La phytosociologie, outil pertinent pour le suivi de la restauration écologique ? Sébastien Gallet – Frédéric Bioret – Bernard Fichaut – Jérôme Sawtschuk Le développement de l’activité touristique et l’attractivité croissante des espaces naturels ou semi-naturels au cours de la seconde partie du XXe siècle ont conduit à la dégradation de nombreux sites. Ce phénomène est particulièrement sensible sur le littoral atlantique où, sur des surfaces souvent limitées, se concentre une fréquentation intense principalement sur les quelques semaines qui constituent la période estivale. Cette dégradation est d’ordre paysager avec l’apparition de plus ou moins larges plages de sol dénudé. Elle est aussi écologique avec la destruction de différents habitats d’intérêt communautaire telles que les végétations de falaise, les pelouses aérohalines ou les landes atlantiques. Face à cette situation, depuis le milieu des années 1980, les gestionnaires d’espaces naturels ont initié des opérations d’aménagement et de restauration écologique. Un inventaire réalisé en 2007 sur le littoral Manche-Atlantique a permis d’en décrire les caractéristiques (Gallet et al., 2008). Ainsi, si le cadre de ces opérations est variable, les méthodes mises en œuvre sont souvent similaires et se fondent principalement sur une mise en défens des espaces, complétée ou non par des méthodes actives de restauration. Aujourd’hui se pose la question de l’évaluation de la réussite notamment écologique de ces opérations. Cette évaluation passe tout d’abord par la définition d’objectifs précis et par la mise en place de suivis permettant de comparer les communautés végétales effectivement restaurées avec ces objectifs. Ces suivis écologiques permettent également l’acquisition de connaissances fondamentales sur les processus de recolonisation. Or, parmi les sites concernés, si des suivis photographiques existent sur de nombreux sites, il s’avère que seule une minorité (9 sur 35) ont fait ou font l’objet de suivis écologiques. Les méthodes employées sont principalement des lignes permanentes de points contacts ou des relevés phytosociologiques, réalisés par des universitaires, des associations ou par le gestionnaire lui-même. Dans l’objectif d’une généralisation de la mise en place de suivis, il paraît important de mener une réflexion sur les méthodes utilisées. En effet, les différentes techniques disponibles, cartographies, relevés phytosociologiques, points-quadrats, quadrats permanents ou aléatoires (Bouzillé, 2007), vont chacune correspondre à une échelle et à une finesse d’observation différentes. Leur mise en œuvre va, en outre, présenter différents niveaux de difficultés et nécessiter un temps plus ou moins long. Le choix de la méthode devra également prendre en compte les objectifs de suivis, purement liés à la gestion ou plus scientifiques. Pour contribuer à répondre à cette problématique, nous analyserons ici des données acquises dans le cadre des opérations de restauration de la végétation des pointes du Raz et du Van (Finistère) où, pendant plusieurs années, ont été réalisés, sur les mêmes stations, des relevés phytosociologiques et des lignes permanentes de points contacts. Lors de cette comparaison, Rev. For. Fr. LXII - 3-4 – 2010 409 SÉBASTIEN GALLET - FRÉDÉRIC BIORET - BERNARD FICHAUT - JÉRÔME SAWTSCHUK plusieurs paramètres seront analysés afin de mettre en évidence les atouts et les limites de chacune d’entre elles. La cohérence des données obtenues par chacune des méthodes, la sensibilité des deux méthodes aux variations de composition floristique et de recouvrement et leur capacité de diagnostic seront notamment analysées et mises en parallèle avec les difficultés de mises en œuvre. SITES D’ÉTUDE ET DONNÉES ANALYSÉES Les données utilisées dans cette étude proviennent de suivis mis en place depuis 1991 (Bioret et Fichaut, 1994) sur les sites de la pointe du Raz (site du Conservatoire du littoral) et de la pointe du Van (site du conseil général du Finistère). Ces deux sites constituent avec la baie des Trépassés un ensemble naturel remarquable et un site touristique majeur de la pointe bretonne, accueillant près de un million de visiteurs chaque année. Cet afflux touristique a engendré une forte dégradation des pelouses et landes littorales, ce qui a conduit à la mise en œuvre d’une opération “Grand Site” à partir de 1989. Afin d’observer l’évolution du couvert végétal suite aux aménagements réalisés dans ce cadre, une vingtaine de lignes permanentes de points contacts (Daget et Poissonnet, 1971) a été mise en place dont 8 suivies jusqu’à ce jour. Depuis 2002, ces 8 lignes sont complétées par des relevés phytosociologiques réalisés sur une surface d’environ 25 m2 autour de la ligne. Ces dispositifs ont été suivis par les mêmes observateurs depuis 1991. Nous disposons ainsi de 8 relevés réalisés à 5 dates depuis 2002, soit 40 couples « ligne/relevé », pour lesquels diverses analyses ont été réalisées. Ces analyses se positionnent à deux échelles : l’échelle de la communauté végétale (recouvrement global, diversité et composition floristique) et l’échelle des espèces (analyse de la cohérence des données obtenues par les différentes méthodes). ANALYSE COMPARATIVE DES RÉSULTATS DES DEUX MÉTHODES Recouvrement global L’approche du recouvrement global de la végétation diffère entre les deux méthodes. Dans le cas des relevés phytosociologiques, nous disposons directement d’une valeur de recouvrement total (Rtot) estimé par l’observateur. Pour les lignes permanentes, l’approche est indirecte et deux paramètres peuvent être considérés comme indicateurs du recouvrement : la fréquence du sol nu (Sn) dans les relevés (le recouvrement étant estimé par « 100-%Sn ») et la somme des fréquences des espèces (∑fr) qui est relative à la densité du couvert végétal (Gallet et Rozé, 2001). Les analyses de corrélation réalisées entre ces paramètres montrent une bonne corrélation (R2 = 0,82, p < 0,001) entre Rtot et ∑fr (figure 1a, p. 411). Cette corrélation est atténuée pour les valeurs de ∑fr fortes du fait d’un plafonnement des valeurs de Rtot. En revanche, la corrélation n’est pas significative entre le recouvrement et « 100-%Sn » (figure 1b, p. 411). Évolution du recouvrement L’observation de l’évolution temporelle de trois paramètres issus des relevés : Rtot, ∑fr et 100-%Sn (figure 2, p. 411) montre des variations généralement très similaires entre ces paramètres. Globalement, les tendances observées sont semblables. L’amplitude des variations (représentée par le coefficient de variations), qui peut être considérée comme indicatrice de la 410 Rev. For. Fr. LXII - 3-4 – 2010 Session 3 - La phytosociologie, un outil incontournable pour les gestionnaires des milieux naturels FIGURE 1 CORRÉLATIONS ENTRE LES DIFFÉRENTS PARAMÈTRES LIÉS AU RECOUVREMENT R2 = 0,8176 Recouvrement total 80 60 60 40 40 20 20 0 0 100 50 R 2 = 0,5644 80 150 0 200 0 20 Somme des Fréquences 40 60 80 100 120 100- %Sol nu ÉVOLUTION DE Rtot ( ), ∑fr ( ) et 100-%Sn ( ) SUR DIFFÉRENTES LIGNES AU COURS DE L’ÉTUDE FIGURE 2 14 Van 13 Raz 15 Van 80 160 120 60 120 80 40 40 80 20 40 0 0 01/09 2002 14/01 2004 28/05 2005 10/10 2006 01/09 2002 22/02 2008 14/01 2004 16 Van 28/05 2005 10/10 2006 22/02 2008 0 01/09 2002 17 Van 14/01 2004 28/05 2005 10/10 2006 22/02 2008 R1 Raz 160 160 60 120 120 80 40 40 20 0 0 01/09 2002 14/01 2004 28/05 2005 10/10 2006 22/02 2008 80 40 0 01/09 2002 14/01 2004 28/05 2005 10/10 2006 22/02 2008 01/09 2002 14/01 2004 28/05 2005 10/10 2006 22/02 2008 sensibilité des méthodes, est également similaire (12 à 17 %). En effet, une analyse de variance réalisée sur les coefficients de variations montre que ceux-ci ne présentent pas de différences significatives entre les méthodes (p < 0,05). Richesse spécifique La richesse spécifique issue des relevés phytosociologiques peut être considérée comme une valeur fiable. En effet, la méthode se basant sur une prospection au sein d’une surface supérieure à l’aire minimale, il est possible de considérer que le relevé est quasi exhaustif au sein de l’aire étudiée. Deux résultats peuvent être mis en avant. Tout d’abord, il existe une corrélation significative entre les valeurs de diversité spécifique enregistrée par les deux méthodes (R2 = 0,51, P < 0,05). Rev. For. Fr. LXII - 3-4 – 2010 411 SÉBASTIEN GALLET - FRÉDÉRIC BIORET - BERNARD FICHAUT - JÉRÔME SAWTSCHUK En revanche, la diversité enregistrée par la méthode des lignes permanentes est toujours beaucoup plus faible que celle mise en évidence par les relevés phytosociologiques, avec seulement 58 % (+/– 18,3 %) des espèces relevées. Il existe donc une perte importante d’informations floristiques dans le cas de la ligne permanente. Divers tests n’ont pas permis de corréler significativement cette valeur avec d’autres caractéristiques et notamment la densité ou avec la diversité elle-même. Cohérence des données floristiques Pour chaque espèce observée au sein de chaque station, il est possible d’analyser la cohérence entre les résultats des deux méthodes utilisées. Le tableau I présente la concordance théorique, ou du moins attendue, entre les deux systèmes de relevé. La concordance entre les valeurs doit s’envisager dans les deux sens. Tableau I Tableau de concordance théorique entre coefficient d’abondance-dominance (A/D) et fréquence des espèces. Les valeurs 4 et 5 de A/D n’ont pas été rencontrées dans cette étude A/D. . . . . . . Fr . . . . . . . . + 1 1 2 3 4 5 1à5 6 à 25 26 à 50 51-75 > 75 Si on observe la répartition des coefficients d’abondance-dominance en fonction de la fréquence relevée (tableau II), on note une bonne cohérence pour les faibles fréquences. En effet, par exemple, un coefficient « + » a été attribué à 78 % des espèces présentant une fréquence de 1 %. En revanche, pour les fréquences élevées, la corrélation semble moins bonne. Ainsi, pour les espèces ayant une fréquence supérieure à 25 %, seul un quart présente un coefficient de 3. Globalement, on note une proportion importante d’espèces présentant le coefficient directement inférieur à celui attendu. Ceci peut notamment s’expliquer par la présence dans le type de milieu étudié de nombreuses espèces de petite taille dont la fréquence peut être importante mais présentant un faible recouvrement. Il est également à noter que quelques espèces présentes sur les lignes sont absentes des relevés. Tableau II Répartition des coefficients d’abondance-dominance (A/D) en fonction de la fréquence observée. Les cases grisées correspondent aux valeurs pouvant être considérées comme cohérentes Fr (nombre de données) A/D 0 (espèce absente) + 1 2 3 7% 78 % 15 % 0 0 2 à 5 (111) . . . . . . . . . . . 6% 33 % 50 % 11 % 6% 6 à 25 (125) . . . . . . . . . 5% 7% 45 % 38 % 5% 25 à 50 (18) . . . . . . . . . 5% 0 6% 63 % 25 % 1 (88) . . . . . . . . . . . . . . L’analyse inverse (tableau III, p. 413) montre une bonne cohérence des données aux différents niveaux d’abondance. Elle confirme également que les espèces non enregistrées par les lignes permanentes sont presque exclusivement des espèces présentes ponctuellement (+) dans les relevés phytosociologiques. Concernant le coefficient A/D = 1, parmi les 36 % d’espèces ayant une fréquence comprise en 6 et 25 %, il est à noter que la plus grande partie (62 %) est en fait comprise entre 6 et 10 %, ce qui reste relativement cohérent. La répartition des coefficients 3 peut, elle, être négligée du 412 Rev. For. Fr. LXII - 3-4 – 2010 Session 3 - La phytosociologie, un outil incontournable pour les gestionnaires des milieux naturels Tableau III Répartition des fréquences (Fr) en fonction du coefficient d’abondance-dominance (A/D) observé. Les cases grisées correspondent aux valeurs pouvant être considérées comme cohérentes Fr A/D (nombre de données) 0 1 2-5 6-25 26-50 > 50 Moyenne (sans les Fr = 0) + (418) . . . . . . . . . . . . . . . 72 % 16 % 9% 3% 0 0 0,57 (2,11) 1 (144) . . . . . . . . . . . . . . . 15 % 46 % 36 % 3% 0 5,56 (6,61) 2 (84) . . . . . . . . . . . . . . . . 5% 6% 74 % 15 % 0 14,54 (15,26) 3 (14) . . . . . . . . . . . . . . . . 0 36 % 28 % 36 % 38 % 0 0 fait du faible nombre de valeurs. On peut néanmoins noter que ces espèces très présentes ne sont jamais absentes des lignes permanentes. DISCUSSION Cette étude, basée sur l’analyse d’un jeu de données diachroniques permet de comparer les résultats de deux méthodes de relevés couramment utilisées en écologie végétale et notamment en écologie de la restauration. Le fait que ces données n’aient pas été spécifiquement réalisées à cet effet nous paraît un atout. En effet, cette comparaison n’est pas de l’ordre de l’expérimentation mais bien de la pratique courante. Elle intègre ainsi les erreurs minimes de relevés ou de report pouvant exister dans ce type d’étude. Afin d’analyser les caractéristiques, atouts et contraintes de chacune des deux techniques, nous pouvons nous baser sur les critères proposés par Cairns et al. (1993) pour définir un bon indicateur biologique, en étendant cette réflexion aux méthodes. L’indicateur considéré est ici le relevé floristique par chacune des deux méthodes. Un certain nombre de caractéristiques liées aux critères de Cairns et al. (1993) s’avèrent communes aux deux méthodes considérées. Il s’agit notamment de la pertinence biologique et sociale, ou du caractère intégrateur. En effet l’objet du relevé, dans les deux cas le couvert végétal, va refléter en partie les conditions stationnelles et est facilement perçu par le public comme une caractéristique de l’état de dégradation du milieu. De même, les deux méthodes sont non destructrices et répondent à des protocoles standardisés depuis longtemps. La capacité d’utilisation dans des conditions variées et pour analyser l’effet de différents stress est également attestée dans les deux cas par la bibliographie. Dans le cas présent, au vu de nos résultats on peut s’interroger sur les différences existant entre ces deux méthodes sur des critères de Cairns et al. qui paraissent particulièrement importants et notamment : sensibilité, capacité de diagnostic, interprétabilité, reproductibilité dans le temps, rapport temps/efficacité. Tout d’abord, les résultats obtenus montrent que la sensibilité des deux méthodes est similaire. En effet, les variations de couvert suivent les mêmes tendances et les variations relatives sont du même ordre de grandeur. Il peut néanmoins être noté que, lorsque le recouvrement approche ou atteint 100 %, les relevés effectués par la méthode de la ligne permanente permettent de mettre en évidence des variations de la densité du couvert végétal. Cette densité est liée à la somme des fréquences des espèces. Pour les relevés phytosociologiques, il pourrait être envisagé d’utiliser, de façon similaire, la somme des coefficients d’abondance-dominance mais la déclinaison par “classe” de ces indices fausse largement la démarche. Rev. For. Fr. LXII - 3-4 – 2010 413 SÉBASTIEN GALLET - FRÉDÉRIC BIORET - BERNARD FICHAUT - JÉRÔME SAWTSCHUK En termes de capacité de diagnostic, plusieurs aspects sont à prendre en compte. Ainsi la cohérence des données spécifiques apparaît relativement bonne même si il existe des décalages entre les deux méthodes, les résultats des lignes ayant globalement tendance à surévaluer les recouvrements. En termes de diversité, l’utilisation de la ligne permanente conduit très clairement à une perte d’informations, une grande partie des espèces à faible recouvrement étant alors “oubliée”. Néanmoins, cette perte d’information est à relativiser car une “traduction” des résultats des lignes en relevés phytosociologiques (tableau IV, ci-dessous) semble conduire à des diagnostics similaires, c’est-à-dire au même rattachement à une unité phytosociologique. Les deux méthodes de relevés semblent donc permettre un diagnostic du milieu par rapport notamment aux références légales telles que la directive “Habitat-Faune-Flore” (92/43/CEE). Tableau IV Cohérence diagnostique des relevés lors de la dernière date. La colonne LP correspond à la conversion de Fr en A/D (selon le tableau II). Les cases gris foncé indiquent une concordance parfaite et les cases gris clair une distorsion minime. La case noire correspond à la seule distorsion importante apparue, sans doute liée à une erreur de transcription. (seules les espèces ayant au moins un coefficient à 2 ont été conservées). Ligne Relevé Agrostis stolonifera . . . Armeria maritima . . . . . Calluna vulgaris. . . . . . Carex pilulifera . . . . . . Cytisus scorparius . . . . Dactylis glomerata . . . . Danthonia decumbens Erica cinerea . . . . . . . . Festuca huonii . . . . . . . Festuca pruinosa . . . . . Holcus lanatus. . . . . . . Jasione montana . . . . . Leontodon taraxacoides Plantago coronopus. . . Radioloa linoides. . . . . Sedum anglicum . . . . . Thymus sp. . . . . . . . . . Ulex sp. . . . . . . . . . . . Vulpia sp. . . . . . . . . . . 13 raz LP RP 14 van LP + RP 15 van LP + 4 2 1 2 1 2 1 1 1 2 2 1 2 2 2 1 1 1 1 3 + 17 van LP LP 1 4 RP 1 3 1 2 3 1 2 + 1 2 RP 16 van 2 3 + 2 + 1 1 1 1 2 2 2 2 2 1 1 3 + + + 2 2 1 2 2 1 2 + + 2 2 1 2 R1 raz RP LP RP 2 1 2 2 2 1 + + 1 1 2 1 2 1 2 2 + R2 raz R6 raz LP RP LP RP 2 1 + 2 2 2 2 + 2 2 1 2 2 2 2 2 1 1 1 2 2 1 1 + 2 + + 1 + 2 1 1 1 1 1 2 1 + 1 + + 1 + 2 2 1 1 + 1 1 1 1 2 + 2 Il existe également des différences matérielles entre les deux méthodes qui vont avoir des conséquence en termes de reproductibilité. Ainsi, dans le cas des lignes permanentes, la matérialisation sur le terrain, telle qu’elle a été pratiquée sur le site d’étude (piquet métallique), garantit un positionnement toujours identique du relevé. Dans le cas du relevé phytosociologique, les limites de celui-ci ne sont pas obligatoirement matérialisées et peuvent conduire à des variations de la surface prospectée. Ainsi des individus en marges de la zone peuvent être ou non intégrés d’une année sur l’autre et conduire à des variations minimes dans le relevé. Si cela peut conduire à s’interroger sur la significativité statistique des évolutions constatées, les dynamiques mises en évidence et leur signification écologique ne sont généralement pas remises en cause. 414 Rev. For. Fr. LXII - 3-4 – 2010 Session 3 - La phytosociologie, un outil incontournable pour les gestionnaires des milieux naturels Concernant le rapport temps/efficacité, il est plus difficile de différencier nettement les deux méthodes. La mise en place de la ligne permanente peut demander un certain temps pour retrouver les piquets et mettre en place le décamètre, temps de préparation qui n’existe pas pour le relevé phytosociologique. Dans ce cas, seule la détermination de l’aire homogène peut demander un certain temps, généralement réduit par l’expérience de l’observateur. Pour ce qui est de la réalisation, le temps nécessaire est très variable selon la physionomie du milieu. Ainsi, sur un milieu très ouvert avec de nombreuses espèces à faible recouvrement, la ligne permanente sera réalisée plus rapidement, le relevé se concentrant sur une surface très réduite. En revanche, le relevé phytosociologique demandera une prospection plus longue. En retour, comme on l’a vu, le relevé sera plus exhaustif. Sur des milieux plus denses et moins diversifiés, le temps passé pour un relevé phytosociologique sera beaucoup plus court. Le temps passé sera également variable en fonction de l’observateur et de sa connaissance du milieu. CONCLUSIONS Les résultats obtenus lors de cette étude ont permis de répondre par l’affirmative à la question posée : la phytosociologie, ou du moins le relevé phytosociologique, est une méthode pertinente pour le suivi des opérations de restauration. Cette méthode n’apparaît en effet pas moins sensible que des relevés plus ponctuels telles que les lignes permanentes, ce qui aurait pu être attendu. Cette méthode permet un diagnostic efficace et transférable du fait notamment de l’existence de références auxquelles peuvent être confrontés les résultats. Elle comporte néanmoins des contraintes, la première d’entre elles étant la nécessité d’une bonne connaissance botanique et écologique. De même, certaines analyses statistiques simples ne sont pas réalisables avec cette méthode. Ainsi, même en cas de réplication des relevés, il n’est pas possible de calculer de relevé moyen ou de quantifier la variabilité spatiale du recouvrement des espèces, celui-ci étant défini par classe. En revanche, de tels calculs sont possibles avec les lignes permanentes, chacune constituant un échantillon. De plus, dans le cadre de recherches plus fondamentales, il est possible d’utiliser les lignes de points-contacts comme bases pour des analyses des dynamiques de remplacement à l’échelle du point de relevé (M. Godron, communication personnelle). La ligne permanente semble donc être un complément utile lorsque l’objectif des suivis sort du cadre strict de la gestion et intègre une composante de recherche. Cette étude a permis de confronter les résultats issus de deux des méthodes couramment utilisées en écologie. Elle a montré que le choix de la méthode ne modifie pas fondamentalement le résultat du suivi et l’évaluation écologique de l’état du couvert végétal. La démarche entamée dans cette étude doit se poursuivre par la mise en parallèle avec d’autres méthodes de relevé tels que les quadrats ou encore avec les méthodes cartographiques dont l’échelle d’application sera plus large afin d’analyser les complémentarités entre ces approches. Sébastien GALLET – Frédéric BIORET – Jérôme SAWTSCHUK EA2219 - Institut de Géoarchitecture UFR Sciences et Techniques UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE CS 93837 F-29238 BREST Cedex 3 ([email protected]) ([email protected]) ([email protected]) Rev. For. Fr. LXII - 3-4 – 2010 Bernard FICHAUT UMR 6554 – Geomer – IUEM UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE CS 93837 F-29238 BREST Cedex 3 ([email protected]) 415 SÉBASTIEN GALLET - FRÉDÉRIC BIORET - BERNARD FICHAUT - JÉRÔME SAWTSCHUK Remerciements Ce travail a été financé dans le cadre du programme LITEAU II du ministère de l’Écologie « Restauration et réhabilitation des végétations de falaises du littoral Manche-Atlantique », ainsi que par la Région Bretagne dans le cadre du programme ARED 2006. BIBLIOGRAPHIE BIORET (F.), FICHAUT (B.). — Expérimentation de revégétalisation des pointes du Raz et du Van. — Société pour l’Étude et la Protection de la Nature en Bretagne, 1994. BOUZILLÉ (J.-B.). — Gestion des habitats naturels et biodiversité, concepts, méthodes et démarches. — Paris : Ed. Tec & Doc, 2007. — 331 p. CAIRNS (J.), McCORMICK (P.), NIEDERLEHNER (B.). — A proposed framework for developping indicators of ecosystems health. — Hydrobiologia, vol. 23, 1993, pp. 1-44. DAGET (P.), POISSONNET (J.). — Principes d’une technique d’analyse quantitative de la végétation des formations herbacées. — Doc. CEPE-CNRS, vol. 56, 1971, pp. 85-100. GALLET (S.), ROZÉ (F.). — Resistance of Atlantic Heathlands to trampling in Brittany (France): Influence of vegetation type, season and weather conditions. — Biological Conservation, vol. 97, n° 2, 2001, pp. 189-198. GALLET (S.), BIORET (F.), LEBRAS (G.). — Restoration operations of cliff vegetation along the French atlantic coast: Where, Who, Why, How ? In : 6th European Conference on Ecological Restoration, Ghent, Belgium, 10-12/09/2008. LA PHYTOSOCIOLOGIE, OUTIL PERTINENT POUR LE SUIVI DE LA RESTAURATION ÉCOLOGIQUE ? (Résumé) Au cours des dernières décennies, face à des problématiques de dégradation liées notamment à la surfréquentation touristique, de nombreuses opérations de restauration écologique ont été mises en œuvre. Aujourd’hui se pose la question du suivi et de l’évaluation de la réussite notamment écologique de ces opérations. Pour réaliser ces suivis, scientifiques et gestionnaires disposent de différentes techniques de relevés (relevés phytoécologiques, points-contacts, quadrats permanents ou aléatoires…). Il paraît donc important d’avoir une réflexion sur les avantages et les inconvénients de chacune des méthodes et d’envisager, en fonction des objectifs, purement liés à la gestion ou plus scientifiques, laquelle semble la plus appropriée. Cette étude, réalisée dans le cadre du programme LITEAU II, vise à contribuer à cette démarche en comparant les résultats de deux méthodes de relevés mises en œuvre parallèlement sur un même site pour suivre les processus de restauration. PHYTOSOCIOLOGY, A RELEVANT TOOL FOR MONITORING ECOLOGICAL RESTORATION ? (Abstract) In the last decades, there have been many initiatives to restore sites damaged by excessive tourist use. The question of monitoring and evaluating the ecological success of these attempts now arises. Several relevé techniques (phytoecological relevés, contact-points, permanent or random quadrats etc.) are available for scientists and planners. It is therefore important to examine the respective benefits and drawbacks of these methods and determine those that are most appropriate, depending on whether objectives are purely management- or science-oriented. This study was conducted under the LITEAU programme. Its purpose is to contribute to this approach by comparing the results of two relevé methods implemented concurrently at the same site to monitor restoration processes. 416 Rev. For. Fr. LXII - 3-4 – 2010