Le Pharaon Akhénaton rend visite a Calvin

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Genève
Le Pharaon Akhénaton
rend visite a Calvin
Hasard des calendriers. Alors que l’on s’apprête à fêter en 2009 les 500 ans de la naissance
de Calvin, réformateur de son état, voilà qu’un autre réformateur, le pharaon Akhénaton, et son
épouse Néfertiti, s’invitent au Musée d’Art et d’Histoire de Genève.
Bâtisseur spirituel, tout comme Calvin, Akhénaton a en outre été un bâtisseur urbaniste qui a
marqué son temps (14 siècles avant JC!) puisqu’il a fait édifier, à la gloire d’un dieu unique, une
ville entièrement nouvelle au bord du Nil: Akhétaton.
H
eureux hasard. En effet
Akhénaton et Calvin, sans
le savoir, ont eu de nombreux points communs. D’abord
tous deux sont des réformateurs,
qui ont rompu de façon radicale
avec la religion officielle de leur
temps et en ont dénoncé les déviances. Ensuite, tous deux ont façonné une cité à leurs idées. Akhénaton en faisant construire de toute
pièce une nouvelle ville, Akhétaton,
située au bord du Nil, entièrement
vouée au culte d’Aton. Calvin en réglementant le quotidien des Genevois à l’image des exigences, drastiques, de sa réforme (l’expression
«calviniste» colle d’ailleurs encore à
la peau de certains Genevois).
Cette rencontre fortuite à Genève
de deux réformateurs, que séparent
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près de trois mille ans d’histoire et
qui ont chacun marqué leur temps,
constitue une coïncidence trop
heureuse pour être passée sous silence.
L’Egypte antique à son apogée
Le règne d’Akhénaton (1353-1337 av.
JC) s’inscrit dans le cadre de la XVIIIe
dynastie qui a «inauguré» l’ère du
Nouvel Empire. Cette période a été
l’une des plus glorieuses de l’histoire égyptienne. La XVIIIe dynastie
(avec près de trois siècles de longévité) a vu défiler pas moins de 14
pharaons, dont la première femme
pharaon, Hatchepsout, et l’un des
plus connus (plus par la découverte
de sa tombe, presque intacte, que
par son mérite): Toutankhamon.
Lorsque le père d’Akhénaton, le
Pharaon Aménophis (IIIe du nom),
prend le pouvoir, l’Egypte est à son
apogée.
D’abord par les limites de son territoire qui s’étend, par le jeu des
alliances ou … des guerres, au sud
jusqu’en Nubie et au nord-est jusqu’en Mésopotamie. Ensuite, ce
qui va souvent de pair, par le commerce florissant entretenu avec ces
contrées (et même au-delà). Enfin
par le développement privilégié (ce
qui va aussi de pair) de l’art, notamment en termes de sculpture et
d’architecture.
Parmi les vestiges du Nouvel Empire
qui ont survécu au passage de plus
de trois millénaires, il convient notamment de citer le temple de Deir
el-Bahari, construit en l’honneur de
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la reine Hatchepsout, ainsi que les
deux colosses de Memnon qui gardaient l’entrée du temple funéraire
d’Aménophis III, père d’Akhénaton.
Les bâtisseurs de
«cathédrales»
La frénésie de construire des monuments impressionnants ne constitue pas un caprice propre aux pharaons du Nouvel Empire.
C’est une (bonne) habitude qui
remontait déjà à l’Ancien Empire
(2780-2400 av. JC). Pour en avoir
un aperçu, il suffit de se référer en
particulier aux trois pyramides monumentales (celles des pharaons
Khéops, Khephren et Mykérinos)
édifiées sur le site de Gizeh, près du
Caire.
Leurs successeurs n’ont manifestement pas voulu être en reste.
Mais qu’est-ce qui faisait courir, ou
plutôt construire, ces lignées de
pharaons?
Et bien tout simplement le double
souci, savamment entretenu par la
caste des prêtres, de mettre tous
les atouts de leur côté pour réussir
leur passage dans le monde éternel
et, en même temps, de laisser une
empreinte indélébile (c’est souvent
réussi) de leur passage sur terre
(on n’est jamais assez prudent avec
l’éternité céleste; mieux vaut par
conséquent s’assurer de son éternité … terrestre).
Ceci pour dire que déjà dans l’Egypte antique, notamment à l’époque
du Nouvel Empire, le clergé (et l’histoire se répétera urbi et orbi les quatre millénaires suivants!) tenaient
fermement les rênes du pouvoir.
Et plus particulièrement à Thèbes,
capitale de l’empire égyptien sous
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Aménophis III, père du futur Aménophis IV, qui prendra, à l’heure de
la réforme, le nom d’Akhénaton.
On ne change pas un dieu
qui gagne
La formule magique pour asseoir
l’influence du clergé et le rendre
indispensable est simple. L’Egypte
doit ses victoires à ses dieux, et
plus précisément à ceux désignés
par les prêtres.
S’en détourner constitue un crime
de lèse-divinité qui mène l’empire
au chaos. Face à une telle évidence, le pharaon n’a qu’à bien se tenir vis-à-vis de ses prêtres et des
dieux qu’ils servent (ou dont ils se
servent!). En échange, le clergé ne
demande rien d’autre qu’une reconnaissance, spirituelle certes mais
surtout matérielle, qui lui permette
d’être soulagé de toute inquiétude
bassement terrestre.
Et sous Aménophis III, le dieu vedette élu par le clergé reste incontestablement, et cela depuis plusieurs siècles, le dieu Amon-Rê.
C’est d’ailleurs sous la bannière de
ce dieu que toutes les guerres de la
XVIIIe dynastie ont été entreprises
et … gagnées, notamment au détri-
ment des Nubiens, des Mitanniens
et des Hittites.
Le tableau de chasse des pharaons
du Nouvel Empire est, par la grâce
divine, déjà considérable.
Les pharaons comprennent si bien
le message divin qu’ils n’ont de
cesse de construire et d’embellir
les temples consacrés à ce roi des
dieux, sans d’ailleurs oublier la
multitude des autres dieux.
Et tout cela pour le plus grand bonheur du clergé, dont le pouvoir était
sans cesse renforcé et qui en touchait les royalties en monnaie sonnante et trébuchante.
Mais avec Akhénaton, le bât va blesser.
Le temps des réformes
En effet, Akhénaton a rapidement
manifesté des velléités de jouer à
l’original, alors même qu’il n’était
que le dauphin de son père Aménophis III, en se trouvant des affinités
avec un autre dieu que le dieu officiel.
Akhénaton se vouait ostensiblement et exclusivement au culte solaire, dédié au dieu Aton, qui personnifie le disque solaire.
En fait, Akhénaton avait de qui te-
nir. Sa mère, Tiyi, la royale épouse
de Aménophis III, avait déjà des
sympathies plus que marquées
pour le dieu Aton. Pour des raisons
plus politiques que religieuses. En
effet, insuffisamment appréciée à
son goût par le clergé de Thèbes qui
trouvait qu’elle manquait de sang
royal, Tiyi a voulu s’en démarquer
formellement en vouant un culte à
un dieu concurrent d’Amon.
Et pour bien montrer à ce clergé,
qui la snobait en raison de ses origines modestes, qui était la reine,
Tiyi lui fit l’affront de baptiser le
bateau royal du nom de «Splendeur d’Aton». Voilà bien un crime
de lèse-divinité qui ne manqua pas
d’émouvoir le clergé de Thèbes,
lequel craignait que la famille du
pharaon ne finisse par se vouer à un
autre saint que le leur.
C’était prémonitoire.
En effet, ce qui devait advenir advient.
La réforme cultuelle
amarnienne
Akhénaton finit par manifester, à
l’instar de sa mère Tiyi, une véritable profession de foi en faveur du
dieu Aton. Pas par simple calcul po-
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Néfertiti, «la belle est venue».
litique comme sa royale mère; mais
avec une sincère ferveur pour un
culte qui lui paraissait plus authentique que celui consacré à Amon,
lequel s’emberlificotait de plus en
plus dans une théologie qui lui paraissait incompréhensible pour le
commun des mortels.
Devenu Pharaon (en 1353 av. JC)
sous le nom d’Aménophis IV, le futur Akhénaton commence à répandre le culte d’Aton au détriment de
celui d’Amon, au plus grand dam
du clergé qui commençait sérieusement à craindre pour ses privilèges.
Le Calvin des temps pharaoniques
commence à s’imposer.
Face à un clergé décidément trop
conservateur et peu enclin à changer ses habitudes religieuses (très
rémunératrices), Aménophis IV finit
par prendre le parti de la rupture.
D’abord il change de nom. Aux
oubliettes, Aménophis IV (en traduction: «celui qui satisfait Amon»);
vive Akhénaton («celui qui plaît à
Aton»). Le ton est donné!
Ensuite, il fait édifier de nombreux
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temples dédiés à Aton et fait effacer
des temples déjà existants toutes
références à Amon (ce qui constitue
un sacrilège et lui vaut de passer
pour un hérétique).
Par ailleurs, le pharaon Akhénaton
s’auto-érige en grand prêtre d’Aton
(ce qui lui fait porter une double
couronne, chose somme toute assez commune en Egypte).
De surcroît, Akhénaton prône le
dieu unique et relègue tous les
autres dieux à des rôles, au mieux,
de figurants. D’où, mais c’est peut
être un trop grand raccourci, la paternité du monothéisme qui lui est
parfois attribuée.
Mais ce n’est pas tout.
Une ville entièrement nouvelle:
Akhétaton
Akhénaton prend son bâton de pèlerin, ainsi que sa charmante épouse
Néfertiti toute acquise à sa cause,
et s’en va construire 300 km plus au
nord de Thèbes, au bord du Nil (sur
le site actuel de Tell el-Amarna),
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une ville entièrement nouvelle qu’il
baptise Akhétaton, ce qui signifie
«l’horizon du disque solaire» (difficile d’être plus clair sur ses intentions).
Cette ville, qui a accueilli jusqu’à
20 000 âmes, constituait un véritable paradis sur terre, entièrement
voué au dieu soleil Aton lequel, en
se levant tous les matins de l’Orient,
le lui rendait bien.
C’est le nom actuel du site, Tell
el-Amarna, qui a donné son nom
(amarnien) à la réforme cultuelle et
artistique inspirée par Akhénaton.
D’Akhénaton à Toutankhamon
Malheureusement, la lune de miel
(ce qui est un comble pour les adorateurs du soleil) du couple royal
allait rapidement se transformer en
enfer terrestre.
On ne connaît pas les dessous de
l’affaire. En revanche, le résultat est
connu.
La ville d’Akhétaton a fini par se vider de tous ses habitants et le pha-
raon Akhénaton a partagé le même
destin que sa ville: la solitude, puis
la mort et enfin l’oubli.
A Thèbes, le clergé avait en effet repris les choses bien en main. L’héritier du trône, Toutankhaton, est
entouré de toutes les sollicitudes
malveillantes du clergé à l’égard
d’Akhénaton et élevé selon les préceptes, plus classiques, du culte
d’Amon.
Lorsque l’enfant est purgé de toute influence néfaste d’Aton, il est
couronné pharaon au cours d’une
grandiose cérémonie qui a lieu
à Karnak (1336 av. JC) et à l’occasion de laquelle il prend le nom de
Toutankhamon en lieu et place de
Toutankhaton (la nuance est d’importance!).
Le pharaon Toutankhamon joue
très bien son rôle. Le culte d’Amon
reprend du service. Le clergé peut
enfin respirer.
Les autres dieux relégués par Akhénaton refont surface et l’on voit à
nouveau pointer le museau de Seth,
la tête de faucon d’Horus et le bec
d’ibis de Thot.
La parenthèse d’Akhénaton est définitivement refermée. Elle aura duré
à peine 16 ans.
La ville d’Akhétaton disparaît dans
les sables. Toutes les figures relatives à Aton sont effacées des monuments (enfin presque!). Aujourd’hui,
on ignore même où se trouvent les
sépultures d’Akhénaton et de son
épouse Néfertiti.
attribuée, rompt avec l’art antique
égyptien traditionnel.
Cela commence par la représentation du dieu Aton. Rompant avec
la tradition anthropomorphiste
ou zoomorphiste, Aton est représenté par un soleil, avec des rayons
dont l’extrémité se termine par des
mains qui dispensent la lumière et
la vie (ce qui est somme toute assez
réaliste). Cette représentation de la
divinité paraît à Akhénaton beaucoup plus authentique et parlante
aux hommes que ces dieux apparaissant sous forme animale.
Autre rupture. L’art amarnien devient plus intimiste lorsqu’il s’agit
de représenter la famille royale.
Cette dernière y est représentée de
façon très familière et même affectueuse.
Ce qui frappe également c’est le
recours, nouveau mais sans lendemain, à l’exagération des traits
du visage et du corps. C’est ainsi
Qu’Akhénaton est souvent représenté sous une apparence dont
l’esthétique n’est pas la première
qualité. Il semblerait toutefois que
la copie était conforme à l’original
(entendez: Aton n’était pas un canon de beauté).
De là à dire qu’Akhénaton est aussi
à l’origine de la caricature …. !
En tout état, l’art amarnien se caractérise par son réalisme, ses formes en mouvement, le recours à la
perspective et à l’asymétrisme.
L’art amarnien
Néfertiti: de la grâce
à la disgrâce
Le pharaon Akhénaton a marqué
de son sceau non seulement la religion, mais également l’art. On peut
même parler de révolution, tant l’art
amarnien, dont la paternité lui est
La royale épouse d’Akhénaton, Néfertiti, a été une fervente adepte de
la réforme cultuelle menée à l’instigation de son époux.
Néfertiti est d’ailleurs très souvent
représentée sur les monuments aux
côtés et à l’égal de son mari, ce qui
démontre que son rôle n’était pas
que figuratif.
C’est dans le sable du site de Tell
el-Amarna qu’ont été retrouvés les
plus beaux portraits sculptés de Néfertiti.
Apparemment cette princesse portait bien son nom qui signifie «la
belle est venue»! C’est en tout cas
ce que l’on ressent à la vue du buste
polychrome, en calcaire et plâtre
stuqué, jalousement gardé par le
Musée égyptien de Berlin (après
avoir été clandestinement sorti
d’Egypte). Une véritable Joconde
égyptienne! Les traits, les proportions et les couleurs y sont parfaits.
Ce buste est le couronnement de
l’art antique égyptien.
A le voir, on comprend aisément
l’acharnement, au demeurant parfaitement légitime, manifesté par
l’Egypte pour récupérer ce buste.
Même si aujourd’hui, Néfertiti
rayonne à nouveau, la fin de son règne a été plutôt sombre.
En effet, le couple semble avoir sérieusement battu de l’aile. Tant et si
mal qu’Akhénaton (l’ingrat) se maria finalement avec …. deux de ses
filles (ça se faisait). La disgrâce de
Néfertiti fut totale et définitive lorsque son nom et son visage furent
même effacés des sculptures amarniennes.
Heureusement, certaines ont été
épargnées.
Et, de son côté, le Musée d’Art et
d’Histoire de Genève a su rendre
hommage à ce couple royal égyptien
qui, à l’instar de Calvin, a marqué
son temps de son empreinte. n
Patrick Blaser
[email protected]
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