Réflexions sur les conserves de “fabrication maison” Je présente ici mes réflexions sur de la fabrication de conserves par le procédé de stérilisation. Quand j’ai commencé à “faire des conserves” de viande d’oie et de porc il y a une dizaine d’années, j’ai eu des échecs avec des conserves cassées. Beaucoup de personnes autour de moi me donnaient des explications, très diverses et souvent contradictoires. J’ai alors rédigé ce document pour mon usage personnel, pour comprendre les raisons de cette “casse” des bocaux. Je l’ai ensuite complété et je l’ai ajouté sur ma page web, pour aider éventuellement d’autres personnes qui auraient les mêmes problèmes. Pour l’exposition des risques liés au botulisme, je remercie pour son aide précieuse Pr. Denis Corpet de l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse (voir http://Corpet.net/Denis). Notons le sujet de la stérilisation n’est pas complètement étranger au thème de mon laboratoire puisqu’il concerne aussi le domaine spatial. Les vaisseaux d’exploration planétaire doivent être stérilisés pour éviter la contamination des planètes explorées (et notamment Mars) par des bactéries ou virus terrestres, qui perturberaient la recherche d’organismes vivants extra-terrestres. La stérilisation par traitement thermique est généralement utilisée, en complément avec des traitements chimiques, mais le problème est quasiment insoluble à cause de l’extraordinaire résistance de certains organismes vivants, surtout ceux qui se mettent sous forme de “spores”. Il peuvent alors résister à des températures élevées (audessus de 100◦ C) et demeurer en “hibernation” pendant plusieurs millions d’années ! On pense ainsi que des millions de bactéries sporulées ont déjà été exportées sur la planète Mars. Mais le pire est sûrement à venir, avec les futures missions habitées, qui devraient accroître ces chiffres de plusieurs ordres de grandeur, et par là-même compliquer singulièrement les recherches des exobiologistes sur cette planète... .1 Pasteurisation et stérilisation Les travaux de Louis Pasteur ont permis de résoudre de façon élégante le vieux problème de la conservation des aliments. En portant ces aliments à haute température, on détruit les germes qui y sont présents, ce qui rend possible une longue conservation sans produits chimiques, sous réserve bien sûr de ne pas réintroduire de germes par la suite (nécessité de récipients hermétiques). Ainsi il suffit de porter les jus de raisin ou de pomme à 70◦ pendant quelques secondes (“pasteurisation flash”) pour éviter la fermentation par les levures qui y sont naturellement présentes (et qui conduisent à la formation du vin ou du cidre...). 1 2 Le lait pasteurisé est défini comme un lait ayant subit un traitement thermique qui a détruit plus de 90% (jusqu’à 98%) de la flore initiale, et notamment tous les gènes pathogènes (susceptibles de transmettre à l’homme des maladies) non sporulés (qui ne se sont pas “mis en sommeil”, sous forme de spores), comme ceux responsables de la tuberculose par exemple. La pasteurisation du lait se fait en le portant à une température comprise entre 70◦ et 85◦ pendant 15 secondes environ. La stérilisation est un traitement thermique plus poussé qui a pour but de détruire toute forme microbienne vivante. La stérilisation classique du lait se fait à haute température (115◦ ) pendant une longue durée (15 à 20 minutes). Elle permet une conservation de 120 jours à température ambiante. La stérilisation U.H.T. (Ultra Haute Température) du lait est la plus répandue : elle se fait à 140–150◦ pendant 2 secondes seulement, mais sa durée de conservation est un peu plus courte (90 jours). Il faut cependant ajouter qu’un traitement thermique, même très poussé comme dans le cas de la stérilisation, n’est pas toujours suffisant pour assurer une longue conservation des aliments. La présence d’acides (par exemple dans les tomates ou les fruits) peut entraîner une dégradation plus ou moins rapide des aliments (à l’origine du “gonflement” des conserves en fer contenant des tomates). L’art du chimiste est parfois nécessaire... .2 .2.1 Fabrication de conserves par stérilisation Description du procédé utilisé Pour “faire” des conserves, on utilise souvent des bocaux en verre, comme ceux de la figure 1. On remplit ces bocaux avec par exemple de la viande ou des légumes, puis on les ferme en interposant une rondelle en caoutchouc. Ces bocaux sont ensuite placés dans un stérilisateur, qui se présente sous l’aspect d’une grande lessiveuse. On remplit ce stérilisateur avec de l’eau que l’on porte à ébullition, en général avec un réchaud à gaz placé sous le stérilisateur. Pour des conserves de viandes (pâtés, oie, rôtis de porc, etc), je fais bouillir pendant 2H30, ce qui assure à la fois la cuisson et la stérilisation. Pour stériliser la confiture, je réduis le temps d’ébullition à une heure. En effet une forte teneur en sucre réduit l’Aw (Active Water ou eau active en français, voir http://Corpet. net/Denis) et par là-même la croissance bactérienne. Même s’il demeure des bactéries, elles ne pourront pas se multiplier à cause du manque “d’eau active”. C’est le principe de la “conservation par le sucre” de nos grand-mères. Notez que je ne parle ici que de la stérilisation à pression atmosphérique, qui est la plus répandue en France et qui est la seule que j’ai utilisée. Mais il existe aussi des stérilisateurs qui fonctionnent sous pression (comme les autocuiseurs ou “cocottes-minutes”), qui présente deux avantages : le temps de cuisson est réduit, et la température est plus élevée (jusqu’à 120 degrés) qui permet de détruire pratiquement toutes les formes de vie (et notamment les bactéries sporulées). Le lendemain, lorsque l’eau s’est refroidie, on vide le stérilisateur et on sort les bocaux. Si tout a bien fonctionné, ... les bocaux ne sont pas cassés ( !) et leurs couvercles appuient fortement sur les joints en caoutchoucs. Ces couvercles ne peuvent plus être enlevés facilement, par exemple lorsqu’on ouvre la fermeture en métal et que l’on tire sur ces couvercles (c’est d’ailleurs un test pour s’assurer de la réussite des conserves). Pour ouvrir les bocaux, il faut tirer très fort sur la rondelle en caoutchouc pour la déformer et faire rentrer de l’air. On entend un sifflement lorsque l’air pénètre dans le bocal. En effet, le procédé de stérilisation que l’on 3 F IG . 1 – Bocaux en verre avec rondelle en caoutchouc. a mis en œuvre a aussi conduit à réduire la pression à l’intérieur du bocal : le couvercle est maintenu fermé par la pression atmosphérique. Question : comment a-t-on obtenu une dépression dans un bocal étanche ? Le bocal était fermé et étanche avant la cuisson : on peut le vérifier facilement, et l’eau contenue dans le stérilisateur n’est pas entrée dans le bocal. Nous répondrons à cette question un peu plus tard (Section .2.3) mais nous allons maintenant décrire certains problèmes qui sont souvent rencontrés, et qui nous apportent des éléments de réponse. .2.2 Quelques problèmes rencontrés Lors de mes expériences dans ce domaine, il m’est souvent arrivé d’avoir une désagréable surprise, et de découvrir une ou plusieurs conserves cassées dans le stérilisateur. Généralement, le fond en verre apparaissait comme “découpé”. En discutant avec les personnes plus âgées, elles m’ont dit que c’est parce que le réchaud à gaz était trop puissant, ou bien parce que j’avais mis de l’eau chaude pour remplir le stérilisateur (ce que je faisais pour réduire le temps de chauffage de l’eau). D’après ces personnes, ce serait un problème de mauvaise tenue en température des bocaux (suite à une dilatation du verre lors de la cuisson). Je ne pense pas que ce soit un problème de dilatation thermique, pour deux raisons : – ces bocaux ont été utilisés plusieurs fois auparavant, sans casser, et je n’ai jamais eu de problème en les lavant à l’eau très chaude, ou en les posant sur une surface très chaude ; – souvent, les conserves qui s’étaient cassées n’étaient pas au fond du stérilisateur mais empilées au-dessus d’autres bocaux, qui eux étaient intacts, et on peut supposer que le gradient de température est maximal au fond du stérilisateur, près de la paroi directement en contact avec la flamme du réchaud à gaz. Une autre problème qui m’a été rapporté, mais qui ne m’est pas encore arrivé est que certaines conserves “boivent”, c’est-à-dire que de l’eau du stérilisateur pénètre dans le bocal. Pour éviter cela, certains recommandent de n’utiliser que des rondelles neuves de caoutchouc rouge, garanties pour la viande, qui seraient meilleures que celles de couleur orange, qui ne seraient valables que pour les fruits ou la confiture. En fait, l’expérience m’a montré que cela n’était pas important, et maintenant j’utilise n’importe quelles rondelles, et même des rondelles déjà utilisées, du moment qu’elles sont en bon état. 4 .2.3 Explications : pourquoi y a-t-il parfois de la “casse” ? En fait, le joint constitué par la rondelle de caoutchouc maintenu par la fermeture métallique n’est pas complètement étanche : il laisse passer l’air chaud contenu dans le bocal lorsque la pression augmente pendant la cuisson. Par contre il est suffisamment étanche pour empêcher l’eau de passer. La forme des couvercles en verre est d’ailleurs étudiée pour cela : elle est en forme de trapèze dont la plus petite base se trouve à l’intérieur du bocal. En fait les problèmes surviennent lorsque la “fuite” d’air chaud se fait trop lentement. Lorsque l’on chauffe trop fort le stérilisateur au départ, la pression montre trop vite à l’intérieur des bocaux. Ils peuvent alors “éclater” car ils n’ont pas été conçus pour résister à une surpression intérieure trop importante. Ainsi, lors d’une montée trop rapide en température, la casse n’est pas due à la dilatation du verre, mais à une pression trop importante à l’intérieur du bocal. Cette “explosion” explique bien pourquoi le fond s’est détaché “en bloc” du reste de la conserve. Notons que ce problème peut aussi apparaître avec un chauffage plus modéré, lorsque le système de fermeture est trop puissant et que le joint est alors trop étanche. Lorsque ce joint n’est pas assez étanche (par exemple si la fermeture métallique est un peu lâche), l’eau contenue dans le stérilisateur entre dans le bocal et “il boit”. Pour éviter ce problème, il faut aussi respecter la consigne des fabricants de bocaux et ne pas trop remplir les bocaux. On comprend qu’il faut suffisamment d’air au départ pour obtenir une dépression après la cuisson, par évacuation partielle de l’air chaud. C’est cette dépression qui maintiendra ensuite le couvercle bien fermé pendant plusieurs années. .3 Limites de ce procédé : attention au botulisme ! Le botulisme est une maladie causée par des toxines sécrétées par la bactérie Clostridium botulinum. C’est une affection neurologique grave, qui peut être mortelle. Les symptômes se manifestent quelques heures après l’ingestion des toxines, généralement sous la forme de troubles visuels et d’une très grande fatigue de tous les muscles entraînant une paralysie descendante symétrique, sans fièvre. Dans les cas d’une contamination massive (et malveillante), il peut y avoir un arrêt cardiorespiratoire brutal, sans signe avertisseur. Notons que ces toxines botuliques ont été employées sous forme d’aérosols dans plusieurs attaques bioterroristes au Japon entre 1990 et 1995, et figurent à ce titre dans le “plan biotox”. En principe la stérilisation par ébullition à 100◦ ne permet pas d’éliminer toutes les formes microbiennes, et notamment les spores de la bactérie Clostridium botulinum, qui peuvent donc se développer ensuite dans les conserves et produire les dangereuses toxines botuliques. Heureusement, ces toxines peuvent être facilement détruites lorsqu’on fait cuire les aliments. La toxine est très fragile, et est détruite en beaucoup moins de 10 min à 100◦ C. Pour les conserves de viande, un “bon réchauffage” suffit avant la consommation. Mais il est très peu probable qu’il reste encore des spores dans les conserves, si on les fait bouillir comme moi pendant plusieurs heures pour les stériliser. Notons enfin que l’acidité inhibe le développement de cette bactérie. La majorité des fruits étant acides, ainsi que les “légumes fruits” comme les tomates, les conserves de fruits sont exemptes de ce risque. Mais on doit être vigilant avec les légumes verts, qui sont neutres. Avant de les consommer, il est conseillé de recuire brièvement les conserves de légume de pH neutre, comme les haricots verts, les asperges ou les olives (plusieurs cas d’intoxication ont été rapporté avec ces légumes). Bien sûr, le risque de botulisme n’est pas limité aux “conserves maison”. Il existe aussi pour des aliments préparés par d’autres moyens et des cas d’intoxications ont été provoqués 5 par des soupes commerciales conditionnées en briques, des coquillages et des crustacés surgelés, etc. Le risque zéro n’existe pas, mais le botulisme est une maladie très rare en France, avec une vingtaine de cas par an seulement. F IG . 2 – De la théorie à la pratique : exemple de stérilisation de conserves de viande en 2012. .4 Conseils pratiques pour “se lancer” Voici quelques conseils qui pourront être utiles à ceux (et celles) qui voudraient commencer à stériliser des conserves avec des bocaux en verre : – bien laver les conserves et les joints en caoutchouc – ne pas trop remplir les conserves – bien nettoyer les bords avant la fermeture – chauffer modérément le stérilisateur au départ : mieux vaut attendre un peu plus et éviter la casse des bocaux En cas d’échec, soyez persévérant(e). Il vous faudra sûrement apprendre à connaître votre système de chauffage pour faire les bons réglages. Si des bocaux sont cassés, il faudra chauffer moins fort la prochaine fois (pour aller un peu plus vite, je remplis le stérilisateur à l’eau tiède). Pour éviter des risques de botulisme, il est conseillé de faire bouillir les aliments des conserves de viande pendant 5 à 10 minutes avant de les consommer. Mais pour prévenir ces risques en amont, il faut surtout adopter une très bonne hygiène dans toutes les phases de la préparation des conserves, et un nettoyage des bocaux et des joints avec de l’eau bouillante par exemple. Enfin, je vous conseille de sentir l’odeur de chaque conserve juste après son ouverture, et de jeter tout le contenu au moindre doute (odeur “butyrique” ou “viande ou oeuf pourri”, même légère).