recherche hec Histoire de parfum Quelle relation entre l’âge et l’attachement à une marque ? Quel est l’impact de l’âge d’un individu sur ses choix de consommation ? Gilles Laurent et Raphaëlle Lambert-Pandraud apportent un début de réponse à cette question en étudiant les choix de parfums des consommatrices. Avec l’âge, les femmes s’attachent plus longuement à leurs parfums et leur restent relativement fidèles, tandis que la recherche de la nouveauté des plus jeunes en fait une clientèle instable. Gilles Laurent BIOGRAPHIE Gilles Laurent est Professeur au Département Marketing d’HEC Paris ; il enseigne au MBA, à la grande école et au doctorat. Ses autres recherches portent sur le comportement du consommateur (fidélité à la marque, mémorisation des prix, luxe, etc.) et sur différents aspects du marketing (impact des promotions, ruptures de stock en hypermarchés, etc.). Gilles Laurent est diplômé d’HEC Paris (1970) et titulaire d’un Ph. D. du MIT (1978). II recherche@hec • Spécialistes du comportement du consommateur et de l’analyse statistique des problèmes de marketing, Gilles Laurent et Raphaëlle LambertPandraud (Professeur à ESCP Europe) se penchent depuis plusieurs années sur l’impact de l’âge des consommateurs sur leurs décisions d’achat, et ce dans des secteurs variés : achat de voitures neuves, choix des stations radios, vote en politique… Pourquoi étudier plus spécifiquement le marché des parfums ? La coexistence sur ce marché de parfums vieux de plusieurs décennies et du lancement de centaines de nouveautés chaque année en fait un terrain d’étude pertinent pour analyser la fidélité aux marques des consommateurs en fonction de leur âge. ENTRE RECHERCHE DE NOUVEAUTÉS ET NOSTALGIE Les auteurs ont utilisé deux études successives qui rendent compte des habitudes de consommation de parfum des Françaises. La première repose sur une base de données Acxiom-Consodata portant sur la consommation des Français et a fourni des informations quant aux préférences de 130 500 consommatrices de parfum. La seconde étude consiste en l’analyse d’un questionnaire auquel ont répondu 260 février-mars 2010 femmes à la sortie d’un magasin Nocibé. L’objectif de cette étude est de comprendre la relation des femmes avec leurs parfums et son évolution dans le temps. Les femmes interrogées ont été invitées à marquer leur approbation ou leur désaccord avec des affirmations telles que : “j’aime essayer de nouveaux parfums” (goût du changement), “je suis fidèle aux parfums de mes premières sorties” (nostalgie), “j’aimerais revenir quelques années en arrière” (regret du passé). Les chercheurs avaient préalablement établi trois hypothèses qu’ils ont testées par cette étude : l’attachement à une marque, la recherche de la nouveauté et la nostalgie. UNE RELATION QUI SE CRISTALLISE DANS LE TEMPS Les deux chercheurs constatent que l’ancienneté de la marque du parfum préféré croît avec l’âge de la consommatrice. Autre élément majeur : Gilles Laurent et Raphaëlle Lambert-Pandraud montrent que les jeunes femmes ont tendance à changer souvent de parfum, alors que les consommatrices plus âgées sont plus fidèles : la fidélité à une marque de parfum se stabilise avec le temps. En concluton pour autant que toutes les jeunes femmes sont versatiles, et que les plus âgées sont, elles, fidèles marketing dans leur consommation ? Ce n’est pas aussi simple, répondent les auteurs, qui observent une certaine hétérogénéité dans chaque catégorie d’âge : certaines jeunes femmes sont extrêmement fidèles à un parfum, tandis que des femmes plus âgées en changent régulièrement. “D’autant que les femmes, à mesure qu’elles vieillissent, ont davantage tendance à se tourner vers des parfums plus anciens quand elles changent de parfum”, souligne Gilles Laurent. Ce phénomène explique notamment le succès constant de grands parfums lancés sur le marché il y a plus de 50 ans (le Nº 5 de Chanel, par exemple). RECRUTEMENT FIABLE : CELUI DES CONSOMMATRICES LES PLUS ÂGÉES “Les publicités pour les parfums mettent constamment en scène de jeunes individus, y compris pour les produits qui ont des clientèles plus âgées”, rappelle Gilles Laurent. À tort ou à raison ? Les chercheurs expliquent par leur analyse que le lancement d’un nouveau parfum ciblant une population relativement jeune reste très risqué. En effet, la propension des jeunes consommatrices à changer de marque rend les succès généralement éphémères. En revanche, la conquête de consommatrices plus âgées, comme les 40-60 ans, est probablement plus rentable car celles-ci resteront plus longtemps fidèles. Mais est-il possible de séduire des consommatrices matures avec de nouveaux parfums alors qu’elles sont en moyenne plus fidèles à une marque ? Absolument, répondent Gilles Laurent et Raphaëlle Lambert-Pandraud. En effet, leur étude en magasin du comportement de 260 femmes leur permet d’évaluer les durées d’utilisation moyenne du parfum favori en fonction des différentes catégories d’âge. Celles-ci sont de 2,4 ans pour les moins de 30 ans, 6,8 ans pour les 31-49 ans, 12 ans pour les 50-64 ans, et 23 ans pour les plus de 65 ans. Conclusion : les plus âgées n’ont pas toutes adopté leur parfum avant 30 ans et les recruter à un âge mature est possible ! “Par exemple, si vous parvenez à recruter une consommatrice de 48 ans, elle utilisera votre parfum pour une durée de 12 ans en moyenne, alors que gagner une cliente de 25 ans garantira statistiquement des ventes sur une durée moindre, 2 ans et demi!”, explique Gilles Laurent. ■ D’après un entretien avec Gilles Laurent et l’article “Why Do Older Consumers Buy Older Brands? The Role Of Attachement And Declining Innovativeness” (à paraître dans Journal of Marketing), co-écrit avec Raphaëlle Lambert-Pandraud. APPLICATIONS POUR LES RESPONSABLES MARKETING Dans un contexte global de vieillissement de la population, les résultats de cet article peuvent aider à recadrer les politiques marketing en parfumerie, ainsi que dans d’autres secteurs de produits ou de services. Les auteurs attirent l’attention des marketeurs sur l’importance d’intégrer l’âge des consommateurs dans leur stratégie. Gilles Laurent souligne d’une part la nécessité d’avoir un portefeuille de produits ou de marques bien équilibré en termes de catégories d’âge, et d’autre part l’intérêt de viser des cibles d’âge moyen ou mature, pour entretenir la fidélité de la clientèle actuelle mais aussi pour s’attacher une nouvelle clientèle dont on sait qu’une fois conquise elle aura une forte propension à rester fidèle. février-mars 2010 • recherche@hec III