Conférence de presse IMWAC à Rome Conférence de presse d’IMWAC à Rome le 9 octobre 2012 En ce jour anniversaire, 50 ans après, de l’ouverture du Concile Vatican II, trois représentants du Mouvement international « Nous sommes Eglise » (IMWAC : International Movement We Are Church), Chritian Weisner, Vittorio Bellavite et Martha Heizer ont donné à Rome une conférence de presse, au cours de laquelle ils ont fait la déclaration ci-après. Déclaration d’IMWAC à la conférence de presse de Rome du 9 octobre 2012 À l’occasion du cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, le Mouvementinternational We Are Church(IMWAC) et le Réseau Européen Eglises et Libertés (EN/RE)témoignent et espèrent une Église toujours plus libre et plus humaine, fondée sur des communautés de Chrétiens baptisés profondément responsables du Ministère de l’Église et de la Justice dans le monde. 1. Le Concile Vatican II a approuvé une profonde rénovation de l’Église catholique, à la fois dans ses structures et dans sa relation au monde. La transformation de la liturgie fut l’un des fruits principaux et les plus visibles du Concile, particulièrement grâce à l’usage des langues vernaculaires dans des célébrations fondées sur la communauté locale. Les constitutions Lumen Gentium et Gaudium et Spes définissent l’Église comme le Peuple de Dieu et s’expriment sur la valeur du monde sécularisé et sur la manière dont nous pourrions le servir. 2. L’encyclique Pacem in Terris, écrite par Jean XXIII tandis que le Concile était réuni et que lui-même était mourant, doit être vue comme un élément de l’ensemble de l’expérience conciliaire. D’autres questions très importants furent abordées avec de nouvelles perspectives : l’œcuménisme, le dialogue interreligieux, la liberté de foi et de conscience. Ces documents ont précisément nourri le mouvement progressiste qui existe dans l’Église aujourd’hui et ont proposé un dialogue avec le Magistère sur toutes les questions qui constituent la vie catholique. 3. Pendant les cinquante dernières années, une tension s’est fait jour sur la juste interprétation du Concile et son application aux problèmes du moment. Cette tension existait déjà dans les documents conciliaires eux-mêmes. Pour certains, le Concile appelait à un changement significatif ; pour d’autres, la continuité était primordiale. 4. En réalité, changement et continuité ne s’excluent pas réciproquement. Pendant le Concile, un Pacte des Catacombes fut signé par quarante évêques sous la conduite de Dom Helder Camara et du cardinal Lercaro dans la catacombe Santa Domitilla à Rome appelant à une Église centrée sur le service et les pauvres. Ces idées furent ultérieurement développées, surtout en Amérique du Sud, en tant qu’option pour les pauvres. 5. Alors que l’Église officielle se faisait plus rétive à l’esprit de Vatican II, de nombreux catholiques réussirent à travailler au sein de l’Église au changement qu’ils estimaient voulu par Vatican II : Église collégiale et démocratique ; pluralisme et dialogue au sein de l’Église ; égalité hommes/femmes et accueil d’orientations sexuelles diverses ; ordination de femmes et de personnes mariées pour le service du Peuple de Dieu et non pas pour renforcer un nouveau cléricalisme ; séparation entre l’État et la religion permettant une juste autonomie réciproque, et, en même temps, un engagement déterminé des croyants pour la justice et pour la paix. Ce mouvement progressiste puisait ces changements dans le Concile lui-même, en réalité dans l’Évangile et dans le meilleur de la tradition ecclésiale, et dans ce dont le Peuple de Dieu avait besoin pour la pastorale. 6. Plusieurs initiatives pastorales suivirent : communautés de base ; célébration eucharistique en l’absence de prêtre ; décision de conscience sur le contrôle des naissances et la morale sexuelle ; soutien mais aussi critique du Vatican et de l’épiscopat ; exigence de justice pour les victimes d’abus sexuels, et de protecteurs. sanctions pour les coupables et leurs 7. Dans le monde laïque au sens large, et dans l’Église de Vatican II, nous avons la liberté de parole. Des groupes de prêtres et de laïcs ont ainsi réussi à témoigner de ce que veut dire être catholique dans le monde d’aujourd’hui. La liberté de parole vient de la conviction que si tous sont entendus, il y a plus de chance que l’on prête attention à la voix de l’Esprit et que soit entendu l’écho de l’Évangile. Faire taire de façon péremptoire et, semble-t-il, arbitraire les théologiens, les religieuses, et les responsables au sens large revient à étouffer le souffle de la vie dans l’Église elle-même. 8. Ainsi, lorsque la Pfarrer Initiative est proclamée en Autriche, ou que la Théologie de la Libération se répand en Amérique du Sud, ou que les religieuses décident de ne pas avoir une parole déduite de la doctrine, mais induite à partir de leur expérience, ou qu’un Concile Catholique Américain met au point un Code de Droits et de Responsabilités, ou que des Asiatiques et des Africains expriment le besoin de définir Dieu et le Christ autrement, la première réaction devrait être d’écouter et la seconde de dialoguer. Seuls des catholiques intéressés et engagés seront capables de telles initiatives. La réponse obtenue devrait être la gratitude plutôt que le rejet, l’éclaircissement plutôt que la censure, le discernement dans tous les cas, et non la surdité. 9. Le Mouvement International Nous Sommes Église (IMWAC – groupes nationaux progressistes à travers le monde), et le Réseau Européen Églises et Libertés dénoncent la persécution dont sont frappés nos amis quand ils posent avec respect des questions que partagent des millions d’autres catholiques. Nous sommes en revanche heureux de voir s’éveiller un printemps, se lever une aube au sein de l’Église, et nous sommes dans l’attente de la vie et de la lumière qu’ils apportent avec eux. Lorsque nous osons le dissentiment et la « désobéissance civile », ce n’est pas par orgueil, mais parce que nous sommes profondément inquiets. 10. En 2012, clercs et laïcs sont toujours définis en termes de préséance hiérarchique plutôt que comme partenaires, membres et confrères et consœurs. Il n’y a nulle justification de cela dans l’Évangile. En vérité,saint Paul nous rappelle qu’il ne saurait y avoir de Corps du Christ s’il n’y a de membres différents, tous nécessaires. 11. L’Église institutionnelle a mis en place une structure non démocratique, reflet de l’Empire Romain plutôt que du Royaume de Dieu. Il est triste de constater que le monde dans son ensemble a vu plus clairement la nécessité de la démocratie et de l’égalité que l’Église issue du message de Jésus. Dans le monde laïque, les décisions non démocratiques n’ont pas de crédibilité, et sont en réalité beaucoup plus instables. La démocratie n’est pas contre la nature de l’Église, puisque l’Esprit a été donné à chacun et que la démocratie signifie moins la dictature d’une majorité que le dialogue respectueux. 12. Dans toutes les démocraties il y a divers niveaux de responsabilité, et le respect des droits humains et de toutes les minorités est l’ADN d’une vraie démocratie. 13. C’est très différent de l’absolutisme monarchique. Dans une Église vraiment collégiale, la conscience n’est pas moins sacrée que le Magistère. La monarchie est autant en contradiction avec la tradition évangélique de l’Église qu’avec les nécessités pastorales contemporaines. IL fut un temps où Jean XXIII nous rappelait que nous n’avions rien à craindre du monde sécularisé et que nous n’avions aucun droit de devenir prophètes de malheur. La monarchie n’a aucun droit intrinsèque de principe dans l’Église, alors que la collégialité y a une autorité biblique, conciliaire et pastorale. IMWAC et le Réseau Européen soutiennent qu’il faut que l’Église soit pluraliste et inclusive, aussi bien dans ses structures et ses politiques internes que dans sa relation au monde. 14. Nous nous adressons à nos frères évêques présents au Synode à Rome (7-28 octobre) pour qu’ils réfléchissent au dialogue avec des catholiques qui aspirent à être partie prenante de l’Église même lorsqu’il y a divergence sur certaines questions. Cela est en accord non seulement avec Vatican II et le Droit Canon, mais avec l’Esprit et l’évangile. IMWAC et le Réseau Européen se retrouveront à Rome en décembre 2015 pour célébrer le cinquantième anniversaire de la clôture Vatican II et pour témoigner de la vie qu’il a donnée à l’Église et de la lumière qu’il offre pour nous guider dans l’avenir. Notre volonté n’est pas la division ou la dissension, mais la paix pour l’Église dans son ensemble. « Voyez comme ces Chrétiens s’aiment » était considéré à une époque comme le meilleur signe que nous étions une communauté du Christ. Si nous perdons cela, tous les autres signes que nous donnons sont de fausses pistes. Sans amour nous périssons, nous perdons Jésus et nous nous éloignons de Dieu. Aucun d’entre nous dans l’Église ne veut que cela arrive. Traduction : Didier Vanhoutte Source : http://www.we-are-church.org/joomla/index.php?option= com_content&view=article&id=54:witnesses-of-a-renewed-churchfor-the-times-to-come&catid=9:latest-news la Process Théology La Process Theology, un essai pour dire Dieu aujourd’hui. Les progrès scientifiques et les bouleversements de l’époque moderne nous obligent à remettre en question notre parole sur Dieu et ses rapports avec le monde et l’humanité. La quête du sens de notre vie passe par les chemins nouveaux que science et foi nous invitent à défricher au nom de la confiance que nous accordons à Dieu et à l’humanité. La théologie du « process » est une tentative pour comprendre le rôle de Dieu dans une création que nous avons découverte en constance évolution. Ce courant de pensée d’abord philosophique est au début du XXième siècle aux Etats-Unis au sein du protestantisme libéral à partir des travaux de Withehead (1861-1945), mathématicien et philosophe, titulaire de la chaire de philosophie à Harvard. Son contemporain et élève, Harthone reprend les idées de Withehead sur un plan théologique. Si la « process theology » a fait l’objet de nombreuses publications outre-atlantique, en particulier avec les travaux de Cobb et de Wieman, elle a eu assez peu de prolongations dans la pensée théologique contemporaine en Europe, bien qu’un des écrits de Withehead, Process and reality, ait été traduit par Bergson. En France, elle reste mal connue malgré les travaux d’A. Gounelle, A. Parmentier et R. Picon. Cependant on peut relever bien des points de convergence avec la réflexion théologique et spirituelle du siècle écoulé, particulièrement sensible au devenir du monde et à l’apparent silence d’un Dieu que la théologie classique, héritée du thomisme, affirmait tout-puissant, autosuffisant, omniscient, immuable et impassible. Je ne citerai que deux théologiens contemporains – J. Moltmann, P. Tillich -, un auteur de spiritualité, F. Varillon, et un philosophe, H. Jonas. Le mot « process » est difficile à traduire, englobant les nuances d’évolution, de procession, d’avenir, dans une vision dynamique et expansive de l’univers, telle que la découverte de l’atome et de l’évolution des espèces nous l’ont révélée. L’humain prend conscience de toutes les chaînes évolutives qui l’ont précédé et dont il est redevable. Nous sommes immergés dans un monde en constante transformation où tout se trouve en relation, témoin ou acteur d’évènements où le passé est sans cesse repris, d’où le présent émerge et s’oriente vers un futur de commencements en commencements. Ces nouveaux acquis scientifiques conduisent à reposer à frais nouveaux la question de la création, du but de cette évolution, de ses modalités de parcours comme de son principe. La pensée de Teilhard de Chardin est proche de celle de Withehead, de 20 ans son aîné, notamment sur l’interdépendance et la continuité des formes du vivant bien qu’il ne semble pas faire référence à la process theology, dans aucun de ses écrits, peut être même ne la connaissait-il pas. Il s’en différencie sur l’espérance d’un terme de l’évolution et de l’histoire marquée par une récapitulation de toutes choses en Christ selon les paroles de l’apôtre Paul (Ep 1, 10). Les progrès que nous faisons dans la connaissance des lois qui régissent le monde nous obligent à repenser notre foi et la manière de l’exprimer. Si Withehead et Harthorne, protestants, ont pu le faire sans interdits, il n’en est pas de même pour Teilhard de Chardin condamné par le magistère catholique. Il est bien difficile de montrer en si peu de lignes toute la richesse de l’apport de la théologie du process. Ce petit article ne traite que de la question de Dieu et de son action dans le monde. Il n’abordera pas la christologie, les réflexions sur l’Eglise, l’humain et l’espérance chrétienne. Au sein d’un monde où désormais toutes choses nous apparaissent en cours de changement et en interaction, Dieu participe lui-même à ce flux et de transformation et de relation. Il en est à la fois à l’origine et l’accompagne dans son évolution, auteur et acteur de ce processus, c’est ce que la théologie du process appelle la « nature primordiale » de Dieu et, ce qui est plus révolutionnaire, Il est objet luimême de ce processus, c’est « sa nature conséquente ». Nature primordiale, Dieu est le dynamisme à l’origine de toutes choses, puissance qui fait advenir, source de vie de ce soit à l’origine, ou au cours de l’évolution, force initiale à partir de laquelle advient le réel. Il est celui dont la Parole organise le « chaos ». Potentialité du possible, Il est la source de tous les possibles, non pas l’être le plus puissant mais puissance qui fait être. Ce principe créateur est aussi principe de limitation, restreignant le champ des possibles, condition indispensable à une certaine harmonie. Dieu offre une multiplicité de possibles ouvrant le futur. L’univers et l’humanité par un choix plus ou moins conscient permettent l’actualisation de ces possibles. Ainsi le présent émerge d’un passé repris dans le dynamisme créateur de Dieu et s’oriente vers un futur construit des avancées et des échecs. L’évolution de l’univers n’est pas linéaire et uniquement faite de progrès. L’évolution a conduit souvent à des erreurs et des impasses. Mais à ces impasses et ces ratés dans l’évolution, le dynamisme créateur de Dieu ouvre, comme à tout ce qui se laisse habiter par sa force de vie, de nouveaux possibles. Pour la théologie du process, seule l’existence de Dieu explique la cohérence de l’évolution, l’activité créatrice apportant à chaque instant du temps, comme à l’origine, la nouveauté, la finalité, l’harmonie, la tension vers le futur. On peut dire qu’ainsi Dieu est puissance d’attraction vers le meilleur, vers une actualisation toujours plus satisfaisante et heureuse de l’amour dans l’univers. Ce qui est plus novateur dans la théologie du process est la notion de « nature conséquente » de Dieu. Parce qu’il s’implique en permanence dans le cours du monde sans y être bien sûr dilué, car pour le « process » il n’est pas question de panthéisme, Dieu est lui-même transformé par ce qui arrive dans sa création. Dieu a besoin de nous pour, à chaque stade de l’évolution, faire advenir la vie du chaos. Il est tributaire de nos décisions. L’amour de Dieu est sans limite, mais sa puissance est limitée par l’orientation prise chaque constituant du monde. Dieu dépend de la réponse du réel, son projet est en partie déterminé par nos choix. Dieu est obligé de composer avec nos forces de résistances. Il souffre de nos résistances. Ce Dieu qui entre en relation ne peut être que transformé par cette relation. Il a souffert dans la passion de Jésus-Christ, mais sa mort n’a pas été le dernier mot, car Jésus-Christ a parfaitement laissé agir en lui le dynamisme créateur de Dieu. Dieu a fait alliance avec le monde, il ne peut rester figé dans son « éternité ». Tout en restant identique à lui-même, en s’engageant dans le monde, y manifestant sa tendresse, il en est affecté et est en devenir. L’avenir reste à créer, l’avenir du monde comme en quelque sorte l’avenir de Dieu ! Chaque époque a balbutié une parole sur Dieu, à hauteur de ses connaissances humaines, essayant d’étayer son discours sur les écrits bibliques, parfois avec une interprétation un peu forcée. Nous ne pouvons plus croire à un Dieu situé dans un au-delà énigmatique, dont la toute-puissance absolue devient une monstrueuse indifférence et dont l’omniscience ne tiendrait pas compte de la liberté et de la responsabilité du monde. Son implication à chaque moment du temps n’est pas panthéisme mais force créative. Sa dépendance aux décisions du monde n’est pas limitation, mais respect de l’altérité voulue. Sur bien des points la théologie du process est bien plus en accord avec des données de l’Ecriture, quelques exemples : c’est au chaos primitif que Dieu par Sa Parole a donné forme, l’avenir dépend de nos choix : « choisis la vie ! » (Dt 10, 15), sans cesse Dieu « appelle à l’existence ce qui n’est pas » (Rm 4, 17), et cette parole de Jésus : « Mon Père, jusqu’à présent, est à l’oeuvre, et moi aussi je suis à l’oeuvre » (Jn 5, 17). La théologie du process est un essai pour comprendre et dire Dieu dans un souci de dialogue avec la culture moderne. Elle a le grand mérite d’être une théologie de la liberté au souffle d’un Dieu « faisant chaque jour toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5). Elle est Parole sur Dieu, un Dieu dont la toutepuissance réside dans le don de vie qui invite l’autre à se dépasser soi-même et à s’aventurer toujours plus loin, à se libérer de toute soumission, soumission que les théologies classiques ont trop souvent cautionnée. Ainsi, la théologie du process est aussi parole sur l’humain qu’elle appelle à être libre, intelligent, créatif et responsable. Claude Dubois. Une histoire de libération Comment faire Eglise dans le monde actuel ? Une histoire de libération Avec tous les amis et complices de Jésus, nous avons à témoigner de son Evangile dans notre monde contemporain et pour cela, il convient d’abord de réactualiser les deux nouveautés spécifiques et contextuelles de son message de libération : – que cette libération n’est pas attribuée au mérite ni aux plus vertueux, ni aux plus pieux ; elle est destinée à toute l’humanité. Mais cette visée universelle suppose la levée préalable et radicale de toute forme d’avertissement et de captivité, de soumission et d’oppression, mais aussi d’humiliation et de résignation, de honte et de peur. Cette émancipation est incontournable pour la dignité de tous : victimes et prédateurs ; – que cette libération s’opère au coeur même de la vie, de ses défis, de ses conflits, à distance des dispositifs religieusement institués et parfois en contradiction avec eux. Oui, cette libération évangélique est une libération laïque ! … Notre Eglise devrait donc reconnaître comme une chance d’authenticité de ne plus avoir à régner sur un monde de chrétienté mais d’accompagner les croyants au coeur d’une humanité sécularisée, respectueuse des diverses manières de vivre, d’aimer, de s’aimer, de croire ou non, mais exigeante quant à la justice, la solidarité, l’égale dignité de chacune et chacun dans sa différence humaine, culturelle, spirituelle. Cela appelle à certains renversements. Il revient désormais : – aux précaires et aux exclus d’évangéliser les trop bienpensants ; – à ceux qui cherchent d’éclairer ceux qui croient savoir ; – aux cités prolétaires, aux camps de réfugiés etc. de devenir les premiers lieux de culte ; – à la primauté de l’amour de traduire tout dogme et de convertir toute doctrine ; – à la recherche d’un sens renouvelé de la vie de transcender l’exemplarité des comportements et la codification des rites. C’est ainsi que se traceront de nouveaux chemins de foi, une foi partagée dans l’action, exposée aux débats, nourrie de l’Evangile avec ses révoltes et ses utopies, célébrée à chaque pas en avant, à chaque pauvreté vaincue. C’est ainsi que nous ferons Eglise, une Eglise elle aussi libérée de son arrogance et de prestige, de ses vérités normatives et de son ordre établi, enfin libérée d’elle-même. Libérée pour assumer le parti-pris positif de Dieu et dire à tous les non-conformes » soyez fiers d’être vous-mêmes « , à tous les rejetés » surtout, ne partez pas « , à tous les marginaux » provoquez-nous « , et à tous ceux qui galèrent » lève-toi et marche ! « . Michel Deheunynck. Congrès de Théologie Brésil, octobre 2012 au Un congrès de Théologie au Brésil en octobre 2012 Le Congrès Continental de Théologie se tient du 7 au 11 octobre 2012 près de Porto Alègre, au Brésil. 50 ans après Vatican II, des théologiens de toute l’Amérique latine évaluent ce que le concile a changé sur le continent et les défis à venir. Gustavo Gutierrez, père de la théologie de la libération, et dont le livre Théologie de la libération. Perspectives, fête ses 40 ans, sera présent à ce congrès. En cinquante ans, le continent a connu des régimes dictatoriaux, un ultralibéralisme forcené, l’arrivée d’une gauche plus ou moins radicale. Il est aujourd’hui confronté à d’immenses défis, comme la protection de l’environnement ou, pour l’Eglise catholique régionale, la croissance inquiétante des Eglises évangéliques. Comment répondre à ces défis ? L’objectif du congrès est bel et bien de regarder vers l’avenir. « Nous devons nous interroger sur les défis et missions futures de la théologie en Amérique latine, à partir de notre nouveau contexte culturel, social, politique, économique, écologique, religieux et ecclésial, assure Socorro Martinez, l’un des organisateurs. Avec, en perspective, la volonté d’alimenter, par cette réflexion, les communautés confrontées aux nouveaux défis dans un monde pluraliste et globalisé. » A suivre jusqu’au 11 octobre sur le site d’Amérindia (en espagnol), réseau d’évêques, de théologiens, de chercheurs en sciences sociales, de religieux et de laïcs qui organise le congrès et que soutient le CCFD Terre solidaire (en français). Prière du 15 août 2012, des réactions… A propos de la prière du 15 août 2012, des réactions… Texte de Jacques Fraissignes, prêtre ouvrier membre de « David et Jonathan » Le cardinal Vingtrois nous invite à la prière. Je ne sais guère prier. Du moins, je ne sais pas demander à Dieu de faire à ma place ce que me dicte ma conscience. Prier, serait pour moi regarder la réalité qui m’entoure, le faire avec le regard de Jésus, me demander si j’ai bien vu, si l’apparence ne me cache pas la réalité profonde, si mon regard étroit voit dans chaque homme ou chaque femme l’image de Dieu qu’ils représentent. La réalité est là, incontournable. Le couple homo existe, il est bien visible. Les partenaires n’ont pas fait un choix. Ils sont nés avec ce désir particulier qui les pousse vers une personne de leur sexe et l’impossibilité d’investir leur vie affective dans une relation hétérosexuelle. Ce couple homosexuel est riche d’amour et fécond, sinon d’enfants, du moins d’engagements et de services généreux. Ce couple a été reconnu par la loi et le Pacs lui a apporté un surcroît de stabilité et de sereine visibilité. Gais et lesbiennes demandent que leur soient reconnus les mêmes droits que ceux qui sont donnés aux couples mariés. Parmi ces couples, de nombreux se reconnaissent chrétiens et célèbrent comme un don de Dieu l’amour qui les unit. Ils témoignent de cette réalité dans leurs communautés religieuses comme ils le font dans la vie quotidienne. Nombreux sont les croyants et les pasteurs qui leur rendent témoignage et partagent leur désir de reconnaissance. Xavier Thévenot évangélisé? » écrivait: » Des couples gais m’ont De tout cela, je veux rendre grâces et je souhaiterais que les communauté de croyants en fassent autant. Dans ma prière, je vois que la famille homoparentale existe, qu’il s’agisse de famille reconstituée ou d’enfants voulus ou adoptés. Je vois le long le travail sur eux-mêmes que font ces couples avant de pendre une telle décision. Combien de familles font-elles un tel travail avant de concevoir un enfant ? J’ai eu à préparer le baptême d’un de ces enfants. A le voir vivre dix ans plus tard, je n ai pas constaté qu’il ait eu a souffrir de deux parents masculins. De nombreuses études confirment ce constat. Mais ma prière devient colère quand je vois mes frères et soeurs homosexuels subir la suspicion et le déni apporté par un prélat qui prétend parler au nom de tous les chrétiens de France et refuser toute réflexion sur le mariage homosexuel et la possibilité de faire famille en accueillant des enfants. De quel droit peut-il refuser la réalisation de ces légitimes aspirations? L’a-t-on entendu tirer argument des paroles de Jésus au nom de qui il prétend parler? Mis à part le rappel de la fidélité entre époux, Jésus a-t-il jamais condamné ni rejetée une personne qui vivait une sexualité différente ? L’accueil qu’il fait à ces personnes paraît même laxiste à ses ennemis. Et même si ce prélat croit avoir autorité sur les croyants catholiques, au nom de quoi prétend-il interdire le droit à de légitimes revendications à ceux qui ne se recommandent pas de cette foi ? Ma prière devient solidarité. Le monde évolue et la façon de vivre la sexualité et de faire famille évolue en même temps. Loin de nous crisper sur des réponses d’un autre temps, ces changements sont appel à notre conscience à discerner ce qui fait grandir chaque personne, ce qui la rend plus humaine, plus « image de Dieu ». Mais que ceux qui parlent au nom de Jésus nous incitent à grandir en humanité, loué soit Dieu! Loin de s’accrocher à une Loi, Jésus a-t-il fait autre chose que d’appeler ceux qui venaient à lui à vivre en plénitude ? Jacques Fraissignes ______________________________________________________________ __________________ Les journaux de ce 14 aout 2012 se font l’écho de la « proposition nationale pour une prière des fidèles » formulée par l’épiscopat français pour la fête de l’Assomption, en la présentant comme une prière « anti mariage homosexuel ». Ce texte est accessible sur site http://www.eglise.catholique.fr/accueil.html. le En complément à la réaction de Jacques Fraissignes, voici quelques remarques sur le texte lui-même et sur la démarche de l’épiscopat : – Comme trop souvent, le texte concerné est un magnifique exemple de « langue de buis », ampoulé, allusif et plein de beaux mots fourre-tout : générosité, solidarité, conscience, fidélité, tendresse, engagement, bonheur, amour… que personne ne peut récuser. On dit un peu sans dire vraiment, sans doute dans la recherche illusoire d’une pseudo-unanimité, alimentée par l’incapacité de l’institution ecclésiale à affronter et gérer sainement les divergences et les conflits. – Une fois de plus, Marie est instrumentalisée au service de causes, l’avenir de la France et la défense d’un modèle familial unique, bien éloignées du contexte dans lequel a vécu la mère de Jésus de Nazareth. En rappelant en introduction à cette prière que « la France a été placée sous le patronage de la Vierge Marie », l’épiscopat se garde bien de rappeler les conditions de ce « vœu de Louis XIII », destiné surtout à assurer sa postérité et sa domination sur ses sujets. – Sur le fond, Mgr Podvin, ce 14 aout sur France Inter, a dit et redit que la demande de l’Eglise catholique est avant tout la tenue d’un vrai débat de société autour des questions de la famille et des limites de la vie. Cette demande est légitime, mais le plus simple ne serait-il pas de donner l’exemple et de commencer par ouvrir le débat parmi les chrétiens catholiques ? Qui a été consulté pour la rédaction de cette proposition de prière ? A quand de vraies assemblées d’Eglise, avec de vrais débats contradictoires, une prise en compte de la vraie vie des gens ? Quand fera-t-on confiance aux femmes et aux hommes qui cherchent à vivre l’Evangile dans toutes les situations contemporaines et tracent des chemins inédits ? – Mgr Podvin a eu le mérite de la clarté au moins sur un point : il a régulièrement évoqué la position « de l’Eglise » et a fort peu fait référence à l’Evangile, et pour cause… Or « l’Eglise » dont il parle est une société hiérarchique presque exclusivement composée d’hommes célibataires, dont la parole est en outre verrouillée au plus haut niveau. Comment imaginer que ces hommes, aussi ouverts soient-ils, puissent prendre en compte la complexité et la richesse des situations réellement vécues au quotidien par les femmes et les hommes de ce temps ? Cela dit, puisqu’il s’agit d’une « proposition », que chaque communauté s’en empare et prenne ses responsabilités ! Les chrétien(ne)s sont adultes et il serait intéressant de voir ce qui sera réellement prononcé demain dans les églises de France. – Enfin, la démarche de l’épiscopat français ne peut pas être séparée de celle du Vatican envers les religieuses américaines qui, fortes de leur expérience de terrain, proposent une parole autre sur toutes ces questions de société… et sont vertement rappelées à l’ordre! Heureusement, elles continuent leur combat, et nous continuons le nôtre, car le message de l’Evangile ne sera jamais la propriété de quelque personne ou quelque institution que ce soit. Marie-Anne Jehl Jonas Alsace Réseaux des Parvis _____________________________________________________________ « N’ayez pas l’homosexualité » peur de LE MONDE | 21.08.2012 à 14h47 • Mis à jour le 22.08.2012 à 10h25 Par Jean-Pierre Mignard, avocat à la cour Défendre la famille et appeler à prier pour elle dans un pays à bonne progression démographique sous-entend qu’elle est menacée. Le mariage de couples gays serait-il de nature à bouleverser la famille et le droit de l’enfant ? L’Eglise a le droit de s’immiscer dans ce débat législatif. Il s’agit d’une liberté d’expression indiscutable qui ne porte ni de près ni de loin atteinte à la laïcité. Son opinion est d’autant plus utile que le mariage figure dans la liste de ses sacrements. Le cardinal-archevêque, en qualité de président de la Conférence épiscopale, peutfaire lire une prière pour le moins réservée sur le mariage gay, mais de quelle opinion estelle le reflet en dehors de celle de la hiérarchie ? Selon un sondage IFOP, 65 % des Français seraient favorables au mariage homosexuel et 53 % à l’homoparentalité. L’indication dans le même sondage que 45 % des catholiques ne seraient pas opposés au mariage homosexuel est plus singulière. On doit dès lors regretter que n’ait pas été organisée une discussion entre les catholiques, invités à prier certes, mais pas à « discerner » entre eux et à haute voix. Il n’est pas trop tard. Il convient en effet de vider une vieille querelle avant même de s’engouffrer dans l’affaire du mariage. L’homosexualité est-elle ou non une des déclinaisons naturelles de la sexualité ? Le mariage gay, au sujet duquel les divergences sont concevables, justifie qu’une ambiguïté soit levée. La thèse officielle désigne cette sexualité sous le vocable de « désordre ». Ranger les homosexuels, avec d’autres, parmi les « accidentés de la vie », exprime un sentiment compassionnel, mais ne les considère pas comme des sujets de droit. Plus inquiétant, une instruction de 2005 du Vatican exclut les homosexuels du ministère ordonné, sauf si cette sexualité est « transitoire ». Le Saint-Siège maintient une position hostile à la dépénalisation de l’homosexualité lors des débats aux Nations unies. Cela le place en compagnie de régimes qui continuent pour certains d’infliger la peine de mort aux homosexuels. Il s’agit d’une « véritable tragédie pour les personnes concernées et [d’une] atteinte à la conscience collective », selon les mots du secrétaire général Ban Kimoon. Cette humiliation était-elle bien nécessaire ? En tant que catholique et citoyen de la République, je souhaite entendre l’Eglise de France sur ce point précis. Nous sommes nombreux à le souhaiter, dans et hors l’Eglise. Si celle-ci veut intervenir dans le débat public, et je me range à son droit, elle doit accepter le verdict de l’opinion publique. C’est d’ailleurs un hommage qui lui est rendu, car on attend d’elle des messages en faveur de la dignité humaine. Il y a peu, le cardinal-archevêque de Lyon, Mgr Philippe Barbarin, évoquait, avec une hauteur chez lui familière, deux grandes figures homosexuelles et chrétiennes, Michel-Ange et Max Jacob. A ces artistes, il disait la gratitude de l’Eglise mais surtout que leur homosexualité était un fait, la situant ainsi hors de portée de tout jugement de valeurs. Cela ne l’a pas amené à se déclarer favorable au mariage gay, mais au moins le fondement d’une discussion purgée de ses peurs et de ses fantasmes est-il rendu possible. L’ancien cardinal-archevêque de Milan Carlo-Maria Martini allait plus loin et enjoignait aux Etats d’aider les homosexuels à stabiliser leurs unions civiles. Il y a sur le sujet et de toute évidence plusieurs demeures dans la maison du Père… On conçoit très bien que l’Eglise catholique défende le sacrement de mariage et sa destination première. La solution théologique n’est en effet pas simple. Mais il faut crever l’abcès. Toutes les réserves du monde catholique sont admises à la table des discussions, mais elles ne seront acceptées qu’à la condition, toutefois, de la reconnaissance publique et sans fard de ce que l’homosexualité est une sexualité comme une autre échappant à la sphère du jugement moral et pénal ou du traitement psychiatrique, aussi légitime et digne de reconnaissance que l’hétérosexualité. Le temps n’est pas encore venu, et on peut le regretter, d’une pastorale pour les homosexuels. Mais est venu celui d’évoquer cette question au sein de l’Eglise et de se délivrer de ces frayeurs, qui ont amené, par exemple, à séparer dans le petit cimetière d’Ebnal (Angleterre) pour les besoins de sa béatification, en 2010, mais contre sa volonté testamentaire, le corps du cardinal britannique John Newman (1801-1890) de celui de son ami le révérend Ambrose St. John, « qu’il aimait d’un amour aussi fort que celui d’un homme pour une femme ». Rien ne dit que ce grand prélat fut gay, rien, mais même cette amitié inquiétait. Les catholiques doivent pouvoir en débattre au sein de leur communauté, dans des assemblées paroissiales, diocésaines dans leurs associations, là où c’est possible, là où c’est nécessaire, là où c’est désiré. Qu’avons-nous à craindre des paroles puisque nous nous réclamons de la théologie de la Parole ? Nous ne serions pas tous d’accord ? La belle affaire ! C’est ainsi que l’ouverture au monde se fait, ce qui ne signifie pas s’y soumettre. L’Eglise exemplaire dans le dialogue interreligieux se montrerait inapte à tout dialogue intrareligieux ? Les évêques, qui ne sont pas des despotes, devraient oser ce débat. L’historien Michel de Certeau disait dans un trait fulgurant que « c’était au fond du risque que se trouvait le sens ». Et s’il y a bien une injonction biblique et évangélique en forme de leitmotiv c’est : « N’ayez pas peur. » Jean-Pierre Mignard, avocat à la cour Marcel Gauchet : Vatican III Marcel Gauchet : « il faut un Vatican III » propos recueillis par Marie-Lucile Kubacki – publié le 25/09/2012 Intellectuel français, auteur du Désenchantement du monde (Gallimard, 1985), Marcel Gauchet dresse un bilan incisif de la situation de l’Eglise catholique. Le philosophe, élevé dans la religion catholique mais qui se dit aujourd’hui agnostique, ouvre des pistes de réflexions pour l’avenir. Cinquante ans après Vatican II, quel bilan faites-vous de l’après-Concile, alors que le christianisme n’est plus majoritaire en Europe. Le Concile est il encore pertinent dans le monde actuel? Il est dépassé ! Le Concile a été une entreprise de rattrapage tardive par rapport à une énorme évolution qui s’était jouée sur plus d’un siècle et au terme de laquelle l’Eglise se retrouvait en position délicate par rapport au monde moderne, soit après 1945 et la conversion globale des mentalités croyantes, chrétiennes, à l’univers démocratique. L’épreuve des totalitarismes était passée par là et ce n’était plus tenable. Mais le monde a continué de bouger et tout ce qui s’est passé depuis lors a mis le Concile en porte-à-faux. Je pense que ce n’est plus du tout une référence. Vatican II avait défait Vatican I. Il faut un Vatican III qui refasse un aggiornamento de même ampleur…. En quoi Vatican II vous semble-t-il dépassé? Sur tout ce qui touche aux statuts de la liberté des personnes. A l’époque de Vatican II, il y avait deux problèmes : la liberté religieuse, qui était le point clé, évidemment, et d’autre part la liberté politique. Là c’est réglé et on n’en parle plus. Il reste maintenant la question du statut de la liberté des personnes qui est bien plus profonde car ce sont les assises morales des individus qui sont en jeu ! Qu’est ce que la liberté personnelle? Quel est le sens de cet énorme problème qui recouvre sexualité, reproduction, famille et intimité fondamentale des personnes? Ce n’est pas simplement un problème d’institution, c’est un problème doctrinal qui nécessiterait une révision très profonde car le décalage avec la société est complet. Quelle peut donc être la place de l’Eglise catholique dans cette société en pleine mutation? C’est à elle de le dire ! Mais d’une certaine manière il y a une légitimité de la religion qui n’est plus discutée par personne. On n’est plus dans le combat classique « l’emprise de la religion sur la société ou la destruction de la religion » qui, par exemple, a tellement dramatisé la séparation des Eglises et de l’Etat. En dehors des fanatiques qui existent partout, et il existe des fondamentalistes de la laïcité tout aussi aberrants que les fanatiques d’en face, personne ne conteste plus la légitimité du fait religieux. C’est un changement énorme dont je pense qu’il faut prendre la mesure. Le discours religieux a une vocation éminente, dans un monde où le message politique s’est complètement épuisé, à constituer un élément de la conscience politique vivante. C’est dans cette direction qu’il y a une place à prendre. Une sorte de vigie spirituelle… Oui. Il reste une demande très forte de nos sociétés avec des rapports très complexes entre l’incroyant déclaré et le « sympathisant » qui n’est pas l’adhérent ou le militant, pour reprendre le langage politique, mais qui néanmoins compte dans le paysage. On est dans un monde où l’Eglise catholique n’a plus beaucoup de pratiquants mais peut avoir beaucoup de sympathisants. Il devrait y avoir un réexamen radical de toutes ces questions qui pour l’instant n’est pas fait. Ses responsables n’ont pas la mesure de ce qui est en train de se produire. Pour eux, il y a une frontière nette : on est catholique ou on ne l’est pas. Mais ce n’est plus comme ça que les choses se passent dans notre société. L’Eglise ne doit pas négliger ses sympathisants. Quel regard posez-vous sur l’Eglise catholique actuelle? Le bilan est contrasté. Ce qui est nouveau c’est que l’on ne peut plus parler de l’Eglise comme d’une institution homogène. Elle est très diverse, travaillée par des directions contradictoires, des attitudes divergentes et en particulier, elle n’a pas complètement réglé son problème d’adaptation à la société dans laquelle elle vit. Il y a une très forte tentation traditionnelle : comme les effectifs de fidèles diminuent, que l’emprise de la société sur la vie sociale recule, beaucoup sont tentés de se replier sur la citadelle pour reformer une église très soudée, minoritaire et identitaire. D’un autre côté il y a une Eglise qui fait le pari de l’ouverture sur la société : cette Eglise a conscience que même si elle occupe une position minoritaire, la société ne lui est pas fondamentalement hostile. Les deux tendances coexistent sans que le problème soit tranché. La hiérarchie catholique a beaucoup relâché sa volonté d’autorité traditionnelle donc il règne un certain libéralisme qui facilite l’éclatement de tendances divergentes, mais elle refuse de trancher sur un certain nombre de points essentiels et se trouve donc dans l’expectative. Tout reste possible. Vous dites que la société n’est pas fondamentalement hostile à l’Eglise mais on note quand même quelques crispations face au religieux ! Oui, il y a des tendances hostiles pour la parole évangélique. Cela, D’ailleurs, cette parole peut qu’auparavant, dans la mesure mais aussi une vraie place je le crois profondément. être davantage entendue où l’on est passé d’un christianisme sociologique qui relevait du conformisme social à un christianisme reposant sur la foi, davantage valorisable d’un point de vue authentiquement chrétien. Est-ce à dire que les catholiques ont gagné en légitimité, en étant poussés à renoncer à l’ambition d’une forme d’hégémonie religieuse ? Précisément. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas une minorité qui rêve encore. Elle peut être bruyante mais elle ne me paraît pas refléter le monde catholique de manière très significative. Fatalement on en retrouve toujours des traces dans les postures des uns et des autres mais je pense qu’il y a une rupture. Par contre, si ce tournant a été pris, il n’est ni réfléchi ni explicité et c’est un des éléments qui expliquent l’incertitude actuelle. Le problème est qu’il est difficile, encore aujourd’hui, de dresser un bilan des rapports entre l’Eglise catholique et le monde moderne. Cela n’a jamais été fait et en ce sens ; le Concile, en affirmant la vocation de l’Eglise au coeur du monde, a ouvert un processus qui est loin d’être achevé. Y a-t-il une réception du Concile spécifique à la France du fait de mai 68? Sans doute. Mai 68 a été une véritable déflagration dans les rangs de l’Eglise. Dans certains ordres religieux, ça a été très spectaculaire. Grâce à mai 68, je pense qu’il y a eu une ouverture sur la société qui a rayonné hors de France dans la mesure où l’Eglise de France a une certaine influence. Cela a énormément contribué à faire de l’Eglise de France l’une des plus ouvertes de la catholicité actuelle. Quand j’écoute les évêques français, il y a une énorme différence avec ce que l’on peut entendre ailleurs. Ils sont beaucoup plus libéraux et beaucoup plus conscients du fait qu’au milieu du recul objectif de l’emprise du christianisme sur la société, il y a dans cette société une écoute du message évangélique plus profonde qu’auparavant. Quel est le plus grand problème de l’Eglise aujourd’hui : les questions d’éthique et de morale ou les intégristes? Les rapprochements avec les intégristes, pour moi, n’intéressent vraiment que l’institution au sens le plus étroit du terme. Que ça ait une importance dans la gestion pastorale de la catholicité, je veux bien le penser ! Mais globalement, c’est un problème très secondaire qui est un peu réglé par le fait qu’il y ait une espèce de tolérance qui s’est établie à l’égard de toutes les formes cultuelles ou sacramentelles. On revient un peu à l’Eglise tridentine où l’on laissait les communautés locales gérer leurs affaires sur le plan liturgique. La Lettre « La Vie » du 25/09/2012 Notre foi en actes Notre foi en actes. Il n’y a pas dans nos vies de croyants deux registres séparés qui seraient celui du religieux et celui du monde. Nous nous accordons sur une théologie qui met l’humain au centre : c’est là que nous rencontrons Dieu, c’est ce que signifie l’incarnation. L’évangile nous montre que toute démarche de foi part du vécu. Elle ne se limite pas à de bonnes paroles ou des rappels de listes de valeurs, elle implique des actes qui engagent. Et c’est la démarche que nous voulons suivre ; démarche qui n’est pas seulement individuelle mais celle de notre communauté croyante, celle que nous formons ensemble. Au sein de Parvis, nous nous étions engagés dans la campagne sur l’accueil des migrants en France : « Ne laissons pas fragiliser le droit de l’étranger » ; ses initiateurs viennent de lancer avec d’autres l’appel : « A la rencontre du frère venu d’ailleurs » auquel nous voulons également participer. Il se trouve qu’il se situe dans le cadre de l’initiative épiscopale Diaconia 2013, qui veut affirmer que selon l’évangile le souci de l’autre, du plus petit, de l’exclu est premier : si nous ne sommes pas tous appelés à des actions concrètes, chacun agissant selon ses charismes propres, les groupes de chrétiens qui s’engagent au nom de leur foi sont au coeur de la communauté, et celle-ci doit les entendre et les soutenir. Les 18 associations qui portent l’appel estiment que le comportement de l’électorat catholique pratiquant, et en particulier celui des jeunes, qui adhèrent plus largement que la moyenne des Français aux idées du Front National nécessite que l’on rappelle avec force qu’elles sont incompatibles avec l’Evangile. Elles veulent combattre les préjugés et les amalgames en explicitant ce que sont les différentes situations et en replaçant l’immigration dans son contexte international. Les regards complémentaires de la Cimade et du CCFD-Terre Solidaire montrent l’importance qu’il y a à élargir le regard. Le migrant dépourvu de droits et rejeté sur notre sol n’y est pas né spontanément : le parcours qui l’a conduit chez nous dépend d’une situation internationale dans laquelle nous sommes acteurs. Dans la mouvance de Partenia, nous avons vocation à rejoindre les plus fragilisés socialement. Qui sont-ils ? Comment les rencontrons-nous ? Qu’apportent-ils à l’humanité qui est en nous et à notre foi ? A notre manière de l’exprimer ? Notre foi est d’abord relation. C’est notre façon de répondre au titre du dossier « Croire aujourd’hui ». Les personnes fragilisées que nous côtoyons : Roms. Sans Papiers. Personnes démunies (financièrement, socialement, pas ou mal logées,…). culturellement, Détenus en Maison d’Arrêt. Malades en hôpital psychiatrique. Personnes étrangères cherchant à apprendre le français et à s’intégrer en France. Paroissiens occasionnels et éloignés de l’Eglise. Des constats induisant chez nous des comportements et des actions. Lesquels ? Des difficultés de contact (cas des Roms, par exemple) nous amènent à découvrir d’autres langues, cultures, modes de vie et d’éducation etc… Nous apprenons à nous laisser surprendre, à ne pas nous comporter en dominants, et plutôt, les accompagner dans leurs démarches (notamment administratives et scolaires), pour les aider à être autonomes. Il n’y a pas celui qui sait et celui qui « ne sait pas ». 20 enfants de familles étrangères « sans papiers », non scolarisés à cause du refus obstiné du maire (soutenu par certains parents français) et du manque de réactivité de la Préfecture. Un couple de Partenia 77 participe à un collectif qui se crée sur place (parents, associations, partis) pour l’organisation de manifs devant la mairie puis la Préfecture. Résultat : accueil de ces enfants à l’école… en Mai ! A suivre lors de la prochaine rentrée, avec vigilance et imagination (insertion de ces enfants). A partir d’un constat de problèmes de logements pour des habitants de HLM, une participation active et suivie à des actions et réunions de quartier et à des contacts avec le maire et les familles concernées. Partant de difficultés à trouver des modes d’expression liturgiques adaptés à des publics éloignés de l’Eglise : laisser s’exprimer à leur façon des personnes qui ne le font pas habituellement. Exemples : en paroisse (obsèques, mariages, baptêmes) ou en prison (célébrations). Constatation de l’existence de Sans papiers isolés et démunis devant des procédures judiciaires plus ou moins inhumaines et déshumanisantes. Action : visite de Sans Papiers enfermés en Centre de Rétention du Mesnil Amelot (Seine et Marne), ou rencontre, au tribunal, de la personne jugée et, si possible, du ou de la juge et de l’avocat(e). Avec d’autre associations et réseaux, telles que RESF, la Ligue des Droits de l’Homme, la CIMADE et les Cercles de Silence, participation à une structure départementale (Observatoire Citoyen 77) de l’Observatoire de l’Enfermement des Etrangers. Un groupe de musiciens engagés auprès des Sans Papiers crée un spectacle sur les Roms (« Cabaravane »). Un couple de Partenia 77 les héberge. Constat : les préjugés et l’exclusion ont souvent pour cause principale l’ignorance. Action : dans le cadre d’une association, on crée des occasions de rencontres et d’échanges (fêtes de quartier, activités partagées par tous, gym, randonnées, couture, cuisine, sorties culturelles etc…). Des bénéficiaires des Restos du Coeur ne sont pas toujours accueillis comme des personnes autonomes et responsables, ambiance d’automatismes routiniers. Action : café-contact sur place, créant une ambiance amicale et permettant des échanges entre bénéficiaires et bénévoles. Constat : des exclus (que nous laissons exclure ?), une opinion publique peu informée des situations concrètes et des droits des étrangers, des citoyens et des politiques qui manient des préjugés et des amalgames, des responsables économiques et politiques considérant le migrant comme une « variable d’ajustement économique ». Actions : aide aux Sans Papiers en vue de leur régularisation, réaction auprès des préfets, documentation et formation sur les droits des étrangers, transmission d’informations à l’attention discussions du public (mails, panneaux, pétitions), ponctuelles (Cercle de Silence, famille, rencontres,…). A travers ces faits et ces actions, il nous semble repérer quelques finalités communes et quelques questions de fond sous-jacentes. Les voici. Pour créer et développer des solidarités, mettre dans notre société plus d’amitié, de paix, de justice, de respect de l’autre, de vérité entre les personnes et entre les groupes, d’espoir,… et (pourquoi pas ?) d’humour, et faire du chemin avec d’autres : – lutter contre la routine et le fatalisme (bof ! « ça a toujours existé ! ») ; – débusquer et contrer de soi-disantes « évidences » et le langage du prêt-à-penser » ; – changer notre regard sur les évènements, sur les personnes, et sur le message du Christ (riche en paroles et comportements « subversifs »…) – exprimer (en paroles et en actes) notre solidarité avec les exclus ; – ne pas hésiter à questionner (voire contester) les responsables politiques (maires, députés, préfets, ministres, président), mais aussi des responsables religieux (… le Christ l’a fait en son temps et dans son pays !). – une véritable institutionnalisation du droit au logement s’impose. La loi DALO va dans ce sens, mais ne passe pas encore beaucoup dans les faits, par insuffisance de constructions de logements sociaux. – chrétiens ou non, exerçons notre vigilance – annoncer l’Evangile avec les exclus, c’est leur laisser la parole et les écouter. Faire participer ceux qui ne savent ni lire ni écrire. – ne pas négliger le rôle positif que peuvent jouer révoltes et utopies ; – pour la petite histoire : l’une d’entre nous, arrivant enfant en France avec sa famille, se faisait traiter de « sale Belge » par ses camarades de l’école du village. – on a quelquefois peur de ceux qui sont différents, quelle que soit leur différence, par exemple :étrangers, handicapés, malades mentaux. Et on a d’autant plus peur qu’on ne les connait pas et qu’on ne vit pas avec eux. Cela explique peutêtre que le vote pour le Front National est fort (autour de 20 %) dans certaines campagnes, et relativement faible dans des secteurs où vivent côte à côte une centaine de nationalités. Exemple : Seine-Saint-Denis. – ce n’est pas par pitié ni par compassion que nous agissons. Nous essayons de faire passer dans notre vie le message de libération et d’émancipation que le Christ nous a transmis. – pouvons-nous encore « prier pour les pauvres »… et ne pas lever le petit doigt quand la ville où nous habitons refuse de construire des logements sociaux que la loi lui impose ? N’ayons pas peur de provoquer des changements, y compris dans notre Eglise, n’attendons pas des consignes ou des autorisations pour faire. Cela a été une démarche du Christ. « Le Saint Esprit souffle où il veut » ! Au total, quelques particularités importantes de nos moyens : – démarche collective – démarche libératrice – démarche pédagogique : découverte et reconnaissance du potentiel de l’autre, de son mode de fonctionnement, de sa culture, et construction d’un véritable échange. Bernard Jarry et le groupe Partenia 77. Interview du Cardinal MARTINI L’interview du Cardinal Martini : « L’Eglise est en retard de 200 ans !… » Le père Georg Sporschill, le confrère jésuite qui l’avait interwievé dans l’ouvrage « Conversations nocturnes à Jérusalem – Sur le risque de la foi »* et Federica Radice ont rencontré le cardinal Martini le 8 août dernier. Le texte de leur entretien, est « une sorte de testament spirituel que le cardinal a lu et approuvé ». Comment voyez-vous la situation actuelle de l’Eglise ? L’Eglise est fatiguée, dans l’Europe du bien-être et en Amérique. Notre culture a vieilli, nos églises sont grandes, nos maisons religieuses sont vides et l’appareil bureaucratique de l’Eglise gonfle, nos rites et nos habits sont pompeux. Ces choses, cependant expriment-elles ce que nous sommes aujourd’hui ? […] Le bien-être pèse. Nous nous trouvons là comme le jeune homme riche, qui s’en va triste, lorsque Jésus l’appelle à devenir son disciple. Je sais que nous ne pouvons pas facilement tout abandonner. Au moins, cependant, pouvons-nous rechercher des hommes libres et plus proches des autres. Comme l’ont été l’évêque Romero et les martyrs jésuites du Salvador. Où sont chez nous les héros desquels s’inspirer ? En aucune raison nous ne devons les enfermer dans les contraintes de l’institution. Qui peut aider l’Eglise aujourd’hui ? Le père Karl Rahner utilisait volontiers l’image de la braise qui se cache sous la cendre. Je vois dans l’Eglise d’aujourd’hui tellement de cendre sur la braise que souvent un sentiment d’impuissance m’assaille. Comment peut-on libérer la braise de la cendre pour raviver la flamme de l’amour ? En premier lieu, nous devons rechercher cette braise. Où sont les simples personnes remplies de générosité comme le bon samaritain ? Qui ont une foi comme celle du centurion romain ? qui sont enthousiastes comme Jean Baptiste ? Qui osent le neuf comme Paul ? Qui sont fidèles comme Marie Madeleine ? Je suggère au pape et aux évêques de chercher douze personnes atypiques pour les postes de direction. Des hommes qui soient proches des plus pauvres et entourés de jeunes ayant l’expérience des choses nouvelles. Nous avons besoin de la rencontre avec des hommes qui brûlent pour que l’esprit puisse se répandre partout. Quels outils suggérez-vous contre la fatigue de l’Eglise ? J’en suggère trois très puissants. Le premier est la conversion : l’Eglise doit reconnaître ses propres erreurs et prendre la voie radicale du changement, à commencer par le pape et les évêques. Les scandales de pédophilie nous poussent à entreprendre un chemin de conversion. Les exigences sur la sexualité et sur tous les thèmes qui impliquent le corps en sont un exemple. Celles-ci sont importantes pour chacun et parfois peut-être, sont-elles aussi trop importantes. Nous devons nous demander si les gens écoutent encore les avis de l’Eglise en matière sexuelle. Dans ce domaine, l’Eglise est-elle encore une autorité de référence ou seulement une caricature dans les médias ? Le second est la Parole de Dieu. Le concile Vatican II a restitué la Bible aux catholiques. […] Seul celui qui perçoit cette Parole dans son cœur peut faire partie de ceux qui contribueront au renouveau de l’Eglise et qui sauront répondre aux demandes personnelles avec une démarche pertinente. La Parole de Dieu est simple et cherche comme compagnon un cœur à l’écoute […] Ni le clergé ni le Droit ecclésial ne peuvent se substituer à l’intériorité de l’homme. Toutes les règles externes, les lois, les dogmes nous sont donnés pour éclairer la discernement des esprits. voie intérieure et pour le Pour qui sont les sacrements ? Ceux-ci sont le troisième instrument de guérison. Les sacrements ne sont pas un instrument de discipline mais une aide pour les hommes tout au long du chemin et dans les faiblesses de la vie. Portons-nous les sacrements aux hommes qui ont besoin d’une force nouvelle ? Je pense à tous les divorcés et aux couples remariés, aux familles recomposées. Ceux-ci ont besoin d’une protection spéciale. L’Eglise soutient l’indissolubilité du mariage. C’est une grâce quand un mariage et une famille réussissent […]. L’attitude hostile que nous portons à l’égard des familles recomposées déterminera les rapports de la génération des fils avec l’Eglise. Une femme a été abandonnée par son mari et trouve un nouveau compagnon qui s’occupe d’elle et de ses trois fils. Le second amour réussit. Si cette famille devient discriminée, non seulement la mère mais aussi ses fils deviennent exclus. Si les parents se sentent en dehors de l’Eglise et n’en sentent pas le soutien, l’Eglise perdra la génération suivante. Avant la Communion, nous prions : « Seigneur, je ne suis pas digne… » Nous savons que nous ne sommes pas dignes […] L’amour est grâce. L’amour est un don. La question de savoir si les divorcés peuvent communier devrait être renversée. Comment l’Eglise peut-elle venir en aide, avec la force des sacrements, à ceux dont la situation familiale est complexe ? Vous personnellement, que faites-vous ? L’Eglise est en retard de 200 ans. Comment se fait-il qu’elle ne se réveille pas ? Avons-nous peur ? Peur au lieu de courage ? Pourtant la foi est le fondement de l’Eglise. La foi, la confiance, le courage. Je suis vieux et malade et je dépends de l’aide des autres. Les bonnes personnes qui m’entourent me font sentir l’amour. Cet amour est plus fort que le sentiment de défiance que je perçois parfois vis-à-vis de l’Eglise en Europe. Seul l’amour est vainqueur de la fatigue. Dieu est Amour. J’ai encore une question pour toi : que peux-tu faire, toi, pour l’Eglise ? ________________ * le livre d’entretien a été publié en allemand en 2008, puis en italien ; il a été traduit en français (en 2009) sous le titre « Le rêve de Jérusalem » C.M. Martini – Entretiens avec Georg Sporschill sur la foi, les jeunes et l’Eglise, DDB, 196 pages, 16 €. Source : texte publié dans le « Corriere della Sera » et transmis par Vittorio Bellavita (Noi Siamo Chiesa, Italie) via le réseau IMWAC (International Movement We Are Church). Traduction en français par Lucette Bottinelli – 3 septembre 2012 Les Religieuses aux EtatsUnis Les Religieuses aux Etats-unis, un langage nouveau… Vers l’avenir Le périple des religieuses depuis Vatican II Les évêques ont raison. Les religieuses ont changé, non seulement aux Etats-Unis mais partout dans le monde. Nous avons changé en suivant des chemins qui nous ont conduites à sortir de ce que nous pensions être. En nous abandonnant à l’Esprit, nous nous sommes éveillées à de nouvelles connaissances qui nous concernent au plus profond. Ce niveau de changement est une transformation. Il modifie de façon radicale la façon dons nous nous voyons nous-mêmes, dont nous voyons l’Evangile, notre église, notre monde et, le plus important, comment nous comprenons notre Dieu. Ce changement de conscience n’a pas été facile. Non, il a été douloureux, mais comme la douleur de l’enfantement, celle-ci s’est évanouie dans l’émerveillement indicible devant une vie qui émerge. Je ne veux pas prétendre que tout ce qui s’est passé au cours de ces 50 ans a été parfait, exempt d’erreurs ou de mauvais choix. Mais ce qui est clair pour moi, c’est que le renouveau qui s’est opéré dans le sillage du Second Concile du Vatican nous a tous invités, hommes et femmes, religieux ou laïcs, à éprouver notre foi de telle sorte qu’elle soit à la fois pénétrée et façonnée par la société moderne, pluraliste et démocratique. Le document conciliaire Gaudium et Spes invitait l’église à embrasser les joies, les espoirs, la peine et la souffrance du peuple de Dieu et d’être dans le monde et non de s’en tenir à part. Il a « ouvert les fenêtres » d’une institution qui a scié les barreaux et libéré l’Esprit. Cette invitation de l’église officielle faisait écho à ce que fit Jésus dans sa vie, quand il « ouvrait les fenêtres » du système de pureté restrictif qui prévalait alors et proclamait en paroles et en actes que chacun était invité à la table et aimé de Dieu. Un acte d’obéissance Les religieuses ont pris cette invitation au sérieux et, poussées par l’église officielle, entrepris leur renouveau. C’était là un acte de grande obéissance. Je le sais, car je suis entrée dans la vie religieuse en 1966 après avoir grandi à Chicago dans une enclave catholique. L’adjectif « catholique » définissait tous les aspects de ma vie : écoles catholiques, marches funèbres catholiques, équipes de sport catholiques, spiritualité catholique, la liste est longue. L’église officielle serait aujourd’hui très fière de ce que j’étais alors. Je voulais que rien ne change. J’imaginais porter l’habit toute ma vie, vivre dans un couvent avec une routine quotidienne, enseigner à l’école. Alors, quand je suis entrée et que les choses ont commencé à changer, le chemin n’a pas été facile pour moi ; cependant, j’ai obéi et pris au sérieux ce qu’on m’avait enseigné dans les classes de théologie et de philosophie. Intégrer les questions qui se posaient à propos de la foi, des Ecritures ou de la théologie dans ma vie de prière fut la clé de mon parcours, comme ce le fut pour beaucoup de religieuses. Nous avons commencé à avoir un regard nouveau sur qui fut Jésus et comment les Ecritures furent formulées dans le contexte de leur époque. Nous avons étudié l’histoire de l’église et sa tradition d’enseignement sur la justice sociale. Nous avons étudié la théologie de la libération et commencé à comprendre comment les structures des systèmes de pouvoir, politique ou aussi ecclésial oppriment trop souvent le peuple même qu’elles sont sensées servir. Comme les diocèses des Etats-Unis étaient jumelés avec des villes d’Amérique Centrale ou du Sud, beaucoup de sœurs ont servi dans ces ministères nouvellement établis et expérimenté le pouvoir de la théologie de la libération ; elles ont été transformées par le peuple qu’elles servaient. Guidées par les documents conciliaires, nous avons appris d’autres traditions de foi et qu’elles aussi offraient une exploration de Dieu. Le renouveau liturgique apporta ouverture et innovation dans les célébrations liturgiques que l’église romaine avait ossifiées. Formées dans les années 1950 par le Mouvement de Formation des Sœurs, les religieuses durent, selon le concile, suivre des formations académiques. Et nous l’avons fait. Lettres et sciences humaines, sciences sociales aussi bien que sciences dures sont devenues notre compagnie. Les détails de la physique quantique, de l’évolution ou des découvertes sur les origines de l’univers ne nous étaient ni étrangers ni suspects. Ils pointaient au contraire vers une meilleure connaissance de Dieu et de ce que nous sommes dans ce monde merveilleux. Notre immersion dans le monde ouvrit de nouveaux ministères au sein desquels les religieuses travaillaient directement avec des femmes qui se battaient dans des situations d’abus sexuels ou de décisions sur la conduite à terme de leur grossesse ; avec des jeunes femmes qui avaient cru comprendre que selon l’enseignement de l’église il valait mieux avorter et être pardonnée d’un péché mortel plutôt que d’utiliser des moyens contraceptifs et vivre en état de péché mortel. Nos ministères nous mirent face aux sans castes de nos sociétés – les sans toits, les prisonniers, les drogués, les laissés pour compte économiques, les exclus à cause de leur orientation sexuelle. Ces expériences s’infiltraient en nous et quand nous les avons portées dans la prière, elles nous ont transformées. Nous avons vu et compris que ces gens étaient le peuple que Jésus aurait aujourd’hui appelé des amis et accueilli dans sa compagnie. Le réveil Notre vie au sein des congrégations changeait aussi. En échangeant les vêtements que portaient les femmes dans une autre époque contre ceux de notre temps, en commençant à vivre dans différents types de communautés, nous avons fait l’expérience d’être nous-mêmes des individus, avec nos propres droits. Comme les autres femmes le firent partout à cette époque, nous nous sommes éveillées à notre identité de femmes et réclamé les droits qui sont les nôtres, à égalité avec ceux des hommes. Nos ministères parmi les femmes nous ont fait ressentir d’une nouvelle façon les défis qui sont les nôtres à cause de notre genre, le don de notre sexualité et celui de porter une vie nouvelle. Nous avons compris que l’enseignement de l’église officielle sur la sexualité n’était pas accepté par la plupart des femmes catholiques parce qu’il n’atteint pas le cœur des femmes, nos vies, ne s’adresse pas à nos souffrances ni aux choix difficiles qui sont devant nous et ne célèbrent pas la joie de notre sexualité. Ayant grandi aux Etats-Unis, les religieuses commencèrent à intégrer les principes démocratiques de nos structures de gouvernement. Le concile nous avait demandé que les responsables deviennent des serviteurs et nous voyions que les structures patriarcales et hiérarchiques n’entraient pas dans ce modèle. Nous avons choisi des modes de responsabilité plus circulaires, en insistant sur la participation et le partage tout en affirmant et acceptant que certains individus parmi nous soient élus comme nos responsables. Les mouvements sociaux de notre époque sont devenus partie de nos vies – le mouvement des femmes, la lutte pour les droits civils, le mouvement non-violent anti-guerre et plus récemment le mouvement des gays et lesbiennes. Ce que nous avons appris, c’est la connaissance viscérale que toute personne humaine est dotée de droits inaliénables, quels que soient sa race, son genre, sa classe ou son orientation sexuelle. Elles sont toutes enfants de Dieu. Plus récemment, les religieuses ont introduit dans la prière les connaissances venues de la physique quantique et de la cosmologie qui montrent les interconnections de toute la vie. Nous avons choisi en conscience de considérer la situation critique de notre Terre comme une question de justice et formulé des positions en direction des congrégations et du public concernant la soutenabilité, le changement climatique et la préservation naturelles. de la Terre et de ses ressources Parler franchement Nous nous sommes trouvées immergées dans une société pluraliste, démocratique et sécularisée et nous savions que notre foi avait quelque chose à offrir aussi bien qu’à recevoir de la culture. Nous nous sommes exprimées sur les abus de l’avidité, du consumérisme, de l’individualisme égoïste et des politiques publiques qui sont déterminées sans tenir compte du bien commun ou de ceux qui sont les plus petits parmi nous. Nous avons fait du lobbying et nous avons manifesté. Nous avons utilisé notre pouvoir économique dans des résolutions d’actionnaires. Et nous avons offert à d’autres la possibilité d’intégrer nos centres de retraite et nos forums éducatifs, afin d’intégrer leur expérience d’adultes dans cette culture, avec l’évolution de leur foi. Les religieuses ont changé. Et ce changement ébranle les fondations de ce qui continue d’être une église apparemment enfermée dans un lieu et une époque d’autrefois. Ce n’est pas ce dont nous avons besoin aujourd’hui. Les signes des temps nous révèlent des personnes qui sont catholiques mais ne veulent plus aller « à l’église » parce qu’elles se sentent aliénées et en colère devant la corruption et le manque d’intégrité de nombre des leaders cléricaux masculins. Ces personnes veulent connaître Dieu en adultes. Elles désirent une spiritualité enracinée dans leur foi et dans leur vie. Je crois que l’Evangile et la richesse de notre tradition catholique ont quelque chose à offrir à notre monde postmoderne. Je ne voudrais pas le voir s’effondrer sous le poids de structures qui maintiennent des relations de pouvoir qui ne servent plus à rien. Je pense que la foi qui attend d’être proposée au 21ème siècle doit venir d’une position d’ouverture et de compréhension des changements apportés par l’évolution de notre développement. Ce ne peut être une foi provenant de la position de condamnation de la modernité. Mais une foi qui aura été confrontée à ce qui est croyable à notre époque et aura émergé à partir de nouveaux éclairages et de nouvelles interprétations sur la façon de nous aimer les uns les autres à la manière de Jésus. Dans cette époque difficile et chaotique, il nous est possible d’arriver à comprendre que nous sommes plus semblables que différents, plus uns que séparés. Oui, les religieuses ont changé. Et je crois que notre périple a beaucoup à offrir à ce moment de notre histoire. Ensemble avec d’autres, qui ont cheminé sur des routes semblables, l’avenir de notre foi nous a fait signe d’avancer depuis le Second Concile du Vatican. En ce cinquantième anniversaire, avançons courageusement vers l’avenir en affirmant une nouvelle fois que nous sommes catholiques et que nous sommes l’église. Nancy Sylvester fondatrice et présidente de l’Institute for Communal Contemplation and Dialogue Article publié par l’hebdomadaire jésuite des Etats-Unis, America, le 16 juillet 2012 Traduction Lucienne Gouguenheim Vivre l’Evangile aujourd’hui Vivre, aujourd’hui, dans l’Esprit de l’Evangile. Au cours de l’histoire des peuples, l’expression des croyances et des convictions a toujours été exprimée par les femmes et par les hommes dans un contexte culturel, social, économique, politique. Dieu n’a jamais parlé, il n’y a que les femmes et les hommes qui parlent, écrivent, disent leurs réflexions, leurs analyses, leur lecture des évènements. L’importance de la Parole : Les grands récits de l’humanité nous montrent que la parole participe à la création de l’humanité : « au début il y a la Parole et la Parole a pris corps » nous dit l’Evangile de Jean. Le mot « parole » vient de « parabole ». La parabole dans les mathématiques désigne un trajet qui contourne un objet pour le saisir et qui le rate. Parler n’enferme pas le vécu. C’est une représentation, une approche, tout reste à faire. C’est le manque qui est la source du désir, de la créativité, de la vie. La Parole permet de créer, de nommer les êtres et les choses, les évènements, donner de la signification à partir de son histoire, de ce que nous vivons en relation avec les autres. C’est une recherche de sens. « Il n’y a pas de réalité en dehors d’une théorie qui la nomme » nous dit Einstein. « A travers chaque parole passe un peu du premier jour qui crée le monde » Jean Debruynne. L’écriture des grands récits : Les grands récits que nous retrouvons dans la Bible, sur des stèles, dans des manuscrits nous montrent qu’ils sont écrits à partir de textes antérieurs et à partir d’une tradition orale. Ce sont des textes vivants qui sont écrits, réécrits, modifiés selon les contextes. Les Tables de la Loi s’inspirent des codes antérieurs retrouvés dans les recherches archéologiques. Les textes des Evangiles ont été écrits de nombreuses années après la mort de Jésus de Nazareth. Ils ont pour contenu la tradition orale, les références à la Bible, la relecture à partir de l’affirmation de la résurrection et le vécu des premières communautés. Nous ne sommes pas dans la répétition des textes mais dans la création de nouveaux récits de vie qui naissent et se développent dans un contexte social, économique et politique. Ces différentes réécritures des textes Bibliques se sont arrêtées à partir du 4ième siècle de notre ère. Heureusement, de nombreux autres textes et livres sont apparus. Il est nécessaire de réécrire de nouveaux textes aujourd’hui dans la continuité et l’actualisation de l’Esprit des Evangiles. Nous sommes paroles et actions : Les valeurs judéo-chrétiennes transmises par les textes, au cours des siècles s’incarnent dans des actions. Les religions ont permis la diffusion des valeurs de justice, de solidarité, de pardon… L’aide aux pauvres… Dans notre époque de sortie de religion nous constatons que les valeurs évangéliques qui imprègnent notre société sont souvent vécues par des personnes engagées dans des groupes, mouvements, associations qui militent pour plus d’humanité. De ce fait, vivre nos croyances et nos convictions, c’est aujourd’hui rejoindre ou être à l’initiative d’actions qui mobilisent comme l’aide aux exclus, le refus du pouvoir de la finance, la dénonciation des inégalités, le refus du traitement inhumain des étrangers… C’est pourquoi, il me semble qu’aujourd’hui, c’est en rejoignant les groupes qui militent pour plus d’humanité que nous pouvons vivre nos croyances et nos convictions. Nous pouvons rejoindre différents groupes qui ont fait la preuve de réflexions et d’actions au service de l’humanité : Amnesty International, l’ACAT, RESF, ATTAC, les Cercles de silence, la Vie Nouvelle, la pastorale des migrants, la Cimade, les groupes qui militent pour la protection de la planète etc… Signons des appels contre le désarment, pour la recherche de plus de démocratie dans nos institutions. Soyons à l’initiative de réflexions et d’actions pour une recherche de plus d’humanité dans le sens des Evangiles. C’est rejoindre la vie de Jésus de Nazareth : l’Esprit des Béatitudes, la rencontre avec la Samaritaine, les foules en recherche de nourriture, une faim de la Parole et du pain, la dénonciation des richesses amassées que pour soi-même… Cette soif du divin s’exprime dans ce désir, cette recherche de libération intérieure, cette libération en lien avec les autres. C’est affirmer Sa Présence vivifiante qui nous anime lorsque nous sommes réunis en son nom. A travers notre vécu, nos pratiques. A travers l’humain il y a du divin, de l’infini. C’est le passage de l’humain au divin, la Pâque. Recherchons ce qui est ressuscitant et vivifiant dans notre humanité tout en vivant l’incertitude et le doute qui sont toujours présents sources du désir et de créativité. Nous sommes donc renvoyés à nous-mêmes, dans l’absence d’une parole sûre, finie, dogmatique, à répéter, mais dans une parole, des gestes, des vécus des actions toujours à créer, à renouveler. C’est l’expérience de l’absence, du tombeau vide qui crée du désir comme un appel à vivre. Le manque-à-être crée du vivant, des êtres qui disent, vivent et croient. « Nous cherchons Dieu dans la prière et nous y découvrons l’absence qui creuse au cœur le goût de l’Autre. L’homme de désir, dévissé de son prie-Dieu, est libre de travailler à transformer le monde, non plus pour le réduire à soi-même et tenter d’en occuper toutes les places, mais pour le rendre à lui-même en assurant sa place d’homme unique entre les autres » (Denis Vasse –le temps du désir-). Nous sommes appelés à vivre des transformations. Pour créer et inventer le style de vie de Jésus de Nazareth aujourd’hui, nous avons besoin d’être à l’écoute de l’Esprit des Evangiles et d’étudier notre contexte social, culturel, économique… pour inventer un style de vie qui corresponde au message et au sens donné par les récits fondateurs de nos croyances. Jésus de Nazareth a vécu, rencontré des personnes. Il a pris position par rapport aux différents groupes de son époque. Il a pris du temps pour la méditation, la prière. Son enseignement a souvent remis en cause les évidences de l’époque. Alors, regardons vers l’avenir, le futur reste à construire. Espérer dans l’avenir, c’est redonner de l’attente, du désir pour « réenchanter le présent en y introduisant de l’avenir » comme nous le dit Jean-Claude Guillebaud (le Goût de l’avenir). Chrétiens Aujourd’hui Orléans