philosophie de notre approche
théorique, nécessite ici un ajustement majeur où la discrétion des parents passe du statut
de droit à celui de privilège. Au surplus, que Jean Leonetti considère sa position, et donc
celle de la Commission spéciale, comme éthique et pragmatique est somme toute relatif
car elle n‘est pas au diapason avec l‘éthique de la sollicitude. Nous nous demandons
corrélativement à quelle éthique il fait référence. Pas à celle des relations
interpersonnelles et d‘interdépendance semble-t-il.
1239
Leonetti, « Document no 2911 », supra note 1236 à la p. 43.
370
L‘auteur conclut en soulignant qu‘en :
« tout état de cause, la levée de l‘anonymat n‘étant pas, par principe,
rétroactive, le projet de loi n‘apportera pas de réponse satisfaisante à ceux
qui, aujourd‘hui, réclament l‘accès à l‘identité de leur donneur.
Pour toutes ces raisons, votre rapporteur estime que la levée de l‘anonymat
est non seulement discutable sur le plan éthique mais également
contreproductive sur la plan pratique. »1240
Il s‘agit là d‘une erreur. Prévoir la rétroactivité de l‘anonymat est en effet discutable et
problématique, ne serait-ce que sur le plan pratique car on ne peut garantir que les
cliniques ont en leur possession l‘information demandée. Toutefois, il s‘agit là d‘un
commentaire qui ne voit pas plus loin que l‘instant présent. Certes, il est ardu de
promettre aux enfants nés d‘un don et qui recherchent aujourd‘hui l‘identité de leur
géniteur qu‘ils obtiendraient satisfaction de la codification du droit aux origines. Mais n‘y
a-t-il pas lieu de prendre en considération les générations futures comme le fait le
Royaume-Uni? En se basant sur l‘éthique de la sollicitude, il est au contraire justifié de
mettre dès maintenant en place les infrastructures nécessaires à l‘exercice d‘un droit aux
origines. Bref, nous voyons ici un exercice internormatif entre l‘éthique du "care" et
l‘évolution d‘une règle de droit.
Le projet de loi présenté en première lecture au Sénat prévoit donc l‘abrogation
des articles 14 à 18 suggérés dans le projet de loi initial1241. Les tribulations ne s‘arrêtent
toutefois pas là car deux commissions furent formées au Sénat et chacune est arrivée avec
1240
Ibid. à la p. 44.
France – Sénat, Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale relatif à la bioéthique (no 304), 15
février 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/pjl10-304.pdf> (Date d‘accès : Date d‘accès : 25 juin
2011).
1241
371
ses propres conclusions. Tout d‘abord, la Commission des affaires sociales qui a soumis,
en mars 2011, un rapport sous la plume de monsieur Alain Milon1242, conjointement à une
nouvelle version du projet de loi qui remet de l‘avant la levée du voile sur l‘identité du
donneur1243. Monsieur François-Noël Buffet, au nom de la Commission des lois, a de son
côté rendu un avis, également en mars 2011, visant le maintien de l‘anonymat1244.
Dans son rapport, Alain Milon souligne avant tout que la dignité humaine
constitue le fondement des lois de bioéthique françaises en instaurant une limite à l‘action
de l‘État, à la liberté individuelle et au principe d‘autonomie1245. Cette même autonomie
est néanmoins un élément essentiel de la dignité humaine. « Elle suppose la capacité de
choisir pour soi-même de manière libre et éclairée »1246. Un des objectifs de cette
philosophie est de remettre l‘être humain au premier plan. Dans ce contexte, l‘auteur
considère que le « respect de l‘autonomie des personnes passe aussi par le souci de ne pas
laisser la science se substituer à l‘humain »1247. En découlerait un écho à la demande des
enfants nés d‘un don d‘engendrement d‘avoir le choix de connaître ou non leur géniteur.
« On atteint là la limite des pouvoirs de la médecine, qui ne peut pas décider seule de ce
1242
Alain Milon, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi, adopté
par l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique (no 388), Sénat, France, 30 mars 2011, En ligne :
<http://www.senat.fr/rap/l10-388/l10-3881.pdf> (Date d’accès : 25 juin 2011) [Milon, « Document no
388 »].
1243
France – Sénat, Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique, Texte de la
Commission des affaires sociales (1) (no 389), 15 février 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/pjl10389.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011).
1244
François-Noël Buffet, Avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par
l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique (no 381), Sénat, France, 29 mars 2011, En ligne :
<http://www.senat.fr/rap/a10-381/a10-3811.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011).
1245
Milon, « Document no 388 », supra note 1242 à la p. 13.
1246
Ibid. à la p. 17.
1247
Ibid. à la p. 18.
372
qui est l‘intérêt de la personne »1248. S‘agit-il d‘une ouverture à une perspective de
sollicitude? Par ailleurs, cette introduction du rapport Milon est intéressante car elle nous
permet de rappeler, tel que souligné au chapitre préliminaire, qu‘une analyse basée sur la
seule dignité des personnes ne présume pas de la solution à retenir dans l‘éventualité d‘un
conflit de normes car, en matière d‘anonymat, plusieurs droits fondamentaux antagonistes
entrent en ligne de compte. D‘un autre côté, la dignité humaine est l‘un des principes
directeurs de la Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction1249.
Ainsi, la Commission des affaires sociales du Sénat rétablit la levée de
l‘anonymat. Celle-ci est toutefois plus étendue que dans le projet de loi initial du
Gouvernement puisqu‘il s‘agit d‘une levée automatique de l‘anonymat sur simple
demande d‘un enfant né après le 1er janvier 2014 et devenu adulte1250. Milon spécifie que
« [l]a Commission a estimé que la levée automatique constituait la méthode la plus
susceptible de permettre un don responsable et qu‘elle éviterait les ruptures d‘égalité en
autorisant toutes les personnes issues d‘un don qui le souhaiteraient à avoir accès à leurs
origines »1251. S‘en suivent une série d‘articles visant à rencontrer cet objectif et à assurer
une information adéquate du donneur.
L‘approche de la Commission des affaires sociales du Sénat quant au droit aux
origines est intéressante. Elle dénote une volonté manifeste des autorités françaises de
remettre l‘enfant au cœur du processus législatif en matière d‘anonymat et dans la relation
1248
Ibid. à la p. 19.
Nous référons ici à notre tableau en section 3 du chapitre 1.
1250
France – Sénat, Projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale, relatif à la bioéthique, Texte de la
Commission des affaires sociales (1) (no 389), supra note 1243, art. 14.
1251
Milon, « Document no 388 », supra note 1242 à la p. 71.
1249
373
donneur – enfant. Néanmoins, force est de reconnaître un illogisme frappant si nous
observons d‘un point de vue relationnel des liens d‘interdépendance : aucune mention
n‘est faite d‘une éventuelle modification du droit au secret des parents tel qu‘actuellement
codifié aux articles 311-20 du Code civil et 1157-2 du Code de procédure civile. En l‘état,
la France met de l‘avant des propositions contradictoires.
D‘ailleurs, au sein même du Sénat, on n‘a pas semblé s‘entendre sur la question de
l‘anonymat. L‘avis de François-Noël Buffet, rendu parallèlement au rapport Milon,
dénote que la Commission des lois soutien la position des députés de l‘Assemblée
Nationale et que l‘anonymat devrait être maintenu. Ainsi justifie-t-il cette position :
« Les demandes sont peu nombreuses (25 par an en moyenne) et ne
justifient pas de prendre le risque d‘une baisse des dons consécutive à la
levée de l‘anonymat. Surtout, autoriser, par cette levée de l‘anonymat, le
donneur à prendre une place dans l‘histoire personnelle et familiale de
l‘enfant, fût-ce avec son consentement, installe au cœur de la filiation, un
primat biologique, qui menace à la fois le lien familial que la loi tente de
créer et la perception que chacun peut avoir de ce lien. »1252
S‘en suit donc que, de son côté, la Commission des lois maintien la suppression des
articles 14 à 181253.
Que dire de plus que ce nous exprimons déjà dans notre critique de la première
version parlementaire? Lorsque François-Noël Buffet dit que le principe d‘anonymat est
protecteur des intérêts des parents et, indirectement, des enfants, comme ceux des
1252
1253
Buffet, supra note 1244 à la p. 15.
Ibid. à la p. 33,
374
donneurs1254, il est évident que nous ne nous trouvons pas dans une logique de sollicitude.
L‘emphase semble davantage mise sur la protection des parents qui protège par ricochet
l‘intérêt de l‘enfant1255. Il nous est difficile de voir comment ce dernier est ramené dans le
débat afin que sa relation avec les autres acteurs du don d‘engendrement prenne un sens.
Le plus surprenant semble être l‘ignorance du Sénat du malaise fondé sur
l‘existence du donneur qu‘on veut cacher puisqu‘il ébranle le fondement biologique du
système de filiation en France où l‘intention liée à l‘acte devient secondaire. On cache le
géniteur afin que la vérité affective et sociologique de l‘enfant corresponde à sa vérité
biologique et ce, même s‘il existe une exclusion de la responsabilité du donneur1256 et une
super filiation empêchant au parent ayant consenti à la procréation assistée de remettre en
cause son engagement1257. Pourtant, François-Noël Buffet craint que la levée de
l‘anonymat entraîne une biologisation de la famille, ce qu‘il faudrait éviter dit-il, puisque
cela diminue la part que les parents ont prise à l‘engendrement non seulement biologique,
mais aussi affectif et social de leur enfant1258. Ce n‘est pas faux comme argument, mais
encore là, cela s‘oppose à la vision actuelle de la filiation à la française. Qui plus est, si
nous avons aussi exprimé notre préoccupation d‘une confusion des rôles, cela n‘est pas
un obstacle infranchissable du point de vue juridique. En présence de garanties déjà fortes
du lien de filiation, avons-nous besoin de l‘anonymat en plus? Surtout lorsque l‘éthique
de la sollicitude maintient le privilège des parents de garder le secret? L‘auteur précise
que « [f]aute pour les parents de disposer de la protection que leur offre l‘anonymat ou
1254
Ibid. à la p. 38.
Ibid. à la p. 39.
1256
Art. 310-19 Code civil.
1257
Art. 311-20 al. 2 et 4 Code civil.
1258
Buffet, supra note 1244 à la p. 38.
1255
375
d‘avoir la maîtrise sur la levée de l‘anonymat, il est à craindre que certains se protègent
en taisant la vérité sur le recours au tiers donneur. Si une telle situation prévalait, la levée
de l‘anonymat risquerait de se retourner contre l‘intérêt des enfants eux-mêmes. »1259 Ici
encore, l‘existence du privilège des parents les protège, tout comme le donneur compte
tenu de la réaction du couple face à une levée de l‘anonymat, et l‘obligation morale qui
l‘accompagne avec son processus d‘information vise la protection de l‘intérêt de l‘enfant.
Certes nous pouvons avoir peur que les donneurs soient principalement confrontés à des
individus en souffrance, dont la demande sera supérieure à ce qu‘ils pourront offrir1260,
mais la levée de l‘anonymat a des limites et la responsabilité du donneur tout autant. Ce
dernier n‘a pas à avoir l‘obligation de rencontrer et d‘entretenir des liens avec l‘enfant qui
devra alors aller chercher l‘aide nécessaire à son bien-être intérieur. Cela nous permet de
faire la remarque que tout processus entrepris par l‘enfant se doit d‘être accompagné d‘un
suivi rapproché par des professionnels.
Tout ce débat a finalement eu pour conclusion que le texte envoyé par le Sénat
pour une seconde lecture à l‘Assemblée Nationale maintient la suppression des articles 14
à 18 du projet de loi d‘octobre 20101261. À la Commission spéciale chargée d‘examiner le
projet de loi de bioéthique, toujours présidée par monsieur Alain Claeys, monsieur Jean
Leonetti a déposé, le 11 mai 2011, un nouveau rapport dont les motivations restent les
1259
Ibid. à la p. 39.
Ibid.
1261
France – Sénat, Projet de loi modifié par le Sénat relatif à la bioéthique (Texte adopté no 95), 8 avril
2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/tas10-095.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); Texte ainsi renvoyé
devant l‘Assemblée Nationale pour une seconde lecture : France – Assemblée Nationale, Projet de loi
modifié par le Sénat, relatif à la bioéthique (no 3324), 13e législature, 8 avril 2011, En ligne :
<http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/projets/pl3324.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011).
1260
376
mêmes1262. La principale évolution liée aux propositions des instances antérieures est un
nouvel article concernant la règlementation de la conservation des données détenues par
les CÉCOS1263. En date du dépôt de cette thèse, la suite des débats en 2e lecture à la
Commission des affaires sociales du Sénat1264 et devant la Commission mixte paritaire1265
demeure en l‘état.
1262
Jean Leonetti, Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi,
adopté avec modifications par le sénat en deuxième lecture, relatif à la bioéthique (no 3403), Assemblée
Nationale, France, 13e législature, 11 mai 2011, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/13/pdf/rapports/r3403.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011).
1263
Ibid. à la p. 77; France – Assemblée nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique (deuxième lecture),
texte de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique annexe au rapport (no
3403), 13e législature, 11 mai 2011, art. 18 bis et 18 ter, En ligne : <http://www.assembleenationale.fr/13/pdf/ta-commission/r3403-a0.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Assemblée
Nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique, adopté avec modifications par l’assemblée nationale en
deuxième lecture (Texte adopté no 671), 13e législature, 31 mai 2011, art. 18 bis et 18 ter, En ligne :
<http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0671.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011). Ces modifications
ont été retenues par l‘Assemblée Nationale et transmises au Sénat pour étude en seconde lecture. Voir :
France – Sénat, Projet de loi adopté avec modifications par l'assemblée nationale en deuxième lecture,
relatif à la bioéthique, (no 567), 31 mai 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/leg/pjl10-567.pdf> (Date
d‘accès : 25 juin 2011).
1264
Voir : Alain Milon, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi,
adopté avec modifications par l'assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique (no 571),
Sénat, France, 1er juin 2011, En ligne : <http://www.senat.fr/rap/l10-571/l10-5711.pdf> (Date d‘accès : 25
juin 2011); France – Sénat, Projet de loi adoptée avec modifications par l'assemblée nationale en deuxième
lecture, relatif à la bioéthique, texte de la commission des affaires sociales (1) (no 572), 1er juin 2011, En
ligne : <http://www.senat.fr/leg/pjl10-572.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Sénat, Projet de loi
modifié par le sénat en deuxième lecture relatif à la bioéthique (Texte adopté no 139), 9 juin 2011, En
ligne : <http://www.senat.fr/leg/tas10-139.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011); France – Assemblée
Nationale, Projet de loi modifié par le sénat en deuxième lecture, relatif à la bioéthique (no 3526), 13e
législature, 10 juin 2011, En ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/projets/pl3526.pdf> (Date
d‘accès : 25 juin 2011).
1265
Jean Leonetti et Alain Milon, Rapport fait au nom de la commission mixte paritaire (1) chargée de
proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la bioéthique (no 3536
– Assemblée Nationale et no 637 – Sénat), Assemblée Nationale, France, 13e législature, 15 juin 2011, En
ligne : <http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r3536.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011);
France, Assemblée Nationale – Sénat, Projet de loi relatif à la bioéthique, texte élaboré par la commission
mixte paritaire (no 3536 – Assemblée Nationale et no 638 – Sénat), 13e législature, 15 juin 2011, En ligne :
<http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta-commission/r3536-a0.pdf> (Date d‘accès : 25 juin 2011);
France – Assemblée Nationale, Projet de loi relatif à la bioéthique (Texte adopté no 690), 13e législature,
21 juin 2011, En ligne : < http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0690.pdf> (Date d‘accès : 25 juin
2011); France – Sénat, Projet de loi relatif à la bioéthique (Texte définitif)(Texte adopté no 146), 23
juin 2011, En ligne : < http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2010-2011/638.html> (Date d‘accès : 25 juin
2011).
377
5.2 Critique de l’approche juridique française
Le malaise français concernant l‘anonymat du donneur, compte tenu de la logique
retenue en matière de filiation qui est fondée surtout sur le biologique, tirerait avantage de
la levée du voile1266. D‘une part, cela permettrait d‘intégrer dans le processus de révision
législatif la dimension d‘interdépendance des individus. Dans la suite des modifications
législatives apportées en 2002 en ce qui concerne l‘accouchement sous X, la notion
d‘origine serait d‘autre part plus fermement isolée de celle de filiation et permettrait de
réintégrer le donneur comme un acteur à part entière du l‘acte procréatif. « En détachant
de la sorte l‘origine personnelle de l‘orbite de la filiation, le droit valide l‘autonomie de
l‘identité psychologique et sociale de la personne par rapport à son identité
statutaire. »1267 Même si le mécanisme de l‘accouchement sous X conserve un anonymat
dépendant de la volonté de la mère1268, la loi de 2002 a d‘important qu‘elle n‘officialise
pas un partage de parenté entre parents adoptifs et parents de naissance. « Elle traduit de
1266
Cela pourrait entraîner une disparition de l‘exigence thérapeutique dans l‘accès à la procréation assistée.
Si la Commission spéciale chargée d‘examiner le projet de loi relatif à la bioéthique n‘entend pas permettre
aux femmes seules et aux couples de même sexe d‘accéder à la procréation assistée, il apparaît dans son
rapport une volonté de mettre fin à la distinction en assistance médicale à la procréation et procréation
médicalement assistée pour ne retenir que la dernière expression. Leonetti, « Document no 2911», supra
note 1236 aux pp. 57-62. En bout de ligne, force est de constater qu‘il ne s‘agit là que d‘une clarification
conceptuelle et non d‘un véritable élargissement du champ d‘application de la procréation assistée. Il n‘est
pas certain que cela mettra un terme au malaise français pas plus qu‘à l‘emphase mise sur le biologique et la
génétique comme fondements de la filiation.
1267
Brunet, supra note 120 à la p. 97.
1268
Soulignons que des discussions sont actuellement en cour en France afin de modifier le régime de
l‘accouchement sous X afin qu‘il devienne un accouchement dans la discrétion. Tel fut le résultat d‘une
mission parlementaire menée par Brigitte Barèges en novembre 2010. Voir : Brigitte Barèges, Député de
Tarn-et-Garonne (Rapporteur), RAPPORT - MISSION PARLEMENTAIRE sur l'accouchement dans le
secret,
Assemblée
Nationale,
France,
12
novembre
2010,
En
ligne :
<http://www.brigittebareges.com/uploads/files/Rapport%20mission%20accouchement.pdf> (Date d‘accès :
14 juin 2011); Une certaine jurisprudence pourrait également remettre en cause cette institution. Le 26
janvier 2011, la cour d‘appel d‘Angers a en effet reconnu à des grands-parents le droit de se voir attribuer la
garde de leur petite-fille née sous X. Voir : Barreau de Toulouse, L’accouchement sous X serait-il
inhumain ? Cour d’appel d’Angers du 26 janvier 2011 : vers la fin de l’accouchement sous X ?, En ligne :
<http://www.avocats-toulouse.com/spip.php?article1286> (Date d‘accès : 14 juin 2011).
378
manière subtile une forme de pluriparentalité non juridique (dans les cas où l‘enfant
rencontre ses parents de naissance), tout en maintenant l‘exclusivité juridique de la
filiation (les parents adoptifs demeurent les seuls vrais parents de l‘enfant. »1269 C‘est
d‘ailleurs la philosophie pluriparentale que nous prônons en fin de chapitre 2, c‘est-à-dire
selon une approche multidisciplinaire. Nous ne reviendrons pas sur le débat distinguant
l‘adoption de la procréation assistée, mais nous constatons ici que le législateur français
dispose d‘un précédent en matière d‘accès aux origines. Celui-ci s‘avère un premier pas
pouvant l‘inspirer dans sa conception globale de la filiation ainsi que l‘aider à dissiper le
dérangement qu‘ont certains auteurs à l‘égard de l‘effacement complet du donneur dans le
modèle de la filiation charnelle ou par le sang. Qui plus est, en procédant à une
différenciation complète de la filiation et de l‘anonymat, le législateur français
respecterait la disposition d‘exemption de responsabilité qu‘il a adoptée à l‘égard du
donneur1270 et qui constitue déjà une base à la division conceptuelle. À celle-ci s‘ajoute
l‘impossibilité pour le parent receveur de remettre en cause son engagement à l‘égard de
l‘enfant né d‘une procréation assistée1271. De par ces articles de loi, le législateur a déjà
introduit dans le corpus légal français des fondements où la filiation se base sur la volonté
et non sur une corrélation entre la filiation légale et la réalité biologique et génétique. La
levée de l‘anonymat vise justement à accorder à cette dernière la place qui lui revient
dans la vie de l‘enfant. Ni plus, ni moins. Le donneur n‘est pas un parent au sens de la loi.
1269
Cécile Ensellem, « Accouchement sous X et assistance à la procréation avec donneur. Prises de position
sur l‘accès aux origines et les fondements de la parentalité », (2007) 4 Recherches familiales 111 à la p.
116.
1270
Art. 311-19 Code civil.
1271
Art. 311-20 al. 2 et 4 Code civil,
379
La France a fait un excellent constat en soulignant que, dans le débat sur
l‘anonymat des dons, le juriste est ramené à une question classique de conflit d‘intérêts.
Il est tout autant légitime de se demander si « [l]e souci du désir des parents ne doit-il pas
être contrebalancé par le souci des enfants, jusqu‘ici peut-être trop méconnu,
conformément à l‘idée que l‘intérêt de l‘enfant doit être l‘élément déterminant pour
aménager les conséquences de l‘assistance médicale à la procréation ? »1272 Il est d‘à
propos que les rédacteurs du projet de loi utilisent le mot "souci" dans leur étude d‘impact
car c‘est le lien que nous voulons créer avec la norme de droit positif. Cela nous ramène à
la façon dont le conflit d‘intérêts doit être tranché. Se demander comment nous en
arriverions à des résultats différents si on priorisait les relations interpersonnelles nous
amène, oui, à une prise de position différente, celle que nous effectuons au chapitre 2 et
dont la France s‘éloigne, mais également à nous interroger sur le processus législatif
devant nous mener à cette même conclusion. Comment l‘éthique de la sollicitude, par le
biais de l‘internormativité, doit-elle entrer en ligne de compte en France?
L‘une de nos premières observations est que la démarche française, dans son
projet de loi d‘octobre 2010, est dans la suite de son profil législatif en matière de
technologies de reproduction. Cela se confirme même par l‘examen subséquent du débat
parlementaire et sénatorial du document. Nos travaux de maîtrise sur le diagnostic
préimplantatoire (DPI) nous ont permis de dégager différentes approches législatives à
l‘échelle internationale1273. Celle de la France est dite prudente. Pour Melanie Latham:
1272
Proposition AN no 2911, supra note 1206 à la p. 63 de l‘étude d‘impact.
Voir : Cousineau, « Enjeux éthiques et légaux », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre
juridique », supra note 70; supra note 23.
1273
380
« the French legal system is a finely balanced codified system, which
attempts to cater for all eventualities before they arise. In cases before the
courts the law is applied rather than interpreted and is meant to be read as
a coherent whole. Any change to the law thus has the potential to upset
that balance which has discouraged legal commentators from endorsing
change. NRTs law would have had repercussions for this balance
especially as the medicine behind it appeared to be continually throwing
up new legal quandaries that needed to be resolved. Moreover, codified
law necessitated a parliamentary and public consensus that on NRTs
proved difficult to obtain. It was most difficult therefore for the French to
legislate on NRTs. »1274
En matière DPI, nous remarquions que par volonté de tout prévoir et sous réserve d‘une
autorisation de l‘Agence de la biomédecine, la législation française anticipe, dans son
Code de la santé publique, quelles applications du DPI peuvent faire l‘objet d‘une
autorisation et établit une liste des conditions et des circonstances d‘accès. La seule façon
de les modifier est de repasser par le processus législatif.
En affirmant que l‘option choisie dans le projet de loi permettrait à l‘enfant,
« même dans l‘éventualité où le donneur ne consentirait pas à révéler son identité, de se
confronter à la réalité d‘un consentement ou d‘un refus, après avoir entamé une démarche
dont l‘issue n‘est pas abstraitement déterminée par la loi »1275, cela entre dans la ligne
directe d‘une position prudente. C‘est une terminologie que nous retrouvons également
dans le rapport soumis par l‘Agence de biomédecine dans le cadre des États généraux. La
position de la Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la
bioéthique est encore plus prudente en montrant un retour à la case départ et une
abrogation des propositions du projet de loi. Et que dire des allers-retours qui s‘en suivent
1274
Melanie Latham, « Regulating the new reproductive technologies: A cross-channel comparison »,
(1998) 3 Medical Law International 89 à la p. 92.
1275
Proposition AN no 2911, supra note 1206 à la p. 64 de l‘étude d‘impact.
381
en première lecture au Sénat et à l‘occasion du second examen devant la Commission
spéciale? L‘hésitation à adopter l‘une ou l‘autre des positions est manifeste du climat
législatif axé sur la crainte. Cela se dégage nettement de l‘analyse que nous effectuons au
point 5.1. Qui plus est, nous nous demandons si la difficile différenciation entre la
filiation et l‘anonymat, la parenté et la biologie, ne pousse pas le législateur à un excès de
prudence dans la problématique en cause.
Une ouverture totale à l‘internormativité, qui permettrait d‘introduire l‘éthique de
la sollicitude dans la seconde étape du modèle de construction de la règle de droit,
requiert donc du législateur français qu‘il s‘éloigne de son approche législative actuelle
pour s‘ouvrir pleinement au facteur humain de la problématique. La question de
l‘anonymat des dons, du privilège de réserve des parents au droit aux origines, diffère
grandement de celle des applications du diagnostic préimplantatoire en ce qu‘il ne s‘agit
pas de déterminer lesquelles seront permises par la loi. Dans le processus réflectif du
législateur, il demeure malgré tout que celui-ci a de la difficulté à ouvrir la porte aux
relations interpersonnelles et ce, même progressivement compte tenu des conséquences
possibles de l‘abandon de l‘anonymat et de la complexité des questionnements que cela
soulève. Des interrogations qui suscitent des incertitudes avec lesquelles le législateur
préfère garder ses distances. Aussi, en matière d‘anonymat, l‘approche prudente prend la
forme d‘une législation d‘autoprotection face aux craintes que suscite le don
d‘engendrement.
Il est fort délicat de dire qu‘à tous points de vue la position française est mauvaise
car le cadre juridique adopté par un législateur dépend de nombreux facteurs comme la
382
pratique déjà en place dans le pays (nous pensons ici à celle des CÉCOS qui de longue
date est l‘anonymat des dons) ou les valeurs dominantes au sein du groupe (le fait de
considérer l‘accès à la procréation assistée comme une visée thérapeutique, par exemple).
Nous pensons par contre que, dans la problématique en cause, la France retirerait de
grands bénéfices de s‘inspirer de l‘éthique de la sollicitude tout en l‘intégrant au
processus législatif au moyen de l‘internormativité. Cette approche théorique est
pertinente compte tenu des relations humaines interdépendantes de la problématique et
du fait qu‘elle encourage le souci du bien-être mutuel déjà présent en France.
SECTION 3 : LE VIRAGE BRITANNIQUE, ABOLITION DE L’ANONYMAT
PAR LE ROYAUME-UN
La loi britannique, adoptée en 19901276, a fait l‘objet d‘un vaste processus de
révision en 20081277. C‘est néanmoins en 2004 qu‘est entrée en vigueur la modification
réglementaire majeure en matière d‘anonymat des dons de gamètes 1278 ayant lieu dans
une clinique agrée. Le droit anglais en matière de technologies de la reproduction ne
concerne effectivement pas la procréation privément assistée qui demeure assujettie aux
règles du droit commun.
Dans la présente section, nous présentons dans un premier temps l‘état du droit tel
qu‘il était avant que le législateur britannique opère un virage à 180 degrés et abolisse
l‘anonymat. Aussi, dans un deuxième temps, nous tâchons de comprendre ce qui a motivé
1276
Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552.
Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552.
1278
The Human Fertilisation and Embryology Authority (Disclosure of Donor Information) Regulations
2004, supra note 44.
1277
383
le législateur dans cette prise de décision. Concernant l‘analyse critique à la lumière de
l‘éthique de la sollicitude, et sur laquelle nous concluons, quelques précisions s‘imposent.
Dans l‘étude du droit français, nous transposons l‘éthique de la sollicitude au moyen de
l‘internormativité en ayant pour objectif de déterminer comment nous en arriverions à des
résultats différents si on priorisait la logique de la sollicitude puisque dans ce pays
l‘anonymat est fort présent. À l‘opposé, le Royaume-Uni a déjà mis un terme à
l‘anonymat. La réflexion est néanmoins plus que jamais pertinente puisque cet État a une
approche aux technologies de la reproduction qui est très libérale et qui tend au départ à
favoriser l‘autonomie reproductive des parents. Or, il y a lieu de se demander si, par
l‘abolition de l‘anonymat, nous ne retrouvons pas dans la législation britannique une
certaine
priorité
de
l‘interdépendance
des
individus
et
donc,
des
relations
interpersonnelles. Le résultat est certes le même, mais quelle fut la motivation de la
législation britannique? En quoi pouvons-nous l‘associer à notre cadre théorique?
1- LA LOI ORIGINALE DE 1990 : L’ANONYMAT EN VIGUEUR
Jusqu‘en 2004, les dons d‘engendrement effectués au Royaume-Uni étaient
considérés comme anonymes1279. La Human Fertilisation and Embyology Authority
(HFEA), l‘autorité régulatrice britannique, était quant à elle la gardienne de l‘identité du
donneur. En effet, déjà en 1990, la loi prévoyait la création d‘un registre, sous la
1279
Concernant les enfants nés avant 1991, voir : Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA),
Conceived before 1 August 1991, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne:
<http://www.hfea.gov.uk/5552.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Human Fertilisation and
Embryology Authority (HFEA), If you were onceived before 1 August 1991, Dernière mise à jour: 30
septembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/5524.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010).
384
responsabilité de la HFEA, des donneurs et des enfants nés grâce à ces dons1280.
L‘inscription sur le registre était néanmoins aux seuls fins de l‘autorité de contrôle et de
régulation de la procréation assistée et l‘identité du donneur ne pouvait être dévoilée aux
tiers que dans quelques cas précis prévus par la loi1281. Cette dernière prévoyait bien
l‘accès à certaines informations lorsque l‘enfant atteint sa majorité et qu‘il demande de
consulter de registre1282, les donneurs étant priés de fournir des renseignements non
identifiants (e.g. origine ethnique, situation professionnelle1283), mais il n‘existait aucun
moyen d‘en connaître l‘identité1284.
Parallèlement, la loi de 19901285 prévoyait, lors de son adoption, les dispositions
applicables au statut légal des parents de l‘enfant né suite à un don d‘engendrement. Une
auteure remarque que ces dispositions législatives prennent comme point de repère la
filiation nucléaire (et, par conséquent, hétérosexuelle)1286. L‘article 27 de la loi précise
qu‘est déclarée mère la femme qui accouche. Si elle est mariée, une présomption de
paternité s‘applique d‘autre part à son conjoint, sous réserve de son consentement au
1280
Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552, art. 31.
Voir le Human Fertilisation and Embryology (Disclosure of Information) Act 1992, 1992 c. 54, En
ligne: http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1992/54/data.pdf (Date d‘accès: 28 novembre 2010).
1282
Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552, art. 31 (3).
1283
Ibid., art. 31 (5); Voir également: Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Conceived
between 1 August 1991 – 1 April 2005, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne:
<http://www.hfea.gov.uk/5553.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010) [HFEA, « Conceived between 1
August 1991 – 1 April 2005 »]; Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), If you were
conceived between 1 August 1991 and 1 April 2005, Dernière mise à jour: 30 septembre 2009, En ligne:
<http://www.hfea.gov.uk/5553.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010).
1284
Sur l‘état du droit concernant l‘anonymat avant la réforme de 2004, voir : Ruth Deech, « Family Law
and Genetics », (1998) 61 Mod. L. Rev. 697; Frith, « Debate », supra note 42; Robert L. Stenger, « The law
and assisted reproduction in the United Kingdom and United States », (1994-1995) 9 J.L. & Health 135;
Kristina Stern, « The regulation of assisted conception in England », (1994) 1 Eur. J. Health L. 53; Wilson,
supra note 765; Thérèse Callus, « De l‘anonymat assuré à l‘anonymat affaibli: la (r)évolution du droit
anglais en matière de procréation médicalement assistée », dans Feuillet-Liger, supra note 42, 179 [Callus,
« Révolution »]; Lee et Morgan, supra note 330 aux pp. 231-237.
1285
Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552.
1286
Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 183; Callus, « Filiation », supra note 921 à la p. 60.
1281
385
transfert du matériel génétique1287. Dans le cas des concubins, est père celui qui se livre
au traitement avec sa conjointe et qui y a consenti1288. En aucun cas le donneur ne peut
être considéré comme le père de l‘enfant1289. Attention par contre, si la loi, dans ces
circonstances, place la parenté sociale au-dessus du lien génétique, ces dispositions
législatives ne s‘appliquent qu‘à la procréation assistée se déroulant dans le contexte
médical. L‘hypothèse de la procréation amicalement assistée n‘est pas couverte et
demeure assujettie aux règles du droit commun1290 que nous n‘abordons pas.
Si le législateur a voulu se prétendre le gardien de l‘intérêt des enfants en adoptant
ces mesures, c‘est avant tout l‘intérêt des adultes à cacher l‘intervention d‘un tiers dans la
procréation qui était au cœur de ses préoccupations en 1990 1291. Cela était d‘ailleurs en
accord avec le rapport de la Commission Warnock1292 qui se pencha dans les années 80
sur l‘encadrement des technologies de la reproduction et favorisa l‘anonymat 1293. En
1287
Human Fertilisation and Embryology Act 1990, supra note 552, art. 28 (2).
Ibid., art. 28 (3).
1289
Ibid., art. 28 (6).
1290
Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 183; Pour une analyse détaillée du droit anglais quant
aux principes de filiation, voir : Callus, « Filiation », supra note 921 aux pp. 58 et suivantes.
1291
Callus, « Révolution », supra note 1284 aux pp. 186-187; Eric Blyth et Lucy Frith, « The UK‘s gamete
donor ‗crisis‘ – a critical analysis », (2008) 28:1 Critical Social Policy 74 à la p. 75 [Blyth et Frith, « Donor
‗crisis‘ »].
1292
En juillet 1982, fut créé le Committee of Inquiry into Human Fertilisation and Embryology. Sous la
présidence de Mary Warnock, ce dernier rendit public en 1984 les résultats de sa consultation sur la
recherche sur l‘embryon et la reproduction humaine assistée. « The Warnock Report reviewed the ethical
issues associated with new reproductive techniques and stated the Committee‘s opinions (both majority and
minority opinions, in some cases) about what policymakers ought to adopt in designing oversight. » Erik
Parens et Lori P. Knowles, « Reprogenetics and Public Policy: Reflections and Recommendations – A
special supplement to the Hastings Center Report », (2003) Hastings Center Report S1 à la p. S15; Ce
rapport influença grandement le législateur britannique en jetant les bases du Human Fertilisation and
Embryology Act. Peter R. Brinsden, « Has clinical practice been changed by the Human Fertilisation and
Embryology Act », (2000) 3 Human Fertility 116 à la p. 116; Latham, supra note 1274 à la p. 91; Parens et
Knowles, supra à la p. S15; Stenger, supra note 1284 aux pp. 139-147; Agneta Sutton, « The British Law
on Assisted Reproduction: A Liberal Law by Comparison with Many Other European Laws », (1996) 12:2
Ethics & Medicine 41 à la p. 41.
1293
Department of Health and Social Security, Report of the Committee of Inquiry into Human Fertilisation
and Embryology ("The Warnock Report"), Cm 9314, July 1984 à la p. 15, En ligne:
1288
386
effet, à l‘époque, le don de gamètes n‘était pas interdit, mais ne faisait l‘objet d‘aucun
encadrement. L‘enfant était considéré comme illégitime aux yeux de la loi et le conjoint
de la femme qui consentait à la procréation assistée ne disposait d‘aucune responsabilité
légale à l‘égard de l‘enfant. C‘était le donneur qui était considéré comme le père légal.
Selon la pratique alors instaurée, le nom du conjoint était indiqué sur l‘acte de naissance,
mais cela signifiait commettre une infraction en donnant une fausse information. Les
problèmes liés à la paternité légale ont contribué au désir de garder la pratique secrète et
l‘anonymat pouvait être considéré comme nécessaire afin de protéger le donneur d‘une
éventuelle responsabilité parentale et de garantir son attribution au conjoint de la femme
qui accouchait1294.
L‘anonymat a donc été en vigueur au Royaume-Uni pendant près d‘une quinzaine
d‘années. Puis, en 2004, le virage fut radical. Désormais, tout donneur de gamètes ou
d‘embryons doit savoir que l‘enfant peut obtenir des informations nominatives et
identifiantes le concernant s‘il est informé des circonstances de sa conception; le privilège
de réserve des parents prenant la même forme que dans les lois canadienne et québécoise.
C‘est que nous abordons plus en détails ci-après.
<http://www.hfea.gov.uk/docs/Warnock_Report_of_the_Committee_of_Inquiry_into_Human_Fertilisation
_and_Embryology_1984.pdf> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Cohen, supra note 487 à la p. 270.
1294
Ibid.; Blyth et Frith, « Donor ‗crisis‘ », supra note 1291 à la p. 75; Frith, « Debate », supra note 42 à la
p. 820; Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 285; Sur le contexte entourant l‘adoption
de la loi de 1990, voir également: Catherine Donovan, « Genetics, Fathers and Families: Exploring the
Implications of Changing the Law in Favour of Identifying Sperm Donors », (2006) 15 Social & Legal
Studies 494 aux pp. 495 et ss.
387
2- L’ÉVOLUTION LÉGISLATIVE DE 2004 : L’ANONYMAT ABOLI
The Human Fertilisation and Embryology Authority (Disclosure of Donor
Information) Regulations 20041295 est entré en vigueur au 1er juillet 2004. Si nous
effectuons une lecture de l‘état du droit en parallèle avec le Human Fertilisation and
Embryology Act 20081296, nous constatons ce qui suit en ce qui concerne les informations
identifiantes du donneur, malgré l‘absence d‘une obligation de mettre l‘enfant au courant
des circonstances de sa conception. À l‘époque du projet de loi, fut d‘ailleurs rejetée
l‘option d‘indiquer le recours à un tiers donneur à même le certificat de naissance. Des
auteurs expliquent ainsi ce choix du législateur britannique: « Arguably, the enforcement
of the child‘s right to know at the price of other rights (parents and donors) would have
been a mistake. The interests of parents, resultant children, and donors must be balanced
against each other. »1297
La loi de 2008 préserve dans un premier temps l‘obligation de la HFEA de tenir
un registre contenant des renseignements concernant le donneur de gamètes ou
d‘embryons1298. L‘enfant conçu grâce à ce don peut y avoir accès dans certaines
circonstances. S‘il a 16 ans, il a par exemple la possibilité d‘être informé du fait que
d‘autres enfants sont nés du même donneur. Néanmoins, ce n‘est qu‘à partir de 18 ans
qu‘il peut obtenir les données nominatives concernant son géniteur1299. L‘obligation de
l‘autorité administrative de répondre à la demande d‘un enfant ne s‘applique cependant
1295
Supra note 44.
Supra note 552.
1297
Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 303.
1298
Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 24 (nouvel art. 31 de la loi de
1990).
1299
Ibid., art. 24 (nouvel art. 31 ZA de la loi de 1990).
1296
388
pas si les gamètes ou les embryons utilisés ont été obtenus à une époque où le donneur
pouvait refuser que son identité soit communiquée1300. Cela signifie donc que la
possibilité pour un enfant d‘accéder à ses origines, quant à l‘identité de son donneur, n‘est
pas rétroactive. Dans ces circonstances, c‘est le régime de départ de l‘anonymat qui
s‘applique.
Le règlement de 2004 vient, dans un deuxième temps, préciser l‘étendue des
informations que peut obtenir l‘enfant. Dans tous les cas où une demande d‘accès au
registre est faite, l‘article 2 prévoit qu‘il lui est possible d‘être avisé de :
« (a) the sex, height, weight, ethnic group, eye colour, hair colour, skin
colour, year of birth, country of birth and marital status of the donor;
(b) whether the donor was adopted;
(c) the ethnic group or groups of the donor‘s parents;
(d) the screening tests carried out on the donor and information on his
personal and family medical;
(e) where the donor has a child, the sex of that child and where the donor
has children, the number of those children and the sex of each of them;
(f) the donor‘s religion, occupation, interests and skills and why the donor
provided sperm, eggs or embryos;
(g) matters contained in any description of himself as a person which the
donor has provided;
(h) any additional matter which the donor has provided with the intention
that it be made available to an applicant history »1301.
1300
Ibid.
The Human Fertilisation and Embryology Authority (Disclosure of Donor Information) Regulations
2004, supra note 44, art. 2 (1) et (2).
1301
389
Cela peut même concerner des éléments inclus dans le registre depuis sa création au début
des années 90, mais ne sont pas visés l‘identité du géniteur ou des renseignements qui
puissent permettre de le nommer1302.
Cette disposition s‘élargie dans le cas des enfants nés d‘un don fait depuis le 1 er
avril 2005. À leur majorité, donc au plus tôt en 2023, ils pourront être instruits des
éléments déjà énoncés, mais également de :
« (b) the surname and each forename of the donor and, if different, the
surname and each forename of the donor used for the registration of his
birth;
(c) the date of birth of the donor and the town or district in which he was
born;
(d) the appearance of the donor;
(e) the last known postal address of the donor. »1303
Les données transmises sont finalement limitées à celles demandées dans la requête
d‘accès de l‘enfant1304. Soulignons ici que lorsque c‘est le régime de départ qui
s‘applique, c‘est-à-dire celui de l‘anonymat, il est toujours possible pour le donneur de
consentir à la communication de ses renseignements identifiants. Le gouvernement
1302
Ibid.
Ibid., art. 2 (3).
1304
Ibid., art. 2 (4); Voir également: Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Conceived
after
1
April
2005,
Dernière
mise
à
jour:
30
septembre
2009,
En
ligne:
<http://www.hfea.gov.uk/5554.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Human Fertilisation and
Embryology Authority (HFEA), If you were conceived after 1 April 2005, Dernière mise à jour: 30
septembre 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/5526.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Human
Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Apply for information about your donor, Dernière mise à
jour: 30 mars 2009, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/113.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010).
1303
390
britannique a, à cette fin, financé la mise en place d‘un registre facultatif1305 qui vise à
mettre en contact, s‘ils le souhaitent, les donneurs et leurs enfants et à faciliter la
recherche par l‘enfant de son géniteur1306.
En ce qui concerne le lien de filiation établi sous la loi de 2008, peu importe le
type de don, la loi maintient que la mère est la femme qui accouche1307. Dans ce contexte,
l‘accouchement se traduit en acte juridique1308. Quant à la paternité, si la femme est
mariée, son époux est présumé être le père légal de l‘enfant, à moins qu‘il puisse être
prouvé qu‘il n‘a pas consenti au transfert de l‘embryon crée grâce au don 1309. Dans les
autres cas, c‘est-à-dire lorsque la mère n‘est pas mariée au moment du don, une
distinction est faite entre les traitements de fertilité effectués avant avril 2009 et ceux
réalisés par après. Aussi, si la mère a bénéficié d‘un don avant cette date, l‘homme qui a
été traité avec elle et qui a consenti au traitement est considéré comme le père légal 1310.
Depuis avril 2009, le droit a par contre changé en ce qui concerne l‘hypothèse des
femmes non mariées et celles en couple lesbien. Dans ces cas, le père ou le second parent
est la personne dont le nom apparaît le formulaire de consentement de parenté. Tant la
1305
Voir : UK Donor Link, UK Voluntary Information Exchange and Contact Register Following Donor
Conception Pre 1991, En ligne: <http:www.ukdonorlink.org.uk> (Date d‘accès : 12 décembre 2010).
1306
Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 188; Françoise Shenfield, « Don de gamète, la fin de
l‘anonymat: la position britannique. Une position récente, dans le contexte européen », (2008) 18 :2
Andrologie 146 à la p. 147; Voir également : HFEA, « Conceived between 1 August 1991 – 1 April 2005 »,
supra note 1283; Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Can you be anonymous as a
sperm, egg or embryo donor?, Dernière mise à jour: 10 novembre 2009, En ligne:
<http://www.hfea.gov.uk/1973.html> (Date d‘accès: 12 décembre 2010).
1307
Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 33 (1).
1308
Callus, « Filiation », supra note 921 à la p. 60.
1309
Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 35.
1310
Voir plus haut; Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Your legal responsibilities as
a sperm, egg or embryo donor, Dernière mise à jour: 10 novembre 2010, <En ligne:
http://www.hfea.gov.uk/1972.html> (Date d‘accès : 12 décembre 2010) [HFEA, « Legal responsibility »].
391
mère que cette autre personne doivent y consentir1311. Si les deux femmes sont unies par
un "civil partnership", une présomption de parenté semblable à la présomption de
paternité s‘applique1312. Ces règles ne concernent que les traitements de fertilité ayant lieu
dans une clinique agrée. L‘hypothèse de la procréation amicalement assistée demeure
donc, sous l‘empire de la nouvelle loi, soumise aux règles du droit commun1313.
Concernant le statut du donneur, il n‘apparaît pas comme un parent en droit
britannique. La loi prévoit que lorsqu‘un homme est déjà identifié comme le père de
l‘enfant, aucune autre personne n‘est traitée comme tel1314. Il en est de même lorsqu‘il
s‘agit du couple lesbien. C‘est-à-dire, que lorsqu‘une femme est considérée comme
l‘autre parent, aucun homme ne peut être vu comme le père de l‘enfant1315. Nous
retrouvons ici la logique binaire de la parenté que nous identifions en droit civil.
La réforme de 2004 a été entreprise suite à une consultation publique menée par le
gouvernement du Royaume-Uni sur la question de l‘anonymat des donneurs1316. La
réponse à cette consultation était plutôt en faveur de la levée de l‘anonymat 1317. Le
processus consultatif concernait tous les types d‘informations sur le donneur, c‘est-à-dire
tant les informations identifiantes que celles non nominatives. Seules les dernières nous
1311
Ibid.; Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 36-37 et 43-44.
Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 42.
1313
HFEA, « Legal responsibility », supra note 1310.
1314
Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 38 (1).
1315
Ibid., art. 45 (1).
1316
Department of health, Donor information consultation: Providing information about gamete or embryo
donors,
Londres,
2001,
En
ligne:
<http://www.dh.gov.uk/prod_consum_dh/groups/dh_digitalassets/@dh/@en/documents/digitalasset/dh_401
8774.pdf> (Date d‘accès: 12 décembre 2010); Department of health, Donor information: Providing
information about gamete or embryo donors: Responses to consultation, Londres, 2003, En ligne sur:
<http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/www.dh.gov.uk/en/Consultations/Responsestoconsultations/
DH_4071838> (Date d‘accès : 12 décembre 2010) [Department of Health, « Responses to consultation »].
1317
Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 188.
1312
392
intéressent puisque nous considérons, dès le départ, que l‘enfant devrait et a le droit
d‘obtenir des données non identifiantes concernant le donneur lorsque ses parents l‘ont
informé des circonstances de sa conception.
Sur les 237 répondants, nous pouvons en tracer le portrait suivant. Certains étaient
directement concernés par la problématique des dons : 9 donneurs de sperme, 7
donneuses d‘ovules, 2 donneurs d‘embryons, 39 bénéficiaires d‘un don de sperme, 18
bénéficiaires d‘un don d‘ovules, un bénéficiaire d‘un don d‘embryons, 13 enfants nés
d‘un don de sperme, 2 enfants nés d‘un don d‘ovules et 2 enfants né d‘un don
d‘embryons. Parmi les répondants, 113 l‘ont fait à titre individuel, mais 33 étaient
associés à une organisation et 18 cliniques ont participé à la consultation. Finalement, 73
personnes ont déclaré avoir un intérêt professionnel pour les traitements de fertilité, qu‘il
s‘agisse de chercheurs, de professionnels travaillant dans des cliniques, de membres de
comités d‘éthique, de professeurs en droit ou en éthique, de bioéthiciens ou de travailleurs
sociaux travaillant dans le milieu de l‘adoption1318.
Relativement à l‘identité du donneur et les informations nominatives, 3 questions
furent posées. Tout d‘abord: « [s]hould offspring be able to obtain identifying information
about future donors? » 132 répondants se déclarèrent pour, 70 contre et 23 étaient indécis
sur ce point. Les raisons invoquées au soutien de ces positions sont fidèles aux motifs que
nous exposons au chapitre 2. Il s‘agissait ensuite de savoir, si la réponse à la première
question est positive, « what identifying information should offspring be able to obtain
about the donor? » Globalement, 108 réponses soutenaient la disponibilité du nom du
1318
Department of Health, « Responses to consultation », supra note 1316 à la p. 2.
393
donneur, 106 visaient la date de naissance et 88 l‘adresse du donneur au moment du don.
Les autorités britanniques cherchaient finalement à determiner si: « should identifying
information be provided to donor offspring only with the agreement of the donor, or in all
cases? » Dans ce cas, les réponses étaient plutôt partagées. 87 répondants affirmèrent que
l‘information nominative ne devrait être communiquée qu‘avec le consentement du
donneur. 93 répondants considérèrent au contraire qu‘elle devrait l‘être dans tous les cas
et 58 s‘abstinrent de répondre1319. Malgré des dissidences, la tendance lors de la
consultation, qui s‘est déroulée de décembre 2001 à juillet 2002, était donc en faveur de
la levée de l‘anonymat1320. Le tableau ci-après nous montre en ce sens les réponses qui
furent données par groupe d‘individus.
SOMMAIRES DES RÉPONSES PAR GROUPE D’INDIVIDUS1321
Enfants nés d’un don
Receveurs
Donneurs
Pour
11
38
8
Contre
3 (autres réponses pas
claires)
13
9
Transmission
d’informations nominatives
Indécis
5
Divulgation de l’identité
Dans tous les cas
12
18
3
Avec le consentement du
donneur
4
16
11
1319
Ibid. aux pp. 4 à 7.
Une étude auprès d‘anciens donneurs démontre pourtant le contraire et leur souhait majoritaire du
maintien de l‘anonymat. Voir : K. Daniels et al., supra note 906.
1321
Tableau inspiré de Department of Health, « Responses to consultation », supra note 1316 à la p. 8.
1320
394
À la même époque, le comité d‘éthique de la HFEA émit l‘opinion selon laquelle
il importe d‘encourager l‘ouverture dans l‘intérêt des enfants et donc, de décourager le
maintien du secret dans la mesure où la vie privée de la famille doit être respectée. Les
parents ne peuvent être forcés à révéler le recours à un tiers donneur. Un courant en
faveur de l‘accès aux origines s‘annonçait1322. Une auteure spécifie même qu‘il existait au
Royaume-Uni un discours promouvant le droit de l‘enfant de connaître ses origines et qui
influença grandement la décision du législateur d‘abandonner l‘anonymat. Celui-ci
insistait sur les parallèles entre les enfants nés d‘une procréation assistée et ceux qui sont
adoptés. En dépit des différences entre le contexte social et biologique de l‘adoption et de
la procréation assistée, l‘adoption a servi de modèle puisque les deux régimes sont
désormais sur la même longueur d‘onde1323. Est-ce qu‘annonce le jugement Pratten1324?
Le changement réglementaire était de plus une réaction à l‘affaire Rose & Anor v.
Secretary of State for Health Human Fertilisation and Embryology Authority1325,
1326
.
Cette cause concernait un enfant, devenu adulte, né suite à un don de gamètes fait avant
l‘adoption de la loi de 1990 et un autre enfant qui lui est né en 1996, donc suite à l‘entrée
en vigueur de la loi. Étant privés de renseignements, même non nominatifs, sur leur
donneur, les demandeurs prétendaient notamment que leur droit à la vie privée, en vertu
de l‘article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
1322
Shenfield, supra note 1306 à la p. 147.
Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 284.
1324
Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011).
1325
Supra note 829.
1326
Penelope Beem et Derek Morgan, « What‘s Love Got to Do With It? Regulating Reproductive
Technologies and Second Hand Emotions », dans Sheila A.M. McLean, dir., First Do No Harm: Law,
Éthics and Healthcare, Aldershot, Ashgate, 2006, 369 à la p. 372.
1323
395
fondamentales1327, avait été violé. Selon eux, en vertu de cette disposition, l‘État a une
obligation positive :
« i) to collect and make available to A.I.D. offspring and their parents
certain non-identifying information about the donor including blood type,
medical history, social and family background, religion, skills and
interests, occupation, reasons for donation, willingness to be approached
for identification and willingness to provide updating information; and
ii) to establish a voluntary mechanism to facilitate the exchange of
information and contact between willing A.I.D. offspring and willing
donors, such as a voluntary contact register. »1328
Après avoir examiné les diverses décisions internes et européennes, la Cour a conclu que
l‘article 8 était mis en cause concernant les renseignements nominatifs et non nominatifs,
même si en l‘espèce l‘identité du donneur n‘était pas demandée. Le tribunal a toutefois
posé un bémol important dans son jugement car il a spécifié que la question de savoir si
l‘article 8 avait été violé était tout à fait différente et ne faisait pas partie de cette
cause1329. Le dernier élément est d‘importance pour nous : la Cour a associé l‘accès aux
origines, et donc à toute information concernant le donneur, au droit à la vie privée.
Malgré cela, en ne tranchant pas la question de fond de la violation, ce jugement ne nous
laisse pas de marge d‘appréciation de la proportionnalité à examiner en vue de transposer
notre cadre théorique.
Thérèse Callus souligne finalement que le règlement de 2004 a vite suivi ce
jugement. Cela était une réponse inévitable compte tenu de l‘importance du droit à la vie
1327
Supra note 1198 [Ci-après la « Convention européenne »].
Rose & Anor v Secretary of State for Health Human Fertilisation and Embryology Authority, supra
note 829.
1329
Pour des interprétations du jugement : Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 189; Van Heugten
et Hunter, supra note 26 aux pp. 2-23 et 2-24.
1328
396
privée énoncé à l‘article 8 de la Convention européenne. L‘auteure ajoute que l‘entrée en
vigueur, en 2000, du Human Rights Act 19981330 fait en sorte que toute loi doit respecter
les droits énoncés dans la Convention européenne et que le gouvernement britannique
doit prendre les mesures nécessaires au bon respect de ces droits. La jurisprudence
européenne indique de plus la tendance vers une reconnaissance étendue de l‘article 8, y
compris le droit d‘avoir accès aux informations qui permettent à une personne de
déterminer les circonstances de sa naissance et de sa vie d‘enfant1331,
1332
. L‘affaire
Odièvre1333 étudiée dans le contexte français nous montre toutefois qu‘il ne s‘agit pas
d‘un droit absolu, quoiqu‘il ne puisse être violé sans un motif proportionné et
nécessaire1334.
3- DROIT BRITANNIQUE, INTERNORMATIVITÉ ET ÉTHIQUE DE LA
SOLLICITUDE: CRITIQUE
Ce ne sont pas tous les auteurs qui sont en accord avec l‘évolution britannique en
matière d‘anonymat. D‘ailleurs, le changement législatif anglais ne fut pas bien reçu dans
tous les milieux. Tel fut le cas chez les cliniciens pratiquant en matière de fertilité et au
sein de leurs organisations professionnelles (la British Fertility Society, la British Medical
1330
1998 c. 42, En ligne : <http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1998/42/data.pdf> (Date d‘accès : 17
décembre 2010).
1331
Gaskin c. Royaume-Uni, Requête no 10454/83, Arrêt, Strasbourg, 7 juillet 1989, En ligne :
<http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=gaskin&sessio
nid=63672548&skin=hudoc-fr> (Date d‘accès : 17 décembre 2010).
1332
Callus, « Révolution », supra note 1284 aux pp. 189-190.
1333
Supra note 1197.
1334
Callus, « Révolution », supra note 1284 à la p. 190; Pour une analyse de la jurisprudence de la Cour
européenne des Droits de l‘Homme, voir notamment: Besson, supra note 50; Richard J. Blauwhoff,
« Tracing down the historical development of the legal conept of the rights to know one‘s origins – Has ‗to
know or not to know‘ ever been the legal question », (2008) 4 :2 Utrecht Law Review 99 aux pp. 105-112;
Brunet, supra note 120 aux pp. 97-99; Jill Marshall, « Giving birth but refusing motherhood : inauthentic
choice or self-determining identity? », (2008) 4 :2 International Journal of Law in Context 169; Van
Heugten et Hunter, supra note 26 à la p. 2-23.
397
Association et le Royal College of Obstetricians and Gynaecologist)1335. En 2006, des
membres de la HFEA s‘élevèrent contre l‘abolition de l‘anonymat en invoquant divers
motifs. Tout d‘abord, la levée du voile serait responsable de la baisse du nombre de
donneurs. Ensuite, cela pose des risques particuliers en matière de dons d‘ovocytes en cas
de non grossesse chez la donneuse qui pourrait regretter son geste au fil des années.
Enfin, les parents sont beaucoup plus mal à l‘aise à informer leur enfant des circonstances
de sa conception1336. Il n‘est pas utile de décortiquer en profondeur ces motifs car ils
réfèrent à des arguments que nous soulevons déjà au chapitre 2. Il est néanmoins évident
que l‘accueil favorable du nouveau règlement ne fut unanime.
De l‘avis de certains, l‘un des principes de base de la HFEA est le droit des
personnes requérant des traitements de procréation assistée de recevoir une réponse
adéquate à leur demande. Un autre fondement de la législation britannique est
l‘importance du bien-être de l‘enfant. Ces deux préceptes ne sont pas nécessairement en
conflit, mais en pratique, nous disent-ils, la position du Gouvernement britannique sur ce
qui contribue au bien-être de l‘enfant (c‘est-à-dire avoir accès à l‘identité de son donneur)
est en train de miner le programme de don de gamètes et le droit des parents d‘obtenir de
l‘assistance pour concevoir1337. L‘argument de ces auteurs se base notamment sur le
manque déjà existant de donneurs1338 ou encore sur les effets négatifs de l‘abolition de
l‘anonymat sur des parents qui préfèrent alors garder le secret.
1335
Blyth et Frith, « Donor ‗crisis‘ », supra note 1291 aux pp. 77-78.
Ibid. à la p. 78
1337
Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 304.
1338
Nous soulignons pourtant au chapitre 2 qu‘au lieu d‘une diminution du nombre de donneurs de sperme,
si le phénomène a d‘abord été observé, il a remonté grâce à une modification des profils de ces derniers.
HFEA, « Number of sperm donors », supra note 707; Day, supra note 707; Concernant les dons d‘ovules,
voir par contre: Brett et al., supra note 677; Turkmendag, Dingwall et Murphy, supra note 707 à la p. 297.
1336
398
Ceci étant, l‘application de notre cadre théorique de la sollicitude, du moins dans
sa dimension éthique telle que nous l‘analysons au chapitre 2, soutient la position adoptée
par le législateur britannique. Tâchons de déterminer s‘il initie des phénomènes
d‘internormativité et donc, si nous retrouvons dans le fonctionnement interne du système
juridique en matière de procréation assistée les principes directeurs propres à l‘approche
relationnelle que nous retenons. Tout comme au Canada, au Québec et en France, il
importe avant tout de souligner que, lors de son évolution réglementaire, le législateur
britannique a respecté la première étape du modèle de construction de la règle de droit
lorsque l‘éthique est appréhendée par l‘auteur de la norme juridique. Une affaire juridique
devant leurs tribunaux a certes motivé les autorités anglaises à se conformer au cadre
européen en matière d‘accès aux origines, mais plus simplement, la consultation initiée en
2001 fut l‘occasion de mettre en place dialogue visant à aiguiller le législateur. C‘est vers
l‘étape 2 que se porte notre regard, lorsque les normes éthiques sont reçues dans l‘ordre
juridique.
Nous constatons en section 2 que la France adopte en matière de nouvelles
technologies de la reproduction une approche dite prudente qui, en raison de fondements
de la loi existante, est mal adaptée à l‘érection d‘une dialectique entre l‘élaboration de la
règle de droit et la prise en compte des relations interpersonnelles et d‘interdépendance.
Le Royaume-Uni tend quant à lui vers une approche de type libéral. À la différence, elle
est :
« flexible[…] et pragmatique[…]. Elles réglementent dans l‘intérêt du
patient, de la santé publique et des préoccupations de la société. Elles
incluent aussi bien des interdictions générales tel le clonage reproductif, la
création d‘hybrides ou la rémunération des donneurs d‘embryons. Elles
399
prônent le développement scientifique sécuritaire à l‘intérieur de balises
éthiques. »1339
Un bref retour sur nos travaux de maîtrise en matière de diagnostic préimplantatoire
(DPI)1340 permet de mieux comprendre la traduction législative qu‘a faite le législateur
britannique de ces caractéristiques. C‘est-à-dire, dans la structure même de la loi
applicable aux techniques de procréation assistée.
Nous constations alors1341 que si la loi britannique soumet l‘utilisation d‘un
embryon à l‘obtention préalable d‘une licence, c‘est la HFEA qui en définit les
paramètres et les lignes directrices à suivre pour une technologie particulière tel le DPI.
Puisque la loi utilise des termes généraux, elle ne limite pas d‘avance toutes les
manipulations sur l‘embryon1342 et ne détermine pas ce qui est acceptable en listant
précisément les actes réglementés. C‘est plutôt à l‘autorité administrative que revient le
rôle d‘en restreindre l‘exercice en mettant en place des balises. Pour ce faire, la HFEA a
un souci d‘adaptation et de consultation1343 au fur et à mesure que les débats sur les
applications du DPI suscitent des réactions. L‘autorité a fait l‘exercice une première fois
1339
Dorothy C. Wertz, Marie-Hélène Régnier et Bartha Maria Knoppers, « La recherche sur les cellules
souches dans une société pluraliste: Les conséquences du projet de loi canadien ». (2003) 1:1 GenÉdit 1 à la
p. 2, En ligne: <http://www.humgen.umontreal.ca/int/GE/fr/2003-1.pdf> (Date d‘accès : 12 décembre
2010).
1340
Voir : Cousineau, « Enjeux éthiques et légaux », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre
juridique », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre juridique », supra note 70; Cousineau,
« Autonomie reproductive », supra note 23.
1341
Notre étude originale remonte à 2006, avant l‘adoption de la nouvelle loi. L‘analyse que nous
présentions demeure toutefois pertinente puisque la structure de la loi est restée passablement la même.
1342
Parens et Knowles, supra note 1292 aux pp. S15-S16: « The decision to articulate the purposes of
embryo usage rather than specific techniques has ensured that the act can incorporate novel techniques that
were not envisaged when the act was drafted. ».
1343
Voir : Brinsden, supra note 1292 à la p. 118; Angus Dawson, « The Human Fertilisation and
Embryology Authority: Evidence Based Policy Formation in a Contested Context », (2004) 12:1 Health
Care Analysis 1 à la p. 3.
400
en 20011344 et s‘est par la suite intéressée aux applications du DPI. Ainsi, la loi est
permissive tout en imposant un contrôle du fait qu‘elle interdit de faire quoi que ce soit
sans une licence, mais en laissant la possibilité de pouvoir en octroyer une même pour les
activités controversées. Si la HFEA doit œuvrer à l‘intérieur de certaines limites prévues
par la loi, elle s‘est vue octroyer une autonomie considérable pour contrôler les
procédures d‘autorisation et déterminer ce qu‘il peut être fait en vertu de ces
autorisations1345. Autant nous pouvons considérer cette autonomie comme une qualité
permettant une réponse rapide du cadre normatif aux développements scientifiques et
sociaux1346, autant certains soulignent la difficulté d‘en délimiter l‘étendue1347. À terme,
la décision de procéder à un DPI est l‘aboutissement d‘une importante réflexion
considérant notamment le bien-être de l‘enfant. La HFEA ne dicte pas comment répondre
à cette exigence mais fournit des balises sur la façon de faire1348. Malgré une licence
permettant d‘effectuer un DPI pour une maladie précise et avec un test déterminé
(l‘autorisation ne vise pas le bénéficiaire du DPI), la décision clinique dépend de
l‘évaluation de l‘équipe multidisciplinaire qui tient compte de divers facteurs telle la
perception qu‘ont les parents de la maladie génétique dont ils veulent éviter la
1344
Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA) et Human Genetic Commission Joint Working
Party on Preimplantation Genetic Diagnosis, Outcome of the Public Consultation on Preimplantation
genetic diagnosis, London, Novembre 2001, En ligne: <http://www.hfea.gov.uk/cps/rde/xbcr/SID3F57D79B-FEB79DDD/hfea/PGD_outcome.pdf> (Date d‘accès : 12 décembre 2010).
1345
Austen Garwood-Gowers, « Contemporary issues in the regulation of artificial reproduction and
embryology in the UK », (2004) 21 Law and Human Genome Review 67 à la p. 68; Kerry Petersen, « The
Regulation of Assisted Reproductive Technology: A Comparative Study of Permissive and Prescriptive
Laws and Policies », (2002) 9 Journal of Law and Medicine 483 à la p. 485; Sutton, supra note 1292 à la p.
42; Dawson, supra note 1343 aux pp. 2-3.
1346
Petersen, supra note 1345 à la p. 485; Parens et Knowles ont par ailleurs noté que la loi britannique
« has to work within certain parameters when granting licences but at the same time has considerable
freedom. » Parens et Knowles, supra note 1292 à la p. S16.
1347
Garwood-Gowers, supra note 1345 à la p. 68.
1348
Stuart Lavery, « Preimplantation genetic diagnosis and the welfare of the child », (2004) 7:4 Human
Fertility 295 à la p. 296.
401
transmission1349. Or, l‘autonomie reproductive des parents, c‘est-à-dire la liberté de choix
des embryons en fonction de critères établis par les individus, est également une
caractéristique de l‘approche libérale. Si elle est importante, elle n‘est toutefois pas
absolue.
Le cadre normatif adopté par le législateur en matière d‘anonymat se détache
forcément de ce que nous venons de décrire puisqu‘au fond cela appelle simplement une
position positive ou négative, anonymat ou pas. Pourtant, à y regarder de plus près,
certains des éléments décrits ci haut se rattachent aux principes directeurs de l‘éthique de
la sollicitude et une attention particulière portée aux acteurs. Il apparaît que si l‘éthique de
la sollicitude n‘a pas formellement ni nommément été reçue par le législateur britannique,
celui-ci, en adoptant de manière générale l‘approche libérale, accorde de l‘importance aux
relations interpersonnelles et d‘interdépendance et procède à de l‘internormativité. La loi
est proactive plutôt qu‘en mode défensive face aux questions que suscite la problématique
de l‘anonymat.
L‘avantage de l‘approche libérale au regard de certains principes directeurs de
l‘éthique de la sollicitude est qu‘elle permet plus de lassitude dans leur appréciation en
vue d‘influencer le législateur. Pensons tout d‘abord à l‘autonomie reproductive des
parents qui est un pivot en ce qui concerne le diagnostic préimplantatoire. Dans le
contexte de l‘anonymat, il nous semble que c‘est davantage l‘intérêt de l‘enfant qui
1349
Cela est encore en vigueur dans le Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA), Code of
practice,
8th
edition,
2009,
Londres,
En
ligne:
<http://www.hfea.gov.uk/docs/8th_Code_of_Practice%282%29.pdf> (Date d‘accès: 12 décembre 2010).
[HFEA, « Code of practice »].
402
ressort. En effet, l‘approche libérale n‘est pas synonyme de laisser faire selon le bon
vouloir des couples et des donneurs. La législation britannique prévoit non seulement la
mise en place d‘un important dispositif de "counseling" afin d‘orienter la prise de
décision du ou des parents1350 (ce qui vise certainement l‘exercice du privilège de réserve
en matière de secret), mais accorde une place majeure au bien-être de l‘enfant, incluant le
besoin d‘avoir le support parental requis à cet effet1351. Même si le critère du bien-être de
l‘enfant est appliqué in concreto1352 et se pose en condition à l‘octroi d‘un traitement de
procréation assistée, celui-ci vient balancer l‘autonomie des parents. À la base même de
la loi, il y a une quête d‘équilibre entre tous ces éléments en fonction des liens existant
entre les acteurs prenant part au processus procréatif. Cela a forcément dû orienter le
législateur lorsqu‘il a aboli l‘anonymat.
Des auteurs soulignent finalement que l‘un des effets de la modification de 2004,
quant à l‘abandon de l‘anonymat, fut l‘ébranlement du model médical de la donation en
tant que technique médicale dans le cadre duquel les implications sociales du don (i.e. la
conception de l‘enfant, de la famille et de la parenté) sont minimisées ou même
ignorées1353. Cela serait donc une conséquence favorable de l‘approche libérale. De fait,
ne constatons-nous à la section 2 que le malaise français concernant l‘anonymat du
donneur, compte tenu de la logique définie en matière de filiation qui est fondée surtout
sur le biologique, tirerait avantage de la levée du voile. D‘une part, cela permettrait
d‘intégrer dans le processus de révision législatif la dimension d‘interdépendance des
1350
Voir : Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552; HFEA, « Code of practice »,
supra note 1349.
1351
Human Fertilisation and Embryology Act 2008, supra note 552, art. 14 (2) (Article modifiant l‘article
13 (5) de la loi de 1990.
1352
Alors qu‘au chapitre 2 nous expliquons l‘applique in abstracto.
1353
Blyth et Frith, « Donor ‗crisis‘ », supra note 1291 à la p. 78.
403
individus. La notion d‘origine serait d‘autre part isolée de celle de filiation et permettrait
de réintégrer le donneur comme acteur à part entière du l‘acte procréatif. Le RoyaumeUni opère déjà ces distinctions.
CONCLUSION DU CHAPITRE 3
L‘analyse de droit comparé nous permet de constater toute la complexité des
rapports internormatifs existant entre l‘éthique et le droit. Ils varient d‘un système
législatif à l‘autre. En tous les cas, nous remarquons que, dans l‘appréhension de l‘éthique
par l‘auteur de la norme juridique, la première étape du processus d‘élaboration de la
règle de droit est respectée. Il s‘agit de la consultation éthique qui prend différentes
formes dépendamment des pays, consultation publique ou États Généraux. L‘objectif est
alors de prendre le pouls de la population afin d‘orienter le législateur.
Le défi se trouve plutôt à la seconde étape lorsqu‘il est question de la réception
matérielle des normes éthiques dans l‘ordre juridique. Nous soulignons au chapitre 1 que
celle-ci se fera de façon plus ou moins transparente dans la mesure où l‘incidence des
systèmes normatifs parallèles est reconnue soit de manière directe soit de manière
indirecte par l‘ordre étatique. Lorsque diffuse, l‘intégration des normes éthiques devient
source d‘inspiration pour la décision du juge ou des autorités politiques. Dans ce cas,
nous
1354
percevons
l‘influence
Monnier, supra note 93 à la p. 525.
par
le
truchement
d‘informations
indirectes1354.
404
Lorsqu‘explicite, l‘intégration provient finalement d‘une référence expresse dans un
jugement1355 ou par la novation directe de la règle éthique en règle juridique1356.
Puisque l‘éthique de la sollicitude relève davantage de la méthode réflective en
tant qu‘ordre normatif, son intégration dans le droit demeure diffuse. Il n‘y a pas de
références expresses dans un jugement ou de novation directe de la règle éthique en règle
juridique. En somme, si nous utilisons l‘internormativité afin d‘explorer les rapports
d‘influence entre l‘éthique et le droit, c‘est l‘approche de la sollicitude qui nous indique
de quelle manière procéder. Celle-ci nous précise de quelle manière la règle de droit, tout
au long de son évolution dans le temps, doit tenir compte des relations entre les acteurs du
don. En outre, nous faisons l‘exercice au chapitre 2.
Quoique la réception des principes directeurs de l‘éthique de la sollicitude puisse
se faire de façon diffuse, c‘est-à-dire sans référence terminologique directe, ni le
législateur canadien ni le législateur québécois ne leur accorde la priorité qu‘ils devraient
occuper dans l‘élaboration et l‘évolution de la loi en matière d‘anonymat. Cela viendrait
pourtant soutenir l‘approche des droits de la personne de l‘enfant qu‘adoptent déjà
d‘autres auteurs en se fondant sur les textes constitutionnels1357. L‘affaire Pratten1358 est
une application historique de cette approche au niveau de l‘égalité entre les enfants nés
d‘un don et ceux qui sont adoptés. Néanmoins, puisque la juge refuse, en l‘espèce, de
reconnaître une protection constitutionnelle au droit aux origines, notre étude s‘avère un
1355
Ibid. à la p. 529.
Ibid. à la p. 531.
1357
Voir : Giroux, « Droit fondamental », supra note 83 aux pp. 384 et ss.; Van Heugten et Hunter, supra
note 26 aux pp. 2-24 à 2-29.
1358
Pratten v. British Columbia (Attorney General), supra note 38 (2011).
1356
405
soutien de plus vers une éventuelle modification de la loi et ce, en réintégrant l‘aspect
éthique de la problématique. Notre réflexion de droit comparé nous permet au final de
constater que les structures législatives canadienne et québécoise ne font pas obstacle à
l‘adoption d‘une dimension relationnelle tenant compte de l‘interdépendance entre les
individus.
En maîtrise, nous notions que la loi canadienne est un amalgame intéressant. Du
fait qu‘elle interdit les manipulations sur l‘embryon, sauf avec une autorisation et en
conformité avec la réglementation, la formulation de la loi canadienne ressemble
beaucoup à celle de la loi anglaise. Il n‘en va cependant pas de même en ce qui concerne
la gestion des activités réglementées, auquel cas, elle rejoint davantage la législation
française. Pensons par exemple à l‘Agence canadienne de contrôle de la procréation
assistée dont les fonctions ressemblent fortement à celles de l‘Agence de la biomédecine
française. Les pouvoirs réglementaires du gouverneur en conseil suggèrent par ailleurs
une volonté du législateur d‘opter pour une approche prudente à l‘image de la France.
Dans cette optique, il revient au législateur d‘encadrer les applications du diagnostic
préimplantatoire (DPI) et à l‘Agence de veiller à la seine gestion des autorisations1359.
En matière de DPI, nous avions tout lieu de penser que les autorités canadiennes
auraient adopté l‘approche prudente en prévoyant d‘avance quelles applications et quels
types de maladie peuvent faire l‘objet d‘une autorisation. La structure de la loi est en ce
sens. Néanmoins, en ce qui concerne l‘anonymat de donneurs de gamètes et d‘embryons,
1359
Voir : Cousineau, « Enjeux éthiques et légaux », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre
juridique », supra note 70; Cousineau, « En quête d‘un cadre juridique », supra note 70; Cousineau,
« Autonomie reproductive », supra note 23.
406
le débat est tout autre puisqu‘il n‘est pas question de déterminer d‘avance des applications
d‘une technologie de procréation assistée. Selon divers degrés ou différentes modalités, il
s‘agit d‘encadrer le privilège des parents d‘informer l‘enfant de l‘utilisation d‘un tiers
donneur ainsi que l‘accès aux informations nominatives et identifiantes concernant ce
dernier, conformément à l‘éthique de la sollicitude.
Au terme de notre analyse, nous remarquons toutefois que la forme de la loi n‘est
pas si déterminante de l‘apparition ou non de phénomènes d‘internormativité avec
l‘approche relationnelle. Rien n‘aurait empêché que les autorités canadiennes prennent
exemple sur le modèle libéral britannique dans l‘évolution de la règle de droit en matière
d‘anonymat et procèdent à de l‘internormativité avec l‘éthique de la sollicitude. En raison
de l‘inspiration mixte de la loi fédérale, nous aurions très bien pu concevoir que le
législateur se laisse influencer par le modèle français dans certains domaines et par le
modèle britannique dans d‘autres. La question du droit aux origines par opposition au DPI
se prête très bien à cet exercice. En outre, si le cadre législatif applicable au DPI aurait
clairement été un équivalent de l‘approche prudente française, d‘autres éléments de la loi
n‘y collent pas forcément. Par exemple son ouverture à la gestation pour autrui dans la
mesure des limites provinciales1360. Il peut en être de même concernant le droit aux
origines.
Plus encore, les parallèles que nous effectuons en section 2 entre les lois
québécoise et française démontrent clairement que la forme de la loi ne laisse pas
présumer comment une approche législative est appliquée. Même si dans la forme les
1360
Loi sur la procréation assistée, supra note 22, art. 6.
407
autorités québécoises légifèrent de façon très semblable à la France, ses fondements
législatifs ne sont pas les mêmes. Notamment en matière de filiation où le législateur
n‘opère pas de confusion entre la filiation et la connaissance de l‘identité du donneur.
Plus globalement, l‘absence de l‘exigence thérapeutique comme condition d‘accès à la
procréation assistée est une autre preuve que le droit québécois, malgré ses ressemblances
civilistes au droit français, n‘adopte pas une législation qui n‘en est une que de protection
et de réaction face aux enjeux de la procréation assistée. En l‘état actuel du droit, la loi
concernant l‘anonymat s‘inspire grandement du modèle prudent français, mais rien
n‘empêche qu‘il s‘en détache avec plus d‘aisance.
Les approches prudente et libérale ne sont donc pas hermétiques ou composées de
caractéristiques dont la présence est obligatoire en tout. Elles sont appliquées à des degrés
variables et, selon où la loi en général se trouve sur le spectre, des phénomènes
d‘internormativité peuvent se manifester avec plus ou moins de facilité à la deuxième
étape de notre modèle de construction de la règle de droit. En l‘espèce, l‘influence de
l‘éthique de la sollicitude sur la norme adoptée par le législateur est plus ou moins
diffuse. La rigidité de la loi française en matière de bioéthique demandera par exemple
plus de travail au législateur afin qu‘il se laisse aller à une pareille dialectique avec
l‘éthique de la sollicitude. Au Royaume-Uni, les fondements de la loi semblaient au
contraire déjà prédisposés à accorder de l‘importance aux relations interpersonnelles et
d‘interdépendance. L‘adoption d‘une approche législative laisse présager d‘une certaine
façon d‘encadrer les technologies de la reproduction, mais la culture juridique de chaque
État, c‘est-à-dire ce qui constitue ses assises législatives, les utilise à chaque fois
différemment selon une flexibilité ou une élasticité variable. Cette même culture juridique
408
est néanmoins évolutive. Pensons par exemple à la réforme entreprise par le Québec en
2002 et où le caractère médical de la procréation assistée a été évacué de la loi applicable
à ce domaine. D‘ailleurs, la même année, la France franchissait un pas important en
matière d‘accouchement sous X. En conclusion, par ces constats, nous atteignons notre
objectif, par une analyse comparatiste, d‘analyser comment éthique et droit interagissent
dans le cadre du conflit, se manifestant dans diverses approches législatives. Cela nous
permet également de mieux comprendre l‘articulation des positions canadienne et
québécoise et potentiellement d‘affirmer que, lorsqu‘un regard relationnel est requis,
l‘application de notre cadre théorique offre la possibilité de souligner certaines faiblesses
des fondements législatifs sur lesquels s‘appuie la loi.
409
CONCLUSION DE LA THÈSE
L’INTERNORMATIVITÉ ENTRE LE DROIT POSITIF ET
L’ÉTHIQUE DE LA SOLLICITUDE DANS LA RÉSOLUTION
DU CONFLIT SUR L’ANONYMAT DES DONS D’ENGENDREMENT
Le premier constat que nous faisons en conclusion de cette thèse est que la
problématique de l‘anonymat des dons de gamètes et d‘embryons, aussi passionnante et
contemporaine soit-elle, pose un défi de taille au législateur. De fait, alors qu‘il lui
incombe de réguler le domaine des technologies de la reproduction, il nous est impossible
de concevoir que la règle de droit en matière d‘identité du donneur adoptée par le Canada,
jusqu‘à ce qu‘elle soit déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême1361, et le Québec
reste figée dans le temps. À l‘image de ceux à qui elle s‘applique, la règle de droit est
pour ainsi dire vivante et en continuelle mutation. Elle est appelée à évoluer au rythme du
débat que suscite son objet, en l‘occurrence les questions du secret et du droit aux
origines qui soulèvent de véritables passions, et ne peut demeurer statique. Ce droit vivant
quitte donc sa tour d‘ivoire, se libère du carcan que lui impose le positivisme pur et
s‘ouvre à tout ce qui l‘entoure, incluant les autres formes de normativité.
Tout cela fut au départ une conviction, une intuition, mais qui s‘associe au
bouleversement que vit actuellement le droit. Nous soulignons en ce sens, en conclusion
du chapitre 1, que la nature de ce dernier est en pleine révolution. Aujourd‘hui considéré
selon une analyse postmoderne de la norme, le droit connaît un changement de
paradigme, ou une crise, qui découle de sa difficulté à gérer la nouvelle demande
1361
Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, supra note 24.
410
d‘éthique. En vertu du pluralisme normatif, le droit n‘est pas le seul à réguler la vie de
l‘homme en société. Il ne peut donc plus ignorer les autres normativités, dont l‘éthique
qui n‘est pas étrangère aux progrès considérables de la technologie et de la science,
inclusivement en procréation assistée, et peut apparaître comme une nécessité collective
face aux craintes et aux incertitudes qu‘ils engendrent. Plusieurs systèmes juridiques et
normatifs coexistent alors au même moment dans un même espace, ceux-ci entrant par la
suite en interaction, en internormativité. Cette internormativité constitue en définitive
l‘outil qui permet de théoriser les rapports d‘influence entre les différents types de norme.
Cette vision des choses requiert que nous dressions un tableau de notre propre
vision du droit alors qu‘il en existe une multitude de conceptions et de définitions. La
nôtre, en lien avec le contexte dans laquelle nous la posons, découle en partie de notre
formation juridique civiliste et du fait que nous appartenons à la famille des avocats ayant
un regard de praticien. Aussi, pour nous, les normes juridiques incluent le droit et un
ensemble plus large de normes qui sont distinguées du social non juridique par des
critères se basant par exemple sur la contraignabilité que leur reconnaissent les membres
du groupe visé. Cette dernière ne doit pas être confondue avec la sanction ou la punition.
La définition de la norme est quant à elle l‘ultime frontière du non juridique qui compose
en partie le pluralisme normatif. Celui-ci étant inclusif des autres formes de normativité.
Néanmoins, toutes frontières, quelles qu‘elles soient dans cet ensemble, ont une porosité
où l‘internormativié intervient. C‘est le mécanisme par lequel se produisent des échanges
entre les différents niveaux de normes. Peut-être pourrions-nous au minimum parler d‘un
"positivisme transcendé" dont les frontières croisent des ordres normatifs et juridiques
concurrents pouvant avoir sur lui une influence formelle. La légitimité du droit n‘est donc
411
plus liée à sa nature intrinsèque, mais découle de son interaction avec son environnement
et les autres normativités.
En nous interrogeant sur l‘appréhension de l‘éthique par l‘auteur de la norme
juridique, notre regard se porte vers l‘éthique de la sollicitude dont la dimension politique
rend possible une discussion publique des besoins et une appréciation honnête de
l‘intersection de ces derniers avec les intérêts des individus prenant part au don. Dans ce
contexte, notre réflexion vise à constater l‘articulation et la manifestation des principes
directeurs de la Commission royale dans la problématique de l‘anonymat des donneurs
ainsi que dans les lois lui étant applicable. Parmi ceux-ci nous retenons l‘autonomie de
l‘individu, l‘égalité, la protection des personnes vulnérables et l‘équilibre entre les
intérêts individuels et collectifs.
Il s‘agit donc d‘étudier l‘anonymat non pas selon un schéma pour ou contre, mais
sous un angle relationnel. Celui-ci permet d‘appliquer pleinement la logique de la
sollicitude, dans le cadre d‘un environnement normatif pluriel, en vue d‘une réflexion
internormative. D‘ailleurs, l‘éthique de la sollicitude étant basée sur les relations
interpersonnelles et interdépendantes, au chapitre 1, nous remarquons que cela est non
seulement manifeste, mais nécessaire en matière d‘anonymat des dons d‘engendrement.
Le caractère particulier des dons de gamètes et d‘embryons en tant qu‘éléments porteurs
de vie et le fait qu‘un enfant en résulte, un enfant en situation de possible faiblesse,
justifient l‘utilisation de l‘approche relationnelle. En situation d‘anonymat, la personne
née grâce à un don est tributaire des décisions d‘autrui et le respect de ses besoins ainsi
que de ses intérêts passe par une analyse de l‘interaction et de l‘interdépendance des
412
acteurs du don. Celle-ci apparaît à deux niveaux : en premier lieu dans le rapport parents
– enfant quant au secret sur le mode de conception puis, dans le lien géniteur – enfant
relativement à l‘obtention d‘informations nominatives. Dans les deux contextes, l‘enfant
est donc le point de mire de l‘interdépendance entre les individus.
D‘un point de vue d‘ensemble, nous en arrivons à la conclusion que :
1- Dans le cadre de la relation parents – enfant, le privilège de réserve des parents quant
au secret doit être maintenu. Il ne s‘agit pas d‘un droit. D‘un autre côté, l‘importance
d‘informer l‘enfant du recours à un don constitue une obligation morale dont le respect
passe par un encadrement du privilège au moyen d‘un important mécanisme
d‘information et de support des parents afin de les responsabiliser.
2- Dans le cadre de la relation donneur – enfant, un système de dons non anonymes doit
être adopté afin de permettre à l‘enfant d‘en savoir plus sur son géniteur lorsqu‘il est
informé des circonstances de sa naissance et qu‘il ressent un vide identitaire.
Il importe de rappeler que la balance que nous effectuons entre le privilège de réserve des
parents et l‘abolition de l‘anonymat a certes pour effet de diluer l‘effet ou la portée de ce
dernier, mais cela n‘en fait pas pour autant des positions contradictoires. L‘éthique de la
sollicitude doit s‘analyser en prenant en compte l‘ensemble des relations entrant en ligne
de compte, mais n‘oublions pas qu‘à la base le secret concerne le lien parents – enfant et
que l‘anonymat appartient au contexte donneur – enfant. Ce sont deux situations
413
différentes qui, bien qu‘interreliées, peuvent faire l‘objet d‘un cadre juridique qui n‘est
pas le même.
Ceci étant, l‘analyse éthique présente certaines limites. En effet, dès le de départ,
nous avertissons le lecteur que cette thèse se situe dans le cadre de l‘expertise
académique de son auteur dont la formation est entièrement juridique. À défaut d‘un
projet de recherche plus étendu impliquant psychanalystes, psychologues et autres
spécialistes de l‘enfance, nous ne pouvons que nous référer à leurs écrits selon notre
meilleure compréhension en supposant que l‘enfant né d‘un don d‘engendrement ne
ressentira pas forcément à tous les coups un vide identitaire. Aussi, afin de donner sa
pleine valeur à l‘éthique de la sollicitude, un élargissement du projet et une collaboration
multidisciplinaire avec de tels spécialistes serait fort précieuse. De fait, nous réalisons que
dans la problématique de l‘anonymat des dons il est difficile de trancher clairement
puisque la position n‘est pas toujours toute blanche ou toute noire. Nous le constatons
clairement dans l‘analyse du meilleur intérêt de l‘enfant.
En droit comparé, lorsqu‘il s‘agit de procéder à une internormativité avec nos
conclusions éthiques, nous remarquons tout d‘abord que, dans l‘appréhension de l‘éthique
par l‘auteur de la norme juridique, la première étape du processus d‘élaboration de la
règle de droit est respectée. Il s‘agit de la consultation éthique qui prend différentes
formes dépendamment des pays, consultation publique ou États Généraux. L‘objectif est
alors de prendre connaissance de la pensée et de l‘opinion qui se dégagent au sein de la
population afin d‘orienter le législateur. Le défi se trouve plutôt à la seconde étape
lorsqu‘il est question de la réception matérielle des normes éthiques dans l‘ordre
414
juridique, laquelle est clairement influencée par l‘approche juridique adoptée par un pays.
Notre analyse du chapitre 3 démontre par contre qu‘il ne s‘agit de catégories étanches et
que le droit canadien (du moins, celui-ci sur le plan théorique) et québécois pourrait
évoluer afin de prioriser l‘approche relationnelle.
En conclusion, dans cette thèse, nous mettons au jour et démontrons la pertinence
d‘introduire en droit un approche relationnelle au moyen de l‘internormativité. Cela
permet de jeter un regard nouveau sur une problématique à la fois au passé riche, d‘une
grande contemporanéité et qui continue de semer la controverse face à l‘évolution du
débat sur l‘anonymat dans la société. En utilisation l‘éthique de la sollicitude, notre objet
d‘étude ne porte plus que sur les acteurs du don selon une perspective individualiste, mais
surtout sur les liens existant entre ces personnes. Grâce à l‘internormativité, les relations
entre les parents et l‘enfant puis entre le donneur et l‘enfant deviennent dynamiques aux
yeux de la loi et permettent de réintégrer dans le processus analytique cet enfant qui en est
souvent écarté. La valeur de cette thèse est donc à la fois théorique et pratique. Non
seulement nous croyons permettre un avancement du droit applicable à la problématique
de l‘anonymat, mais notre analyse relationnelle offre un outil de plus aux décideurs
politiques qui voudraient compléter l‘approche déjà existante en matière de droit de la
personne. D‘ailleurs, nous pouvons nous demander si nos conclusions seraient les mêmes
lorsque la question de l‘anonymat se pose en contexte de gestation pour autrui.
415
ANNEXE 1
LE DON GAMÈTES – EXEMPLES DE DROIT COMPARÉ1362
Légende1363
Don de gamètes interdit (Italie)
Principe de l‘anonymat (France, Danemark, Espagne)
Principe de l‘anonymat abandonné (Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède,
Suisse)
Affirmation du droit à la connaissance des origines génétiques
(Allemagne)
1362
Carte : <http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/99/Europe_blank_map.png/1000pxEurope_blank_map.png> (Date d‘accès : 6 juillet 2009)
1363
Source : Sénat, supra note 42.
416
SOURCES DOCUMENTAIRES
TABLE DE LA LÉGISLATION
Textes normatifs internationaux
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, Rome,
4.XI.1950, En ligne : <http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F49E22-3E27564DBE86/0/FrenchFran%C3%A7ais.pdf> (Date d‘accès : 12 septembre
2010).
Convention internationale sur les droits de l’enfant, Rés. A/RES/44/25, Doc. Off.
AGNU, c. 3, 44e session.
Canada
- Texte constitutionnel
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3.
Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de
1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11)].
- Fédéral
Code criminel, L.R. 1985, ch. C-46.
Loi concernant les techniques de procréation assistée et la recherche connexe, L.C. 2004,
ch. 2.
Loi concernant les techniques de procréation assistée et la recherche connexe – Décret
fixant au 22 avril la date d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2004-49,
GAZ. C. 2004.II.478.
Loi sur la procréation assistée – Décret fixant au 12 janvier 2006 la date d'entrée en
vigueur de certains articles de la Loi, TR/2005-42, GAZ. C. 2005.II.1033.
417
Loi sur la procréation assistée – Décret fixant au 1er décembre 2007 la date d'entrée de
l’article 8 en vigueur de la Loi, TR/2007-67, GAZ. C. 2007.II.1699.
Loi sur le divorce, 1985, ch. 3 (2e suppl.).
Règlement sur la procréation assistée (article 8 de la Loi), DORS/2007-137.
Règlement sur le traitement et la distribution du sperme destiné à la reproduction, (1996)
130 Gaz. Can. II, 1712 (no 11, 1996-05-07).
- Québec
Avant-projet de loi modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives en matière
d'adoption et d'autorité parentale, 39e législature, 1re session (13 janvier 2009), En
ligne sur : <http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projets-loi-391.html?expiree=true#avant-projets-loi> (Date d‘accès : 19 mars 2010).
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.
Code des professions, L.R.Q. c. C-26.
Loi instituant le nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980,
c. 39.
Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6.
Loi modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la
protection des renseignements personnels et d’autres dispositions législatives, L.Q.,
2006, c. 22.
Loi sur la protection de la jeunesse, L.R.Q. c. P-34.1.
Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, L.R.Q., c. P39.1.
Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, L.R.Q. c. A5.01.
Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée (2009, c.
30) — Entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi, D. 643-2010, 7 juillet 2010,
G.O.Q.2010.II.3229.
418
Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q. c. S-4.2.
Modification au décret n° 1177-2004 du 15 décembre 2004 concernant un renvoi à la
Cour d’appel relatif à la Loi sur la procréation assistée (L.C. 2004, ch. 2), D. 73-2006,
G.O.Q. 2006.II.1290.
P.L. 23, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, 1ere
session, 38e lég., Québec, 2007.
P.L. 26, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation, 1ere
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P.L. 89, Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée
et modifiant d’autres dispositions législatives, 1ere session, 37e lég., Québec.
Règlement modifiant le Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie, D.
645-2010, 7 juillet 2010, G.O.Q.2010.II.3283.
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juillet 2010, G.O.Q.2010.II.3278.
Renvoi à la Cour d’appel relatif à la Loi sur la procréation assistée (L.C. 2004, ch. 2), D.
1177-2004, G.O.Q. 2004.II.62.
- Ontario
Règlement de l’Ontario sur la divulgation de renseignements sur l’adoption, Règl. de
l‘Ont. 112/09).
France
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Code de l’action sociale et des familles.
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Loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées
et pupilles de l'État, JORF du 23 janvier 2002, page 1519, texte n° 2.
419
Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, JORF n°55 du 6
mars 2007, page 4215, texte n° 7.
Loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005
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filiation,
JORF
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France – Sénat, Projet de loi modifié par le sénat en deuxième lecture relatif à la
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421
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