(Partie 2) Les filières de deuxième génération : Un meilleur bilan social et environnemental Un inconvénient majeur pour le développement des carburants de première génération est qu'ils entre en compétition avec les cultures alimentaires 1 et avec les écosystèmes à biodiversité élevée.2 De nouvelles filières, aux meilleurs rendements et plus intéressantes sur le plan environnemental émergent progressivement.3 Olivier Daniélo Le bio-butanol 4 (ou alcool butylique) est obtenu grâce à la bactérie Gram positive anaérobique Clostridium acetobutylicum qui possède un équipement enzymatique lui permettant de transformer les sucres en butanol-1 (fermentation acétonobutylique) 5 6 7 8 9 Du dihydrogène, et d'autres molécules sont également produites : acide acétique, acide propionique, acétone, isopropanol et éthanol (voir le schéma des voies métaboliques de Clostridium acetobutylicum. (voir annexe 4) Les entreprises BP et DuPont commercialisent actuellement le biobutanol; il présente de nombreux avantages par rapport à l'éthanol et est de plus en plus souvent évoqué comme biocarburant de substitution à l'heure du pétrole cher. Les unités de production du bioéthanol peuvent être adaptées pour produire le biobutanol10 Clostridium acetobutylicum Crédit photo : http://www.ftns.wau.nl 1 Mexique, le maïs nourrit la grogne, Babette STERN, Libération du 18 janvier 2007 Biocarburants : pires que des énergies fossiles ! , Les amis de la Terre, 4 mars 2006 3 GTL: Transforming Our EnergyFuture Through Biology and Genomics, David Thomassen, DOE 4 Butanol, Wikipédia (anglais) 5 Revival of butanol production by Clostridia, Marco Siemerink, Laboratoire de microbiologie (département d'agrotechnologie et sciences alimentaires), Wageningen, Pays-bas (une illustration des voies métaboliques de Clostridium acetobutylicum conduisant à la formation de butanol est accessible depuis cette page) 6 La fermentation acétonobutylique. Synthèse bibliographique et orientations actuelles, Oil & Gas Science and Technology - Rev. IFP, Vol. 37 (1982), No. 3, pp. 389-401 7 Butanol, Veille technologique Internationale, 16 avril 2007 8 Butanol Production from Corn Fiber Xylan Using Clostridium acetobutylicum, Nasib Qureshi et al, Biotechnol. Prog., 22 (3), 673 -680, 2006. 9 Clostridium acetobutylicum, Wikipédia (anglais) 10 BP et DuPont annoncent un partenariat pour developper des biocarburants avancés 2 Le bio-méthane 11 est le principal constituant du biogaz issu de la fermentation méthanique (ou méthanisation) de matières organiques animales ou végétales riches en sucres (amidon, cellulose, plus difficilement les résidus ligneux) par des bactéries méthanogènes qui vivent dans des milieux anaérobiques (voir annexe 3). Les principales sources sont les boues des stations d'épuration (la production rend la station au moins en partie autonome en énergie), les lisiers d'élevages, les effluents des industries agroalimentaires et les déchets ménagers. Les gaz issus de la fermentation sont composés de 65 % de méthane, 34 % de CO2 et 1 % d'autres gaz dont le sulfure d'hydrogène et le diazote. Le méthane est un biocarburant pouvant se substituer au gaz naturel (ce dernier est composé de plus de 95 % de méthane). Il peut être utilisé soit dans des moteurs à allumage commandé (technologie moteur à essence) soit dans des moteurs dits dual-fuel. Les thermotogales sont des bactéries primitives capables de se développer dans des milieux extrêmes. Thermotoga matima (photo) est capable de se développer dans des eaux à 90°C Crédit photo : ww.palaeos.com Methanothrix thermophila est une bactérie méthanogène qui aime des eaux à environ 60°C. Des vésicules de gaz sont observables à l’intérieur des cellules. Crédit photo : Biology of Microorganisms, Madigan et al., Prentice Hall Int., 1997. Le dihydrogène (bio-hydrogène) : Le reformage du bio-méthane permet de produire du dihydrogène. Ce dernier peut également être produit par voie bactérienne ou microalgale 12 13 14 15 16 – Niels van der Lelie et al (Pays-Bas) ont mis en évidence que, grâce à une enzyme hydrogènase, la l’archéobactérie anaérobie Thermotoga neapolitana est capable de produire du dihydrogène (et du C02) à partir de sucres ; Cette bactérie Gram négative très primitive et extrêmophile (elles se développe dans les conditions naturelles au niveau des sources thermales à 70-75°C) est tolérante à de faibles niveaux d’oxygène alors que les bactéries anaérobiques ne peuvent habituellement pas se développer dans de telles conditions 17. La production en dihydrogène correspond à 20-30% du volume des gaz produits par la bactérie mais ce pourcentage peut monter àn 60-70% par un contrôle des conditions de culture. Cette bactérie permet d’envisager de produire de l’hydrogène à faible coût. 11 La production biologique du méthane, Marc-André Selosse, Jean-Marc Barnola et Benoit Urgelli, Ecole Normale Supérieure de Lyon 12 Hydrogen economy, Princeton University, 2004 Production d'hydrogène à partir de sucres, Technisch Weekblad, 30 septembre 2006 14 Sur la piste de l'hydrogène, Catherine Pagan, Le Journal du CNRS, avril-mai 2003 15 De l'eau, du soleil et des algues, Nicolas de la Casinière, Libération, 15 novembre 2006 16 Thermotoga neapolitana: An Extremophilic Bacterial Strain for Continuous Hydrogen Generation, Suellen A. Van Ooteghem* et al, National Energy Technology Laboratory, USA 13 Certaines algues vertes unicellulaires ou cyanobactéries sont, capables de produire du dihydrogène par photosynthèse. À partir de l'énergie solaire et en utilisant de l'eau, elles produisent du dihydrogène et du dioxygène. Cependant l’enzyme hydrogénasse qui permet cette production de dihydrogène est sensible à l’oxygène, d’où une production non continue. Des recherches ont actuellement lieu à l’Université de Nantes sous la direction de Jack Legrand pour tenter de remédier à ces problèmes.18 Chlamydomonas reinhardtii Crédit photo : http://compbio.dfci.harvard.edu Voies de transfert des électrons impliquées dans la bio-production d’hydrogène chez l’algue verte Chlamydomonas reinhardti Source : Production d’hydrogène par des énergies renouvelables, Jack Legrand, Université de Nantes et Bulletin des énergies renouvelables n°3, juin 2003, Rachida Rihani (Centre de Développement des énergies renouvelables Algérie) 18 Production d’hydrogène par des énergies renouvelables, Jack Legrand, Université de Nantes La transformation de la lignine et de la cellulose (du bois, de la paille) en alcool ou en gaz (filière lignocellulosique-biocombustible 19 20 fait l'objet d'intenses recherches dans le monde entier. Les technologies de la transformation de la cellulose (la macromolécule la plus commune sur terre) sont complexes, allant de la dégradation enzymatique à la gazéification. Des entreprises canadiennes (comme par exemple Iogen 21 ), américaines (Broin Co.) et deux universités suèdoises (Usine pilote d'Örnsköldsvik 22 ) passent actuellement à la phase de production industrielle d'éthanol cellulosique. Selon le directeur du Programme des Nations Unies pour l'Environnement, les termites (Isoptères) 23 24 25 26 27 28 29 30 possèdent des bactéries capables de transformer "de manière efficace et économique les déchets de bois en sucres pour la production d'éthanol". Les enzymes trouvées dans le tube digestif des termites et produites par ces bactéries symbiotiques sont en effet capables de convertir le bois en sucre en 24 heures Le potentiel de la filière cellulosique est énorme et les technologies évoluent rapidement. La cellulose : un polymère complexe du glucose présent dans toutes les parois des cellules végétales dont celles du bois. Les unités glucose sont liées par des liaisons β 1-4. Les termites possèdent dans leur tube digestif des bactéries symbiotiques équipées de cellulases (enzymes) capables de transformer de manière efficace et économique la cellulose (présente notamment dans le bois) en sucres pour la production d'éthanol. Certaines espèces, comme Reticulitermes flavipes, produisent également elles-mêmes des cellulases (cellulases endogènes). 19 La filière lignocellulosique-biocombustible, ADEME From Grass to Gas - On the road to energy independence, how soon will cellulosic ethanol be a factor?, USDA, Rural Development, Septembre 2006 21 Iogen, Canada 22 La Suède, pionnière du carburant vert, Le temps, Luc Debraine, 14 mars 2007 23 '”Termite Guts Can Save The Planet” Says Nobel Laureate, Science Daily, 25 avril 2005 24 Un biocarburant fabriqué grâce aux termites, Enerzine, mars 2007 20 25 Termites et méthane, Marc Labat, Laboratoire de microbiologie, ORSTOM, Congo Termite digestion findings could lead to new strategies for ethanol production, Tom Nordlie, 27 février 2007 27 Correlation of cellulase gene expression and cellulolytic activity throughout the gut of the termite Reticulitermes flavipes, Gene, Volume 395, Issues 1-2, 15 June 2007, Pages 29-39 Xuguo Zhou, Joseph A. Smith, Faith M. Oi, Philip G. Koehler, Gary W. Bennett and Michael E. Scharf 26 28 Termites may hold the secret to the production of cellulosic ethanol], Diversa, harnessing the power of enzymes Une bactérie d'un nouveau genre identifiée dans l'intestin d'un termite, Alain Brauman, Jean-Louis Garcia, IRD, janvier 1999 30 Les mécanismes de production de méthane par les Termites en forêt tropicale, Corinne Rouland, Le 29 Courrier de l'environnement n°23, INRA, novembre 1994 C'est probablement à partir de cultures de microalgues 31 32 33 34 35, 30 à 100 fois plus efficaces que les oléagineux terrestres, que des biocarburants pourront être produits avec les meilleurs rendements , rendant ainsi envisageable une production de masse sans déforestation massive ni concurrence avec les cultures alimentaires. Pour obtenir un rendement optimal en huile, la croissance des microalgues doit s'effectuer avec une concentration en C02 d'environ 13%. Ceci est possible à un coût très faible grâce à un couplage avec une source de C02, par exemple une centrale thermique au charbon, au gaz naturel, au biogaz, ou à une unité de fermentation alcoolique. La fermentation des sucres (provenant directement de plantes comme la canne à sucre, de la betterave sucrière, de l'hydrolyse de l'amidon du blé, du maïs, ou encore de l'hydrolyse de la cellulose présente dans le bois ainsi que les tiges et les feuilles de tous types de végétaux) en éthanol génère de grandes quantités de C02 (à concentration élevée) qui peuvent nourrir les microalgues. La production d’une mole d'éthanol par fermentation alcoolique s'accompagne de la production d’une mole de C02. En ce qui concerne la filière huile, les tourteaux obtenus après extraction de l'huile végétale (Jatropha curcas, Karanj, Saijan, Tournesol, Colza etc.) peuvent servir à produire du biogaz (méthane). Le méthane peut alimenter une centrale thermique (production d'électricité) et le CO2 libéré peut aussi nourrir les microalgues. Le bilan carbone global et le caractère durable de la filière dépend donc de la source de C02 utilisée. Le couplage filière éthanol cellulosique - filière microalgue est une voie d'avenir dans la perspective d'un développement durable. A noter que la croissance des microalgues est bien entendu possible dans les conditions atmosphériques naturelles (concentration en C02 de 380ppm) mais les rendements sont alors beaucoup plus faibles. En France, un programme de recherche sur la production de carburant par les microalgues a été lancé en décembre 2006 et est dirigé par Olivier Bernard36. 31 Les microalgues permettent d’envisager des rendements à l'hectare 30 à 100 fois supérieurs à ceux des espèces oléagineuses terrestres (photo : Chlrorella vulgaris ) Il en existe environ 100 000 espèces de diatomées (microalgues) connues dans le monde - Plus de 400 nouveaux taxons sont décrits chaque année. Certaines espèces sont particulièrement riches en huile. La production d’une mole d'éthanol par fermentation alcoolique de sucres s'accompagne de la production d’une mole de C02. Ce C02 peut être utilisé pour doper la croissance des microalgues (photo : distillerie de Whisky) Programme de recherche français Shamash, " Production de biocarburants lipidiques par des microalgues " Chisti Yusuf, Biodiesel from microalgae, Biotechnology Advances (2007) 33 Un carburant à base d'huile d'algue, Biofutur n°255, mai 2005 34 Biocarburant : les algues sont-elles la solution ?, Association Oléocène 35 "A Look Back at the U.S. Department of Energy’s Aquatic Species Program: Biodiesel from Algae", National Renewable Energy Laboratory, Juillet 1998 36 Projet Shamash - http://www-sop.inria.fr/comore/shamash/ 32 Jatropha curcas, un arbuste qui pousse en zone aride et qui produit en moyenne 1892 litres d'huile par hectare et par an, est également une plante très prometteuse. Sa culture (réalisée de manière écoresponsable) permet en particulier de lutter contre la désertification (photos cicontre). A l'occasion du Biofuel Summit 2007 37 qui s'est tenu à Madrid, le spécialiste néerlandais Winfried Rijssenbeek (RR Fruits de Jatropha curcas Energy 38) a fait la promotion des qualités de cette euphorbiacée : "Cette plante, qui produit des graines oléagineuses, est une alternative intéressante aux palmiers à huile et au soja pour le sud. En premier lieu parce qu'elle n'est pas comestible et donc n'entre pas en concurrence avec le secteur alimentaire. Autre avantage, Jatropha curcas peut être cultivé sur des sols difficiles, impropres aux autres cultures et permet de lutter contre la désertification" Pongamia pinnata (ou Karanj, photo ci-contre) est un arbre à croissance rapide, fixateur d'azote, très résistant à la sécheresse, qui pousse en plein soleil, sur des sols difficiles, même sur des sols salés, et producteur d'huile. L'Inde encourage actuellement fortement la plantation de cet arbre (ainsi que de l'arbuste Jatropha curcas) dans les zones impropres aux cultures traditionnelles, ceci dans l'optique de produire de l'huile végétale. Les rendements moyens en huile sont de 5 tonnes/ha/an la dizième année, ce qui est excellent. Fruit (gousse) de Pongamia pinnata ou Karanj D'autres espèces oléifères cutivables en zone aride offrent également des perpectives très intéressantes : Madhuca longifolia (Mahua) – Moringa oleifera (Saijan), Cleome viscosa etc. La polyculture (association de plusieurs espèces) est de loin préfèrable d'un point de vue environnemental aux monocultures. On peut ainsi envisager de planter des forêts où se mélangent Mahua, Saijan, Karanj ainsi que d'autres essences utiles aux populations locales. A noter que le bilan énergétique ainsi que le bilan carbone sont toujours bien meilleurs quand on adapte le Fruits de Madhuca longifolia moteur à l'huile végétale pure (moteur Elsbett par exemple) plutôt que d'adapter l'huile végétale (transformation chimique en biodiesel processus lourd) à des moteurs conçus pour fonctionner avec des dérivés du pétrole. 37 38 Biofuel summit, Sommet Biocarburants 2007, Madrid RR Energy