L ’école d’été, organisée par le département Alimentation Humaine, a réuni pour la quatrième année consécutive une trentaine de doctorants, post-doctorants et jeunes chercheurs, à Vichy, du 10 au 13 juillet 2006. Les participants ont pu se retrouver, en nombre volontairement limité dans l’optique de favoriser les échanges et le partage des connaissances, dans une ambiance siple et détendue entre jeunes chercheurs et chercheurs expérimentés. Pour cette édition 2006, le thème « Tube digestif : interface avec l’environnement » était à l’honneur. L’école s’est focalisée sur certains aspects de cette interface, notamment sur ses fonctions immunitaires et son contrôle neuro-hormonal. De ces 3 journées riches en échanges, ressort aujourd’hui ce document synthétique, fruit de la qualité des synthèses réalisées par les intervenants et de l’intérêt des discussions suscitées par les questions posées. Il est donc apparu souhaitable à l’équipe organisatrice d’en faire bénéficier un large public. Cette synthèse intéressera non seulement les participants de cette année et des années à venir, mais également et plus largement tous les chercheurs s’intéressant, de près ou de loin, à des questions de nutrition. Je tiens à remercier Jeannine Goacolou, ingénieur de recherche, Claire Gaudout, chargée de communication, qui ont rédigé les synthèses et Fabienne Ducluzeau, maquettiste, pour leur contribution à l’élaboration de ce recueil. Bonne lecture à tous, Cordialement Patrick Etiévant Chef du département Alimentation humaine AlimH2006 3 28/06/07 8:29:48 Comment se déroule l’école d’été ? L’école d’été réunit doctorants, post-doctorants et jeunes chercheurs, dans un lieu convivial, pendant 6 demi-journées, autour d’une thématique qui va leur permettre d’approfondir leurs connaissances, dans un domaine plus ou moins proche de leur sujet de thèse ou de leur activité quotidienne. Le principe veut que, tour à tour, au cours de ces journées, les participants soient dans la position d’enseigné et d’enseignant. Chaque thématique, déclinant le thème choisi, s’articule autour d’une demi-journée de travail. Tout d’abord, le chercheur senior sollicité par le département présente une synthèse de l’état de l’art. Puis, cinq articles scientifiques sélectionnés par celui-ci sont présentés de façon critique par les doctorants sous forme de présentations orales de 10 minutes. L’article, choisi et préparé au préalable par l’étudiant, donne ensuite lieu à un débat animé par le chercheur, qui peut aider l’étudiant dans sa présentation, si nécessaire. L’objectif est donc au moins triple : • développer l’esprit critique et de la discussion contradictoire des jeunes vis-à-vis et autour des travaux publiés dans la littérature, qu’ils considèrent souvent comme paroles d’évangile ; • permettre aux jeunes de passer plusieurs journées consécutives avec des chercheurs renommés dans les domaines traités et leur offrir des perspectives de contacts futurs ; • offrir un cadre convivial, qui favorise des connections fortes entre des étudiants et jeunes chercheurs qui n’auraient jamais eu l’occasion de se rencontrer, ainsi qu’un climat relationnel de chercheur à chercheur avec les organisateurs et les intervenants. Zoom sur les écoles d’été précédentes : Du 15 au 17 juillet 2003 Radicaux libres, stress oxydant, anti-oxydants Du 15 au 18 juillet 2004 Système nerveux, fonctions cognitives et comportement alimentaire Du 14 au 17 juillet 2005 Croissance et vieillissement Cette édition a fait l’objet d’un document de synthèse des différentes interventions. AlimH2006 4 28/06/07 8:29:48 Sommaire L’épithélium intestinal : anatomie, dynamique, fonctions Session animée par François Blachier............................................... p 5 - 18 La barrière immunologique intestinale Session animée par Martine Heyman............................................... p 19 - 36 La flore intestinale, ses fonctions et sa relation avec le système immunitaire intestinal Session animée par Marie-Christiane Moreau................................... p 37 - 50 Les hormones gastro-intestinales Session animée par Theo Peeters...................................................... p 51 - 61 L’axe cerveau-intestin Session animée par Bruno Bonaz..................................................... p 62 - 76 Les pathologies digestives dites «fonctionnelles» Session animée par Lionel Bueno..................................................... p 77 - 87 AlimH2006 5 28/06/07 8:29:48 AlimH2006 6 28/06/07 8:29:48 L’épithélium intestinal : anatomie, dynamique, fonctions François Blachier Introduction L’intestin grêle commence par le duodénum, partie la plus courte de l’intestin. Viennent ensuite le jéjunum puis l’iléon. Ce dernier débouche par la valvule iléocaecale dans le gros intestin. Celui-ci est formé du caecum et du côlon, lui-même subdivisé en côlon ascendant, côlon transverse, côlon descendant et côlon sigmoïde. Enfin, le tube digestif se termine par le rectum et l’anus. voit que l’épithélium est constitué d’une seule couche de cellules et qu’il présente une structure caractéristique en villosités. Il repose sur la lamina propria. A la base des villosités, les cellules sont indifférenciées. Ces cellules, dites pluripotentes, n’ont pas encore de fonction physiologique. Elles donnent naissance à des cellules filles qui migrent le long de la villosité tout en se différenciant. Arrivées au sommet de la villosité, elles sont mâtures et sont alors expulsées vers la lumière par un processus appelé anoïkis ou apoptose induite par le détachement. C’est la coordination très étroite entre les mitoses de la crypte et l’élimination des cellules mâtures dans la lumière qui permet de maintenir un nombre constant de cellules tout au long de l’épithélium. La cellule épithéliale L’intestin grêle L’épithélium de l’intestin grêle est constitué de plusieurs « couches ». De l’intérieur (côté lumière) vers l’extérieur, on trouve la muqueuse, la sous-muqueuse, des muscles circulaires, des muscles longitudinaux et la séreuse. Le tube digestif est irrigué par un réseau important de petites artères et de veines : les artères apportent l’oxygène et les nutriments aux cellules de l’intestin ; les veines charrient les nutriments qui ont été digérés et absorbés. Elles convergent toutes vers la veine porte qui va jusqu’au foie. La muqueuse épithéliale Grâce à ses nombreux repliements, la muqueuse présente une surface d’absorption très importante (intermédiaire entre la surface d’un terrain de tennis et celle d’un terrain de foot). A fort grossissement, on Elle présente vers l’extérieur une bordure en brosse qui augmente encore la surface d’absorption. Des jonctions serrées, formées par des protéines spécialisées (comme des occludines ou des claudines) jouent un rôle de barrière. A l’intérieur de la cellule, les mitochondries sont très nombreuses ; elles produisent l’énergie dont la cellule a besoin, notamment pour les processus de biosynthèse et pour ses fonctions physiologiques. Sous la membrane basale de la cellule, on trouve la lamina propria, assise de soutien, richement vascularisée, qui comporte un certain nombre de cellules, dont des cellules immunitaires. Cellules différenciées et fonctions de l’épithélium La plupart des cellules de l’épithélium de l’intestin grêle sont des entérocytes. Ce sont des cellules absorbantes qui réalisent la digestion terminale et l’absorption, -- AlimH2006 5 28/06/07 8:29:48 c’est-à-dire le passage, grâce à leurs transporteurs, des nutriments qu’elles prélèvent dans la lumière intestinale. Il existe aussi des cellules en gobelet dont la fonction est de protéger l’épithélium intestinal. En effet, elles secrètent des mucines qui sont des glycoprotéines résistantes aux actions des protéases, en particulier pancréatiques. Enfin, on trouve dans l’épithélium intestinal quelques cellules entéro-endocrines, dont il sera question dans la session « les hormones gastro-intestinales » animée par Théo Peters. L’absorption par les entérocytes L’absorption des oligopeptides et des acides aminés 9 systèmes de transport ont été caractérisés au pôle luminal de l’entérocyte et 7 à son pôle basal. Le système Pep T1 est assez bien connu : il est responsable de l’absorption des dipeptides et des tripeptides au pôle luminal, mais ne transporte pas les acides aminés libres. Il est Na+ indépendant, alors que d’autres systèmes dépendent du sodium. Un acide aminé est le plus souvent transporté par plusieurs transporteurs, mais avec des affinités différentes. Certains transporteurs sont spécifiquement présents au pôle luminal, d’autres le sont à la fois aux pôles luminal et baso-latéral. Métabolisme des acides aminés dans les entérocytes absorbés comme, par exemple, l’histidine, dont le coefficient d’absorption est de 89%. Avec un coefficient de 17%, la glutamine et le glutamate présents dans les protéines alimentaires sont fortement métabolisés lors de leur passage à travers les entérocytes. C’est aussi le cas pour l’arginine (42%) qui est fortement dégradée en ornithine et urée dans les cellules absorbantes. En ce qui concerne l’alanine, le taux d’absorption apparent est très élevé (202%) ; il s’agit bien sûr d’une valeur théorique, et le fait de trouver un pourcentage supérieur à 100% suggère que les entérocytes sont capables de produire de l’alanine. Du fait de son renouvellement rapide et permanent, l’intestin est un grand consommateur d’oxygène : il utiliserait 20% de l’oxygène inspiré. Le métabolisme des acides aminés dans les entérocytes est également très important. On estime que près de 10% des acides aminés luminaux sont utilisés par la muqueuse intestinale pour son propre fonctionnement (utilisation locale), que ce soit pour la synthèse protéique ou le métabolisme des acides aminés. L’intestin libère ensuite les acides aminés non métabolisés ou produits par les entérocytes qui seront utilisés par d’autres organes, comme le foie, les reins ou les muscles (métabolisme inter-organes). Métabolisme simplifié de la glutamine Lorsque l’on connaît la composition d’une protéine en acides aminés, on a une idée du coefficient d’absorption en mesurant les différences de concentration en acides aminés entre la veine porte et l’artère, et en prenant en compte le débit sanguin dans la veine porte. Certains d’entre eux sont bien Dans les mitochondries des entérocytes, la glutamine est dégradée en glutamate et en ion ammonium, NH4+. L’ammonium est éliminé dans la veine porte et transformé en urée au niveau du foie. Une partie du glutamate est transformé en ornithine, puis en citrulline ; cette dernière sera utilisée au niveau du rein pour redonner de l’arginine. -- AlimH2006 6 28/06/07 8:29:48 L’arginine n’est donc pas un acide aminé indispensable chez l’adulte, puisque l’organisme est capable d’en générer des quantités suffisantes par rapport à ses besoins. Ce n’est pas le cas chez les jeunes animaux, pour lesquels la synthèse endogène ne couvre pas les besoins. La plus grande partie du glutamate servira à la synthèse : • du glutathion, un tripeptide capable d’éliminer d’un certain nombre d’espèces réactives de l’oxygène ; il s’agit d’une utilisation locale du glutamate par les entérocytes ; • de l’alanine (après transamination du pyruvate), un acide aminé utilisé au niveau du foie pour la néoglucogenèse ; il s’agit d’un dialogue entre l’intestin et le foie ; • de l’aspartate (après transamination de l’acide oxalo-acétique), un acide aminé utilisé dans le cycle de l’urée hépatique ; il s’agit là encore d’un dialogue entre l’intestin et le foie ; • de l’alpha-cétoglutarate. Ce dernier quitte le cytosol pour pénétrer dans la mitochondrie où, via le cycle de Krebs, il sert à synthétiser des équivalents réduits, comme le NADH qui est nécessaire à la formation d’ATP. Métabolisme simplifié de l’arginine Dans les entérocytes du porc sevré, l’arginine permet la synthèse d’ornithine et d’urée. Cette ornithine peut se mélanger avec celle qui provient de la glutamine et contribuer à la synthèse de citrulline, qui sera utilisée au niveau du rein pour redonner de l’arginine. L’arginine sert aussi à synthétiser du monoxyde d’azote et de la citrulline. Le monoxyde d’azote est nécessaire au maintien de la perméabilité intestinale ; en effet, on observe une perte de perméabilité, notam- ment vasculaire, en présence d’inhibiteurs spécifiques de la NO synthase. Il s’agit, là aussi, d’une utilisation de l’arginine pour une fonction locale. Dans les entérocytes de porc nouveau-né, ou âgé de quelques jours, le métabolisme de l’arginine est totalement différent, car il est orienté vers la synthèse et très peu vers le catabolisme. En effet, le rein qui est responsable de la synthèse de l’arginine est immature à la naissance ; c’est donc l’intestin qui, pendant cette période de développement intense de l’animal, assure cette fonction physiologique. Le gros intestin Le gros intestin présente des points communs, mais aussi des différences avec l’intestin grêle. Une structure épithéliale différente On ne retrouve pas les villosités de l’intestin grêle, mais un épithélium en plateau avec la présence de cryptes coliques. Des fonctions physiologiques différentes L’épithélium colique est responsable de l’absorption de l’eau, des électrolytes et de certains métabolites produits par la flore colique. Les cellules en gobelet sont beaucoup plus nombreuses que dans l’intestin grêle : elles représentent environ 20% des cellules épithéliales. Ceci correspond probablement à l’existence d’une stase colique. Les cellules entéro-endocrines sont beaucoup plus rares que dans l’intestin grêle et tous les phénotypes ne sont pas présents. Un renouvellement de l’épithélium moins rapide -- AlimH2006 7 28/06/07 8:29:49 Comme dans l’intestin grêle, on trouve dans l’épithélium colique des cellules pluripotentes à la base des cryptes, et des cellules en mitose qui migrent le long des cryptes et se différencient en cellules mâtures ; ces dernières s’exfolient au niveau de l’épithélium de plateau. Ce renouvellement de l’épithélium colique est moins rapide que celui de l’intestin grêle ; chez l’homme, ils seraient respectivement de 3 à 8 jours et de 1 à 2 jours. chrome oxydase mitochondriale et donc la respiration cellulaire. On y trouve aussi, mais à des concentrations moindres, des amines, dont des polyamines (qui sont impliquées dans la prolifération et la différenciation des colonocytes) et des nitrosamines. Enfin, il convient d’ajouter des phénols, des acides organiques et bien d’autres constituants dont on ignore pratiquement tout de leurs effets sur l’épithélium colique. Un environnement luminal différent Le métabolisme des colonocytes La stase luminale du côlon est beaucoup plus importante que celle de l’intestin grêle. La population bactérienne est, elle aussi, beaucoup plus abondante. Il diffère en partie de celui des entérocytes. Par exemple, le métabolisme de la glutamine est important, mais celle-ci provient majoritairement de l’apport sanguin, puisque les colonocytes ne semblent pas, d’après la plupart des études, capables de transporter les acides aminés luminaux. Le métabolisme du glucose se fait principalement dans la glycolyse, dans le cycle tricarboxylique et dans la voie des hexoses monophosphates. Le métabolisme de l’arginine se fait, comme dans les entérocytes, dans les voies de l’arginase et des NO synthases. L’expression de l’isoforme inductible est fortement augmentée dans les biopsies de patients souffrant de maladies inflammatoires, comme la rectocolite hémorragique ou la maladie de Crohn ; dans cette situation, la production augmentée de NO aurait un rôle délétère. On y trouve des acides gras à chaînes courtes (en particulier du butyrate, de l’acétate, du propionate) et des acides gras branchés à des concentrations millimolaires. Ces acides gras sont produits à partir de composés alimentaires qui n’ont pas été digérés ou qui ne sont pas absorbés par l’épithélium intestinal ; il s’agit principalement de fibres, d’amidons résistants ou de protéines non dégradés dans l’intestin grêle. L’ammonium, produit de dégradation des acides aminés et de l’urée, est synthétisé par les bactéries. Les concentrations luminales sont élevées, comprises entre 15 et 45 millimolaires en fonction de l’apport alimentaire en protéines. La production de gaz est également une caractéristique du métabolisme bactérien. Par exemple, le sulfure d’hydrogène est produit dans la lumière colique au départ des acides aminés soufrés, des sulfates et des additifs sulfités. C’est un gaz potentiellement toxique car, en excès, il inhibe la cyto- Enfin, les colonocytes métabolisent le butyrate et l’acétate produits par les bactéries, ce que les entérocytes ne peuvent pas faire. Ces deux acides gras sont transportés à l’intérieur des colonocytes grâce à un transporteur, le MCT1 ; ils permettent la synthèse de corps cétoniques (substrats oxydatifs énergétiques des cellules), de triglycérol et surtout de phospholipides -- AlimH2006 8 28/06/07 8:29:49 utilisés pour les biosynthèses de membranes cellulaires. à travers les colonocytes. Ces derniers régulent la concentration de l’ammonium en le métabolisant soit en glutamine, soit en citrulline. La formation de cryptes aberrantes L’épithélium colorectal a une propension à former des foyers de cryptes aberrantes. Il s’agit de formations pré-néoplasiques caractérisées par des anomalies, notamment dans le processus de détachement des cellules. Les cellules mâtures se maintiennent sur l’épithélium de surface et continuent à proliférer, formant des bourgeons appelés cryptes aberrantes qui peuvent évoluer vers la formation de polypes. Ces structures anormales sont beaucoup plus rares dans l’intestin grêle. Alimentation et composition luminale dans le côlon/rectum L’ammonium Plus on consomme de protéines, plus la concentration en ammonium dans la lumière du côlon est importante (elle varie de 15 à 45 mM). Dans les sociétés occidentales, la consommation moyenne journalière est de 100 grammes de protéines. Les protéines alimentaires ou endogènes (cellules desquamées, mucus), qui ne sont pas digérées ou absorbées au niveau de l’intestin grêle, franchissent la jonction iléocaecale : on estime cette quantité entre 6 et 18 grammes de matière azotée par jour. Cette dernière subit alors une intense protéolyse bactérienne (désamination des acides aminés par les bactéries, dégradation de l’urée en ammonium par les uréases bactériennes) et un métabolisme endogène de la glutamine par les colonocytes qui conduit à la synthèse d’ammonium. L’ammonium luminal est en partie absorbé (environ 4 g par jour chez l’homme) Effets de NH4+/NH3 sur l’épithélium colique Ex-vivo, une concentration excessive d’ammonium entraîne des altérations morphologiques dans l’épithélium colique et par conséquent une augmentation du renouvellement épithélial compensateur. En effet, lorsque l’épithélium de plateau est trop vite desquamé, on observe une augmentation de la vitesse de division des cellules à la base de la crypte, de manière à compenser ces altérations. On pense que cette augmentation du renouvellement de l’épithélium pourrait favoriser la fréquence des mutations cellulaires. In vitro, l’ammoniac diminue le métabolisme oxydatif du butyrate et de l’acétate. Au-delà d’une certaine concentration, il provoque une augmentation transitoire du pH intracellulaire. Le sulfure d’hydrogène Le sulfure d’hydrogène est produit, en particulier, par les bactéries sulfatoréductrices, à partir des acides aminés soufrés, des sulfates alimentaires et des additifs sulfurés qui sont utilisés, notamment, dans la fabrication des vins. La concentration luminale est importante (de 1 à 3,5 mM) et varie avec l’ingéré protéique. Plus la consommation de protéines est importante, plus la concentration de H2S augmente. Celleci augmente en cas de rectocolite hémorragique (des auteurs pensent qu’une augmentation de sulfure d’hydrogène pourrait constituer un risque de récidive de la maladie). Chez des rongeurs traités au dextran sulfate (une forme non absorbable -- AlimH2006 9 28/06/07 8:29:49 du sulfate), on observe des inflammations coliques proches de celles observées dans la rectocolite humaine. C’est pourquoi, nous nous sommes intéressés à cette molécule. Effets du H2S sur les colonocytes Les effets aigus du H2S sur les cellules épithéliales coliques se traduisent par une inhibition de la cytochrome c-oxydase mitochondriale. Les cellules respirent moins, et on observe une inhibition de l’oxydation de la plupart des substrats énergétiques de ces cellules : inhibition de l’oxydation du butyrate, de l’acétate et de la glutamine. Métabolisme détoxifiant dans les colonocytes Les colonocytes sont capables de détoxifier le sulfure d’hydrogène. D’après une étude américaine de 2005, la synthèse de thiosulfate serait la principale voie d’élimination du sulfure d’hydrogène par les colonocytes. Face à un apport chronique d’H2S, des expériences in vitro suggèrent que l’épithélium colique est capable de s’adapter. On observe, en effet, dans des cellules issues d’adénocarcinome colique humain HP-29 : • une augmentation de la glycolyse qui compense partiellement la baisse de la synthèse d’ATP induite par la diminution de la respiration ; • une diminution de la prolifération cellulaire, ce qui est une façon d’économiser l’ATP nécessaire à la division cellulaire et aux voies métaboliques de biosynthèse associées, et donc de maintenir le rapport ATP/ADP constant ; • une augmentation, après 24 heures de traitement, de l’expression d’UCP2 (protéine de découplage) associée à une augmentation du découplage de la respiration mitochondriale. Il semble donc que, dans les cellules HT-29 comme dans les macrophages, une augmentation de l’expression de UCP2 permet de contrôler la production des espèces réactives de l’oxygène et donc de préserver la viabilité des cellules épithéliales coliques. Chez des patients atteints de rectocolite hémorragique en rémission, des recherches cliniques récentes ont montré qu’une alimentation riche en protéines ou en sulfates pourrait, via une augmentation du sulfure d’hydrogène luminal, favoriser le risque de rechute. En effet, le risque relatif par rapport à des patients recevant un apport modéré en protéines et en sulfates était respectivement 3 et 2,6 plus élevé. Discussion Tu nous as dit que le glutamate est le fuel de la cellule. Comment se fait-il alors qu’il soit mal absorbé ? La glutamine et le glutamate sont bien transportés dans les entérocytes. Mais, comme ils sont très fortement oxydés, on les retrouve en concentrations faibles dans la veine porte. Le transport des acides aminés à travers la paroi intestinale est-il modulé en fonction de l’état métabolique et, en particulier, en cas de carence de certains acides aminés ? En d’autres termes, tu me demandes si le métabolisme varie en fonction de l’apport alimentaire. Pour répondre à cette question, nous avions, en collaboration avec une société qui vend du glutamate de sodium, donné à des porcs pendant une semaine une quantité plus ou moins importante -10- AlimH2006 10 28/06/07 8:29:49 de ce produit. On pensait que le glutamate de sodium était impliqué dans le syndrome du restaurant chinois caractérisé par certains symptômes comme des vertiges. On sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas et que c’est probablement l’histamine qui est à l’origine de ce syndrome. Toujours est-il que, malgré l’administration de fortes doses de glutamate de sodium dans l’alimentation, on n’observait aucune différence du métabolisme du glutamate par les entérocytes ; ceci suggère, au moins pour le glutamate, que le métabolisme serait de type constitutif et non modulable dans nos conditions expérimentales. H2S est produit par le système nerveux et le tube digestif est très riche en neurones. Le sulfure d’hydrogène, qui est produit par les bactéries de la flore et plus ou moins filtré par le colonocyte, pourrait-il intervenir sur le système nerveux du tube digestif ? Les concentrations de H2S produites dans le système nerveux central à partir de la cystéine sont très faibles (picomolaires). Celles que l’on trouve dans la lumière du côlon sont micromolaires, voire millimolaires. Des travaux récents montrent, qu’en fonction des concentrations, H2S peut être un poison ou un substrat énergétique pour les colonocytes. Les acides gras à courtes chaînes produits dans le côlon sont-ils absorbés ? Participent-ils à l’apport calorique ? Et si oui, dans quelles proportions ? Le butyrate est fortement métabolisé par les cellules de l’épithélium colique. On en retrouve donc relativement peu dans la veine porte. L’acétate est présent à des concentrations plus élevées dans la lumière colique, et bien qu’il soit aussi métabolisé par les colonocytes, on mesure des concentrations non négligeables dans la veine porte. Cet acide gras à courte chaîne peut être métabolisé par le foie. Le propionate est lui aussi métabolisé dans le foie. La citrulline, qui est un marqueur de trophicité de l’intestin, est aussi produite par le côlon. Connaît-on les quantités produites par l’un et par l’autre ? En comparant la production d’ARN messagers correspondant aux enzymes responsables de la synthèse de citrulline par des entérocytes et des colonocytes humains, on a observé qu’elle était beaucoup plus importante dans les entérocytes. Bien que ce soit une observation très indirecte, je pense que le côlon n’est pas le site principal de production de citrulline. Les bactéries présentes dans l’iléon interviennent-elles sur le métabolisme des cellules épithéliales de l’iléon ? Ce métabolisme est-il proche de celui de l’intestin proximal qui héberge peu de bactéries ? Il est possible qu’il y ait une spécialisation progressive du duodénum vers le côlon. Comme le transit est beaucoup plus rapide dans l’intestin grêle et que les bactéries sont plus nombreuses dans le côlon que dans l’iléon, la concentration en acide gras est beaucoup plus importante dans le côlon que dans l’iléon. Quand on donne du DSS (Dextran Sodium Sulfate) à des souris ou à des rats par voie orale, on observe aucun effet sur l’estomac et sur l’intestin grêle ; l’inflammation ne touche que le côlon. Le colonocyte est-il plus sensible ou le transit est-il trop rapide pour que le produit ait un effet sur les entérocytes ? -11- AlimH2006 11 28/06/07 8:29:49 Les deux hypothèses sont bonnes. Je pense que la sensibilité des cellules est différente et que le DSS séjourne plus longtemps dans la lumière colique. De plus, la flore colique métabolise le DSS et produit du sulfure d’hydrogène. Quels sont les avantages et les inconvénients, les intérêts et les limites des modèles cellulaires utilisés ? Lorsque l’on isole des cellules épithéliales intestinales, on les sépare de la matrice extracellulaire et, de ce fait, elles meurent assez vite. Les biologistes se sont donc tournés vers des modèles plus simples, comme HT-29 et Caco-2. Ces cellules d’origine tumorale peuvent être maintenues longtemps en culture (plus de 60 passages), mais on ne peut empêcher leur évolution. L’utilisation des lignées tumorales a permis une avancée très importante des connaissances, en particulier du point de vue des mécanismes, mais cela a-t-il un sens en terme de physiologie ? Article 1* NG-hydroxy-L arginine and nitric oxide inhibit Caco-2 tumor cell proliferation by distinct mechanisms. Introduction En 1977, Ferid Murad montrait que le monoxyde d’azote (NO) activait la guanylyl cyclase. Cette dernière était alors capable d’hydrolyser le GTP en GMP cyclique et, par conséquent, d’induire la relaxation. En 1980, Robert Furchgott identifie une autre molécule capable d’induire la relaxa- tion : l’EDRF (Endothelium Derived Relaxing Factor). En 1987, Louis Ignarro et Robert Furchgott démontrent que le NO et l’EDRF ont des actions similaires, puisque liés à l’hémoglobine : ils induisent une même modification de l’absorbance. En 1988, Salvador Moncada confirme que l’EDRF est en fait du NO. Murad, Furchgott et Ignarro reçoivent le prix Nobel de médecine pour leur travail sur le NO. Importance du monoxyde d’azote Le NO est un radical libre hautement réactif. A la température ambiante, c’est un gaz dont la durée de vie est de l’ordre de la seconde. Il est lipophile. Il est synthétisé à partir de L-arginine et d’oxygène, en présence de NO synthases (NOs) et de plusieurs co-facteurs (NADPH, FADH2, BH4). Cette synthèse se fait en deux étapes : l’arginine est d’abord transformée en N-hydroxy-L. arginine (ou NOHA) qui, elle-même, toujours par l’action catalytique de NOs, donnera du NO et de la citrulline. Le NO intervient sur les grandes fonctions physiologiques de l’organisme ; il a des effets respiratoires (bronchodilatateur), vasculaires (vasodilatateur) sur les systèmes nerveux et immunitaire. Enfin, et c’est ce qui nous intéresse ici, il agit sur la croissance des tumeurs. La voie des polyamines L’arginine est impliquée dans une autre voie importante pour la prolifération cellulaire : la voie des polyamines. Cette voie fait -12- AlimH2006 12 28/06/07 8:29:50 intervenir deux enzymes importantes dans cette étude : l’arginase et l’ornithine décarboxylase. Le but est d’établir les liens entre ces deux voies (celle du NOs et celle de l’arginase) et la croissance cellulaire, mais aussi de voir leur éventuelle connexion avec la voie du GMP cyclique qui induit la relaxation. Conclusions • Le NOHA est capable d’inhiber la prolifération cellulaire en inhibant l’activité de l’arginase. • Le NO est capable d’inhiber la prolifération cellulaire en inhibant l’activité de l’ornithine décarboxylase, mais sans passer par le GMP cyclique. L’inhibition de l’ornithine décarboxylase diminue la capacité de synthèse des polyamines. Discussion L’action du NO est-elle la même sur tous les types cellulaires ? Non, le problème avec le NO est qu’il a, in vitro, des effets diamétralement opposés (apoptotique ou protecteur, inhibiteur ou proliférateur) en fonction de la concentration, mais aussi du type cellulaire. Quels sont les principaux donneurs de NO ? Les donneurs de NO sont très variables : il en existe des lents et des rapides. Le plus couramment utilisé est le DETA. Il vaut mieux être prudent avec le SNAPs, car il a souvent un effet toxique in vitro. Finalement, avec les donneurs de NO, on ne sait pas si on donne du NO radical libre ou du NO superoxyde. Or, ce dernier se combine avec le NO pour donner du peroxynitrite, produit très toxique qui attaque les protéines et modifie les résidus tyrosine. Les proliférations cellulaires anormales sont très fréquentes dans le côlon. Or, nous n’avons pas tous un cancer du côlon. Il doit donc y avoir des mécanismes qui détruisent les jeunes polypes et les cryptes aberrantes, éventuellement induits par le NO. La fréquence des cryptes aberrantes augmente avec l’âge et, heureusement, elles ne dégénèrent pas toutes en carcinomes. On sait, par ailleurs, que les inflammations coliques favorisent le développement des tumeurs et qu’en cas d’inflammation on observe une surexpression de l’isoforme inductible de la NOS (iNOS). Mais, même si le NO, à forte concentration et pendant un temps prolongé, a des effets éventuellement mutagènes sur l’ADN, on ne connaît ni la quantité de NO, ni le temps nécessaire au développement d’une tumeur. Comptetenu de sa durée de vie, il est impossible de le voir et de le mesurer in vivo. Article 2* The human colonic monocarboxylate transporter isoform 1: its potential importance to colonic tissue homeostasis. Introduction MCT1 appartient à la famille des transporteurs de monocarboxylates (il existe 14 isoformes). Il est localisé dans le côlon, mais aussi dans le cœur et le muscle rouge. Il transporte, à travers l’épithélium coli- -13- AlimH2006 13 28/06/07 8:29:50 que, le butyrate, le propionate et l’acétate, qui résultent de la fermentation des fibres alimentaires par les bactéries anaérobies. On connaît bien les effets du butyrate sur la muqueuse colique : c’est une source d’énergie pour les colonocytes ; il intervient dans l’inhibition de la prolifération cellulaire et dans l’induction de la différenciation cellulaire ; il agit sur le système immunitaire. Tous ces effets concourent au maintien de l’homéostasie de l’épithélium colique. On sait aussi que le butyrate régule l’expression de MCT1 et que celle-ci est sousrégulée lorsque les cellules coliques de l’homme deviennent malignes. Le but de cette étude est de voir si la baisse de l’expression de MCT1 durant la carcinogenèse colique entraîne la diminution de la concentration en butyrate intracellulaire, et donc une dérégulation des gènes associés au maintien de l’homéostasie. Conclusions • L’inhibition de l’expression de MCT1 entraîne effectivement la diminution de la concentration en butyrate intracellulaire, provoquant ainsi la dérégulation de l’expression de gènes impliqués dans la prolifération et la différenciation cellulaires. • Par contre, la modulation de gènes impliqués dans l’apoptose en fonction de la concentration intracellulaire de butyrate ne dépend pas de l’expression de MCT1 : l’induction de l’apoptose par le butyrate ne passe pas par MCT1. • Le butyrate serait détecté à la surface de la membrane plasmique déclenchant une cascade de signalisations responsable de la modulation de l’expression de gènes impliqués dans l’apoptose. Discussion Peut-on imaginer que ce n’est pas le butyrate qui est responsable de l’effet recherché, mais un des produits de son métabolisme ? En effet, rien ne permet d’exclure cette hypothèse. Mais, dans cette étude, les auteurs se sont intéressés uniquement au transport du butyrate et non à son métabolisme. Sait-on comment fonctionne le MCT1 ? Il est relativement peu spécifique puisqu’il transporte d’autres acides organiques comme le propionate ou l’acétate. Contrairement à d’autres familles de transporteurs, il n’est pas sodium-dépendant. L’absorption par les colonocytes des acides organiques (parmi lesquels on trouve en particulier les AGV, ou acides gras volatils) n’est-elle pas fonction du pH ? Est-ce une diffusion active ou passive ? Le transport actif du butyrate dans les colonocytes représenterait 50% du transport de ce métabolite. L’autre moitié serait celle de sa simple diffusion, sous forme anionique ou non ; la diffusion est effectivement très sensible au pH. Les transporteurs du butyrate sont-ils tous identifiés ? Ils sont différents selon les espèces, mais aussi selon le niveau du côlon (proximal, médian ou distal). Grâce à l’identification moléculaire, les transporteurs de différents nutriments sont aujourd’hui bien connus. -14- AlimH2006 14 28/06/07 8:29:50 Les acides gras à chaînes courtes sont-ils tous retrouvés dans la veine porte ? Le butyrate et le propionate ne sont retrouvés qu’en faible quantité dans la veine porte, contrairement à l’acétate. Le butyrate est l’acide gras volatile présent en plus faible concentration dans la lumière colique ; c’est le principal substrat énergétique des colonocytes. Article 3* Rapid onset of apoptosis in vitro follows disruption of b1 integrin/matrix interactions in human colonic crypt cells. Introduction La desquamation de l’épithélium de surface est un phénomène normal qui participe à l’homéostasie du tissu intestinal. On sait que l’anoïkis (du grec « a », qui signifie sans, et « noïkos », qui signifie maison), c’est-àdire l’apoptose induite par le défaut d’interaction entre les cellules et la matrice extracellulaire, est impliqué dans l’élimination des cellules intestinales sénescentes. Mais, les cellules meurent-elles dans l’épithélium avant d’être exfoliées ou sont-elles exfoliées avant d’entrer en apoptose ? La deuxième question à laquelle ont souhaité répondre les auteurs de cet article concerne le rôle des intégrines b1 dans l’anoïkis. Ces protéines de surface médient les interactions entre les cellules intestinales, la membrane basale et la lamina propria sous-jacente. On sait aujourd’hui qu’elles modulent l’expression de certains gènes et donc l’activité des cellules intestinales à qui elles transmettent des signaux de vie ou de mort. Conclusions • Les cryptes isolées se désintègrent progressivement lorsqu’elles sont maintenues en suspension. • Cette désintégration serait associée à une apoptose massive des cellules. Une heure après l’isolement, on observe déjà une dégradation de l’ADN. • La survie des cellules dépend de l’adhésion à une matrice de protéines extracellulaires. • Le signal de survie est transmis par les intégrines b1. • Deux zones sont particulièrement sensibles à la perte de contact avec la matrice : le fond de la crypte (cellules souches) et le haut de la crypte (épithélium de surface). • Malheureusement, la responsabilité de l’anoïkis dans la mort des cellules sénescentes de l’épithélium n’est pas démontrée de manière irréfutable (cause ou conséquence ?). Discussion L’importance d’une matrice extracellulaire pour cultiver un épithélium colique in vitro avait déjà été démontrée. En quoi cette publication est-elle originale ? C’est la première fois que l’anoïkis est démontré sur des cellules d’un épithélium colique humain normal, et ceci dans un délai rapide (environ 3 heures). Les études antérieures avaient été faites sur des lignées cellulaires transformées et -15- AlimH2006 15 28/06/07 8:29:50 l’apoptose avait été observée au bout de 5 à 8 heures. Par ailleurs, on savait que les cellules épithéliales avaient besoin d’un contact avec la matrice extracellulaire pour proliférer et se différencier. Ici, ils montrent que la survie elle-même dépend de ce contact. N’est-il pas étrange que des cellules souches soient sensibles à l’apoptose ? Cela peut paraître étonnant à première vue, mais le fait que les cellules du fond des cryptes soient susceptibles à l’apoptose, après détachement, pourrait constituer un mécanisme de protection contre une croissance ectopique : l’anoïkis empêcherait ces cellules qui ont une grande capacité à proliférer d’aller se différencier n’importe où. Des cellules mortes pourraient-elles rester « bloquées » dans la lamina propria ? Normalement, les cellules mortes sont « éjectées » dans la lumière intestinale où elles se nécrosent et servent d’aliment aux bactéries de la flore digestive. Celles qui se trouvent ailleurs qu’au sommet des villosités peuvent être absorbées et digérées par les cellules dendritiques qui migrent vers les ganglions mésentériques. Je pensais que l’apoptose était un phénomène irréversible, or il semblerait que l’on puisse l’arrêter. Certains ont qualifié de paraptose une apoptose que l’on peut moduler. Ce phénomène me paraît logique dans la mesure où le renouvellement de l’épithélium colique varie selon de nombreux critères : l’individu, sa flore, son environnement au sens large (présence d’H2S, de NH3…). C’est un phénomène qui n’est pas programmé puisqu’il est soumis à un environnement variable. Dans un tel contexte, essayer de voir comment des molécules alimentaires peuvent influer sur les cascades de signalisation est un véritable défi. Article 4* Glutamine inhibits cytokine-induced apoptosis in human colonic epithelial cells via pyrimidine pathway. Introduction Lors d’une maladie inflammatoire du tube digestif, on observe une augmentation de l’apoptose des cellules des zones inflammées de la muqueuse colique. Cette mort cellulaire est induite par l’augmentation de l’expression des cytokines (TNF-a, IFN-g), dont le taux est élevé chez les patients malades. Afin de réduire l’apoptose et de favoriser la restitution de la muqueuse colique, on utilise différentes méthodes, dont la supplémentation des aliments en glutamine (Gln). En effet, la glutamine est un nutriment important des cellules épithéliales intestinales et immunitaires lors de stress cataboliques. En supplémentation des aliments ou en nutrition parentérale, elle a des effets positifs sur le bilan azoté, la fonction immunitaire ou l’indice de morbidité (modèles animaux ou patients malades). Enfin, elle a des effets trophiques, pro-prolifératifs et anti-apoptotiques sur l’épithélium intestinal. Les auteurs de cette publication souhaitent montrer par quels mécanismes la glutamine -16- AlimH2006 16 28/06/07 8:29:50 inhibe l’apoptose de cellules HT-29 induites par une cytokine, TRAIL (TNF-a Related Apoptosis Induced Ligand). Rappel : les voies d’utilisation de la glutamine La glutamine est impliquée dans trois voies de synthèse : • par désamination, via la glutaminase, elle produit du glutamate et de l’ammonium. Le glutamate est lui utilisé pour produire du glutathion et certains acides aminés (proline, arginine). Les auteurs avaient montré dans un article précédent que cette voie ne participait pas à l’effet anti-apoptotique de la glutamine ; • elle conduit à la synthèse des purines (adénine, guanine), via un précurseur : l’inosine ; • elle conduit également à la synthèse des pyrimidines (cytosine, thymine, uracile), via un autre précurseur : l’orotate. Conclusions • L’apport de glutamine aux cellules HT29 cultivées in vitro entraîne la synthèse, de novo, des bases pyrimidiques et d’UDPglucose, mais n’intervient pas sur la synthèse des acides nucléiques. • La voie des purines ne permet pas d’inhiber l’apoptose induite par la cytokine TRAIL. • La glutamine, l’orotate, l’uracile et la thymine ont des effets anti-apoptotiques sur les cellules HT-29 dont l’apoptose a été induite par le TRAIL. • Ces observations in vitro doivent être prolongées par des études sur des modèles animaux, car les mécanismes physiologiques impliqués restent mal connus. Discussion Ce modèle est-il mieux adapté à l’apoptose des cellules du bas de la crypte ou à celles de l’épithélium de plateau ? Peut-être aux cellules pluripotentes du bas de la crypte. Mais, même si la culture d’HT-29 est un bon modèle, il est difficile d’extrapoler les résultats de l’in vitro à l’in vivo. C’est une piste de recherche intéressante, car ce nouvel effet de la glutamine était peu documenté. Il est important maintenant de travailler sur des modèles animaux. Pourquoi utilisent-ils des concentrations en orotate si élevées et donc très éloignées des concentrations cellulaires habituelles ? Peut-être parce que l’orotate pénètre difficilement à l’intérieur des cellules. On ne sait d’ailleurs pas comment il y pénètre. On peut se poser la question de savoir si une réduction de la concentration d’orotate aurait conduit aux mêmes résultats. Est-ce qu’une étude qui utilise des cellules issues d’un adénocarcinome colique humain a une pertinence physiologique ? C’est une bonne question ; il est actuellement extrêmement difficile de maintenir des colonocytes en survie au-delà de quelques heures. -17- AlimH2006 17 28/06/07 8:29:51 François Blachier, Directeur de recherche, Unité Physiologie de la Nutrition du Comportement Alimentaire - INRA Paris. Articles analysés* Article 1 - présenté par Amandine Brochot « NG-hydroxy-L arginine and nitric oxide inhibit Caco-2 tumor cell proliferation by distinct mechanisms », Buga et al., Am. J. Physiol., 1998 Article 2 - présenté par Myriam Moussa « The human colonic monocarboxylate transporter isoform 1: its potential importance to colonic tissue homeostasis », Cuff et al., Gastroenterology 2005; Vol. 128 (3) Article 3 - présenté par Béatrice Darcy-Vrillon « Rapid onset of apoptosis in vitro follows disruption of b1 integrin/matrix interactions in human colonic crypt cells », Sträter et al., Gastroenterology 1996; Vol. 110 (6) Article 4 - présenté par Maud Le Gall « Glutamine inhibits cytokine-induced apoptosis in human colonic epithelial cells via pyrimidine pathway », Evans et al.; Am. J. Physiol. GI, 2005; Vol. 289, 388-396 -18- AlimH2006 18 28/06/07 8:29:51 La barrière immunologique intestinale Martine Heyman Introduction La première session avait trait à l’anatomie du système digestif et à sa principale fonction, celle de l’absorption des nutriments. Il existe une deuxième fonction intestinale extrêmement importante, celle de barrière immunologique. Avec ses 300 m2, la surface intestinale est la plus grande surface au contact du milieu extérieur. Les quantités importantes de protéines alimentaires, qui arrivent plus ou moins dégradées au niveau de l’intestin grêle, sont donc de potentiels épitopes réactifs vis-à-vis du système immunitaire. Nous hébergeons aussi de très nombreuses bactéries contre lesquelles nous ne devons pas développer de réaction immunitaire inflammatoire ; nous devons les tolérer. Par ailleurs, nous sommes de temps en temps en contact avec des germes pathogènes (bactéries et virus) pour lesquels une réponse immunitaire pro-inflammatoire doit conduire à leur élimination. La barrière intestinale doit donc tolérer les antigènes inoffensifs et se débarrasser de ceux qui sont potentiellement nocifs. Immunité innée et immunité adaptative La réponse immunitaire innée permet une défense très rapide et non spécifique, car elle ne reconnaît pas d’épitopes antigéniques spécifiques. Elle complète certains systèmes de défense de la barrière intestinale comme le mucus, les secrétions digestives (les protéases digèrent une partie des antigènes et des bactéries) et le péristaltisme qui évite l’adhésion des bactéries pathogènes aux cellules épithéliales. Les cellules épithéliales peuvent sécréter, sous l’influence de bactéries indésirables, des cytokines qui provoquent l’inflammation de la muqueuse ; on les considère donc comme de vraies cellules de l’immunité innée, au même titre que les macrophages, les cellules dendritiques et les lymphocytes NK (natural killer) situés dans la lamina propria. L’immunité innée est relayée par l’immunité adaptative. Celle-ci est spécifique des antigènes bactériens, alimentaires ou nocifs. Elle est plus lente à établir (environ 6 jours), mais elle est durable et passe essentiellement par la maturation de cellules B qui sont des plasmocytes à IgA. Ces derniers assurent la protection de la muqueuse via les IgA sécrétoires et les lymphocytes T. La lumière intestinale contient davantage de cellules lymphoïdes que le reste de l’organisme (1012 cellules lymphoïdes par mètre d’intestin). L’intestin est donc un organe très infiltré par le système immunitaire. Le rôle principal de ce jeu entre immunité innée et immunité adaptative est la défense anti-infectieuse qui assure une double protection : une protection locale de la muqueuse et donc de la fonction de digestion, et une protection systémique via la libération d’anticorps. Activation de l’immunité innée La réponse immédiate et non spécifique passe par la reconnaissance de motifs bactériens conservés (composants de la paroi bactérienne, acides nucléiques) que l’on appelle MAMP (microbial associated molecular patterns). Les motifs de bactéries pathogènes sont dénommés PAMP (pathogen -19- AlimH2006 19 28/06/07 8:29:51 associated molecular patterns). Ces motifs bactériens sont reconnus par des récepteurs PRR (pattern recognition receptors) situés sur les cellules de l’immunité innée. Parmi les composants des parois bactériennes, on trouve, par exemple, les peptidoglycans, la flagelline ou le LPS, reconnus via les TLR2, TLR5 et TLR4, respectivement. On dénombre aujourd’hui plus de 11 TLR (Toll Like Receptor) qui sont associés à des motifs bactériens différents. Si certains TLR sont situés à la surface de la cellule, d’autres sont à l’intérieur de la cellule, dans des vésicules endosomales. C’est le cas du TLR3 et du TLR7 qui sont respectivement les récepteurs des ARN double brin et simple brin, et du TLR9 qui reconnaît les fragments d’ADN enrichis en motif CpG. Notons qu’il existe aussi, dans le cytoplasme, des récepteurs qui reconnaissent des composants de paroi de bactéries invasives : Nod1 reconnaît l’acide méso-diaminopimélique (DAP) et Nod2 le muramyl tripeptide (MDP). On a démontré récemment que le MDP pouvait entrer dans la cellule épithéliale via PEPT1, un transporteur de peptides. Lorsque les TLR sont stimulés par des fragments de paroi ou par des acides nucléiques de bactéries, ils induisent une cascade pro-inflammatoire. L’activation des facteurs de transcription NFkB et IRF3 conduit à la transcription de cytokines, de chimiokines, de défensines (peptides anti-bactériens) ou de NO synthases, toutes ces molécules étant impliquées dans la défense immédiate. On observe également la synthèse de récepteurs membranaires qui interviennent dans la présentation antigénique lors de la réponse immunitaire adaptative : ce sont les molécules du CMH II (Complexe Majeur d’Histocompatibilité de classe II) et des molécules d’adhésion et de costimulation. Tous ces événements conduisent à l’élimination des bactéries pathogènes. Immunité innée : savoir identifier le danger Comment le système immunitaire fait-il la différence entre une bactérie pathogène et une bactérie commensale ? Pourquoi n’induit-il pas une réponse inflammatoire vis-à-vis de la flore intestinale ? La membrane apicale des entérocytes est en contact direct avec la lumière intestinale et les bactéries de la flore. Or, la plupart des TLR de l’entérocyte semblent être situés, soit sur la membrane baso-latérale (TLR5), soit dans des compartiments internes (TLR3, TLR4, TLR7, TLR8, TLR9). NOD1 et NOD2 sont également des récepteurs cytoplasmiques. On observe cependant dans certaines maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, un adressage des TLR au niveau de la membrane apicale. Seule, l’entrée des bactéries pathogènes dans la cellule épithéliale permet le déclenchement d’une réponse inflammatoire. Ainsi, la différence entre une bactérie pathogène et une bactérie commensale s’effectue grâce à la compartimentation des TLR dans les entérocytes. Activation de l’immunité adaptative Les cellules effectives sont les lymphocytes T et les lymphocytes B. Le récepteur des lymphocytes T (TCR) est constitué d’une chaîne alpha, d’une chaîne bêta, de domaines constants et de domaines variables. Suite à des hyper-mutations consécutives à la rencontre avec l’antigène, le TCR devient de plus en plus spécifique de l’antigène et reconnaît avec une plus grande efficacité les épitopes antigéniques (il existerait près de 108 TCR distincts). -20- AlimH2006 20 28/06/07 8:29:51 Les immunoglobulines ont, elles aussi, un domaine constant (Fc) et un domaine variable (Fab). Il existe un nombre extrêmement important (109 à 1012) d’anticorps générés par des réarrangements somatiques. De plus, la rencontre d’un antigène génère des cellules qui conservent la mémoire de ces antigènes et qui, suite à un deuxième contact, seront réactivées et induiront très rapidement la réponse adaptative. L’activation de l’immunité adaptative est favorisée par les cellules de l’immunité innée qui sont, pour la plupart, des cellules présentatrices d’antigènes. L’interaction d’un pathogène avec les TLR à la surface des cellules de l’immunité innée entraîne la transcription de gènes codant pour des cytokines ou les molécules du CMH II qui sont impliquées dans la présentation aux cellules T naïves (non activées). La cellule présentatrice d’antigènes peut endocyter le pathogène ou des protéines résistantes à l’hydrolyse luminale (allergènes par exemple) et les hydrolyser en fragments dans des compartiments intracellulaires. Ces fragments sont ensuite chargés sur les molécules du CMH II et présentés à la surface de la cellule présentatrice d’antigène au TCR des cellules T naïves pour induire leur activation soit en cellules T helper de type 1 (Th1) qui produiront essentiellement de l’interféron-g (surtout en cas d’inflammation et de stimulation par les pathogènes), soit en réponse Th2 qui produira plutôt de l’IL-4 (réponse tolérogène vis-à-vis des antigènes alimentaires ou de la microflore endogène). Réponse immunitaire intestinale On considère qu’il existe au niveau de la muqueuse intestinale deux sites principaux d’information du système immu- nitaire : un site inducteur où les antigènes sont absorbés à travers l’épithélium et où les cellules T naïves sont stimulées, et un site effecteur où les cellules T ou B matures vont pouvoir exercer leur activité. Le site inducteur est situé au niveau des organes lymphoïdes secondaires de l’intestin grêle : les plaques de Peyer. Ces dernières ont un épithélium riche en cellules M capables de capter facilement les bactéries et les antigènes. Arrivés dans les nodules lymphoïdes sous-jacents à cet épithélium, les antigènes sont présentés par les cellules dendritiques à des cellules T et B naïves qui vont migrer vers les ganglions mésentériques et suivre un circuit via le canal thoracique et la circulation sanguine générale. Ils reviendront ensuite, grâce à des molécules spécifiques d’adressages au niveau des sites effecteurs de l’intestin, sous forme de plasmocytes à IgA ou de lymphocytes T mémoires spécifiques d’un antigène particulier. Les différentes voies d’absorption des antigènes Certaines protéines sont très résistantes à l’hydrolyse enzymatique intestinale, comme des antigènes ou des fragments peptidiques atteignent l’intestin grêle. Ces fragments peuvent être captés de trois manières : au niveau des cellules M des plaques de Peyer, au niveau de l’épithélium intestinal ou via la capture directe par les cellules dendritiques. L’absorption au niveau des plaques de Peyer Les cellules M sont disséminées au sein de l’épithélium qui recouvre le follicule lymphoïde (zone de regroupement de lymphocytes B et T). Ces cellules M constituent 10 à 50% des cellules qui couvrent le dôme de la plaque de Peyer. Elles n’ont pas de -21- AlimH2006 21 28/06/07 8:29:51 bordure en brosse contrairement aux entérocytes normaux, ce qui facilite la capture des antigènes ; elles ont une intense activité d’endocytose et l’absence de système lysosomal favorise le transport direct sans dégradation ; elles présentent des replis qui abritent les cellules B et T et les cellules dendritiques. Il n’existe pas de membrane basale au niveau des plaques de Peyer, ce qui facilite l’accès des cellules immunitaires à l’épithélium. En 1998, Eric Pringault a suggéré que les cellules M pouvaient se différencier à partir d’entérocytes classiques sous l’influence de facteurs encore non identifiés provenant des lymphocytes B. Ces cellules M constituent la porte d’entrée privilégiée des antigènes luminaux. L’absorption au niveau des entérocytes • Voie de transcytose. Un système expérimental, la chambre de Ussing, permet de comprendre ce qui se passe lors du transfert de la face muqueuse (apicale) à la face séreuse (basale) de l’épithélium intestinal. Les antigènes luminaux sont captés au niveau de la membrane apicale par endocytose non spécifique et libérés au pôle basal de la cellule. Une petite partie représentant moins de 10% des antigènes captés reste intacte au cours du transport. La plus grande partie est dégradée et donc inactivée dans l’entérocyte, soit partiellement (40% de peptides), soit totalement (50% d’acides aminés). Les peptides qui échappent à cette dégradation pourront potentiellement interférer avec le système immunitaire. Il n’y a pas, en condition physiologique, de diffusion paracellulaire (la limite de diffusion à travers les jonctions serrées étant de 500 à 600 daltons). Dans des conditions inflammatoires, les jonctions serrées peuvent cependant permettre la diffusion de composés de masse moléculaire plus élevée. Globalement, le flux total d’antigènes est très faible : 3 µg/h.cm2, dont 0,3 µg sous forme intacte. C’est une sorte d’échantillonnage qui permet au système immunitaire d’évaluer le contenu de la lumière intestinale. • Rôle des exosomes épithéliaux. Il existe une certaine protection vis-à-vis de l’hydrolyse lysosomale des peptides qui traversent l’entérocyte. Puisque l’entérocyte est capable d’exprimer des molécules du CMH II et de présenter des antigènes aux cellules T, il peut être considéré comme une cellule présentatrice d’antigènes non professionnelle. Par ailleurs, on sait que les cellules immunitaires sécrètent des exosomes, petites vésicules membranaires de 40 à 90 nm de diamètre impliquées dans la présentation antigénique. Elles se forment à l’intérieur de la cellule, suite à l’internalisation d’un antigène ; les peptides issus de sa dégradation sont chargés sur les molécules du CMH II endogènes dans des compartiments endosomaux tardifs enrichis en molécules de classe II (appelés MIIC). Les exosomes sont formés dans ces compartiments qui fusionnent ensuite avec la membrane plasmique pour libérer leur contenu exosomal à l’extérieur de la cellule. Ces exosomes présentent à leur surface des complexes CMH II/peptides potentiellement capables d’activer les cellules T. L’entérocyte peut aussi sécréter des exosomes par sa face apicale, et surtout par sa face basolatérale. Ces exosomes pourraient migrer à travers la lame basale et interagir avec les cellules dendritiques portant ainsi un message antigénique provenant de la lumière intestinale vers les cellules présentatrices d’antigènes ; ces dernières pourront à leur tour stimuler les cellules T -22- AlimH2006 22 28/06/07 8:29:51 présentes dans le chorion. On pense que ce système sert à amplifier la réponse immunitaire, puisqu’un peptide lié aux molécules du CMH II et véhiculé par un exosome a une capacité de présentation antigénique 1000 fois plus efficace qu’un peptide libre. Il facilite aussi le contact entre l’entérocyte et les cellules dendritiques, contact qui, dans des conditions physiologiques, est empêché par la lame basale. bactéries pathogènes en général), la sécrétion de chimiokines par l’entérocyte et l’expression de récepteurs vont permettre aux cellules dendritiques de la lamina propria d’étendre leurs dendrites à travers la lame basale et les jonctions serrées interentérocytaires pour aller capturer les bactéries dans la lumière intestinale. L’efficacité de ce phénomène n’a pas été démontrée dans la capture des antigènes alimentaires. • Pathologies digestives. Lors de certaines pathologies digestives, l’entrée d’antigènes peut être médiée par un récepteur, ce qui n’est pas le cas pour les antigènes alimentaires, généralement captés par une endocytose non spécifique. Les allergènes, en particulier, peuvent se fixer dans la lumière intestinale à des IgE. Le complexe IgE/allergène pénètre dans l’entérocyte grâce à des récepteurs aux IgE de faible affinité, CD23, qui sont exprimés anormalement sur la face apicale des entérocytes de patients allergiques. Dans les phénomènes d’allergies, le transport du complexe à travers l’entérocyte est extrêmement rapide, mais la fixation de l’allergène sur l’IgE lui permet de conserver une forme intacte pour stimuler beaucoup plus facilement les mastocytes. Il existe d’autres exemples de transport d’antigènes médié par des récepteurs. C’est le cas du transport des IgG en période néonatale via le récepteur FcRn. Les anticorps maternels contenus dans le lait peuvent ainsi être absorbés car ils sont protégés au cours du passage transépithélial. Ce phénomène permet de conférer une immunité passive aux nouveaux-nés. Influence du système nerveux entérique sur la barrière épithéliale L’absorption directe par les cellules dendritiques Sous l’influence de certains stimuli (des Un système nerveux intrinsèque innerve la sous-muqueuse intestinale et certains neurones, en particulier les neurones VIPergiques (vasoactive intestinal peptide), sont capables de réguler la perméabilité paracellulaire en réduisant la perméabilité des jonctions serrées, via la modulation d’une protéine constitutive, ZO-1. Cette régulation est assez complexe puisque d’autres neuromédiateurs ou le stress (acétylcholine) augmentent au contraire l’endocytose des protéines, la transcytose mais aussi le passage paracellulaire de différentes macromolécules. Les interactions entre le système nerveux intrinsèque et les mastocytes sont extrêmement importantes. La libération de neuromédiateurs conduit, par exemple, à l’activation et à la dégranulation des mastocytes (qui, en contrepartie, libèrent des médiateurs agissant sur la perméabilité intestinale), ainsi qu’à la sécrétion de mucines. La réponse humorale protectrice Une des réponses à l’absorption intestinale d’antigènes est la réponse IgA spécifique des muqueuses. L’antigène pénètre essentiellement au niveau des plaques de Peyer et les lymphocytes T et B sont alors -23- AlimH2006 23 28/06/07 8:29:52 activés par les cellules dendritiques au niveau des ganglions mésentériques qui drainent la muqueuse intestinale. Après maturation, ces lymphocytes vont migrer via le canal thoracique puis la circulation générale avant de revenir coloniser la lamina propria intestinale. Les cellules B matures sont des plasmocytes à IgA qui libèrent dans la muqueuse intestinale des IgA essentiellement sous forme dimérique (80% d’IgA, 15% d’IgM et 5% d’IgG). La production d’IgA sécrétoires au niveau de l’intestin est très importante : elle représente plus de 70% de la production totale d’immunoglobulines. Ces IgA sécrétoires sont impliquées dans les mécanismes de défense antiinfectieuse (bactéries, virus ou parasites) et dans la prévention des allergies alimentaires. les compartiments endosomaux des particules virales ayant pénétré par la face apicale de l’entérocyte. Les intrus sont neutralisés de deux manières par les IgA : ils sont soit conduits vers les lysosomes où ils seront détruits, soit renvoyés dans la lumière intestinale comme cela a été montré pour le virus HIV. Modes d’action des IgA sécrétoires Prenons le cas d’une mère qui allaite son enfant. Des antigènes sont captés au niveau des plaques de Peyer de l’intestin maternel. Les plasmocytes à IgA spécifiques de ces antigènes vont migrer dans les ganglions mésentériques, le canal thoracique et la circulation générale ; mais, au-delà de leur recolonisation de l’intestin pour une protection de la muqueuse de la mère, ces IgA vont, via le MALT (mucosa associated lymphoid tissue), coloniser la glande mammaire. Elles seront sécrétées au niveau de l’épithélium mammaire dans le lait sous forme d’IgA sécrétoires et pourront ainsi protéger l’intestin du nourrisson. Les IgA sécrétoires peuvent exercer leur effet protecteur par trois mécanismes distincts : • une barrière contre la pénétration des antigènes et des micro-organismes indésirables. L’entérocyte possède un récepteur aux IgA polymériques qui est capable de fixer les IgA dimériques sécrétées par les plasmocytes. Ce récepteur est également appelé composant sécrétoire (SC). Le complexe IgA dimérique/SC est internalisé et va migrer de la face basale vers la face apicale de l’entérocyte pour libérer les IgA sécrétoires qui conservent dans leur structure une partie du récepteur. Une fois dans la lumière intestinale, ces IgA restent fixées dans le mucus, captent les pathogènes contre lesquels elles sont dirigées et empêchent leur absorption. • une action intracellulaire. Les IgA qui se dirigent vers le pôle apical de l’entérocyte avec leur récepteur peuvent rencontrer dans • une élimination en « profondeur ». Lorsque les antigènes ou les pathogènes ont réussi à pénétrer dans la lamina propria, les IgA peuvent encore les rétro-transporter vers la lumière intestinale. En cas de déficit en IgA, les IgM prennent le relais car elles sont capables elles aussi de se lier au composant sécrétoire. La réponse IgA initiée dans l’intestin peut protéger d’autres muqueuses La réponse cellulaire protectrice : lymphocytes T du chorion L’intestin est l’un des organes les plus infiltrés par le système immunitaire, en particulier par les lymphocytes T. Ces derniers confèrent essentiellement une protection -24- AlimH2006 24 28/06/07 8:29:52 contre les bactéries, les virus et les parasites en déclenchant une réponse Th1 qui conduit à la libération de cytokines (IFN-g, TNF-a). Répartition des lymphocytes T La répartition des sous-populations de lymphocytes T est différente entre le chorion et l’épithélium. Le chorion contient surtout des lymphocytes T CD4+ helper, qui jouent un rôle dans l’immunité humorale. L’épithélium contient principalement des lymphocytes T CD8+ insérés entre des cellules qui forment une première barrière contre la pénétration des micro-organismes pathogènes, en particulier des virus. Mode d’action des lymphocytes T CD4+ du chorion Pour pouvoir pénétrer dans l’entérocyte, une particule infectieuse doit être prise en charge par les cellules présentatrices d’antigènes, par exemple chargée sur les molécules du CMH II des cellules dendritiques. Ces complexes CMH II/peptides sont ensuite présentés au récepteur T du lymphocyte CD4+ qui, une fois activé, prolifère et sécrète de l’interféron-g. Celui-ci va à son tour activer les macrophages ou les polynucléaires neutrophiles (PMN) présents dans la muqueuse intestinale. On observe alors une augmentation de la phagocytose des pathogènes, la libération de facteurs prooxydants (qui contribuent également à l’élimination des pathogènes), la libération des TNF-a et la sécrétion d’IgA par les cellules B. Mode d’action des lymphocytes intraépithéliaux T CD8+. Les lymphocytes intra-épithéliaux sont au contact direct avec les cellules de l’épithélium intestinal. Ils sont situés sous la bar- rière épithéliale et sous les jonctions serrées. L’entérocyte est capable d’exprimer les molécules du CMH II, mais aussi celles de classe I, voire d’autres molécules, comme MICA (chain-related A) qui joue un rôle dans la maladie coeliaque. Sous l’effet d’un stress, ces molécules sont surexprimées et vont activer des récepteurs spécifiques (NKG2D) au niveau des lymphocytes intra-épithéliaux. Les LT CD8+ sont cytotoxiques car, une fois activés, ils libèrent des enzymes (perforine, granzyme) qui induisent l’apoptose des cellules épithéliales infectées. L’infection virale provoque souvent ce type de réaction et l’apoptose conduit à éliminer les cellules infectées, stressées ou transformées. On observe parallèlement une accélération compensatrice du renouvellement épithélial. Tolérance aux antigènes alimentaires et bactériens L’organisme doit non seulement se débarrasser des particules pathogènes présentes dans la lumière intestinale, mais il doit aussi tolérer les antigènes inoffensifs, tels que les antigènes alimentaires ou les bactéries commensales. Les interactions entre la flore, le système immunitaire et l’épithélium faisant l’objet de la prochaine session, je me limiterai aux antigènes alimentaires. La tolérance orale On définit la tolérance orale comme étant une suppression de la réponse immunitaire vis-à-vis des antigènes alimentaires ou des bactéries commensales. Suite à une administration orale d’antigènes, le GALT (Gut associated lymphoid tissue), essentiellement les plaques de Peyer et les îlots lymphoïdes répartis le long de l’intestin, réagit en fonction de la dose d’antigènes. -25- AlimH2006 25 28/06/07 8:29:52 A faible dose d’antigènes, les cellules présentatrices d’antigènes induisent principalement des cellules T régulatrices et des cellules Tr1 (lymphocyte T régulateur de type I) qui libèrent de l’IL-4 et surtout de l’IL-10. Celle-ci est une cytokine suppressive qui antagonise l’effet du TNF-a. D’autres lymphocytes T régulateurs, les Th3, agissent en sécrétant du TGF-b, une autre cytokine très importante au niveau de l’intestin qui supprime ou diminue les réponses immunitaires pour qu’il n’y ait pas de réponse aberrante vis-à-vis d’antigènes non délétères ; les cellules Tr1 et Th3 mettent en place une suppression active. A forte dose d’antigènes, on observe plutôt des mécanismes d’apoptose ou d’anergie (absence de réponse à une stimulation) des cellules T qui conduisent à une délétion clonale de ces molécules. Les cellules T régulatrices FOXP3+ Dans la lamina propria, plusieurs types cellulaires interviennent dans la réponse immunitaire : les macrophages, les lymphocytes T CD8+ et CD4+, et les cellules dendritiques présentatrices d’antigènes. On a mis en évidence récemment un phénotype nouveau de cellules T régulatrices qui possèdent les marqueurs CD4+, CD25+ et FOXP3+ (un facteur de transcription), ou CD4+ et LAP+. Lorsqu’un antigène alimentaire est présenté au niveau de l’intestin par les cellules dendritiques, les cellules Tr1 sont activées et libèrent de l’IL-10. Celle-ci déclenche l’activation et la prolifération des cellules Th3 qui vont sécréter du TGF-b. La libération massive de TGF-b favorise l’émergence d’un nouveau type de cellule régulatrice, FOXP3+. Les cellules régulatrices LAP+ ne sécrètent pas le TGF-b mais l’expriment au niveau membranaire. La suppression de la réponse immunitaire s’effectue alors par contact membranaire. La tolérance orale prend naissance au niveau du système immunitaire intestinal Les cellules T tolérogènes sont essentiellement confinées au niveau des ganglions mésentériques, car l’ablation de ces ganglions empêche le déclenchement de la tolérance orale. Les cellules dendritiques situées dans la lamina propria captent l’antigène puis migrent vers les ganglions mésentériques : ce n’est qu’au niveau de ces ganglions qu’elles déclenchent la réaction tolérogène. Résumé Au niveau de l’intestin, les cellules épithéliales échantillonnent les antigènes présents dans la lumière intestinale et permettent la transmission de l’information antigénique vers les cellules immunitaires du chorion. Les cellules dendritiques captent ces antigènes pour les présenter aux cellules T et induire la réponse B qui est généralement protectrice (sécrétion d’anticorps et de cytokines). Lorsque les cellules T régulatrices sont activées et que le milieu est riche en cytokines suppressives, il existe une réponse immunitaire tolérogène vis-à-vis des antigènes considérés comme inoffensifs par l’organisme. Discussion Qu’en est-il de la barrière épithéliale et de la réponse immunitaire au niveau du côlon où il y a encore plus de bactéries ? Les mécanismes sont-ils les mêmes ? -26- AlimH2006 26 28/06/07 8:29:52 Au niveau du côlon, on retrouve les mêmes mécanismes. Par exemple, il existe des IgA sécrétoires contre les bactéries commensales. Elles confèrent une certaine protection puisqu’elles empêchent l’entrée de ces bactéries dans la muqueuse intestinale, évitant ainsi l’activation inutile du système immunitaire vis-à-vis de la flore. Y a-t-il des plaques de Peyer et des cellules M au niveau du côlon ? Les plaques de Peyer n’existent pas au niveau du côlon ; ce sont des structures qui regroupent un grand nombre d’îlots lymphoïdes. Mais, on s’est rendu compte que, chez les animaux pour lesquels on élimine les plaques de Peyer de l’intestin grêle, on est quand même capable d’induire une immunité sécrétoire, ce qui prouve que les îlots lymphoïdes sont disséminés dans la muqueuse intestinale. Même si le système immunitaire du côlon est encore assez mal connu, on sait qu’il y a beaucoup d’IgA sécrétoires à ce niveau. Je n’ai jamais entendu parler de cellules M au niveau du côlon. Je pense que plus on s’approche du côlon, plus on a de bactéries commensales et moins on a d’antigènes alimentaires intacts. Les pathogènes sont souvent invasifs. Ils peuvent déclencher des maladies au niveau de l’intestin grêle. Les salmonelles, par exemple, pénètrent essentiellement au niveau des cellules M. Elles profitent du fait que ces cellules sont plus accessibles car non protégées par du mucus. Vous nous avez dit que la présence des récepteurs situés à l’intérieur des cellules épithéliales explique la tolérance vis-à-vis des bactéries commensales. Oui, différents mécanismes empêchent le tube digestif de déclencher une réponse immunitaire contre sa propre flore. Les IgA sécrétoires, dont la synthèse est régulée positivement par l’activation de la voie NFkb, empêchent aussi les bactéries commensales d’entrer en contact avec la muqueuse intestinale. On a montré récemment qu’une salmonelle non pathogène peut interférer avec la face apicale de cellules épithéliales et entrer en compétition avec l’activation de la voie NFkb en inhibant l’ubiquitination de Ikb, la translocation nucléaire de NFkb et la réponse inflammatoire. D’une manière générale, la flore agit sur certaines substances en inhibant leur synthèse ou, au contraire, en la stimulant pour bloquer l’activation de la voie NFkb. Mais ce n’est qu’un des mécanismes de la tolérance orale. Les activités anti-inflammatoires des probiotiques passeraient aussi par ces voies de signalisation intracellulaires. Puisque la flore intestinale est capable de diminuer la voie de signalisation NFkb, la tolérance ne devrait-elle pas aussi concerner les bactéries ? Non, car les pathogènes ont des facteurs de virulence. Lorsqu’ils pénètrent dans la cellule, ils détruisent l’homéostasie intestinale et induisent une réaction du système immunitaire. De plus, les facteurs de virulence, qui peuvent être des entérotoxines ou des cytotoxines, stimulent la réponse inflammatoire. Les cellules Tr1 sécrètent surtout de l’IL-10 qui induit la tolérance orale, mais aussi de l’IL-4. Pourquoi cette dernière n’activerait-elle pas la voie Th2 ? En immunologie, tout est question de dose. L’IL-4 pourrait activer anormalement la voie -27- AlimH2006 27 28/06/07 8:29:52 Th2 et provoquer, par exemple, une allergie. Mais elle est généralement sécrétée en quantité trop faible pour le faire. tions de NOD2. La modification de la flore serait une conséquence et non la cause de la maladie. Comme les lymphocytes intra-épithéliaux peuvent provoquer l’apoptose des entérocytes lorsqu’ils sont activés, pourquoi n’y a-t-il pas de rupture, même transitoire, de la barrière intestinale ? La capacité de renouvellement cellulaire au niveau de l’épithélium intestinal est très importante. Au fur et à mesure que les cellules meurent, d’autres les remplacent et les jonctions serrées s’établissent immédiatement. Même au sommet des villosités, il n’y a pas de rupture de la barrière physiologique. Dans les cas pathologiques, si l’apoptose est beaucoup plus importante, il est possible qu’il y ait momentanément une légère rupture de la barrière, mais une réponse proliférative compense très rapidement la perte des cellules apoptotiques. On rencontre la plus grande quantité de nouveaux antigènes pendant l’enfance. Les enfants naissent-ils avec un système immunitaire capable d’induire la tolérance orale ? La tolérance orale n’est pas effective dès la naissance. Il faut un certain temps pour que se mettent en place les systèmes qui induisent la suppression de la réponse immunitaire. Chez le très jeune nourrisson, l’allaitement, et donc les IgA sécrétoires de la mère, permettent d’éviter l’entrée anormale d’antigènes. Mais, chez les nourrissons ou les enfants prédisposés à l’atopie, il faut éviter de donner trop tôt les aliments qui sont des allergènes potentiels. Par ailleurs, la flore intestinale joue un rôle important dans la stimulation des mécanismes induits lors de la tolérance orale ; ce sera l’objet de notre troisième session. Dans le cas des maladies inflammatoires, comment expliquez-vous le dérèglement de l’immunité ? Dans la maladie de Crohn, une des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, on observe chez 70% des patients une mutation au niveau du récepteur intra-cellulaire NOD2 impliqué dans la reconnaissance de parois bactériennes. On pense que cela pourrait initier une réponse immunitaire anormale vis-à-vis des bactéries présentes dans la lumière intestinale. L’induction des TLR à la surface apicale de l’entérocyte n’est pas la cause mais une des conséquences de l’inflammation. On observe aussi dans ces maladies une modification de la flore, avec la disparition de grands groupes bactériens. On pense que ces disparitions seraient liées à une mauvaise reconnaissance des muta- Article 1* Intestinal immune homeostasis is regulated by the crosstalk between epithelial cells and dendritic cells. Introduction L’activation des cellules dendritiques par des bactéries pathogènes ou commensales induit deux types de réponse, l’une inflammatoire, l’autre non. Or, les cellules dendritiques des muqueuses ont tendance à induire une réponse non inflammatoire (orientation des lymphocytes T CD4+ vers une réaction -28- AlimH2006 28 28/06/07 8:29:53 Th2 et sécrétion d’IgA par les lymphocytes B). Est-ce une propriété intrinsèque de ces cellules ou est-elle dépendante de leur environnement ? Les auteurs de cet article font l’hypothèse d’une implication des cellules épithéliales dans la détermination de la fonction des cellules dendritiques. Conclusions • Les cellules dendritiques intestinales humaines induisent une réponse Th2 parce qu’elles sont exposées aux cellules épithéliales. • Ce sont des facteurs dérivés des cellules épithéliales qui induisent l’expression d’un récepteur à la TSLP (Thymic Stromal Lymphopoietin) sur les cellules dendritiques, leur permettant de répondre à de faibles quantités de TSLP. • La dérégulation de l’expression de la TSLP pourrait être responsable de maladies intestinales inflammatoires, comme la maladie de Crohn. Discussion La TSLP, qui est en fait une cytokine, peut donc avoir des effets favorables ou négatifs Oui, tout dépend de sa concentration. Elle a des effets bénéfiques quand elle conditionne les cellules dendritiques à ne pas répondre ou à avoir une réponse Th2 inoffensive, alors que les cellules épithéliales sont stimulées par des pathogènes. Elle ne peut agir que sur les nouvelles cellules dendritiques attirées dans l’intestin, car les dendrites résidentes ne peuvent plus s’activer. Non, chacun des deux systèmes fonctionne dans des conditions particulières. Le système Th2 permet d’éviter l’inflammation intestinale, sauf en présence d’un pathogène. Pourquoi les auteurs de cette publication ont-ils travaillé sur des cellules dendritiques du côlon alors que les salmonelles invasives traversent la barrière épithéliale au niveau de l’intestin grêle et non au niveau du côlon ? Pourquoi ont-ils travaillé sur des cellules dendritiques dérivées des monocytes ? Ils n’ont pas discuté le choix du modèle, mais les interactions entre la bactérie et la cellule dendritique sont les mêmes au niveau du grêle et du côlon. De plus, la cellule dendritique est conditionnée de la même façon par les cytokines de l’entérocyte ou celles du colonocyte. Pourquoi ont-ils utilisé les cellules Caco-2 comme modèle de cellules épithéliales intestinales ? Je ne savais pas que les cellules Caco-2 miment les entérocytes en ce qui concerne la libération de cytokines. Je pense qu’ils ont testé plusieurs lignées et regardé la sécrétion de TSLP. Ils ont vu que Caco-2 mime assez bien un épithélium intestinal, que c’est une des lignées épithéliales intestinales les plus utilisées et qu’elle est plus différenciée que HT-29. Ils auraient aussi pu prendre HT-29 qui sécrète probablement plus de TSLP ; mais ils n’expliquent pas leur choix. Peut-on dire que le système Th1 est inflammatoire et que Th2 ne l’est pas ? -29- AlimH2006 29 28/06/07 8:29:53 Article 2* la barrière épithéliale de l’intestin. Enhanced transepithélial antigen transport in intestine of allergic mice is mediated by IgE/CD23 and regulated by interleukin 4. Introduction Les troubles allergiques concernent 20 à 30% de la population américaine. 2 à 3% des adultes sont touchés par des allergies alimentaires dont la prévalence est en augmentation chez l’enfant. Les symptômes des allergies alimentaires se caractérisent par des troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, diarrhées), des troubles respiratoires et cutanés et un choc anaphylactique dans les cas les plus graves. La réaction d’inflammation survient immédiatement après le contact avec l’antigène, d’où son nom de réaction d’hypersensibilité immédiate ou d’hypersensibilité de type I. S’il est bien établi que la réaction allergique est liée à la réponse des immunoglobulines E contre un antigène spécifique, les mécanismes à l’origine de la mise en place très rapide de la réaction inflammatoire sont partiellement connus. Les IgE produites lors d’un premier contact avec l’allergène vont sensibiliser les mastocytes en se fixant à leur surface. La réaction allergique proprement dite n’a lieu que lors d’un second contact avec l’antigène. Lorsque l’antigène se fixe aux IgE, les mastocytes sont activés et des médiateurs, telles que l’histamine et des cytokines, sont libérés. La réation IgE est souvent localisée au site d’entrée de l’antigène, ce qui implique que celui-ci doit traverser L’objectif de cette étude est d’identifier les principaux acteurs impliqués dans l’augmentation de la première étape du transport transépithélial de l’antigène chez des souris sensibilisées. Les auteurs s’intéressent en particulier au récepteur aux IgE CD23 et à l’IL4. Rappels Transport transépithélial dans l’allergie d’antigènes Cette équipe avait déjà observé une augmentation du transport de l’antigène de la face muqueuse vers la face séreuse chez des rats sensibilisés, tant en terme de quantités d’antigènes captés, qu’en terme de vitesse de transport. Ils ont aussi montré que le transport de l’antigène à travers la barrière intestinale se fait en deux étapes. Une première étape (ou phase I), par la voie transcellulaire, précède l’activation des mastocytes. Une deuxième étape (phase II), par la voie paracellulaire, a lieu après la libération des médiateurs et permet l’augmentation du transport de l’antigène. La voie transcellulaire est spécifique de l’antigène pour lequel l’animal a été sensibilisé. Ceci suggère une reconnaissance spécifique de l’antigène par les immunoglobulines au niveau de la barrière intestinale, et implique la présence de récepteurs aux IgE au niveau des entérocytes. Chez le rat sensibilisé, les entérocytes du jéjunum expriment un récepteur aux IgE de faible affinité : le CD23. Une sensibilisation à la HRP, ou peroxydase de Raifort (souvent utilisée comme modèle antigénique), entraîne une augmentation -30- AlimH2006 30 28/06/07 8:29:53 du nombre et de la taille des endosomes entérocytaires. Le récepteur CD23 est internalisé et localisé dans les endosomes entérocytaires contenant la HRP ; ces derniers sont répartis le long de l’axe apicobasal de l’entérocyte et beaucoup atteignent la lamina propria (tandis que chez les animaux non sensibilisés, les entérocytes ne contiennent des endosomes qu’au niveau apical). L’utilisation d’un anticorps antiCD23, pour inhiber la phase I du transport de l’antigène, entraîne une diminution de la réaction d’hypersensibilisation, ainsi qu’une diminution de la phase II du transport de l’antigène. Rôle de l’interleukine 4 dans le mécanisme de l’allergie La production d’IL4 est augmentée chez les sujets allergiques ; elle intervient dans la synthèse d’IgE et dans la régulation positive de l’expression des récepteurs aux IgE, dont CD23, via les lymphocytes B. Son implication dans le captage de l’antigène par les entérocytes est indépendante de son rôle dans la synthèse des IgE. Conclusions Les auteurs confirment, chez la souris sensibilisée, tous les résultats qu’ils avaient obtenus chez le rat sensibilisé : • la sensibilisation à la HRP augmente la quantité d’antigènes captés par les entérocytes (et cette reconnaissance est spécifique de l’antigène) et leur vitesse de transport à travers la membrane épithéliale ; • les IgE interviennent dans la capture de l’antigène par les entérocytes : elles sont indispensables à l’augmentation du transport transépithélial de l’antigène chez les animaux sensibilisés ; • l’implication d’IL4 dans l’augmentation de la capture et de la vitesse de transport transépithélial de l’antigène chez les animaux sensibilisés est indépendante de son rôle dans la synthèse des IgE. Ils précisent le rôle de la protéine CD23 dans le transport transépithélial de l’antigène : • l’augmentation du transport transépithélial de l’antigène est médiée par le récepteur aux IgE, CD23, exprimé par les entérocytes ; • la sensibilisation augmente l’expression du gène CD23 ; • IL4 régule le transport transépithélial de l’antigène en stimulant la synthèse des IgE et la production des ARN messagers de CD23 par les entérocytes. Discussion Dans des conditions qui ne sont pas pathologiques, mais où la perméabilité paracellulaire des jonctions est augmentée suite à un simple stress ou à une prise d’alcool, peut-on imaginer que l’antigène puisse passer par la voie paracellulaire ? Je ne pense pas que cela puisse jouer un rôle important car les jonctions serrées sont peu modulables et un antigène a un poids moléculaire de plusieurs milliers de daltons. Je n’ai jamais lu dans la littérature que de tous petits fragments protéiques pouvaient déclencher une réaction allergique. Par contre, si la perméabilité augmente, des protéines peuvent aller dans le sang et déclencher des réactions allergiques. Cela dépend du moment, si l’individu est déjà tolérant à une protéine donnée… -31- AlimH2006 31 28/06/07 8:29:53 Les personnes qui ont des pathologies chroniques ont-elles une propension plus grande à développer de l’atopie ? Il existe un facteur génétique et donc une prédisposition dans l’atopie. Il faut avoir une propension particulière à faire des IgE plutôt que des IgG. Par exemple, on s’est demandé, chez les enfants qui avaient des entéropathies à rotavirus, si ces gastroentérites permettaient aux antigènes lactés de pénétrer plus facilement dans la muqueuse, et donc de déclencher une réaction allergique aux protéines du lait. La question est restée sans réponse car cela est très difficile à prouver. Cette équipe a aussi montré que des animaux stressés psychologiquement avaient une réponse allergique accrue. Il y aurait donc, sous des conditions environnementales, des relations entre l’augmentation de la perméabilité et l’augmentation de l’allergie. chez les nourrissons, les réponses cliniques de vomissements et de diarrhées sont extrêmement rapides (parfois moins de 5 minutes). On part de l’hypothèse qu’il y a des IgE dans la lumière intestinale, mais comment arrivent-elles là ? On sait peu de choses sur l’existence de récepteurs à la face basolatérale des entérocytes. On sait qu’il existe plusieurs soustypes CD23 A et CD23 B, l’un reconnaissant les IgE libres et l’autre les complexes IgE/allergènes. Il serait intéressant de savoir si le CD23 exprimé sur la phase basolatérale des cellules sert à amener les IgE dans la lumière intestinale de manière à leur permettre de rencontrer l’allergène. Certains antigènes alimentaires sont retrouvés intacts dans le sang. Peut-être serait-il intéressant de connaître le rôle des antigènes alimentaires qui sont plus ou moins dégradés ? Les allergènes sont des protéines relativement résistantes à l’hydrolyse enzymatique. C’est le cas de la b-lactoglobuline ou de la gliadine dans la maladie coeliaque. Comme elles sont peu dégradées, elles ont plus de chance d’arriver en quantité importante au niveau du système immunitaire de l’intestin grêle. Dans notre modèle, la peroxydase de Raifort passe l’étape de digestion luminale par la pepsine et la trypsine. Il est vrai que certaines protéines arrivent jusque dans la lumière intestinale et d’autres non. Cette résistance vis-à-vis de l’hydrolyse explique en partie le fait que certaines protéines soient allergéniques. Peut-on dire que CD23 explique la réaction allergique ? Non, car l’augmentation de CD23 résulte de la libération d’IL4. Elle explique, par contre, la rapidité des réponses dans l’atopie. Dans les allergies aux protéines du lait La réaction allergique aurait-elle lieu même si ce récepteur n’existait pas ? Oui, l’antigène serait capable, en l’absence du récepteur, de franchir à faible dose (3%) la barrière épithéliale. Cela prendrait un peu plus de temps, 30 minutes peut-être au lieu de 2 minutes. Ces études ont été faites chez des animaux rendus allergiques. Pourquoi ne pas avoir travaillé avec des rats ou des souris non allergiques auxquels on aurait administré des IgE ? Parce qu’il n’y a pas de récepteur chez les animaux non allergiques, celui-ci étant induit par IL-4 ; sans récepteur, il n’y a pas de transport rapide. -32- AlimH2006 32 28/06/07 8:29:53 Pourquoi avoir choisi une sensibilisation à la HRP qui est un modèle d’allergie peu fréquent ? De plus, le flux de HRP dépend de sa dégradation dans l’entérocyte ; n’y aurait-il pas un biais apparent ? Il est vrai que dans la vie de tous les jours on absorbe peu de HRP, sauf si on mange du Raifort. Comme c’est une protéine qui active le système immunitaire, on l’utilise en injection intra-péritonéale, pour sensibiliser des animaux qui ont une propension à fabriquer des IgE. Article 3* Human ENS regulates the intestinal epithelial barrier permeability and a tight junction-associated protein ZO-1 via VIPergic pathways. auteurs de cet article ont voulu montrer l’interaction entre le système nerveux entérique et la perméabilité intestinale. Rappels Importance des jonctions serrées Les jonctions serrées régulent le flux paracellulaire. Différentes molécules sont responsables de cette régulation, dont des molécules transmembranaires comme les occludines et les claudines. La partie intracellulaire de ces deux molécules se lie, à l’intérieur de la cellule, à ZO1 (zonola occludens de type I). Celle-ci est liée au réseau d’actine (cytosquelette de la cellule). ZO1 est donc une molécule adaptatrice très importante dans la régulation de la perméabilité paracellulaire. Rôles du système nerveux entérique Introduction La fonction de barrière de l’intestin est cruciale pour la santé. Le premier niveau de protection est exercé par la flore commensale qui, par compétition au niveau de l’utilisation des substrats et par la production d’acides organiques, inhibe la flore pathogène. Le deuxième niveau est celui de la couche de mucus ; elle a un rôle de filtre qui freine l’arrivée des bactéries près de l’épithélium. L’épithélium est le troisième niveau, en particulier grâce aux jonctions serrées. Enfin, le système immunitaire de la muqueuse constitue le quatrième niveau. Les jonctions serrées représentent un paramètre très important de régulation de la barrière intestinale ; c’est pourquoi les Le système nerveux entérique se trouve dans la sous-muqueuse ; il innerve la muqueuse et synthétise des neuromédiateurs qui agissent sur la régulation du flux sanguin, la migration lymphocytaire, l’absorption de l’eau et des électrolytes et la sécrétion du mucus. Certains d’entre eux, comme la substance P, l’acétylcholine ou le VIP, réguleraient la perméabilité intestinale. Conclusions • La stimulation des neurones d’une sousmuqueuse colique humaine, sur laquelle on a déposé une culture de cellules épithéliales coliques (HT29, Caco-2), limite le flux paracellulaire mesuré lors de la co-culture. • Cette régulation de la perméabilité intestinale est médiée, en partie, par la synthèse -33- AlimH2006 33 28/06/07 8:29:54 d’un neuromédiateur du système nerveux entérique : le VIP. Ce dernier stimule l’expression de ZO1, une protéine constitutive des jonctions serrées dont l’augmentation diminue la perméabilité intestinale. • Le système nerveux entérique agit sur la morphologie de l’épithélium. Discussion Pourquoi ont-ils utilisé ce modèle de coculture (culture de cellules épithéliales/ sous-muqueuse saine) ? Dans les études ex-vivo, en l’absence de butyrate, l’apoptose des colonocytes est très importante ; elle commence 45 minutes après l’excision, rendant difficile l’étude de l’épithélium colique. Dans les modèles de culture cellulaire, les cellules épithéliales Caco-2 et HT-29 ont une durée de vie bien plus longue. Par ailleurs, ce modèle in vitro permet de tester l’impact de différentes substances pharmacologiques comme des inhibiteurs neuronaux (TTX), des neuromédiateurs (VIP)… et d’observer les modulations du système de perméabilité. Il permet aussi d’étudier le dialogue entre une culture cellulaire (la muqueuse) et la sous-muqueuse (partie saine qui provient de la biopsie d’une personne malade). Quel est le mode d’action de ZO-1 sur la perméabilité ? Peu de publications évoquent cette relation. Certains auteurs ont montré que le VIP sur des cultures HT-29 augmente le niveau d’AMP cyclique dans la cellule. D’autres ont mis en évidence, sur des cultures de cellules endothéliales placentaires, qu’une augmentation d’AMP cyclique est capable de réguler l’expression de ZO-1. Quelle est la signification physiologique d’une régulation de la perméabilité intestinale par le système nerveux entérique ? On pourrait presque dire que le SNE participe au maintien de l’homéostasie de l’intestin. Si le système immunitaire est quelque peu déficient, il peut l’aider en limitant la perméabilité paracellulaire. Mais attention, il existe d’autres neuromédiateurs qui augmentent la perméabilité (comme le carbachol qui favorise le passage de la peroxydase de Raifort). L’idéal serait bien sûr de savoir ce qui se passe in vivo. A quoi correspond l’augmentation de la perméabilité paracellulaire liée à la coculture ? On ne le sait pas. Est-ce un artéfact ? Estelle due à la libération de médiateurs ? Ils n’ont pas mesuré le taux d’interféron ou celui des cytokines éventuellement libérés dans le milieu. Beaucoup de molécules régulent le flux paracellulaire au niveau des jonctions serrées. Pourquoi avoir choisi ZO-1 ? C’est un bon marqueur cellulaire dont l’expression est inversement corrélée à la perméabilité et stimulée par le VIP. Ils auraient pu choisir d’autres marqueurs et en particulier des marqueurs de la voie transcellulaire sur laquelle les neuromédiateurs interviennent aussi. Pourquoi n’utilisent-ils pas des neuromédiateurs pour exciter les neurones au lieu de les stimuler électriquement ? La stimulation électrique est plus pratique, mais elle agit sans doute sur plusieurs facteurs et pas seulement sur le VIP. Ils auraient pu aussi mesurer, par exemple, le monoxyde d’azote libéré par les termi- -34- AlimH2006 34 28/06/07 8:29:54 naisons adrénergiques et dont on a démontré qu’il est impliqué dans le maintien de la perméabilité épithéliale. Plutôt que d’utiliser la partie saine d’une sous-muqueuse colique, n’aurait-il pas été préférable d’utiliser une partie malade dont la perméabilité est altérée ? Ils auraient ainsi pu voir si le système nerveux entérique permettait de rétablir l’équilibre Une sous-muqueuse de côlon malade aurait sans doute été très riche en médiateurs inflammatoires et donc il aurait été plus difficile de décortiquer le rôle de chacun de ces médiateurs sur l’épithélium ; mais cette étude aurait pu en effet être effectuée comme témoin de la réponse globale de l’épithélium à l’ensemble des médiateurs. Quelle est la signification biologique de la diminution de la perméabilité par le SNE ? In vivo, l’augmentation de la perméabilité paracellulaire au cours de l’allergie est liée au mastocyte, mais l’acétylcholine, un neuromédiateur, est également impliquée dans l’augmentation du passage paracellulaire ponctuel de macromolécules. Certains neuromédiateurs sont au contraire protecteurs. Davantage d’études, in vitro et in vivo, sur les interactions complexes mastocytes/ système immunitaire devraient permettre de mieux comprendre cette balance agression/protection vis-à-vis de l’épithélium. -35- AlimH2006 35 28/06/07 8:29:54 Martine Heyman, Directeur de recherche, Interactions de l’Epithélium Intestinal et du Système Immunitaire - INSERM Articles analysés* Article 1 - présenté par Fany Blanc « Intestinal immune homeostasis is regulated by the crosstalk between epithelial cells and dendritic cells », Rimoldi et al., Nature Immunology, 2005; vol. 6 (5) Article 2 - présenté par Alice Hamard « Enhanced transepithélial antigen transport in intestine of allergic mice is mediated by IgE/CD23 and regulated by interleukin 4 », Yu et al., Gastroenterology; 2001; vol. 121 (2) Article 3 - présenté par Emmanuel Barrat « Human ENS regulates the intestinal epithelial barrier permeability and a tight junction-associated protein ZO-1 via VIPergic pathways », Neunlist et al., Am. J. Physiol.; 2003; vol. 285 -36- AlimH2006 36 28/06/07 8:29:54 Les hormones gastro-intestinales Theo Peeters Les deux hormones dont je vais vous parler, la motiline et la ghréline, ont beaucoup de choses en commun, en particulier à travers leur histoire. L’hormonologie est une discipline ancienne Le terme « hormone » vient du grec « hormôn » qui signifie « stimuler, exciter ». Au milieu du XIXème siècle, Claude Bernard a démontré que l’effet d’une castration pouvait être inversé par l’administration d’extraits testiculaires. En 1905, Ernest Starling a montré que l’introduction d’acide dans le duodénum stimulait la sécrétion du pancréas, via la production de sécrétine par la muqueuse duodénale. Il contredit ainsi le prix Nobel, Pavlov, pour qui les voies nerveuses étaient responsables de la stimulation du pancréas. La motiline : l’alter ego de la sécrétine La sécrétine a été purifiée en 1962. On savait déjà, en 1935, que l’augmentation du pH stimule et accélère la vidange gastrique et on supposait que c’était la production d’une substance dans la muqueuse du duodénum qui stimulait la motricité de l’estomac. Cette substance a été identifiée par Brown en 1967. Ce dernier a ensuite trouvé la séquence de la motiline en 1972. En 1983, une équipe japonaise (Itoh et al.) a démontré que le taux plasmatique de la motiline monte et descend régulièrement sur une période de plus ou moins 90 minutes. Itoh a mis ce phénomène en relation avec le complexe moteur migrant (CMM)1 dans l’intestin grêle. Cette question reste discutée encore aujourd’hui. On pense néanmoins que la motiline joue un rôle important dans l’induction du complexe moteur migrant. En 1984, Itoh a démontré que l’érythromycine (antibiotique) avait le même effet que la motiline. L’érythromycine est un agoniste du récepteur de la motiline. C’est le deuxième exemple de produit naturel non peptidique qui peut agir sur le récepteur du peptide, le premier étant la morphine. A cette époque, il était connu que la motiline pouvait déclencher le complexe moteur migrant, mais son effet sur la vidange gastrique était incertain. En 1985, la motiline était extrêmement chère, tandis que l’érythromycine ne coûtait presque rien. Mon équipe a ainsi démontré que l’administration de 200 mg d’érythromycine à des patients souffrant d’une gastroparèse et d’une vidange gastrique retardée conduisait, comparé au placebo, à l’accélération de la vidange gastrique. 1 «Le complexe moteur migrant, CMM (ou MMC pour Migrating Motor Complex), est une activité motrice intestinale cyclique se propageant lentement (à une vitesse de l’ordre du cm/mn) de l’estomac à l’iléon terminal. Il est composé de trois phases successives : une période de repos moteur (phase 1), une période de contractions survenant de façon irrégulière (phase 2) et une période de contractions survenant à leur fréquence maximale (phase 3). Il est présent chez tous les mammifères et il est caractéristique de l’état de jeûne. Chez l’homme, il apparaît toutes les 60 à 90 minutes et est interrompu pendant les 4 à 6 heures suivant un repas.» -51- AlimH2006 51 28/06/07 8:29:57 L’industrie pharmaceutique a alors commencé à synthétiser des produits dérivés de l’érythromycine, ainsi que d’autres produits agonistes de la motiline. Néanmoins, il n’existe toujours pas de médicament sur le marché. Trois groupes de molécules sont candidats : les produits dérivés de l’érythromycine (comme EM-523 ou encore un produit d’une petite firme de San Francisco : le Kosan), les dérivés de la motiline (donc des peptides moins chers, plus petits et plus faciles à synthétiser) et les molécules complètement synthétiques. Découverte de la ghréline Pour comprendre la découverte de la ghréline, il faut remonter dans le temps. Première étape : l’hypophyse joue un rôle crucial, car c’est là que sont produites les tropines. La thyrotropine donne lieu à la production des hormones de la thyroïde, T3 et T4. Dans l’hypothalamus, les somatotropes se projettent soit vers l’hypophyse postérieure et donne lieu à la production de facteurs, soit vers un système portal pour arriver dans l’hypophyse antérieure. En 1968, on a montré que la somatostatine inhibait la production d’hormone de croissance. Deuxième étape : en 1977, on savait que les enképhalines étaient capables de stimuler la production d’hormone de croissance. On a alors commencé à jouer avec la structure des enképhalines pour produire ce qu’on appelait les Growth Hormone Secretagogues (GHS), des produits capables de stimuler la production de l’hormone de croissance. Troisième étape : en 1982, la preuve était faite que le Growth Hormone Releasing Hormone (GHRH) ne stimulait pas le même récepteur que les GHS. Quel était alors le produit naturel responsable de la stimulation de ces récepteurs ? De nouveau, l’industrie pharmaceutique a joué un grand rôle. C’est une équipe de Merck qui, en utilisant des produits synthétiques, a finalement trouvé et cloné les récepteurs responsables de cette stimulation. Pendant dix ans, des firmes ont cherché un produit dans l’hypothalamus capable de stimuler la production d’hormones de croissance. Finalement, des japonais ont trouvé le ligand naturel de ce récepteur dans l’estomac : la ghréline (growth hormone releasing hormone). C’est un peptide qui est octonoylé sur une sérine en position 3. Ceci est très important pour l’activité biologique de la ghréline. Les résultats de cette équipe japonaise ont été publiés dans Nature en 1999 (Kojima). Dans le même temps, une équipe française cherchait les facteurs responsables du renouvellement de l’épithélium de l’estomac. Leurs résultats ont été publiés dans Gastroenterology quelques mois plus tard. La comparaison entre l’estomac, le cortex, le côlon et l’intestin grêle a conduit à la découverte d’un peptide un peu similaire à la motiline : le MTLRP (Motilin-Related Peptide). Les deux équipes ne savaient pas à l’époque qu’elles avaient trouvé la même chose. Motiline et ghréline : les deux côtés d’une pièce Les séquences de la motiline et de la ghréline et celles de leurs récepteurs présentent des similitudes. Si la motiline était connue depuis 1970 -52- AlimH2006 52 28/06/07 8:29:57 environ, son récepteur ne l’était pas. Ce n’est qu’en 1999, année de la découverte de la ghréline, que l’équipe de Merck trouve, par hasard, le récepteur de la motiline : le GPR39. Ce récepteur est similaire à celui de la ghréline. Du fait de la similitude entre peptides et récepteurs, on peut s’interroger sur une similitude de leurs fonctions. Une équipe canadienne a montré que la ghréline peut stimuler la vidange gastrique, mais la méthode utilisée n’est pas satisfaisante d’un point de vue scientifique, car elle ne permet pas de suivre la vidange gastrique sur plusieurs jours. Dans mon laboratoire, nous avons développé une méthode qui permet de suivre la quantité d’un produit dans l’haleine d’un rat et donc la vidange gastrique sur plusieurs jours. Nous avons confirmé que la ghréline, comme la motiline, stimule la vidange gastrique. Il a également été démontré que la ghréline, comme la motiline, intervenait dans la stimulation du complexe moteur migrant. Une publication récente dans Gut a confirmé la similitude des fonctions de la motiline et de la ghréline chez l’homme. Un intérêt croissant pour la ghréline Une vingtaine d’articles est publiée chaque année sur la motiline, dont la moitié par mon laboratoire. L’étude de la ghréline est exponentielle. On a découvert qu’elle stimulait l’appétit et le dépôt de lipides ; la moitié des articles publiés sur la ghréline traite de ce sujet. Les aspects concernant la gastro-entérologie sont malheureusement peu étudiés, car les financements des études sont proportionnels à l’intérêt porté au domaine d’application. La ghréline et l’appétit La ghréline stimule l’appétit chez l’homme. Elle est produite dans l’estomac, puis elle migre vers le cerveau. Dans l’hypothalamus, elle inhibe des neurones (CART/PMOC) ou en stimule d’autres (NPY/AgRP). Inhibition et stimulation ont un même effet : la stimulation de l’appétit et l’inhibition de quelque chose qui l’inhibe. La leptine fait le contraire : elle inhibe l’appétit. Les médicaments développés prochainement dans le cadre de la lutte contre l’obésité seront probablement dérivés de la ghréline. Conclusions La motiline reste au niveau local. Elle stimule le système nerveux de l’intestin, ce qui produit des contractions. La ghréline est responsable elle aussi de contractions, mais elle joue un rôle beaucoup plus important, car elle envoie un signal vers l’hypothalamus indiquant qu’il est temps d’aller manger. Discussion Le vide de l’estomac serait à l’origine de la sécrétion de la ghréline. Est-ce que cela a été démontré et comment ? C’est une hypothèse que j’ai faite. J’ai démontré que la sécrétion de motiline augmente et diminue en liaison avec le complexe moteur migrant. Königst a montré que le taux de ghréline augmente systématiquement avant le repas, diminue au début du repas et commence à remonter doucement après le repas. On ne comprend pas encore comment est réglée la sécrétion -53- AlimH2006 53 28/06/07 8:29:57 de la ghréline ; des études complémentaires sont nécessaires. Quel est l’intérêt pour la ghréline d’accélérer la vidange gastrique puisque l’estomac va se vider plus vite. Je n’en vois pas non plus l’intérêt, mais l’industrie pense autrement ! En situation normale, le taux de ghréline est plus faible avant, qu’après le repas. Elle n’a donc pas beaucoup d’influence sur la vidange gastrique. Chez les patients souffrant de lourdeurs d’estomac, on peut imaginer utiliser la ghréline ou la motiline pour améliorer la vidange gastrique. Dans un état physiologique, je pense honnêtement que la ghréline ne joue aucun rôle dans la réalisation de la vidange gastrique. Elle agit seulement sur l’appétit. Que sait-on des mécanismes impliqués dans le stimulus secretion coupling ? Estce que beaucoup d’hormones sont libérées suite à une augmentation de calcium intracel-lulaire ? Est-il possible d’isoler des cellules à ghréline et de les étudier in vitro ? On connaît encore très peu de choses sur ces mécanismes. La technique du stimulus secretion coupling est employée pour les récepteurs mais pas pour les cellules à ghréline, car pour cela il faudrait pouvoir les isoler. Quelle est la localisation précise des cellules qui produisent la ghréline dans l’estomac? Celle des cellules endocrines. Des antagonistes ont-ils été trouvés pour lutter contre l’obésité ? C’est évidemment un point important pour l’industrie. Dans nos études, nous avons utilisé un antagoniste (un dérivé de la substance P.), mais celui-ci a d’autres effets. Je suis sûr que de nombreuses firmes cherchent un antagoniste. Y a-t-il une corrélation entre le taux de ghréline et l’obésité ? Il semblerait que les personnes obèses sécrètent moins de ghréline. En revanche, les gens qui n’aiment pas manger ou qui ne mangent pas assez ont beaucoup de ghréline. On pense maintenant que l’organisme essaie de réagir et de compenser. Il est donc probable qu’un antagoniste ne permettrait pas de diminuer l’appétit des obèses. Il faut plutôt chercher un agoniste inverse. Ne pensez-vous pas que l’hypophyse puisse intervenir aussi via l’hypothalamus dans le contrôle de l’appétit ? L’ablation de l’hypophyse, qui est un centre de contrôle très important, entraîne des problèmes en cascade. Article 1* Ghrelin protects against ethanolinduced gastric ulcers in rats: studies of the mechanisms of action. Introduction La ghréline, un peptide de 28 acides aminés, est un ligand endogène du récepteur des secrétagogues de l’hormone de croissance. Ces récepteurs GHSR ont été identifiés dans plusieurs régions du cerveau et dans différents tissus périphériques, ce qui laisse supposer que la ghréline pourrait -54- AlimH2006 54 28/06/07 8:29:57 être impliquée dans de nombreuses activités biologiques. Elle a d’ores et déjà été identifiée comme activatrice de la libération d’hormone de croissance et l’on sait qu’elle a une importance dans la régulation de la prise alimentaire. L’impact de la ghréline sur la sécrétion d’acide gastrique a été étudié à plusieurs reprises mais les résultats sont assez divergents. Les auteurs de cet article ont émis l’hypothèse que la ghréline pourrait intervenir dans l’apparition de lésions de la muqueuse gastrique ou leur cicatrisation, et qu’elle pourrait éventuellement avoir une interaction avec le système du NO. Leur premier objectif était d’étudier l’effet d’une administration centrale ou périphérique de ghréline sur les lésions hémorragiques de la muqueuse gastrique. Leur deuxième objectif était de démontrer d’éventuelles interactions entre la ghréline et le système du NO. Leur troisième objectif était d’étudier les voies de signalisation qui pouvaient être impliquées dans les effets de la ghréline sur l’estomac. Conclusions Les auteurs ont trouvé que l’intégrité des fibres nerveuses était nécessaire à l’effet gastroprotecteur, puisque le traitement à la capsaicine avait pour conséquence la perte de cet effet. Ils émettent l’hypothèse que des fibres à CGRP (Calcitonin GeneRelated Peptide) pourraient être impliquées. Le NO serait un second messager au niveau intestinal qui permettrait d’obtenir l’effet vasodilatateur entraînant l’effet gastroproctecteur observé avec la ghréline. La ghréline, qui est produite dans l’estomac, aurait un effet sur les fibres à CGRP. Le CGRP, au niveau de l’estomac, interagirait avec le NO, ce qui produirait l’effet gastroprotecteur vis-à-vis des lésions induites par l’éthanol. Les auteurs suggèrent que la ghréline pourrait avoir une activité dans les processus de cicatrisation des ulcères gastriques chroniques et qu’elle pourrait représenter un intérêt pharmacologique dans le traitement des gastropathies aiguës. Deux publications récentes ont confirmé l’implication des fibres à CGRP dans les mécanismes d’action, ainsi que l’intervention du nerf vague. D’autres publications ont démontré l’effet stimulant de la ghréline dans le mécanisme de sécrétion d’acide gastrique. Discussion Une étude plus récente a montré un effet par injection intrapéritonéale. L’implication du nerf vagal et un effet en sous-cutané ont également été démontrés lors d’un ulcère induit par le stress. Lorsque l’injection se fait par voie souscutanée ou intrapéritonéale, on ne peut pas être certain du rôle purement périphérique de l’hormone. L’administration de ghréline par la voie intrapéritonéale entraîne probablement une activation dans les organes circumventriculaires, puis une action centrale. Quels arguments les auteurs avancent-ils en faveur d’un rôle physiologique de la ghréline dans la protection ? -55- AlimH2006 55 28/06/07 8:29:58 C’est l’estomac qui produit la ghréline et il est fort peu probable que le cerveau en produise. Article 2* Enteroendocrine cells and 5-HT availabitity are altered in mucosa of guinea pigs with TNBS ileitis. Introduction Les cellules entéro-endocrines Le système nerveux intestinal est constitué d’un plexus sous-muqueux et d’un plexus intermusculaire, dont certains neurones ont des prolongations juste sous l’épithélium intestinal. Dans cet épithélium, on trouve des cellules entéro-endocrines capables, suite à un signal luminal, de libérer des neuropeptides ou des hormones qui modulent la motilité et la sécrétion. Parmi les cellules entéro-endocrines, on trouve des cellules entérochromaffines qui libèrent de la sérotonine en réponse à un signal. Cette sérotonine est captée par des récepteurs des neurones situés à proximité de la membrane basale des cellules entérochromaffines. Une fois libérée, la sérotonine peut être recaptée par un transporteur sélectif à la sérotonine : le SERT. Les maladies inflammatoires intestinales Motilité et sécrétion sont toutes deux altérées lors des maladies inflammatoires intestinales que sont la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse. La maladie de Crohn est une inflammation transmurale discon- tinue qui peut se trouver tout le long du tractus digestif. Sa prévalence est de 10 à 100 pour 100 000 habitants. La colite ulcéreuse est une inflammation continue de la muqueuse qui touche exclusivement le côlon et le rectum. Sa prévalence est de 30 à 100 pour 100 000 habitants. De ce fait, on pense qu’ il pourrait y avoir, lors d’une inflammation, une altération des cellules entérochromaffines, d’où les perturbations de la motricité et de la sécrétion. Cette hypothèse est confortée par différentes études. Les auteurs de cet article se sont posé deux questions. L’augmentation des cellules entéroendocrines induite par l’iléite modifie-t-elle la disponibilité, la libération et le recaptage de la sérotonine ? Y a-t-il, lors d’une inflammation, une modification d’autres cellules entéro-endocrines ? Leurs objectifs étaient, d’une part, d’étudier la disponibilité de la sérotonine dans la muqueuse sur un modèle d’iléite chez le cobaye et, d’autre part, de regarder les modifications des autres cellules endocrines. Conclusions Les fonctionnalités des cellules à sérotonine, neurotensine et somatostatine seraient modifiées lors de l’inflammation. Cette modification pourrait entraîner des perturbations de la transduction du signal luminal vers les nerfs extrinsèques ou intrinsèques et donc de la motricité et de la sécrétion. Les auteurs émettent l’hypothèse que la sérotonine, la neurotensine et la somatostatine pourraient être des cibles thérapeutiques pour des maladies inflammatoires digestives. -56- AlimH2006 56 28/06/07 8:29:58 Article 3* Discussion Les auteurs ne trouvent pas de corrélation entre le nombre de cellules entérochromaffines et la teneur en sérotonine. Ils l’expliquent par une régulation de la différenciation de ces cellules. D’autres hypothèses pourraient-elles être envisagées, comme la présence de cellules qui sécrètent de la sérotonine, en particulier les mastocytes ? C’est une possibilité, mais ils n’ont malheureusement pas étudié les mastocytes. Pourquoi ont-ils aussi étudié des cellules à somatostatine et à neurotensine ? Les auteurs voulaient faire une étude systématique de toutes les cellules entéroendocrines et de leurs implications dans l’inflammation. Ils pensent que les cellules entérochromaffines pourraient ne pas être les seules à être modulées par l’inflammation. Peut-être auraient-ils dû se concentrer sur la sérotonine ? D’après les auteurs, il y a une augmentation des cellules entérochromaffines et une diminution de sérotonine. Est-ce bien cela ? Ils ont observé une augmentation des cellules entérochromaffines, mais pas du taux de sérotonine dans la muqueuse. Par contre, il y a une augmentation de sérotonine libérée sous l’action d’un stimulus. Ils observent aussi une diminution du nombre de récepteurs, ce qui augmente, a priori, la teneur en sérotonine libérée sous l’action d’un stimulus. Dommage qu’ils n’aient pas étudié le taux de sérotonine dans une muqueuse saine. Differential contributions of motilin receptor extracellular domains for peptide and non-peptidyl agonist binding and activity. Introduction La ghréline La ghréline est synthétisée comme une préhormone, puis elle est protéolysée jusqu’à l’obtention d’un polypeptide de 28 acides aminés. Sa synthèse se fait principalement dans les cellules épithéliales du fundus (estomac), mais aussi dans d’autres cellules comme celles du placenta, du rein et de l’hypothalamus. Une modification (liaison entre un acide n-octanoïque et un acide aminé) est nécessaire pour permettre l’activité biologique de la molécule. Le récepteur à ghréline est connu depuis longtemps. Il a été identifié comme étant un récepteur de l’activateur de sécrétion de l’hormone de croissance. Il est situé au niveau de l’hypophyse, de l’hypothalamus, du cœur et dans le tissu adipeux. La ghréline a été découverte comme ligand naturel de ce récepteur, en 1999. La ghréline a de nombreuses activités biologiques dans la régulation de la balance énergétique. Des expérimentations ont été menées chez les rongeurs et les humains, chez qui la ghréline augmente la sensation de faim, via son action sur les centres de la faim de l’hypothalamus. La ghréline augmente pendant le jeûne. Elle entraîne une suppression de l’utilisation des graisses du tissu adipeux. L’activation de la ghréline -57- AlimH2006 57 28/06/07 8:29:58 sur son récepteur provoque la sécrétion de l’hormone de croissance, une stimulation de la vidange gastrique. Elle a également des effets bénéfiques sur le système cardiovasculaire. La ghréline et l’hormone de croissance La sécrétion de l’hormone de croissance est influencée par les nutriments et les hormones. La ghréline agit sur la croissance en activant la mitose dans certaines cellules cibles. Sa fixation à des récepteurs de l’hormone de croissance entraînerait une dimérisation de ces récepteurs, puis une cascade de phosphorylations aboutissant à une activation de la mitose. Par ces différents mécanismes, elle a un effet sur l’énergie, la vitalité, les tissus adipeux, la masse musculaire, la régénération de la peau, le système nerveux central et la fonction immunitaire. Différentes publications ont montré que la ghréline est, à partir d’une certaine dose, un agent sécrétagogue de l’hormone de croissance chez l’humain et le rat. L’effet sécrétagogue n’est pas validé par d’autres modèles. La vidange gastrique La vidange gastrique régule l’arrivée des nutriments dans le grêle supérieur. Elle est nécessaire au bon déroulement de la digestion et de l’absorption. La régulation de la vidange gastrique est fonction des variations des concentrations plasmatiques en lipides et glucose. Il existe aussi une régulation nerveuse : le nerf pneumogastrique permet l’alternance des contractions, ainsi qu’une variation de leur amplitude et de leur la fréquence. Plusieurs hormones interviennent sur la vidange gastrique : la pentagastrine et la cholécystokinine la ralentissent, la motiline et la sérotonine l’accélèrent. La motricité intestinale La motricité de l’intestin grêle a plusieurs rôles : le mélange des aliments broyés avec les enzymes digestives, le contact des nutriments avec les entérocytes et l’élimination du bol alimentaire vers le gros intestin grâce aux contractions péristaltiques. La régulation au niveau de l’intestin grêle se fait par le système nerveux et par les hormones gastro-intestinales. Au niveau du gros intestin, on observe des régulations nerveuses ; des contractions permettent aussi un mélange avec la muqueuse pour une meilleure absorption et des contractions antipéristaltiques permettent un ralentissement de l’avancée du bol alimentaire, donc une meilleure absorption. Enfin, des mouvements de masse permettent l’évacuation des déchets non absorbés. Dans cet article, les auteurs ont voulu déterminer le rôle de la ghréline dans les sécrétions d’hormone de croissance sur la vidange gastrique et sur la motricité intestinale chez le chien. Conclusions On peut voir que la ghréline a bien un effet de sécrétion de l’hormone de croissance chez les rongeurs, les chiens et les humains ; elle accélère la vidange gastrique et stimule la motricité intestinale à l’état de jeûne chez les rongeurs. Le modèle rongeur n’est donc pas un modèle prédictif pour l’homme. L’établissement d’un modèle généralisable à l’homme implique de se tourner vers des protocoles in vivo ou un meilleur modèle, pourquoi pas OGM. -58- AlimH2006 58 28/06/07 8:29:58 Discussion Introduction La diapositive concernant les effets de la ghréline sur la la phase III du CMM chez le rat n’est pas convaincante. Est-ce que la phase III existe chez le rat ? Chez le rat, la fréquence des phases III est de 15 minutes. Au cours de l’évolution, un peptide aurait peut-être donné naissance à deux peptides : l’un dans le cerveau, la ghréline, et l’autre dans l’intestin, la motiline. Nous savons que chez les rongeurs la motiline n’existe plus. Ce sont des « knock-out » naturels pour la motiline. Le récepteur de la motiline n’existe pas chez les rongeurs, ce qui pourrait expliquer que la vidange gastrique est plus importante chez ces derniers. La ghréline a été découverte en 1999. Elle provient d’un prépropeptide constitué de 117 acides aminés qui, après clivage posttraductionnel, donne la ghréline, constituée de 28 acides aminés. La comparaison des séquences de proghréline entre 11 espèces de mammifères a permis d’identifier une séquence conservée, efflanquée par des sites de clivage et qui laisse penser qu’un deuxième peptide pourrait être produit à partir de ce même prépropeptide. C’est ainsi que l’obestatine a été découverte. Elle est composée de 23 acides aminés et contient une partie C terminale, un résidu glycine qui peut être aminé pour être biologiquement actif. Dans cet article, les chercheurs ont voulu savoir à quel moment ces hormones sont sécrétées, connaître leurs rôles et leurs effets, comprendre comment elles agissent et par quels mécanismes. Vous montrez l’influence de la motiline sur les complexes moteurs migrants. Est-ce un phénomène marginal ou important dans le contrôle de la prise alimentaire ; est-ce en rapport avec ce qui est mesuré ici au niveau de la motricité gastrique ? La vidange gastrique a lieu après le repas tandis que le complexe moteur migrant intervient quand on est à jeun. Pour étudier le complexe moteur migrant avant le repas, on étudie les contractions à différents niveaux de l’intestin. Après le repas, il est difficile d’étudier les contractions car elles sont trop nombreuses. C’est pourquoi on étudie l’effet sur la vidange gastrique. Article 4* Ghrelin does not stimulate gastrointestinal motility and gastric emptying: an experimental study of conscious dogs. Conclusions La ghréline provoque une augmentation de la prise alimentaire, tandis que l’obestatine l’inhibe. De même, la prise de poids est augmentée par la ghréline et diminuée par l’obestatine. L’activité de vidange gastrique et les contractions du jéjunum sont activées par la ghréline et inhibées par l’obestatine. A partir du même prépropeptide, deux hormones différentes sont produites après clivage post-traductionnel. Ces deux peptides, dont on suppose qu’ils ont un ancêtre commun, agissent sur des récepteurs différents. Leur divergence aboutit à des effets contraires. La ghréline, par activation du GHSR, a un effet orexigène, tandis que l’obestatine, via le GPR39, a un effet -59- AlimH2006 59 28/06/07 8:29:58 anorexigène. La production de ghréline ou d’obestatine permet une régulation fine de la prise de poids et pourrait jouer un rôle important dans l’obésité. Perspectives La purification et le séquençage de la sécrétine ont nécessité des dizaines d’années de travail. A la fin du XXe siècle, de nouvelles techniques de biologie moléculaire ont permis de purifier rapidement la ghréline et la motiline. Des études doivent être poursuivies afin de découvrir de nouveaux peptides issus de la préproghréline. Discussion Je m’attendais à voir une sécrétion d’obestatine une fois les rats rassasiés ; or le taux d’obestatine dans le sérum ne change pas, c’est le taux de ghréline qui varie et joue un rôle sur la prise alimentaire. Quel est donc le vrai rôle de l’obestatine ? Bonne question ! Différentes études ont montré que l’obestatine n’a aucun effet, ni sur la prise alimentaire, ni sur la vidange gastrique et qu’elle n’est pas capable d’activer le récepteur GPR39. Ce serait un bon sujet d’étude. -60- AlimH2006 60 28/06/07 8:29:58 Theo Peeters, Professeur Université de Louvin, Belgique Articles analysés Article 1 - présenté par Julie Mardon (Unité de Nutrition Humaine, INRA ClermontFerrand) « Ghrelin protects against ethanol-induced gastric ulcers in rats: studies of the mechanisms of action” – Endocrinology 144(1):353-359 V. Sibilia et al. Article 2 - présenté par Anne Morise (Unité Systèmes d’élevage, nutrition animale et humaine, INRA Rennes) “Enteroendocrine cells and 5-HT availabitity are altered in mucosa of guinea pigs with TNBS ileitis “ – AJP – GI 287:998-1007, 2004 Jennifer R. O’Hara et al. Article 3 - présenté par Clémentine Thabuis (Unité Nutrition humaine et lipides : biodisponibilité, métabolisme et régulations, Marseille) Ghrelin does not stimulate gastrointestinal motility and gastric emptying: an experimental study of conscious dogs - Neurogastroenterol Motil (2006) 18, 129-135 T. Ohno et al. Article 4 - présenté par Barbara Grintal (Unité de Nutrition et Régulation Lipidique des Fonctions Cérébrales, INRA Jouy-en-Josas) « Obestatin, a peptide encoded by the ghrelin gene, opposes ghrelin’s effects on food intake” – Science , 11 November 2005, vol 310 Jian V. Zhang et al. -61- AlimH2006 61 28/06/07 8:29:58 Le système nerveux autonome Cortex Rhinencéphale Hypothalamus NTS Ganglion plexiforme Bulbe rachidien NDMV Ganglion spinal 1 2 Moelle épinière Nerf vague Racine postérieure Nerf splanchnique Racine antérieure Ganglion prévertébral Plexus intrapariétaux Neurones moteurs et interneurones 3 4 Muqueuse -62- AlimH2006 62 28/06/07 8:29:59 L’axe cerveau-intestin Pr Bruno BONAZ Introduction Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI ou inflammatory bowel diseases : IBD) et le syndrome de l’intestin irritable (SII ou irritable bowel syndrome : IBS), anciennement dénommés colopathies fonctionnelles, sont un problème de santé publique en gastroentérologie. Le SII représente environ 30 à 50 % des motifs de consultation auprès d’un gastroentérologue. En France, la prévalence des MICI est de 1/1000. MICI et SII sont étroitement liés au fonctionnement de l’axe cerveau-intestin. situé dans le bulbe. De là, l’information va être véhiculée vers les centres nerveux supérieurs. Il y a également une boucle réflexe entre le NTS et le noyau moteur du vague à l’origine du réflexe vago-vagal. Généralement, le NTS inhibe le noyau moteur du vague. Le noyau moteur dorsal du vague, situé sous le NTS, correspond au nerf efférent du nerf vague ; il va s’articuler avec un deuxième neurone qui fait partie du système nerveux intrinsèque. Le sympathique afférent part du tube digestif et véhicule notamment la sensation douloureuse, via les ganglions sympathiques, et se termine dans la moelle épinière. Le nerf vague pourrait aussi jouer un rôle dans la sensation douloureuse viscérale. Dans les MICI et le SII, des anomalies de fonctionnement du système nerveux autonome, appelées dysautonomies, peuvent apparaître. Le système nerveux autonome sympathique et parasympathique Les organes circum-ventriculaires Le tube digestif, de la même manière que le cœur et les poumons, n’est pas un organe isolé. Il est relié au cerveau par le système nerveux autonome sympathique (inhibiteur) et parasympathique (stimulateur), classiquement antagonistes. Le système nerveux intrinsèque du tube digestif contient des plexus intramuqueux et intramusculaires, qui sont capables de donner une autonomie sécrétoire et motrice au tube digestif. Les nerfs parasympathiques, en particulier les nerfs vagues, et sympathiques sont des nerfs mixtes. Il y a 90 % de fibres afférentes dans le nerf vague et 50 % de fibres afférentes dans le système nerveux sympathique. Les afférences du nerf vague, dont le corps cellulaire est dans le ganglion plexiforme, partent du tube digestif pour se terminer dans le noyau du tractus solitaire (NTS), Les organes circum-ventriculaires sont des organes situés en dehors de la barrière hémato-encéphalique. Ils sont représentés par l’organe subfornical (SFO), l’organum vasculosum de la lamina terminalis (OVLT), l’area postrema et la glande pinéale. Ce sont des structures vasculaires. Par exemple, l’OVLT est sensible notamment aux interleukines circulantes. Les interleukines agissent sur des astrocytes au niveau de l’OVLT. Ces derniers libèrent des prostaglandines qui stimulent l’aire préoptique antérieure, qui elle-même stimule l’axe du stress, notamment le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus. Celui-ci libère du CRF (corticotropin-releasing factor), le neuromédiateur du stress, qui stimule l’antéhypophyse qui libère de l’ACTH. Cette dernière stimule les glandes surrénales pour -63- AlimH2006 63 28/06/07 8:29:59 Les organes circum-ventriculaires Anterior commissure Subfornical organ Fornix Posterior commissure Pineal gland Thalamus Lamina terminalis Vascular organ of the lamina terminalis Hypothalamus libérer des glucocorticoides qui ont un effet anti-inflammatoire. C’est l’axe corticotrope. Une inflammation à la périphérie peut donc agir sur le cerveau avec pour finalité d’atténuer cette inflammation. Intégration centrale L’information en provenance du tube digestif arrive dans le NTS ; elle est relayée vers des structures supérieures telles que le noyau parabrachial, le noyau central de l’amygdale, le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus (qui contient le CRF), le cortex insulaire. En retour, des faisceaux nerveux descendants vont moduler le noyau sympathique spinal, le noyau moteur du vague. La douleur viscérale, par exemple, entraîne Subcommissural organ des modifications autonomiques, comportementales, cognitives et endocriniennes. Il en est de même de l’inflammation. MICI et SII La physiopathogénie des MICI fait intervenir des facteurs génétiques, environnementaux (tabac, flore intestinale, stress…) et immunitaires. Un gène de susceptibilité a été identifié sur le chromosome 16 (gène NOD2). Environ 30% des malades atteints de la maladie de Crohn sont porteurs d’une mutation de ce gène. On peut toutefois être porteur du gène sans pour autant développer la maladie, dans la mesure où les facteurs environnementaux sont nécessaires au développement de la maladie. -64- AlimH2006 64 28/06/07 8:29:59 Les malades SII présentent une hypersensibilité viscérale. Le seuil de douleur à la distension du côlon est en effet diminué chez ces patients. Le stress est un facteur aggravant/déclenchant du SII. On retrouve des antécédents de dépression dans 30 à 50% des cas chez ces patients, ainsi que des antécédents d’abus sexuels. Cette hypersensibilité viscérale pourrait aussi être due à un défaut de « filtrage » de l’information douloureuse au niveau de la moelle épinière, soit par un emballement de la transmission douloureuse à ce niveau (effet « wind up »), soit par un défaut des faisceaux inhibiteurs descendants supraspinaux. Environ 30 % des patients ayant une MICI peuvent développer un SII au cours de l’évolution de leur maladie. De même, 5 à 30% des patients ayant présenté une gastroentérite peuvent développer un SII. L’inflammation, en entrainant des modifications de plasticité neuronale, pourrait favoriser l’hypersensibilité viscérale. Implication du CRF (CorticotropinReleasing Factor ou Corticolibérine) Le CRF est un neuromédiateur du stress présent au niveau central (surtout dans l’hypothalamus) et périphérique (tube digestif, poumon, cœur, muscle). Il serait anti-inflammatoire en central, via une activation de l’axe corticotrope, et plutôt proinflammatoire en périphérie. Il influence la motricité digestive. Le CRF est un peptide de 41 acides aminés. Il agit sur des récepteurs transmembranaires : CRF1 et CRF2. Si le CRF1 est surtout localisé dans le système nerveux central, mais aussi dans le tube digestif, le CRF2 l’est davantage en périphérie (bien que le CRF2-a soit plutôt central et le CRF2-b plutôt périphérique). Des récepteurs différents ont donc une topographie différente avec un rôle fonctionnel différent. Le CRF1 est anxiogénique. Les drogues d’avenir dans la colopathie pourraient être des antagonistes du CRF1. Par exemple, l’antagoniste peptidergique a-hélical CRF9-41 a été utilisé notamment dans la colopathie. Des données récentes indiquent que le traitement de colopathes avec un antagoniste du CRF entraînait moins d’anomalies d’activation cérébrale par IRMf. Les antagonistes peptidergiques ne franchissent pas la barrière hémato-encéphalique, contrairement aux antagonistes non peptidergiques qui agissent au niveau central et au niveau périphérique. Stress et motricité digestive Le stress ralentit la vidange de l’estomac, via le CRF2 gastrique, et stimule la motricité colique (accélération du transit colique et augmentation de la fréquence des selles) via le CRF1, localisé principalement dans l’hypothalamus mais aussi dans le côlon. Le CRF a un rôle neuro-endocrine, un rôle de neurotransmetteur et/ou de neuromodulateur, et il intervient dans la réponse neuroimmune. Le stress modifie l’immunité. Toutes les informations désagréables sont stockées dans l’amygdale centrale. Or, l’amygdale module le sympathique, le parasympathique et elle stimule le CRF. L’hippocampe inhibe le CRF. Une hypothèse avance que la balance hippocampe/amygdale est déréglée chez les colopathes. On sait, par exemple, qu’un -65- AlimH2006 65 28/06/07 8:29:59 stress chronique entraîne des morts neuronales, notamment au niveau de l’hippocampe. Les antidépresseurs favorisent la régénérescence de l’hippocampe. C’est un des effets des antidépresseurs administrés aux colopathes, notamment aux Etats-Unis. Mécanismes des effets du stress Le stress chronique de l’aversion à l’eau est un modèle expérimental d’activation du transit colique. Il consiste à mettre un rat sur un cube entouré d’eau. Le rat a peur de l’eau, il tremble, il défèque abondamment. Au niveau de l’hypothalamus, on constate une augmentation d’expression de c-fos (un marqueur d’activation neuronale) dans son noyau paraventriculaire. Le stress active le transit colique via le CRF. Si on injecte un antagoniste du CRF au rat, (le fameux a-hélical) avant de le mettre sur le cube entouré d’eau, il déféque moins et il y a moins d’activation neuronale dans son hypothalamus. En pathologie clinique, on s’intéresse surtout aux stress répétés, chroniques (et non aux stress aigus), car on pense qu’ils seraient impliqués en pathologie, notamment dans la colopathie. Des mécanismes physiologiques permettent de contrôler le stress en situation normale. En situation de pathologie, ces mécanismes se dérégulent, mais il n’y a pas d’explications pour l’instant. Stress et sensibilité viscérale On sait qu’un stress physique ou psychologique entraîne une hypersensibilité rectale (la séparation maternelle est un modèle de cette hypersensibilité). L’hypersensibilité après un stress aigu s’atténue avec la chronicité par des phénomènes d’adaptation. Chez le rat, la motricité colique est augmentée et l’analgésie somatique est diminuée en réponse à un stress aigu. On sait que les colopathes ont des anomalies d’activation cérébrale en réponse à une douleur rectale provoquée par distension. Une étude a montré que l’administration d’antagonistes des récepteurs CRF1 et CRF2 prévenait les anomalies de l’activation cérébrale. Le CRF central et le mastocyte, via les récepteurs NK1, jouent un rôle dans l’hypersensibilité. Les hormones sexuelles modulent les effets sensitifs du stress. La colopathie est plus fréquente chez les femmes (2/3 des patients sont des femmes). Il y a des récepteurs aux œstrogènes sur les neurones du stress dans l’hypothalamus. Le noyau de Barrington Le noyau de Barrington, situé au niveau du tronc cérébral sous le locus cœruleus, est le principal noyau noradrenergique central impliqué dans le stress. Ce noyau envoie des projections descendantes sur la moelle sacrée. Il commande le parasympathique sacré qui contrôle la motricité de la vessie et du rectosigmoïde. Il est très riche en CRF. Il est donc probable que l’effet du stress passe par ce noyau ; malheureusement, il est difficile à explorer chez l’homme. Des données d’imageries cérébrales ont cependant montré une anomalie de ce noyau, notamment dans les troubles urinaires. Intégration centrale de la douleur L’information douloureuse arrive au niveau de la moelle épinière et remonte vers le cerveau. L’activation des neurones module les systèmes sympathique-parasym- -66- AlimH2006 66 28/06/07 8:30:00 pathique, ainsi que le système comportemental et cognitif. Un modèle animal de douleur somato-viscérale à l’acide acétique est disponible. Le marqueur d’activation c-fos est détecté dans le cerveau de ces rats après injection intra-péritonéale d’acide acétique. Chez l’homme, une douleur dans le tube digestif entraîne l’activation de plusieurs zones du cortex : le cortex insulaire qui est un cortex de projection de la sensibilité viscérale, le cortex cingulaire et le cortex préfrontal. La distension du côlon chez les colopathes entraîne des activations anormales de ces zones. Des désactivations sont observées dans le cortex insulaire qui reçoit toute la sensibilité, dans l’amygdale qui est la zone du cerveau qui stocke toutes les mauvaises expériences de la vie, et dans le striatum qui est impliqué dans la maladie de Parkinson. IBD (maladie inflammatoire) L’effet du stress est fréquemment rapporté chez les patients souffrant d’IBD. Peu d’études contrôlées sont néanmoins réalisées, car il est difficile d’isoler le facteur stress. Stress et IBD On a montré qu’il existe des associations entre les indices psychosociaux et les indices de gravité dans l’une des deux maladies inflammatoires : la rectocolique hémorragique. Cela n’a pas été retrouvé pour la maladie de Crohn. L’effet placebo est à prendre en compte, car il est efficace dans 30 à 50 % des cas de colopathie et de maladies inflammatoires. Un suivi régulier par le médecin augmente la rémission des malades chroniques. Une étude récente a montré que des personnes atteintes de rectocolite ou de la maladie de Crohn en rémission, mais soumises à un stress (main dans l’eau à 4 degrés pendant 3 minutes), présentaient des signes d’inflammation colique plus marqués que les sujets contrôles. Chez l’animal, on peut, par le stress, aggraver une colite expérimentale ou ré-induire une colite expérimentale guérie. L’axe neuro-endocrinien-immunitaire Il existe une relation triangulaire entre le système immunitaire, le système nerveux central et le système endocrinien. L’interruption d’une de ces relations augmente la sensibilisé aux inflammations et aux infections. C’est le cas des rats Lewis femelles qui sont plus sensibles au stress parce qu’elles ont un défaut de prodution de CRF hypothalamique. Les rats Fischer, au contraire, sont hyper CRF et sont plus résistants. Une vagotomie entraîne une aggravation de la colite. Il y a, en effet, des récepteurs aux cytokines sur le nerf pneumogastrique. Le vague véhicule ensuite l’information au niveau du NTS, qui l’envoie au cerveau, notamment au niveau de l’hypothalamus pour stimuler l’axe corticotrope. C’est ce qu’on appelle l’axe neuro-endocrinien immunitaire. Stress et perméabilité intestinale Dans les maladies inflammatoires, on observe une rupture de la tolérance immunitaire, probablement parce qu’il y a un défaut de la paroi intestinale et un emballement de la réponse immunitaire. Le stress augmente la perméabilité intestinale. Les bactéries peuvent alors rétrodiffuser dans la paroi intestinale, siège d’un emballement -67- AlimH2006 67 28/06/07 8:30:00 de la réponse immunitaire qui favorise l’inflammation. Relations neuro-immunes Le stress stimule le système sympathique et inhibe le parasympathique. Une sympathectomie améliore une colite expérimentale, alors qu’une vagotomie aggrave la colite. Les patients atteints de colite ont des dysautonomies (anomalies de fonctionnement du système sympathique-parasympathique). Il y a donc une relation neuroimmune. Les macrophages libèrent de l’interleukine 12 et du TNF-a qui stimulent la réponse inflammatoire. Comment un stress peut-il modifier l’immunité ? Les lymphocytes TH0 s’individualisent en TH1 et TH2. Dans la maladie de Crohn, l’immunité est de type TH1 (sécrétion d’IL-12 et d’interféron-g). Pour la rectocolite, l’immunité est plutôt de type TH2 (IL-4, 5,13). Or, le TH1 est le seul lymphocyte à avoir un récepteur aux catécholamines. En cas de stress, le sympathique libère des catécholamines qui se fixent sur le récepteur catécholaminergique du lymphocyte TH1. On pense que cette fixation entraînerait une modulation cytokinergique, où TH1 prendrait un profil cytokinergique TH2. Le stress pourrait ainsi moduler l’immunité en modulant la réponse immunitaire cytokinergique. Le nerf vague Une stimulation vagale pourrait être un traitement des maladies inflammatoires puisque la stimulation du nerf pneumogastrique inhibe la libération de TNF-a par les macrophages. Cette hypothèse reste à vérifier. Discussion Les cytokines pénètrent-elles dans le cerveau ? Normalement, elles ne pénètrent pas dans le cerveau. Elles agissent au niveau des paraganglions présents dans les fibres vagales pour stimuler les afférences vagales et véhiculer l’information au niveau du NTS. Les interleukines peuvent agir également au niveau des organes circumventriculaires. Le réflexe cholinergique est anti-inflammatoire sur les macrophages et sur la libération de cytokines. Cela a-t-il été montré seulement suite à une infection ? Cela a été prouvé initialement dans les modèles d’hyperthermie par injection de lipopolysaccharides (LPS) bactériens. La stimulation vagale peut-elle traiter le syndrome de l’intestin irritable ? L’effet de la stimulation vagale a surtout été démontré dans des modèles infectieux ou inflammatoires. On n’a pas de données concernant des modèles expérimentaux de SII. Le SII serait plutôt un modèle hyper CRF1. Un anti-CRF1 pourrait améliorer l’état de ces patients, mais il a aussi d’autres effets secondaires. L’axe cerveau intestin fonctionne en permanence, et pas seulement en cas de problème digestif. Pensez-vous que cela puisse marcher dans un modèle où on ne parle pas d’infection ? Ça devrait pouvoir marcher. Dans un article publié récemment dans Gastroenterology, la stimulation vagale dans la pancréatite a visiblement un effet anti-TNF. -68- AlimH2006 68 28/06/07 8:30:00 Le TNF est libéré par tout ce qui est infectieux, inflammatoire. La perméabilité intestinale n’est-elle pas la cause de nombreuses pathologies ? Les maladies inflammatoires peuvent entraîner des manifestations extradigestives, notamment cutanées, oculaires. Chez les patients atteints de la maladie de Crohn, la résection iléo-cæcale entraîne une diminution des manifestations articulaires. Ces manifestations pourraient être dues, soit à un lymphocyte circulant, soit à des antigènes bactériens circulants. On retrouve des anomalies de la perméabilité chez des apparentés de patients ayant la maladie de Crohn, et cela avec une fréquence élevée (30 à 40%). Dans la maladie cæliaque, on constate également des anomalies de la perméabilité intestinale. Environ 8% des SII ont une intolérance au gluten. Il y a donc probablement un lien. Actuellement, on parle de rupture de la tolérance immunitaire. Peut-on parler de rupture de la tolérance à sa flore intestinale ? A sa propre flore intestinale, tout à fait, d’où la théorie des probiotiques. Les rats HLA B27 développent spontanément une spondylarthrite ankylosante. La maladie disparaît quand ils n’ont plus de flore digestive. Lorsque leur tube digestif est recolonisé par des bacteroïdes, on reproduit les manifestations (inflammation du tube digestif, des articulations). Il y a d’autant plus de bactéries dans la paroi intestinale, et de plus en plus profondément, que la colite expérimentale est sévère. Le gène Nod2, qui est sur le chromosome 16, a une liaison avec le système antigénique- bactérien. On a montré que Nod2 est associé à une augmentation de la perméabilité intestinale. Si on supprime la flore ou si on la modifie, on n’a plus la même réactivité des facteurs de l’environnement (dont le stress) sur les cellules épithéliales en termes d’expression de cytokines et de perméabilité des protéines des jonctions serrées. Cela signifie que la flore intestinale est indispensable pour qu’il y ait une réactivité normale des cellules épithéliales à des facteurs qui n’ont rien à voir avec la microflore. Quand on modifie la flore, on modifie la réactivité, y compris sur des pathologies où le facteur génétique n’est pas négligeable, comme dans la maladie de Crohn. Attention aux antibiotiques ! Le modèle TNBS est un bon modèle pour induire une colite expérimentale. Il est difficile d’induire une colite expérimentale chez des animaux pré-traités par des antibiotiques. Quel rôle jouent les facteurs alimentaires ? Dans les MICI, les aliments ne sont pas des facteurs déclenchants de la maladie. Par contre, en cas de poussée inflammatoire, il faut se mettre au régime sans résidus (pâtes, riz) pour diminuer les diarrhées. Johet, dans une publication de 2005, a montré que 30% de patients souffrant de rectocolites hémorragiques et qui consommaient plus de protéines et de sulfates avaient un risque deux fois supérieur de rechute. A une époque, on disait que les patients souffrant de rectocolite avaient un défaut de métabolisme des acides gras à chaîne courte. Les lavements d’acides gras à chaîne -69- AlimH2006 69 28/06/07 8:30:00 courte ont même été testés dans la rectocolite sans succès manifeste. Il me semble qu’il y a des maladies inflammatoires où l’on met l’intestin au repos. Dans la maladie de Crohn, le fait de dériver le flux fécal par une stomie (iléostomie, colostomie) améliore les lésions sousjacentes et le rétablissement de la continuité digestive entraine une récidive des lésions. Y a-t-il des données concernant les relations vague/mastocytes ? Les redistributions à proximité des immunocytes des terminaisons vagales en particulier sont-elles connues ? Dans le tube digestif, les relations entre fibres nerveuses et mastocytes sont étroites. On peut penser qu’en cas de « sprouting » il y a plus de récepteurs à la douleur, à l’inflammation. C’est une des théories sur le rôle de l’infection ou de l’inflammation dans l’hypersensibilité viscérale digestive. La stimulation répétée du vague ne peutelle pas favoriser le sprouting pour limiter les mastocytes par exemple ? Je n’ai jamais rien lu à ce sujet. Le vague a aussi un effet antidouleur. Une étude montre que la stimulation du vague induirait une activation mastocytaire par l’intermédiaire de la CCK. Dans cette étude, ils injectent de l’ovalbumine dans le tube digestif. On sait que la sécrétion de CCK agit sur les mastocytes qui sont activés. Cela pourrait-il expliquer le rôle des facteurs alimentaires dans les maladies du tube digestif sans qu’il y ait une allergie, puisque c’est juste la présence de protéines dans le tube digestif qui induit l’activation mastocytaire ? Un article montre qu’une alimentation riche en lipides stimulerait le contingent antiinflammatoire du vague via la CCK. La nutrition entérale a un effet thérapeutique dans la maladie de Crohn. Cela pourrait faire intervenir ce type de mécanisme. Article 1* Hypothalamic-Pituitary-gut dysregulation in irritable bowel syndrome: plasma cytokine as a potential biomarker. Introduction Le syndrome de l’intestin irritable est un trouble fonctionnel du tractus gastro-intestinal. Il est associé à un trouble du transit avec une modification de la vitesse de passage des aliments dans l’intestin. Le syndrome est associé à des douleurs et un inconfort abdominal. Cela entraîne chez les patients une altération des habitudes alimentaires et donc une dégradation de la qualité de vie. Le syndrome est aggravé par des phénomènes de stress. Il serait dû à une dérégulation de l’axe cerveau-intestin. Il n’y a pas, actuellement, de marqueur biologique pour caractériser cette pathologie. Les auteurs s’intéressent à l’axe hypotalamo-hypophysaire en relation avec le système immunitaire intestinal. L’hypothalamus, en situation de stress, sécréte du CRF qui induit au niveau de l’hypophyse la sécrétion de l’ACTH, qui ellemême entraîne la libération de glucocorticoïdes. Un feedback négatif agit au niveau de l’ACTH et du CRF généré par les glucocorticoïdes libérés. -70- AlimH2006 70 28/06/07 8:30:00 L’objectif de ce travail épidémiologique est d’étudier l’axe hypotalamo-hypophysaire chez les patients atteints du syndrome de l’intestin irritable et de relier cette réponse aux concentrations de cytokines plasmatiques. Conclusions • Le syndrome de l’intestin irritable n’a pas de marqueur biologique commun avec les troubles de l’humeur. C’est réellement un trouble fonctionnel, même s’il est souvent provoqué par des phénomènes de type stress et que des facteurs psychosociaux y sont associés. La dépression et l’anxiété sont plutôt des facteurs de comorbidité, et non de cause. Les patients aateints du syndrome de l’intestin irritable ne présentent pas ultérieurement plus d’épisodes de type dépressif. • Le syndrome de l’intestin irritable correspond à une augmentation de la production de cytokines inflammatoires avec une pathologie inflammatoire périphérique, probablement centrale, et une activation exagérée de l’axe hypotalamo-hypophysaire. Discussion L’augmentation des cytokines est-elle la cause ou la conséquence de l’inflammation ? Les auteurs la présentent plus comme la cause, mais il est difficile de dire quel est le primum novens ! Le CRF au niveau central ou les cytokines au niveau périphérique ? Des antagonistes du récepteur CRF1 sont utilisés sur des modèles animaux, que ce soit en hypersensibilité ou par rapport à d’autres effets du stress, mais ils présentent des effets collatéraux (effet contraceptif, complications hépatiques). Observe-t-on des cytokines pro-inflammatoires dans le cerveau ? Je ne pense pas que le SII soit associé à des maladies neurodégénératives, ce qui serait le cas s’il y avait augmentation de cytokines proinflammatoires dans le cerveau. Les auteurs mesurent les cytokines inflammatoires plasmatiques, parce qu’elles sont le reflet de ce qui se passe au niveau de l’hypothalamus chez l’homme. Je ne suis pas sûr que ce soit tout à fait exact. Dans beaucoup de pathologies inflammatoires, on retrouve une augmentation des cytokines dans le cerveau. C’est le cas de l’obésité, qui est un état inflammatoire chronique. De nombreuses données montrent des anomalies du système cytokinergique central dans les pathologies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer). Dans le processus inflammatoire, il est préférable de doser les cytokines dans le tissu plutôt que dans le sang. La réactivité de l’axe HPA (hypothalamo-hypophyso-surrénalien) est très nette dans cette étude. Le taux de cortisol est également plus élevé en basal et la réponse est légèrement plus tardive et plus élevée aussi. C’est plus significatif que les taux de cytokines. -71- AlimH2006 71 28/06/07 8:30:01 Article 2* Repeated exposure to water avoidance stress in rats: a new model for sustained visceral hyperalgesia. Introduction L’hyperalgésie viscérale est la sensibilité excessive à la douleur d’un organe interne. C’est la principale caractéristique du syndrome de l’intestin irritable. Le but de l’article est de fournir un modèle animal d’hyperalgésie soutenue induite par un stress. Le stress appliqué est le stress d’évitement à l’eau. Les auteurs étudient l’effet d’un stress chronique sur quatre paramètres : les changements de la nociception viscérale et somatique, la motricité du côlon, le comportement anxieux et l’activation immunitaire du côlon. Le test d’évitement à l’eau est un test intermédiaire. Le test initial est le flooding test. On remplit la cage avec de l’eau et le rat monte sur un promontoire pour échapper à l’eau. Une autre méthode est l’actimétrie (caméra à faisceau laser) qui permet de savoir quels ont été les mouvements du rat. S’il est stressé, il ne va pas bouger. Stress chronique et hypervigilance En cas de stress chronique, les rats sont hyper vigilants : ils vont beaucoup plus percevoir la distension ; le rapport signal/bruit est diminué. Un stress chronique introduit, probablement via des modifications des récepteurs du CRF au niveau central, une hypertonie sympathique qui entraînerait une modification de l’immunité, et donc une hyper vigilance. Le colopathe est hyper vigilant. Il se réveille la nuit. Son locus coeruleus est hyper actif ; il envoie des projections sur le cortex frontal (réaction d’éveil). Conclusions Le stress chronique provoque une augmentation soutenue de la nociception viscérale qui persiste. Cette hyperalgésie viscérale est associée à un comportement anxieux et une activation d’un des paramètres de la réponse immunitaire. Deux hypothèses sont proposées pour le développement de l’hyperalgésie : une activation immunitaire du côlon et une sensibilisation des circuits nerveux centraux. Discussion Pourquoi le test de l’évitement à l’eau provoque un stress chez les rats qui savent nager ? Article 3* Visceral hyperalgesia and intestinal dysmotility in a mouse model of postinfective gut dysfunction. Introduction Cette étude a trois objectifs : caractériser un modèle animal SII post-infectieux en termes d’altérations motrices et hyperalgésiques ; étudier l’effet des corticostéroïdes sur ces altérations motrices et hyperalgésiques ; tenter de mettre en évidence un mécanisme de maintien à long terme de ces symptômes par gavage d’antigènes. -72- AlimH2006 72 28/06/07 8:30:01 Conclusions Les auteurs ont caractérisé un modèle animal IBS post-infectieux. Ils ont montré qu’une infection par un nématode parasite était capable de provoquer, de façon durable, un dysfonctionnement de la motricité intestinale et une hyperalgésie viscérale, tout ceci en l’absence de marqueur d’inflammation. Ils ont montré également que ces altérations pouvaient être réversées par les corticostéroïdes et maintenues par l’administration de l’antigène du parasite. le profil cytokinergique de patients souffrant de rectocolite. Une étude a été publiée à ce sujet. Par aileurs, une étude récente a utilisé un parasite assez répandu, cryptosporidium parvum. Article 4* Increased antigen and bacterial uptake in follicle associated epithelium induced by chronic spychological stress in rats. Discussion Introduction L’injection de dexaméthasone ne produit pas d’effet à 28 jours, mais en produit à 42 jours. Comment expliquer cela ? Je pense qu’il faut un certain temps pour que la dexaméthasone ait un effet antiinflammatoire et qu’elle élimine complètement l’inflammation. En pratique clinique, les patients réagissent plus ou moins vite aux corticoïdes. La muqueuse intestinale est une interface entre l’organisme et le milieu extérieur. Elle est donc exposée à de nombreux stimuli antigéniques provenant de l’alimentation, mais aussi de l’environnement. Nous avons une flore intestinale résidente propre à chacun. La muqueuse intestinale, lieu d’absorption des nutriments, peut également contenir des micro-organismes pathogènes. L’épithélium associé au follicule, ou EAF (que l’on trouve dans la muqueuse intestinale), recouvre les plaques de Peyer. Cet épithélium est la porte d’entrée d’antigènes particulaires et de macromolécules ; il est principalement composé de cellules M qui participent à la phagocytose d’antigènes et de bactéries. L’infection à Trichinella existe-t-elle chez l’homme ? Ce modèle serait-il pertinent ? L’infection à Trichinella existe chez l’homme, mais elle est peu fréquente en France. Dans le cas d’une infection par un parasite, on observe des hypersensibilités à très long terme. Les parasites sont plus faciles à manipuler que des virus ou des bactéries à l’origine d’infections plus fréquentes. Les patients contaminés en Afrique par Trichinella présentent un profil cytokinergique qui passe de TH1 à TH2. On peut donc imaginer utiliser ce parasite pour modifier Des études antérieures ont montré que le stress chronique est capable de moduler l’activité inflammatoire dans la maladie de Crohn, et que, chez les rongeurs, un stress important était un facteur de risque pour le développement et la réactivité de l’inflammation intestinale. De plus, le stress est -73- AlimH2006 73 28/06/07 8:30:01 reconnu pour entraîner la libération de CRF, l’attachement des bactéries et l’hyperplasie de cellules matures qui entraînent l’initiation de l’inflammation. Enfin, l’épithélium intestinal villositaire est sensible au stress. Les auteurs de cet article se sont interrogés sur l’effet du stress sur la fonction et la morphologie de l’épithélium associé au follicule. Conclusions Il y a une modulation de la fonction de barrière de l’épithélium associé au follicule par le sress, cette fonction étant appréciée d’après la perméabilité aux ions à une molécule marquée et également à une protéine. On a visualisé des modifications structurelles et on peut dire qu’en cas de stress chronique il y a une capture d’antigènes et de bactéries par l’épithélium associé au follicule. Tout cela permet l’initiation de la réponse immune pro-inflammatoire de l’intestin. Existe-t-il des stabilisateurs de la perméabilité intestinale ? Certaines molécules marchent sur des modèles animaux, mais n’ont pas encore passé les tests toxicologiques. D’autres molécules, qui préviennent la contraction et la phosphorylation des filaments d’actine et de myosine des cellules épithéliales, sont en cours de développement. Et le mucus ? Le mucus est la première barrière, la première sauvegarde. Les bactéries le franchissent très bien. Que le passage soit transcellulaire ou paracellulaire, il faut de toute façon passer la barrière du mucus. Le stress joue sur la sécrétion de mucus et a tendance à l’augmenter. Discussion En quoi consiste le stress ? Pourquoi estce que les rats ont peur ? Pourquoi les rats témoins ne sont pas stressés ? En général, lors du test d’évitement, les rats restent sur le cube ; ils ont le poil hérissé ; ils ont une hypertonie sympathique et ils ne bougent pas. Les témoins sont libres de leur mouvement. Le test du c-fos ne montre aucune activation neuronale chez les témoins. Pourquoi n’ont-ils pas regardé s’il y avait une translocation des antigènes bactériens dans les ganglions, voire dans la veine porte ? Effectivement, ce paramètre manque. Une étude de Ferrier, publiée dans Gastroenterology un ou deux ans auparavant, a montré que cette translocation se faisait essentiellement par voie paracellulaire. Les auteurs ont depuis complété leur étude en regardant ce qui se passait au niveau des entérocytes pour la perméabilité non liée au follicule. Y a-t-il des effets dose du stress ? Tout dépend du type de stress, de l’espèce, du moment, du stress et de la sensibilité au stress. On ne peut pas forcément extrapoler un stress chez le rat à un stress chez l’homme, car chez ce dernier tout le vécu de la personne doit être pris en compte. De plus, chaque individu réagit différemment au stress. Chez l’animal, l’histoire du vécu joue aussi mais la mémoire s’estompe plus vite. Il n’existe pas réellement de modèle animal qui représente ce que peut -74- AlimH2006 74 28/06/07 8:30:01 être le stress lié à un décès d’une personne chère chez l’homme ou des conditions comme les abus sexuels. Néanmoins, le stress d’interactions sociales (présence d’un mâle agressif ou réduction de la taille des cages) permet d’obtenir des conséquences identiques à celles de l’homme, même si cela ne représente pas le stress de l’homme. Il existe plusieurs profondeurs d’hypnose. Les patients sous hypnose sont dans un état suggestible. L’hypnose modifie la répartition d’imagerie cérébrale. L’objectif est de transmettre aux patients des images ou des suggestions post-hypnotiques qu’ils pourront emporter avec eux après et de renforcer leur « moi », car ce sont souvent des gens qui ont une mauvaise opinion d’eux-mêmes. Quelle est la définition biologique du stress ? Il s’agit de la réaction de l’organisme à un évènement extérieur. Les réactions des rats sont beaucoup plus stéréotypées que celles des humains. Le terme stress est souvent employé pour désigner les stimuli. Il conviendrait plutôt d’employer le terme « stresseur » pour les stimuli. Le CRF diminue-t-il chez les patients sous hypnose ? A ma connaissance, il n’y a pas de données sur ce sujet. Les travaux de l’équipe de Whorwell montrent que les patients ayant un seuil élevé de sensibilité à la distension retrouvent une valeur normale après hypnose. Par ailleurs, les zones qui normalement sont plus activées chez les personnes atteintes d’un SII (par exemple les zones du cortex cingulaire antérieur) sont moins ativées après une séance d’hypnose. Vous avez parlé d’hypnose sans nous dire sur quoi elle agit, ni ce qu’elle fait. L’hypnose est un état modifié de conscience. Toute relaxation induit une hypnose. -75- AlimH2006 75 28/06/07 8:30:01 Bruno Bonaz, Professeur d’Université et praticien hospitalier Département d’Hépato-Gastroentérologie CHU de Grenoble Articles analysés Article 1 - présenté par Anne-Laure Dinel (Unité de Neurobiologie intégrative – INRA Bordeaux) « Hypothalamic-Pituitary-gut dysregulation in irritable bowel syndrome: plasma cytokine as a potential biomarker ? » – Gastroenterology; 2006 ;130 :304-311 Thimothy G. Dinan et al. Article 2 - présenté par Géraldine Mathieu (Unité de Nutrition et Régulation Lipidique des Fonctions Cérébrales – INRA Jouy-en-Josas) « Repeated exposure to water avoidance stress in rats: a new model for sustained visceral hyperalgesia » – Am J Physiol Gastrointest Liver Physiol 289: G42 – G53, 2005 Sylvie Bradesi et al. Article 3 - présenté par Léa Chaskiel (Unité de Neurobiologie intégrative – INRA Bordeaux) « Visceral hyperalgesia and intestinal dysmotility in a mouse model of postinfective gut dysfunction » – Gastroenterology; 2004;127:179-187 Premysl Bercik et al. Article 4 - présenté par Coralie Schnebelen (Unité Flaveur, Vision et Comportement du Consommateur, INRA Dijon) « Increased antigen and bacterial uptake in follicle associated epithelium induced by chronic spychological stress in rats » Gut; 2004;53;494-500 AK Velin et al. -76- AlimH2006 76 28/06/07 8:30:01 Les pathologies digestives dites «fonctionnelles» Lionel Bueno Introduction tielle de consultation, en particulier chez les généralistes ; - la douleur abdominale fonctionnelle. La douleur des patients, qui ne présentent pas de troubles de la défécation, n’a pas de cause organique. Les critères de Rome Il existe 2 grandes catégories de troubles digestifs fonctionnels : • le reflux gastro-œsophagien (RGO) et le reflux duodénum gastro-œsophagien (RDGO). Le RGO concerne près de 80 % des patients et le RDGO 20%. Ces derniers représen-tent 7 ou 8% de la population ayant un véritable reflux, c’est-à-dire un passage de contenu gastrique dans l’œsophage. Cela ne se traduit pas forcément par un endobrachyœsophage, mais on observe une irri-tation et une réponse inflammatoire de la muqueuse. • les troubles fonctionnels intestinaux. Les troubles fonctionnels intestinaux concernent, selon les critères utilisés, 5 à 20% de la population. Quatre sous-types ont été identifiés : - la dyspepsie se caractérise par des symptômes de brûlure, de distension épigastrique, de ballonnement postprandial ; - le syndrome de l’intestin irritable (SII ou IBS pour irritable bowel syndrome). Ce syndrome présente des formes diarrhéiques, des formes constipées, des formes alternées (diarrhée/constipation) et des formes postinfectieuses. Une nouvelle forme de SII a été identifiée (bacterial overgrowth), mais elle n’est pas encore entrée dans la classification officielle ; - la constipation chronique n’est pas associée à la douleur, mais est une cause essen- Les critères de Rome II qui définissent le syndrome de l’intestin irritable sont très restrictifs ; pour dire qu’une personne est atteinte de ce syndrome, il faut qu’elle ait : • des douleurs abdominales pendant au moins 12 semaines, non obligatoirement consécutives, au cours des 12 derniers mois ; • au moins deux des trois caractéristiques suivantes : être soulagée par la défécation, le début des douleurs doit être associé à une modification de la fréquence des selles ou à une modification de la forme des selles. Les critères de Rome III, publiés en juin 2006, sont moins restrictifs : 4 semaines de douleurs abdominales et une des trois caractéristiques suffisent. Données physiopathologiques du SII Les patients SII présentent une muqueuse normale. Tous les paramètres chimiosanguins sont normaux. De 1970 à 1985, on a tenté d’associer les troubles de l’élimination à des troubles de la motricité. On s’est ensuite intéressé aux troubles de la sensibilité impliquée dans un certain nombre de réflexes moteurs, réflexes courts, réflexes longs spinaux ou supra-spinaux. Depuis 2000, on recherche des facteurs qui pourraient être responsables de cette hypersensibilité du tube digestif, en particulier ceux liés à des anomalies de l’équilibre -77- AlimH2006 77 28/06/07 8:30:02 immunitaire de la muqueuse chez ces patients, avec un état qui pourrait être microinflammatoire. Facteurs impliqués dans l’apparition des troubles de sensibilité et de motricité On pensait, au début, que des phénomènes d’allergie étaient sous-jacents dans le syndrome de l’intestin irritable. Des séquelles de gastro-entérite ou d’entérite sont elles aussi susceptibles de modifier l’état d’équilibre du système immunitaire muqueux. La chirurgie abdominale peut entraîner des séquelles d’altération du système immunitaire. Le parasitisme, l’intolérance alimentaire, certains xénobiotiques, le traitement aux antibiotiques par voie orale, et un choc septique sont des facteurs impliqués dans l’apparition de ces troubles. Hypersensibilité Lors d’une distension expérimentale du rectum, moins de 10% des sujets sains ont des sensations de répulsion, d’inconfort ou de douleur, contre 50 à 60% des sujets atteints d’un syndrome de l’intestin irritable. Cela démontre une hypersensibilité. Selon le type du SII, l’hypersensibilité est panintestinale (c’est-à-dire qu’elle englobe toutes les parties du tube digestif) ou seulement localisée à certaines parties du tube digestif, en général le côlon et le rectum. Schéma de la sensibilité En cas de douleur somatique ou viscérale, un stimulus à la périphérie (par activation d’un récepteur) induit un influx nerveux qui atteint la corne dorsale. Au niveau de cette corne, un interneurone active un neurone de second ordre qui projette ses terminaisons neuronales, le plus souvent au niveau du thalamus (on l’appelle alors le faisceau spino-thalamique). A partir de là, les signaux à caractère nociceptif sont plus ou moins filtrés au niveau du système limbique avant d’atteindre le cortex. Par l’imagerie fonctionnelle, on peut mettre en évidence l’activation de certaines zones du cortex lors d’une stimulation, par exemple lors d’une distension du rectum ou du côlon. Les altérations chez le sujet atteint du SII se situent à différents niveaux : • au niveau périphérique, avec une sensibilisation des mécanorécepteurs ou des chémorécepteurs au niveau des terminaisons des neurones afférents primaires ; • au niveau périphérique, mais cette fois avec un phénomène de facilitation dû aux tachykinines et aux acides aminés excitateurs ; • au niveau du thalamus ; un filtrage altéré laisse passer beaucoup plus d’informations nociceptives. Les informations nociceptives sont filtrées mais elles peuvent être amplifiées ou atténuées au niveau périphérique, au niveau spinal, par les faisceaux diffus anti-nociceptifs descendants. L’étude des publications montre une cellularité accrue, c’est-à-dire la présence d’immunocytes ou de cellules du système immunitaire en densité plus forte, dans toutes les formes d’intestin irritable (SII diarrhéique, constipé, alterné, post-infectieux). Les auteurs constatent également une augmentation de la cellularité concernant les cellules entérochromaffines et les cellules interstitielles de Cajal, ainsi qu’une hypermastocytose (augmentation de la densité des mastocytes). Cette dernière se situe essentiellement au niveau de la muqueuse, du jéjunum, de l’iléon, du cæcum ou du côlon. -78- AlimH2006 78 28/06/07 8:30:02 Inflammation Cellularité colique et infiltration lymphocytaire Une étude, publiée dans Gastroenterology en 2002, a montré une augmentation significative des cellules de l’immunité dans la muqueuse (CD3, CD25, lymphocytes intraépithéliaux) chez des sujets SII diarrhéiques ou constipés. Un autre travail, publié en 2005, a montré un niveau plus élevé de CD4, CD8 et adressine b7 chez les sujets SII. Le prélèvement de biopsies intestinales chez des patients SII sévères (soit 5 à 10% des sujets) a montré, au niveau des couches musculaires et en particulier au niveau des ganglions myentériques, une véritable lymphocytose ganglionnaire. La cellularité au niveau du plexus myentérique, pour ces formes sévères du SII est quelquefois beaucoup plus importante que dans des pathologies infectieuses sévères. Cytokines On constate une augmentation significative de l’expression d’une cytokine pro-inflammatoire chez les sujets diarrhéiques postinfectieux. Un autre travail, publié en 2006, a étudié l’expression au niveau sanguin des taux plasmatiques de cytokine, et en particulier d’IL-6 ou de son récepteur soluble. Les résultats ne permettent pas de définir le taux plasmatique de cytokine comme un biomarqueur. Mastocytes Relations entre les terminaisons nerveuses et les matocytes muqueux chez les patients SII Le mastocyte joue un rôle déclencheur dans la réaction inflammatoire locale, parce qu’il libère du TNF et une cascade d’autres molécules. Il permet d’organiser la réponse inflammatoire au niveau local. Une hyper mastocytose est présente chez une majorité de patients SII. Les terminaisons nerveuses sont beaucoup plus nombreuses à proximité des mastocytes chez les sujets malades. On a mis en évidence un lien entre des anomalies de type anatomique (c’est-à-dire dans la distribution des terminaisons nerveuses à proximité des mastocytes) et des symptômes douloureux (intensité et fréquence des douleurs). Principaux facteurs produisant la dégranulation ou l’activation des mastocytes muqueux Les principaux facteurs sont le stress, l’allergie, l’inflammation, l’infection et l’activation du système sympathique. La dégranulation de l’histamine, des cytokines, des protéases, du NGF et des leucotriènes est rapide. Pour entretenir les réactions de défense, les sécrétions de cytokines et de chemokines sont plus tardives. La dégranulation des cytokines par les mastocytes dépend des facteurs déclenchants. Le TNF-a est plus facilement libéré en cas d’inflammation par exemple. Densité des mastocytes muqueux : dégranulation en réponse à un stimulus mécanique Chez les patients SII, des contractions accrues exercent une certaine pression sur la paroi des mastocytes. Dans des conditions normales, des mécanorécepteurs sont activés ; cette activation n’entraîne pas de perception, mais entretient un certain nombre de réflexes (cologastriques, rectocoliques) entre les différentes parties du tube digestif. -79- AlimH2006 79 28/06/07 8:30:02 En état d’hypermastocytose, le même stimulus mécanique fait dégranuler les mastocytes, entraînant la libération de substances qui vont sensibiliser les terminaisons et les mécanorécepteurs. Ainsi, pour un même stimulus mécanique, un contingent d’activations arrive au niveau de la corne dorsale ; il peut être double, triple ou multiplié par dix selon la densité des mastocytes. Chez les patients SII, la stimulation du système immunitaire correspond à un état préinflammatoire, c’est-à-dire que le système immunitaire a été préparé à mieux répondre en cas de sollicitation. Il peut aussi s’agir d’une activation en vue d’alerter le système nerveux d’une anomalie dans le tube digestif. Les mastocytes, une fois sensibilisés, donnent l’alerte très rapidement via des messages à caractère nociceptif. Perméabilité paracellulaire Augmentation de la perméabilité chez les sujets SII Un système sollicité par une entrée accrue d’allergènes, d’antigènes, de toxines et de bactéries se trouve dans un état pré-inflammatoire avec des altérations de la perméabilité, en particulier paracellulaire. Une étude publiée en 2004 par Marshall a montré que les patients SII post-infectieux ou non ont une augmentation de la perméabilité paracellulaire. On suppose qu’une augmentation de la perméabilité entraîne une augmentation de la pénétration des allergènes, des antigènes, des toxines et des bactéries entre les cellules épithéliales, et donc une activation des immunocytes localement et une libération de cytokines. Cette réponse inflammatoire et les médiateurs de l’inflammation vont altérer le fonctionnement du système nerveux entérique qui règle essentiellement la motricité. Ceci pourrait expliquer à la fois les troubles moteurs et les troubles de la sensibilité. Plusieurs études ont montré qu’il y avait des altérations de la perméabilité paracellulaire colique chez les SII diarrhéiques, alors qu’elles se produisent exclusivement au niveau de l’intestin grêle chez les patients présentant un syndrome post-infectieux. Chez les patients SII qui ont des altérations de la perméabilité paracellulaire, des tests de sensibilisation cutanés ont montré une plus grande réactivité à des antigènes alimentaires. Lien entre hypersensibilité et perméabilité Le stress aigu, le stress néonatal, la perfusion intracolique de sels biliaires, l’activation des récepteurs aux protéases, l’administration intracolique de trypsine, des allergènes et le choc septique sont autant de facteurs qui augmentent la sensibilité et la perméabilité. L’utilisation de 2,4,6 triaminopyrimidine, qui se fixe au niveau des protéines des jonctions serrées intercellulaires, bloque cette augmentation. Il y a donc un lien pour tous ces facteurs entre l’augmentation de la perméabilité et l’apparition d’un état d’hypersensibilité viscérale. Le syndrome de l’intestin irritable touche beaucoup plus de femmes que d’hommes (70% contre 30%). Une étude a montré, chez des rats femelles, que la perfusion de 2,4,6 triaminopyrimidine dans le côlon supprime totalement la réponse au stress et l’augmentation de la perméabilité. -80- AlimH2006 80 28/06/07 8:30:02 Le stress entraîne la dégranulation des mastocytes. Il faut une libération d’interféron-g pour provoquer une cascade entre le stress et l’augmentation de la perméabilité. L’interféron-g active une enzyme intracellulaire, la kinase de la chaîne légère de myosine (MLCK). Cette MLCK catalyse la phosphorylation des chaînes légères de myosine qui interviennent dans l’anneau périjonctionnel d’actomyosine pour provoquer sa contraction. Cette contraction entraîne la déformation des protéines de jonctions, et donc une augmentation de la perméabilité, qui se traduit aussi par une translocation bactérienne. L’augmentation de perméabilité induite par le stress et l’hypersensibilité est supprimée par des inhibiteurs sélectifs de MLCK. L’effet du stress lié à la contraction du cytosquelette, qui permet le passage des bactéries, provoque l’état d’hyperalgésie. L’utilisation d’un inhibiteur sélectif de MLCK supprime l’état d’hyperalgésie et l’augmentation de la perméabilité. Les deux phases de l’hypersensibilité Il y aurait deux phases dans l’hypersensibilité : • l’hypersensibilité immédiate pour mettre le système en alerte : la libération immédiate de molécules comme la sérotonine, la tryptase, le NGF provoque une activation des terminaisons nerveuses pourvues de récepteurs à ces molécules. • un maintien de l’état d’hypersensibilité : l’alerte via la libération de cytokines à travers les lymphocytes entraîne une augmentation de la perméabilité. Rôle des protéases Les patients SII ont probablement une flore intestinale modifiée. Par exemple, les espèces de lactobacilles qui ont une forte activité de sécrétion d’anti-protéases sont absentes. L’augmentation de l’activité sérine protéase observée chez les patients IBS peut être liée à une diminution de l’activité antiprotéasique. Conclusions • Il existe des altérations du système immunitaire de la paroi digestive dans toutes les formes de SII pouvant résulter d’altérations de la perméabilité paracellulaire intestinale ou colique. • Ces altérations concernent principalement la muqueuse et la sous-muqueuse coliques, mais les infiltrations peuvent atteindre les couches musculaires et les plexus myentériques. • Les médiateurs de l’inflammation libérés par les immunocytes peuvent intervenir dans la genèse des troubles moteurs et de l’hypersensibilité. • Le mastocyte, de par sa position privilégiée par rapport aux terminaisons nerveuses, libère des médiateurs pro-algésiques. Il est un élément essentiel dans le déclenchement des altérations à long terme de la barrière épithéliale et l’activation du système immunitaire local. Discussion Certaines altérations du système nerveux entérique chez les patients SII pourraientelles expliquer les altérations de la perméabilité ? Les biopsies de muqueuses ne permettent pas d’étudier le système nerveux entérique. Evidemment, des neuropeptides qui participent à la régulation de la motricité -81- AlimH2006 81 28/06/07 8:30:02 peuvent être altérés. A ma connaissance, on n’a pas clairement identifié une diminution de l’expression ou de la sécrétion de certains neuromédiateurs sensoriels. Article 1* Activated mast cells in proximity to colonic nerves correlate with abdominal pain in irritable bowel syndrome. Introduction sensibilité viscérale serait due à l’activation de certaines cellules de l’immunité intestinale que sont les mastocytes. L’objectif de l’étude était d’évaluer l’impact du recrutement des mastocytes et de leur état d’activation sur la sévérité et la fréquence des douleurs abdominales chez les patients SII. L’originalité de l’étude est de mettre en relation cette présence de mastocytes avec les symptômes ressentis et décrits par les patients. Conclusions Le syndrome de l’intestin irritable est associé à des symptômes gastro-intestinaux (douleurs abdominales, troubles du transit, diarrhée ou constipation ou alternance des deux, ballonnements, émission de mucus, nausées ou vomissements), des modifications psychologiques (fatigue, anxiété, émotivité, état névrotique ou dépressif) et des manifestations extradigestives (migraine, palpitations, lombalgie…). 60 à 70% des patients ont une hypersensibilité à la distension mise en évidence avec l’utilisation du barostat. L’origine de l’hypersensibilité viscérale peut être due à des altérations à trois niveaux : sensibilité des neurones afférents de la paroi digestive, hyper excitabilité des neurones de la corne dorsale et problème d’altération du message de la douleur au niveau supra-spinal. Dans cet article les auteurs se sont attachés à disséquer des mécanismes possibles de sensibilisation des neurones afférents de la paroi digestive, donc à l’origine de l’hypersensibilité viscérale présentée par les patients SII. Ils posent une hypothèse : l’hyper- La muqueuse intestinale des patients présente une surface importante occupée par les mastocytes, en comparaison avec les sujets sains. Ces patients ont une activité tryptase et histamine plus importante et un nombre élevé de mastocytes proches des fibres nerveuses. Il existe une corrélation positive entre les mastocytes proches de ces fibres nerveuses et leur taux de dégranulation avec la fréquence et la sévérité des épisodes douloureux. Intérêts de l’article Les auteurs mettent en évidence une mastocytose significative seulement chez les patients SII présentant une inflammation du côlon. Cet article permet par ailleurs de mettre en place un schéma mécanistique où le rôle causal de certains facteurs (stress, allergies alimentaires, infections digestives et maladies inflammatoires chroniques en rémission qui induiraient un état in- -82- AlimH2006 82 28/06/07 8:30:02 flammatoire du côlon) est mis en évidence. Les auteurs montrent clairement que la dégranulation des mastoctes va agir sur les nerfs intrinsèques, ce qui aboutit à une altération de la sensibilité viscérale. Discussion Quel est le rôle des mastocytes dans les troubles du transit intestinal ? Le mastocyte est une cellule de l’immunité innée qui joue un rôle dans la défense de l’organisme et l’élimination des antigènes pathogènes. L’histamine est capable de se fixer à des récepteurs sur des neurones sécrétomoteurs du système myentérique. L’activation des neurones sécrétomoteurs permet la libération d’acétylcholine et de VIP, qui activent des cryptes intestinales appelées cryptes de Lieberkühn. L’activation de ces cryptes provoque une augmentation de la sécrétion d’eau et de mucus. L’histamine intervient également, par d’autres relations neuro-immunes, dans la génération de contractions et d’un effet propulsif au niveau du tube digestif. Chez l’individu sain en situation physiologique, l’activation du mastocyte par pontage des IgE qui reconnaissent l’antigène rencontré pour la deuxième fois aboutit à la sécrétion d’eau et de mucus, mais aussi à des contractions propulsives du type digestif, et donc à la diarrhée qui entraine l’élimination de l’antigène. Chez l’individu malade, l’augmentation du nombre de mastocytes et de sa dégranulation conduit au phénomène de diarrhée. Par contre, on pense que ce phénomène ne peut pas expliquer les constipations qui sont aussi présentes que les diarrhées dans ce syndrome. Quels rôles jouent les autres médiateurs libérés par les mastocytes ? Des médiateurs, autres que l’histamine et la tryptase libérés par les mastocytes, sont très importants dans les phénomènes d’hypersensibilité, et notamment le NGF dont le rôle est connu après fixation sur le récepteur tyrosine-kinase A du nocicepteur. Il est dommage que les auteurs n’aient pas mesuré le NGF, les prostaglandines, les leucotrienes, ni les cytokines pro-inflammatoires libérées par les mastocytes qui interviennent également dans les phénomènes d’hyperalgésie. La sérotonine est-elle exprimée par les mastocytes chez l’homme ? Le mastocyte ne contient pas de sérotonine chez l’homme. Par contre, un réflexe d’axone peut induire une libération de sérotonine par les neurones afférents primaires intrinsèques ou extrinsèques en réponse à une dégranulation mastocytaire. Quel marché représentent les patients SII ? On estime que le marché atteindra 3 milliards de dollars dans quelques années. Néanmoins, les effets placébo peuvent atteindre 50% dans les essais de phase II ou de phase III avec sélection sur la base des critères de Rome II. Pour convaincre les autorités européennes qui délivrent les autorisations de mise sur le marché, il faut une efficacité de 65%. On a l’impression que les symptômes sont très différents dans ce syndrome. Est-ce vraiment la même maladie ? Il y a du vrai dans ce que vous dites. Dans cette étude, certains patients qui ont des intensités de symptômes proches de zéro -83- AlimH2006 83 28/06/07 8:30:03 ont été inclus, ce qui introduit un biais dans les résultats. Comment peut-on expliquer que le même substratum physiopathologique peut induire de la diarrhée ou de la constipation ? On part trop facilement du principe que diarrhée est synonyme d’hypermotricité et constipation d’absence de motricité. Or, il existe des diarrhées sans stimulation de motricité et des constipations avec une hypermotricité, mais qui serait stationnaire. On peut imaginer que l’intervention et la modulation de l’activité motrice au niveau des neurones entériques peuvent être différentes selon la quantité dégranulée, et donc donnent des profils complètement différents. Beaucoup d’études ne séparent pas les patients constipés et diarrhéiques, ce qui peut introduire un biais. Article 2* Stress-induced disruption of colonic epithelial barrier: role of interferon-g and myosin light chain kinase in mice. Introduction Le stress est capable d’augmenter la perméabilité cellulaire, c’est-à-dire le passage paracellulaire de molécules au travers de l’épithélium intestinal. Cette augmentation de perméabilité paracellulaire induit une augmentation du passage d’antigènes et de produits bactériens, qui vont être à l’origine d’une modulation du système immunitaire et de la réponse inflammatoire. Le stress est également un facteur aggravant des maladies inflammatoires intestinales. On sait que la perméabilité est principalement contrôlée par les jonctions serrées (tight junctions). Les complexes protéiques des jonctions serrées sont composés de nombreuses protéines. Les plus étudiées sont : ZO1, claudine 4 et l’occludine. Elles sont en étroite liaison avec le cytosquelette d’actine au niveau de l’anneau périjonctionnel d’actine. On sait aussi que la phosphorylation des MLC est un élément régulateur des jonctions serrées et de la perméabilité, et que les cytokines sont capables de moduler la perméabilité paracellulaire dans les études in vitro. L’objectif des auteurs était de comprendre les mécanismes de régulation qui soustendaient l’augmentation de la perméabilité induite par le stress et de décrire plus précisément le rôle de l’interféron-g dans cette modulation de la perméabilité. Conclusions Il semblerait que l’on ait, au niveau du côlon, une réponse primaire au stress avec une activation de cellules productrices d’interféron-g (CD4+ ou CD8+) ; cela passerait probablement par le mastocyte, et aboutirait à une augmentation de l’expression d’interféron-g et donc du taux de cette cytokine dans le côlon. L’augmentation de cette cytokine dans le côlon permettrait une activation (qui ne passe pas par une augmentation de l’expression de la MLCK) qui conduirait à une augmentation de la forme phosphorylée des MLC et à l’ouverture des jonctions serrées. L’interféron est capable de diminuer l’expression de ZO1 et d’occludine, ce qui pourrait -84- AlimH2006 84 28/06/07 8:30:03 être aussi un facteur favorisant l’ouverture des jonctions serrées. Cette ouverture des jonctions serrées entraînerait l’augmentation de la translocation bactérienne et de la perméabilité. Le passage des antigènes ou des bactéries aboutirait à une réponse inflammatoire, qui se caractériserait par une réponse physiologique du foie avec une augmentation de l’apoptose et du nombre des cellules inflammatoires ; ceci aurait pour conséquence d’augmenter l’expression des cytokines dans ce tissu et d’activer des cellules de Kuppfer, responsables en particulier de la production d’IL-4 et d’IL-10. Il est intéressant de voir que les auteurs ont utilisé un inhibiteur de MLCK, le ML-7, qui n’est pas capable d’inhiber l’augmentation d’expression d’interféron-g dans le côlon, mais qui inhibe la translocation bactérienne et l’augmentation de perméabilité en réponse au stress dans le foie. Discussion A quoi est due l’augmentation de la perméabilité observée après 4 jours ? On s’est aperçu qu’il n’était pas nécessaire de répéter le stress car il y avait un effet retardé d’augmentation de perméabilité à 4 jours. On observe un effet très fugace immédiat d’augmentation de perméabilité le 1er jour, qui lui n’est pas mastocyte dépendant, et un effet à 4 jours qui est mastocyte dépendant. On ne peut exclure le fait que les souris qui ont un stress assez fort pendant 4 jours déclenchent une réaction de type CRH. Lorsqu’on applique un stimulus inflammatoire après des stress répétés, l’axe corticotrope n’a plus la même réactivité. Il se défend moins bien parce des feedbacks de régulation de la sécrétion de CRH ont été mis en place. Article 3* Intestinal permeability in patients with irritable bowel syndrome after a waterborn outbreak of acute gastroenteritis Walkerton. Introduction A Walkerton (Ontario), en 2000, l’eau du robinet a été contaminée par E. coli 0157 :H7 à cause d’un agriculteur qui avait mal contrôlé ses fosses à purin. Les bovins sont porteurs sains de cette bactérie très pathogène pour l’homme. 2 300 cas de gastro-entérite aiguë, 27 cas de syndrome hémolytique et urémique et 6 décès ont été déclarés. L’auteur a étudié la perméabilité paracellulaire de ces patients par collecte d’urine après ingestion de lactulose et de mannitol. Différents types de sujets ont participé à cette étude : • des patients IBS qui sont devenus IBS entre l’accident et le moment de l’étude, sans lien avec l’accident. • des personnes IBS qui n’étaient pas IBS avant l’accident et qui sont devenues IBS après l’accident (véritables patients postinfectieux). -85- AlimH2006 85 28/06/07 8:30:03 Conclusions Le choix du lactulose est discutable Les auteurs concluent que «le syndrome de l’intestin irritable est associé avec des symptômes discrets de la perméabilité paracellulaire, indépendamment de la présence ou non d’une gastro-entérite». Discussion Les résultats sont discutables Sur les 2 300 personnes touchées par la gastro-entérite, seules 35 et 36 personnes correspondant aux deux types de sujets identifiés ont participé à l’étude. Cet échantillon ne permet pas de montrer une différence significative entre les patients IBS post-infectieux, non post-infectieux et les contrôles. Les auteurs font ressortir que les patients qui ont une perméabilité accrue seraient surtout des diarrhéiques. Ils ne définissent néanmoins pas en quoi consistent les crises des 132 patients étudiés. Les auteurs ont utilisé le lactulose, un isomère du lactose. Le lactulose est dégradé par les enzymes bactériens. Il est utilisé à des fins thérapeutiques car c’est un laxatif. Il est aussi utilisé pour détecter les infections bactériennes au niveau de l’intestin grêle. Il accélère le transit du grêle et cela de façon indépendante de sa dégradation par les bactéries. Cet effet pharmacologique reste inexpliqué. L’utilisation de lactulose dans cette étude permet de mesurer la perméabilité dans l’intestin grêle mais pas dans le côlon, car le lactulose est détruit par les bactéries dès son entrée dans le côlon. Il est donc faux de conclure que les patients n’ont des troubles de la perméabilité que dans l’intestin grêle. L’étude du côlon nécessite l’utilisation de chrome 51, une molécule qui ne passe que par les jonctions paracellulaires (et non par la voie intracellulaire). -86- AlimH2006 86 28/06/07 8:30:03 Lionel Bueno, Directeur de recherche Unité de Neurogastroentérologie et Nutrition - INRA, Toulouse Articles analysés Article 1 - présenté par Romy Fischer (Unité de Physiologie de la nutrition et du comportement alimentaire, INA-PG Paris) « Activated mast cells in proximity to colonic nerves correlate with abdominal pain in irritable bowel syndrome », Giovanni Barbara et al., Gastroenterology 2004;126:693-702 Article 2 - présenté par Pascal Fanca (Unité Physiologie des adaptations nutritionnelles, INRA Nantes) « Stress-induced disruption of colonic epithelial barrier: role of interferon-? and myosin light chain kinase in mice », Laurent Ferrier et al., Gastroenterology 2003;125:795-804 Article 3 - présenté par Jean Fioramonti, chef de department adjoint Alimentation humaine « Intestinal permeability in patients with irritable bowel syndrome after a waterborn outbreak of acute gastroenteritis Walkerton , Ontario », JK Marshall et al., Aliment Pharmacol Ther 2004:20:1317-1322 -87- AlimH2006 87 28/06/07 8:30:03